Ecclesia in Africa FR 117

« De vos épées forgez des socs de charrue »: plus jamais de guerres !

117 (cf. Is 2,4)
La tragédie des guerres qui déchirent l'Afrique a été décrite en des termes incisifs par les Pères du Synode : « L'Afrique est depuis plusieurs décennies le théâtre de guerres fratricides qui déciment les populations et détruisent leurs richesses naturelles et culturelles ».[224] En dehors des causes étrangères à l'Afrique, ce douloureux phénomène a aussi des causes internes, telles que « le tribalisme, le népotisme, le racisme, l'intolérance religieuse, la soif du pouvoir, renforcée par des régimes totalitaires qui bafouent impunément les droits et la dignité de l'homme. Les populations brimées et réduites au silence subissent en victimes innocentes et résignées toutes ces situations d'injustice ».[225]
Je tiens à joindre ma voix à celle des membres de l'Assemblée synodale pour déplorer les situations de souffrance indicible provoquées par de nombreux conflits déclarés ou latents et pour demander à ceux qui en ont la possibilité de s'investir totalement pour mettre fin à de telles tragédies.
J'invite aussi, en union avec les Pères synodaux, à prendre des engagements concrets pour promouvoir dans le continent des conditions de plus grande justice sociale et d'exercice plus équitable du pouvoir, pour préparer ainsi les conditions de la paix. « Si vous voulez la paix, oeuvrez pour la justice ».[226] Il est préférable — et aussi plus facile — de prévenir les guerres que d'essayer de les arrêter après qu'elles ont éclaté. Il est temps que les peuples brisent leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes (cf. Is Is 2,4).

[225] Ibid.
[226] Paul VI, Discours à la « cité des enfants » à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix (1er janvier 1972) : AAS 64 (1972), p. 44.


118 L'Église en Afrique — en particulier grâce à certains de ses responsables — a été en première ligne pour la recherche de solutions négociées aux conflits armés dans de nombreuses parties du continent. Cette mission de pacification devrait continuer, encouragée par les promesses du Seigneur dans les Béatitudes : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9).
Ceux qui alimentent les guerres en Afrique par le trafic d'armes sont complices de crimes odieux contre l'humanité. Je fais miennes à ce sujet les recommandations du Synode qui, après avoir déclaré : « Le commerce des armes qui sème la mort est un scandale », a lancé un appel à tous les pays qui vendent des armes à l'Afrique pour les supplier « d'arrêter de le faire » ; il a aussi demandé aux gouvernements africains « de renoncer aux dépenses militaires excessives afin de consacrer plus de ressources à l'éducation, à la santé et au bien-être de leurs peuples ».[227]
L'Afrique doit continuer à rechercher des moyens pacifiques et efficaces afin que les régimes militaires transmettent le pouvoir aux civils. Il n'en est pas moins vrai que l'armée a son rôle spécifique à remplir dans le pays, et le Synode fait à juste titre l'éloge de ces « frères militaires pour le service qu'ils assument au nom de nos nations ».[228] Mais aussitôt il les prévient avec force qu'« ils auront à répondre devant Dieu de tout acte de violence contre des vies innocentes ».[229]

[227] Proposition 49.
[228] Message du Synode (6 mai 1994), n. 35 : La Documentation catholique 91 (1994), p. 530.
[229] Ibid.



Réfugiés et personnes déplacées

119 Un des fruits les plus amers des guerres et des difficultés économiques est le triste phénomène des réfugiés et des personnes déplacées, phénomène qui, comme le rappelle le Synode, a atteint des proportions tragiques. La solution idéale est le rétablissement d'une paix juste, la réconciliation et le développement économique. Il est urgent que les organisations nationales, régionales et internationales s'emploient à trouver une solution équitable et durable aux problèmes des réfugiés et des personnes déplacées.[230] Mais entre temps, comme le continent continue à souffrir du déplacement de très nombreux réfugiés, je lance un appel pressant pour qu'ils reçoivent aide matérielle et soutien pastoral partout où ils se trouvent, en Afrique ou dans d'autres continents.

[230] Cf. Proposition 53.


Le poids de la dette internationale

120 La question de la dette des pays pauvres envers les pays riches est l'objet d'une grande préoccupation pour l'Église dans de nombreux documents officiels et dans des interventions du Saint-Siège en différentes circonstances.[231]
Reprenant les termes des Pères synodaux, je ressens avant tout le devoir d'exhorter « les chefs d'État et leurs gouvernements en Afrique à ne pas écraser leur peuple par des dettes intérieures et extérieures ».[232] Je lance un appel pressant « au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale, ainsi qu'à tous les créanciers pour qu'ils allègent les dettes écrasantes des pays africains ».[233] Je demande enfin instamment « aux Conférences épiscopales des pays industrialisés de se faire les avocats de cette cause auprès de leurs gouvernements et des autres organismes impliqués ».[234] La situation de nombreux pays africains est si dramatique que l'on ne peut admettre l’indifférence ni le refus de s'engager.

[231] Cf. Gaudium et spes, n. 86 ; PAUL VI, Encycl. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 54 : AAS 59 (1967), pp. 283-284 ; Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 19 : AAS 80 (1988), pp. 534-536 ; Encycl. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 35 : AAS 83 (1991), pp. 836-838 ; Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 51 : AAS 87 (1995), p. 36, où l’on propose « une réduction importante, sinon un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations » ; Commission pontificale « Justice et Pais », Document Au service de la communauté humaine : une approche éthique de l’endettement international (27 décembre 1986), Typographie polyglotte vaticane, Cité du Vatican 1986.
[232] Proposition 49.
[233] Ibid.
[234] Ibid.


Dignité de la femme africaine

121 Un des signes les plus marquants de notre époque est la prise de conscience croissante de la dignité de la femme et de son rôle pertinent dans l'Église et dans la société en général. « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27).
J'ai moi-même fréquemment rappelé l'égalité fondamentale et la complémentarité enrichissante existant entre l'homme et la femme.[235] Le Synode a appliqué ces principes à la condition des femmes en Afrique. Leurs droits et leurs devoirs d'édifier la famille et de participer pleinement au développement de l'Église et de la société ont été fortement soulignés. Pour ce qui est de l'Église, il est opportun que les femmes, ayant reçu une formation adéquate, prennent part, aux niveaux appropriés, à l'activité apostolique de l'Église.
L'Église déplore et condamne, dans la mesure où elles persistent dans diverses sociétés africaines, toutes les « coutumes et pratiques qui privent les femmes de leurs droits et du respect qui leur est dû ».[236] Il est recommandé aux Conférences épiscopales d'établir des commissions spéciales pour approfondir l'étude des problèmes de la femme et, là où c'est possible, en collaboration avec les agences gouvernementales concernées.[237]

[235] Cf. Mulieris dignitatem (15 août 1988), nn. 6-9 : AAS 80 (1988), pp. 1662-1670 ; Lettre aux Femmes (29 juin 1995), n. 7 : La Documentation catholique 92 (1995), p. 719.
[236] Proposition 48.
[237] Cf. ibid.



II. Communiquer la bonne nouvelle

Suivre le Christ, Communicateur par excellence

122 Le Synode avait beaucoup à dire au sujet de la communication sociale dans le contexte de l'évangélisation de l'Afrique, compte tenu des circonstances actuelles. Le point de départ théologique est le Christ, le Communicateur par excellence qui, à ceux qui croient en lui, transmet la vérité, la vie et l'amour qu'il partage avec le Père des Cieux et l'Esprit Saint. C'est pourquoi, « l'Église prend conscience de son devoir de promouvoir les communications sociales ad intra et ad extra. L'Église devrait promouvoir la communication en son sein par une meilleure diffusion de l'information parmi ses membres ».[238] Cela la mettrait dans une position plus favorable pour communiquer au monde la Bonne Nouvelle de l'amour de Dieu révélé en Jésus Christ.

[238] Proposition 57.


Formes traditionnelles de communication

123 Les formes traditionnelles de communication sociale ne doivent jamais être sous-estimées. Elles sont encore très utiles et efficaces dans de nombreux milieux africains. En outre, elles sont « moins coûteuses et plus accessibles ».[239] Elles comprennent les chants et la musique, les mimes et le théâtre, les proverbes et les contes. En tant que véhicules de la sagesse et de l'esprit populaires, elles constituent une source précieuse de thèmes et d'inspiration pour les moyens modernes.

[239] Ibid.


Évangélisation du monde des médias

124 Les médias modernes ne sont pas seulement des instruments de communication, mais aussi un monde à évangéliser. En termes de contenu, il faut s'assurer que les médias propagent le bien, le vrai et le beau. Me faisant l'écho de la préoccupation des Pères du Synode, j'exprime mon inquiétude au sujet du contenu moral d'une grande partie des programmes dont les médias inondent le continent africain ; en particulier, je mets en garde contre l'envahissement des nations pauvres par la pornographie et la violence. Par ailleurs, à juste titre, « le Synode déplore grandement la présentation très négative que les médias font de l'Africain et il demande que cela cesse immédiatement ».[240]
Tous les chrétiens ont la responsabilité de veiller à ce que les médias soient vraiment au service de l'évangélisation. Mais les chrétiens qui travaillent professionnellement dans les médias ont un rôle spécial à jouer. Il est de leur devoir de faire en sorte que les principes chrétiens influent sur la pratique de leur profession, y compris dans les domaines techniques ou administratifs. Pour leur permettre de jouer ce rôle de manière adéquate, il faut qu'ils puissent recevoir une saine formation humaine, religieuse et spirituelle.

[240] Proposition 61.


Usage des moyens de communication sociale

125 L'Église d'aujourd'hui peut disposer de différents moyens de communication sociale, aussi bien traditionnels que modernes. Il est de son devoir d'en faire le meilleur usage pour répandre le message du salut. Pour l'Église en Afrique, l'accès à ces moyens est rendu difficile par de nombreux obstacles, le moindre n'étant pas leur coût élevé. En de nombreux endroits également, des règlements gouvernementaux imposent un contrôle indu dans ces domaines. Tous les efforts possibles devraient être mis en oeuvre pour lever ces obstacles : les médias, qu'ils soient privés ou publics, doivent être au service des personnes sans exception. C'est pourquoi j'invite les Églises particulières d'Afrique à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que cet objectif soit poursuivi.[241]

[241] Cf. Proposition 58.


Collaboration et coordination des médias

126 Les médias, surtout dans leurs formes les plus modernes, ont un impact qui dépasse toutes les frontières ; une coordination plus étroite est nécessaire afin de permettre une collaboration plus efficace à tous les niveaux : diocésain, national, continental et universel. En Afrique, l'Église ressent un très grand besoin de solidarité de la part des Églises-soeurs des pays plus riches et plus avancés du point de vue technologique. En Afrique même, des programmes de collaboration continentale déjà mis en oeuvre, comme le « Comité épiscopal panafricain de Communications sociales », devraient être encouragés et redynamisés. Et comme le Synode l'a suggéré, il faudrait établir une plus grande collaboration dans d'autres secteurs, comme la formation professionnelle, les moyens de production de la radio et de la télévision et les stations émettrices à portée continentale.[242]

[242] Cf. Proposition 60.



CHAPITRE VII « VOUS SEREZ MES TÉMOINS JUSQU'AUX EXTRÉMITÉS DE LA TERRE »

127 Durant l'Assemblée spéciale, les Pères synodaux ont examiné à fond la situation africaine dans son ensemble, afin d'encourager le témoignage rendu au Christ d'une façon toujours plus concrète et crédible au sein de chaque Église locale, de chaque nation, de chaque région, et dans le continent africain tout entier. Dans tous les échanges et dans toutes les recommandations faites par l'Assemblée spéciale, on voit s'exprimer le souci prépondérant de témoigner du Christ. J'ai retrouvé là l'esprit de ce que j'avais dit en Afrique à un groupe d'évêques : « En respectant, en préservant et en favorisant les valeurs propres et les richesses de l'héritage culturel de votre peuple, vous serez en état de le guider vers une meilleure compréhension du mystère du Christ qui doit être vécu dans des expériences nobles, concrètes et quotidiennes de la vie africaine. Il n'est pas question d'altérer la Parole de Dieu ou de vider la Croix de sa puissance (cf. 1 Co 1Co 1,17), mais plutôt de porter le Christ au coeur même de la vie africaine et d'élever la vie africaine toute entière jusqu'au Christ. Ainsi, non seulement le christianisme convient à l'Afrique, mais le Christ lui-même, dans les membres de son Corps, est africain ».[243]

[243] Allocution aux évêques du Kenya (Nairobi, 7 mai 1980), n. 6 : AAS 72 (1980), p. 497.


Ouverts à la mission

128 Mais l'Église en Afrique n'est pas appelée à témoigner du Christ seulement sur son continent ; elle aussi reçoit la parole du Seigneur Ressuscité : « Vous serez mes témoins [...] jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). En effet, au cours de leurs débats sur le thème du Synode, les Pères ont évité soigneusement toute tendance à l'isolement de l'Église en Afrique. À tout moment, l'Assemblée spéciale a eu fermement en vue le mandat missionnaire que l'Église a reçu du Christ de témoigner de lui dans le monde entier.[244] Les Pères synodaux reconnurent l’appel que Dieu adresse à l'Afrique pour qu'elle joue à part entière, au niveau mondial, son rôle dans le plan du salut du genre humain (cf. 1 Tm 1Tm 2,4).

[244] Cf. PAUL VI, Exhort. apost. Évangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 50 : AAS 58 (1976), p. 40.



129 C'est à cause de cet admirable engagement pour la catholicité de l’Église que les Lineamenta de l'Assemblée spéciale pour l'Afrique déclaraient déjà : « Aucune Église particulière, même la plus pauvre, ne saurait être dispensée de l'obligation de partager ses ressources spirituelles, temporelles et en personnel, avec d'autres Églises particulières et avec l'Église universelle (cf. Ac Ac 2,44-45) ».[245] Pour sa part, l'Assemblée spéciale a souligné fortement la responsabilité de l'Afrique pour la mission « jusqu'aux extrémités de la terre » dans les termes suivants : « La phrase prophétique de Paul VI — "Vous, Africains, vous êtes vos propres missionnaires" — s'entend ainsi : "missionnaires pour le monde entier". [...] Un appel est lancé aux Églises particulières d'Afrique pour la mission au-delà des diocèses ».[246]

[245] N. 42.
[246] Rapport après la discussion (22 avril 1994), n. 11 : L’Osservatore Romano, 24 avril 1994, p. 8.



130 En approuvant avec joie et reconnaissance cette déclaration de l'Assemblée spéciale, je désire répéter à tous mes frères évêques d'Afrique ce que je disais il y a quelques années : « L'obligation pour l'Église en Afrique d'être missionnaire en son propre sein et d'évangéliser le continent implique la coopération entre les Églises particulières dans le contexte de chaque pays africain, entre différentes nations du continent et aussi d'autres continents. C'est ainsi que l'Afrique s'intègre pleinement dans l'activité missionnaire ».[247] Dans un appel précédent adressé à toutes les Églises particulières, jeunes et anciennes, j'ai déjà dit : « Le monde est en train de s'unifier toujours davantage, l'esprit de l'Évangile doit conduire à surmonter les barrières des cultures, des nationalismes, écartant toute fermeture ».[248]
La courageuse détermination manifestée par l'Assemblée spéciale d'engager les jeunes Églises d'Afrique dans la mission « jusqu'aux extrémités de la terre » reflète le désir de suivre, aussi généreusement que possible, une des directives importantes du Concile Vatican II : « Pour que ce zèle missionnaire fleurisse chez les frères de la même patrie, il convient grandement que les jeunes Églises participent, au plus vite et activement, à la mission universelle de l'Église en envoyant elles- mêmes des missionnaires pour annoncer l'Évangile partout sur la terre, même si elles souffrent d'une pénurie de clergé. La communion avec l'Église universelle sera en quelque sorte consommée lorsque, elles aussi, participeront de façon active à l'action missionnaire auprès des autres nations ».[249]

[247] Discours à la Conférence épiscopale du Sénégal, de la Mauritanie, du Cap-Vert et de Guinée Bissau (Poponguine, 21 février 1992), n. 3 : AAS 85 (1993), p. 150.
[248] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 39 : AAS83 (1991), p. 287.
[249] Décret Ad gentes, n. 20.


Solidarité pastorale organique

131 J'ai fait remarquer dans le début de cette Exhortation qu'en annonçant la convocation de l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques j'avais en vue la promotion d'« une solidarité pastorale organique dans tout le territoire africain et les îles adjacentes ».[250] Je suis heureux de constater que l'Assemblée a courageusement poursuivi cet objectif. Les discussions au Synode ont révélé l'empressement et la générosité des évêques pour cette solidarité pastorale et pour le partage de leurs ressources avec d'autres même quand ils avaient eux-mêmes besoin de missionnaires.

[250] Angélus (6 janvier 1989), n. 2 : La Documentation catholique 86 (1989), p. 203.


132 À ce sujet, je voudrais m'adresser spécialement à mes frères évêques qui « sont, avec moi, directement responsables de l'évangélisation du monde, en tant que membres du collège épiscopal et en tant que pasteurs des Églises particulières ».[251] Dans leur sollicitude quotidienne pour le troupeau qui leur est confié, ils ne doivent jamais perdre de vue les besoins de l'Église tout entière. En tant qu'évêques catholiques, ils ne peuvent pas ne pas partager le souci de toutes les Églises qui brûlait au coeur de l'Apôtre (2 Co 2Co 11,28). Ils ne peuvent pas ne pas le partager, surtout lorsqu'ils réfléchissent et prennent ensemble des décisions, comme membres des différentes Conférences épiscopales, qui, par l'intermédiaire des organismes de coordination au niveau régional et continental, sont en mesure de mieux percevoir et de mieux évaluer les urgences pastorales apparaissant dans d'autres parties du monde. Les évêques pratiquent aussi une forme éminente de solidarité apostolique dans le Synode : celui-ci « doit avoir parmi les affaires d'importance générale un souci spécial de l'activité missionnaire, qui est la charge la plus importante et la plus sacrée de l'Église ».[252]

[251] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 63 : AAS83 (1991), p. 311.
[252] Ad gentes, n. 29.


133 Comme l'Assemblée spéciale l'a justement fait remarquer, un renouvellement dans la formation des prêtres est certainement nécessaire afin de préparer une solidarité pastorale d'ensemble en Afrique. On ne méditera jamais assez les paroles du Concile Vatican II qui affirme que « le don spirituel que les prêtres ont reçu à l'ordination les prépare non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d'ampleur universelle, jusqu'aux extrémités de la terre (Ac 1,8) ».[253]
C'est pourquoi j'ai exhorté les prêtres à « se rendre effectivement disponibles à l'égard de l'Esprit Saint et de l'évêque, afin d'être envoyés pour prêcher l'Évangile au-delà des frontières de leur pays. Cela exigera d'eux non seulement la maturité dans la vocation, mais aussi une capacité peu commune de se détacher de leur patrie, de leur ethnie, de leur famille, et une aptitude remarquable à s'intégrer dans d'autres cultures, avec intelligence et respect ».[254]
Je suis plein de reconnaissance envers Dieu en apprenant qu'en nombre croissant des prêtres africains ont répondu à l'appel à être des témoins « jusqu'aux extrémités de la terre ». J'espère ardemment que cette tendance sera stimulée et renforcée dans toutes les Églises particulières d'Afrique.

[253] Presbyterorum ordinis, n. 10.
[254] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 67 : AAS 83 (1991), p. 316.


134 Il est aussi très réconfortant de savoir que les Instituts missionnaires qui sont en Afrique depuis longtemps « accueillent aujourd'hui, et de plus en plus, des candidats provenant des jeunes Églises qu'ils ont fondées »,[255] permettant ainsi à ces mêmes Églises de participer à l'activité missionnaire de l'Église universelle. De même, je remercie les nouveaux Instituts missionnaires africains qui envoient aujourd'hui leurs membres ad gentes. C'est un développement providentiel et vraiment merveilleux qui manifeste la maturité, la vitalité et le dynamisme de l'Église qui est en Afrique.

[255] Ibid., n. 66 : l.c., p. 314.


135 Je voudrais faire mienne de manière très particulière la recommandation explicite des Pères synodaux d'établir les quatre OEuvres pontificales missionnaires dans chaque Église particulière et dans chaque pays comme moyen d'accomplir une solidarité pastorale organique en faveur de la mission « jusqu'aux extrémités de la terre ». OEuvres du Pape et du Collège épiscopal, elles occupent à bon droit la première place, « puisqu'elles sont des moyens pour pénétrer les catholiques d'un esprit vraiment universel et missionnaire dès leur enfance, et pour provoquer une collecte efficace de subsides au profit de toutes les missions selon les besoins de chacune ».[256] Un fruit significatif de leur activité « est de susciter des vocations ad gentes, pour toute la vie, dans les Églises anciennes comme dans les plus jeunes. Je recommande vivement d'orienter toujours davantage leur service d'animation vers cette fin ».[257]

[256] Ad gentes, n. 38.
[257] Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 84 : AAS 83 (1991), p. 331.


Sainteté et mission

136 Le Synode a réaffirmé que tous les fils et filles de l'Afrique sont appelés à la sainteté et à être des témoins du Christ partout dans le monde. « Les leçons de l'histoire confirment que, par l'action du Saint-Esprit, l'évangélisation se fait avant tout à travers le témoignage de la charité, le témoignage de la sainteté ».[258] Pour cela, je désire répéter à tous les fidèles du Christ en Afrique, les paroles suivantes que j'ai écrites il y a quelques années : « Tout missionnaire n'est authentiquement missionnaire que s'il s'engage sur la voie de la sainteté [...]. Tout fidèle est appelé à la sainteté et à la mission [...]. L'élan renouvelé vers la mission ad gentes demande de saints missionnaire n'est authentiquement missionnaire que s'il s'engage sur la voie de la sainteté [...]. Tout fidèle est appelé à la sainteté et à la mission [...]. L'élan renouvelé vers la mission ad gentes demande de saints missionnaires. Il ne suffit pas de renouveler les méthodes pastorales, ni de mieux organiser et de mieux coordonner les forces de l'Église, ni d'explorer avec plus d'acuité les fondements bibliques et théologiques de la foi : il faut susciter un nouvel élan de sainteté chez les missionnaires et dans toute la communauté chrétienne ».[259]
Maintenant encore, je m'adresse aux chrétiens des jeunes Églises pour leur rappeler leurs responsabilités : « C'est vous qui êtes, aujourd'hui, l'espérance de notre Église, qui a deux mille ans : étant jeunes dans la foi, vous devez être comme les premiers chrétiens et rayonner l'enthousiasme et le courage, en vous donnant généreusement à Dieu et au prochain ; en un mot, vous devez vous mettre sur la voie de la sainteté. Ce n'est qu'ainsi que vous pouvez être des signes de Dieu dans le monde, et revivre dans vos pays l'épopée missionnaire de l'Église primitive. Vous serez aussi des ferments d'esprit missionnaire pour les Églises plus anciennes ».[260]

[258] Jean-Paul II, Discours à un groupe d’évêques du Nigéria en visite ad limina (21 janvier 1982), n. 4 : AAS 74 (1982), pp. 435-436.
[259] Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 90 : AAS 83 (1991), pp. 336-337.
[260] Ibid., n. 91 : l.c., pp. 337-338.


137 L'Église qui est en Afrique partage avec l'Église universelle « la vocation sublime de réaliser, d'abord en elle-même, l'unité du genre humain au-delà des clivages ethniques, culturels, nationaux, sociaux et autres, pour signifier précisément la caducité de ces mêmes clivages, abolis par la Croix du Christ ».[261] En répondant à sa vocation d'être dans le monde le peuple sauvé et réconcilié, l'Église contribue à promouvoir une coexistence fraternelle entre les peuples, puisqu'elle transcende les distinctions de race et de nationalité.
Sur la base de cette vocation spécifique donnée à l'Église par son divin Fondateur, je demande ardemment à la communauté catholique qui est en Afrique de porter devant toute l'humanité un témoignage authentique de l'universalisme chrétien qui prend sa source dans la paternité de Dieu. « Tous les hommes créés en Dieu ont même origine ; quelle que soit dans le cours de l'histoire leur dispersion ou l'accentuation de leurs différences, ils sont destinés à former une seule famille, selon le dessein de Dieu établi "au commencement" ».[262] L'Église en Afrique est appelée à aller par amour vers chaque être humain en vertu de la certitude de foi que, « par son Incarnation, le Fils de Dieu lui-même s'est en quelque sorte uni à tout homme ».[263]
En particulier, l'Afrique doit apporter sa contribution propre au mouvement oecuménique dont je viens de souligner à nouveau l'urgence à l'approche du troisième millénaire dans l'encyclique Ut unum sint.[264] L'Afrique peut aussi jouer un rôle important dans le dialogue entre les religions, notamment en approfondissant les relations intenses avec les musulmans et en favorisant une attention respectueuse aux valeurs propres de la religion traditionnelle africaine.

[261] Commission pontificale « Justice et Paix », Document L’Église face au racisme : pour une société plus fraternelle (3 novembre 1988), n. 22 : Typographie polyglotte vaticane, Cité du Vatican 1988.
[262] Ibid., n. 20.
[263] Gaudium et spes, n. 22.
[264] N. 77-79 : La Documentation catholique 92 (1995), pp. 588-589.


Pratiquer la solidarité

138 En accomplissant sa mission de témoignage du Christ « jusqu'aux extrémités de la terre », l'Église en Afrique sera certainement soutenue par la conviction de la « valeur positive et morale [de] la conscience croissante de l'interdépendance entre les hommes et les nations. Le fait que des hommes et des femmes, en diverses parties du monde, ressentent comme les concernant personnellement les injustices et les violations des droits de l'homme commises dans des pays lointains où ils n'iront sans doute jamais, c'est un autre signe d'une réalité intériorisée dans la conscience, prenant ainsi une connotation morale ».[265]
Je souhaite que les chrétiens en Afrique deviennent profondément conscients de cette interdépendance entre les individus et les nations, et soient prêts à y répondre en pratiquant la vertu de la solidarité. Le fruit de la solidarité est la paix, cette paix qui est un bien très précieux pour les peuples et les nations du monde. En effet, c'est par des moyens qui renforcent et promeuvent la solidarité que l'Église fournit une contribution spécifique et déterminante à une véritable culture de la paix.

[265] Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 38 : AAS 80 (1988), p. 565.


139 Entrant en rapport, sans discrimination, avec les peuples du monde dans le dialogue avec les diverses cultures, l'Église les rapproche les uns des autres, aidant chacun d'eux à assumer, dans la foi, les valeurs authentiques des autres.
Prête à coopérer avec tout homme de bonne volonté et avec la communauté internationale, l'Église en Afrique ne cherche aucun avantage pour elle-même. La solidarité qu'elle pratique « tend à se dépasser elle-même, à prendre les dimensions spécifiquement chrétiennes de la gratuité totale, du pardon et de la réconciliation ».[266] L'Église cherche à contribuer à la conversion de l'humanité en l'amenant à s'ouvrir au plan salvifique de Dieu par son témoignage évangélique accompagné d'activités caritatives au service des pauvres et des petits. Agissant de la sorte, elle ne perd pas de vue la primauté de la transcendance et des réalités spirituelles qui sont les prémices du salut éternel de l'homme.
Durant leurs débats sur la solidarité de l'Église avec les peuples et les nations, les Pères synodaux ont été, à tout moment, pleinement conscients qu' « il faut distinguer soigneusement le progrès terrestre de la croissance du Règne du Christ » et que « ce progrès a néanmoins une grande importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine ».[267] C'est justement pour cela que l'Église en Afrique est convaincue — et les travaux de l'Assemblée spéciale l'ont clairement montré — que l'attente du retour final du Christ « ne pourra jamais justifier que l'on se désintéresse des hommes dans leur situation personnelle concrète et dans leur vie sociale, nationale et internationale »,[268] parce que les conditions terrestres influent sur le pèlerinage de l'homme vers l'éternité.

[266] Ibid., n. 40 : l.c., p. 568.
[267] Gaudium et spes, n. 39.
[268] Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 48 : AAS 80 (1988), p. 583.



CONCLUSION

Vers le nouveau millénaire chrétien

140 Réunis autour de la Vierge Marie comme pour une nouvelle Pentecôte, les membres de l'Assemblée spéciale ont examiné en profondeur la mission évangélisatrice de l'Église en Afrique au seuil du troisième millénaire. En concluant cette Exhortation apostolique post-synodale, dans laquelle je présente les fruits de cette Assemblée à l'Église qui est en Afrique, à Madagascar et dans les îles adjacentes, et à toute l'Église catholique, je remercie Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui nous a accordé le privilège de vivre le « moment de grâce » authentique que fut le Synode. Je suis vivement reconnaissant au Peuple de Dieu en Afrique de tout ce qu'il a fait pour l'Assemblée spéciale. Ce Synode a été préparé avec zèle et enthousiasme comme le montrent les réponses au questionnaire joint au document préliminaire (Lineamenta) et les réflexions recueillies dans le document de travail (Instrumentum laboris). Les communautés chrétiennes d'Afrique ont prié avec ferveur pour le succès des travaux de l'Assemblée spéciale qui a été largement bénie par le Seigneur.

141 Puisque le Synode a été convoqué pour permettre à l'Église en Afrique d'assumer sa mission évangélisatrice d'une manière aussi efficace que possible, en vue du troisième millénaire chrétien, j'invite par cette Exhortation le Peuple de Dieu en Afrique — évêques, prêtres, personnes consacrées et laïcs — à se tourner résolument vers le grand Jubilé qui sera célébré dans quelques années. Pour tous les peuples d'Afrique, la meilleure préparation au nouveau millénaire ne peut consister que dans un ferme engagement à exécuter très fidèlement les décisions et les orientations que, avec l'autorité apostolique du Successeur de Pierre, je présente dans cette Exhortation. Ces décisions et ces orientations s'inscrivent dans la droite ligne des enseignements et des directives de l'Église, et en particulier du Concile Vatican II, qui fut la principale source d'inspiration de l'Assemblée spéciale pour l'Afrique.

142 Mon invitation au Peuple de Dieu en Afrique à se préparer pour le grand Jubilé de l'An 2000 est aussi un vibrant appel à la joie chrétienne. « La grande joie annoncée par l'ange, la nuit de Noël, est en vérité pour tout le peuple (cf. Lc Lc 2,10) [...]. La première, la Vierge Marie, en avait reçu l'annonce de l'ange Gabriel, et son Magnificat était déjà l'hymne d'exultation de tous les humbles. Les mystères joyeux nous remettent ainsi, chaque fois que nous récitons le Rosaire, devant l'événement ineffable qui est le centre et le sommet de l'histoire : la venue sur terre de l'Emmanuel, Dieu avec nous ».[269]
C'est le deux millième anniversaire de cet événement source de grande joie que nous nous préparons à célébrer par ce grand Jubilé. L'Afrique qui, « par certains côtés, est également la "seconde patrie" de Jésus de Nazareth, [puisque] encore tout enfant, c'est en Afrique qu'il trouve refuge contre la cruauté d'Hérode »,[270] est donc appelée à la joie. En même temps, « tout devra être orienté vers l'objectif prioritaire du Jubilé qui est le renforcement de la foi et du témoignage des chrétiens ».[271]

[269] Gaudete in Domino (9 mai 1975), III : AAS 67 (1975), p. 297.
[270] Jean-Paul II, Homélie à l’ouverture de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques (10 avril 1994), n. 1 : AAS 87 (1995), p. 179.
[271] Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 42 : AAS 87 (1995), p. 32.



143 En raison des nombreuses difficultés, des crises et des conflits qui entraînent tant de misère et de souffrance sur le continent, il y a des Africains quelquefois tentés de conclure que le Seigneur les a abandonnés, qu'il les a oubliés (cf. Is Is 49,14) ! « Et Dieu répond par les paroles du grand Prophète : "Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si une mère pouvait oublier son enfant, moi, je ne t'oublierai jamais. Vois, je t'ai gravé sur les paumes de mes mains" (Is 49,15-16). Oui, sur les paumes des mains du Christ, percées par les clous de la crucifixion. Le nom de chacun d'entre vous [Africains] est gravé sur ces mains. Aussi avec une pleine confiance, nous clamons : "Le Seigneur est notre force et notre bouclier. En lui, notre coeur est en joie. En lui, notre coeur a foi" (Ps 28,7) (27)».[272]

[272] Jean-Paul II, Homélie à Khartoum (10 février 1993), n. 8 : AAS 85 (1993), p. 964.



Ecclesia in Africa FR 117