Ecclesia in Europa FR 82


CHAPITRE V

SERVIR L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE


« Je connais ta conduite, ton amour, ta foi,

ton sens du service, ta persévérance » (Ap 2,19)


Le chemin de l'amour

83 La Parole que l'Esprit adresse aux Églises contient un jugement sur leur vie. Elle concerne les actes et les comportements: « Je connais ta conduite » est l'introduction qui, tel un refrain et avec peu de variantes, apparaît dans les lettres écrites aux sept Églises. Quand les oeuvres s'avèrent positives, elles sont le fruit du labeur, de la persévérance, de l'acceptation des épreuves, des tribulations, de la pauvreté, de la fidélité dans la persécution, de la charité, de la foi, du service. En ce sens, elles peuvent être lues comme la description d'une Église qui non seulement annonce et célèbre le salut venant du Seigneur, mais qui en « vit » réellement.

Pour servir l'Évangile de l'espérance, l'Église qui est en Europe est elle aussi appelée à suivre la route de l'amour. C'est une route qui passe par la charité évangélisatrice, l'engagement multiforme dans le service, la détermination dans une générosité sans trêve ni frontière.


I. Le service de la charité

Dans la communion et dans la solidarité

84 Pour toute personne, l'amour reçu et donné constitue l'expérience originaire dans laquelle naît l'espérance. « L'homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour, s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe pas fortement ».140

Le défi pour l'Église dans l'Europe d'aujourd'hui consiste donc à aider l'homme contemporain à faire l'expérience de l'amour de Dieu le Père et du Christ dans l'Esprit Saint, à travers letémoignage de l'amour, qui en lui-même possède une force évangélisatrice intrinsèque.

En définitive,« l'Évangile », joyeuse annonce faite à tout homme, consiste en ceci: Dieu nous a aimés le premier (cf.
Jn 4,10 Jn 4,19); Jésus nous a aimés jusqu'au bout (cf. Jn 13,1). Grâce au don de l'Esprit, l'amour de Dieu est offert aux croyants, les rendant participants de sa capacité d'aimer: il saisit le coeur de tout disciple et de l'Église entière (cf. 2Co 5,14). Précisément parce qu'il est donné par Dieu, l'amour devient commandement pour l'homme (cf. Jn 13,34).

Vivre dans l'amour devient ainsi une joyeuse nouvelle pour tout homme, rendant visible l'amour de Dieu qui n'abandonne personne. En fin de compte, cela signifie donner à l'homme égaré de véritables raisons pour continuer à espérer.

140 Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. RH 10: AAS 71 (1979), p. 274; La Documentation catholique 76 (1979), p. 306.

85 C'est la vocation de l'Église, comme « signe tangible, bien que toujours inadéquat, de l'amour vécu, de faire que les hommes et les femmes rencontrent l'amour de Dieu et du Christ qui vient à leur recherche ».141 « Signe et instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain »,142 l'Église en témoigne lorsque les personnes, les familles et les communautés vivent intensément l'Évangile de la charité. En d'autres termes, nos communautés ecclésiales sont appelées à être de véritables lieux privilégiés d'entraînement à la communion.

De par sa nature même, le témoignage de la charité est appelé à s'étendre au-delà des limites de la communauté ecclésiale, pour atteindre toute personne, de sorte que l'amour pour tous les hommes devienne incitation à une authentique solidarité pour l'ensemble de la vie sociale. Quand l'Église sert la charité, elle fait en même temps croître la « culture de la solidarité », contribuant ainsi à redonner vie aux valeurs universelles de la convivialité humaine.

Dans cette perspective, il convient de redécouvrir le sens authentique du bénévolat chrétien.Naissant de la foi et étant continuellement nourri par elle, il doit conjuguer les compétences professionnelles et l'amour authentique, poussant ceux qui s'y livrent à « élever leurs sentiments de simple philanthropie à la hauteur de la charité du Christ; à reconquérir chaque jour, dans le labeur et la fatigue, la conscience de la dignité de tout homme; à aller à la découverte des besoins des personnes en ouvrant, s'il le faut, de nouvelles voies là où le besoin se fait le plus urgent, et là où l'attention et le soutien sont les plus déficients ».143

141 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 72, L'Oss. Rom., 6 août 1999, Suppl., p. 15; La Documentation catholique 96 (1999), p. 795.
142 Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n.
LG 1.
143 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitae (25 mars 1995), n. EV 90: AAS 87 (1995), p. 503; La Documentation catholique 92 (1995), p. 396.


II. Servir l'homme dans la société

Redonner espérance aux pauvres

86 À toute l'Église il est demandé de redonner espérance aux pauvres. Les accueillir et les servir signifie pour elle accueillir et servir le Christ (cf. Mt 25,40). L'amour préférentiel pour les pauvres est une dimension nécessaire de l'être chrétien et du service de l'Évangile. Aimer les personnes et leur témoigner qu'elles sont particulièrement aimées de Dieu veut dire reconnaître qu'elles ont une valeur en elles-mêmes, quelles que soient les conditions économiques, culturelles et sociales dans lesquelles elles vivent, les aidant à développer leurs potentialités.

87 Il faut par ailleurs se laisser interpeller par le phénomène du chômage, qui, dans beaucoup de pays d'Europe, constitue un grave fléau social. À cela s'ajoutent aussi les problèmes liés à l'accroissement des flux migratoires. Il est demandé à l'Église de rappeler que le travail est un bien que toute la société doit prendre en charge.

Présentant à nouveau les critères éthiques qui doivent guider le marché et l'économie, dans un respect scrupuleux de la place centrale que l'homme y occupe, l'Église ne peut négliger la recherche du dialogue avec les personnes engagées dans le domaine politique et syndical, et dans le monde de l'entreprise.144 Le dialogue doit tendre à l'édification d'une Europe entendue comme communauté de peuples et de personnes, communauté solidaire dans l'espérance, non soumise exclusivement aux lois du marché, mais fermement préoccupée de sauvegarder la dignité de l'homme même dans ses rapports économiques et sociaux.

144 Cf. Proposition 33.

88 Qu'une attention particulière soit aussi portée à la pastorale des malades.Considérant que la maladie est une situation qui suscite des questions essentielles sur le sens de la vie, « dans une société de la prospérité et de l'efficacité, dans une culture caractérisée par l'idolâtrie du corps, par le refus de la souffrance et de la douleur, et par le mythe de la jeunesse éternelle »,145 l'attention envers les malades doit être considérée comme une priorité. À cette fin, il faut promouvoir, d'une part, une présence pastorale appropriée dans les différents lieux de la souffrance, par exemple à travers l'engagement d'aumôniers d'hôpitaux, de membres d'associations de bénévolat, d'institutions sanitaires liées à l'Église, et, d'autre part, un soutien aux familles des malades. De plus, il est nécessaire d'être proche du personnel médical et paramédical, avec des moyens pastoraux adaptés, pour le soutenir dans son exigeante vocation au service des malades. En effet, dans leur activité professionnelle, les personnes qui travaillent dans le monde de la santé rendent chaque jour un noble service à la vie. Il leur est demandé d'offrir aussi aux patients le soutien spirituel particulier qui suppose la chaleur d'un contact humain authentique.

145 Proposition 35.

89 Enfin, on ne saurait oublier qu'il est parfois fait un usage indu des biens de la terre. Manquant en effet à la mission de cultiver et de garder la terre avec sagesse et amour (cf Gn Gn 2,15), l'homme a, dans de nombreuses régions, dévasté plaines et forêts, pollué les eaux, rendu l'air irrespirable, bouleversé les systèmes hydrogéologiques et atmosphériques, et provoqué la désertification de vastes zones.

Même dans ce cas, servir l'Évangile de l'espérance veut dire s'engager de manière nouvelle pour un usage correct des biens de la terre,146 développant l'attention qui, en plus de sauvegarder deshabitats naturels, défend la qualité de vie des personnes, afin de préparer pour les générations futures un monde plus conforme au projet du Créateur.

146 Cf. Proposition 36.


La vérité sur le mariage et la famille

90 L'Église en Europe, dans toutes ses composantes, doit proposer à nouveau, avec fidélité, la vérité sur le mariage et la famille.147 C'est une nécessité qu'elle ressent intensément en elle-même, car elle sait qu'elle est qualifiée pour accomplir cette tâche, en vertu de la mission évangélisatrice que lui a confiée son Époux et Seigneur, et que cette tâche s'impose aujourd'hui de nouveau avec une insistance inégalée. De nombreux facteurs culturels, sociaux et politiques contribuent en effet à provoquer une crise, toujours plus évidente, de la famille. Ils compromettent, dans certaines mesures, la vérité et la dignité de la personne humaine, et ils remettent en cause, en la dénaturant, l'idée même de famille. La valeur de l'indissolubilité du mariage est de plus en plus méconnue; on revendique des formes de reconnaissance légale des unions de fait, les mettant sur le même plan que les mariages légitimes; on observe même des tentatives visant à faire accepter des modèles de couples où la différence sexuelle ne serait plus essentielle.

Dans ce contexte, il est demandé à l'Église d'annoncer avec une vigueur renouvelée ce que dit l'Évangile sur le mariage et la famille, pour en saisir la signification et la valeur dans le dessein salvifique de Dieu. Il est en particulier nécessaire de réaffirmer que ces institutions sont des réalités qui proviennent de la volonté de Dieu. Il faut redécouvrir la vérité de la famille, en tant que communauté intime de vie et d'amour,148 ouverte à la génération de nouvelles vies; et aussi sa dignité « d'Église domestique » et sa participation à la mission de l'Église et à la vie de la société.

147 Cf. Proposition 31.
148 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n.
GS 48.

91 Selon les Pères du Synode, il faut reconnaître que de nombreuses familles, dans le quotidien d'une existence vécue dans l'amour, sont des témoins visibles de la présence de Jésus qui les accompagne et qui les soutient par le don de son Esprit. Pour affermir leur marche, on devra approfondir la théologie et la spiritualité du mariage et de la famille; proclamer avec fermeté et intégrité, et montrer au moyen d'exemples efficaces la vérité et la beauté de la famille fondée sur le mariage entendu comme union stable et féconde d'un homme et d'une femme; promouvoir dans toute communauté ecclésiale une pastorale familiale organique et adaptée. En même temps, il sera nécessaire d'offrir, avec une sollicitude maternelle de la part de l'Église, une aide à ceux qui se trouvent dans des situations difficiles, par exemple les mères célibataires, les personnes séparées, les divorcés, les enfants abandonnés. Dans tous les cas, il conviendra d'encourager, d'accompagner et de soutenir une juste participation des familles, seules ou associées, dans l'Église et dans la société, et de veiller à ce que les États et l'Union européenne elle-même mettent en place des politiques familiales authentiques et adaptées.149

149 Cf. Proposition 31.

92 Une attention particulière doit être réservée à l'éducation des jeunes et des fiancés à l'amour, grâce à des parcours spécifiques de préparation à la célébration du sacrement de Mariage, qui les aident à arriver jusqu'à ce jour en vivant dans la chasteté. Dans son oeuvre éducative, l'Église se montrera prévenante, accompagnant également les jeunes époux après la célébration de leur mariage.

93 Enfin, l'Église est aussi appelée à rencontrer, avec une bonté maternelle, tous ceux qui sont dans des situations matrimoniales qui peuvent facilement faire perdre l'espérance. En particulier, « face aux nombreuses familles disloquées, l'Église se sent appelée, non pas à exprimer un jugement sévère et distant, mais plutôt à introduire dans les plaies de tant de drames humains la lumière de la Parole de Dieu, accompagnée du témoignage de sa miséricorde. Tel est l'esprit avec lequel la pastorale familiale cherche à prendre en charge également les situations des croyants qui sont divorcés et se sont remariés civilement. Ils ne sont pas exclus de la communauté: ils sont même invités à participer à sa vie, en accomplissant un chemin de croissance dans la ligne des exigences évangéliques. Sans leur taire la vérité du désordre moral objectif dans lequel ils se trouvent et des conséquences qui en découlent quant à la pratique sacramentelle, l'Église entend leur montrer toute sa proximité maternelle ».150

150 Jean-Paul II, Discours pour la troisième Rencontre mondiale des Familles à l'occasion de leur jubilé (14 octobre 2000), n. 6: Insegnamenti XXIII/2, p. 603; La Documentation catholique97 (2000), p. 973.

94 S'il est nécessaire, pour servir l'Évangile de l'espérance, d'apporter une attention particulière et prioritaire à la famille, il est tout aussi vrai que les familles elles-mêmes ont une tâche irremplaçable à accomplir à l'égard de ce même Évangile de l'espérance. C'est pourquoi, en toute confiance et affection, je renouvelle mon invitation à toutes les familles chrétiennes qui vivent en Europe: « Familles, devenez ce que vous êtes ! » Vous êtes une représentation vivante de l'amour de Dieu: Vous avez la « mission de garder, de révéler et de communiquer l'amour, reflet vivant et participation réelle de l'amour de Dieu pour l'humanité et de l'amour du Christ Seigneur pour l'Église son Épouse ».151

Vous êtes le « sanctuaire de la vie [...]: le lieu où la vie, don de Dieu, peut être convenablement accueillie et protégée contre les nombreuses attaques auxquelles elle est exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les exigences d'une croissance humaine authentique ».152

Vous êtes le fondement de la société, en tant que lieu premier de l'« humanisation » de la personne et du « vivre ensemble »,153 modèle pour l'instauration de rapports sociaux vécus dans l'amour et la solidarité.

Soyez vous-mêmes des témoins crédibles de l'Évangile de l'espérance! Car vous êtes « Gaudium et spes ».154

151 Jean-Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n.
FC 17: AAS 74 (1982), pp. 99-100; La Documentation catholique 79 (1982), p. 6.
152 Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus (1er mai 1991), n. CA 39: AAS 83 (1991), p. 842; La Documentation catholique 88 (1991), p. 538.
153 Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. CL 40: AAS 81 (1989), p. 469; La Documentation catholique 86 (1989), p. 176.
154 Cf. Jean-Paul II, Discours à la première Rencontre mondiale des Familles (8 octobre 1994), n. 7: AAS 87 (1995), p. 587; La Documentation catholique 91 (1994), p. 969.


Servir l'Évangile de la vie

95 Le vieillissement et la diminution de la population auxquels on assiste dans divers pays d'Europe ne peuvent pas ne pas être des motifs de préoccupation; en effet, la chute des naissances est le symptôme d'un rapport perturbé avec l'avenir; c'est une manifestation évidente d'un manque d'espérance, c'est le signe de la « culture de mort » qui traverse la société contemporaine.155

Avec la chute de la natalité, il faut rappeler d'autres signes qui concourent à provoquer l'éclipse de la valeur de la vie et à déchaîner une sorte de conjuration contre elle. Parmi eux, il faut tout d'abord mentionner avec tristesse la diffusion de l'avortement, même en utilisant des préparations chimiques et pharmaceutiques qui le rendent possible sans devoir recourir à un médecin, et en le soustrayant ainsi à toute forme de responsabilité sociale; cela est favorisé par la présence, dans les législations de nombreux États du continent, de lois permettant un geste qui demeure un « crime abominable » 156 et qui constitue toujours un grave désordre moral. On ne peut pas oublier non plus les attentats perpétrés à travers les interventions « sur les embryons humains qui, bien que poursuivant des buts en soi légitimes, en comportent inévitablement le meurtre », ou bien l'utilisation détournée des techniques de diagnostic prénatal, qui sont mises non pas au service de thérapies précoces, parfois envisageables, mais « d'une mentalité eugénique qui accepte l'avortement sélectif ».157

Il faut aussi mentionner la tendance, que l'on observe dans certaines parties de l'Europe, à penser qu'il pourrait être permis de mettre fin sciemment à ses jours ou à ceux d'autrui: d'où une diffusion de l'euthanasie, cachée ou effectuée au grand jour, en faveur de laquelle les demandes et les tristes exemples de légalisation ne manquent pas.

155 Cf. Proposition 32.
156 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n.
GS 51.
157 Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitae (25 mars 1995), n. EV 63: AAS 87 (1995), p. 473; La Documentation catholique 92 (1995), p. 383.

96 Face à cet état de fait, il est nécessaire de « servir l'Évangile de la vie » également grâce « àune mobilisation générale des consciences et à un effort commun d'ordre éthique, pour mettre en oeuvre une grande stratégie pour le service de la vie. Nous devons construire tous ensemble une nouvelle culture de la vie ».158 C'est là un grand défi qu'il faut affronter avec responsabilité, dans la certitude que « l'avenir de la civilisation européenne dépend en grande partie d'une défense et d'une promotion résolues des valeurs de la vie, centre de son patrimoine culturel »; 159 il s'agit en effet de rendre à l'Europe sa véritable dignité, qui est d'être le lieu où toute personne est reconnue dans son incomparable dignité.

Je fais volontiers miennes ces paroles des Pères du synode: « Le synode des évêques européens incite les communautés chrétiennes à se faire les évangélisatrices de la vie. Il encourage les couples chrétiens et les familles chrétiennes à se soutenir mutuellement pour demeurer fidèles à leur mission de collaborer avec Dieu dans la génération et l'éducation de nouvelles créatures; il apprécie toute généreuse tentative de réagir à l'égoïsme en matière de transmission de la vie, égoïsme nourri par de faux modèles de sécurité et de bonheur; il demande aux États et à l'Union européenne de mettre en oeuvre des politiques clairvoyantes qui promeuvent les conditions concrètes de logement, de travail et d'aide sociale, en vue d'aider à la constitution de la famille et à répondre à la vocation à la maternité et à la paternité, et qui en plus assurent à l'Europe d'aujourd'hui la ressource la plus précieuse: les Européens de demain ».160

158 Ibid., n.
EV 95: AAS, l.c., p. 509; La Documentation catholique, l.c., p. 398.
159 Jean-Paul II, Discours au nouvel Ambassadeur de Norvège près le Saint-Siège (25 mars 1995): Insegnamenti XVIII/1, p. 857.
160 Proposition 32.


Bâtir une cité digne de l'homme

97 La charité active nous engage à hâter la venue du Règne de Dieu. C'est pourquoi elle apporte son concours à la promotion des valeurs authentiques qui sont à la base d'une civilisation digne de l'homme. Comme le rappelle en effet le Concile Vatican II, « dans leur marche vers la cité céleste, les chrétiens doivent rechercher et goûter les choses d'en haut; mais, par là, la gravité du devoir de travailler en collaboration avec tous les hommes à l'édification d'un monde plus humain, loin d'être diminuée, est plutôt accrue ».161 L'attente des cieux nouveaux et de la terre nouvelle, loin d'éloigner de l'histoire, intensifie la sollicitude pour le monde présent où, jusqu'à aujourd'hui, croît la nouveauté qui est germe et figure du monde à venir.

Animés par ces certitudes de foi, engageons-nous à construire une cité digne de l'homme! Même s'il n'est pas possible de réaliser dans l'histoire un ordre social parfait, nous savons pourtant que tout effort sincère pour construire un monde meilleur est accompagné de la bénédiction de Dieu et que toute semence de justice et d'amour plantée dans le temps présent donnera son fruit dans l'éternité.

161 Const. past. Gaudium et spes, n.
GS 57.

98 Dans la construction d'une cité digne de l'homme, un rôle d'inspiration doit être reconnu à la doctrine sociale de l'Église. À travers elle, en effet, l'Église pose au continent européen la question de la valeur morale de sa civilisation. Cette doctrine tire son origine de la rencontre entre, d'une part, le message biblique et la raison, et, d'autre part, les problèmes et les situations concernant la vie de l'homme et de la société. Par l'ensemble des principes qu'elle propose, cette doctrine contribue à poser des bases solides pour une vie sociale à la mesure de l'homme, dans la justice, la vérité, la liberté et la solidarité. Tournée vers la défense et la promotion de la dignité de la personne, fondement non seulement de la vie économique et politique, mais aussi de la justice sociale et de la paix, elle apparaît capable d'assurer des bases solides aux piliers sur lesquels se bâtit l'avenir du continent européen.162 La doctrine sociale de l'Église comporte aussi les points de repères qui permettent de défendre la structure morale de la liberté, de manière à sauvegarder la culture et la société européennes aussi bien de l'utopie totalitaire de la « justice sans liberté » que de celle d'une « liberté sans vérité » qui s'accompagne d'une fausse conception de la « tolérance », toutes deux porteuses d'erreurs et d'horreurs pour l'humanité, comme en témoigne malheureusement l'histoire récente de l'Europe elle-même.163

162 Cf. Proposition 28; Synode des Évêques - Première Assemblée spéciale pour l'Europe, Déclaration finale (13 décembre 1991), n. 10: Ench. Vat. 13, nn. 659-669; La Documentation catholique, 89 (1992), p. 130.
163 Cf. Proposition 23.

99 La doctrine sociale de l'Église, en raison de son lien intrinsèque avec la dignité de la personne, est faite pour être comprise aussi par ceux qui n'appartiennent pas à la communauté des croyants. Il est donc urgent d'en répandre la connaissance et l'étude, dans le but de surmonter l'ignorance que même les chrétiens ont à son endroit. C'est ce qu'exige l'Europe nouvelle en voie de construction, elle qui a besoin de personnes éduquées selon ces valeurs et disposées à travailler à la réalisation du bien commun. À cette fin s'avère nécessaire la présence de laïcs chrétiens qui, dans les diverses responsabilités de la vie civique, économique, culturelle, dans le monde de la santé, de l'éducation et de la politique, agissent de manière à pouvoir y diffuser les valeurs du Royaume.164

164 Cf. Proposition 28.


Pour une culture de l'accueil

100 Parmi les défis qui se posent aujourd'hui pour le service de l'Évangile de l'espérance apparaît celui du phénomène croissant de l'immigration, qui interroge l'Église sur sa capacité d'accueillir chaque personne, quel que soit le peuple ou la nation auquel elle appartient. Il incite également toute la société européenne et ses institutions à rechercher un ordre juste et des modes de convivialité respectueux de tous, comme aussi de la législation, en vue d'une éventuelle intégration.

Devant l'état de pauvreté, de sous-développement ou même d'insuffisance de liberté qui, malheureusement, caractérise encore divers pays et qui pousse de nombreuses personnes à abandonner leur terre, se fait sentir le besoin d'un engagement courageux de tous pour la réalisation d'un ordre économique international plus juste, qui soit en mesure de promouvoir l'authentique développement de tous les peuples et de tous les pays.

101 Face au phénomène migratoire, l'Europe est mise au défi de trouver des formes nouvelles et intelligentes d'accueil et d'hospitalité. C'est la vision « universaliste » du bien commun qui l'exige: il faut dilater son regard jusqu'à embrasser les exigences de toute la famille humaine. Le phénomène même de la mondialisation demande ouverture et partage s'il veut être non pas une source d'exclusion et de marginalisation, mais au contraire de participation solidaire de tous à la production et à l'échange des biens.

Chacun doit s'employer à la croissance d'une solide culture de l'accueil qui, tenant compte de l'égale dignité de toute personne et du devoir de solidarité à l'égard des plus faibles, demande quesoient reconnus les droits fondamentaux de tout migrant. Il est de la responsabilité des autorités publiques d'exercer un contrôle sur les flux migratoires en fonction des exigences du bien commun. L'accueil doit toujours se réaliser dans le respect des lois et donc se conjuguer, si nécessaire, avec une ferme répression des abus.

102 Il faut également s'employer à découvrir les formes possibles d'une véritable intégration des immigrés légitimement accueillis dans le tissu social et culturel des diverses nations européennes. Cela exige que l'on ne cède pas à l'indifférence à l'égard des valeurs humaines universelles et que l'on soit attentif à sauvegarder le patrimoine culturel propre à chaque nation. Une convivialité pacifique et un échange des richesses intérieures réciproques rendront possible l'édification d'une Europe qui sache être la maison commune, où chacun puisse être accueilli, où nul ne fasse l'objet de discrimination, où tous soient traités et vivent de façon responsable comme membres d'une seule grande famille.

103 Pour sa part, l'Église est appelée à « continuer son action pour créer et améliorer sans cesseses services d'accueil et ses attentions pastorales à l'égard des immigrés et des réfugiés »,165pour faire en sorte que soient respectées leur dignité et leur liberté, et que soit favorisée leur intégration.

On veillera en particulier à assurer une assistance pastorale à l'intégration des immigrés catholiques, en respectant leur culture et l'originalité de leurs traditions religieuses. À cette fin, il est bon de favoriser les contacts entres les Églises d'origine des immigrés et celles qui les accueillent, en vue d'étudier des formes d'aide qui peuvent également prévoir la présence, parmi les immigrés, de prêtres, de personnes consacrées et d'agents pastoraux, convenablement formés, provenant de leur pays.

Le service de l'Évangile exige en outre que l'Église, défendant la cause des opprimés et des exclus,demande aux autorités politiques des divers États et aux responsables des Institutions européennes de reconnaître la condition de réfugié à ceux qui fuient leur pays d'origine en raison de menaces pour leur vie, et aussi de faciliter leur retour dans leur pays, ainsi que de créer les conditions pour que soit respectée la dignité de tous les immigrés et que soient défendus leurs droits fondamentaux.166

165 Proposition 34.
166 Cf. Congrégation pour les Évêques, Instr. Nemo est (22 août 1969), n. 16: AAS 61 (1969), pp. 621-622; La Documentation catholique 67 (1970), p. 62; CIC, can.
CIC 294 CIC 518; CCEO, can. CIO 280 § 1.


III. Optons pour la charité

104 L'appel à vivre une charité active, adressé par les Pères synodaux à tous les chrétiens du continent européen,167 représente la synthèse heureuse d'un service authentique rendu à l'Évangile de l'espérance. Aujourd'hui, je te propose à mon tour cet appel, Église du Christ qui vis en Europe. Que les joies et les espérances, que les tristesses et les angoisses des Européens d'aujourd'hui, surtout des pauvres et de ceux qui souffrent, soient aussi tes joies et tes espérances, tes tristesses et tes angoisses, et que rien de ce qui est authentiquement humain ne manque de trouver un écho dans ton coeur! Regarde l'Europe et son cheminement, avec la sympathie de celui qui apprécie tout élément positif, mais qui, en même temps, ne ferme pas les yeux sur ce qui n'est pas en harmonie avec l'Évangile et qui le dénonce avec force!

167 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 5:L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 6; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 957-958.

105 Église en Europe, accueille chaque jour avec une fraîcheur renouvelée le don de la charité que le Seigneur t'offre et dont il te rend capable! Apprends de lui le contenu et la mesure de l'amour! Et sois l'Église des Béatitudes, continuellement conformée au Christ (cf. Mt 5,1-12).

Libre de toute entrave et de toute dépendance, sois pauvre et amie des plus pauvres, accueillante envers toute personne et attentive à toute forme de pauvreté, qu'elle soit ancienne ou nouvelle!

Continuellement purifiée par la bonté du Père, reconnais dans l'attitude de Jésus, qui a toujours défendu la vérité tout en se montrant miséricordieux envers les pécheurs, la norme suprême de ton action.

En Jésus, à la naissance duquel la paix fut annoncée (cf. Lc 2,14), en lui qui dans sa mort a abattu toute inimitié (cf. Ep 2,14) et qui a donné la paix véritable (cf. Jn 14,27), sois un artisan de paix, invitant tes fils à laisser purifier leur coeur de toute hostilité, égoïsme ou esprit partisan, favorisant en toute circonstance le dialogue et le respect réciproques!

En Jésus, justice de Dieu, ne te lasse jamais de dénoncer toute forme d'injustice! En vivant dans le monde avec les valeurs du Règne qui vient, tu seras l'Église de la charité, tu apporteras ton indispensable contribution à l'édification en Europe d'une civilisation toujours plus digne de l'homme.



CHAPITRE VI

L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE POUR UNE EUROPE NOUVELLE


« J'ai vu descendre du ciel, d'auprès de Dieu,

la cité sainte, la Jérusalem nouvelle » (Ap 21,2)


La nouveauté de Dieu dans l'histoire

106 L'Évangile de l'espérance qui résonne dans l'Apocalypse ouvre le coeur à la contemplation de la nouveauté opérée par Dieu: « Alors j'ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n'y avait plus de mer » (Ap 21,1). C'est Dieu lui-même qui proclame cette nouveauté avec des mots expliquant la vision qui vient d'être décrite: « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5).

La nouveauté de Dieu – pleinement compréhensible sur l'arrière-plan des choses du passé, faites de larmes, de deuil, d'affliction et de mort (cf. Ap 21,4) – consiste à sortir de la condition du péché et de ses conséquences, dans laquelle se trouve l'humanité; c'est le ciel nouveau et la nouvelle terre, la Jérusalem nouvelle, par opposition à un ciel et à une terre anciens, à un antique ordre des choses et à une Jérusalem vétuste, tourmentée par ses rivalités.

Il n'est pas indifférent pour la construction de la cité de l'homme d'utiliser l'image de la Jérusalem nouvelle qui descend « du ciel, d'auprès de Dieu, toute prête, comme une fiancée parée pour son époux » (Ap 21,2) et qui se réfère directement au mystère de l'Église. C'est une image qui parle d'une réalité eschatologique: elle va au-delà de tout ce que l'homme peut faire; elle est un don de Dieu qui s'accomplira dans les derniers temps. Mais elle n'est pas une utopie: elle est une réalité déjà présente. C'est ce qu'indique le verbe au présent utilisé par Dieu « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5) – avec la précision qui suit: « Tout est réalisé désormais » (Ap 21,6). Car Dieu est déjà en train d'agir pour renouveler le monde; la Pâque de Jésus est déjà la nouveauté de Dieu. Elle fait naître l'Église, elle en anime l'existence, elle renouvelle et transforme l'histoire.

107 Cette nouveauté commence à prendre forme avant tout dans la communauté chrétienne, qui est déjà aujourd'hui « la demeure de Dieu avec les hommes » (cf. Ap 21,3), au sein de laquelle Dieu est déjà à l'oeuvre, renouvelant la vie de ceux qui se soumettent au souffle de l'Esprit. L'Église est pour le monde signe et instrument du Royaume qui se réalise avant tout dans les coeurs. Un reflet de cette même nouveauté se manifeste aussi dans toute forme de convivialité humaine animée par l'Évangile. Il s'agit d'une nouveauté qui interroge la société à tout moment de l'histoire et en tout point de la terre, particulièrement la société européenne qui, depuis de nombreux siècles, écoute l'Évangile du Règne inauguré par Jésus.


Ecclesia in Europa FR 82