Ecclesia in America FR


EXHORTATION APOSTOLIQUE

POST-SYNODALE


ECCLESIA IN AMERICA

DU SAINT-PÈRE

JEAN-PAUL II

AUX ÉVÊQUES

AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES

AUX PERSONNES CONSACRÉES

ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS

SUR LA RENCONTRE AVEC LE CHRIST VIVANT,

CHEMIN DE CONVERSION,

DE COMMUNION ET DE SOLIDARITÉ

EN AMÉRIQUE



INTRODUCTION

1 L'Église en Amérique, comblée de joie en raison de la foi reçue et reconnaissante envers le Christ pour ce don immense, a récemment célébré le cinquième centenaire du début de la prédication de l'Évangile sur son territoire. Cette commémoration a rendu tous les catholiques américains plus conscients du désir du Christ de rencontrer les habitants de ce qu'on appelle le Nouveau Monde, pour les incorporer à son Église et pour se rendre ainsi présent dans l'histoire du continent. L'évangélisation de l'Amérique n'est pas seulement un don du Seigneur; elle est aussi la source de nouvelles responsabilités. Grâce à l'action de ceux qui ont évangélisé toutes les parties du continent, l'Église et l'Esprit ont donné naissance à de nombreux fils.(1) Dans le passé comme dans le présent, les paroles de l'Apôtre continuent à résonner dans leur coeur: « Annoncer l'Évangile en effet n'est pas pour moi un titre de gloire; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile! » (1Co 9,16). Ce devoir est fondé sur l'ordre donné aux Apôtres par le Seigneur ressuscité avant son Ascension au ciel: « Proclamez l'Évangile à toute la création » (Mc 16,15).

Cet ordre concerne toute l'Église; et l'Église qui est en Amérique est appelée, en ce moment particulier de son histoire, à le recevoir et à répondre avec générosité et amour au devoir fondamental de l'évangélisation. Mon prédécesseur Paul VI, premier Pape à visiter l'Amérique, le soulignait à Bogotá: « C'est à nous qu'il appartiendra, [Seigneur Jésus], en tant que tes représentants, dispensateurs de tes divins mystères (cf. 1Co 4,1 1P 4,10), de répandre les trésors de ta parole, de ta grâce, de tes exemples parmi les hommes ».(2) Pour les disciples du Christ, le devoir d'évangélisation constitue une urgence de charité: « L'amour du Christ nous presse » (2Co 5,14), affirme l'Apôtre Paul, et il rappelle ce que le Fils de Dieu a fait pour nous dans son sacrifice rédempteur: « Un seul est mort pour tous, [...] afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2Co 5,14-15).

La commémoration d'événements particulièrement évocateurs de l'amour du Christ pour nous suscite dans les esprits, en même temps que la reconnaissance, le besoin d'« annoncer les merveilles de Dieu », le besoin d'évangéliser. Ainsi, le souvenir de la récente célébration du cinquième centenaire de l'arrivée du message évangélique en Amérique, c'est-à-dire du moment où le Christ appela l'Amérique à la foi, et le prochain Jubilé au cours duquel l'Église célébrera les deux mille ans écoulés depuis l'incarnation du Fils de Dieu sont des occasions privilégiées qui font spontanément monter de notre coeur avec plus de force l'expression de notre gratitude envers le Seigneur. Consciente de la grandeur des dons reçus, l'Église qui poursuit sa marche en Amérique désire faire participer à la richesse de la foi et de la communion dans le Christ toute la société et chacun des hommes et des femmes qui vivent sur la terre américaine.

(1) L'inscription antique du baptistère de Saint-Jean de Latran est éloquente à ce sujet: « Virgineo foetu Genitrix Ecclesia natos quos spirante Deo concipit amne parit » (E. Diehl, Inscriptiones latinae christianae veteres, n. 1513, I.I.: Berolini 1925, p. 289).
(2) Homélie à l'occasion des ordinations diaconales et sacerdotales à Bogotá (22 août 1968): AAS60 (1968), pp. 614-615; La Documentation catholique 65 (1968), col. 1541.


L'idée de célébrer cette Assemblée synodale

2 Le jour même du cinq centième anniversaire du début de l'évangélisation de l'Amérique, le 12 octobre 1992, j'ai voulu ouvrir de nouveaux horizons et donner un élan renouvelé à l'évangélisation: dans l'allocution par laquelle j'inaugurais les travaux de la IVe Conférence générale de l'épiscopat latino-américain à Saint-Domingue, je proposai une rencontre synodale « afin d'accroître la coopération entre les différentes Églises particulières » pour affronter ensemble, dans l'optique de la nouvelle évangélisation et comme une expression de la communion épiscopale, « les problèmes relatifs à la justice et à la solidarité entre toutes les nations d'Amérique ».(3) L'accueil positif réservé par les épiscopats d'Amérique à ma proposition me permit d'annoncer dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente mon intention de convoquer une assemblée synodale « sur la problématique de la nouvelle évangélisation dans les deux parties de ce continent, si différentes par leur origine et leur histoire, et sur les thèmes de la justice et des rapports économiques internationaux, en tenant compte de l'énorme différence entre le Nord et le Sud ».(4) Il fut alors possible de commencer les travaux préparatoires proprement dits, pour arriver finalement à la célébration de l'Assemblée spéciale pour l'Amérique du Synode des Évêques, qui a eu lieu au Vatican du 16 novembre au 12 décembre 1997.

(3) N.
TMA 17: AAS 85 (1993), p. 820; La Documentation catholique 89 (1992), p. 1028.
(4) N. TMA 38: AAS 87 (1995), p. 30; La Documentation catholique 91 (1994), p. 1027.


Le thème de l'Assemblée

3 En accord avec l'idée initiale et après avoir pris connaissance des suggestions du Conseil pré-synodal, expression vivante de la pensée de nombreux Pasteurs du peuple de Dieu dans le continent américain, j'ai précisé le thème de l'Assemblée spéciale du Synode pour l'Amérique dans les termes suivants: « La rencontre avec le Christ vivant, chemin de conversion, de communion et de solidarité en Amérique ». Le thème ainsi formulé manifeste clairement la place centrale de la personne de Jésus Christ ressuscité, présent dans la vie de l'Église, qui appelle à la conversion, à la communion et à la solidarité. Le point de départ de ce programme d'évangélisation est, bien sûr, la rencontre avec le Seigneur. L'Esprit Saint, don du Christ dans le mystère pascal, nous guide vers les fins pastorales que l'Église en Amérique doit atteindre au cours du troisième millénaire de l'ère chrétienne.

La célébration de l'Assemblée comme expérience de rencontre

4 L'expérience vécue durant l'Assemblée a eu sans aucun doute le caractère d'une rencontre avec le Seigneur. Je me souviens avec plaisir, en particulier, des deux concélébrations solennelles que j'ai moi-même présidées dans la Basilique Saint-Pierre pour l'ouverture et la clôture des travaux de l'Assemblée. Le contact avec le Seigneur ressuscité, véritablement, réellement et substantiellement présent dans l'Eucharistie, a créé l'atmosphère spirituelle qui a permis à tous les Évêques de l'Assemblée synodale de se reconnaître non seulement comme frères dans le Seigneur mais aussi comme membres du Collège épiscopal, désireux de suivre, sous la présidence du Successeur de Pierre, les traces du Bon Pasteur, servant l'Église, en marche dans toutes les régions du continent. Tous ont pu constater la joie des participants à l'Assemblée, qui découvraient en elle une occasion exceptionnelle de rencontre avec le Seigneur, avec le Vicaire du Christ, avec les nombreux Évêques, prêtres, personnes consacrées et laïcs venus de toutes les parties du continent.

Sans aucun doute, certains facteurs précédents ont contribué, indirectement mais efficacement, à assurer ce climat de rencontre fraternelle au sein de l'Assemblée synodale. Il faut tout d'abord mentionner les expériences de communion vécues précédemment lors des Assemblées générales de l'épiscopat latino-américain à Rio de Janeiro (1955), Medellín (1968), Puebla (1979) et Saint-Domingue (1992). Lors de ces rencontres, les Pasteurs de l'Église qui est en Amérique latine avaient eu l'occasion de réfléchir ensemble, en frères, sur les questions pastorales les plus urgentes dans cette partie du continent. Il faut ajouter à ces assemblées les réunions périodiques inter-américaines d'Évêques, où les participants ont la possibilité d'élargir leur horizon aux dimensions de tout le continent, discutant sur les problèmes et les défis communs concernant l'Église dans les pays américains.


Contribuer à l'unité du continent

5 Dans la première proposition que j'ai faite à Saint-Domingue, à propos de l'éventualité de réunir une Assemblée spéciale du Synode, je signalais que, « désormais au seuil du troisième millénaire chrétien, et en un temps où sont tombées de nombreuses barrières et frontières idéologiques, l'Église ressent comme un devoir inéluctable d'unir spirituellement, et davantage encore, tous les peuples qui forment ce grand continent et, en même temps, dans le cadre de la mission religieuse qui lui est propre, d'impulser un esprit solidaire entre eux tous ».(5) Les éléments communs à tous les peuples d'Amérique, parmi lesquels ressortent une même identité chrétienne et aussi une authentique recherche de l'affermissement des liens de solidarité et de communion entre les diverses expressions du riche patrimoine culturel du continent, constituent le motif décisif qui m'a fait demander que l'Assemblée spéciale du Synode des Évêques consacre ses réflexions à l'Amérique comme à une réalité unique. Le choix d'utiliser le mot au singulier voulait exprimer non seulement l'unité déjà existante sous certains aspects, mais aussi le lien plus étroit auquel aspirent les peuples du continent et que l'Église veut fortifier, dans le cadre de sa mission, qui tend à promouvoir la communion de tous dans le Seigneur.

(5) Discours d'ouverture de la IVe Conférence générale de l'épiscopat latino-américain (Saint-Domingue, 12 octobre 1992), n. 17: AAS 85 (1993), pp. 820-821; La Documentation catholique89 (1992), p. 1028.


Dans le contexte de la nouvelle évangélisation

6 Dans la perspective du grand Jubilé de l'An 2000, j'ai voulu que l'on tienne une Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour chacun des cinq continents: après celles qui ont été consacrées à l'Afrique (1994), à l'Amérique (1997), à l'Asie (1998) et, tout récemment, à l'Océanie (1998), en cette année 1999 sera célébrée, avec l'aide du Seigneur, une nouvelle Assemblée spéciale pour l'Europe. De cette manière, pendant l'année jubilaire, on pourra tenir une Assemblée générale ordinaire qui fera la synthèse et tirera les conclusions des matériaux précieux que les diverses Assemblées continentales auront élaborés. Cela sera facilité par le fait que, dans tous ces Synodes, il y a eu des préoccupations semblables et des centres d'intérêt communs. En ce sens, me référant à cette série d'Assemblées synodales, j'ai signalé que « le thème fondamental est celui de l'évangélisation, et même de la nouvelle évangélisation, dont les bases ont été posées par l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI ».(6) C'est pourquoi, tant dans ma première déclaration sur la célébration de cette Assemblée spéciale du Synode que plus tard, lors de son annonce explicite, après que tous les épiscopats d'Amérique eurent fait leur cette idée, j'ai précisé que ses délibérations devaient se dérouler « dans l'optique de la nouvelle évangélisation »,(7) en abordant les problèmes qu'elle suscite.(8)

Cette préoccupation était d'autant plus naturelle que j'avais moi-même établi le premier plan d'une nouvelle évangélisation en terre américaine. En effet, lorsque, dans toute l'Amérique, l'Église se préparait à fêter le cinquième centenaire du début de la première évangélisation du continent, m'adressant au Conseil épiscopal latino-américain à Port-au-Prince (Haïti), j'affirmais: « La célébration du demi-millénaire d'évangélisation aura sa pleine signification dans la mesure où elle est un engagement pour vous, comme Évêques, avec vos prêtres et vos fidèles; un engagement, non de ré-évangélisation, mais d'une nouvelle évangélisation. Nouvelle en son ardeur, dans ses méthodes, dans son expression ».(9) Par la suite, j'ai invité toute l'Église à mener à bonne fin cette exhortation, bien que le programme d'évangélisation, visant la grande diversité que présente aujourd'hui l'ensemble du monde, doive se diversifier à la lumière, principalement, de deux situations clairement différentes: celle des pays fortement touchés par la sécularisation, et celle des autres pays où « l'on conserve encore beaucoup de traditions très vivantes de piété et de sentiment chrétien ».(10) Il s'agit, bien sûr, de deux situations qui existent, à des degrés divers, dans différents pays, ou mieux peut-être en divers milieux concrets à l'intérieur des pays eux-mêmes du continent américain.

(6) Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n.
TMA 21: AAS 87 (1995), p. 17;La Documentation catholique 91 (1994), p. 1022.
(7) Discours d'ouverture de la IVe Conférence générale de l'épiscopat latino-américain (Saint-Domingue, 12 octobre 1992), n. 17: AAS 85 (1993), p. 820; La Documentation catholique 89 (1992), p. 1028.
(8) Cf. Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. TMA 38: AAS 87 (1995), p. 30; La Documentation catholique 91 (1994), p. 1027.
(9) Discours à l'Assemblée du CELAM (9 mars 1983), III: AAS 75 (1983), p. 778; La Documentation catholique 80 (1983), p. 438.
(10) Exhortation apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. CL 34: AAS 81 (1989), p. 454; La Documentation catholique 86 (1989), p. 172.


Avec la présence et l'aide du Seigneur

7 La mission d'évangéliser, que le Seigneur ressuscité a confiée à son Église, s'accompagne de la certitude, fondée sur sa promesse, qu'il continue à vivre et à agir parmi nous: « Voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). Cette présence mystérieuse du Christ dans son Église est pour elle une garantie de réussite dans la réalisation de la tâche qui lui a été confiée. En même temps, cette présence rend possible notre rencontre avec Lui, comme Fils envoyé par le Père, comme Seigneur de la Vie qui nous communique son Esprit. Une rencontre renouvelée avec Jésus Christ rendra tous les membres de l'Église en Amérique conscients du fait qu'ils sont appelés à continuer la mission du Rédempteur sur leurs terres.

La rencontre personnelle avec le Seigneur, si elle est authentique, apportera aussi avec elle le renouveau ecclésial: les Églises particulières du continent, comme Églises soeurs et voisines les unes des autres, feront croître les liens de coopération et de solidarité pour prolonger et rendre plus incisive l'oeuvre de salut du Christ dans l'histoire de l'Amérique. Dans une attitude d'ouverture à l'unité, fruit d'une communion authentique avec le Seigneur ressuscité, les Églises particulières, et en elles les membres eux-mêmes, découvriront, à travers leur expérience spirituelle, que « la rencontre avec le Christ vivant » est un « chemin de conversion, de communion et de solidarité ». Et, dans la mesure où ces fins seront atteintes, on rendra possible un engagement toujours plus fort dans la nouvelle évangélisation de l'Amérique.


CHAPITRE I

LA RENCONTRE AVEC LE CHRIST VIVANT


« Nous avons rencontré le Messie » (Jn 1,41)


Les rencontres avec le Seigneur dans le Nouveau Testament

8 Les Évangiles rapportent de nombreuses rencontres de Jésus avec des hommes et des femmes de son temps. La caractéristique commune à tous ces récits est la force transformante que les rencontres avec Jésus portent en elles et révèlent, car « elles ouvrent à un véritable chemin de conversion, de communion et de solidarité ».(11) Le récit de la rencontre avec la Samaritaine est parmi les plus significatifs (cf. Jn 4,5-42). Jésus l'interpelle pour étancher sa soif, qui n'était pas seulement une soif physique: en réalité, « celui qui cherchait à boire avait soif de la foi de cette femme ».(12) En lui disant « Donne-moi à boire » (Jn 4,7) et en lui parlant de l'eau vive, le Seigneur suscite chez la Samaritaine une demande, presque une prière, dont le but véritable dépasse ce qu'elle est en mesure de comprendre à ce moment-là: « Seigneur... donne-moi de cette eau afin que je n'aie plus soif » (Jn 4,15). Même si « elle ne comprend pas encore »,(13) la Samaritaine demande en réalité l'eau vive dont lui parle son divin interlocuteur. Quand Jésus lui révèle sa messianité (cf. Jn 4,26), elle se sent poussée à annoncer à ses concitoyens sa découverte du Messie (cf. Jn 4,28-30). De même, dans la rencontre de Jésus avec Zachée (cf. Lc 19,1-10), le fruit le plus précieux est la conversion du publicain, qui prend conscience des injustices qu'il a commises et décide de restituer largement — « le quadruple » — à ceux qu'il avait volés. Il se place en outre dans une perspective de détachement vis-à-vis des biens matériels et de charité envers ceux qui sont dans le besoin, au point de donner aux pauvres la moitié de ses richesses.

Il faut accorder une attention particulière aux rencontres avec le Christ ressuscité, telles qu'elles sont racontées dans le Nouveau Testament. Grâce à sa rencontre avec le Ressuscité, Marie-Madeleine surmonte le découragement et la tristesse qui l'avaient envahie à la mort du Maître (cf. Jn 20,11-18). Dans sa nouvelle dimension pascale, Jésus l'envoie annoncer aux disciples qu'il est ressuscité: « Va trouver mes frères » (Jn 20,17). C'est pourquoi Marie-Madeleine a pu être appelée « l'apôtre des Apôtres ».(14) Pour leur part, après avoir rencontré et reconnu le Seigneur ressuscité, les disciples d'Emmaüs retournent à Jérusalem pour raconter aux Apôtres et aux autres disciples ce qui vient de leur arriver (cf. Lc 24,13-35). Jésus, « commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24,27). Et eux reconnaîtront plus tard que leur coeur était tout brûlant quand il leur parlait en chemin et leur expliquait les Écritures (cf. Lc 24,32). Il n'y a pas de doute qu'en racontant cet épisode et surtout le moment décisif où les disciples reconnaissent Jésus, saint Luc fait une allusion explicite aux récits de l'institution de l'Eucharistie, c'est-à-dire à tout ce que Jésus a fait durant la dernière Cène (cf. Lc 24,30). Pour rapporter ce que les disciples d'Emmaüs racontent aux Onze, l'évangéliste utilise une expression qui, dans l'Église naissante, avait une signification eucharistique précise: « Ils l'avaient reconnu à la fraction du pain » (Lc 24,35).

L'une des rencontres avec le Seigneur ressuscité qui ont eu une influence décisive dans l'histoire du christianisme est sans aucun doute la conversion de Saul, celui qui deviendra Paul, l'Apôtre des Nations. C'est là, sur le chemin de Damas, qu'un changement radical s'est opéré dans sa vie: de persécuteur, il est devenu Apôtre (cf. Ac 9,3-30 Ac 22,6-11 Ac 26,12-18). Paul lui-même parle de cette expérience extraordinaire comme d'une révélation du Fils de Dieu « pour que je l'annonce parmi les païens » (Ga 1,16).

Le Seigneur respecte toujours la liberté de ceux qu'il appelle. Il y a des cas où l'homme qui rencontre Jésus refuse le changement de vie auquel il l'invite. Bien des contemporains de Jésus l'ont vu et entendu, et cependant ils ne se sont pas ouverts à sa parole. L'Évangile de saint Jean indique le péché comme ce qui empêche l'être humain de s'ouvrir à la lumière qui est le Christ: « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs oeuvres étaient mauvaises » (Jn 3,19). Les textes évangéliques montrent que l'attachement aux richesses constitue un obstacle à l'accueil de l'appel à suivre Jésus de manière radicale et généreuse. Le cas du jeune homme riche est typique à cet égard (cf. Mt 19,16-22 Mc 10,17-22 Lc 18,18-23).

(11) Proposition 3.
(12) S. Augustin, Traité sur l'Évangile de Jean 15, 11: CCL 36, 154.
(13) Ibid., 15, 17: l.c., 156.
(14) « Salvator... ascensionis suae eam (Mariam Magdalenam) ad apostolos instituit apostolam ». Raban Maur, De vita beatae Mariae Magdalenae, 27: PL 112, 1574. Cf. S. Pierre Damien, Sermo 56: PL 144, 820; Hugues de Cluny, Commonitorium: PL 159, 952; S. Thomas d'Aquin, In Joh. Evang. expositio, 20, 3.


Rencontres personnelles et rencontres communautaires

9 Certaines rencontres de Jésus, rapportées par les Évangiles, sont des rencontres tout à fait personnelles, comme par exemple les appels à une vocation particulière (cf. Mt 4,19 Mt 9,9 Mc 10,21 Lc 9,59). Dans ces rencontres, Jésus fait entrer ses interlocuteurs dans son intimité: « Rabbi — ce qui veut dire Maître —, où demeures-tu? » [...] « Venez et voyez » (Jn 1,38-39). En d'autres circonstances au contraire, les rencontres ont un caractère communautaire. Il s'agit notamment des rencontres avec les Apôtres, qui sont d'une importante capitale pour la constitution de l'Église. C'est ainsi que les Apôtres, choisis par Jésus dans le cercle plus large des disciples (cf. Mc 3,13-19 Lc 6,12-16), reçoivent de lui une formation spéciale et profitent d'un enseignement plus intime. Aux foules, Jésus parle en paraboles, mais il les explique aux Douze: « À vous il a été donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, tandis qu'à ces gens-là cela n'a pas été donné » (Mt 13,11). Les Apôtres sont appelés à annoncer la Bonne Nouvelle et à accomplir une mission particulière pour édifier l'Église par la grâce des sacrements. À cette fin, ils reçoivent le pouvoir nécessaire: Jésus leur confère le pouvoir de pardonner les péchés, en se référant à la plénitude de ce même pouvoir que le Père lui a donné au ciel et sur la terre (cf. Mt 28,18). Ils seront les premiers à recevoir le don du SaintEsprit (cf. Ac 2,1-4), don qui par la suite sera communiqué à ceux qui, grâce aux sacrements de l'initiation chrétienne, seront incorporés à la Communauté des croyants (cf. Ac 2,38).


La rencontre avec le Christ dans le temps de l'Église

10 L'Église constitue le lieu où les hommes, en rencontrant Jésus, peuvent découvrir l'amour du Père, car celui qui a vu Jésus a vu le Père (cf. Jn 14,9). Après être monté au ciel, Jésus continue à agir par la puissance de l'Esprit Paraclet (cf. Jn 16,7), qui transforme les croyants en leur donnant la vie nouvelle. C'est ainsi que ceux-ci deviennent capables d'aimer avec l'amour même de Dieu, « répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné » (Rm 5,5). La grâce divine rend en outre les chrétiens aptes à oeuvrer à la transformation du monde pour y instaurer ce que mon prédécesseur Paul VI appela si justement « la civilisation de l'amour ».(15)

En effet, « le Verbe de Dieu, en prenant sur lui notre nature humaine, à l'exception du péché (cf. He 4,15), manifeste le dessein du Père qui est de révéler à la personne humaine la manière d'arriver à la plénitude de sa vocation [...]. Ce faisant, Jésus non seulement réconcilie l'homme avec Dieu mais il le réconcilie aussi avec luimême, en lui révélant sa nature ».(16) Par ces mots, les Pères du Synode, s'appuyant sur le Concile Vatican II, ont redit que Jésus est le chemin à suivre pour parvenir à la pleine réalisation de soi, qui est la rencontre définitive et éternelle avec Dieu. « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi » (Jn 14,6). Dieu nous a « prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères » (Rm 8,29). Jésus Christ est bien la réponse définitive à la question sur le sens de la vie et aux interrogations fondamentales qui angoissent tant d'hommes et de femmes aujourd'hui sur le continent américain.

(15) Allocution pour la clôture de l'Année Sainte (25 décembre 1975): AAS 68 (1976), p. 145.
(16) Proposition 9: cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. sur l'Église dans le monde de ce tempsGaudium et spes, n. GS 22.


Par Marie, nous rencontrons Jésus

11 À la naissance de Jésus, les mages venus de l'Orient arrivèrent à Bethléem et « virent l'Enfant avec Marie sa Mère » (Mt 2,11). Au début de sa vie publique, quand le Fils de Dieu, aux noces de Cana, accomplit son premier signe qui suscite la foi des disciples (cf. Jn 2,11), c'est Marie qui intervient et qui oriente les serviteurs vers son Fils en leur disant: « Tout ce qu'il vous dira, faites-le » (Jn 2,5). J'ai eu l'occasion d'écrire à ce sujet: « La Mère du Christ se présente devant les hommes comme porte-parole de la volonté du Fils, celle qui montre quelles exigences doivent être satisfaites afin que puisse se manifester la puissance salvifique du Messie ».(17) C'est pourquoi Marie est une voie sûre pour rencontrer le Christ. La dévotion envers la Mère du Seigneur, quand elle est authentique, conduit toujours à orienter sa propre vie selon l'esprit et les valeurs de l'Évangile.

Comment alors ne pas mettre en lumière le rôle de la Vierge dans la vie de l'Église en Amérique qui marche à la rencontre de son Seigneur? La Sainte Vierge, en effet, « est liée de manière particulière à la naissance de l'Église dans l'histoire [...] des peuples de l'Amérique, qui, par Marie, sont arrivés à la rencontre avec le Seigneur ».(18)

Dans toutes les parties du continent, et cela depuis l'époque de la première évangélisation, la présence de la Mère de Dieu a été forte, grâce aux efforts des missionnaires. Par leur prédication, « l'Évangile a été annoncé en présentant la Vierge Marie comme modèle de sa réalisation la plus haute. Depuis les origines — invoquée sous le titre de Notre-Dame de Guadalupe —, Marie est apparue comme un signe éclatant, au visage maternel et miséricordieux, de la proximité du Père et du Fils avec lesquels elle nous invite à entrer en communion ».(19)

L'apparition de Marie à l'Indien Juan Diego sur la colline de Tepeyac, en 1531, eut des répercussions décisives pour l'évangélisation.(20) Son influence dépasse largement les frontières du Mexique et s'étend au continent tout entier. Et l'Amérique, qui a été au long de son histoire et qui demeure un creuset de peuples, a reconnu dans le visage métissé de la Vierge de Tepeyac « le grand exemple d'évangélisation parfaitement inculturée qu'est sainte Marie de Guadalupe ».(21) C'est pourquoi, non seulement au centre et au sud mais aussi au nord du continent, la Vierge de Guadalupe est vénérée comme la Reine de toute l'Amérique.(22)

À mesure que le temps passait, les Pasteurs comme les fidèles ont eu une conscience toujours plus vive du rôle de la Vierge dans l'évangélisation du continent. Dans la prière composée à l'occasion de l'Assemblée spéciale pour l'Amérique du Synode des Évêques, la Vierge Sainte de Guadalupe est invoquée comme « Patronne de toute l'Amérique, Étoile de la première et de la nouvelle évangélisation ». Dans cet esprit, j'accueille avec joie la proposition faite par les Pères du Synode que le 12 décembre soit célébrée dans tout le continent la fête de Notre-Dame de Guadalupe, Mère et Évangélisatrice de l'Amérique.(23) Et je nourris dans mon coeur la ferme espérance que Celle dont l'intercession a obtenu que soit fortifiée la foi des premiers disciples (cf. Jn 2,11) guidera par sa maternelle intercession l'Église dans ce continent et lui obtiendra l'effusion de l'Esprit Saint comme sur l'Église naissante (cf. Ac 1,14), afin que la nouvelle évangélisation produise des fruits abondants de vie chrétienne.

(17) Encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987), n. RMA 21: AAS 79 (1987), p. 369; La Documentation catholique 84 (1987), pp. 391-392.
(18) Proposition 5.
(19) IIIe Conférence générale de l'épiscopat latino-américain (Puebla, février 1979), Message aux peuples de l'Amérique latine, n. 282. Pour les États-Unis d'Amérique, cf. National Conference of Catholic Bishops, Behold Your Mother Woman of Faith (Washington 1973), pp. 53-55.
(20) Cf. Proposition 6.
(21) Jean-Paul II, Discours d'ouverture de la IVe Conférence générale de l'épiscopat latino-américain (Saint-Domingue, 12 octobre 1992), n. 24: AAS 85 (1993), p. 826; La Documentation catholique 89 (1992), p. 1030.
(22) Cf. National Conference of Catholic Bishops, Behold Your Mother Woman of Faith(Washington 1973), p. 37.
(23) Cf. Proposition 6.


Les lieux de rencontre avec le Christ

12 En s'appuyant avec confiance sur l'aide de Marie, l'Église en Amérique désire conduire les hommes et les femmes de ce continent à la rencontre avec le Christ, d'où jaillit une authentique conversion et un engagement renouvelé de communion et de solidarité. Une telle rencontre contribuera efficacement à fortifier la foi de nombreux catholiques, pour qu'elle mûrisse, devenant une foi assurée, vive et active.

Pour que la recherche du Christ présent dans son Église ne soit pas réduite à une pure abstraction, il est nécessaire de mettre en évidence les lieux et les moments concrets où, à l'intérieur de l'Église, on peut le rencontrer. À cet égard, la réflexion des Pères synodaux a suscité une grande richesse de suggestions et d'observations.

Tout d'abord, ils ont souligné l'importance de « l'Écriture sainte lue à la lumière de la Tradition et du Magistère, approfondie dans la méditation et l'oraison ».(24) Ils ont recommandé d'encourager la connaissance des Évangiles, dans lesquels est décrite, avec des mots facilement compréhensibles par tous, la manière dont Jésus a vécu parmi les hommes. Si, en lisant ces textes sacrés, on sait se mettre dans une attitude d'écoute semblable à celle des foules qui écoutaient Jésus sur les pentes du Mont des Béatitudes ou sur les rives du lac de Tibériade tandis qu'il prêchait depuis la barque, on recueille d'une telle lecture d'authentiques fruits de conversion du coeur.

Un deuxième lieu de rencontre avec Jésus est la sainte Liturgie.(25) Le Concile Vatican II nous a offert une riche exposition de la présence multiforme du Christ dans la liturgie, dont l'importance doit inciter à en faire l'objet d'une constante prédication: le Christ est présent dans le célébrant qui renouvelle sur l'autel le même et unique Sacrifice de la Croix; il est présent dans les sacrements, par lesquels il exerce sa force efficace. Quand est proclamée sa parole, c'est Lui-même qui nous parle. Il est encore présent au sein de la communauté, car il a dit: « Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux » (
Mt 18,20). Il est présent « au plus haut degré sous les espèces eucharistiques ».(26) Mon prédécesseur Paul VI a estimé nécessaire d'expliquer la particularité de la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. « On la nomme 'réelle', non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas 'réelles', mais par antonomase, parce qu'elle est substantielle ».(27) Sous les espèces du pain et du vin, « le Christ tout entier est présent en saréalité physique, et même corporelle ».(28)

L'Écriture et l'Eucharistie, lieux de rencontre avec le Christ, sont évoquées par le récit de l'apparition du Ressuscité aux disciples d'Emmaüs. Mais le texte de l'Évangile sur le jugement dernier (cf. Mt 25,31-46), où il est dit que nous serons jugés sur l'amour envers ceux qui sont dans le besoin, dans lesquels le Seigneur Jésus est mystérieusement présent, ce texte montre que l'on ne peut négliger un troisième lieu de rencontre avec le Christ: « les personnes, spécialement les pauvres, auxquelles le Christ s'identifie ».(29) À la clôture du Concile Vatican II, le Pape Paul VI rappelait que « dans le visage de tout homme, surtout si les larmes et les souffrances l'ont rendu plus transparent, il faut reconnaître le visage du Christ (cf. Mt 25,40), le Fils de l'homme ».(30)

(24) Proposition 4.
(25) Cf. ibid.
(26) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. SC 7.
(27) Encycl. Mysterium fidei (3 septembre 1965): AAS 57 (1965), p. MF 764; La Documentation catholique 62 (1965), col. 1643.
(28) Ibid.: AAS, l.c., p. MF 766; La Documentation catholique, l.c., col. 1645.
(29) Proposition 4.
(30) Allocution à la dernière session publique du Concile Vatican II (7 décembre 1965): AAS 58 (1966), p. 58; La Documentation catholique 63 (1966), col. 65.


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