Ecclesia in Europa FR 107


I. La vocation spirituelle de l'Europe

L'Europe promotrice des valeurs universelles

108 L'histoire du continent européen est marquée par l'influence vivifiante de l'Évangile. « Si nous tournons notre regard vers les siècles passés, nous ne pouvons pas manquer de rendre grâce au Seigneur pour le fait que le christianisme a été pour notre continent un facteur primordial d'unité entre les peuples et les cultures et de promotion intégrale de l'homme et de ses droits ».168

On ne peut certes pas douter que la foi chrétienne fait partie, de façon radicale et déterminante, des fondements de la culture européenne. Le christianisme a en effet donné sa forme à l'Europe, y faisant pénétrer certaines valeurs fondamentales. La modernité européenne elle- même, qui a donné au monde l'idéal démocratique et les droits humains, puise ses valeurs dans son héritage chrétien. Plus qu'un espace géographique, cet héritage peut être qualifié de « concept majoritairement culturel et historique, caractérisant une réalité née comme continent grâce, entre autres, à la force unificatrice du christianisme; celui-ci a su fondre entre eux des peuples différents et des cultures diverses, et il est intimement lié à la culture européenne tout entière ».169

Cependant, au moment même où l'Europe d'aujourd'hui renforce et élargit son union économique et politique, elle semble aussi souffrir d'une profonde crise de valeurs. Bien qu'elle dispose de moyens accrus, elle donne l'impression de manquer d'élan pour nourrir un projet commun et pour redonner à ses citoyens des raisons d'espérer.

168 Jean-Paul II, Homélie durant la concélébration de conclusion de la deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 5: AAS 92 (2000), p. 179; La Documentation catholique 96 (1999), p. 960.
169 Proposition 39.


Le nouveau visage de l'Europe

109 Dans le processus de transformation qu'elle vit actuellement, l'Europe est appelée avant tout à retrouver sa véritable identité. En effet, bien qu'elle soit parvenue à constituer une réalité fortement diversifiée, elle doit édifier un nouveau modèle d'unité dans la diversité, une communauté de nations réconciliées, ouverte aux autres continents et engagée dans le processus actuel de mondialisation.

Pour donner un nouvel élan à son histoire, elle doit « reconnaître et retrouver, dans une fidélité créatrice, les valeurs fondamentales à l'acquisition desquelles le christianisme a apporté une contribution déterminante, et qui peuvent se résumer dans l'affirmation de la dignité transcendante de la personne, de la valeur de la raison, de la liberté, de la démocratie, de l'état de droit et de la distinction entre politique et religion ».170

170 Ibid.

110 L'Union européenne continue à s'élargir. Tous les peuples qui partagent le même héritage fondamental ont pour vocation d'en faire partie à plus ou moins longue échéance. Il faut souhaiter que, en plus d'assurer une mise en oeuvre plus affermie des principes de subsidiarité et de solidarité, une telle expansion se réalise dans le respect de tous, valorisant les particularités historiques et culturelles, les identités nationales et la richesse des apports que pourront fournir les nouveaux membres.171 Dans le processus d'intégration du continent, il est capital de prendre en compte le fait que l'Union n'aurait pas de consistance si elle était réduite à ses seules composantes géographiques et économiques, mais qu'elle doit avant tout consister en une harmonisation des valeurs appelées à s'exprimer dans le droit et dans la vie.

171 Cf. ibid.; cf. aussi Proposition 28.


Promouvoir la solidarité et la paix dans le monde

111 Dire « Europe » doit vouloir dire « ouverture ». Malgré les expériences et les signes contraires qui d'ailleurs n'ont pas manqué, c'est son histoire même qui l'exige: « L'Europe n'est pas vraiment un territoire clos ou isolé; elle s'est construite en allant, au-delà des mers, à la rencontre d'autres peuples, d'autres cultures, d'autres civilisations ».172 C'est pourquoi l'Europe doit être un continent ouvert et accueillant qui continue à pratiquer, dans l'actuelle mondialisation, des formes de coopération non seulement économique, mais également sociale et culturelle.

Il y a une exigence à laquelle le continent doit répondre de manière positive pour que son visage soit véritablement nouveau: « L'Europe ne saurait se replier sur elle-même. Elle ne peut ni ne doit se désintéresser du reste du monde; elle doit au contraire garder pleine conscience que d'autres pays, d'autres continents, attendent d'elle des initiatives audacieuses, pour offrir aux peuples les plus pauvres les moyens de leur développement et de leur organisation sociale, et pour édifier un monde plus juste et plus fraternel ».173 Pour réaliser une telle mission de manière appropriée, il sera nécessaire « de repenser la coopération internationale en termes de nouvelle culture de solidarité.Considérée comme ferment de paix, la coopération ne peut pas se réduire à l'aide et à l'assistance, surtout quand on envisage en retour de tirer profit des ressources mises à disposition. Au contraire, elle doit exprimer un engagement concret et tangible de solidarité qui vise à faire des pauvres les acteurs de leur développement et qui permette au plus grand nombre possible de personnes d'exercer, dans les circonstances économiques et politiques concrètes dans lesquelles elles vivent, la créativité propre à la personne humaine, d'où dépend aussi la richesse des nations ».174

172 Jean-Paul II, Lettre au Cardinal Miloslav Vlk, Président du Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (16 octobre 2000), n. 7: Insegnamenti XXIII/2, p. 628; La Documentation catholique 97 (2000), p. 960.
173 Ibid.
174 Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2000, n. 17: AAS 92 (2000), pp. 367-368; La Documentation catholique 97 (2000), pp. 5-6.

112 De plus, l'Europe doit prendre une part active dans la promotion et dans la mise en pratique d'une mondialisation « dans la » solidarité. Comme condition de cette dernière, il faut ajouter une sorte de mondialisation « de la » solidarité et des valeurs connexes d'équité, de justice et de liberté, dans la ferme conviction que le marché requiert d'être « dûment contrôlé par les forces sociales et par l'État, de manière à garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de toute la société ».175

L'Europe qui nous est léguée par l'histoire a vu, surtout au siècle dernier, s'affirmer des idéologies totalitaires et des nationalismes exacerbés qui, faisant perdre l'espérance aux hommes et aux peuples du continent, ont nourri des conflits au sein des Nations et entre les Nations elles- mêmes, jusqu'à l'effroyable tragédie des deux guerres mondiales.176 Les luttes ethniques plus récentes, qui ont à nouveau ensanglanté le continent européen, ont montré elles aussi à tous que la paix est fragile, qu'elle a besoin d'un engagement actif de tous et qu'elle ne peut être garantie qu'en ouvrant de nouvelles perspectives d'échange, de pardon et de réconciliation entre les personnes, entre les peuples et entre les Nations.

Face à cet état de fait, l'Europe, avec tous ses habitants, doit s'employer inlassablement à construire la paix à l'intérieur de ses frontières et dans le monde entier. À ce propos, il convient de rappeler « d'une part que les différences nationales doivent être maintenues et cultivées comme le fondement de la solidarité européenne; et, d'autre part, que l'identité nationale elle-même ne se réalise que dans l'ouverture aux autres peuples et à travers la solidarité envers eux ».177

175 Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus (1er mai 1991), n.
CA 35: AAS 83 (1991), p. 837; La Documentation catholique 88 (1991), p. 535.
176 Cf. Proposition 39.
177 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 85: L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 17; La Documentation catholique 96 (1999), p. 800; cf. Proposition 39.


II. La construction européenne

Le rôle des Institutions européennes

113 Si l'on veut dessiner le nouveau visage du continent, c'est, sous de nombreux aspects déterminants, par leur rôle que les Institutions internationales qui sont principalement liées au territoire européen, et qui y agissent, ont contribué à marquer le cours historique des événements sans s'engager dans des opérations à caractère militaire. À ce sujet, je voudrais mentionner avant tout l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui travaille au maintien de la paix et à la stabilité, y compris par la protection et la promotion des droits humains et des libertés fondamentales, comme aussi à la coopération économique et environnementale.

Il y a aussi le Conseil de l'Europe, dont font partie les États qui ont signé la Convention européenne pour la sauvegarde des droits humains fondamentaux de 1950 et la Charte sociale de 1961. La Cour européenne des droits de l'homme lui est rattachée. Ces deux institutions visent, à travers la coopération politique, sociale, juridique et culturelle, comme aussi à travers la promotion des droits humains et de la démocratie, à la réalisation de l'Europe de la liberté et de la solidarité. Enfin, l'Union européenne, avec son Parlement, avec le Conseil des Ministres et avec la Commission, propose un modèle d'intégration qui se perfectionne progressivement, dans la perspective d'adopter un jour une charte fondamentale commune. Cet organisme a pour but de réaliser une plus grande unité politique, économique et monétaire entre les États membres, aussi bien les membres actuels que ceux qui en feront partie à l'avenir. Dans leur diversité et à partir de l'identité propre à chacune d'elles, les Institutions mentionnées ci-dessus ont pour but de promouvoir l'unité du continent, et plus profondément sont au service de l'homme.178

178 Cf. Jean-Paul II, Allocution à la Présidence du Parlement européen (5 avril 1979):Insegnamenti, II/I, pp. 796-799; La Documentation catholique 76 (1979), pp. 432-433.

114 Aux Institutions européennes elles-mêmes et aux divers États d'Europe, je demande avec les Pères synodaux179 de reconnaître qu'un bon ordonnancement de la société doit s'enraciner dans d'authentiques valeurs éthiques et civiques, partagées le plus possible par les citoyens, en notant que de telles valeurs constituent avant tout le patrimoine des divers corps sociaux. Il est important que les Institutions et les États reconnaissent que, parmi ces corps sociaux, il y a aussi les Églises et Communautés ecclésiales, ainsi que les autres organisations religieuses. À plus forte raison, quand elles existent déjà avant la fondation des nations européennes, elles ne sont pas réductibles à de simples entités privées, mais elles agissent avec un poids institutionnel spécifique, qui mérite d'être sérieusement pris en considération. Dans le déroulement de leurs activités, les différentes Institutions étatiques ou européennes doivent agir en sachant que leurs systèmes juridiques ne seront pleinement respectueux de la démocratie que s'ils prévoient des formes de « saine collaboration » 180 avec les Églises et les Organisations religieuses.

À la lumière de ce qui vient d'être souligné, je voudrais m'adresser encore une fois aux rédacteurs du futur traité constitutionnel de l'Europe, pour que, dans ce dernier, figure une référence au patrimoine religieux et spécialement chrétien de l'Europe. Dans le plein respect de la laïcité des Institutions, je souhaite par-dessus tout que soient reconnus trois aspects complémentaires: le droit des Églises et des communautés religieuses de s'organiser librement, en conformité avec leurs propres statuts et leurs propres convictions; le respect de l'identité spécifique des Confessions religieuses et le fait de prévoir un dialogue structuré entre l'Union européenne et ces mêmes Confessions; le respect du statut juridique dont les Églises et les institutions religieuses jouissent déjà en vertu des législations des États membres de l'Union.181

179 Cf. Proposition 37.
180 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n.
GS 76.
181 Cf. Jean-Paul II, Discours au Corps diplomatique (13 janvier 2003), n. 5: L'Oss. Rom., 13-14 janvier 2003, p. 6: La Documentation catholique 100 (2003), p. 120.

115 Les Institutions européennes ont pour but déclaré la défense des droits de la personne humaine. Par cet engagement, elles contribuent à construire l'Europe des valeurs et du droit. Les Pères synodaux ont fait appel aux responsables européens, leur disant: « Élevez la voix quand sont violés les droits humains des individus, des minorités et des peuples, à commencer par le droit à la liberté religieuse; réservez la plus grande attention à tout ce qui regarde la vie humaine de sa conception jusqu'à sa mort naturelle, et la famille fondée sur le mariage: telles sont les bases sur lesquelles repose la maison commune européenne; [...] affrontez, en toute justice et équité, et avec un grand sens de la solidarité, le phénomène croissant des migrations, faisant en sorte qu'elles soient une nouvelle ressource pour l'avenir européen; faites tous vos efforts pour qu'aux jeunes soit garanti un avenir vraiment humain, par le travail, la culture, l'éducation aux valeurs morales et spirituelles ».182

182 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 6:L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5; La Documentation catholique 96 (1999), p. 958.


L'Église pour la nouvelle Europe

116 L'Europe a besoin d'une dimension religieuse. Pour être « nouvelle », à la manière de ce qui est dit de la « cité nouvelle » de l'Apocalypse (cf. 21, 2), elle doit se laisser rejoindre par l'action de Dieu. L'espérance de construire un monde plus juste et plus digne de l'homme ne peut en effet faire abstraction de la prise de conscience que les efforts humains ne conduiraient à rien s'ils n'étaient pas accompagnés par le soutien divin, car, « si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » (Ps 127 [126], 1). Pour que l'Europe puisse être édifiée sur des bases solides, il est nécessaire de s'appuyer sur les valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle, inscrite dans le coeur de tout homme. « Non seulement les chrétiens peuvent s'unir à tous les hommes de bonne volonté pour travailler à la construction de ce grand projet, mais plus encore ils sont invités à en être en quelque sorte l'âme, en montrant le véritable sens de l'organisation de la cité terrestre ».183

Une et universelle, tout en étant présente dans la multiplicité des Églises particulières, l'Église catholique peut offrir une contribution unique à l'édification d'une Europe ouverte au monde. De l'Église en effet se dégage un modèle d'unité essentielle dans la diversité des expressions culturelles, la conscience d'appartenir à une communauté universelle qui s'enracine dans les communautés locales mais ne s'épuise pas en elles, le sens de ce qui unit au-delà de ce qui distingue.184

183 Jean-Paul II, Lettre au Cardinal Miloslav Vlk, Président du Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (16 octobre 2000), n. 4: Insegnamenti XXIII/2, p. 626; La Documentation catholique 97 (2000), p. 960.
184 Cf. Synode des Évêques - Première Assemblée spéciale pour l'Europe, Déclaration finale (13 décembre 1991), n. 10: Ench. Vat. 13, n. 669; La Documentation catholique 89 (1992), pp. 130-131.

117 Dans ses relations avec les pouvoirs publics, l'Église ne demande pas un retour à des formes d'État confessionnel. Mais en même temps, elle déplore tout type de laïcisme idéologique ou de séparation hostile entre les institutions civiles et les confessions religieuses.

Pour sa part, dans la logique d'une saine collaboration entre communauté ecclésiale et société politique, l'Église catholique est convaincue de pouvoir apporter une contribution spécifique à la perspective de l'unification, offrant aux institutions européennes, en continuité avec sa tradition et en harmonie avec les directives de sa doctrine sociale, la présence de communautés de croyants qui cherchent à réaliser l'humanisation de la société à partir de l'Évangile vécu sous le signe de l'espérance. Dans cette optique, il est nécessaire que des chrétiens, convenablement formés et compétents, soient présents dans les diverses instances et Institutions européennes, pour concourir, dans le respect des justes dynamismes démocratiques et à travers une confrontation des propositions, à définir une convivialité européenne toujours plus respectueuse de tout homme et de toute femme, et donc conforme au bien commun.

118 L'Europe qui est en train de se construire comme « union » pousse aussi les chrétiens vers l'unité pour qu'ils soient de vrais témoins d'espérance. Dans ce cadre, il faut poursuivre et développer cet échange de dons, qui a revêtu ces dernières années des expressions significatives. Réalisé entre communautés ayant des histoires et des traditions diverses, il incite à nouer des liens plus durables entre les Églises des divers pays et il conduit à leur enrichissement mutuel, à travers rencontres, confrontations et aides réciproques. Il faut en particulier mettre en valeur la contribution de la tradition culturelle et spirituelle offerte par les Églises catholiques orientales.185

Un rôle important pour la croissance de cette unité peut être joué par les organismes continentaux de communion ecclésiale, qui attendent d'être ultérieurement encouragés.186 Parmi ceux-ci, il convient d'attribuer un rôle particulier au Conseil des Conférences épiscopales d'Europe dont la mission est, au niveau de tout le continent, d'« assurer la promotion d'une communion toujours plus intense entre les diocèses et les Conférences épiscopales nationales, l'accroissement de la collaboration oecuménique entre les chrétiens, l'élimination des obstacles qui menacent l'avenir de la paix et le progrès des peuples, le renforcement de la collégialité affective et effective et de la “communio” hiérarchique ».187 De même, il faut reconnaître le service de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne qui, suivant le processus de consolidation et d'élargissement de l'Union européenne, favorise l'information mutuelle et coordonne les initiatives pastorales des Églises d'Europe concernées.

185 Cf. Proposition 22.
186 Cf. ibid.
187 Jean-Paul II, Discours au Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (16 avril 1993), n. 5:AAS 86 (1994), p. 229; La Documentation catholique 90 (1993), p. 502.

119 Le renforcement de l'Union au sein du continent européen incite les chrétiens à coopérer au processus d'intégration et de réconciliation à travers un dialogue théologique, spirituel, éthique et social.188 En effet, « dans l'Europe en marche vers l'unité politique, pouvons-nous admettre que ce soit précisément l'Église du Christ qui soit un facteur de désunion et de discorde? Ne serait-ce pas là un des plus grands scandales de notre temps? ».189

188 Cf. Proposition 39d.
189 Jean-Paul II, Homélie durant la célébration oecuménique à l'occasion de l'Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (7 décembre 1991), n. 6: Insegnamenti XIV/2, p. 1330.L'Oss. Rom., éd. hebdom. en langue française, 17 décembre 1991, p. 14.


À partir de l'Évangile, un nouvel élan pour l'Europe

120 L'Europe a besoin d'un saut qualitatif dans la prise de conscience de son héritage spirituel.Un tel élan ne peut lui venir que d'une écoute renouvelée de l'Évangile du Christ. Il appartient à tous les chrétiens de s'employer à satisfaire cette faim et cette soif de vie.

C'est pourquoi « l'Église éprouve le devoir de renouveler avec vigueur le message d'espérance qui lui a été confié par Dieu » et elle répète à l'Europe: « “Le Seigneur ton Dieu est en toi, c'est lui, le héros qui apporte le salut” (
So 3,17). Son invitation à l'espérance ne se fonde pas sur une idéologie utopiste. [...] C'est, au contraire, le message éternel du salut proclamé par le Christ (cf. Mc 1,15). Avec l'autorité qui lui vient de son Seigneur, l'Église répète à l'Europe d'aujourd'hui:

Europe du troisième millénaire, “que tes mains ne défaillent pas! ” (So 3,16); ne cède pas au découragement, ne te résigne pas à des modes de penser et de vivre qui n'ont pas d'avenir, car ils ne sont pas fondés sur la ferme certitude de la Parole de Dieu! ».190

Reprenant cette invitation à l'espérance, je te le répète encore aujourd'hui, Europe qui es au début du troisième millénaire: « Retrouve-toi toi- même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines ».191 Au cours des siècles, tu as reçu le trésor de la foi chrétienne. Il fonde ta vie sociale sur les principes tirés de l'Évangile et on en voit les traces dans l'art, la littérature, la pensée et la culture de tes nations. Mais cet héritage n'appartient pas seulement au passé; c'est un projet pour l'avenir, à transmettre aux générations futures, car il est la matrice de la vie des personnes et des peuples qui ont forgé ensemble le continent européen.

190 Jean-Paul II, Homélie pour l'ouverture de la deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (1er octobre 1999), n. 3: AAS 92 (2000), pp. 174-175; La Documentation catholique 96 (1999), p. 932.
191 Discours à différentes Autorités européennes (9 novembre 1982), n. 4: AAS 75 (1983), p. 330;La Documentation catholique 79 (1982), p. 1129.

121 Ne crains pas! L'Évangile n'est pas contre toi, il est en ta faveur. Cela est confirmé par la constatation que l'inspiration chrétienne peut transformer l'ensemble des composantes politiques, culturelles et économiques en une convivialité où tous les Européens se sentent chez eux et forment une famille de nations dont d'autres régions du monde peuvent s'inspirer de manière fructueuse.

Aie confiance! Dans l'Évangile, qui est Jésus, tu trouveras l'espérance forte et durable à laquelle tu aspires. C'est une espérance fondée sur la victoire du Christ sur le péché et sur la mort. Cette victoire, il a voulu qu'elle soit tienne, pour ton salut et pour ta joie.

Sois-en sûre! L'Évangile de l'espérance ne déçoit pas. Dans les vicissitudes de ton histoire d'hier et d'aujourd'hui, c'est une lumière qui éclaire et oriente ton chemin; c'est une force qui te soutient dans l'épreuve; c'est une prophétie d'un monde nouveau; c'est le signe d'un nouveau départ; c'est une invitation à tous, croyants ou non, à tracer des chemins toujours nouveaux qui ouvrent sur l'« Europe de l'Esprit », pour en faire une véritable « maison commune » où l'on trouve la joie de vivre.



CONCLUSION

Consécration à Marie

« Un signe grandiose apparut dans le ciel:

une Femme, ayant le soleil pour manteau »

(Ap 12,1)

La femme, le dragon et l'enfant

122 L'histoire de l'Église s'accompagne de « signes » qui sont sous les yeux de tous, mais qui demandent à être interprétés. Parmi eux, l'Apocalypse présente le « signe grandiose » apparu dans le ciel, qui parle d'une lutte entre la femme et le dragon.

La femme ayant le soleil pour manteau, qui est en train d'accoucher dans la souffrance (cf.
Ap 12,1-2), peut désigner l'Israël des prophètes qui enfante le Messie, « celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer » (Ap 12,5 cf. Ps 2,9). Mais elle représente aussi l'Église, peuple de la nouvelle Alliance, en proie à la persécution, mais protégée par Dieu. Ledragon est « le serpent des origines, celui qu'on nomme Démon ou Satan, celui qui égarait le monde entier » (Ap 12,9). Le combat est inégal: le dragon semble avoir l'avantage, tant est grande son outrecuidance face à la femme sans défense et souffrante. En réalité, le vainqueur, c'est le fils que la femme vient de mettre au monde. Dans ce combat, une chose est certaine: le grand dragon a déjà été vaincu, « il fut jeté sur la terre, et ses anges avec lui » (Ap 12,9). Ceux qui l'ont vaincu, ce sont le Christ, Dieu fait homme, par sa mort et sa résurrection, et les martyrs, « par le sang de l'Agneau et le témoignage de leur parole » (Ap 12,11). Et même si le dragon persiste dans son opposition, il n'y a rien à craindre, car sa défaite est déjà consommée.


123 Telle est la certitude qui anime l'Église au long de son chemin, tandis qu'elle relit son histoire de toujours à partir de la femme et du dragon. La femme qui met au monde un enfant mâle nous rappelle aussi la Vierge Marie, surtout au moment où, transpercée par la souffrance au pied de la Croix, elle engendre de nouveau le Fils, comme vainqueur du prince de ce monde. Elle est confiée à Jean qui, à son tour, lui est confié (cf. Jn 19,26-27), et elle devient ainsi la Mère de l'Église. Grâce au lien qui unit Marie à l'Église, et l'Église à Marie, le mystère de la femme prend une clarté nouvelle: « En effet, Marie, présente dans l'Église comme Mère du Rédempteur, participe maternellement au “dur combat contre les puissances des ténèbres” qui se déroule à travers toute l'histoire des hommes. Et par cette identification ecclésiale avec la “femme enveloppée de soleil” (Ap 12,1), on peut dire que “l'Église, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà la perfection qui la fait sans tache ni ride” ».192

192 Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris Mater (25 mars 1987), n. RMA 47: AAS 79 (1987), p. 426; La Documentation catholique 84 (1987), p. 404.

124 L'Église entière regarde donc Marie.Grâce aux multiples sanctuaires mariaux disséminés dans toutes les nations du continent, la dévotion à Marie est très vivante et fort répandue parmi les peuples européens.

Église en Europe, continue à contempler Marie, et reconnais qu'elle apporte « sa présence et son assistance maternelles dans les problèmes multiples et complexes qui accompagnentaujourd'hui la vie des personnes, des familles et des nations » et qu'elle vient au secours « du peuple chrétien dans la lutte incessante entre le bien et le mal, afin qu'il “ne tombe pas” ou, s'il est tombé, qu'il “se relève” ».193

193 Ibid., n.
RMA 52: AAS, l.c., p. 432; La Documentation catholique, l.c., p. 406; cf. Proposition 40.


Prière à Marie, Mère de l'espérance

125 Dans cette contemplation, animée par un amour authentique, Marie nous apparaît comme la figure de l'Église qui, nourrie par l'espérance, reconnaît l'action salvifique et miséricordieuse de Dieu, à la lumière duquel elle lit son propre chemin et toute l'histoire. Elle nous aide à interpréter, aujourd'hui encore, nos itinéraires en référence à son Fils Jésus. Créature nouvelle modelée par l'Esprit Saint, Marie fait croître en nous la vertu de l'espérance.

À Elle, Mère de l'espérance et de la consolation, nous adressons avec confiance notre prière: nous lui confions l'avenir de l'Église en Europe et l'avenir de toutes les femmes et tous les hommes de ce continent:

Marie, Mère de l'espérance,
marche avec nous!
Apprends-nous à proclamer le Dieu vivant;
Aide-nous à témoigner de Jésus,
l'unique Sauveur;
rends-nous serviables envers notre prochain,
accueillants envers ceux
qui sont dans le besoin, artisans de justice,
bâtisseurs passionnés d'un monde plus juste;
intercède pour nous
qui oeuvrons dans l'histoire,
avec la certitude
que le dessein du Père s'accomplira.

Aurore d'un monde nouveau,
montre-toi la Mère de l'espérance
et veille sur nous!
Veille sur l'Église en Europe:
qu'elle soit transparente à l'Évangile;
qu'elle soit un authentique lieu
de communion;
qu'elle vive sa mission
d'annoncer, de célébrer et de servir
l'Évangile de l'espérance
pour la paix et la joie de tous.

Reine de la paix,
protège l'humanité du troisième millénaire!
Veille sur tous les chrétiens:
qu'ils avancent dans la confiance
sur le chemin de l'unité,
comme un ferment pour la concorde
sur le continent.
Veille sur les jeunes,
espérance de l'avenir,
qu'ils répondent généreusement
à l'appel de Jésus;
veille sur les responsables des nations:
qu'ils s'emploient à édifier
une maison commune,
dans laquelle soient respectés la dignité
et les droits de chacun.

Marie, donne-nous Jésus!
Fais que nous le suivions
et que nous l'aimions!
C'est lui l'espérance de l'Église,
de l'Europe et de l'humanité.
C'est lui qui vit avec nous, au milieu de nous,
dans son Église.
Avec toi, nous disons
« Viens, Seigneur Jésus! » (
Ap 22,20):
Que l'espérance de la gloire
déposée par Lui en nos coeurs
porte des fruits de justice et de paix!

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 28 juin 2003, vigile de la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul, en la vingt-cinquième année de mon pontificat.

JEAN-PAUL II




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