1996 Denzinger 3703

Les biens du mariage chrétien

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Au moment où Nous Nous préparons à exposer quels sont ces biens du mariage véritable, donnés par Dieu, et leur grandeur, ... Nous Nous rappelons les paroles du plus illustre des docteurs de l'Église (Augustin)... : «Voilà tous les biens... qui font que le mariage est bon : les enfants, la foi conjugale, le sacrement 1. »
Et comme on dit à juste titre de ces trois chefs qu'ils contiennent de la façon la plus excellente toute la doctrine sur le mariage chrétien, le saint Docteur le montre lui-même très clairement en disant : « Par la foi conjugale, on a en vue cette obligation qu'ont les époux de s'abstenir de tout rapport sexuel en dehors de leur lien conjugal ; dans les enfants, on a en vue le devoir pour les époux de les accueillir avec amour, de les nourrir avec sollicitude, de les élever religieusement ; dans le sacrement enfin, on a en vue le devoir, qui s'impose aux époux, de ne pas rompre la vie commune, et l'interdiction, pour celui ou celle qui se sépare, de s'engager dans une autre union, fût-ce à raison des enfants. Telle est la loi du mariage où la fécondité de la nature trouve sa gloire, et le dévergondage de l'incontinence, son frein 2. »

1 AUGUSTIN, De bono coniugali 24, n.32 (CSEL 41,227,,, ; PL 40.394D) ; formule analogue dans De Genesi ad litteram IX 7, n. 12 (CSEL 28,275:6s ; PL 34.397D).
2 AUGUSTIN, De Genesi ad litteram IX 7, n. 12 (CSEL 28,275,7-2766 ; PL 34.397D).

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(Le bien que représentent les enfants.)

Parmi les biens du mariage, les enfants tiennent donc la première place. Et sans aucun doute, le Créateur même du genre humain qui, dans sa bonté, a voulu se servir du ministère des hommes pour la propagation de la vie, nous a donné cet enseignement lorsque, en instituant le mariage dans le paradis terrestre, il a dit à nos premiers parents et, en même temps, à tous les époux à venir : « Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre» (Gn 1,28). ...

3705 Les parents chrétiens doivent comprendre en outre qu'ils ne sont pas seulement appelés à propager et à conserver le genre humain sur terre, qu'ils ne sont même pas destinés à former des adorateurs quelconques du vrai Dieu, mais à donner des fils à l'Église, à procréer des « concitoyens des saints et des familiers de Dieu» (Ep 2,19), afin que le peuple attaché au culte de Dieu et de notre Sauveur grandisse de jour en jour. Sans doute les époux chrétiens, même s'ils sont sanctifiés eux-mêmes, ne sauraient transmettre leur sanctification, à leurs enfants, et la génération naturelle de la vie est même devete la voie de la mort, par laquelle le péché originel se comm inique aux enfants ; ils gardent cependant quelque chose de la condition qui était celle du premier couple conjugal au paradis : il leur appartient en effet d'offrir leurs fils à l'Église afin que cette mère très féconde des enfants de Dieu les régénère par l'eau purificatrice du baptême à la justice surnaturelle, et qu'elle en fasse des membres vivants du Christ, participants à la vie éternelle, des héritiers enfin de la gloire éternelle, à laquelle nous aspirons tous, du fond du cœur. ...
Le bien que représente l'enfant ne se termine pas, à coup sûr, au bienfait de la procréation ; il faut qu'il s'y en adjoigne un autre, contenu dans la bonne éducation de l'enfant. ...

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(2. Le bien que représente la foi conjugale.)

Le deuxième bien du mariage que nous avons relevé à la suite d'Augustin est le bien de la foi conjugale, c'est-à-dire la fidélité mutuelle des époux à observer le contrat du mariage en vertu de laquelle ce qui, à raison du contrat sanctionné par la Loi divine, revient uniquement au conjoint ne lui sera pas refusé ni ne sera accordé à une autre personne ; et au conjoint lui-même, il ne sera pas concédé ce qui, étant contraire aux lois et aux droits divins et absolument inconciliable avec la fidélité matrimoniale, ne peut jamais être concédé.
C'est pourquoi cette fidélité requiert tout d'abord l'absolue unité conjugale, dont le Créateur lui-même a formé le premier exemplaire dans le mariage de nos premiers parents, quand il a voulu que ce mariage ne fût qu'entre un seul homme et une seule femme. Et bien que, ensuite, le suprême Législateur divin ait, pour un temps, relativement relâché la rigueur de cette loi primitive, il est absolument certain que la loi évangélique a restauré en son intégrité cette parfaite unité primitive, et qu'elle a aboli toute dispense, comme. les paroles du Christ et l'enseignement constant de l'Église ainsi que sa constante façon d'agir le montrent à l'évidence....

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Cette « foi de la chasteté », comme saint Augustin l'appelle très justement 1, s'épanouira plus aisément et avec plus d'attrait et de beauté morale, dans le rayonnement d'une autre influence des plus excellentes : celle de l'amour conjugal qui pénètre tous les devoirs de la vie conjugale et qui tient dans le mariage chrétien une sorte de primauté de noblesse. ...
Nous parlons donc d'une charité, non pas fondée sur une inclination purement charnelle, et bien vite dissipée, ni bornée à des paroles affectueuses, mais résidant dans les sentiments intimes du cœur et aussi — car « la preuve de l'amour, c'est la manifestation des œuvres 2 » — éprouvée par l'action extérieure. Cette action, dans la société domestique, ne comprend pas seulement l'appui mutuel : elle doit viser plus haut — et cela doit même être son objectif principal —, elle doit viser à ce que les époux s'aident réciproquement à former et à perfectionner chaque jour davantage en eux l'homme intérieur : leurs rapports quotidiens les aideront ainsi à progresser jour après jour dans la pratique des vertus, à grandir surtout dans la vraie charité envers Dieu et envers le prochain, cette charité où se résument en définitive «toute la Loi et les prophètes» (
Ml 22,40). ...
Dans cette mutuelle formation intérieure des époux, et dans cette application assidue à travailler à leur perfection réciproque, on peut voir même, en toute vérité, comme l'enseigne le Catéchisme romain 3, la cause et la raison première du mariage, dès lors qu'on ne considère pas strictement dans le mariage l'institution destinée à la procréation et à l'éducation des enfants, mais, dans un sens plus large, une mise en commun de toute la vie, une intimité habituelle, une société. ...

1 AUGUSTIN, De bono coniugali 24, n. 32 (CSEL 41,227 „ ; PL 40.394D).
2 Voir GREGOIRE LE GRAND, In Evangelia homiliae, 1.11, hom. 30 (sur Jn 14,23-31), n.l (PL 76,1220).
3 Voir Catechismus Romanus (1564), p.II, c.8, q.13.

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Enfin, la société domestique ayant été bien affermie par le lien de cette charité, il est nécessaire d'y faire fleurir ce que saint Augustin appelle l'ordre de l'amour. Cet ordre implique et la primauté du mari sur sa femme et ses enfants, et la soumission empressée de la femme ainsi que son obéissance spontanée, ce que l'Apôtre recommande en ces termes : « Que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur; parce que l'homme est le chef de la femme comme le Christ est le Chef de l'Église» (
Ep 5,22 s).

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Cette soumission, d'ailleurs, ne nie pas et n'abolit pas la liberté qui revient de plein droit à la femme, tant à raison de ses prérogatives comme personne humaine, qu'à raison de ses fonctions si nobles d'épouse, de mère, et de compagne ; elle ne lui commande pas de se plier à tous les désirs de son mari, quels qu'ils soient : même à ceux qui pourraient être peu conformes à la raison ou bien à la dignité de l'épouse ; elle n'enseigne pas non plus que la femme doive être assimilée aux personnes que dans le langage du droit on appelle des <> mineurs », et auxquelles, à cause de leur jugement insuffisamment formé, ou de leur impéritie dans les choses humaines, on refuse d'ordinaire le libre exercice de leurs droits ; mais elle interdit cette licence exagérée qui néglige le bien de la famille ; elle ne veut pas que dans le corps moral qu'est la famille, le cœur soit séparé de la tête, au grand détriment du corps entier et au péril, très proche, de la ruine. Si, en effet, le mari est la tête, la femme est le cœur, et, de même que le premier possède la primauté du gouvernement, celle-ci peut et doit revendiquer comme sienne la primauté de l'amour.
Au surplus, la soumission de la femme à son mari peut varier de degré et dans ses modalités, suivant les conditions diverses des personnes, des lieux et des temps ; bien plus, si ie mari manque à son devoir, il appartient à la femme de le suppléer dans la direction de la famille. Mais, pour ce qui regarde la structure même de la famille et sa loi fondamentale, établie et fixée par Dieu, il n'est jamais ni nulle part permis de les bouleverser ou d'y porter atteinte. (Sont citées ici les paroles de Léon XIII : « L'homme est le chef de la famille..., il faut que ce soit toujours la charité divine qui règle le devoir» (*3I43).) ...

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(3. Le bien que représente le sacrement.)

Cependant, l'ensemble de tant de bienfaits se complète et se couronne en quelque sorte par ce bien du mariage chrétien que, citant saint Augustin, nous avons appelé sacrement, par où sont indiquées et l'indissolubilité du lien conjugal, et l'élévation que le Christ a faite du contrat, en le consacrant ainsi, au rang de signe efficace de la grâce.
Et tout d'abord, pour ce qui regarde l'indissolubilité du lien nuptial, le Christ lui-même y insiste quand il dit : «Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas» (Mt 19,6), et : «Tout homme qui renvoie sa femme et en prend une autre commet l'adultère, et celui qui prend la femme répudiée par un autre, commet un adultère lui aussi» (Lc 16,18).
Dans cette indissolubilité, saint Augustin place en termes très clairs ce qu'il appelle le bien du sacrement : «Dans le sacrement on a en vue ceci : que l'union conjugale ne peut pas être rompue, et que le renvoi ne permet à aucun des deux époux une nouvelle union même pour avoir des enfants 1. »

1 AUGUSTIN. De Genesi ad litteram IX 7. n. 12 (CSEL 28.276,.., ; PL 34. 397D).

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Et bien que cette inviolable fermeté n'existe pas selon la même mesure et de la façon la plus parfaite dans tous les cas, elle n'en appartient pas moins à tous les mariages, car la parole du Seigneur : «Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas», a été dite du mariage de nos premiers parents, c'est-à-dire du prototype de tout mariage à venir, et elle s'applique en conséquence à tous les vrais mariages. ...

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... Que si cette indissolubilité semble être soumise à une exception, très rare d'ailleurs, comme dans certains mariages naturels seulement, contractés entre infidèles, ou dans certains mariages entre chrétiens, contractés certes, mais non encore consommés, cette exception ne dépend pas de la volonté des hommes ni d'aucun pouvoir purement humain, mais du droit divin, dont seule l'Église est la gardienne et l'interprète.
Aucune faculté de ce genre, toutefois, pour aucun motif, ne pourra jamais s'appliquer à un mariage chrétien contracté et consorjiùié. Dans un mariage pareil, le pacte matrimonial a reçu son plein achèvement, et, du même coup, de par la volonté de Dieu la plus grande stabilité et la plus grande indissolubilité y resplendissent, et aucune autorité des hommes ne pourra y porter atteinte.
Mais si nous voulons scruter avec respect la raison intime de cette divine volonté, nous la trouverons facilement... dans la signification mystique du mariage chrétien, qui se vérifie pleinement et parfaitement dans le mariage consommé entre fidèles. Au témoignage, en effet, de l'Apôtre, le mariage des chrétiens reproduit la très parfaite union qui règne entre le Christ et l'Église : « Ce sacrement est grand, je le dis dans le Christ et dans l'Église» (
Ep 5,32). Cette union, aussi longtemps que le Christ vivra, et que l'Église vivra par lui, ne pourra jamais être dissoute par aucune séparation. ...

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... Mais, outre cette ferme indissolubilité, ce bien du sacrement contient d'autres avantages beaucoup plus élevés, parfaitement indiqués par le vocable de « sacrement» ; ce n'est pas là en effet, pour les chrétiens, un mot vide de sens : en élevant le mariage de ses fidèles à la dignité d'un vrai et réel sacrement de la loi nouvelle, notre Seigneur, «qui a institué et porté à leur perfection les vénérables sacrements » (concile de Trente, 24e session, *1799), a fait très effectivement du mariage le signe et la source de cette grâce intérieure spéciale destinée à «porter cet amour mutuel à sa perfection, à affermir cette unité indissoluble, et à sanctifier les époux» (ibid.).
Et parce que le Christ a choisi pour signe de cette grâce le consentement conjugal lui-même validement échangé entre les fidèles, le sacrement est si intimement uni avec le mariage chrétien qu'aucun vrai mariage ne peut exister entre des baptisés «sans être du même coup un sacrement». ...

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Car ce sacrement, en ceux qui n'y opposent pas d'obstacle, n'augmente pas seulement la grâce sanctifiante, principe permanent de la vie surnaturelle, mais il y ajoute encore des dons particuliers, de bons mouvements, des germes de grâces ; il élève ainsi et il perfectionne les forces naturelles, afin que, les époux puissent non seulement comprendre par la raison mais goûter intimement et tenir fermement, vouloir efficacement et accomplir en pratique, ce qui se rapporte à l'état conjugal, à ses fins et à ses devoirs ; il leur concède enfin le droit au secours actuel de la grâce, chaque fois qu'ils en ont besoin pour remplir les obligations de cet état.

L'abus du mariage

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... La raison principale (des maux) se trouve dans l'idée selon laquelle le mariage n'aurait pas été institué par l'auteur de la nature, ni élevé par le Christ Seigneur à la dignité d'un vrai sacrement, mais aurait été inventé par les hommes. ...
(Conséquences :) Les lois, les institutions et les mœurs qui doivent régir le mariage, étant issues de la seule volonté des hommes, ne seraient ainsi soumises qu'à cette seule volonté, et elles pourraient, et devraient même, être promulguées, changées, abrogées, au gré des hommes et des vicissitudes humaines, et la puissance génératrice, justement parce qu'elle est fondée sur la nature même, serait plus sacrée et irait bien plus loin que le mariage. ...
Appuyés sur ces principes, certains en sont arrivés à imaginer de nouveaux genres d'union, appropriées, selon eux, aux conditions présentes des hommes et du temps ; ils veulent y voir autant de nouvelles espèces de mariages : le mariage temporaire, le mariage à l'essai, le mariage amical, qui réclame pour lui la pleine liberté et tous les droits du mariage, après en avoir éliminé toutefois le lien indissoluble et en avoir exclu les enfants, jusqu'au moment, du moins, où les parties auraient transformé leur communauté et leur intimité de vie en un mariage de plein droit. ...

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Il faut parler des enfants, que beaucoup osent nommer une charge fastidieuse de la vie conjugale. À les en croire, les époux doivent avec soin s'épargner cette charge, non pas d'ailleurs par une vertueuse continence (permise dans le mariage aussi, quand les deux époux y consentent), mais en viciant l'acte de la nature. Les uns revendiquent le droit à cette criminelle licence parce que, ne supportant pas les enfants, ils désirent satisfaire la seule volupté sans aucune charge ; d'autres, parce qu'ils ne peuvent, disent-ils, ni garder la continence, ni — à raison de leurs difficultés personnelles, ou celles de la mère, ou de leur condition familiale — accueillir des enfants.
Mais aucune raison, assurément, si grave soit-elle, ne peut faire que ce qui est intrinsèquement contre nature devienne conforme à la nature et honnête. Puisque l'acte du mariage est, par sa nature même, destiné à la génération des enfants, ceux qui, en l'accomplissant, s'appliquent délibérément à lui enlever sa force et son efficacité, agissent contre la nature ; ils font une chose honteuse et intrinsèquement déshonnête. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir les saintes Écritures attester que la divine Majesté déteste au plus haut point ce forfait abominable, et qu'elle l'a parfois puni de mort, comme le rappelle saint Augustin1 : «Même avec la femme légitime, l'acte conjugal devient illicite et honteux dès lors que la conception de l'enfant y est évitée. C'est ce que faisait Onan, fils de Judas, ce pourquoi Dieu l'a mis à mort (voir
Gn 38,8-18).»

1 AUGUSTIN, De adulterinis coniugiis ad Pollentium II 12 (CSEL 41,396I5 ]8 ; PL 40 (1887), 479B).

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En conséquence, comme certains, s'écartant manifestement de la doctrine chrétienne telle qu'elle a été transmise depuis le commencement et toujours fidèlement gardée, ont jugé bon récemment de prêcher d'une façon retentissante, sur ces pratiques, une autre doctrine, l'Église catholique, investie par Dieu même de la mission d'enseigner et de défendre l'intégrité et l'honnêteté des mœurs, debout au milieu des ruines morales, élève bien haut la voix par notre bouche, en signe de sa divine mission, pour garder la chasteté du lien nuptial à l'abri de cette souillure, et elle promulgue de nouveau : que tout usage du mariage, quel qu'il soit, dans l'exercice duquel l'acte est privé, par l'artifice des hommes, de sa puissance de procréer la vie, offense la Loi de Dieu et la loi naturelle, et que ceux qui auront commis quelque chose de pareil se sont souillés d'une faute grave.
C'est pourquoi, en vertu de notre suprême autorité et de la charge que Nous avons de toutes les âmes, Nous avertissons les prêtres qui sont attachés au ministère de la confession et tous ceux qui ont charge d'âme, de ne pas laisser dans l'erreur touchant cette très grave Loi de Dieu les fidèles qui leur sont confiés, et bien plus encore de se prémunir eux-mêmes contre les fausses opinions de ce genre, et de ne pactiser en aucune manière avec elles. ...

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... L'Eglise le sait fort bien également : il n'est pas rare qu'un des deux époux subisse le péché plus qu'il ne le commet, lorsque, pour une raison tout à fait grave, il laisse se produire une perversion de l'ordre juste, qu'il ne veut pas lui-même ; il en reste, par suite, innocent, pourvu alors qu'il se souvienne aussi de la loi de charité, et ne néglige pas de dissuader et d'éloigner du péché son conjoint. Il ne faut pas non plus accuser d'actes contre nature les époux qui usent de leur droit suivant la saine et naturelle raison si, pour des causes naturelles, dues soit à des circonstances temporaires, soit à certaines défectuosités physiques, une nouvelle vie n'en peut pas sortir.
Il y a en effet, tant dans le mariage lui-même que dans l'usage du droit matrimonial, des fins secondaires — comme le sont l'aide mutuelle, l'amour réciproque à entretenir, et le remède à la concupiscence — qu'il n'est pas du tout interdit aux époux d'avoir en vue, pourvu que la nature intrinsèque de cet acte soit sauvegardée, et sauvegardée du même coup sa subordination à la fin première. ...
Mais il faut absolument veiller à ce que les funestes conditions des choses matérielles ne fournissent pas l'occasion à une erreur bien plus funeste encore. Aucune difficulté extérieure ne saurait surgir qui puisse entraîner une dérogation à l'obligation créée par les commandements de Dieu qui interdisent les actes intrinsèquement mauvais par leur nature même. Dans toutes ces conjonctures, les époux peuvent toujours, fortifiés par la grâce de Dieu, remplir fidèlement leur devoir, et préserver leur chasteté conjugale de cette tache honteuse. (Référence est faite au concile de Trente, 6" session, chap. 11 (*1536) et à la première proposition condamnée de Jansénius (*2001).)

Atteinte à la vie à naître

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Il faut encore... mentionner un autre crime extrêmement grave par lequel il est attenté à la vie de l'enfant encore caché dans le sein de sa mère. Les uns veulent que ce soit là chose permise, et laissée au bon plaisir de la mère ou du père ; d'autres reconnaissent qu'elle est illicite, à moins de causes exceptionnellement graves auxquelles ils donnent le nom d'« indication » médicale, sociale, eugénique.
Pour ce qui regarde les lois pénales de l'État, qui interdisent de tuer l'enfant engendré mais non encore né, tous exigent que les lois de l'Etat reconnaissent l'«indication» que chacun d'eux préconise, indication différente, d'ailleurs, selon ses différents défenseurs ; ils réclament qu'elle soit affranchie de toute pénalité. Il s'en trouve même qui font appel, pour ces opérations meurtrières, à la coopération directe des magistrats...

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Quant à l'indication médicale ou thérapeutique, pour employer leur langage, Nous avons déjà dit, vénérables frères, combien Nous ressentons de pitié pour la mère que l'accomplissement du devoir naturel expose à de graves périls pour sa santé, voire pour sa vie même ; mais quelle cause pourrait jamais suffire à excuser en aucune façon le meurtre direct d'un innocent ? Car c'est de cela qu'il s'agit ici. Que la mort soit donnée à la mère, ou qu'elle soit donnée à l'enfant, elle va contre le précepte de Dieu et contre la voix de la nature : «Tu ne tueras pas !» (
Dt 20,13). La vie de l'un et de l'autre est chose pareillement sacrée ; personne, pas même les pouvoirs publics, ne pourra jamais avoir le droit d'y attenter.
C'est sans l'ombre de raison qu'on fera dériver cela, contre des innocents, du droit de punir de mort, qui ne vaut que contre les coupables. Il est absolument vain aussi d'alléguer ici le droit de se défendre jusqu'au sang contre un injuste agresseur (car qui pourrait donner ce nom d'injuste agresseur à un enfant innocent ?). Il n'y a pas non plus ici ce qu'on appelle le «droit de nécessité extrême» qui puisse arriver jusqu'au meurtre direct d'un innocent.

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Pour protéger par conséquent et pour sauvegarder chacune des deux vies, celle de la mère et celle de l'enfant, les médecins probes et habiles font de louables efforts ; en revanche, ils se montreraient fort indignes de leur noble profession médicale ceux qui, sous l'apparence de remèdes, ou poussés par une fausse compassion, se livreraient à des interventions meurtrières. ...
Quant aux observations que l'on apporte touchant l'indication sociale et eugénique, on peut et on doit en tenir compte, avec des moyens licites et honnêtes et dans les limites requises ; mais prétendre pourvoir aux nécessités sur lesquelles elles se fondent, en tuant un innocent, c'est chose absurde et contraire au précepte divin, promulgué aussi par ces paroles : il ne faut pas faire le mal pour assurer le bien (voir
Rm 3,8).

Le droit au mariage et la stérilisation

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Il en est, en effet, qui, trop préoccupés des fins eugéniques, ne se contentent pas de donner des conseils salutaires pour assurer plus sûrement la santé et la vigueur de l'enfant — ce qui n'est certes pas contraire à la droite raison —, mais qui mettent la fin eugénique au-dessus de toute autre, même d'ordre supérieur, et qui voudraient voir les pouvoirs publics interdire le mariage à tous ceux qui, d'après les règles et les conjectures de leur science, leur paraissent, à raison de l'hérédité, devoir engendrer des enfants défectueux, fussent-ils d'ailleurs personnellement aptes au mariage. Bien plus, ils veulent qu'en pareil cas la loi impose, de gré ou de force, la stérilisation par intervention médicale, et cela, non pas comme sanction portée par l'autorité pour une faute déjà commise ou pour prévenir des crimes futurs de personnes déjà coupables 1, mais 1 en attribuant, à rencontre de tout droit et de toute justice, aux magistrats civils un pouvoir qu'ils n'ont jamais eu et ne sauraient légitimement avoir.
Tous ceux qui agissent de la sorte oublient complètement que la famille est plus sacrée que l'Etat, et que, surtout, les hommes ne sont pas engendrés pour la terre et le temps, mais pour le ciel et l'éternité. Il n'est certes pas permis que des hommes d'ailleurs capables de se marier, dont, après un examen attentif, on conjecture qu'ils n'engendreront que des enfants défectueux, soient inculpés d'une faute grave s'ils contractent mariage, encore que, souvent, le mariage doive leur être déconseillé.
Les magistrats n'ont d'ailleurs aucun droit direct sur les membres de leurs sujets : ils ne peuvent jamais ni pour raison d'eugénisme, ni pour aucun autre genre de raison, blesser et atteindre directement l'intégrité du corps, dès lors qu'aucune faute n'a été commise, et qu'il n'y a aucune raison d'infliger une peine sanglante. ...

1 Ainsi après correction AAS 22 (1930), 604.

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Au surplus, les individus eux-mêmes n'ont sur les membres de leur corps d'autre puissance que celle qui se rapporte à leurs fins naturelles ; ils ne peuvent ni les détruire, ni les mutiler, ni se rendre par d'autres moyens inaptes à leurs fonctions naturelles, sauf quand il est impossible de pourvoir autrement au bien du corps entier : tel est le ferme enseignement de la doctrine chrétienne, telle est aussi la certitude que fournit la lumière de la raison.

Divorces

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Les fauteurs du néo-paganisme, nullement instruits par une triste expérience, continuent à s'élever avec une âpreté toujours nouvelle contre l'indissolubilité sacrée du mariage et contre les lois qui la favorisent ; ils insistent pour obtenir l'autorisation légale du divorce, afin qu'une autre loi, et une loi plus humaine, se substitue aux lois vieillies et périmées. ...
...Mais contre toutes ces insanités se dresse... une loi de Dieu, irréfragable, très amplement confirmée par le Christ, une loi qu'aucun décret des hommes, aucun plébiscite, aucune volonté des législateurs ne pourra affaiblir : « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas» (
Mt 19,6).
Que si, prévariquant, l'homme a opéré cette séparation, son acte est sans aucune valeur... Le Christ lui-même l'a souligné : « Quiconque renvoie son épouse et en prend une autre commet un adultère ; et quiconque prend la femme renvoyée par son mari commet un adultère » (Lc 16,18). Ces paroles du Christ s'appliquent à n'importe quel mariage, même seulement naturel et légitime ; car cette indissolubilité convient à tout vrai mariage qui, par elle pour ce qui est de la rupture du lien, est soustrait à ce bon plaisir des parties et à toute puissance séculière.

3725-3744. Encyclique « Quadragesimo anno », 15 mai 1931.

L'encyclique rappelle le quarantième anniversaire de l'encyclique Rerum novarum de Léon XIII (*3265-3271). Elle réagit aux changements des conditions sociales en actualisant la doctrine sociale de l'Église. Éd. : AAS 23 (1931), 190-216.

L'autorité de l'Eglise dans le domaine social et économique

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(Avant que soit exposée la doctrine sociale de l'Eglise), il faut rappeler tout d'abord... que Nous avons le droit et le devoir de Nous prononcer avec une autorité suprême sur ces problèmes sociaux et économiques 1. Certes, la tâche confiée à l'Eglise n'est pas de conduire les hommes à une félicité passagère seulement et fragile, mais à la félicité éternelle ; et même «l'Église ne se reconnaît pas le droit de s'immiscer sans raison dans les affaires temporelles 2». Mais elle ne peut renoncer d'aucune manière à la charge que Dieu lui a confiée d'engager son autorité, non pas certes dans le domaine technique à l'égard duquel elle est dépourvue de moyens appropriés et de compétence, mais en tout ce qui touche la loi morale. ...
Car s'il est vrai que l'économie et la discipline qui a trait aux mœurs font usage, dans leur domaine, de principes qui leur sont propres, il y aurait néanmoins erreur à dire que le domaine de l'économie et le domaine de la morale sont si éloignés et étrangers l'un de l'autre, que le premier ne dépend d'aucune manière du second.

1 Encyclique Rerum novarum, n° 13 (ASS 23 (1890-1891), 647 ; LÉON XIII, Acta, Rome 11,107).
2 PIE XI, encyclique Ubi arcano, 23 décembre 1922 (AAS 14 (1922), 698).

Le droit de posséder des biens et d'en disposer

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(Aspect individuel et social) 1. Il faut d'abord tenir pour assuré et certain que ni Léon (XIII) ni les théologiens qui ont enseigné sous la conduite et selon les directives de l'Église, ont jamais nié ou mis en doute le double aspect, appelé individuel et social, de la propriété, selon qu'elle concerne les individus ou qu'elle se rapporte au bien commun ; mais toujours, de façon unanime, ils ont affirmé que c'est de la nature, et donc du Créateur lui-même, que les hommes ont reçu le droit de propriété privée, tout à la fois pour que chacun puisse pourvoir à sa subsistance et à celle des siens, et pour que, grâce à cette institution, les biens que le Créateur a destinés à l'ensemble de la famille humaine, servent effectivement à cette fin : ce qui ne peut être réalisé que par le maintien d'un ordre certain et bien réglé.
Il faut donc prendre garde à un double écueil que l'on peut rencontrer. De même en effet que la négation ou l'atténuation de l'aspect social et public du droit de propriété tombe dans ce qu'on appelle l'«individualisme» ou en rapproche, de même refuser ou amoindrir son aspect privé et individuel conduit nécessairement au « collectivisme » ou du moins à proximité de ses positions. ...

1 Les titres entre parenthèses figurent en marge de l'édition AAS.

3727
(Obligations inhérentes à la propriété.) ... Il faut poser d'abord comme une sorte de principe fondamental ce qu'a établi Léon XIII, à savoir que le droit de propriété se distingue de son usage (voir *3267). Maintenir intacte la répartition de ce qui est possédé et ne pas dépasser les limites de son propre domaine pour envahir ce qui relève du droit d'autrui, c'est en effet ce que commande cette justice qu'on appelle commutative ; en revanche, que les propriétaires usent de ce qui est leur de façon honnête seulement, ne relève pas de cette justice, mais d'autres vertus dont «on n'a pas le droit d'urger les obligations par voie légale» (ibid.).
C'est donc à tort que certains prétendent que la propriété et son bon usage sont circonscrits par les mêmes limites ; on est bien plus loin encore de la vérité en affirmant que déjà l'abus ou le non-usage rendent le droit de propriété périmé ou le font perdre.

3728
(Ce que peut la puissance publique.) Qu'en cette matière les hommes aient à tenir compte non seulement de leur avantage personnel mais du bien commun, résulte de l'aspect même, à la fois individuel et social, de la propriété dont nous avons parlé. Mais déterminer dans le détail ces obligations, quand la nécessité l'exige et que la loi naturelle elle-même ne le fait pas, appartient à ceux qui gouvernent la société. C'est pourquoi, en se laissant toujours éclairer par la lumière de la Loi divine et naturelle, l'autorité publique peut déterminer de façon plus précise l'usage que compte tenu de la vraie nécessité du bien commun il est permis ou qu'il n'est pas permis aux propriétaires de faire des biens qu'ils possèdent.
Léon XIII avait même enseigné de façon sage que « Dieu a laissé la détermination des possessions privées à l'industrie des hommes et aux institutions des peuples 1». ...
Il est manifeste cependant que la puissance publique n'est pas en droit de s'acquitter de sa fonction à son gré. En effet, toujours le droit naturel lui-même de posséder des biens privés et celui de les transmettre par héritage doivent rester intacts et inviolés, et la puissance publique ne peut pas les abolir ; «l'homme en effet est plus ancien que l'État» (*3265), et de même « la communauté domestique a sur la société civile une antériorité logique et réelle 2». ...

1 Encyclique Rerum novarum, n° 7 (ASS 23 (1890-1891), 644 ; LEON XIII, Acta, Rome 11.102).
2 Ibid. n° 10 (ASS 23 [1890-1891]. 646 ; Acta, Rome 11.105).

3729
(Obligations concernant les revenus disponibles.) De même l'homme ne peut pas user à son gré, de façon absolue, de ses revenus disponibles, c'est-à-dire de ceux dont il n'a pas besoin pour l'entretien d'une vie convenable et bienséante ; au contraire : les riches sont tenus par un très grave précepte de pratiquer l'aumône, la bienfaisance et la magnificence, comme l'enseignent les saintes Écritures et les saints Pères de l'Église.
Consacrer des revenus qui sont plus larges à ce qu'il y ait des possibilités plus grandes de travail rémunérateur, dès lors que ce travail est employé à produire des biens réellement utiles, doit être considéré comme un exercice de la vertu de magnificence particulièrement remarquable et approprié aux besoins de notre temps, ainsi qu'on peut le déduire des principes du Docteur angélique1.

1 Voir THOMAS D'AQUIN,
II-II 134,3 en partie (Editio Leonina 10,89-94).

3730
(Titre de l'acquisition de la propriété.) Le titre originaire de la propriété provient aussi bien de l'occupation d'un bien qui n'est à personne que du travail, ou de ce qu'on appelle la spécification, comme l'attestent clairement aussi bien la tradition universelle que notre prédécesseur Léon. Et contrairement à ce que racontent certains, il n'est commis d'injustice à l'égard de personne lorsqu'un bien vacant et qui n'est à personne est occupé ; seul le travail que l'homme exécute en son propre nom et par lequel une chose reçoit une forme nouvelle ou un accroissement de valeur, est celui qui donne ces fruits à celui qui travaille.


1996 Denzinger 3703