Ecclesia in America FR 67

Jésus Christ, « bonne nouvelle » et premier évangélisateur

67 Jésus Christ est la « bonne nouvelle » du salut communiqué aux hommes d'hier, d'aujourd'hui et de toujours; mais en même temps il est aussi le premier et suprême évangélisateur. (247) L'Église doit centrer son attention pastorale et son action évangélisatrice sur le Christ crucifié et ressuscité. « Tout ce qui se projette dans le domaine ecclésial doit partir du Christ et de son Évangile ». (248) C'est pourquoi « l'Église en Amérique doit parler toujours plus de Jésus Christ, visage humain de Dieu et visage divin de l'homme. C'est cette annonce qui secoue vraiment les hommes, qui réveille et transforme les esprits, c'est-à-dire qui convertit. Il faut annoncer le Christ avec joie et avec force, mais surtout par le témoignage de sa propre vie ». (249)

Tout chrétien pourra accomplir efficacement sa mission dans la mesure où il assume la vie du Fils de Dieu fait homme comme le modèle parfait de son action évangélisatrice. La simplicité de son style et ses choix devront être comme des normes pour tous dans l'oeuvre d'évangélisation. Dans cette perspective, les pauvres figureront évidemment parmi les premiers destinataires de l'évangélisation, à l'exemple du Christ, qui disait de lui-même: « L'Esprit du Seigneur [...] m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres » (
Lc 4,18). (250)

Comme je l'ai déjà noté, l'amour pour les pauvres doit être préférentiel, mais non exclusif. Le fait d'avoir préconisé la sollicitude pastorale envers les pauvres avec un certain exclusivisme — comme l'ont signalé les Pères synodaux — a parfois conduit à négliger les milieux dirigeants de la société, ce qui a eu pour conséquence que beaucoup de personnes de ces milieux se sont éloignées de l'Église. (251) Les dommages dus à la diffusion du sécularisme dans ces milieux, qu'ils soient politiques ou économiques, syndicaux, militaires, sociaux ou culturels, montrent l'urgence d'une évangélisation de ces milieux, animée et guidée par des pasteurs qui se sentent appelés par Dieu à prendre soin de tous. Ces pasteurs pourront compter sur l'appui de tous ceux — et heureusement ils sont encore nombreux — qui sont restés fidèles aux valeurs chrétiennes. Les Pères synodaux ont rappelé à ce sujet « l'engagement de nombreux [...] dirigeants pour édifier une société juste et solidaire ». (252) Avec leur aide, les Pasteurs feront face à la tâche ardue de l'évangélisation de ces secteurs de la société: avec une ardeur renouvelée et des méthodes mises à jour, ils se tourneront vers les dirigeants, hommes et femmes, pour leur annoncer le Christ, en insistant principalement sur la formation des consciences par la doctrine sociale de l'Église. Cette formation constituera le meilleur antidote contre les nombreux cas d'incohérence, et même de corruption, qui marquent les structures socio-politiques. Au contraire, si l'on néglige cette évangélisation des dirigeants, il ne sera pas surprenant que beaucoup d'entre eux suivent des critères étrangers à l'Évangile, et parfois ouvertement opposés à lui.

(247) Cf. ibid., n. EN 7: AAS, l.c., pp. 9-10; La Documentation catholique, l.c., p. 2.
(248) Jean-Paul II, Message au CELAM (14 septembre 1997), n. 6: L'Osservatore Romano, 1er octobre 1997, p. 4; La Documentation catholique 94 (1997), p. 909.
(249) Proposition 8.
(250) Cf. Proposition 57.
(251) Cf. Proposition 16.
(252) Ibid.


La rencontre avec le Christ incite à évangéliser

68 La rencontre avec le Seigneur produit une profonde transformation de ceux qui ne se ferment pas à Lui. Le premier mouvement qui naît de cette transformation est celui de communiquer aux autres la richesse découverte au cours de cette rencontre. Il ne s'agit pas seulement d'enseigner ce que nous avons connu, mais aussi de faire en sorte que, comme dans le cas de la Samaritaine, les autres rencontrent personnellement Jésus: « Venez voir » (Jn 4,29). Le résultat sera le même que celui qui s'est vérifié dans le coeur des Samaritains, qui disaient à la femme: « Ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant; nous l'avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c'est vraiment lui le Sauveur du monde » (Jn 4,42). L'Église, qui vit de la présence permanente et mystérieuse de son Seigneur ressuscité, a pour centre de sa mission l'engagement de « mener tous les hommes à la rencontre avec le Christ ». (253)

Elle est appelée à annoncer que le Christ est vraiment le Vivant, le Fils de Dieu, qui s'est fait homme, est mort et est ressuscité. Il est l'unique Sauveur de tous les hommes et de tout l'homme, et, comme Seigneur de l'histoire, il agit continuellement dans l'Église et dans le monde par son Esprit jusqu'à la fin des siècles. Cette présence du Ressuscité dans l'Église rend possible notre rencontre avec lui, grâce à l'action invisible de son Esprit qui donne la vie. Cette rencontre se réalise dans la foi reçue et vécue dans l'Église, corps mystique du Christ. Elle a donc essentiellement une dimension ecclésiale et elle conduit à un engagement de vie. En effet, « rencontrer le Christ vivant signifie accueillir son amour prévenant, Le choisir, adhérer librement à sa personne et à son dessein, qui consiste à annoncer et à réaliser le Règne de Dieu ». (254)

L'appel incite à chercher Jésus: « “Rabbi (c'est-à-dire Maître), où demeures-tu?” Il leur dit: “Venez, et vous verrez”. Ils l'accompagnèrent, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là » (Jn 1,38-39). « Le fait de “rester” ne se limite pas au jour de la vocation, mais il s'étend à toute la vie. Le suivre signifie vivre comme il a vécu, accepter son message, faire siens ses critères, embrasser son destin, partager son projet qui est le dessein du Père: inviter tout le monde à la communion trinitaire et à la communion avec les frères en une société juste et solidaire ». (255) Le désir ardent d'inviter les autres à rencontrer Celui que nous avons rencontré est à la racine de la mission évangélisatrice à laquelle est appelée toute l'Église, mais qui se fait particulièrement urgente aujourd'hui en Amérique, après la célébration du cinquième centenaire de la première évangélisation et alors que nous nous préparons à commémorer dans la reconnaissance la venue du Fils unique de Dieu dans le monde il y a deux mille ans.

(253) Proposition 2.
(254) Ibid.
(255) Ibid.

Importance de la catéchèse

69 La nouvelle évangélisation, dans laquelle tout le continent est engagé, montre que la foi ne peut pas être présupposée mais qu'elle doit être proposée explicitement dans toute son ampleur et dans toute sa richesse. Tel est l'objectif principal de la catéchèse, qui, par sa nature même, est une dimension essentielle de la nouvelle évangélisation. « La catéchèse est un itinéraire de formation dans la foi, dans l'espérance et dans la charité, qui éclaire l'esprit et touche le coeur, portant la personne à embrasser le Christ d'une manière pleine et complète. Elle fait entrer plus profondément le croyant dans l'expérience de la vie chrétienne, qui comprend la célébration liturgique du mystère de la Rédemption et le service chrétien des autres ». (256)

Sachant bien qu'une catéchèse complète est nécessaire, j'ai fait mienne la proposition présentée par les Pères de l'Assemblée extraordinaire du Synode des Évêques de 1985 d'élaborer « un catéchisme ou précis de toute la doctrine catholique pour tout ce qui concerne la foi et la morale », catéchisme qui puisse être « un point de référence pour les catéchismes ou précis qui sont préparés dans les diverses régions ». (257) Cette proposition a été concrétisée par la publication de l'édition type du Catechismus Catholicae Ecclesiae. (258) En plus du texte officiel du Catéchisme, et pour une meilleure utilisation de son contenu, j'ai voulu que soit élaboré et publié également un Directoire général pour la catéchèse. (259) Je recommande vivement l'utilisation de ces deux instruments, de valeur universelle, à tous ceux qui se consacrent en Amérique à la catéchèse. Il est souhaitable que les deux documents soient utilisés « dans la préparation et dans la vérification de tous les programmes paroissiaux et diocésains de catéchèse, compte tenu de ce que la situation religieuse des jeunes et des adultes requiert une catéchèse plus kérygmatique et plus organique dans la présentation du contenu de la foi ». (260)

Il faut reconnaître et encourager la mission méritante que remplissent de nombreux catéchistes dans tout le continent américain, comme messagers authentiques du Royaume: « Leur foi et leur témoignage de vie font partie intégrante de la catéchèse ». (261) Je désire encourager toujours davantage les fidèles à assumer avec détermination et amour pour le Seigneur ce service de l'Église, donnant généreusement leur temps et leurs talents. Pour leur part, les Évêques doivent se préoccuper de fournir aux catéchistes une formation appropriée pour qu'ils puissent remplir cette tâche si indispensable dans la vie de l'Église.

Dans la catéchèse, il sera bon de tenir compte, surtout dans un continent comme l'Amérique où la question sociale revêt un caractère important, du fait que « la croissance dans la compréhension de la foi et son expression pratique dans la vie sociale sont en liens étroits. Les forces employées pour faciliter la rencontre avec le Christ ne peuvent pas ne pas avoir une répercussion favorable dans la promotion du bien commun dans une société juste ». (262)

(256) Proposition 10.
(257) Rapport final L'Église, sous la Parole de Dieu, célébrant les mystères du Christ pour le salut du monde (7 décembre 1985), II, B, a, 4: Ench. Vat. 9, n. 1797, La Documentation catholique 83 (1986), p. 39.
(258) Cf. Lettre apost. Laetamur magnopere (15 août 1997): AAS 89 (1997), pp. 819-821; La Documentation catholique 94 (1997), pp. 851-854.
(259) Congr. pour le Clergé, Directoire général pour la catéchèse (15 août 1997), Librairie éditrice du Vatican, 1997.
(260) Proposition 10.
(261) Ibid.
(262) Ibid.

Évangélisation de la culture

70 Mon prédécesseur Paul VI notait avec une sage inspiration: « La rupture entre Évangile et culture est sans doute le drame de notre époque ». (263) C'est donc à juste titre que les Pères synodaux ont estimé que « la nouvelle évangélisation requiert un effort lucide, sérieux et ordonné pour évangéliser la culture ». (264) Le Fils de Dieu, en assumant la nature humaine, s'est incarné au sein d'un peuple déterminé, mais sa mort rédemptrice a apporté le salut à tous les hommes, de quelque culture, race ou condition que ce soit. Le don de son Esprit et son amour s'adressent à tous et chacun des peuples et des cultures pour les unir entre eux à l'exemple de l'unité parfaite qui existe en Dieu un et trine. Pour que ce soit possible, il est nécessaire d'inculturer la prédication, de manière que l'Évangile soit annoncé dans le langage et la culture de ceux qui l'entendent. (265) En même temps, toutefois, il ne faut pas oublier que seul le mystère pascal du Christ, manifestation suprême du Dieu infini dans la finitude de l'histoire, peut être un point de référence valable pour toute l'humanité en pèlerinage qui recherche l'unité authentique et la paix véritable.

Dans le continent, le visage métissé de la Vierge de Guadalupe a été dès le début un symbole de l'inculturation de l'évangélisation, dont elle a été l'étoile et le guide. Par sa puissante intercession, l'évangélisation pourra pénétrer le coeur des hommes et des femmes d'Amérique, et imprégner leurs cultures, les transformant de l'intérieur. (266)

(263) Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n.
EN 20: AAS 68 (1976), p. 19; La Documentation catholique 73 (1976), p. 4.
(264) Proposition 17.
(265) Cf. ibid.
(266) Cf. ibid.


Évangéliser les centres d'éducation

71 Le monde de l'éducation est un domaine privilégié pour promouvoir l'inculturation de l'Évangile. Toutefois, les centres catholiques d'éducation, et ceux qui, sans être confessionnels, sont en fait d'inspiration clairement catholique, ne pourront accomplir une action d'évangélisation authentique que si à tous les niveaux, y compris le niveau universitaire, ils savent conserver avec clarté leur orientation catholique. Le contenu du projet éducatif devra se référer constamment à Jésus Christ et à son message, comme l'Église le présente dans son enseignement tant dogmatique que moral. C'est seulement ainsi que l'on pourra former des dirigeants authentiquement chrétiens dans les divers domaines de l'activité humaine et de la société, spécialement dans la politique, dans l'économie, dans les sciences, dans l'art et dans la réflexion philosophique. (267) En ce sens, « il est essentiel que l'université catholique soit vraiment et réellement à la fois université et catholique. [...] Le caractère catholique est un élément constitutif de l'université en tant qu'institution, et il ne dépend donc pas de la simple décision des personnes qui dirigent l'université à un moment déterminé ». (268) Le travail pastoral dans les universités catholiques fera donc l'objet d'une sollicitude particulière: il faut susciter l'engagement apostolique des étudiants, afin qu'ils deviennent eux-mêmes évangélisateurs du monde universitaire. (269) En outre, « il faut stimuler la coopération entre les universités catholiques de toute l'Amérique afin qu'elles s'enrichissent mutuellement », (270) contribuant ainsi à réaliser, même au niveau universitaire, le principe de la solidarité et de l'échange entre les peuples de tout le continent.

On doit dire à peu près la même chose à propos des écoles catholiques, en particulier pour ce qui concerne l'enseignement secondaire: « Il faut faire un effort spécial pour renforcer l'identité catholique des écoles, qui fondent leur nature spécifique sur un projet éducatif dont l'origine se trouve dans la personne du Christ et dont la racine est dans la doctrine de l'Évangile. Les écoles catholiques doivent chercher non seulement à donner une éducation qualifiée du point de vue technique et professionnel, mais aussi et surtout à veiller à la formation intégrale de la personne humaine ». (271) Vu l'importance de la tâche des éducateurs catholiques, je m'unis aux Pères synodaux pour encourager et remercier tous ceux qui se consacrent à l'enseignement dans les écoles catholiques: prêtres, hommes et femmes consacrés, et laïcs engagés, « afin qu'ils persévèrent dans leur mission si importante ». (272) Il faut faire en sorte que l'influence de ces centres atteigne tous les secteurs de la société, sans distinction ni exclusivisme. Il est indispensable que l'on fasse tous les efforts possibles pour que les écoles catholiques, malgré les difficultés économiques, continuent à dispenser « une éducation catholique aux pauvres et aux marginaux de la société ». (273) Il ne sera jamais possible de libérer les indigents de leur pauvreté si on ne les libère pas d'abord de la misère due au fait qu'une éducation digne leur a fait défaut.

Dans le projet global de la nouvelle évangélisation, le domaine de l'éducation occupe une place privilégiée. Aussi faut-il encourager l'activité de tous les enseignants catholiques, y compris de ceux qui sont engagés dans des écoles non confessionnelles. J'adresse également un appel urgent aux personnes consacrées afin qu'elles n'abandonnent pas ce champ si important pour la nouvelle évangélisation. (274)

Comme fruit et expression de la communion entre toutes les Églises particulières d'Amérique, certainement renforcée par l'expérience spirituelle de l'Assemblée synodale, on ne manquera pas de promouvoir des rencontres d'éducateurs catholiques, aux niveaux national et continental, en veillant à ordonner et à accroître l'action pastorale éducative dans tous les milieux. (275)

Pour faire face à toutes ces tâches, l'Église en Amérique a besoin, dans le domaine de l'enseignement, d'un espace de liberté, qui ne doit pas être entendu comme un privilège mais comme un droit, en vertu de la mission évangélisatrice confiée par le Seigneur. En outre, les parents ont le droit fondamental et premier de décider de l'éducation de leurs enfants et, pour ce motif, les parents catholiques doivent avoir la possibilité de choisir l'éducation correspondant à leurs convictions religieuses. La fonction de l'État dans ce domaine est subsidiaire. Celui-ci a l'obligation « de garantir à tous l'éducation et de respecter et défendre la liberté d'enseignement. Le monopole d'État dans ce domaine doit être dénoncé comme une forme de totalitarisme préjudiciable aux droits fondamentaux qu'il doit défendre, spécialement au droit des parents à l'éducation religieuse de leurs enfants. La famille est le premier espace éducatif de la personne ». (276)

(267) Cf. Proposition 22.
(268) Proposition 23.
(269) Cf. ibid.
(270) Ibid.
(271) Proposition 24.
(272) Ibid.
(273) Ibid.
(274) Cf. Proposition 22.
(275) Cf. ibid.
(276) Ibid.

Évangéliser par les moyens de communication sociale

72 Pour que la nouvelle évangélisation soit efficace, il est fondamental d'avoir une profonde connaissance de la culture actuelle, dans laquelle les moyens de communication sociale ont une grande influence. Il est donc indispensable de connaître et d'utiliser ces moyens, dans leurs formes traditionnelles comme dans les formes plus récentes introduites par le progrès technologique. La réalité d'aujourd'hui exige que l'on sache maîtriser le langage, la nature et les caractéristiques des médias. En les utilisant d'une manière correcte et avec compétence, on peut réaliser une authentique inculturation de l'Évangile. D'autre part, ces mêmes médias contribuent à modeler la culture et la mentalité des hommes et des femmes de notre temps; c'est pourquoi ceux qui opèrent dans le domaine des instruments de communication sociale doivent bénéficier d'une action pastorale spéciale. (277)

À ce sujet, les Pères synodaux ont indiqué de nombreuses initiatives concrètes pour assurer une présence efficace de l'Évangile dans le monde des moyens de communication sociale: la formation d'agents pastoraux pour ce milieu; la promotion de centres de production qualifiée; l'usage prudent et avisé des satellites et des nouvelles technologies; la formation des fidèles afin qu'ils soient des usagers « critiques »; l'union des efforts pour acquérir puis gérer ensemble de nouveaux émetteurs et chaînes de télévision, comme aussi la coordination de ceux qui existent déjà. Quant aux publications catholiques, elles méritent d'être soutenues et il est souhaitable qu'elles connaissent un développement qualitatif.

Il faut encourager les entrepreneurs afin qu'ils soutiennent économiquement des produits de qualité qui promeuvent les valeurs humaines et chrétiennes. (278) Toutefois, un programme aussi vaste dépasse de beaucoup les possibilités des Églises particulières du continent américain. C'est pourquoi les Pères synodaux ont proposé une coordination interaméricaine des activités existant dans le domaine des moyens de communication sociale, afin de favoriser la connaissance et la coopération réciproques des réalisations qui existent déjà dans ce domaine. (279)

(277) Cf. Proposition 25.
(278) Cf. ibid.
(279) Cf. ibid.

Le défi des sectes

73 Le prosélytisme que les sectes et les nouveaux groupes religieux exercent en beaucoup de régions d'Amérique constitue un grave obstacle à l'effort d'évangélisation. Le mot « prosélytisme » a un sens négatif quand il se réfère à une façon de conquérir des adeptes sans aucun respect pour la liberté de ceux auxquels s'adresse une propagande religieuse déterminée. (280) L'Église catholique en Amérique critique le prosélytisme des sectes et, pour cette raison même, dans son action évangélisatrice elle exclut le recours à des méthodes semblables. Proposant l'Évangile du Christ dans toute son intégrité, l'activité évangélisatrice doit respecter le sanctuaire de la conscience de chaque individu, en qui se développe le dialogue décisif, absolument personnel, entre la grâce et la liberté de l'homme.

Il faut tenir compte de cela particulièrement à l'égard des frères chrétiens des Églises et Communautés ecclésiales séparées de l'Église catholique, déjà établies depuis longtemps dans certaines régions. Les liens de vraie communion, même si elle est imparfaite, que ces Communautés ont déjà avec l'Église catholique, selon la doctrine du Concile Vatican II, (281) doivent éclairer les attitudes de cette dernière et de tous ses membres vis-à-vis d'elles. (282) Toutefois, ces attitudes ne pourront pas aller jusqu'à entamer la ferme convinction que la plénitude des moyens de salut établis par Jésus Christ se trouve seulement dans l'Eglise catholique. (283)

Les succès du prosélytisme des sectes et des nouveaux groupes religieux en Amérique ne sauraient être regardés avec indifférence. Ils exigent de l'Église dans ce continent une étude approfondie, à réaliser dans chaque pays et aussi au niveau international, pour découvrir les motifs pour lesquels nombre de catholiques abandonnent l'Église. À la lumière des conclusions que l'on en tirera, il sera utile de faire une révision des méthodes pastorales adoptées, de façon que chaque Église particulière ait pour les fidèles une attention plus personnalisée dans le domaine religieux, qu'elle fortifie les structures de communion et de mission, et qu'elle utilise les occasions d'évangélisation que présente une religiosité populaire purifiée; ainsi sera rendue plus vive la foi en Jésus Christ de tous les catholiques, à travers la prière et la méditation de la Parole de Dieu utilement commentée. (284) Il n'échappe à personne qu'il est urgent de procéder à l'évangélisation des secteurs du peuple de Dieu qui paraissent les plus exposés au prosélytisme des sectes: les groupes d'immigrés, les quartiers périphériques des villes ou les villages de campagne privés de la présence habituelle du prêtre et donc marqués par une ignorance religieuse diffuse, les familles des personnes simples éprouvées par des difficultés matérielles de tout genre. De ce point de vue, on constate la grande utilité des communautés de base, des mouvements, des groupes de familles et d'autres formes d'association dans lesquelles il est plus facile d'entretenir des relations interpersonnelles de soutien réciproque sur le plan spirituel et aussi économique.

Il est toutefois nécessaire d'avoir toujours présent à l'esprit le risque signalé par quelques Pères synodaux: une pastorale visant de manière quasi exclusive les besoins matériels des destinataires finit par décevoir la soif de Dieu qu'ont ces peuples, les laissant ainsi dans une situation vulnérable face à n'importe quelle prétendue offre spirituelle. C'est pourquoi « il est indispensable que tous se tiennent unis au Christ par l'annonce kérygmatique joyeuse et transformante, spécialement celle de la prédication dans la liturgie ». (285) Une Église qui vit intensément la dimension spirituelle et contemplative et qui se dépense généreusement au service de la charité sera, d'une manière toujours plus éloquente, un témoin crédible de Dieu pour les hommes et les femmes en recherche d'un sens pour leur vie. (286) À cette fin, il est plus que jamais nécessaire que les fidèles passent d'une foi routinière, peut-être soutenue par le seul milieu, à une foi consciente, vécue personnellement. Se renouveler dans la foi sera toujours la voie la meilleure pour que tous soient conduits à la Vérité qu'est le Christ.

Pour que la réponse au défi des sectes soit efficace, il faut une coordination appropriée des initiatives au niveau supra-diocésain, afin de réaliser une coopération par des projets communs qui pourront donner davantage de fruits. (287)

(280) Cf. Instrumentum laboris, n. 45.
(281) Cf. Décret Unitatis redintegratio, n.
UR 3.
(282) Cf. Proposition 64.
(283) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décr. sur l'oecuménisme Unitatis redintegratio, n. UR 3.
(284) Cf. Proposition 65.
(285) Ibid.
(286) Cf. IVe Conférence générale de l'Épiscopat latino-américain (Saint-Domingue, octobre 1992), Nouvelle évangélisation, promotion humaine et culture chrétienne, nn. 139-152.
(287) Cf. Proposition 65.

La mission ad gentes

74 Jésus Christ a confié à son Église la mission d'évangéliser toutes les nations: « Allez donc! De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28,19-20). La conscience de l'universalité de la mission évangélisatrice que l'Église a reçue doit demeurer vive, comme en a toujours témoigné l'histoire du peuple de Dieu qui poursuit sa marche en Amérique. L'évangélisation se fait plus urgente quand on voit toutes les personnes vivant dans ce continent qui ne connaissent pas encore le nom de Jésus, seul nom donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés (cf. Ac 4,12). Ce nom est malheureusement inconnu d'une grande partie de l'humanité et dans beaucoup de milieux de la société américaine. Que l'on pense aux ethnies autochtones qui ne sont pas encore christianisées ou à la présence de religions non chrétiennes comme l'Islam, le Bouddhisme ou l'Hindouisme, surtout parmi les immigrés venant de l'Asie.

Cela oblige l'Église en Amérique à rester ouverte à la mission ad gentes. (288) Le programme d'une nouvelle évangélisation dans le continent, objectif de nombreux projets pastoraux, ne peut se limiter à revitaliser la foi des croyants routiniers, mais il doit chercher aussi à annoncer le Christ dans les milieux où il est inconnu.

En outre, les Églises particulières d'Amérique sont appelées à déployer leur élan évangélisateur au-delà des frontières du continent. Elles ne peuvent garder pour elles les immenses richesses de leur patrimoine chrétien. Elles doivent le porter au monde entier et le communiquer à ceux qui ne le connaissent pas encore. Il s'agit là de millions d'hommes et de femmes qui, sans la foi, souffrent de la plus grave des pauvretés. Face à cette pauvreté, ce serait une erreur de ne pas favoriser une activité d'évangélisation hors du continent sous prétexte qu'il y a encore beaucoup à faire en Amérique ou qu'il faut attendre d'avoir atteint une situation, au fond utopique, de plein épanouissement de l'Église en Amérique.

En souhaitant que le continent américain, en accord avec sa vitalité chrétienne, participe à la grande tâche de la mission « ad gentes », je fais miennes les propositions concrètes que les Pères synodaux ont présentées, à savoir « soutenir une plus grande coopération entre les Églises soeurs; envoyer des missionnaires (prêtres, personnes consacrées et fidèles laïcs) à l'intérieur et en dehors du continent; renforcer ou créer des Instituts missionnaires; favoriser la dimension missionnaire de la vie consacrée et contemplative; donner une plus grande impulsion à l'animation, à la formation et à l'organisation missionnaires ». (289) Je suis sûr que, grâce à leur zèle pastoral, les Évêques et les autres fils de l'Église dans toute l'Amérique sauront trouver des initiatives concrètes, même au niveau international, qui permettront la réalisation, avec beaucoup de dynamisme et de créativité, de ces desseins missionnaires.

(288) Cf. Proposition 86.
(289) Ibid.


CONCLUSION

Avec espérance et gratitude

75 « Voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). Mettant sa confiance dans cette promesse du Seigneur, l'Église qui poursuit sa marche dans le continent américain se dispose avec enthousiasme à affronter les défis du monde actuel et ceux que l'avenir pourra réserver. Dans l'Évangile, la bonne nouvelle de la résurrection du Seigneur est accompagnée de l'invitation à ne pas avoir peur (cf. Mt 28,5 Mt 28,10). L'Église en Amérique désire marcher dans l'espérance, comme l'ont affirmé les Pères synodaux: « Avec une confiance sereine dans le Seigneur de l'histoire, l'Église se dispose à franchir le seuil du troisième millénaire sans préjugés ni pusillanimité, sans égoïsme, sans craintes ni doutes, convaincue du service fondamental et premier qu'elle doit prêter comme témoignage de fidélité à Dieu ainsi qu'aux hommes et aux femmes du continent ». (290)

En outre, l'Église en Amérique se sent particulièrement poussée à marcher dans la foi, répondant avec gratitude à l'amour de Jésus, « manifestation incarnée de l'amour miséricordieux de Dieu (cf. Jn 3,16) ». (291) La célébration du début du troisième millénaire chrétien peut être une bonne occasion pour que le peuple de Dieu en Amérique renouvelle « sa gratitude pour le grand don de la foi » (292) qu'il a commencé à recevoir il y a cinq siècles. Au-delà des aspects historiques et politiques, l'an 1492 fut la grande année de grâce pour la foi accueillie en Amérique, une foi qui parle du bienfait suprême de l'Incarnation du Fils de Dieu, advenue il y a deux mille ans, comme nous le rappellerons solennellement lors du grand Jubilé tout proche.

Ce double sentiment d'espérance et de gratitude doit accompagner toute l'action pastorale de l'Église dans le continent, imprégnant d'esprit jubilaire les diverses initiatives des diocèses, des paroisses, des communautés de vie consacrée, des mouvements ecclésiaux, comme aussi les activités qui pourront être organisées au niveau régional et continental. (293)

(290) Proposition 58.
(291) Ibid.
(292) Ibid.
(293) Cf. ibid.

Prière à Jésus Christ pour les familles d'Amérique

76 J'invite donc tous les catholiques d'Amérique à prendre une part active aux initiatives d'évangélisation que l'Esprit Saint suscite dans toutes les parties de cet immense continent, si rempli de potentialités et d'espérances pour l'avenir. J'invite spécialement les familles catholiques à être des « Églises-foyers », (294) où la foi chrétienne est vécue et transmise aux nouvelles générations comme un trésor, et où l'on prie ensemble. Si les familles catholiques savent réaliser en elles-mêmes l'idéal que Dieu leur confie, elles se convertiront en foyers authentiques d'évangélisation.

En conclusion de cette Exhortation apostolique, par laquelle j'ai repris les propositions des Pères synodaux, j'accueille volontiers leur suggestion de composer une prière pour les familles en Amérique. (295) J'invite les personnes, les communautés et les groupes ecclésiaux, là où deux fidèles ou plus se réunissent au nom du Seigneur, à renforcer par la prière le lien spirituel d'union entre tous les catholiques américains. Que tous s'unissent à la prière du Successeur de Pierre en invoquant le Christ vivant, qui est « chemin de conversion, de communion et de solidarité en Amérique »:

Seigneur Jésus, nous te rendons grâce
parce que l'Évangile de l'Amour du Père,
par lequel tu es venu sauver le monde,
a été largement proclamé en Amérique
comme don de l'Esprit Saint
qui épanouit notre joie.

Nous te rendons grâce pour le don de ta Vie,
que tu nous as donnée en nous aimant
jusqu'à la fin:
elle nous fait fils de Dieu et frères entre nous.
Seigneur, augmente notre foi
et notre amour pour Toi,
qui es présent dans les multiples tabernacles
du continent.

Fais de nous des témoins fidèles
de ta Résurrection
face aux nouvelles générations d'Amérique,
afin qu'ils Te connaissent et te suivent,
et qu'ils trouvent en Toi leur paix et leur joie.
Ainsi seulement ils pourront se sentir frères
de tous les fils de Dieu
répandus dans le monde.

Toi qui t'es fait homme et qui as voulu être
membre d'une famille humaine,
enseigne aux familles les vertus qui brillèrent
dans la maison de Nazareth.
Fais qu'elles restent unies,
comme Toi et le Père n'êtes qu'Un,
et qu'elles soient un témoignage vivant
d'amour, de justice et de solidarité;
fais qu'elles soient une école de respect,
de pardon et d'aide mutuelle,
afin que le monde croie;
fais qu'elles soient une source de vocations
au sacerdoce, à la vie consacrée,
et à toutes les autres formes
d'intense engagement chrétien.

Protège ton Église et le Successeur de Pierre,
auquel Toi, Bon Pasteur, Tu as confié
la charge de paître tout ton troupeau.
Fais que ton Église fleurisse en Amérique
et multiplie ses fruits de sainteté.

Apprends-nous à aimer ta Mère, Marie,
comme tu l'as aimée toi-même.
Donne-nous le courage d'annoncer ta Parole
en nous consacrant à la nouvelle évangélisation
pour fortifier l'espérance dans le monde.

Notre-Dame de Guadalupe,
Mère de l'Amérique,
prie pour nous!

Donné à Mexico, le 22 janvier 1999, en la vingt et unième année de mon Pontificat.


(294) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n.
LG 11.
(295) Proposition 12.


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Ecclesia in America FR 67