Ecclesia in Europa FR 57


III. Évangéliser la vie sociale

Évangélisation de la culture et inculturation de l'Évangile

58 L'annonce de Jésus Christ doit rejoindre aussi la culture européenne contemporaine.L'évangélisation de la culture doit montrer qu'aujourd'hui encore, dans cette Europe, il est possible de vivre en plénitude l'Évangile comme chemin qui donne sens à l'existence. Dans cette perspective, la pastorale doit assumer la tâche de façonner une mentalité chrétienne dans la vie ordinaire: en famille, à l'école, dans les communications sociales, dans le monde de la culture, du travail et de l'économie, dans la politique, dans les loisirs, dans le temps de la santé et celui de la maladie. Il faut se confronter de manière critique et sereine à l'actuelle situation culturelle de l'Europe, évaluant les tendances qui se manifestent, les faits et les situations d'importance de notre temps à la lumière du caractère central du Christ et de l'anthropologie chrétienne.

Aujourd'hui encore, en se souvenant de la fécondité culturelle du christianisme tout au long de l'histoire de l'Europe, il faut présenter l'approche évangélique, théorique et pratique, de la réalité et de l'homme. Considérant, en outre, la grande importance des sciences et des réalisations technologiques dans la culture et dans la société de l'Europe, l'Église est appelée, à travers ses moyens d'approfondissement théorique et d'initiative pratique, à offrir des propositions en regard des connaissances scientifiques et de leurs applications, montrant les insuffisances et le caractère inadéquat d'une conception inspirée du scientisme qui ne reconnaît comme valeur objective que le savoir expérimental, et indiquant les critères éthiques que l'homme possède parce qu'ils sont inscrits dans sa nature.108

108 Cf. Proposition 23.

59 Sur le chemin de l'évangélisation de la culture prend place l'important service accompli par lesécoles catholiques. Il faudra travailler à faire reconnaître une effective liberté d'éducation et la parité juridique entre les écoles publiques et les écoles privées. Ces dernières sont parfois l'unique moyen de proposer la tradition chrétienne à ceux qui en sont loin. J'exhorte les fidèles engagés dans le monde de l'éducation à persévérer dans leur mission, en portant la lumière du Christ Sauveur dans leurs propres activités éducatives, scientifiques et académiques.109 En particulier, il faut donner toute son importance à la contribution des chrétiens engagés dans la recherche et dans l'enseignement au sein des universités: par le « service de la pensée », ils transmettent aux jeunes générations les valeurs d'un patrimoine culturel enrichi par deux millénaires d'expérience humaniste et chrétienne. Convaincu de l'importance des institutions académiques, je demande aussi que soit promue dans les différentes Églises particulières une pastorale universitaire adaptée, favorisant ainsi ce qui correspond aux nécessités culturelles actuelles.110

109 Cf. Propositions 25; 26, 2.
110 Cf. Proposition 26, 3.

60 On ne peut oublier l'apport positif de la mise en valeur des biens culturels de l'Église. Ils peuvent en effet représenter un facteur particulier pour susciter à nouveau un humanisme d'inspiration chrétienne. Grâce à une conservation appropriée et à une utilisation intelligente des biens culturels, ceux-ci, en tant que témoignage vivant de la foi professée au long des siècles, peuvent constituer un instrument valable pour la nouvelle évangélisation et pour la catéchèse, et inviter à redécouvrir le sens du mystère.

En même temps, il faut promouvoir de nouvelles expressions artistiques de la foi, au moyen d'un dialogue constant avec les spécialistes de l'art.111 L'Église a en effet besoin de l'art, de la littérature, de la musique, de la peinture, de la sculpture et de l'architecture, parce qu'elle doit « rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l'esprit, de l'invisible, de Dieu » 112 et que la beauté artistique, comme reflet de l'Esprit de Dieu, est une marque du mystère, une invitation à rechercher le visage de Dieu, qui s'est rendu visible en Jésus de Nazareth.

111 Cf. Proposition 27.
112 Jean-Paul II, Lettre aux artistes (4 avril 1999), n. 12: AAS 91(1999), p. 1168; La Documentation catholique 96 (1999), p. 12.


L'éducation des jeunes à la foi

61 Par ailleurs, j'encourage l'Église en Europe à porter une attention croissante à l'éducation des jeunes à la foi. Fixant notre regard vers l'avenir, nous ne pouvons pas ne pas tourner nos pensées vers eux: nous devons nous faire proches de l'esprit, du coeur, du caractère des jeunes, pour leur offrir une solide formation humaine et chrétienne.

Chaque fois que se rassemblent de nombreux jeunes, il n'est pas difficile de distinguer chez eux la présence d'attitudes diversifiées. On constate leur désir de vivre ensemble pour sortir de l'isolement, leur soif plus ou moins consciente d'absolu; on découvre chez eux une foi cachée qui demande à être purifiée et qui veut suivre le Seigneur; on perçoit la décision de poursuivre le chemin déjà entrepris et l'exigence de partager la foi.

62 À cette fin, il convient de renouveler la pastorale des jeunes, organisée par tranches d'âge et attentive aux diverses conditions des enfants, des adolescents et des jeunes. Il sera en outre nécessaire de lui conférer une plus grande structure organique et une plus grande cohérence, avec une écoute patiente des demandes des jeunes, pour les rendre acteurs de l'évangélisation et de la construction de la société.

Dans cet esprit, il est important de promouvoir des occasions de rencontres entre jeunes, de manière à favoriser un climat d'écoute mutuelle et de prière. Il ne faut pas avoir peur d'être exigeant avec eux en ce qui concerne leur croissance spirituelle. On leur montrera la route de la sainteté, les invitant à faire des choix fermes à la suite du Christ, ce à quoi ils seront encouragés par une vie sacramentelle intense. Ils pourront ainsi résister aux séductions d'une culture qui souvent ne leur propose que des valeurs éphémères ou même contraires à l'Évangile, et devenir eux-mêmes capables de faire preuve d'une mentalité chrétienne dans tous les domaines de leur existence, y compris les divertissements et les loisirs.113

J'ai encore vivement présent devant les yeux les joyeux visages de tant de jeunes, véritable espérance de l'Église et du monde, signe éloquent de l'Esprit qui ne se lasse pas de susciter des énergies nouvelles. Je les ai rencontrés aussi bien au cours de mes voyages dans les différents pays que lors des inoubliables Journées mondiales de la Jeunesse.114

113 Cf. Proposition 7b-c.
114 Cf. Jean-Paul II, Discours durant la veillée de prière à Tor Vergata lors des XV es Journées mondiales de la Jeunesse (19 août 2000), n. 6: Insegnamenti XXIII/2, p. 212 ; La Documentation catholique 97 (2000), pp. 776-778.


L'attention aux médias

63 Étant donné l'importance des moyens de communication sociale, l'Église en Europe ne peut pas ne pas réserver une attention particulière au monde multiforme des médias. Cela implique entre autres la formation appropriée des chrétiens qui oeuvrent dans les médias et des usagers des médias, en vue d'une bonne maîtrise des nouveaux langages. Un soin spécial sera apporté au choix de personnes préparées pour la communication du message à travers les médias. Il sera très utile aussi de procéder à un échange d'informations et de stratégies entre les Églises sur les divers aspects et les initiatives concernant une telle communication. Il ne faudra pas non plus négliger la création de moyens locaux de communication sociale, y compris au niveau paroissial.

En même temps, il s'agit d'assurer une présence dans les processus de la communication sociale, pour la rendre plus respectueuse de la vérité de l'information et de la dignité de la personne humaine. À ce propos, j'invite les catholiques à participer à l'élaboration d'un code de déontologie pour ceux qui travaillent dans les milieux de la communication sociale, en se laissant éclairer par les critères que les organismes compétents du Saint-Siège 115 ont récemment indiqués et que les Évêques réunis en Synode avaient énumérés ainsi: « Respect de la dignité de la personne humaine, de ses droits, y compris le droit à la vie privée; service de la vérité, de la justice et des valeurs humaines, culturelles et spirituelles; estime des différentes cultures pour éviter qu'elles ne se fondent dans la masse; protection des minorités et des plus faibles; recherche du bien commun, au-delà des intérêts particuliers et de la prédominance des critères purement économiques ».116

115 Cf. Conseil pontifical pour les Communications sociales, Éthique dans les communications sociales, Cité du Vatican, 4 juin 2000: La Documentation catholique 97 (2000), pp. 623-633.
116 Proposition 13.


La mission ad gentes

64 Une annonce de Jésus Christ et de son Évangile qui se limiterait au seul contexte européen serait le signe d'un manque préoccupant d'espérance. L'oeuvre d'évangélisation est animée par une véritable espérance chrétienne quand elle s'ouvre aux horizons universels, qui incitent à offrir gratuitement à tous ce qu'on a soi-même reçu en don. La mission ad gentes devient ainsiexpression d'une Église modelée par l'Évangile de l'espérance, qui continuellement se renouvelle et se rajeunit. Telle a été au long des siècles la conscience de l'Église en Europe: d'innombrables générations de missionnaires, hommes et femmes, allant à la rencontre d'autres peuples et d'autres civilisations, ont annoncé l'Évangile de Jésus Christ aux populations du monde entier.

La même ardeur missionnaire doit animer l'Église dans l'Europe d'aujourd'hui. La diminution du nombre de prêtres et de personnes consacrées dans certains pays ne doit empêcher aucune Église particulière de faire siennes les exigences de l'Église universelle. Chacune saura favoriser la préparation à la mission ad gentes, de manière à répondre généreusement à l'appel qui provient encore de beaucoup de nations et de peuples désireux de connaître l'Évangile. Les Églises d'autres continents, particulièrement de l'Asie et de l'Afrique, se tournent encore vers les Églises d'Europe et attendent qu'elles continuent à répondre à leur vocation missionnaire. Les chrétiens en Europe ne peuvent être infidèles à leur histoire.117

117 Cf. Proposition 12.


L'Évangile: un livre pour l'Europe d'aujourd'hui et de toujours

65 En franchissant la Porte sainte, au début du grand Jubilé de l'An 2000, j'ai présenté à l'Église et au monde le livre de l'Évangile. Ce geste, accompli par chaque évêque dans les diverses cathédrales du monde, indique l'engagement qui attend aujourd'hui et toujours l'Église dans notre continent.

Église en Europe, entre dans le nouveau millénaire avec le Livre de l'Évangile ! Que soit entendue par chaque fidèle l'exhortation conciliaire « à acquérir, par une fréquente lecture des divines Écritures, “la science éminente de Jésus Christ” (
Ph 3,8). “L'ignorance des Écritures est, en effet, l'ignorance du Christ” ».118 Que la sainte Bible continue d'être un trésor pour l'Église et pour tout chrétien: nous trouverons dans l'étude attentive de la Parole la nourriture et la force pour accomplir chaque jour notre mission.

Prenons ce Livre dans nos mains! Recevons-le de la part du Seigneur qui nous l'offre continuellement à travers son Église (cf. Ap 10,8). Mangeons- le (cf. Ap 10,9), pour qu'il devienne la vie de notre vie. Goûtons-le à fond: il nous réservera des difficultés, mais il nous donnera aussi la joie car il est doux comme le miel (cf. Ap 10,9-10). Nous serons comblés d'espérance et capables de communiquer cette espérance à tout homme et à toute femme que nous rencontrons sur notre route.

118 Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. DV 25.


CHAPITRE IV

CÉLÉBRER L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE


« À Celui qui siège sur le trône, et à l'Agneau,

bénédiction, honneur, gloire et domination,

dans les siècles des siècles! » (Ap 5,13)



Une communauté priante

66 L'Évangile de l'espérance, annonce de la vérité qui libère (cf Jn 8,32), doit être célébré. Devant l'Agneau de l'Apocalypse commence une liturgie solennelle de louange et d'adoration: « À Celui qui siège sur le trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination, dans les siècles des siècles! » (Ap 5,13). La même vision, qui révèle Dieu et le sens de l'histoire, se produit « le jour du Seigneur » (Ap 1,10), le jour de la résurrection revécu par l'assemblée dominicale.

L'Église qui accueille cette révélation est une communauté qui prie. En priant, elle écoute son Seigneur et ce que l'Esprit lui dit: elle adore, elle loue, elle rend grâce, et enfin elle invoque la venue du Seigneur, « Viens, Seigneur Jésus! » (cf. Ap 22,16-20), affirmant ainsi qu'elle attend le salut de Lui seul.

À toi aussi, Église de Dieu qui vis en Europe, il est demandé d'être une communauté qui prie, célébrant ton Seigneur par les Sacrements, par la liturgie et par toute ta vie. Dans la prière, tu redécouvriras la présence vivifiante du Seigneur. Ainsi, enracinant en lui chacune de tes actions, tu pourras proposer de nouveau aux Européens la rencontre avec lui-même, véritable espérance qui seule peut satisfaire pleinement le désir ardent de Dieu, lui qui est caché sous les diverses formes de recherche religieuse qui se font jour dans l'Europe contemporaine.


I. Redécouvrir la liturgie

Le sens religieux dans l'Europe d'aujourd'hui

67 Malgré les vastes zones de déchristianisation dans le continent européen, un certain nombre de signes permettent d'esquisser le visage d'une Église qui, en croyant, annonce, célèbre et sert son Seigneur. En effet, il ne manque pas d'exemples de chrétiens authentiques qui vivent des moments de silence contemplatif, qui participent fidèlement aux propositions spirituelles qui leurs sont faites, qui vivent l'Évangile dans leur existence quotidienne et qui en témoignent dans les divers milieux où ils sont engagés. On peut aussi discerner des manifestations d'une « sainteté populaire », qui attestent que même dans l'Europe actuelle il n'est pas impossible de vivre l'Évangile, aussi bien à un niveau personnel que dans une authentique expérience communautaire.

68 Parallèlement à de nombreux exemples de foi authentique, il existe aussi en Europe une religiosité vague et parfois déviante. Ses indices revêtent souvent un caractère général et superficiel, quand ils ne sont pas carrément en contradiction les uns avec les autres chez les personnes mêmes dont ils proviennent. Ce sont des phénomènes manifestes de fuite dans le spiritualisme, de syncrétisme religieux et ésotérique, de recherche à tout prix de « l'extraordinaire », qui peuvent conduire à des choix déviants, telle la participation à des sectes dangereuses ou à des expériences pseudo-religieuses.

Le désir diffus d'une nourriture spirituelle doit être accueilli avec compréhension et purifié. À l'homme qui, même confusément, prend conscience qu'il ne peut vivre seulement de pain, il est nécessaire que l'Église puisse témoigner de manière convaincante de la réponse que Jésus fit au tentateur: « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (
Mt 4,4).


Une Église qui célèbre

69 Dans le contexte de la société actuelle, souvent fermée à la transcendance, étouffée par des comportements consuméristes, propice aux formes anciennes et nouvelles d'idolâtrie, et en même temps assoiffée de quelque chose qui aille au-delà de l'immédiat, la mission qui attend l'Église en Europe est tout à la fois exigeante et exaltante. Elle consiste à redécouvrir le sens du « mystère »; à renouveler les célébrations liturgiques afin qu'elles soient des signes toujours plus éloquents de la présence du Christ Seigneur; à assurer de nouveaux espaces au silence, à la prière et à la contemplation; à revenir aux Sacrements, surtout l'Eucharistie et la Pénitence, car ils sont source de liberté et de nouvelle espérance.

C'est pourquoi, à toi, Église qui vis en Europe, j'adresse un appel pressant: Sois une Église qui prie, qui loue Dieu, qui en reconnaît la primauté absolue et qui l'exalte avec une foi joyeuse.Redécouvre le sens du mystère: vis-le avec une humble gratitude; témoignes-en avec une joie convaincue et contagieuse. Célèbre le Salut du Christ: accueille- le comme un don qui fait de toi son sacrement; fais de ta vie le vrai culte spirituel qui plaît à Dieu (cf.
Rm 12,1).


Le sens du mystère

70 Certains symptômes révèlent un affaiblissement du sens du mystère dans les célébrations liturgiques elles-mêmes, qui devraient au con- traire y introduire. Il est donc urgent que dans l'Église soit ravivé le sens authentique de la liturgie. Celle-ci, comme l'ont rappelé les Pères synodaux,119 est un instrument de sanctification; elle est une célébration de la foi de l'Église; elle est un moyen de transmission de la foi. Avec l'Écriture sainte et les enseignements des Pères de l'Église, elle est source vivante d'une authentique et solide spiritualité. Comme le souligne bien aussi la tradition des vénérables Églises d'Orient, par la liturgie, les fidèles entrent en communion avec la Sainte Trinité, faisant l'expérience de leur participation à la nature divine, en tant que don de la grâce. La liturgie devient ainsi anticipation de la béatitude finale et participation à la gloire céleste.

119 Cf. Proposition 14.

71 Dans les célébrations, il faut redonner à Jésus la place centrale, afin de nous laisser éclairer et guider par lui. Nous pouvons trouver là l'une des réponses les plus claires que nos communautés sont appelées à donner à une religiosité vague et inconsistante. La liturgie de l'Église n'a pas pour but d'apaiser les désirs et les peurs de l'homme, mais d'écouter et d'accueillir Jésus le Vivant, qui honore et loue son Père, afin que nous puissions le louer et l'honorer avec lui. Les célébrations ecclésiales proclament que notre espérance nous vient de Dieu, par Jésus notre Seigneur.

Il s'agit de vivre la liturgie comme oeuvre de la Trinité. C'est le Père qui agit pour nous dans les mystères célébrés; c'est lui qui nous parle, qui nous pardonne, qui nous écoute et qui nous donne son Esprit; c'est vers lui que nous nous tournons, lui que nous écoutons, que nous louons et que nous invoquons. C'est Jésus qui agit pour notre sanctification, nous rendant participants de son mystère. C'est l'Esprit Saint qui opère avec sa grâce et fait de nous le Corps du Christ, l'Église.

La liturgie doit être vécue comme annonce et anticipation de la gloire future, terme ultime de notre espérance. Comme l'enseigne en effet le Concile:

« Dans la liturgie terrestre nous participons, en y goûtant par avance, à cette liturgie céleste qui est célébrée dans la sainte cité de Jérusalem vers laquelle nous tendons dans notre pèlerinage [...], jusqu'à ce que [le Christ], qui est notre vie, se manifeste et que nous soyons manifestés nous-mêmes avec lui dans la gloire ».120

120 Const. Sacrosanctum Concilium, n.
SC 8.

Formation liturgique

72 Si, après le Concile oecuménique Vatican II, une partie du chemin a été accomplie pour vivre le sens authentique de la liturgie, il reste encore beaucoup à faire. Il faut un renouveau régulier et une formation constante de tous, ministres ordonnés, personnes consacrées et laïcs.

Le véritable renouveau, loin de provenir d'actes arbitraires, consiste à développer toujours mieux la conscience du sens du mystère, de façon à faire des liturgies des moments de communion avec le grand et saint mystère de la Trinité. En célébrant les actions sacrées comme relation à Dieu et accueil de ses dons, expressions d'une authentique vie spirituelle, l'Église en Europe pourra vraiment nourrir son espérance et l'offrir à ceux qui l'ont perdue.

73 À cette fin, un grand effort de formation est nécessaire. Destinée à favoriser la compréhension du sens véritable des célébrations de l'Église, elle requiert, en plus d'une formation appropriée sur les rites, une spiritualité authentique et une éducation qui permette de la vivre en plénitude.121 On doit donc promouvoir plus intensément une véritable « mystagogie liturgique », avec laparticipation active de tous les fidèles, chacun selon ses attributions, aux actions sacrées, en particulier à l'Eucharistie.

121 Cf. Proposition 14; Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe,Rapport avant la discussion, III, 2: L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 9; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 945-946.


II. Célébrer les Sacrements

74 Une place toute particulière doit être réservée à la célébration des Sacrements, en tant qu'actions du Christ et de l'Église ordonnées au culte à rendre à Dieu, à la sanctification des hommes et à l'édification de la communauté ecclésiale. Conscients qu'en eux c'est le Christ lui-même qui agit par l'action du Saint-Esprit, nous devons célébrer les sacrements avec le plus grand soin, en en créant les conditions favorables. Les Églises particulières du continent auront à coeur d'intensifier leur pastorale sacramentelle pour en faire reconnaître la profonde vérité. Les Pères synodaux ont mis en lumière cette exigence pour répondre à deux dangers: d'une part, certains milieux ecclésiaux semblent avoir perdu le sens authentique du sacrement et risqueraient donc de banaliser les mystères célébrés; d'autre part, de nombreux baptisés, attachés aux usages et aux traditions, continuent à recourir aux sacrements aux moments significatifs de leur existence, sans pour autant vivre conformément aux indications de l'Église.122

122 Cf. Proposition 15, 2a.


L'Eucharistie

75 L'Eucharistie, don suprême du Christ à l'Église, rend mystérieusement présent le sacrifice du Christ pour notre salut: « La très sainte Eucharistie contient en effet l'ensemble des biens spirituels de l'Église, à savoir le Christ lui-même, notre Pâque ».123 C'est en elle, « source et sommet de toute la vie chrétienne »,124 que l'Église puise au long de son pèlerinage, y trouvant la source de toute espérance. En effet, l'Eucharistie « donne une impulsion à notre marche dans l'histoire, faisant naître un germe de vive espérance dans le dévouement quotidien de chacun à ses propres tâches ».125

Nous sommes tous invités à confesser la foi dans l'Eucharistie, « gage de la gloire future », dans la certitude que la communion avec le Christ, que nous vivons actuellement comme pèlerins dans notre existence mortelle, anticipe la rencontre suprême le jour où « nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est » (
1Jn 3,2). L'Eucharistie est un « avant-goût de l'éternité dans le temps »; elle est présence divine et communion à cette présence; mémorial de la Pâque du Christ, elle est par nature dispensatrice de la grâce dans l'histoire humaine. Elle ouvre à l'avenir de Dieu; étant communion avec le Christ, en son corps et son sang, elle est participation à la vie éternelle de Dieu.126

123 Conc. oecum. Vat. II, Décr. sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum Ordinis, n. PO 5.
124 Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 11.
125 Jean-Paul II, Encycl. Ecclesia de Eucharistia (17 avril 2003), n. EE 20: L'Oss. Rom., 18 avril 2003, p. 3; La Documentation catholique 100 (2003), p. 374.
126 Cf. Jean-Paul II, Discours à l'audience générale (25 octobre 2002), n. 2: Insegnamenti XXIII/2 (2000), p. 697.


La Réconciliation

76 Avec l'Eucharistie, le sacrement de la Réconciliation doit aussi jouer un rôle fondamental pour retrouver l'espérance: « L'expérience personnelle du pardon de Dieu pour chacun de nous est en effet le fondement essentiel de toute espérance pour notre avenir ».127 L'une des racines de la résignation qui assaille tant de personnes aujourd'hui doit être cherchée dans l'incapacité de se reconnaître pécheur et de se laisser pardonner, incapacité souvent due à la solitude de ceux qui, vivant comme si Dieu n'existait pas, n'ont personne à qui demander pardon. En revanche, celui qui se reconnaît pécheur et qui se confie à la miséricorde du Père céleste fait l'expérience de la joie d'une vraie libération et il peut avancer dans l'existence sans se replier sur sa propre misère.128 Il reçoit ainsi la grâce d'un nouveau départ et il retrouve des raisons d'espérer.

C'est pourquoi il est nécessaire que dans l'Église en Europe le sacrement de la Réconciliation soit ravivé. Il faut cependant redire que la forme du sacrement est la confession personnelle des péchés, suivie de l'absolution individuelle. Cette rencontre entre le pénitent et le prêtre doit être favorisée, quelles que soient les formes prévues du rite du Sacrement. Face à la perte largement répandue du sens du péché et à l'affirmation d'une mentalité marquée par le relativisme et le subjectivisme dans le domaine moral, il est nécessaire que, dans toute communauté ecclésiale, on pourvoie à une sérieuse formation des consciences.129 Les Pères du Synode ont insisté pour que l'on reconnaisse clairement la vérité du péché personnel et la nécessité du pardon personnel de Dieu à travers le ministère du prêtre.

Les absolutions collectives ne sont pas une modalité laissée à la libre appréciation dans l'administration du sacrement de la Réconciliation.130

127 Cf. Proposition 16.
128 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, III, 2: L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 9; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 945-946.
129 Cf. Proposition 16.
130 Cf. Jean-Paul II, Motu proprio Misericordia Dei (7 avril 2002), n. 4: AAS 94 (2002), pp. 456-457; La Documentation catholique 99 (2002), pp. 453-454.

77 Je m'adresse aux prêtres, les exhortant à être généreusement disponibles pour écouter les confessions et à être eux-mêmes des exemples en s'approchant avec régularité du sacrement de la Pénitence. Je les invite à mettre soigneusement à jour leurs connaissances dans le domaine de la théologie morale, de manière à pouvoir affronter avec compétence les problèmes apparus récemment dans le domaine de la morale personnelle et sociale. Puissent-ils porter aussi une particulière attention aux conditions concrètes de vie dans lesquelles se trouvent les fidèles et savoir les conduire patiemment à reconnaître les exigences de la loi morale chrétienne, les aidant à vivre le sacrement comme une joyeuse rencontre avec la miséricorde du Père céleste! 131

131 Cf. Proposition 16; Jean-Paul II, Lettre aux prêtres pour le Jeudi saint 2002 (17 mars 2002), n. 4: AAS 94 (2002), pp. 435-436; La Documentation catholique 99 (2002), p. 304.


Prière et vie

78 En plus de la célébration eucharistique, il convient de promouvoir aussi les autres formes deprières communautaires,132 aidant à redécouvrir le lien qui existe entre ces dernières et la prière liturgique. En particulier, tout en maintenant vivante la tradition de l'Église latine, on doit développer les diverses expressions du culte eucharistique en dehors de la Messe: adoration personnelle, exposition et procession, qui sont à comprendre comme des expressions de la foi en la permanence de la présence réelle du Seigneur dans le Sacrement de l'autel.133 À propos de la célébration personnelle ou communautaire de la Liturgie des Heures, dont le Concile a aussi rappelé la grande valeur pour les fidèles laïcs,134 on s'attachera à faire voir le lien qui la relie au mystère eucharistique. Les familles seront encouragées à réserver un temps pour la prière en commun, de façon à interpréter à la lumière de l'Évangile toute leur vie conjugale et familiale. Ainsi, à partir de là et dans l'écoute de la Parole de Dieu, se développera cette liturgie domestique qui accompagnera tous les moments de la vie familiale.135

Toute forme de prière communautaire présuppose la prière individuelle. Entre la personne et Dieu naît ce colloque en vérité qui s'exprime dans la louange, dans l'action de grâce, dans la supplication adressée au Père, par Jésus Christ et dans l'Esprit Saint. Jamais ne sera délaissée la prière personnelle, qui est comme la respiration du chrétien. À tous aussi, on apprendra à redécouvrir le lien entre cette dernière et la prière liturgique.

132 Cf. Proposition 14c.
133 Cf. ibid.
134 Cf. Const. Sacrosanctum Concilium, n.
SC 100.
135 Cf. Proposition 14c; 20.

79 On réservera aussi une attention particulière à la piété populaire.136 Largement présente en diverses régions d'Europe grâce aux confréries, aux pèlerinages et aux processions auprès de nombreux sanctuaires, elle enrichit le cours de l'année liturgique, inspirant coutumes et usages familiaux et sociaux. Toutes ces formes doivent être considérées avec attention, moyennant une pastorale de promotion et de renouveau, qui les aide à développer ce qui est expression authentique de la sagesse du peuple de Dieu. Tel est assurément le saint Rosaire. En cette année qui lui est consacrée, il m'est cher d'en recommander de nouveau la récitation, car, « s'il est redécouvert dans sa pleine signification, le Rosaire conduit au coeur même de la vie chrétienne et offre une occasion spirituelle et pédagogique ordinaire mais féconde pour la contemplation personnelle, la formation du peuple de Dieu et la nouvelle évangélisation ».137

En matière de piété populaire, il faut veiller constamment aux aspects ambigus de certaines manifestations, les préservant des dérives séculières, du consumérisme irréfléchi ou encore des risques de superstition, afin de les maintenir dans le cadre de formes assurées et authentiques. On fera oeuvre d'éducation, expliquant que la piété populaire doit toujours être vécue en harmonie avec la liturgie de l'Église et en relation avec les Sacrements.

136 Cf. Proposition 20.
137 Jean-Paul II, Lettre apost. Rosarium Virginis Mariae (16 octobre 2002), n.
RVM 3: AAS 95 (2003), p. 7; La Documentation catholique 99 (2002), p. 952-953.

80 Il ne faut pas oublier que le « culte spirituel capable de plaire à Dieu » (cf. Rm 12,1) se réalise avant tout dans l'existence quotidienne, vécue dans la charité à travers le don de soi libre et généreux, même dans les moments d'apparente impuissance. Ainsi, la vie est animée par une espérance indéfectible parce qu'elle s'appuie uniquement sur la certitude de la puissance de Dieu et de la victoire du Christ: c'est une vie remplie des consolations de Dieu, par lesquelles nous sommes appelés à consoler à notre tour ceux que nous rencontrons sur notre route (cf. 2Co 1,4).


Le jour du Seigneur

81 Le jour du Seigneur est le moment par excellence et hautement évocateur en ce qui concerne la célébration de l'Évangile de l'espérance.

Dans le contexte actuel, les circonstances rendent précaire pour les chrétiens la possibilité de vivre pleinement le dimanche comme jour de la rencontre avec le Seigneur. Il n'est pas rare qu'il se réduise à n'être qu'une « fin de semaine », un simple temps d'évasion. C'est pourquoi il faut une action pastorale organique au niveau éducatif, spirituel et social, qui aide à en vivre le sens véritable.

82 Je renouvelle donc l'appel à redécouvrir le sens profond du jour du Seigneur: 138 qu'il soit sanctifié par la participation à l'Eucharistie et par un repos rempli de joie chrétienne et de fraternité. Qu'il soit célébré comme le centre de tout le culte, comme l'annonce incessante de la vie sans fin, qui ranime l'espérance et redonne courage sur le chemin. Ne craignons pas alors de le défendre contre toute attaque et de tout mettre en oeuvre pour que, dans l'organisation du travail, il soit sauvegardé, de manière à être un jour pour l'homme, au bénéfice de la société entière. En effet, si le dimanche était privé de sa signification originelle et s'il devenait impossible en ce jour de réserver un temps convenable à la prière, au repos, à la communion et à la joie, il pourrait arriver « que l'homme reste enfermé dans un horizon si réduit qu'il ne peut plus voir le ciel; alors, même revêtu d'un habit de fête, il devient profondément incapable de faire la fête ».139 Et sans la dimension de la fête, l'espérance ne trouverait pas de maison où habiter.

138 Cf. Proposition 14.
139 Jean-Paul II, Lettre apost. Dies Domini (31 mai 1998), n. 4: AAS 90 (1998), p. 716; La Documentation catholique 95 (1998), p. 659.


Ecclesia in Europa FR 57