Ecclesia in Africa FR 70

Se faire la voix des sans-voix

70 Forts de la foi et de l'espérance dans le pouvoir salvifique de Jésus, les Pères du Synode ont conclu leurs travaux en renouvelant leur engagement d'être des instruments de ce salut dans les différents aspects de la vie des peuples d'Afrique. « L'Église — ont-ils déclaré — doit continuer à jouer son rôle prophétique et être la voix des sans voix »,[130] afin que partout la dignité humaine soit reconnue à toute personne et que l'homme soit toujours au centre de tous les programmes gouvernementaux. Le Synode « interpelle la conscience des chefs d'État et des responsables de la chose publique pour qu'ils garantissent de plus en plus la libération et l'épanouissement de leurs populations ».[131] La paix des Nations est à ce prix.
L'évangélisation doit promouvoir les initiatives qui contribuent à développer et à ennoblir l'homme dans son existence spirituelle et matérielle. Il s'agit du développement de tout homme et de tout l'homme, pris non seulement isolément, mais aussi et surtout dans le cadre d'un développement solidaire et harmonieux de tous les membres d'une nation et de tous les peuples de la terre.[132]
Enfin l'évangélisation doit dénoncer et combattre tout ce qui avilit et détruit l'homme. « L'accomplissement du ministère de l'évangélisation dans le domaine social, qui fait partie de la fonction prophétique de l'Église, comprend aussi la dénonciation des maux et des injustices. Mais il convient de souligner que l'annonce est toujours plus importante que la dénonciation, et celle-ci ne peut faire abstraction de celle-là qui lui donne son véritable fondement et la force de la motivation la plus haute ».[133]

[130] Ibid.
[131] Ibid.
[132] Cf. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 48 : AAS 59 (1967), p. 281.
[133] Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 41 : AAS 80 (1988), p. 572.



Moyens de communication sociale

71 « De tout temps, Dieu se caractérise par sa volonté de communiquer. Il le fait de différentes manières. À toute créature animée ou inerte il donne l'être. Avec l'homme, plus particulièrement, il noue des relations privilégiées. Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils (He 1,1-2) ».[134] Le Verbe de Dieu est, de par sa nature, parole, dialogue et communication. Il est venu restaurer la communication et les relations entre Dieu et les hommes, d'une part, et, d'autre part, celles des hommes entre eux.
Les médias ont retenu l'attention du Synode. Ils sont apparus sous deux aspects importants et complémentaires : comme univers culturel nouveau qui se constitue et comme un ensemble de moyens au service de la communication. Ils représentent d'abord une culture nouvelle qui a son langage propre et surtout ses valeurs et contre-valeurs spécifiques. À ce titre, ils ont besoin, comme toute culture, d'être évangélisés.[135]
Effectivement, de nos jours, les médias constituent non seulement un monde, mais toute une culture et une civilisation. C'est à ce monde aussi que l'Église est envoyée porter la Bonne Nouvelle du salut. Les hérauts de l'Évangile se doivent donc d'entrer dans ce monde pour se pénétrer de cette nouvelle civilisation et de cette culture, afin de s'en servir à bon escient. « Le premier aréopage des temps modernes est le monde de la communication, qui donne une unité à l'humanité en faisant d'elle, comme on dit, un village global. Les médias ont pris une telle importance qu'ils sont, pour beaucoup de gens, le moyen principal d'information et de formation ; ils guident et inspirent les comportements individuels, familiaux et sociaux ».[136]
La formation à l'utilisation des médias est une nécessité, non seulement pour le prédicateur de l'Évangile, qui doit, entre autres, maîtriser le genre littéraire médiatique, mais aussi pour le lecteur, l'auditeur et le téléspectateur qui, formés à l'intelligence du style médiatique, doivent en saisir les apports avec discernement et esprit critique.
En Afrique, où la transmission orale est une des caractéristiques de la culture, cette formation revêt une importance capitale. Ce type de communication doit rappeler aux pasteurs, notamment aux évêques et aux prêtres, que l'Église est envoyée pour parler, pour prêcher l'Évangile par la parole et par les actes. Elle ne peut donc se taire, au risque de manquer à sa mission ; à moins que, dans certaines circonstances, le silence ne soit lui-même une manière de parler et de témoigner. Il nous faut toujours proclamer à temps et à contretemps (cf. 2 Tm 2Tm 4,2), mais dans le souci d'édifier, dans la charité et la vérité.

[134] Synode des évêques, Assemblée spéciale pour l’Afrique, Instrumentum laboris, n. 127.
[135] Cf. Message du Synode (6 mai 1994), nn. 45-46 : La Documentation catholique 91 (1994), p. 531.
[136] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 37, c : AAS 83 (1991), p. 285.




CHAPITRE IV - VERS LE TROISIÈME MILLÉNAIRE CHRÉTIEN


I. Les défis actuels

72 L'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques a été convoquée pour permettre à l'Église de Dieu, répandue dans ce continent, de réfléchir à sa mission évangélisatrice en vue du troisième millénaire et de mettre en oeuvre, comme je l'ai rappelé, « une solidarité pastorale organique dans tout le territoire africain et les îles adjacentes ».[137] Une telle mission comporte, ainsi qu'il a déjà été dit, des urgences et des défis, dus aux mutations profondes et rapides que connaissent les sociétés africaines et aux effets d'une civilisation qui devient planétaire.

[137] Jean-Paul II, Angélus (6 janvier 1989), n. 2 : La Documentation catholique 86 (1989), p. 203.



La nécessité du Baptême

73 La première urgence est naturellement l'évangélisation elle-même. D'une part, l'Église doit assimiler et vivre toujours mieux le message que le Seigneur lui a confié. D'autre part, ce message, elle doit en témoigner et l'annoncer à tous ceux qui ne connaissent pas encore Jésus Christ. Car c'est pour eux que le Seigneur a dit aux Apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,19).
Comme à la Pentecôte, la prédication du kérygme a pour finalité naturelle d'amener celui qui l'écoute à la metanoia et au Baptême : « L'annonce de la Parole de Dieu est ordonnée à la conversion chrétienne, c'est-à-dire à l'adhésion pleine et sincère au Christ et à son Évangile par la foi ».[138] La conversion au Christ, par ailleurs, « est liée au Baptême, non seulement dans la pratique de l’Église mais parce que c'est la volonté du Christ, qui a demandé de faire des disciples de toutes les nations et de les baptiser (cf. Mt Mt 28,19), et aussi en raison de l'exigence intrinsèque de recevoir la plénitude de la vie en lui : "En vérité, en vérité, je te le dis — déclare Jésus à Nicodème —, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu" (Jn 3,5). Le Baptême, en effet, nous fait naître à la vie d'enfants de Dieu ; il nous unit à Jésus Christ ; il nous confère l'onction dans l’Esprit Saint. Le Baptême n'est pas seulement le sceau de la conversion, un signe extérieur qui la fait voir et l'atteste ; c'est le sacrement qui signifie et opère cette nouvelle naissance dans l'Esprit, crée des liens réels et indissolubles avec la Trinité, rend membre du Corps du Christ qui est l'Église ».[139] Un itinéraire de conversion qui n'irait pas jusqu'au baptême s'arrêterait à mi-chemin.
Il est vrai que les hommes au coeur droit qui, sans aucune faute de leur part, n'ont pas été rejoints par l'annonce de l'Évangile, mais qui vivent en accord avec leur conscience selon la loi de Dieu, seront sauvés par et dans le Christ. Pour tout être humain, en effet, demeure toujours l'appel actuel de Dieu, qui attend d'être reconnu et accueilli (cf. 1 Tm 1Tm 2,4). C'est justement pour que soient favorisés cet accueil et cette reconnaissance qu'il est demandé aux disciples du Christ de ne pas s'accorder de repos avant que tous aient reçu l'heureuse annonce du salut.

[138] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 46 : AAS 83 (1991), p. 292.
[139] Ibid., n. 47 : l.c., pp. 293-294.



Urgence de l'évangélisation

74 Le Nom de Jésus Christ, en effet, est le seul par lequel nous pouvons être sauvés (cf. Ac Ac 4,12). Puisqu'il y a en Afrique des millions de personnes non encore évangélisées, l'Église est confrontée à la tâche nécessaire et urgente de proclamer la Bonne Nouvelle à tous, et de conduire ceux qui l’écoutent au Baptême et à la vie chrétienne. « L'urgence de l'activité missionnaire résulte de la nouveauté radicale de la vie apportée par le Christ et vécue par ses disciples. Cette vie nouvelle est un don de Dieu, et il est demandé à l'homme de l'accueillir et de le développer, s'il veut se réaliser selon sa vocation intégrale en se conformant au Christ ».[140] Cette vie nouvelle dans la nouveauté radicale de l'Évangile comporte aussi des ruptures avec les moeurs et la culture de n'importe quel peuple de la terre, car l'Évangile n'est jamais le produit d'un terroir, il vient toujours « d'ailleurs », d'en haut. Pour les baptisés, le grand défi restera toujours celui de la cohérence d'une existence chrétienne conforme aux engagements de leur Baptême, qui signifie mort au péché et résurrection quotidienne pour une vie nouvelle (cf. Rm Rm 6,4-5). Sans une telle cohérence, les disciples du Christ ne pourront que difficilement être « sel de la terre » et « lumière du monde » (Mt 5,13 Mt 5,14). Si l'Église en Afrique s'engage vigoureusement et sans hésitation sur cette voie, la Croix pourra être plantée partout dans le continent pour le salut des peuples qui n'ont pas peur d'ouvrir les portes au Rédempteur.

[140] Ibid., n. 7 : l.c., pp. 255-256.


Importance de la formation

75 Dans tous les secteurs de la vie de l'Église, la formation est d’une importance capitale. Personne, en effet, ne peut clairement connaître les vérités de foi qu'il n'a jamais apprises ni poser des actes auxquels il n'a jamais été initié. C'est pourquoi « la communauté entière a besoin d'être préparée, motivée et renforcée pour l'évangélisation, chacun selon son rôle spécifique au sein de l'Église ».[141] Ceci inclut les évêques, les prêtres, les membres des Instituts de vie consacrée, des Sociétés de vie apostolique et des Instituts séculiers, et tous les fidèles laïcs.
La formation missionnaire occupera une place de choix. Elle « est l'oeuvre de l'Église locale avec l'aide des missionnaires et de leurs Instituts, ainsi que du personnel des jeunes Églises. Cette tâche doit être considérée non pas comme marginale mais comme centrale dans la vie chrétienne ».[142]
Le programme de formation doit inclure, en particulier, la formation des laïcs à jouer pleinement leur rôle d'animation chrétienne de l'ordre temporel (politique, culturel, économique, social), qui est une caractéristique de la vocation séculière du laïcat. On encouragera les fidèles laïcs compétents et motivés à s'engager dans la politique,[143] dans laquelle, en exerçant correctement des charges publiques, ils pourront « travailler au bien commun et, en même temps, préparer la voie à l'Évangile ».[144] Approfondissement de la foi

[141] Synode des évêques, Assemblée spéciale pour l’Afrique, Rapport avant la discussion (11 avril 1994), n. 8 : La Documentation catholique 91 (1994), p. 478.
[142] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 83 : AAS83 (1991), p. 329.
[143] Cf. Synode des évêques, Assemblée spéciale pour l’Afrique, Message du Synode (6 mai 1994), n. 33 : La Documentation catholique 91 (1994), p. 530.
[144] Apostolicam actuositatem, n. 14.



76 L'Église en Afrique, pour être évangélisatrice, doit « commencer par s'évangéliser elle-même. [...] Elle a besoin d'écouter sans cesse ce qu'elle doit croire, ses raisons d'espérer, le commandement nouveau de l'amour. Peuple de Dieu immergé dans le monde et souvent tenté par les idoles, elle a toujours besoin d'entendre proclamer les grandes oeuvres de Dieu ».[145]
Aujourd'hui en Afrique, « la formation à la foi [...] est trop souvent restée au stade élémentaire, et les sectes mettent facilement à profit cette ignorance ».[146] L'approfondissement de la foi est urgent « en ce sens que l'évolution rapide de la société fait surgir des défis nouveaux, [...] avec notamment les phénomènes de déracinement familial, d'urbanisation, de désoeuvrement, et avec les séductions matérialistes de toute sorte, une certaine sécularisation et un ébranlement intellectuel accentué par l'avalanche d'idées insuffisamment critiquées et par l'influence des médias ».[147]

[145] Évangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 15 : AAS 68 (1976), p. 14.
[146] Jean-Paul II, Discours à la Conférence épiscopale du Cameroun (Yaoundé, 13 août 1985), n. 4 : La Documentation catholique 82 (1985), p. 917.
[147] Ibid., n. 5. : l.c.



La force du témoignage

77 La formation doit permettre aux chrétiens d'acquérir non seulement une habileté technique pour mieux transmettre le contenu de la foi, mais encore une profonde conviction personnelle pour en témoigner efficacement dans la vie. Tous les prédicateurs de l’Évangile chercheront à agir en totale docilité à l'Esprit « qui, aujourd'hui comme aux débuts de l'Église, agit en chaque évangélisateur qui se laisse posséder et conduire par lui ».[148] « Les techniques d'évangélisation sont bonnes, mais les plus perfectionnées ne sauraient remplacer l'action discrète de l'Esprit. La préparation la plus raffinée de l'évangélisateur n'opère rien sans lui. Sans lui, la dialectique la plus convaincante est impuissante sur l'esprit des hommes. Sans lui, les schémas sociologiques ou psychologiques les plus élaborés se révèlent vite dépourvus de valeur ».[149]
Un vrai témoignage de la part des croyants est essentiel aujourd'hui en Afrique pour proclamer la foi de manière authentique. En particulier, il faut que les croyants donnent le témoignage d'un amour mutuel sincère. « La vie éternelle, c'est qu' "ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ" (
Jn 17,3). Le but dernier de la mission est de faire participer à la communion qui existe entre le Père et le Fils : les disciples doivent vivre entre eux l'unité, demeurant dans le Père et le Fils, afin que le monde reconnaisse et croie (cf. Jn Jn 17,21-23). C'est là un texte missionnaire significatif ! Il fait comprendre qu'on est missionnaire avant tout par ce que l'on est, en tant que membre de l'Église qui vit profondément l'unité dans l'amour, avant de l'être par ce que l'on dit ou par ce que l'on fait ».[150]

[148] Évangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 75 : AAS 68 (1976), p. 65.
[149] Ibid., l.c., pp. 65-66.
[150] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 23 : AAS 83 (1991), pp. 269-270.



Inculturer la foi

78 À cause de sa profonde conviction que « la synthèse entre culture et foi n'est pas seulement une exigence de la culture mais aussi de la foi » parce que « une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n'est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue »,[151] l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques considère l'inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises particulières en Afrique : c'est surtout par là que l'Évangile pourra s'enraciner solidement dans les communautés chrétiennes du continent. À la suite du Concile Vatican II,[152] les Pères du Synode ont considéré l'inculturation comme un processus qui embrasse toute l'étendue de la vie chrétienne — théologie, liturgie, coutumes et structures — évidemment sans porter atteinte à la loi divine et à la grande discipline de l'Église, confirmées au cours des siècles par des fruits extraordinaires de vertu et d'héroïsme.[153]
Le défi de l'inculturation en Afrique consiste à faire en sorte que les disciples du Christ puissent assimiler toujours mieux le message évangélique, restant cependant fidèles à toutes les valeurs africaines authentiques. Inculturer la foi dans tous les domaines de la vie chrétienne et humaine constitue donc une tâche difficile, qu'on ne peut accomplir qu'avec l'assistance de l'Esprit du Seigneur qui conduit l'Église dans la vérité tout entière (cf. Jn
Jn 16,13).

[151] Jean-Paul II, Discours aux participants au Congrès national du mouvement ecclésial d’engagement culturel (16 janvier 1982) : Insegnamenti V,1 (1982), p. 131.
[152] Cf. Décret Ad gentes, n. 22.
[153] Cf. Proposition 32 ; Sacrosanctum Concilium, nn. 37-40.


Une communauté réconciliée

79 Le défi du dialogue est, au fond, le défi de la transformation des relations entre les hommes, les nations et les peuples, dans la vie religieuse, politique, économique, sociale et culturelle. C'est le défi de l'amour du Christ pour tous les hommes, amour que le disciple doit reproduire dans sa vie : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (Jn 13,35).
« L'Évangélisation continue le dialogue de Dieu avec l'humanité, qui atteint son sommet dans la personne de Jésus Christ ».[154] Par la Croix, en sa personne il a tué la haine (cf. Ep Ep 2,16) qui divise et éloigne les hommes les uns des autres.
Or, en dépit de la civilisation contemporaine du « village global », en Afrique comme ailleurs dans le monde, l'esprit de dialogue, de paix et de réconciliation est loin d'habiter le coeur de tous les hommes. Les guerres, les conflits, les attitudes racistes et xénophobes dominent encore trop le monde des relations humaines.
L'Église en Afrique éprouve la nécessité de devenir pour tous un lieu d'une authentique réconciliation, grâce au témoignage rendu par ses fils et ses filles. Ainsi, pardonnés et réconciliés, ceux-ci pourront apporter au monde le pardon et la réconciliation que le Christ, qui est notre Paix (cf. Ep Ep 2,14), offre à l'humanité par son Église. Faute de quoi, le monde ressemblera toujours davantage à un champ de bataille, où ne comptent que les intérêts égoïstes et où règne la loi de la force qui éloigne l'humanité de la civilisation de l'Amour espérée.

[154] Proposition 38.



II. La famille

Évangéliser la famille

80 « L'avenir du monde et de l'Église passe par la famille ».[155] En effet, non seulement la famille est la première cellule de la communauté ecclésiale vivante, mais aussi celle de la société. En Afrique en particulier, la famille représente le premier pilier de l'édifice social. C'est pourquoi le Synode considère l'évangélisation de la famille africaine comme une des priorités majeures, si l'on veut qu'elle assume à son tour le rôle de sujet actif dans la perspective de l'évangélisation des familles par les familles.
Du point de vue pastoral, cela constitue un réel défi, étant donné les difficultés d'ordre politique, économique, social et culturel auxquelles les foyers doivent faire face en Afrique, dans le cadre des mutations importantes de la société contemporaine. Tout en adoptant des valeurs positives de la modernité, la famille africaine devra préserver ses valeurs essentielles.

[155] Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 75 : AAS 74 (1982), p. 173.


La Sainte Famille comme modèle

81 À ce propos, la Sainte Famille, qui selon l'Évangile (cf. Mt Mt 2,14-15), a vécu quelque temps en Afrique, est le « prototype et l'exemple de toutes les familles chrétiennes »,[156] « le modèle et la source spirituelle » pour toute famille chrétienne.[157]
Pour reprendre les paroles du Pape Paul VI, pèlerin en Terre sainte, « Nazareth est l'école où l'on commence à comprendre la vie de Jésus : l'école de l'Évangile.[...] À cette école, on comprend la nécessité d'avoir une discipline spirituelle, si l'on veut [...] devenir disciple du Christ ».[158] Dans sa profonde méditation sur le mystère de Nazareth, Paul VI invite à recueillir une leçon de silence, une leçon de vie familiale, une leçon de travail. Dans la maison de Nazareth, chacun vit sa mission en parfaite harmonie avec celle des autres membres de la Sainte Famille.

[156] Ibid., n. 86 : l.c., pp. 189-190.
[157] Cf. Proposition 14.



Dignité et rôle de l'homme et de la femme

82 La dignité de l'homme et de la femme provient du fait que, quand Dieu créa l'homme, « à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27). Autant l'homme que la femme sont créés « à la ressemblance de Dieu », c'est-à-dire doués d'intelligence et de volonté et, dès lors, de liberté, ce que montre le récit sur le péché des premiers parents (cf. Gn Gn 3). Le psalmiste chante en ces termes la dignité incomparable de l'homme : « À peine le fis-tu moindre qu'un dieu ; tu le couronnes de gloire et de beauté pour qu'il domine sur l'oeuvre de tes mains ; tout fut mis par toi sous ses pieds » (Ps 8,6-7).
Créés l'un et l'autre à la ressemblance de Dieu, l'homme et la femme, quoique différents, sont essentiellement égaux du point de vue de l'humanité. « Depuis le début, tous les deux sont des personnes, à la différence des autres êtres vivants du monde qui les entoure. La femme est un autre "moi" dans leur commune humanité »,[159] et chacun est une aide pour l'autre (cf. Gn Gn 2,18-25).
« En créant l'être humain "homme et femme", Dieu donne la dignité personnelle d'une manière égale à l'homme et à la femme, en les enrichissant des droits inaliénables et des responsabilités propres à la personne humaine ».[160] Le Synode a déploré des coutumes et des pratiques africaines « qui privent les femmes de leurs droits et du respect qui leur est dû »[161] et a demandé que l'Église en Afrique s'efforce de promouvoir la sauvegarde de ces droits.

[158] Homélie en la basilique de l’Annonciation à Nazareth (5 janvier 1964) : AAS 56 (1964), p. 167.
[159] Mulieris dignitatem (15 août 1988), n. 6 : AAS 80 (1988), pp. 1662-1664 ; Lettre aux femmes (29 juin 1995), n. 7 : La Documentation catholique 92 (1995), p. 719.
[160] Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 22 : AAS 74 (1982), p. 107.
[161] Proposition 48.


Dignité et rôle du Mariage

83 Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, est Amour (cf. 1 Jn 1Jn 4,8). « La communion entre Dieu et les hommes trouve son accomplissement définitif en Jésus Christ, l'époux qui aime et qui se donne comme Sauveur de l'humanité en se l'unissant comme son corps. Il révèle la vérité originelle du Mariage, la vérité du "commencement" et, en libérant l'homme de la dureté du coeur, le rend capable de la réaliser entièrement. Cette révélation parvient à la plénitude définitive dans le don d'amour que le Verbe de Dieu fait à l'humanité en assumant la nature humaine et dans le sacrifice que Jésus Christ fait de lui-même sur la Croix pour son Épouse, l'Église. Dans ce sacrifice se manifeste entièrement le dessein que Dieu a imprimé dans l'humanité de l'homme et de la femme depuis leur création (cf. Ep Ep 5,32-33) ; le Mariage des baptisés devient ainsi le symbole réel de l'Alliance nouvelle et éternelle, scellée dans le sang du Christ ».[162]
L'amour mutuel de l'époux et de l'épouse baptisés représente l'Amour du Christ et de l'Église. Signe de cet Amour du Christ, le Mariage est un sacrement de la Nouvelle Alliance : « Les époux sont pour l'Église le rappel permanent de ce qui est advenu sur la Croix. Ils sont l'un pour l'autre et pour leurs enfants des témoins du salut dont le sacrement les rend participants. Le Mariage, comme tout sacrement, est un mémorial, une actualisation et une prophétie de l'événement du salut ».[163]
Il est donc un état de vie, une voie de sainteté chrétienne, une vocation qui doit conduire à la résurrection glorieuse et au Royaume, où l'« on ne prend ni femme ni mari » (Mt 22,30). C'est pourquoi le Mariage suppose un amour indissoluble ; grâce à sa stabilité, il peut contribuer efficacement à la pleine réalisation de la vocation baptismale des époux.

[162] Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 13 : AAS 74 (1982), pp. 93-94.
[163] Ibid.



Sauver la famille africaine

84 Un grand nombre d'interventions dans la salle du Synode ont fait état des menaces qui pèsent sur la famille africaine aujourd'hui. Les inquiétudes des Pères synodaux étaient d'autant plus justifiées que le document préparatoire d'une conférence des Nations Unies, qui devait se tenir au mois de septembre au Caire, en terre africaine, semblait de toute évidence vouloir adopter des résolutions qui contrediraient de nombreuses valeurs familiales africaines. Aussi, faisant leurs mes propres préoccupations exprimées à cette conférence ainsi qu'à tous les chefs d'État du monde,[164] ils lancèrent un pressant appel, pour que soit sauvée la famille africaine : « Ne laissez pas bafouer la famille africaine sur sa propre terre ! Ne laissez pas l'Année internationale de la Famille devenir l'année de la destruction de la Famille ! »,[165] s'écrièrent-ils.

[164] Cf. Message à Madame Nafis Sadik, Secrétaire générale de la Conférence internationale sur la Population et le Développement de 1994 (18 mars 1994) : AAS 87 (1995), pp. 190-196.
[165] Synode des évêques, Assemblée spéciale pour l’Afrique, Message du Synode (6 mai 1994), n. 30 : La Documentation catholique 91 (1994), p. 530.



La famille ouverte à la société

85 Le Mariage, de par sa nature, transcende le couple, puisqu'il a pour mission spéciale de perpétuer l'humanité. De même, par nature, la famille dépasse les limites du foyer : elle est orientée vers la société. « La famille a des liens organiques et vitaux avec la société parce qu'elle en constitue le fondement et qu'elle la sustente sans cesse en réalisant son service de la vie : c'est au sein de la famille, en effet, que naissent les citoyens et dans la famille qu'ils font le premier apprentissage des vertus sociales, qui sont pour la société l'âme de sa vie et de son développement. Ainsi donc, en raison de sa nature et de sa vocation, la famille, loin de se replier sur elle-même, s'ouvre aux autres familles et à la société et remplit son rôle social ».[166]
Dans cet ordre d'idées, l'Assemblée spéciale pour l'Afrique affirme que la finalité de l'évangélisation est d'édifier l'Église Famille de Dieu, anticipation, bien qu'imparfaite, du Royaume sur la terre. Les familles chrétiennes d'Afrique deviendront alors de véritables « Églises domestiques », contribuant au progrès de la société vers une vie plus fraternelle. Ainsi s'opérera la transformation des sociétés africaines par l'Évangile.

[166] Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 42 : AAS 74 (1982), p. 134.



CHAPITRE V « VOUS SEREZ MES TÉMOINS » EN AFRIQUE

Témoignage et sainteté

86 Tous les défis signalés jusqu'à présent montrent combien l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques était opportune : la tâche de l'Église en Afrique est immense, tous doivent y collaborer. Le témoignage en est l'élément central. Le Christ interpelle ses disciples en Afrique et leur donne le mandat qu'il confia aux Apôtres le jour de l'Ascension : « Vous serez mes témoins » (Ac 1,8) en Afrique.

87 L'annonce de la Bonne Nouvelle par la parole et par les actes ouvre les coeurs au désir de la sainteté, à la configuration au Christ. Saint Paul, dans sa première Lettre aux Corinthiens, s'adresse « à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus, appelés à être saints avec tous ceux qui en tout lieu invoquent le nom de Jésus Christ notre Seigneur » (1, 2). La prédication de l'Évangile a pour but également de construire l'Église de Dieu, dans la perspective de la royauté que le Christ remettra au Père à la fin des temps (cf. 1 Co 1Co 15,24).
« L'entrée dans le Royaume de Dieu demande une transformation de mentalité (metanoia)et de comportement et une vie de témoignage en paroles et en actes, nourrie au sein de l'Église par la réception des sacrements, particulièrement l'Eucharistie, le sacrement du salut ».[167]
L'inculturation par laquelle la foi pénètre la vie des personnes et de leurs communautés d'origine est aussi une voie vers la sainteté. D'une manière analogue à l'Incarnation où le Christ a assumé l'humanité à l'exception du péché, par l'inculturation le message chrétien assimile les valeurs de la société à laquelle il est annoncé, écartant ce qui est marqué par le péché. Si une communauté ecclésiale sait intégrer les valeurs positives d'une culture déterminée, elle sera l'instrument de leur ouverture à la sainteté chrétienne. Une inculturation conduite avec sagesse purifie et élève les cultures des différents peuples.
De ce point de vue, la liturgie est appelée à jouer un rôle important. En tant que manière efficace de proclamer et de vivre les mystères du salut, elle peut réellement contribuer à élever et à enrichir les manifestations spécifiques de la culture d'un peuple déterminé. Suivant des modèles artistiques de valeur, il reviendra donc à l'autorité compétente de veiller à l'inculturation des éléments liturgiques qui, à la lumière des normes en vigueur, peuvent être modifiés.[168]

[167] Proposition 5.
[168] Cf. Proposition 34.



I. Agents de l'évangélisation

88 L'évangélisation a besoin d'agents. Car « comment invoquer [le Seigneur] sans d'abord croire en Lui ? Comment croire sans d'abord L'entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans être d'abord envoyé ? » (Rm 10,14-15). L'annonce de l'Évangile ne peut se réaliser pleinement que grâce à la contribution de tous les croyants, à tous les niveaux de l'Église universelle et locale.
Il revient à cette dernière, c'est-à-dire à l'Église particulière placée sous la responsabilité de l'évêque, de coordonner les activités de l'évangélisation, en rassemblant les fidèles, en les confirmant dans la foi grâce aux prêtres et aux catéchistes, en les soutenant dans l'accomplissement de leurs missions respectives. À cette fin, le diocèse veillera à instituer les structures nécessaires de rencontre, de dialogue et d'organisation. En s'appuyant sur elles, l'évêque pourra orienter utilement le travail des prêtres, des religieux, des religieuses et des laïcs, respectant les dons et les charismes de chacun, pour les mettre au service d'une pastorale adaptée et dynamique. À cet égard, les différents conseils prévus par le droit canonique seront d'une grande utilité.


Communautés ecclésiales vivantes

89 Les Pères ont reconnu d'emblée que l'Église Famille ne pourra donner sa pleine mesure d'Église que si elle se ramifie en communautés suffisamment petites pour permettre des relations humaines étroites. Ces communautés ont été caractérisées de manière synthétique par l'Assemblée : elles devront être d'abord les lieux de leur propre évangélisation, pour porter ensuite la Bonne Nouvelle aux autres ; elles devront donc être des lieux de prière et d'écoute de la Parole de Dieu, de responsabilisation des membres eux- mêmes, d'apprentissage de la vie en Église, de réflexion sur les divers problèmes humains à la lumière de l'Évangile. Et surtout on s'y efforcera de vivre l'amour universel du Christ, qui surpasse les barrières des solidarités naturelles des clans, des tribus ou d'autres groupes d'intérêt.[169]

[169] Cf. Proposition 9.



Laïcat

90 On aidera les laïcs à prendre de plus en plus conscience de leur rôle dans l'Église et à honorer ainsi leur mission de baptisés et de confirmés, suivant l'enseignement de l'exhortation apostolique post-synodale Christifideles laïci[170] et de l'encyclique Redemptoris missio.[171] On formera les laïcs à cette fin grâce à la mise sur pied d'écoles ou de centres de formation biblique et pastorale. Dans le même ordre d'idées, les décideurs chrétiens seront soigneusement préparés à leurs tâches politiques, économiques et sociales par une solide formation à la doctrine sociale de l'Église, pour être des témoins fidèles dans leur milieu d'action.[172]

[170] Cf. Christifideles laici (30 décembre 1988), nn. 45-56 : AAS 81 (1989), pp. 481-506.
[171] Cf. Redemptoris missio (7 décembre 1990), nn. 71-74 : AAS 83 (1991), pp. 318-322.
[172] Cf. Proposition 12.



Ecclesia in Africa FR 70