Ecclesia in America FR 53

La doctrine de l'Église, expression des exigences de la conversion

53 Alors que le relativisme et le subjectivisme connaissent une diffusion préoccupante dans le domaine de la doctrine morale, l'Église en Amérique est appelée à annoncer avec une vigueur renouvelée que la conversion consiste en l'adhésion à la personne de Jésus Christ, avec toutes les implications théologiques et morales mises en lumière par le Magistère ecclésial. Il faut reconnaître « le rôle que jouent, dans cette perspective, les théologiens, les catéchistes et les enseignants de religion qui, en exposant la doctrine de l'Église dans la fidélité au Magistère, coopèrent directement à la juste formation de la conscience des fidèles ». (197) Si nous croyons que Jésus est la Vérité (cf. Jn 14,6), nous ne pouvons pas ne pas désirer ardemment être ses témoins pour faire avancer nos frères vers la pleine vérité qui demeure dans le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité pour le salut du genre humain. « De cette façon nous pourrons être, en ce monde, des flammes vivantes de foi, d'espérance et de charité ». (198)

(197) Proposition 68.
(198) Ibid.

La doctrine sociale de l'Église

54 Face aux graves problèmes d'ordre social qui, avec des caractéristiques diverses, sont présents dans toute l'Amérique, le catholique sait qu'il peut trouver dans la doctrine sociale de l'Église la réponse d'où il faut partir pour découvrir les solutions concrètes. Répandre cette doctrine constitue donc une authentique priorité pastorale. En conséquence, il est important « qu'en Amérique les agents de l'évangélisation (Évêques, prêtres, enseignants, animateurs pastoraux, etc...) assimilent ce trésor qu'est la doctrine sociale de l'Église et que, éclairés par elle, ils deviennent capables de lire la réalité actuelle et de chercher des chemins pour l'action ». (199) À ce propos, la formation des fidèles laïcs capables de travailler, au nom de leur foi au Christ, à la transformation des réalités terrestres, doit être privilégiée. De plus, il sera opportun de promouvoir et de soutenir l'étude de cette doctrine dans toutes les sphères des Églises particulières en Amérique, surtout dans le domaine universitaire, pour qu'elle soit connue avec une plus grande profondeur et appliquée à la société américaine. La réalité sociale complexe de ce continent est un terrain fécond pour l'analyse et pour l'application des principes universels de cette doctrine.

Pour atteindre cet objectif, un résumé ou une synthèse autorisée de la doctrine sociale catholique, éventuellement sous forme de « catéchisme », qui montre la relation existant entre cette doctrine et la nouvelle évangélisation, serait très utile. La partie que le Catéchisme de l'Église catholiqueconsacre à cette matière, à propos du septième commandement du décalogue, pourrait constituer le point de départ de ce « catéchisme de la doctrine sociale catholique ». Naturellement, comme l'a fait le Catéchisme de l'Église catholique, cette synthèse se limiterait à formuler les principes généraux, laissant à des développements ultérieurs en vue de la mise en pratique le soin d'étudier les problèmes liés aux diverses situations locales. (200)

Dans la doctrine sociale de l'Église, le droit à un travail digne occupe une place importante. C'est pourquoi, face au taux élevé de chômage qui affecte de nombreux pays américains et aux dures conditions dans lesquelles se trouvent beaucoup de travailleurs dans l'industrie et dans les campagnes, « il est nécessaire de considérer le travail comme un élément de la réalisation et de la dignité de la personne humaine. C'est une responsabilité éthique pour une société organisée de promouvoir et de soutenir une culture du travail ». (201)

(199) Proposition 69.
(200) Cf. Synode des Évêques, Deuxième Assemblée générale extraordinaire, Rapport finalL'Église, sous la Parole de Dieu, célébrant les mystères du Christ pour le salut du monde (7 décembre 1985), II, B, a, 4: Ench. Vat. 9, n. 1797, La Documentation catholique 83 (1986), p. 39; Jean-Paul II, Const. apost. Fidei depositum (11 octobre 1992): AAS 86 (1994), p. 117, La Documentation catholique 90 (1993), p. 2-3; Catéchisme de l'Église catholique, n.
CEC 24.
(201) Proposition 69.


Mondialisation de la solidarité

55 Le phénomène complexe de la mondialisation, comme je l'ai rappelé précédemment, est l'une des caractéristiques du monde actuel que l'on trouve particulièrement en Amérique. Dans cette réalité multiforme, l'aspect économique revêt une grande importance. Par sa doctrine sociale, l'Église offre une contribution valable à la problématique de l'économie actuelle mondialisée. Sa position morale en cette matière « s'appuie sur les trois pierres angulaires fondamentales de la dignité humaine, de la solidarité et de la subsidiarité ». (202) L'économie mondialisée doit être analysée à la lumière des principes de la justice sociale, en respectant l'option préférentielle pour les pauvres, qui doivent être mis en mesure de se défendre dans une économie mondialisée, et les exigences du bien commun international. En réalité, « la doctrine sociale de l'Église est la position morale qui vise à stimuler les gouvernements, les institutions et les organisations privées, afin qu'ils préparent un avenir conforme à la dignité de toute personne. Dans cette perspective, on peut envisager les questions qui se rapportent à la dette extérieure, à la corruption politique intérieure et à la discrimination aussi bien à l'intérieur des nations qu'entre elles ». (203)

L'Église en Amérique est appelée non seulement à promouvoir une plus grande union entre les nations, contribuant ainsi à créer une authentique culture mondialisée de la solidarité, (204) mais encore à collaborer par tous les moyens légitimes à la réduction des effets négatifs de la mondialisation, tels que la domination des plus forts sur les plus faibles, spécialement dans le domaine économique, et la perte des valeurs des cultures locales en faveur d'une uniformisation mal comprise.

(202) Proposition 74.
(203) Ibid.
(204) Cf. Proposition 67.


Péchés sociaux qui crient vers le ciel

56 À la lumière de la doctrine sociale de l'Église, on évalue aussi plus clairement la gravité des « péchés sociaux qui crient vers le ciel, parce qu'ils engendrent la violence, brisent la paix et l'harmonie entre les communautés d'un même pays, entre les pays et entre les diverses régions du continent ». (205) Parmi eux on doit rappeler « le commerce de la drogue, le recyclage des bénéfices illicites, la corruption dans quelque domaine que ce soit, la violence terroriste, la course aux armements, la discrimination raciale, les inégalités entre les groupes sociaux, la destruction irraisonnée de la nature ». (206) Ces péchés manifestent une crise profonde due à la perte du sens de Dieu et à l'absence des principes moraux qui doivent guider la vie de tout homme. Sans références morales, on tombe dans la soif illimitée de la richesse et du pouvoir, qui obscurcit toute vision évangélique de la réalité sociale.

Assez souvent, cela conduit certaines instances publiques à négliger la situation sociale. Dans de nombreux pays américains domine toujours plus un système connu comme « néolibéralisme »; ce système, faisant référence à une conception économique de l'homme, considère le profit et les lois du marché comme des paramètres absolus au détriment de la dignité et du respect de la personne et du peuple. Il a parfois évolué vers une justification idéologique de certaines attitudes et de certaines façons de faire dans le domaine social et politique qui provoquent l'exclusion des plus faibles. En réalité, les pauvres sont toujours plus nombreux, victimes de politiques déterminées et de structures souvent injustes. (207)

La meilleure réponse à cette situation dramatique, en partant de l'Évangile, est la promotion de la solidarité et de la paix, en vue de la réalisation effective de la justice. À cette fin, il faut encourager et aider ceux qui sont des exemples d'honnêteté dans l'administration des finances publiques et de la justice. De même, il faut aussi appuyer le processus de démocratisation en cours en Amérique, (208) car dans un système démocratique les possibilités de contrôle sont plus grandes pour permettre d'éviter les abus.

« L'État de droit est la condition nécessaire pour établir une authentique démocratie ». (209) Pour que celle-ci puisse se développer, l'éducation civique et la promotion de l'ordre public et de la paix sont indispensables. En effet, « il n'y a pas de démocratie authentique et stable sans justice sociale. C'est pourquoi il faut que l'Église porte une plus grande attention à la formation des consciences, qu'elle prépare des dirigeants sociaux pour la vie publique à tous les niveaux, qu'elle encourage l'éducation civique, l'observance de la loi et des droits humains, et qu'elle fasse un plus grand effort pour la formation éthique de la classe politique ». (210)

(205) Proposition 70.
(206) Ibid.
(207) Cf. Proposition 73.
(208) Cf. Proposition 70.
(209) Proposition 72.
(210) Ibid.


Le fondement ultime des droits humains

57 Il convient de rappeler que le fondement sur lequel s'appuient tous les droits humains est la dignité de la personne. « Le chef-d'oeuvre divin, l'homme, est image et ressemblance de Dieu. Jésus a assumé notre nature à l'exception du péché; il a promu et défendu la dignité de toute personne humaine sans exception; il est mort pour la liberté de tous. L'Évangile nous montre que le Christ a exalté la place centrale de la personne humaine dans l'ordre naturel (cf. Lc 12,22-29), dans l'ordre social et dans l'ordre religieux, ainsi que par rapport à la Loi (cf. Mc 2,27), défendant l'homme et aussi la femme (cf. Jn 8,11) et les enfants (cf. Mt 19,13-15), qui, de son temps et dans sa culture, occupaient une place secondaire à l'intérieur de la société. Les droits humains et les devoirs inhérents proviennent de la dignité de l'homme en tant que fils de Dieu ». (211) Pour cette raison, « toute offense à la dignité de l'homme est une offense à Dieu lui-même, dont il est l'image ». (212) Cette dignité est commune à tous les hommes sans exception, car tous ont été créés à l'image de Dieu (cf. Gn Gn 1,26). La réponse de Jésus à la question « qui est mon prochain? » (Lc 10,29) exige de chacun une attitude de respect pour la dignité de l'autre et de sollicitude attentive à son égard, même s'il s'agit d'un étranger ou d'un ennemi (cf. Lc 10,30-37). Dans l'ensemble de l'Amérique, depuis quelque temps on a de plus en plus conscience que les droits humains doivent être respectés, mais il reste encore beaucoup à faire si l'on considère les violations des droits des personnes et des groupes sociaux encore en cours sur le continent.

(211) Ibid.

L'amour préférentiel pour les pauvres et les exclus

58 « L'Église en Amérique doit incarner dans ses initiatives pastorales la solidarité de l'Église universelle envers les pauvres et les exclus de toute sorte. Son attitude doit inclure l'assistance, la promotion, la libération et l'accueil fraternel. L'objectif de l'Église est qu'il n'y ait aucun exclus ». (213) Le souvenir des sombres chapitres de l'histoire de l'Amérique, concernant la pratique de l'esclavage et d'autres situations de discrimination sociale, ne peut pas ne pas susciter un désir sincère de conversion qui conduise à la réconciliation et à la communion.

L'attention aux plus nécessiteux découle du choix d'aimer les pauvres de manière préférentielle. Il s'agit d'un amour qui n'est pas exclusif et qui ne peut donc pas être interprété comme un signe de partialité ou de sectarisme; (214) en aimant les pauvres, le chrétien se conforme à l'attitude du Seigneur, qui, durant sa vie terrestre, s'est consacré aux besoins des personnes pauvres spirituellement et matériellement, avec des sentiments de compassion particulière.

L'oeuvre de l'Église en faveur des pauvres dans toutes les régions du continent est importante; on doit cependant continuer à travailler pour que cette ligne d'action pastorale soit toujours plus orientée vers la rencontre avec le Christ, qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre pour nous afin de nous enrichir par sa pauvreté (cf.
2Co 8,9). Il faut intensifier et étendre ce qui se fait déjà dans ce domaine, afin d'atteindre le plus grand nombre possible de pauvres. La Sainte Écriture rappelle que Dieu écoute le cri des pauvres (cf. Ps 34 [33], 7), et l'Église doit être attentive au cri des plus nécessiteux. Écoutant leur voix, « elle doit vivre avec les pauvres et participer à leurs souffrances. [...] Par son style de vie, ses priorités, ses paroles et ses actes, elle doit témoigner qu'elle est en communion et en solidarité avec eux ». (215)

(212) IIIe Conférence générale de l'Épiscopat latino-américain (Puebla, février 1979), Message aux peuples de l'Amérique latine, n. 306.
(213) Proposition 73.
(214) Cf. Congrégation pour la doctrine de la foi, Instr. sur la liberté chrétienne et la libérationLibertatis conscientia (22 mars 1986), n. 68: AAS 79 (1987), pp. 583-584; La Documentation catholique 83 (1986), p. 404.
(215) Proposition 73.

La dette extérieure

59 L'existence d'une dette extérieure qui étouffe beaucoup de peuples du continent américain constitue un problème complexe. Sans pour autant entrer dans ses nombreux aspects, l'Église, dans sa sollicitude pastorale, ne peut pas ignorer ce problème, car il concerne la vie d'un grand nombre de personnes. C'est pourquoi diverses Conférences épiscopales en Amérique, conscientes de la gravité de cette question, ont organisé à ce sujet des rencontres d'étude et ont publié des documents visant à proposer des solutions concrètes. (216) Moi-même, j'ai exprimé plusieurs fois ma préoccupation face à cette situation, devenue en certains cas insoutenable. Dans la perspective du grand Jubilé de l'An 2000, maintenant tout proche, et me souvenant de la signification sociale que les jubilés revêtaient dans l'Ancien Testament, j'ai écrit: « Dans l'esprit du Livre du Lévitique (25, 8-12), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations ». (217)

J'exprime à nouveau le souhait, repris par le Synode, que le Conseil pontifical « Justice et Paix », avec d'autres organismes compétents comme la Section pour les Relations avec les États de la Secrétairerie d'État, « cherche, par l'étude et le dialogue avec des représentants du Premier Monde et avec des responsables de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, des voies de solution au problème de la dette extérieure ainsi que des normes qui empêchent que de telles situations se reproduisent à l'occasion de futurs emprunts ». (218) Au niveau le plus large possible, il serait opportun que « des experts en économie et en questions monétaires, de renommée internationale, procèdent à une analyse critique de l'ordre économique mondial, dans ses aspects positifs et négatifs, pour corriger l'ordre actuel et proposer un système et des mécanismes en mesure d'assurer le développement intégral et solidaire des personnes et des peuples ». (219)

(216) Cf. Proposition 75.
(217) Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n.
TMA 51: AAS 87 (1995), p. 36;La Documentation catholique 91 (1994), p. 1030.
(218) Proposition 75.
(219) Ibid.

La lutte contre la corruption

60 En Amérique aussi, le phénomène de la corruption est notablement répandu. L'Église peut contribuer efficacement à éradiquer ce mal de la société civile par « une plus grande présence de laïcs chrétiens qualifiés qui, par leur éducation familiale, scolaire et paroissiale, encouragent la pratique de valeurs comme la vérité, l'honnêteté, le travail et le service du bien commun ». (220) Pour atteindre cet objectif, comme pour éclairer tous les hommes de bonne volonté désireux de mettre fin aux maux qui découlent de la corruption, il faut enseigner et répandre le plus possible la partie qui correspond à cette question dans le Catéchisme de l'Église catholique, en encourageant en même temps, chez les catholiques de chaque pays, la connaissance des documents publiés à ce sujet par les Conférences épiscopales des autres pays. (221) Les chrétiens ainsi formés contribueront de façon significative à résoudre ce problème, en s'engageant à mettre en pratique la doctrine sociale de l'Église sous tous les aspects qui touchent leur vie et dans les situations où ils peuvent apporter leur contribution.

(220) Proposition 37.
(221) Cf. ibid.; sur la publication de ces textes, cf. JeanPaul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. IV: AAS 90 (1998), p. 657; La Doumentation catholique 95 (1998), pp. 757-758.

Le problème de la drogue

61 En ce qui concerne le grave problème du commerce de la drogue, l'Église en Amérique peut collaborer efficacement avec les responsables des pays, les dirigeants d'entreprises privées, les organisations non gouvernementales et les instances internationales, pour développer des projets visant à abolir ce commerce qui menace l'intégrité des peuples en Amérique. (222) Cette collaboration doit s'étendre aux institutions législatives, en appuyant les initiatives qui empêchent le « recyclage d'argent », favorisent le contrôle des biens de ceux qui sont impliqués dans ce trafic, et font en sorte que la production et le commerce des substances chimiques dont on obtient la drogue se réalisent conformément aux normes législatives. L'urgence et la gravité du problème rendent impérieux un appel aux divers milieux et groupes de la société civile, afin de lutter ensemble contre le commerce de la drogue. (223) Pour ce qui regarde spécifiquement les Évêques, il est nécessaire — selon une suggestion des Pères synodaux — qu'eux-mêmes, comme Pasteurs du peuple de Dieu, dénoncent avec force et courage l'hédonisme, le matérialisme et les styles de vie qui conduisent facilement à la drogue. (224)

Il faut aussi se souvenir qu'il est nécessaire d'aider les agriculteurs pauvres, afin qu'ils ne succombent pas à la tentation de l'argent facile, que l'on peut obtenir par la culture des plantes dont on tire les drogues. À ce sujet, les Organismes internationaux peuvent apporter une précieuse collaboration aux Gouvernements en favorisant par diverses primes les productions agricoles de substitution. Il faut aussi encourager l'action de ceux qui s'efforcent de récupérer les consommateurs de drogue, en ayant une attention pastorale particulière pour les victimes de la toxicomanie. Il est d'une importance fondamentale que l'on donne le vrai « sens de la vie » aux nouvelles générations, qui, à défaut d'en avoir un, finissent bien souvent par être entraînées dans la spirale perverse des stupéfiants. Ce travail de récupération et de réhabilitation sociale peut constituer, comme l'expérience le montre, un véritable engagement d'évangélisation. (225)

(222) Cf. Proposition 38.
(223) Cf. ibid.
(224) Cf. ibid.
(225) Cf. ibid.

La course aux armements

62 La course aux armements est un élément qui paralyse gravement le progrès de nombreux pays en Amérique. Une voix prophétique doit s'élever des Églises particulières d'Amérique pour dénoncer le réarmement et aussi le scandaleux commerce des armes de guerre qui absorbe des sommes d'argent considérables que l'on devrait au contraire destiner à combattre la misère et à promouvoir le développement. (226) D'autre part, l'accumulation des armements constitue une cause d'instabilité et une menace pour la paix. (227) C'est pourquoi l'Église demeure vigilante face au risque de conflits armés même entre nations soeurs. Comme signe et instrument de réconciliation et de paix, elle doit chercher « par tous les moyens possibles, y compris la voie de la médiation et de l'arbitrage, à agir en faveur de la paix et de la fraternité entre les peuples ». (228)

(226) Cf. Conseil pontifical « Justice et Paix », Document Le commerce international des armes. Une réflexion éthique (1er mai 1994): Ench. Vat. 14, nn. 1071-1154; La Documentation catholique 91 (1994), pp. 658-668.
(227) Cf. Proposition 76.
(228) Ibid.

Culture de mort et société dominée par les puissants

63 En Amérique, comme en d'autres parties du monde, un modèle de société où dominent les puissants, excluant et même éliminant les faibles, semble aujourd'hui se profiler: je pense ici aux enfants non nés, victimes sans défense de l'avortement; aux personnes âgées et aux malades incurables, parfois objet d'euthanasie; et à tant d'autres êtres humains mis en marge par la société de consommation et par le matérialisme. Et je ne puis oublier le recours non nécessaire à la peine de mort, lorsque d'autres « moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l'agresseur. [...] Aujourd'hui, en effet, étant donné les possibilités dont l'État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l'a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d'absolue nécessité de supprimer le coupable “sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants” ». (229) Un tel modèle de société porte l'empreinte de la culture de mort et est donc opposé au message évangélique. Face à cette désolante réalité, la communauté ecclésiale entend s'engager toujours plus à défendre la culture de la vie.

À ce sujet, les Pères synodaux, se faisant l'écho des récents documents du Magistère de l'Église, ont réaffirmé avec vigueur leur respect inconditionnel et leur total attachement envers la vie humaine depuis le moment de la conception jusqu'à celui de la mort naturelle, et ils ont prononcé la condamnation de maux comme l'avortement et l'euthanasie. Pour maintenir ces enseignements de la loi divine et naturelle, il est essentiel de promouvoir la connaissance de la doctrine sociale de l'Église et de s'employer à ce que les valeurs de la vie et de la famille soient reconnues et défendues dans les moeurs et dans les normes juridiques des États. (230) En plus de la sauvegarde de la vie, on doit intensifier, grâce à de multiples institutions pastorales, une promotion active de l'adoption et une assistance constante aux femmes ayant une grossesse problématique, aussi bien avant qu'après la naissance de leur enfant. Une attention pastorale spéciale doit aussi être portée aux femmes qui ont subi ou procuré activement l'avortement. (231)

Comment ne pas rendre grâce à Dieu et ne pas exprimer des sentiments de vive appréciation à nos frères et soeurs dans la foi qui, en Amérique, avec d'autres chrétiens et d'innombrables personnes de bonne volonté, sont engagés, par tous les moyens légaux, dans la défense de la vie et dans la sauvegarde de l'enfant à naître, du malade incurable et des personnes handicapées? Leur action est encore plus méritoire si l'on considère l'indifférence de beaucoup, les menaces d'eugénisme et les attentats contre la vie et la dignité humaine, qui sont quotidiennement perpétrés partout. (232)

Ces mêmes égards sont dus aux personnes âgées, parfois oubliées et livrées à elles-mêmes. Elles doivent être respectées comme des personnes; il est important de prendre pour elles des initiatives d'accueil et d'assistance, qui promeuvent leurs droits et leur assurent, autant que possible, le bien-être physique et spirituel. Les personnes âgées doivent être protégées des situations et des pressions qui pourraient les pousser au suicide; en particulier, elles doivent être soutenues contre la tentation du suicide assisté et de l'euthanasie.

Avec les Pasteurs du peuple de Dieu en Amérique, je fais appel aux « catholiques qui travaillent dans le domaine médical et sanitaire et à ceux qui occupent des charges publiques, comme à ceux qui sont engagés dans l'enseignement, afin qu'ils fassent tout leur possible pour défendre la vie de ceux qui courent un plus grand danger, en agissant avec une conscience formée d'une manière droite selon la doctrine catholique. Les Évêques et les prêtres ont, dans ce domaine, la responsabilité spéciale de donner un témoignage inlassable en faveur de l'Évangile de la vie et d'exhorter les fidèles à agir en conséquence ». (233) En même temps, il est indispensable que l'Église en Amérique éclaire, par des interventions opportunes, l'élaboration des décisions des assemblées législatives, en stimulant les citoyens, aussi bien les catholiques que les autres personnes de bonne volonté, à constituer des organisations pour promouvoir des projets de loi valables et s'opposer à ceux qui menacent la famille et la vie, deux réalités inséparables. De nos jours, il faut tenir compte de façon spéciale de ce qui se rapporte au diagnostic prénatal, pour qu'il ne lèse en aucune manière la dignité humaine.

(229) Catéchisme de l'Église catholique, n.
CEC 2267, qui cite l'encyclique Evangelium vitae, n. EV 56.
(230) Cf. Proposition 13.
(231) Cf. ibid.
(232) Cf. ibid.
(233) Ibid.


Les peuples autochtones et les Américains d'origine africaine

64 Si l'Église en Amérique, fidèle à l'Évangile du Christ, entend parcourir le chemin de la solidarité, elle doit porter une attention spéciale aux ethnies qui, aujourd'hui encore, sont l'objet de discriminations injustes. En effet, il faut supprimer toute tentative d'exclusion à l'égard des populations autochtones. Cela implique, en premier lieu, que l'on doit respecter leurs territoires et les accords passés avec eux; il faut également répondre à leurs légitimes besoins sociaux, sanitaires, culturels. Et comment oublier l'exigence de réconciliation entre les peuples autochtones et les sociétés dans lesquelles ils vivent?

Je voudrais rappeler ici que les Américains d'origine africaine, eux aussi, continuent à être, dans certaines régions, l'objet de préjugés ethniques qui constituent pour eux un sérieux obstacle à la rencontre avec le Christ. Puisque toute personne, de quelque race ou condition qu'elle soit, a été créée par Dieu à son image, il faut promouvoir des actions concrètes, sans oublier la prière en commun, qui favorisent la compréhension et la réconciliation entre peuples différents, et qui soient des ponts pour faire régner l'amour chrétien, la paix et la justice entre tous les hommes. (234)

Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de former des agents pastoraux compétents, capables d'utiliser des méthodes déjà légitimement « inculturées » dans la catéchèse et la liturgie. Et l'on obtiendra plus facilement un nombre convenable de pasteurs qui exerceront leur activité parmi les autochtones si l'on se préoccupe de promouvoir les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée parmi ces peuples. (235)

(234) Cf. Proposition 19.
(235) Cf. Proposition 18.


La problématique des immigrés

65 Le continent américain a connu dans son histoire de nombreux mouvements d'immigration, avec des multitudes d'hommes et de femmes arrivés de diverses régions dans l'espoir d'un avenir meilleur. Le phénomène se poursuit encore aujourd'hui; il concerne en particulier de nombreuses personnes et familles provenant de pays latino-américains, qui se sont fixées dans les régions du nord du continent, au point de constituer, en certains cas, une partie considérable de la population. Elles apportent souvent un patrimoine culturel et religieux riche d'éléments chrétiens caractéristiques. L'Église a conscience des problèmes créés par cette situation et elle s'efforce d'exercer le plus possible son action pastorale parmi ces immigrés, pour faciliter leur établissement dans le territoire et pour susciter en même temps un comportement d'accueil de la part des populations locales, dans la conviction que l'ouverture réciproque entraînera un enrichissement pour tous.

Les communautés ecclésiales ne manqueront pas de voir dans ce phénomène un appel spécifique à vivre la valeur évangélique de la fraternité, et en même temps l'invitation à donner un nouvel élan à leur propre religiosité en vue d'une action évangélisatrice plus incisive. Dans ce sens, les Pères synodaux ont rappelé que « l'Église en Amérique doit être une avocate vigilante qui défend, contre toute restriction injuste, le droit naturel de toute personne à se déplacer librement à l'intérieur de son pays et d'un pays à l'autre. Il faut être attentif aux droits des migrants et de leurs familles et au respect de leur dignité humaine, y compris dans les cas d'immigration irrégulière ». (236)

À l'égard des migrants, il faut un comportement hospitalier et accueillant, qui les encourage à s'insérer dans la vie ecclésiale, étant toujours sauves leur liberté et leur identité culturelle particulière. Dans ce but, il est extrêmement utile que collaborent ensemble les diocèses d'où ils proviennent et ceux dans lesquels ils sont accueillis, notamment grâce à des structures pastorales appropriées prévues par la législation ou la pratique de l'Eglise (237) est des plus profitables. On peut ainsi garantir le soutien pastoral le plus approprié et le plus complet possible. L'Église en Amérique doit être animée par le souci constant de veiller à ce que ne fasse pas défaut une évangélisation efficace de ceux qui sont arrivés récemment et qui ne connaissent pas encore le Christ. (238)

(236) Proposition 20.
(237) Cf. S. Congrégation pour les Evêques, Instr. Nemo est (22 août 1969), n. 16: AAS 61 (1969), pp. 621-622; La Documentation catholique 67 (1970), p. 62; Code de Droit canonique,cann.
CIC 294 CIC 518; Code des Canons des Eglises orientales, can. CIO 280, § 1.
(238) Cf. ibid.


CHAPITRE VI

LA MISSION DE L'ÉGLISE AUJOURD'HUI EN AMÉRIQUE: LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION


« De même que le Père m'a envoyé,

moi aussi, je vous envoie » (Jn 20,21)


Envoyés par le Christ

66 Avant son ascension au ciel, le Christ ressuscité a envoyé les Apôtres annoncer l'Évangile au monde entier (cf. Mc 16,15), leur conférant les pouvoirs nécessaires pour réaliser cette mission. Il est significatif que, avant de procéder à l'ultime envoi missionnaire, Jésus se réfère au pouvoir universel qu'il a reçu de son Père (cf. Mt 28,18). En effet, le Christ a transmis aux Apôtres la mission reçue de son Père (cf. Jn 20,21), et ainsi il les a fait participer à ses pouvoirs.

Mais même « les fidèles laïcs, précisément parce qu'ils sont membres de l'Église, ont la vocation et la mission d'annoncer l'Évangile: à cette tâche ils sont habilités et engagés par les sacrements de l'initiation chrétienne et par les dons du Saint-Esprit ». (239) Car ils sont « devenus participants à leur manière des fonctions sacerdotale, prophétique et royale du Christ ». (240) En conséquence, « les fidèles laïcs sont, en vertu de leur participation à la fonction prophétique du Christ, pleinement engagés dans cette tâche de l'Église » (241) et ils doivent donc se sentir appelés et invités à proclamer la Bonne Nouvelle du Royaume. Les paroles de Jésus: « Allez, vous aussi, à ma vigne » (Mt 20,4) (242) doivent être entendues comme adressées non seulement aux Apôtres mais à tous ceux qui désirent être d'authentiques disciples du Seigneur.

La tâche fondamentale pour laquelle Jésus envoie ses disciples est l'annonce de la Bonne Nouvelle, c'est-à-dire l'évangélisation (cf. Mc 16,15-18). Il s'ensuit que « évangéliser est la grâce et la vocation propre de l'Église, son identité la plus profonde ». (243) Comme je l'ai dit en d'autres occasions, le caractère singulier et nouveau de la situation où le monde et l'Église se trouvent, à la veille du troisième millénaire, et les exigences qui en découlent, font que la mission évangélisatrice exige aujourd'hui un nouveau programme, que l'on peut définir dans son ensemble comme « nouvelle évangélisation ». (244) En tant que Pasteur suprême de l'Église, je désire ardemment inviter tous les membres du peuple de Dieu, particulièrement ceux qui vivent dans le continent américain — c'est sur son sol que pour la première fois j'ai fait appel à un engagement nouveau « dans sa ferveur, dans ses méthodes, dans son expression » (245) —, à faire leur ce projet et à y collaborer. En acceptant cette mission, que chacun se souvienne que le noeud vital de la nouvelle évangélisation doit être l'annonce claire et sans équivoque de la personne de Jésus Christ, c'est-à-dire l'annonce de son nom, de sa doctrine, de sa vie, de ses promesses et du Royaume qu'il s'est acquis par son mystère pascal. (246)

(239) Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. CL 33:AAS 81 (1989), p. 453; La Documentation catholique 86 (1989), pp. 171-172.
(240) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 31.
(241) Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. CL 34:AAS 81 (1989), p. 455; La Documentation catholique 86 (1989), pp. 172-173.
(242) Cf. ibid., n. CL 2: AAS, l.c., pp. 394-397; La Documentation catholique, l.c., pp. 153-154.
(243) Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. EN 14: AAS 68 (1976), p. 13; La Documentation catholique 73 (1976), p. 3.
(244) Cf. Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. CL 34: AAS 81 (1989), p. 455; La Documentation catholique 86 (1989), pp. 172-173.
(245) Discours à l'Assemblée du CELAM (9 mars 1983), III: AAS 75 (1983), p. 778; La Documentation catholique 80 (1983), p. 438.
(246) Cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. EN 22: AAS 68 (1976), p. 20; La Documentation catholique 73 (1976), p. 5.



Ecclesia in America FR 53