Ecclesia in Asia FR 31


CHAPITRE VI

LE SERVICE DE LA PROMOTION HUMAINE



La doctrine sociale de l'Eglise

32 Dans le service de la famille humaine, l'Eglise s'adresse à tous les hommes et à toutes les femmes sans distinction, s'efforçant de construire avec eux une civilisation de l'amour, fondée sur les valeurs universelles de paix, de justice, de solidarité et de liberté, qui trouvent leur plein achèvement dans le Christ. Comme l'a affirmé le Concile Vatican II par des paroles mémorables, « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de notre temps, des pauvres surtout et des affligés de tout genre, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve de résonance dans leur coeur ». 163 Ainsi donc, l'Eglise en Asie, avec sa multitude de pauvres et d'opprimés, est appelée à vivre une communion de vie qui manifeste de façon particulière le service d'amour qu'elle rend aux pauvres et aux personnes sans défense.

Si, dans les derniers temps, le Magistère de l'Eglise a insisté toujours plus sur la nécessité de promouvoir le développement authentique et intégral de la personne humaine, 164 c'est pour répondre à la situation réelle des peuples du monde, ainsi qu'à une conscience croissante que, non seulement les actions des individus, mais aussi les structures de la vie sociale, politique et économique, sont souvent des ennemis du bien-être humain. Les déséquilibres liés à la divergence croissante entre ceux qui profitent de l'augmentation de la capacité du monde à produire la richesse et ceux qui restent en marge du progrès requièrent un changement radical tant des mentalités que des structures en faveur de la personne humaine. Le grand défi moral lancé aux nations et à la communauté internationale concernant le développement est d'avoir le courage d'une nouvelle solidarité, capable de réaliser des avancées créatives et efficaces pour dépasser le sous-développement déshumanisant et le « sur-développement » qui tend à réduire la personne à une unité économique dans un réseau consumériste toujours plus oppressant. Tout en cherchant à promouvoir ce changement, « l'Eglise n'a pas de solutions techniques à offrir », mais « elle apporte sa première contribution à la solution du problème urgent du développement quand elle proclame la vérité sur le Christ, sur elle-même et sur l'homme, en l'appliquant à une situation concrète ». 165 En définitive, le développement humain n'est jamais une question purement technique ou économique; il est fondamentalement une question humaine et morale.

La doctrine sociale de l'Eglise, qui propose un ensemble de principes de réflexion, de critères pour le jugement et de directives pour l'action, 166 s'adresse tout d'abord aux membres de l'Eglise. Il est essentiel que les fidèles engagés dans la promotion humaine aient une solide compréhension de ce précieux corpus d'enseignements et le considèrent comme partie intégrante de leur mission évangélisatrice. Ainsi, les Pères synodaux ont souligné l'importance d'offrir aux fidèles — dans toute activité éducative, spécialement dans les séminaires et les maisons de formation — une solide préparation en matière de doctrine sociale de l'Eglise. 167 Les responsables chrétiens dans l'Eglise et dans la société, spécialement les laïcs hommes et femmes ayant une responsabilité dans la vie publique, ont besoin d'être bien formés à cet enseignement, de sorte qu'ils puissent inspirer et animer la société civile et ses structures avec le levain de l'Evangile. 168 La doctrine sociale de l'Eglise non seulement rappellera leurs devoirs à ces responsables chrétiens, mais elle leur proposera aussi des lignes de conduite pour agir en faveur du développement humain et elle les libérera des fausses notions de la personne et de l'activité humaines.

(163) Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n.
GS 1.
(164) A bien des égards, le point de départ fut l'encyclique Rerum novarum de Léon XIII (15 mai 1891). Elle introduisit une série de déclarations solennelles de l'Eglise sur les divers aspects de la question sociale. Parmi celles-ci, l'encyclique Populorum progressio (26 mars 1967), que le Pape Paul VI publia en réponse aux enseignements du Concile Vatican II et aux changements de situation dans le monde. Pour célébrer le 20e anniversaire de ce document, j'ai écrit l'encyclique Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), dans laquelle, dans la ligne du Magistère précédent, j'ai invité tous les fidèles à se considérer comme appelés à une mission de service, qui comprend nécessairement la promotion du développement humain intégral.
(165) Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. SRS 41: AAS 80 (1988), pp. 570-571; La Documentation catholique 85 (1988), p. 251.
(166) Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instr. sur la liberté chrétienne et sur la libérationLibertatis conscientia (22 mars 1986), n. 72: AAS 79 (1987), p. 586.
(167) Cf. Proposition 22.
(168) Cf. Proposition 21.


La dignité de la personne humaine

33 Ce sont les êtres humains, et non la richesse ou la technologie, qui sont les agents premiers et les destinataires du développement. Par conséquent, le type de développement que l'Eglise promeut va bien au-delà des questions d'économie et de technologie. Il commence et s'achève avec l'intégrité de la personne humaine, créée à l'image de Dieu et dotée par Dieu de dignité et de droits humains inaliénables. Les diverses déclarations internationales sur les droits humains et les nombreuses initiatives qui les ont inspirées sont le signe d'une attention croissante sur le plan mondial à l'égard de la dignité de la personne humaine. Malheureusement, en pratique, ces déclarations sont souvent violées. Cinquante ans après la proclamation solennelle de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, beaucoup de personnes sont encore sujettes aux formes les plus dégradantes d'exploitation et de manipulation, qui font d'elles de véritables esclaves des plus puissants, d'une idéologie, d'un pouvoir économique, de systèmes politiques oppressifs, d'une technocratie scientifique ou de l'intrusion des médias. 169

Les Pères du Synode étaient bien conscients de la violation persistante des droits humains dans de nombreuses parties du monde, et de façon plus particulière en Asie, où « des millions de personnes souffrent de discrimination, d'exploitation, de pauvreté et de marginalisation ». 170 Ils ont affirmé la nécessité que tout le peuple de Dieu en Asie parvienne à une claire conscience du défi inévitable qui est lié à la défense des droits humains et à la promotion de la justice et de la paix.

(169) Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n.
CL 5: AAS 81 (1989), pp. 400-402; La Documentation catholique 86 (1989), pp. 155-156; Encycl.Evangelium vitae (25 mars 1995), n. EV 18: AAS 87 (1995), pp. 419-421; La Documentation catholique 92 (1995), p. 359.
(170) Proposition 22; cf. Proposition 39.


Amour préférentiel pour les pauvres

34 Dans la recherche de la promotion de la dignité humaine, l'Eglise montre son amour préférentiel pour les pauvres et les sans-voix, parce que le Seigneur s'est identifié à eux de façon spéciale (cf. Mt 25,40). Cet amour n'exclut personne, mais il incarne simplement une priorité de service à laquelle la tradition chrétienne rend témoignage. « Cet amour préférentiel, de même que les décisions qu'il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans espérance d'un avenir meilleur: on ne peut pas ne pas prendre acte de l'existence de ces réalités. Les ignorer reviendrait à s'identifier au "riche bon vivant" qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail (cf. Lc 16,19-31) ». 171 Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l'Asie, continent aux ressources abondantes et aux grandes civilisations, mais où l'on trouve quelques-uns des pays les plus pauvres de la terre et où plus de la moitié de la population souffre de privations, de pauvreté et d'exploitation. 172 Les pauvres de l'Asie et du monde trouveront toujours les meilleures raisons d'espérer dans le commandement évangélique de nous aimer les uns les autres comme le Christ nous a aimés (cf. Jn 13,34); et l'Église en Asie ne peut pas ne pas s'efforcer sérieusement de pratiquer ce commandement envers les pauvres, en paroles et en actes.

La solidarité envers les pauvres devient plus crédible si les chrétiens eux-mêmes vivent simplement, suivant l'exemple de Jésus. La simplicité de vie, la foi profonde et l'amour sincère de tous, spécialement des pauvres et des laissés-pour-compte, sont des exemples éclairants de l'Evangile en acte. Les Pères synodaux ont invité les catholiques de l'Asie à adopter un style de vie conforme aux enseignements de l'Evangile, de telle sorte qu'ils puissent mieux servir la mission de l'Eglise et que l'Eglise elle-même puisse devenir une Église des pauvres et pour les pauvres. 173

Dans son amour pour les pauvres de l'Asie, l'Eglise s'adresse de façon spéciale aux migrants, aux populations indigènes et autochtones, aux femmes et aux enfants, car ils sont souvent victimes des pires formes d'exploitation. D'innombrables personnes souffrent également de discrimination à cause de leur culture, de leur couleur, de leur race, de leur caste, de leur condition économique ou de leur mode de pensée. Cela comprend les personnes qui sont victimes de discrimination en raison de leur conversion au christianisme. 174 Je m'associe à l'appel lancé par les Pères du Synode à toutes les nations pour qu'elles reconnaissent le droit à la liberté de conscience et de religion ainsi que les autres droits humains fondamentaux. 175

L'Asie est actuellement en train de faire l'expérience d'un mouvement sans précédent de réfugiés, de demandeurs d'asile, de migrants et de travailleurs étrangers. Dans les pays où ces personnes arrivent, elles se trouvent souvent sans amis, isolées sur le plan culturel, désavantagées quant à la langue et vulnérables sur le plan économique. Elles ont besoin de soutien et d'attention pour pouvoir préserver leur dignité humaine et leur tradition culturelle et religieuse. 176 Malgré ses ressources limitées, l'Eglise en Asie essaie généreusement d'être une maison accueillante pour ceux qui peinent et qui ploient sous le fardeau, sachant que dans le Coeur de Jésus, où personne n'est un étranger, elles trouveront le repos (cf. Mt 11,28-29).

Dans presque tous les pays de l'Asie, il y a d'importantes populations aborigènes, dont certaines occupent le rang économique le plus bas. Le Synode a souligné à maintes reprises que les populations indigènes et autochtones se sentent attirées par la personne de Jésus Christ et par l'Eglise en tant que communauté d'amour et de service. 177 Il y a là pour l'Eglise un immense champ d'action en matière d'éducation et de santé, comme aussi de promotion de la participation à la vie sociale. La communauté catholique doit intensifier le travail pastoral auprès de ces populations, avec une attention spéciale pour les préoccupations et les problèmes de justice qui concernent leur vie. Cela suppose une attitude de profond respect pour leur religion traditionnelle et pour leurs valeurs; cela suppose en outre la nécessité de les aider à s'aider elles-mêmes, de telle sorte qu'elles puissent travailler à l'amélioration de leur situation et évangéliser elles-mêmes leur culture et de leur société. 178

Personne ne peut rester indifférent aux souffrances de tant d'enfants en Asie, victimes d'exploitation et de violence intolérables, qui ne sont pas seulement le résultat du mal perpétré par des individus, mais qui sont souvent la conséquence directe de la corruption des structures sociales. Les Pères synodaux ont souligné que le travail des enfants, la pédophilie et le phénomène de la drogue sont les maux sociaux qui affectent plus directement les enfants, et ils ont clairement montré qu'ils se combinent avec d'autres maux comme la pauvreté et la conception déficiente des programmes du développement national. 179 L'Eglise doit agir autant qu'elle le peut pour surmonter de tels maux, pour agir en faveur de ceux qui sont les plus exploités et chercher à conduire les enfants vers l'amour de Jésus, car le Royaume de Dieu leur appartient (cf. Lc 18,16).180

Le Synode s'est préoccupé spécialement des femmes, dont la situation demeure un sérieux problème en Asie, où la discrimination et la violence à leur égard ont lieu souvent à domicile, sur les lieux de travail et même dans le système juridique. L'analphabétisme est particulièrement répandu chez les femmes, et beaucoup d'entre elles sont traitées comme de simples objets pour la prostitution, pour le tourisme et pour l'industrie du loisir. 181 Dans leur combat contre toutes les formes d'injustice et de discrimination, les femmes devraient trouver une alliée dans la communauté chrétienne et c'est pourquoi le Synode propose que, là où c'est possible, les Eglises locales en Asie favorisent les activités en faveur des droits humains à l'intention des femmes. Le but doit être d'introduire un changement d'attitude à travers une juste compréhension du rôle des hommes et des femmes dans la famille, dans la société et dans l'Eglise, grâce à une plus grande conscience de la complémentarité originale entre hommes et femmes et à une plus grande appréciation de l'importance de la dimension féminine dans tous les domaines de la vie humaine. La contribution des femmes a été trop souvent sous-évaluée ou ignorée, ce qui a eu pour résultat un appauvrissement d'humanité. L'Eglise en Asie deviendrait un soutien plus visible et plus efficace de la dignité et de la liberté des femmes en encourageant leur rôle dans la vie de l'Eglise, y compris sa vie intellectuelle, et en leur donnant toujours plus souvent l'occasion d'être présentes et actives dans la mission d'amour et de service de l'Eglise. 182

(171) Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. SRS 42: AAS 80 (1988), p. 573; La Documentation catholique 85 (1988), p. 252; cf. Congr. pour la Doctrine de la Foi, Instr. sur la liberté chrétienne et sur la libération Libertatis conscientia (22 mars 1986), n. 68: AAS 79 (1987), p. 583.
(172) Cf. Proposition 44.
(173) Cf. ibid.
(174) Cf. Proposition 39.
(175) Cf. Proposition 22.
(176) Cf. Proposition 36.
(177) Cf. Proposition 38.
(178) Cf. ibid.
(179) Cf. Proposition 33.
(180) Cf. ibid.
(181) Cf. Proposition 35.
(182) Cf. ibid.


L'Evangile de la vie

35 Le service en faveur du développement humain commence par le service de la vie elle-même qui est un grand don de Dieu. La vie est un grand don, qui nous est confié par Dieu: il nous est confié comme un projet et une responsabilité. Nous sommes donc les gardiens de la vie, et non ses propriétaires. Nous recevons librement ce don et, en reconnaissance, nous ne pouvons jamais nous dispenser de respecter la vie et de la défendre, de son commencement à son terme naturel. Dès le moment de la conception, la vie humaine implique l'action créatrice de Dieu et elle a pour toujours un lien spécial avec le Créateur, source de la vie et son terme unique. Il n'y a pas de vrai progrès, ni de société civile véritable et encore moins de réelle promotion humaine sans le respect de la vie humaine, spécialement de la vie de ceux qui n'ont pas de voix pour se défendre eux-mêmes. La vie de toute personne, celle d'un enfant dans le sein maternel autant que celle d'un malade, d'un handicapé ou d'une personne âgée, est un don pour tous.

Les Pères synodaux ont réaffirmé sans concession l'enseignement relatif à la sainteté de la vie humaine, donné par le Concile Vatican II et le Magistère qui a suivi, y compris mon encycliqueEvangelium vitae. Je me joins ici à eux pour exhorter les fidèles de leurs pays, où la question démographique est souvent utilisée comme un argument pour rendre effective l'introduction de l'avortement et des programmes de contrôle artificiel de la population, à résister à la « culture de mort ». 183 Les chrétiens peuvent montrer leur fidélité à Dieu et leur engagement pour une véritable promotion humaine en soutenant les programmes en faveur de la vie de ceux qui ne peuvent se défendre par eux-mêmes, et en y participant.

(183) Cf. Proposition 32.


La santé

36 En suivant l'exemple de Jésus Christ qui eut de la compassion pour tous et qui guérit « toute maladie et toute langueur » (Mt 9,35), l'Eglise en Asie est appelée à s'engager toujours davantage dans le soin des malades, car c'est là une part essentielle de sa mission d'apporter la grâce salvifique du Christ à toute la personne. Comme le Bon Samaritain de la parabole (cf. Lc 10,29-37), l'Eglise veut concrètement s'occuper des malades et des handicapés, 184 spécialement là où les personnes sont privées de soins médicaux élémentaires en raison de la pauvreté et de la marginalisation.

En de nombreuses occasions, lors de mes visites aux Eglises dans les différentes parties du monde, j'ai été profondément ému par l'extraordinaire témoignage chrétien donné par des religieux et des personnes consacrées, des médecins, des infirmières et autres membres du personnel de santé, spécialement de ceux qui travaillent auprès des handicapés ou des malades en phase terminale, ou bien dans la lutte contre la diffusion des nouvelles maladies comme le SIDA. De plus en plus, les chrétiens qui font partie du personnel de santé sont appelés à être généreux et désintéressés dans le soin des victimes de la drogue et du SIDA, souvent méprisées et abandonnées par la société. 185 De nombreuses institutions médicales catholiques en Asie sont soumises à des pressions de la part de politiques de santé publique non fondées sur des principes chrétiens, et beaucoup d'entre elles se trouvent pénalisées par des difficultés économiques toujours plus grandes. Malgré ces problèmes, c'est l'amour exemplaire et désintéressé, et le professionnalisme généreux du personnel, qui, par ce moyen, rendent un service admirable et apprécié à la communauté et constitue un signe particulièrement visible et efficace de l'amour infaillible de Dieu. Ce personnel doit être encouragé et soutenu dans le bien qu'il accomplit. Son engagement continuel et efficace est la meilleure façon d'agir pour que les valeurs chrétiennes et éthiques pénètrent profondément les systèmes de santé du continent et les transforment de l'intérieur. 186

(184) Cf. Jean-Paul II, Lettre apost. Salvifici doloris (11 février 1984), nn. 28-29: AAS 76 (1984) pp. 242-244; La Documentation catholique 81 (1984), pp. 247-248.
(185) Cf. Proposition 20.
(186) Cf. ibid.


L'éducation

37 Dans toute l'Asie, l'engagement de l'Eglise dans le champ de l'éducation est vaste et amplement visible. Il est donc un élément clé de sa présence parmi les peuples du continent. Dans bien des pays, les écoles catholiques jouent un rôle important dans l'évangélisation, inculturant la foi, enseignant l'ouverture et le respect, et promouvant la compréhension interreligieuse. Les écoles de l'Eglise offrent souvent les seules possibilités d'éducation aux filles, aux minorités ethniques, aux pauvres des campagnes et aux enfants les moins privilégiés. Les Pères synodaux sont convaincus de la nécessité d'étendre et de favoriser l'apostolat de l'éducation en Asie, avec un regard particulier pour les défavorisés, de façon à les aider à prendre la place à laquelle ils ont droit comme citoyens à part entière dans la société. 187 Comme les Pères synodaux l'ont signalé, cela signifie que l'éducation catholique doit s'orienter encore plus clairement vers la promotion humaine, fournissant un environnement où les étudiants reçoivent non seulement les éléments scolaires formels, mais, plus généralement, une formation humaine intégrale basée sur les enseignements du Christ. 188 Les écoles catholiques devraient continuer à être des lieux où la foi peut être librement proposée et reçue. De la même façon, les universités catholiques, tout en poursuivant la qualité académique pour laquelle elles sont déjà connues, doivent maintenir une identité chrétienne claire pour être le levain chrétien dans les sociétés de l'Asie. 189

(187) Cf. Proposition 21.
(188) Cf. ibid.
(189) Cf. ibid.


La construction de la paix

38 Au terme du XXe siècle, le monde est encore menacé par des forces qui engendrent des conflits et des guerres, et l'Asie n'en est certainement pas exempte. Parmi ces forces, on note toute sorte d'intolérance et de marginalisation sociale, culturelle, politique et aussi religieuse. De jour en jour, de nouvelles violences s'abattent sur des individus et sur des peuples entiers, et la culture de mort s'installe avec le recours injustifiable à la violence pour résoudre des tensions. Dans cette situation consternante de conflit qui s'étend à tant de parties du monde, l'Eglise est appelée à s'engager profondément dans les efforts internationaux et interreligieux pour faire triompher la paix, la justice et la réconciliation. Elle continue d'insister sur la résolution négociée et non militaire des conflits, et elle attend le jour où les pays abandonneront la guerre comme moyen de venir à bout des revendications ou de résoudre les différends. Elle est convaincue que la guerre crée plus de problèmes qu'elle n'en résout, que le dialogue est la seule voie juste et noble pour parvenir à l'entente et à la réconciliation, et que l'art patient et raisonnable de l'édification de la paix est béni de manière toute spéciale par Dieu.

Particulièrement troublant en Asie est le recours continuel à l'acquisition d'armes de destruction massive, dépense immorale et inutile dans les budgets nationaux qui, dans certains cas, ne peuvent même pas répondre aux besoins fondamentaux des populations. Les Pères du Synode ont aussi parlé du très grand nombre de mines antipersonnel en Asie, qui ont mutilé ou tué des centaines de milliers de personnes innocentes et ont rendu inutilisables des terres fertiles qui autrement auraient pu être utilisées pour produire la nourriture. 190 Il est de la responsabilité de tous, spécialement de ceux qui gouvernent les nations, de travailler plus énergiquement au désarmement. Le Synode a demandé la fin de la construction, de la vente et de l'usage des armes nucléaires, chimiques et biologiques, et il a exhorté ceux qui ont installé les mines antipersonnel à apporter leur assistance au travail de réhabilitation et de restauration. 191 Par-dessus tout, les Pères du Synode ont prié Dieu, qui connaît les profondeurs de toute conscience humaine, de mettre des sentiments de paix dans le coeur de ceux qui sont tentés de suivre les voies de la violence, de telle sorte que la vision biblique devient une réalité: « Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on n'apprendra plus à faire la guerre » (
Is 2,4).

Le Synode a entendu de nombreux témoignages sur les souffrance du peuple d'Irak, et sur le fait que beaucoup d'Irakiens, particulièrement des enfants, sont morts à cause du manque de médicaments et d'autres nécessités primordiales, en raison de l'embargo toujours en vigueur. Avec les Pères synodaux, je souhaite exprimer encore une fois ma solidarité avec le peuple d'Irak, et je suis particulièrement proche des fils et des filles de l'Eglise de ce pays par la prière et l'espérance. Le Synode a demandé à Dieu d'éclairer les esprits et les coeurs de ceux qui portent la responsabilité de parvenir à une solution équitable de la crise, de sorte qu'on épargne d'autres souffrances et d'autres peines à ce peuple déjà durement éprouvé. 192

(190) Cf. Proposition 23.
(191) Cf. ibid.
(192) Cf. Proposition 55.


La mondialisation

39 Les Pères du Synode ont reconnu l'importance du processus de mondialisation économique quand ils ont considéré la question de la promotion de l'homme en Asie. Tout en prenant acte des multiples aspects positifs de la mondialisation, ils ont relevé le fait qu'elle s'est réalisée au détriment des pauvres, 193 car elle tendait à reléguer les nations les plus pauvres en marge des relations économiques et politiques internationales. Bien des pays asiatiques ne sont pas en mesure de s'insérer dans l'économie mondiale de marché. Il y a aussi l'autre aspect, plus significatif, d'une mondialisation culturelle, rendue possible par les moyens modernes de communication, qui ont rapidement attiré les sociétés asiatiques dans une culture mondiale de consumérisme, à la fois séculariste et matérialiste. Il en résulte l'érosion de la famille traditionnelle et des valeurs sociales, qui jusqu'alors ont soutenu les peuples et les sociétés. Tout cela met en évidence que les aspects éthiques et moraux de la mondialisation doivent être directement abordés par les responsables des nations et par les organisations engagées dans la promotion humaine.

L'Eglise insiste sur la nécessité d'une « mondialisation sans marginalisation ». 194 Avec les Pères du Synode, j'invite les Églises particulières du monde entier, spécialement celles des pays occidentaux, à travailler pour faire en sorte que la doctrine sociale de l'Eglise ait l'impact nécessaire dans la formulation des normes éthiques et juridiques qui doivent réguler les libres marchés mondiaux et les moyens de communication sociale. Les responsables et les professionnels catholiques doivent faire pression sur les gouvernements et les institutions de la finance et du commerce, afin qu'ils reconnaissent et respectent ces normes. 195

(193) Cf. Proposition 49.
(194) Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la paix du 1er janvier 1998, n. 3: AAS 90 (1998), p. 50; La Documentation catholique 95 (1998), p. 3.
(195) Cf. Proposition 49.


La dette extérieure

40 En outre, dans sa recherche de la justice au sein d'un monde contrasté par les inégalités sociales et économiques, l'Eglise ne peut ignorer le poids écrasant de la dette de nombreux pays en voie de développement en Asie, avec l'impact qui en résulte pour le présent et pour l'avenir. Dans de nombreux cas, ces pays sont obligés de tailler dans les dépenses pour les nécessités vitales, comme la nourriture, la santé, l'habitat et l'éducation, afin d'honorer les dettes contractées auprès des agences monétaires internationales et des banques. Cela signifie que de nombreuses personnes sont soumises à des conditions de vie qui constituent un affront à la dignité de l'homme. Bien que conscient de la complexité technique du sujet, le Synode a affirmé que cette question est un test de la capacité des peuples, des sociétés et des gouvernements à prendre en compte la personne humaine et la vie de millions d'êtres humains en se plaçant au-dessus et au-delà des considérations financières et des avantages matériels. 196

L'approche du grand Jubilé de l'an 2000 est un moment favorable pour les Conférences épiscopales du monde, spécialement celles des nations les plus riches, pour encourager les agences monétaires internationales et les banques à rechercher les moyens d'alléger la situation de la dette internationale. Parmi les moyens les plus évidents, il y a la renégociation des dettes, avec une réduction substantielle ou leur remise pure et simple, tout comme des initiatives financières et des investissements pour aider les économies des pays les plus pauvres. 197 En même temps, les Pères synodaux se sont aussi tournés vers les pays endettés, soulignant la nécessité de développer le sens de la responsabilité nationale, leur rappelant l'importance d'une saine planification économique, de la transparence et d'une bonne gestion, et les invitant à s'engager dans une lutte résolue contre la corruption. 198 Ils ont rappelé aux chrétiens d'Asie qu'ils doivent condamner toute forme de corruption et de détournement massif de fonds publics par ceux qui détiennent le pouvoir politique. 199 Les citoyens des pays en dette ont été trop souvent victimes du gaspillage et de l'inefficacité internes, avant de devenir les victimes de la crise de la dette internationale.

(196) Cf. Proposition 48.
(197) Cf. ibid.; Jean-Paul II, Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n.
TMA 51: AAS 87 (1995), p. 36; La Documentation catholique 91 (1994), p. 1030.
(198) Cf. Proposition 48.
(199) Cf. Proposition 22; Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. SRS 44: AAS 80 (1988), p. 576-577. La Documentation catholique 85 (1988), p. 253.


L'environnement

41 Quand la préoccupation pour le progrès économique et technologique n'est pas accompagnée d'une attention égale pour l'équilibre de l'écosystème, notre terre est inévitablement exposée à de sérieuses nuisances écologiques, avec des conséquences dommageables pour le bien des êtres humains. Le flagrant manque de respect pour l'environnement naturel continuera tant que la terre et son potentiel seront simplement perçus comme des objets servant à un usage et à une consommation immédiats, comme une chose à manipuler dans le cadre de la course effrénée vers le profit. 200 Les chrétiens et ceux qui regardent Dieu comme Créateur ont pour devoir de protéger l'environnement, en restaurant le sens de la vénération pour toutes les créatures de Dieu. C'est la volonté du Créateur que l'homme gère la nature non comme un exploiteur impitoyable, mais comme un administrateur intelligent et responsable. 201 Les Pères synodaux ont plaidé de façon spéciale pour une plus grande responsabilité de la part des responsables des nations, des législateurs, des hommes d'affaires et de tous ceux qui sont directement engagés dans la gestion des ressources de la terre. 202 Ils ont ensuite souligné la nécessité d'éduquer les personnes, spécialement les jeunes, à leur responsabilité par rapport à l'environnement, leur enseignant l'art confié par Dieu à l'humanité de gérer la création. La protection de l'environnement n'est pas seulement une question technique, mais elle aussi et avant tout une question éthique. Tous ont le devoir moral de prendre soin de l'environnement, non seulement pour leur propre bien, mais aussi pour celui des générations futures.

En concluant ces réflexions, il paraît nécessaire de rappeler qu'en faisant appel aux chrétiens pour travailler et se sacrifier eux-mêmes au service du développement humain, les Pères du Synode ont fait référence aux valeurs fondamentales de la tradition biblique et ecclésiale. L'ancien Israël a passionnément insisté sur le lien indestructible entre le culte rendu à Dieu et le soin des pauvres, représentés de façon typique dans l'Écriture comme « la veuve, l'étranger et l'orphelin » (cf. Ex
Ex 22,21-22 Dt 10,18 Dt 27,19), qui dans la société d'alors étaient les plus vulnérables à la menace de l'injustice. A maintes reprises, nous avons entendu chez les prophètes l'appel à la justice, à l'ordre juste de la société humaine sans lesquels il n'y pas de vrai culte envers Dieu (cf. Is 1,10-17 Am 5,21-24). Dans les exhortations des Pères synodaux, nous reconnaissons donc un écho des prophètes, remplis de l'Esprit de Dieu, qui veut « la miséricorde et non les sacrifices » (Os 6,6). Jésus fit siennes ces paroles (cf. Mt 9,13), et la même chose vaut pour les saints de tout temps et de tout lieu. Considérons les mots de saint Jean Chrysostome: « Tu veux honorer le Corps du Christ? Ne le méprise pas lorsqu'il est nu. Ne l'honore pas ici, dans l'église, par des tissus de soie tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements. Car celui qui a dit: "Ceci est mon corps", [...], c'est lui qui a dit: "Vous m'avez vu avoir faim, et vous ne m'avez pas donné à manger". [...] Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d'or, tandis que lui-même meurt de faim? Commence par rassasier l'affamé et avec ce qui te restera tu orneras son autel! ». 203 Dans l'appel du Synode pour le développement de l'homme et pour la justice dans les rapports humains, nous entendons une voix à la fois ancienne et nouvelle. Elle est ancienne parce qu'elle surgit des profondeurs de notre tradition chrétienne qui vise l'étroite harmonie voulue par le Créateur; elle est nouvelle parce qu'elle parle de la situation immédiate de très nombreuses personnes dans l'Asie d'aujour'hui.

(200) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. RH 15: AAS 71 (1979), p. 287; La Documentation catholique 76 (1979), pp. 309-310.
(201) Cf. ibid.
(202) Cf. Proposition 47.
(203) Homélie sur l'Evangile de Matthieu, 50, 3-4: PG 58, 508-509.


Ecclesia in Asia FR 31