Ecclesia in Oceania FR



EXHORTATION APOSTOLIQUE

POST-SYNODALE


ECCLESIA IN OCEANIA

DE SA SAINTETÉ


LE PAPE JEAN-PAUL II

AUX ÉVÊQUES

AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES

AUX PERSONNES CONSACRÉES

ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS

SUR JÉSUS CHRIST

ET LES PEUPLES DE L'OCÉANIE:

SUIVRE SON CHEMIN

PROCLAMER SA VÉRITÉ

VIVRE SA VIE




INTRODUCTION



1 L'Église en Océanie rend gloire à Dieu à l'aube du troisième millénaire et proclame son espérance à la face du monde. Sa gratitude envers Dieu jaillit de sa contemplation des dons innombrables qu'elle a reçus, y compris la richesse des peuples et des cultures ainsi que les merveilles de la création. Mais, pardessus tout, elle le remercie pour le don incomparable de la foi en Jésus Christ, « Premier-Né de toute créature » (Col 1,15). Au cours du dernier millénaire, l'Église en Océanie a accueilli et conservé précieusement ce don de la foi, le transmettant fidèlement aux nouvelles générations. Pour tout cela, l'Église entière fait monter sa louange vers la Très Sainte Trinité.

Dès les origines, les peuples de l'Océanie ont été sensibles à la présence divine manifestée dans la richesse de la nature et des cultures. Mais ce n'est qu'à l'arrivée des premiers missionnaires étrangers, dans la dernière moitié du deuxième millénaire, que ces populations autochtones entendirent pour la première fois parler de Jésus Christ, le Verbe fait chair. Ceux qui immigraient d'Europe ou d'autres parties du monde apportaient leur foi avec eux. Pour tous, l'Évangile de Jésus Christ, reçu dans la foi et vécu dans la communio de l'Église, réalisait, en les dépassant, les désirs les plus profonds du coeur humain. L'Église en Océanie est forte dans l'espérance, car elle a fait dans le Christ l'expérience de l'infinie bonté de Dieu. De nos jours, le trésor de la foi chrétienne se maintient grâce à un dynamisme renouvelé et prometteur, car l'Esprit de Dieu est toujours nouveau et surprenant. Partout dans le monde, l'Église partage cette espérance des peuples de l'Océanie: l'avenir apportera dans les terres du Grand Océan des dons de la grâce nouveaux et plus merveilleux encore.


2 L'Assemblée spéciale pour l'Océanie du Synode des Évêques, qui s'est tenue du 22 novembre au 12 décembre 1998, a été un moment privilégié où l'Église en Océanie a pu manifester sa gratitude et son espérance. J'avais suggéré l'utilité d'une telle Assemblée dans la lettre apostoliqueTertio millennio adveniente, la proposant comme l'une des Assemblées continentales qui devaient préparer l'Église au nouveau millénaire.(1) Aux Évêques de l'Océanie se sont joints des Évêques d'autres continents ainsi que les Chefs des Dicastères de la Curie romaine. Parmi les participants se trouvaient d'autres membres de l'Église: prêtres, laïcs, personnes consacrées, ainsi que des délégués fraternels d'autres Églises et Communautés ecclésiales. L'Assemblée a fait porter ses analyses et ses discussions sur la situation actuelle de l'Église en Océanie en vue d'envisager l'avenir de manière plus efficace. Elle a aussi concentré l'attention de l'Église universelle sur les espoirs et les défis, les besoins et les possibilités, les tristesses et les joies de cette immense tapisserie humaine qu'est l'Océanie.

La rencontre de tant d'Évêques à Rome, avec le Successeur de Pierre et autour de lui, fut une magnifique occasion de célébrer les dons de la grâce qui ont produit une moisson si abondante parmi les peuples de l'Océanie. La foi en Jésus Christ était le fondement et le coeur de la prière et des discussions des participants. Les Évêques et tous ceux qui étaient avec eux ont été animés par la seule foi au Christ. Et tous ont reçu inspiration et force de la communio ecclésiale qui les unissait et qui, tout au long des journées de l'Assemblée synodale, s'est exprimée, avec puissance et de manière émouvante, comme une véritable unité dans la diversité.

(1) Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n.
TMA 38: AAS 87 (1995), p. 31; La Documentation catholique 91 (1994), pp. 1027-1028.

CHAPITRE I

JÉSUS CHRIST ET LES PEUPLES DE L'OCÉANIE

« Comme Jésus marchait au bord du lac de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans le lac; c'étaient des pêcheurs. Jésus leur dit: "Venez derrière moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes". Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent » (Mt 4,18-20).


La personne de Jésus

L'appel

3 Durant l'Assemblée synodale, l'Église universelle fut à même de voir plus clairement comment le Seigneur Jésus vient à la rencontre des peuples de l'Océanie, sur leurs terres et sur les innombrables îles. Car c'est le Seigneur lui-même qui pose sur eux un regard d'amour qui est à la fois un défi et un appel. Tout comme Simon Pierre et son frère André, ces peuples sont invités à tout quitter, à se tourner vers Lui, le Seigneur de la Vie, et à le suivre. Ils doivent non seulement abandonner les chemins de péché, mais aussi les formes stériles d'une certaine manière de penser et d'agir, afin de se mettre sur la voie d'une foi toujours plus profonde et de suivre le Seigneur avec une fidélité toujours plus grande.

Le Seigneur a appelé à lui l'Église en Océanie: c'est un appel qui, comme toujours, comporte aussi un envoi en mission. Il faut être avec Jésus, pour repartir de Jésus, mais toujours revêtu de sa force et de sa grâce. Le Christ appelle maintenant l'Église à prendre part à sa mission avec une énergie et une créativité renouvelées. C'est ce que le Synode a vu clairement dans la vie de l'Église en Océanie.

Ce fut une joie pour les Évêques de constater que dans la vie de l'Église en Océanie le Seigneur Jésus s'est montré fidèle à sa promesse: « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (
Mt 28,20). L'assurance de sa présence donne la force et le courage dont les disciples ont besoin pour devenir « pêcheurs d'hommes ». Durant l'Assemblée spéciale, la présence du Seigneur a été expérimentée dans la prière, dans le partage des espoirs et des inquiétudes, mais aussi dans les liens de la communio ecclésiale. Croire en la présence de Jésus parmi son peuple en Océanie rendra toujours possibles de nouvelles et merveilleuses rencontres avec lui, et ces nouvelles rencontres deviendront semences pour la nouvelle mission.

Quand nous marchons avec le Seigneur, nous lui laissons tous nos fardeaux et cela nous donne la force d'accomplir la mission qu'il nous confie. Il prend et il donne: il prend notre faiblesse et il donne sa force. Tel est le grand mystère de la vie du disciple et de l'apôtre. Nous avons la certitude que le Christ travaille avec nous et en nous tandis que « nous avançons au large », comme nous devons le faire maintenant. Quand les temps sont difficiles ou peu propices, le Seigneur lui-même nous incite à « jeter nos filets encore une fois » (cf. Lc 5,1-11).(2) Nous ne pouvons pas désobéir.

(2) Cf. Assemblée spéciale pour l'Océanie du Synode des Évêques, Rapport après la discussion,n. 3.


Annoncer Jésus Christ

4 Trouver les moyens adaptés pour annoncer aujourd'hui aux peuples de l'Océanie Jésus Christ comme Seigneur et Sauveur, telle fut la préoccupation centrale de l'Assemblée synodale. Mais quelle voie nouvelle peut-on utiliser pour le présenter afin que de plus en plus de personnes le rencontrent et croient en lui? Les interventions des Pères du Synode ont reflété les défis et les difficultés, mais aussi les possibilités et les espoirs, inhérents à cette question.

Tout au long de l'histoire, grâce aux extraordinaires efforts missionnaires et pastoraux de l'Église, les peuples de l'Océanie ont rencontré Jésus Christ qui les appelle sans cesse à la foi et leur donne une vie nouvelle. À l'époque coloniale, le clergé et les religieux catholiques ont très vite mis en place des institutions visant à soutenir et à fortifier dans la foi les nouveaux arrivants en Australie et en Nouvelle-Zélande. Les missionnaires ont porté l'Évangile aux autochtones de l'Océanie, les invitant à croire au Christ et à trouver dans son Église leur demeure véritable. Ceux-ci ont répondu en grand nombre à cet appel, ils sont devenus disciples du Christ et ont commencé à vivre selon ses commandements. Le Synode n'a eu aucun doute sur le fait que l'Église, la communio des croyants, est maintenant une réalité vivante parmi les nombreux peuples de l'Océanie. Aujourd'hui, Jésus les regarde de nouveau avec affection et les appelle à une foi toujours plus profonde, à une surabondance de vie en lui. Les Évêques ne pouvaient manquer de se demander alors: comment l'Église peut-elle être un instrument efficace de Jésus Christ qui désire maintenant aller à la rencontre des peuples de l'Océanie par des chemins nouveaux?


Jésus Christ: Pasteur, Prophète et Prêtre

5 Dans son amour infini pour le monde, Dieu a donné son Fils unique pour être Dieu-avec-nous. S'abaissant lui-même pour devenir semblable à nous, Jésus est né de la Vierge Marie, dans l'humilité et la pauvreté.(3) Totalement dépouillé et pauvre sur la Croix, Jésus est le Fils bien-aimé de Dieu, le Sauveur du monde, un monde vide et pauvre. Quand le Christ demeurait parmi nous, il proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu qui était arrivé, un Royaume de paix, de justice et de vérité. Des foules l'ont suivi, surtout les petits, les pauvres et les exclus, mais les puissants de ce monde, pour la plupart, se sont retournés contre lui. Ils l'ont condamné et l'ont cloué sur la Croix. Cette mort ignominieuse, acceptée par le Père comme un sacrifice d'amour pour le salut du monde, a ouvert la voie à la Résurrection glorieuse, par la puissance de l'amour du Père. Jésus fut alors établi comme Roi de l'univers, Prophète pour tous les peuples, et Grand Prêtre du sanctuaire éternel. Il est Prophète, Prêtre et Roi non seulement pour ceux qui le suivent mais aussi pour tous les peuples de la terre. Le Père le présente comme le Chemin, la Vérité et la Vie pour tous les hommes et toutes les femmes, pour toutes les familles et toutes les communautés, pour toutes les nations et toutes les générations.

Comme Fils de David, Jésus n'est pas seulement Roi, mais il est aussi le Bon Pasteur de ceux qui écoutent sa voix. Il connaît et aime ceux qui le suivent.(4) Il est le Berger suprême de nos âmes et le Pasteur de tous les peuples. Il guide l'Église par la puissance de son Esprit Saint, qui repose en plénitude sur lui et qu'il souffle sur ses disciples (cf.
Jn 20,22). Des profondeurs les plus intimes, par une force pleine d'amour, l'Esprit di rige les peuples de l'Océanie, touchant leurs coeurs et leurs intelligences, et les rendant libres pour vivre la vie surabondante en vue de laquelle ils ont été créés.

Comme Parole de Dieu, Jésus est le Prophète universel, la pleine révélation de Dieu.(5) Il est la Vérité, qui invite le peuple à croire en lui et à partager sa vie. Son Esprit guide les baptisés sur la route quotidienne vers de nouvelles profondeurs de cette vérité. Animés par l'Esprit Saint, les Pères du Synode ont évoqué bien des préoccupations liées à leur expérience pastorale et à leur amour pour le peuple de Dieu. Toutes les réponses n'ont pas pu être apportées pendant le déroulement du Synode, car de nombreuses questions requièrent davantage de réflexion, d'expérience et de prière. Toutefois, en cherchant la lumière, les Évêques se sont trouvés profondément d'accord dans leur conviction et leur affirmation que la vérité du salut ne peut être trouvée qu'en Jésus Christ, et que son Esprit donne réconfort et conseil à ceux qui viennent vers lui chargés de leurs problèmes et de leurs fardeaux.

Le Seigneur crucifié et ressuscité est le Grand Prêtre qui s'offre lui-même au Père en sacrifice éternel pour la vie du monde. Il a donné sa vie pour tous et il continue à combler ses disciples de sa vie, particulièrement par les sacrements. Dans sa prière, les prières de tous les croyants s'élèvent vers le Père. Par l'Esprit Saint, il rend les croyants capables d'une vie d'union intime avec Dieu, d'une vie de charité plus généreuse envers leurs frères et soeurs, spécialement les pauvres et les indigents. Les discussions synodales ont souligné que, en annonçant Jésus, l'Église doit montrer son amour plein de compassion à un monde en attente de guérison. Tous les baptisés sont appelés à être le peuple sacerdotal de Dieu, à l'image de Jésus, le Grand Prêtre; et en tant que peuple sacerdotal, ils reçoivent la mission de tendre à tous une main miséricordieuse, surtout à ceux qui sont particulièrement dépourvus, ceux qui sont loin, ceux qui sont désorientés. En tendant la main et en offrant la vie au nom de Jésus, l'Église sera pour l'Océanie d'aujourd'hui un sacrement de la justice et de la paix de Dieu.(6)

(3) Cf. ibid., n. 4.
(4) Cf. ibid., nn. 1; 5.
(5) Cf. ibid., n. 19.
(6) Cf. ibid., n. 39.


Les peuples de l'Océanie

Lieu et temps

6 Le Synode a souligné non seulement le caractère singulier de l'espace qui s'étend sur presque un tiers de la surface de la terre, mais aussi le grand nombre de peuples autochtones qui, ayant joyeusement reçu l'Évangile de Jésus Christ, font éclater leur enthousiasme dans leur façon de célébrer le message du salut.(7) Ces peuples constituent une portion unique de l'humanité dans une région unique du monde. Du point de vue géographique, l'Océanie comprend le continent australien, de nombreuses îles, grandes ou petites, et une vaste étendue d'eau. La mer et la terre, l'eau et le sol, s'entremêlent en une infinité de chemins qui souvent émerveillent l'oeil humain par leur beauté. Bien que l'Océanie soit géographiquement très étendue, sa population est par contre assez réduite et elle est distribuée d'une manière irrégulière; elle se compose en réalité d'un grand nombre de peuples autochtones et émigrés. Pour beaucoup d'entre eux, la terre est très importante: son sol fertile ou ses déserts, la variété de ses plantes et de ses animaux, son abondance ou ses carences. D'autres, même s'ils vivent sur la terre ferme, sont plus dépendants des rivières et de la mer. L'eau leur permet de naviguer d'île en île, d'un rivage à l'autre. La grande variété des langues - sept cents pour la seule Papouasie-Nouvelle-Guinée - ainsi que les grandes distances entre les îles et entre les régions font que les communications dans toute cette zone constituent un défi particulier. Dans de nombreuses parties de l'Océanie, les transports sont plus importants par voie maritime ou aérienne que par voie terrestre. Les communications peuvent encore aujourd'hui, comme en des temps plus reculés, s'avérer lentes et difficiles, même si, de nos jours, en bien des régions, l'information circule instantanément grâce aux nouvelles technologies électroniques.(8)

Le pays le plus important de l'Océanie, aussi bien par ses dimensions que par sa population, est l'Australie, où la population aborigène a vécu pendant des milliers d'années en se déplaçant sur de vastes bandes de terre et en vivant en profonde harmonie avec la nature. Découverte et colonisée par les peuples de l'Europe qui l'appelèrent la Terre australe du Saint-Esprit (Terra Australis de Spiritu Sancto), l'Australie est devenue très occidentale par ses modèles culturels et sa structure sociale. Profondément engagée dans le développement scientifique, technologique et social du monde occidental, l'Australie est maintenant une nation fortement urbanisée, moderne et laïque, où les vagues successives d'immigration en provenance d'Europe et d'Asie ont contribué à former une société pluriculturelle. Les Australiens sont donc « un peuple original, fruit de la rencontre d'hommes, de nations, de langues, de cultures si diverses ».(9)

La foi chrétienne a été apportée par les immigrants qui arrivaient d'Europe. De nombreux prêtres et religieux s'étaient joints à eux et, par leur dévouement pastoral et leurs oeuvres d'éducation, ils les aidèrent à vivre leur vie chrétienne sur une terre étrangère et toute nouvelle. Les personnes appelées sur place au sacerdoce et à la vie religieuse, ainsi que de nombreux laïcs, ont apporté une contribution indispensable pour permettre à l'Église en Australie de grandir et d'accomplir sa mission. Parmi tous ces hommes et toutes ces femmes, se trouvait une religieuse exceptionnelle, la bienheureuse Mary MacKillop, qui mourut en 1909 et que j'ai eu la joie de béatifier en 1995. À cette occasion, j'ai rappelé que, « en la déclarant bienheureuse, l'Église dit que la sainteté demandée par l'Évangile est australienne, comme le fut Mary ».(10) Les relations de l'Église avec les peuples aborigènes et avec les habitants des îles du Détroit de Torres restent un défi important et difficile à cause des injustices passées et actuelles, et aussi à cause des différences culturelles. Outre ce défi, l'Église en Australie est maintenant affrontée à bien des « déserts »(11) modernes, semblables à ceux qui touchent d'autres pays occidentaux.

Les premiers habitants de la Nouvelle-Zélande, nation insulaire, furent les Maoris, qui appelaient leur pays Aotearoa, « Terre du Grand Nuage Blanc ». La colonisation, et plus tard l'immigration, ont modelé la nation en une société biculturelle, dans laquelle l'intégration des cultures Maorie et Occidentale demeure un défi urgent. Ce sont d'abord des missionnaires étrangers qui annoncèrent l'Évangile au peuple Maori. Lorsque par la suite des colons européens arrivèrent en plus grand nombre, des prêtres et des religieux vinrent aussi et aidèrent à l'affermissement et à l'extension de l'Église. Le développement moderne a fait de la Nouvelle-Zélande une société toujours plus urbanisée et plus sécularisée, dans laquelle l'Église rencontre des défis semblables à ceux de l'Australie. Et bien qu'il y ait parmi les catholiques une « conscience croissante d'appartenir à l'Église », il est vrai aussi que, en règle générale, « le sens de Dieu et de sa Providence pleine d'amour a perdu de sa force ». Une telle « société sécularisée a besoin d'être confrontée de nouveau à l'ensemble de l'Évangile du salut en Jésus Christ ».(12)

La Papouasie-Nouvelle-Guinée est la plus vaste des nations mélanésiennes. C'est une société essentiellement chrétienne avec de nombreuses langues locales et une grande variété de cultures. Comme d'autres nations plus petites des îles mélanésiennes, elle a obtenu récemment l'indépendance politique, et son histoire a depuis lors été marquée par des efforts pour établir une démocratie stable, et pour promouvoir la justice sociale et le développement intégral et équilibré de son peuple. Ces efforts, en Papouasie-Nouvelle-Guinée comme en d'autres parties de la Mélanésie, ont récemment été marqués par des violences et par l'apparition de mouvements séparatistes, sources de grandes souffrances pour le peuple et pour les institutions. Les responsables de l'Église et nombre de chrétiens ont beaucoup contribué à l'établissement de la paix et à la réconciliation, et cet engagement doit évidemment se poursuivre dans une situation qui demeure très instable.

Les nations insulaires de Polynésie et de Micronésie sont relativement petites, chacune ayant sa langue et sa culture indigènes. Elles ont aussi à faire face aux pressions et aux défis du monde contemporain, qui exerce une influence puissante sur leurs sociétés. Sans perdre leur identité ou abandonner leurs valeurs traditionnelles, elles désirent aussi avoir part au développement résultant de l'accroissement d'échanges directs et complexes avec d'autres peuples et d'autres cultures. Cela s'avère un équilibre difficile dans ces sociétés petites et vulnérables, certaines d'entre elles ayant en outre à affronter un avenir assez incertain, non seulement en raison d'une forte émigration, mais aussi en raison de la montée du niveau des eaux de la mer provoquée par le réchauffement de la planète. Pour ces sociétés, l'évolution climatique est beaucoup plus qu'une question économique.

(7) Cf. Proposition 1.
(8) Cf. ibid.
(9) Paul VI, Homélie à l'Hippodrome de Randwick à l'occasion du 200e anniversaire de l'arrivée de J. Cook en Australie, Sydney (1er décembre 1970), n. 1: AAS 63 (1971), p. 62; La Documentation catholique, 68 (1971), p. 11.
(10) Homélie pour la béatification de Mary MacKillop, Sydney (19 janvier 1995), n. 2: AAS 87 (1995), p. 1003; La Documentation catholique 92 (1995), p. 169.
(11) Ibid., n. 5: l. c., p. 1004; La Documentation catholique, l.c., p. 170.
(12) Jean-Paul II, Discours à l'épiscopat de Nouvelle-Zélande, Wellington (23 novembre 1986), nn. 4-5: AAS 79 (1987), pp. 936-937; L'Osservatore Romano, éd. hebd. en langue française, n. 49 (9 décembre 1986), p. 6.


Mission et culture

7 Dès le début du seizième siècle, quand les missionnaires étrangers atteignirent l'Océanie, les peuples des îles entendirent et accueillirent l'Évangile de Jésus Christ. Parmi ceux qui engagèrent et poursuivirent ce travail missionnaire, il y eut des saints et des martyrs; ils sont non seulement la plus grande gloire des origines de l'Église en Océanie, mais aussi sa source la plus sûre d'espérance pour l'avenir. Les plus remarquables de ces témoins de la foi sont saint Pierre Chanel, martyrisé dans l'île de Futuna en 1841, les bienheureux Diego Luis de San Vitores et Pedro Calungsod, tués ensemble en 1672 à Guam, le bienheureux Giovanni Mazzuconi, martyrisé en 1851 dans l'île Woodlark; le bienheureux Peter To Rot, tué en Nouvelle-Bretagne en 1945, peu avant la fin de la deuxième guerre mondiale. Avec beaucoup d'autres, ces héros de la foi chrétienne ont contribué, chacun à sa manière, à l'implantation de l'Église dans les îles de l'Océanie. Puisse leur mémoire ne jamais être oubliée! Puissent-ils ne jamais cesser d'intercéder pour les peuples bien-aimés pour lesquels ils ont versé leur sang!

Quand les premiers missionnaires apportèrent l'Évangile aux peuples aborigènes et maoris, ou dans les nations insulaires, ils trouvèrent des personnes qui avaient déjà un sens profond et très ancien du sacré. Les rites et les observances religieuses constituaient une part très importante de leur vie quotidienne et imprégnaient profondément leurs cultures. Les missionnaires apportèrent la vérité de l'Évangile, qui n'est étrangère à personne; mais parfois certains cherchèrent à imposer des éléments qui étaient culturellement étrangers à ces peuples. Aujourd'hui un discernement attentif est nécessaire pour comprendre ce qui appartient à l'Évangile et ce qui ne lui appartient pas, ce qui est essentiel et ce qui l'est moins. Une telle tâche, il faut le reconnaître, est rendue plus difficile en raison du processus de colonisation et de modernisation qui a brouillé les repères entre ce qui est autochtone et ce qui fut importé.

Les peuples traditionnels de l'Océanie forment une mosaïque de cultures différentes: aborigène, mélanésienne, polynésienne et micronésienne. Depuis l'époque de la colonisation, la culture occidentale a aussi façonné la région. Ces dernières années, les cultures asiatiques ont également constitué une part de l'arrière-fond culturel, particulièrement en Australie. Chaque groupe culturel, différent en taille et en influence, a ses propres traditions et ses propres expériences d'intégration dans une nouvelle terre. On y rencontre un éventail de sociétés, depuis les sociétés ayant des caractéristiques communes et fortement traditionnelles, jusqu'à celles qui sont essentiellement de facture occidentale et moderne. En Nouvelle-Zélande, et plus encore en Australie, les politiques coloniales et post-coloniales d'immigration ont réduit les peuples autochtones à n'être qu'une minorité sur leur propre terre, une minorité à bien des égards dépossédée de ses racines culturelles.

L'une des caractéristiques les plus marquantes des peuples de l'Océanie est leur grand sens de la communauté et de la solidarité dans la famille et dans la tribu, dans le village ou avec le voisinage. Cela signifie que les décisions sont prises par consensus, lui-même obtenu grâce à un processus de dialogue souvent long et complexe. Touché par la grâce de Dieu, le sens naturel de la communauté a rendu ces peuples réceptifs au mystère de la communio offerte dans le Christ. L'Église en Océanie témoigne d'un réel esprit de coopération, qui s'étend aux diverses communautés chrétiennes et à tous les peuples de bonne volonté. Le profond respect de la tradition et de l'autorité fait aussi partie des cultures traditionnelles de l'Océanie. Cela explique le sens de la solidarité de la génération actuelle avec les générations qui l'ont précédée, et l'exceptionnelle autorité reconnue aux parents et aux chefs traditionnels.

La diversité culturelle de l'Océanie n'est pas à l'abri du processus mondial de modernisation, qui a des effets à la fois positifs et négatifs. L'époque moderne a sans aucun doute mis en relief et a mieux souligné des valeurs humaines positives, telles que le respect des droits inaliénables de la personne, l'introduction de processus démocratiques dans les administrations et dans les gouvernements, le refus d'accepter la pauvreté comme structurelle et inchangeable, le rejet du terrorisme, de la torture et de la violence comme moyens de changement politique, le droit à l'éducation, aux soins médicaux et au logement pour tous. Ces valeurs, souvent enracinées dans le christianisme - même si ce n'est pas de manière explicite -, exercent une influence positive en Océanie; et l'Église désire faire tout ce qui est en son pouvoir pour encourager ce processus.

Mais la modernisation a aussi des effets négatifs dans cette région, qui voit les sociétés traditionnelles se battre pour maintenir leur identité lorsqu'elles entrent en contact avec les sociétés occidentales sécularisées et urbanisées, et qu'elles subissent l'influence culturelle grandissante des immigrés asiatiques. Les Évêques ont notamment évoqué un affaiblissement progressif du sens religieux naturel qui a désorienté la vie morale et la conscience de ces peuples. Une grande partie de l'Océanie, en particulier l'Australie et la Nouvelle-Zélande, est entrée dans une ère marquée par une sécularisation croissante. La religion, spécialement le christianisme, est reléguée à la périphérie de la vie sociale et tend à être considérée comme une affaire strictement privée relevant de chaque personne, avec peu d'impact dans la vie publique. Les convictions religieuses et les éléments de la foi se voient parfois dénier leur rôle propre dans la formation de la conscience des peuples. De même, l'Église et les autres communautés religieuses ont de moins en moins voix au chapitre dans les affaires publiques. Dans le monde d'aujourd'hui, les technologies les plus avancées, une meilleure connaissance de la nature humaine et de ses comportements, les développements économiques et politiques mondiaux, posent de nouvelles et difficiles questions aux peuples de l'Océanie. En présentant Jésus comme le Chemin, la Vérité et la Vie, l'Église doit répondre à ces questions morales et sociales en proposant des chemins nouveaux et concrets, tout en veillant à ce que sa voix ne soit pas étouffée, à ce que son témoignage ne soit pas marginalisé.


L'Assemblée spéciale du Synode

Le thème

8 Comme l'avait suggéré le Conseil préparatoire du Synode, qui a tenu à prendre en compte les préoccupations des Évêques de l'Océanie, le thème choisi pour cette Assemblée spéciale pour l'Océanie est: Jésus Christ et les peuples de l'Océanie: suivre son Chemin, proclamer sa Vérité, vivre sa Vie. Inspiré par les mots de l'Évangile de Jean par lesquels Jésus se désigne lui-même comme le Chemin, la Vérité et la Vie (14, 6), ce thème réitère l'invitation qu'il adresse à tous les peuples de l'Océanie: ceux-ci sont invités à le rencontrer, à croire en lui, à le confesser comme le Seigneur de toute chose. Cela rappelle aussi à l'Église en Océanie qu'elle se rassemble comme peuple de Dieu accomplissant son pèlerinage vers le Père. Par l'Esprit Saint, le Père appelle les croyants - personnellement et en communauté -, à suivre le chemin sur lequel Jésus a marché, à annoncer aux nations la vérité que Jésus a révélée, à vivre pleinement la vie que Jésus a vécue et continue de partager maintenant avec nous.

Ce thème est particulièrement approprié pour l'Église en Océanie aujourd'hui, pour les peuples du Pacifique qui luttent pour leur unité et pour leur identité: un grand souci de paix, de justice et de respect de la création les habite; et nombreux sont les peuples qui sont à la recherche du sens de leur vie. C'est seulement en acceptant que Jésus Christ est le Chemin que les peuples de l'Océanie découvriront ce qu'ils cherchent présentement, ce pour quoi ils luttent. Le chemin du Christ ne peut être parcouru sans un sens ardent de la mission; et le coeur de la mission de l'Église est de proclamer Jésus Christ comme la Vérité vivante, une vérité révélée, une vérité expliquée, comprise et accueillie dans la foi, une vérité transmise aux nouvelles générations. La vérité de Jésus est toujours plus grande que nous-mêmes, plus grande que notre coeur, car elle jaillit des profondeurs de la Sainte Trinité; et c'est une vérité qui demande que l'Église réponde aux problèmes et aux défis actuels. À la lumière de l'Évangile, nous découvrons que Jésus est la Vie. La vie du Christ est offerte aussi comme une grâce de guérison qui permet à l'humanité d'être ce que le Créateur a voulu qu'elle soit. Vivre de la vie de Jésus Christ implique un profond respect pour toute vie. Cela implique aussi une spiritualité vivante et une authentique vie morale, soutenues par la Parole de Dieu contenue dans l'Écriture et célébrée dans les sacrements de l'Église. Quand les chrétiens vivent la vie du Christ avec une foi toujours plus profonde, leur espérance ne cesse de s'affermir et leur charité devient plus rayonnante. Tel était le but de ce synode, et tel est le but de la nouvelle évangélisation à laquelle l'Esprit convoque l'Église tout entière.

L'expérience

9 Il convenait que l'Assemblée synodale commence le jour de la solennité du Christ Roi, lorsque l'Église célèbre Jésus comme le Seigneur, en qui le Royaume de Dieu est établi dans le monde et dans l'histoire. Au cours du déroulement de l'assemblée, il devint de plus en plus clair que le Christ lui-même montrait le chemin, que c'était lui qui régnait au sein de l'Assemblée. Les liturgies d'ouverture et de clôture ont intégré des signes et des symboles des cultures propres aux îles du Pacifique, expressions de foi et de profond respect. En un mélange harmonieux, ces cérémonies ont exprimé l'unité de la foi dans la diversité de la liturgie catholique, et elles ont montré d'une manière saisissante que la foi catholique atteint les rivages les plus lointains du Grand Océan et permet à chacun de trouver son « chez soi » dans l'Église catholique. Tel un symbolique « échange de dons », les liturgies ont manifesté la profonde communio entre l'Église de Rome et les Églises locales de l'Océanie. Les Évêques ont apporté au Vatican la riche variété de leurs expériences et de leurs trésors culturels, et leurs liens de communio locale et universelle s'en sont trouvés raffermis; ce fut pour eux un grand réconfort et un encouragement pour l'avenir.

Vu les caractéristiques originales de l'Église en Océanie, il était important de convoquer une assemblée synodale distincte. Les Évêques de l'Océanie sont organisés en quatre Conférences, réunies en une Fédération des Conférences des Évêques catholiques de l'Océanie (F.C.B.C.O.). Le nombre des Évêques étant relativement faible, cela permit au Synode de rassembler tous les Évêques en activité, qui représentaient donc toutes les Églises particulières. Pour de nombreux participants, ce fut une véritable découverte des richesses spirituelles, des cultures et des histoires des peuples de l'Océanie. Ils prirent davantage conscience des grâces souvent cachées ou non reconnues que le Seigneur a répandues sur son Église, et ce fut aussi une source de grand encouragement. Le dialogue et le discernement qui eurent lieu au Synode ouvrirent les yeux du coeur et de l'âme pour découvrir ce qui doit être fait pour vivre la foi chrétienne plus pleinement et plus activement. Il y eut de nombreuses raisons de prier et de remercier Dieu pour les trésors découverts et de nouveau appréciés.

L'Assemblée fut pour les Évêques une expérience de fraternité et de communio autour du Siège de Pierre. Se déroulant au Vatican, elle permit à tous les participants de se sentir « chez eux » avec l'Évêque de Rome. Cela permit aussi à l'Évêque de Rome de se sentir « chez lui » avec eux et d'entendre de leur bouche combien ils ont apprécié cette expérience unique de l'universalité de l'Église. Le sens de l'unité et de la fidélité permit de surmonter les distances importantes, qu'elles soient d'ordre géographique ou culturel, entre Rome et l'Océanie. Cette expérience fut l'un des nombreux dons que le Christ, dans sa bonté, prodigua durant le Synode.

Entre eux également, les Évêques firent l'expérience d'un sens nouveau et plus fort de leur identité et de la communio. De grandes distances les séparent souvent les uns des autres, et il ne leur est pas facile de maintenir des communications régulières. Pour l'Église dans son ensemble, la diversité des cultures en Océanie constitue un défi permanent: travailler à une plus grande unité. Les Évêques veulent renforcer leur communio et aider les peuples de l'Océanie à travailler ensemble de manière plus efficace. Les Églises locales dans cette région du monde sont un élément particulier de l'Église universelle. Comme telles, elles réalisent qu'elles peuvent et qu'elles doivent mettre leurs dons particuliers au service de toute l'Église. Je prie pour que, grâce au Synode, les Évêques de l'Océanie se sentent de plus en plus proches les uns des autres et qu'ils réalisent plus que jamais que, avec leurs Églises particulières, ils appartiennent pleinement à l'Église universelle, à laquelle ils apportent un enrichissement spécial.(13)

Il était significatif que cette Assemblée synodale se déroule dans la période de préparation immédiate du grand Jubilé de l'An 2000. La bulle d'indiction du Jubilé, Incarnationis mysterium,fut promulguée au cours du Synode,(14) et l'Assemblée elle-même a représenté une occasion pour l'Église en Océanie de se préparer à accueillir le don de l'Année sainte. Il est certain que l'Assemblée a aidé les Églises du Pacifique à célébrer le Jubilé en s'engageant plus résolument pour la réconciliation et la paix; elle avait plus que jamais conscience que « l'Église, ayant reçu du Christ le pouvoir de pardonner en son nom, est dans le monde la présence vivante de l'amour de Dieu qui se penche sur toute faiblesse humaine pour l'accueillir dans l'étreinte de sa miséricorde ».(15) Ce serait un merveilleux fruit du Jubilé si l'Église en Océanie, affermie de tant de manières par l'expérience du Synode, pouvait continuer à mettre en oeuvre les perspectives et les appels du Jubilé, dans la ligne suggérée par la lettre apostolique Novo millennio ineunte. De même que le Jubilé a proclamé les profondeurs insondables de la miséricorde de Dieu révélée dans le Christ, de même il a suscité de nouvelles énergies pour affronter les défis que le Synode a fait apparaître et qui ont été l'objet de discussions.(16) « Dans l'amour qui pardonne, le Père anticipe les cieux nouveaux et la terre nouvelle »:(17) puisse cette vision des cieux nouveaux et d'une terre nouvelle ne jamais cesser de conduire plus profondément les peuples de l'Océanie dans cette nouveauté de la vie!

(13) Cf. Assemblée spéciale pour l'Océanie du Synode des Évêques, Rapport après la discussion, n. 2.
(14) 29 novembre 1998.
(15) Jean-Paul II, Bulle d'indiction du grand Jubilé de l'an 2000 Incarnationis mysterium (29 novembre 1998), n. 9: AAS 91 (1999), p. 137; La Documentation catholique 95 (1998), p. 1054.
(16) Cf. Proposition 15.
(17) Jean-Paul II, Bulle d'indiction du grand Jubilé de l'an 2000 Incarnationis mysterium (29 novembre 1998), n. 11: AAS 91 (1999), p. 141; La Documentation catholique 95 (1998), p. 1056.


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