Ecclesia in Asia FR 9


CHAPITRE II

JÉSUS, LE SAUVEUR: UN DON POUR L'ASIE




Le don de la foi

10 Tandis qu'au Synode se poursuivait peu à peu la discussion sur les réalités complexes de l'Asie, il devenait toujours plus évident pour tous que la contribution spécifique apportée par l'Eglise aux peuples du continent est l'annonce de Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, seul et unique Sauveur pour tous les peuples.35 Ce qui distingue l'Eglise des autres communautés religieuses, c'est la foi en Jésus Christ; et elle ne peut garder pour elle sous le boisseau cette précieuse lumière de la foi (cf. Mt 5,15), car sa mission est de la partager avec tous. « La vie nouvelle qu'elle a trouvée en Jésus Christ, [l'Eglise] veut l'offrir à tous les peuples de l'Asie qui cherchent la plénitude de vie, afin qu'ils puissent instaurer la même communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ dans la puissance de l'Esprit Saint ».36 Cette foi en Jésus Christ est ce qui inspire l'action évangélisatrice de l'Eglise en Asie, souvent menée dans des circonstances difficiles, et même dangereuses. Les Pères synodaux ont fait observer que proclamer Jésus comme unique Sauveur peut présenter des difficultés particulières dans leurs cultures, du fait que beaucoup de religions de l'Asie enseignent qu'elles sont elles-mêmes des manifestations de Dieu qui procurent le salut. Loin de décourager les Pères synodaux, les défis qu'ils affrontent dans leurs efforts d'évangélisation ont grandement stimulé leur souci de transmettre « la foi que l'Eglise en Asie a reçue des Apôtres et qu'elle maintient avec l'Eglise de toutes les générations et de tous les lieux ».37 Les Pères ont ainsi exprimé leur conviction que « le coeur de l'Eglise en Asie sera sans repos jusqu'à ce que toute l'Asie trouve son repos dans la paix du Christ, le Seigneur ressuscité ».38

La foi de l'Eglise en Jésus est un don reçu et un don à partager; c'est le don le plus grand que l'Eglise puisse offrir à l'Asie. Partager la vérité de Jésus Christ avec les autres est le devoir solennel de ceux qui ont reçu le don de la foi. Dans l'encyclique Redemptoris missio, j'écrivais que « l'Eglise, et en elle tout chrétien, ne peut cacher ni garder pour elle cette nouveauté et cette richesse, reçues de la bonté divine pour être communiquées à tous les hommes ».39 Et je poursuivais: « Ceux qui font partie de l'Eglise catholique doivent se considérer comme privilégiés et, de ce fait, d'autant plus engagés à donner un témoignage de foi et de vie chrétienne qui soit un service à l'égard de leurs frères et une réponse due à Dieu ».40

Les Pères synodaux, qui en étaient profondément convaincus, ont eu également conscience de leur responsabilité personnelle de bien saisir la vérité éternelle de Jésus par l'étude, la prière et la réflexion, afin de porter sa puissance et sa vitalité au sein des défis présents et futurs de l'évangélisation en Asie.

(35) Cf. Proposition 5.
(36) Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Evêques, Rapport avant la discussion, n. 16:L'Osservatore Romano, 22 avril 1998, p. 5.
(37) Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Evêques, Rapport après la discussion, n. 3.
(38) Proposition 8.
(39) N. RMi 11: AAS 83 (1991), p. 260; La Documentation catholique 88 (1991), p. 157.
(40) Ibid.


Jésus Christ, l'Homme-Dieu qui sauve

11 L'Ecriture atteste que Jésus a mené une vie authentiquement humaine. Ce Jésus que nous proclamons unique Sauveur a cheminé sur terre comme Homme-Dieu possédant pleinement la nature humaine. Né d'une Mère vierge dans un humble cadre à Bethléem, il fut sans défense comme les autres enfants, subissant même le destin de réfugié pour fuir la colère d'un gouverneur cruel (cf. Mt 2,13-15). Il fut soumis à ses parents humains, qui ne comprenaient pas toujours son attitude, mais qui lui faisaient pleine confiance et auxquels il obéit affectueusement (cf. Lc 2,41-52). Continuellement en prière, il vivait en union intime avec Dieu, auquel il s'adressait en l'appelantAbba, « Père », au grand étonnement de ceux qui l'entendaient (cf. Jn 8,34-59).

Il était proche des pauvres, des délaissés, des petits, les déclarant vraiment bienheureux parce que Dieu était avec eux. Il mangeait avec les pécheurs, les assurant qu'à la table du Père il y avait une place pour eux aussi s'ils se détournaient de leur conduite pécheresse et revenaient à lui. Touchant les impurs et se laissant toucher par eux, il leur faisait comprendre la proximité de Dieu. Il pleura sur un ami décédé, il rendit à une veuve son fils qui était mort, il accueillait les enfants, il lava les pieds de ses disciples. Jamais la compassion divine ne fut aussi immédiatement accessible.

Malades, estropiés, aveugles, sourds et muets, tous ont connu la guérison et le pardon à son contact. Il choisit comme compagnons et collaborateurs les plus proches un groupe insolite où des pêcheurs voisinaient avec des collecteurs d'impôts, des zélotes avec des personnes ignorant la Loi, et même des femmes. Ainsi se créa une nouvelle famille, réunie par l'amour accueillant et surprenant du Père. Jésus prêchait avec simplicité, utilisant des exemples puisés dans la vie de tous les jours pour parler de l'amour de Dieu et de son Royaume; et le peuple reconnut qu'il parlait avec autorité.

Et pourtant on l'accusa d'être un blasphémateur, un homme qui violait la Loi sacrée, un agitateur public qu'il fallait éliminer. Après un procès fondé sur un faux témoignage (cf. Mc 14,56), il fut condamné à mourir sur la Croix comme un criminel, abandonné et humilié, apparaissant comme un vaincu. Il fut enseveli en toute hâte dans un tombeau emprunté. Mais le troisième jour après sa mort, malgré la surveillance des gardes, le tombeau fut trouvé vide! Jésus, ressuscité des morts, apparut ensuite aux disciples avant de retourner vers son Père, d'où il était venu.

Avec tous les chrétiens, nous croyons que cette vie particulière, d'une certaine façon si ordinaire et si simple, d'une autre façon si totalement inimaginable et si entourée de mystère, fit entrer dans l'histoire humaine le Règne de Dieu et « introduisit sa puissance dans chacun des aspects de la vie humaine et de la société marquée par le péché et par la mort ».41 Par ses paroles et par ses actions, spécialement dans ses souffrances, sa mort et sa résurrection, Jésus a accompli la volonté de son Père de réconcilier toute l'humanité en lui, après que le péché originel eut créé une rupture dans la relation entre le Créateur et sa création. Sur la Croix, il prit sur lui les péchés du monde — passés, présents et futurs. Saint Paul nous rappelle que nous étions morts à cause de nos péchés et que sa mort nous a rendu la vie: Dieu vous « a fait revivre avec lui! Il nous a pardonné toutes nos fautes! Il a effacé, au détriment des ordonnances légales, la cédule de notre dette, qui nous était contraire; il l'a supprimée en la clouant à la Croix » (Col 2,13-14). Ainsi, le salut a été scellé une fois pour toutes. Jésus est notre Sauveur, dans le sens le plus plénier du terme, parce que ses paroles et de ses oeuvres, spécialement sa Résurrection d'entre les morts, ont révélé qu'il était le Fils de Dieu, le Verbe préexistant, qui règne pour toujours comme Seigneur et Messie.

(41) Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Evêques, Rapport après la discussion, n. 3.


La personne et la mission du Fils de Dieu

12 Le « scandale » du christianisme est de croire que Dieu, le Très Saint, le Tout-Puissant et l'Omniscient, a pris notre nature humaine et a supporté la souffrance et la mort afin de mériter le salut pour tous les peuples (cf. 1Co 1,23). La foi que nous avons reçue proclame que Jésus Christ a révélé et porté à son achèvement le dessein du Père de sauver le monde et l'humanité entière en raison de « ce qu'il est » et de « ce qu'il accomplit à cause de ce qu'il est ». « Ce qu'il est » et « ce qu'il fait » n'acquièrent leur pleine signification que lorsqu'ils sont placés à l'intérieur du mystère de Dieu Un et Trine. L'une des constantes préoccupations de mon pontificat a été de rappeler aux fidèles la communion de vie de la Trinité bienheureuse et l'unité des trois Personnes dans le plan de la création et de la rédemption. Les encycliques Redemptor hominis, Dives in misericordia et Dominum et vivificantem sont centrées sur le Fils, sur le Père et sur l'Esprit Saint, et sur leurs rôles respectifs dans le dessein divin du salut. Toutefois, nous ne pouvons pas isoler ou séparer une Personne des autres, car chacune se révèle seulement à l'intérieur de la communion de vie et d'action de la Trinité. L'action salvifique de Jésus a son origine dans la communion des Personnes divines et, à tous ceux qui croient en lui, elle ouvre la voie pour entrer en communion intime avec la Trinité, et avec l'une et l'autre Personnes dans la Trinité.

« Qui m'a vu a vu le Père », affirme Jésus (Jn 14,9). En Jésus Christ seul habite corporellement la plénitude de la Divinité (cf. Col 2,9), faisant de lui le Verbe de Dieu, Sauveur unique et absolu (cf. He 1,1-4). Parole définitive du Père, Jésus fait connaître Dieu et sa volonté salvifique de la manière la plus parfaite possible. « Nul ne vient au Père sinon par moi », dit Jésus (Jn 14,6). Il est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Ibid.), car il l'explique lui-même: « C'est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres oeuvres » (Jn 14,10). C'est seulement dans la personne de Jésus que la parole de salut de Dieu apparaît dans sa plénitude, introduisant les derniers temps (cf. He 1,1-2). C'est ainsi que, dès les premiers temps de l'Eglise, Pierre pouvait proclamer qu'« il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4,12).

La mission du Sauveur atteint son sommet dans le Mystère pascal. Sur la Croix, au moment où « ses bras étendus dessinent entre ciel et terre le signe indélébile de l'alliance » du Père,42 Jésus lance un dernier cri à son Père pour qu'il pardonne les péchés de l'humanité: « Père, pardonne-leur: ils ne savent ce qu'ils font » (Lc 23,34). Jésus a détruit le péché par la puissance de son amour pour son Père et pour le genre humain. Il a pris sur lui toutes les blessures infligées à l'humanité par le péché; il a offert la libération par la conversion. Les premiers fruits en sont évidents chez le larron repenti, pendu à côté de lui sur une autre croix (cf. Lc 23,43). Ses dernières paroles furent le cri du fils fidèle: « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46). Dans cette expression suprême d'amour, il remit toute sa vie et sa mission entre les mains de son Père, qui l'avait envoyé. À cet instant, il rendait à son Père toute la création, et aussi l'humanité entière afin qu'il la reçoive de nouveau avec un amour de compassion.

Tout ce que le Fils est et a accompli est accueilli par le Père, qui peut ainsi l'offrir comme don au monde au moment où il ressuscite Jésus d'entre les morts et le fait asseoir à sa droite, là où le péché et la mort n'ont plus aucun pouvoir. A travers le sacrifice pascal de Jésus, le Père offre irrévocablement au monde la réconciliation et la plénitude de vie. Ce don extraordinaire n'a pu être offert qu'à travers le Fils bien-aimé, le seul qui fût en mesure de répondre pleinement à l'amour du Père, rejeté par le péché. Dans le Christ Jésus, par la puissance de l'Esprit Saint, nous apprenons que Dieu n'est pas lointain, au-dessus et en dehors de l'homme, mais qu'il est tout proche, qu'il est vraiment uni à chaque personne et à toute l'humanité, en toute circonstance de la vie. Tel est le message que le christianisme offre au monde, message qui est source de réconfort et d'espérance incomparables pour tous les croyants.

(42) Missel romain, Prière eucharistique de la réconciliation, I.


Jésus Christ, Vérité de l'humanité

13 Comment l'humanité de Jésus et le mystère ineffable de l'incarnation du Fils du Père peuvent-ils éclairer la condition humaine? Non seulement le Fils de Dieu incarné a révélé totalement le Père et son dessein de salut, mais aussi il « révèle pleinement l'homme à lui-même ».43 Ses paroles et ses actes, surtout sa mort et sa résurrection, révèlent la profondeur de la signification d'être homme. À travers Jésus, l'homme peut en définitive connaître la vérité sur lui-même. La vie parfaitement humaine de Jésus, entièrement consacrée à l'amour et au service de son Père et de l'humanité, montre que la vocation de tout être humain est de recevoir l'amour et de donner l'amour en retour. En Jésus, nous restons émerveillés de la capacité inépuisable du coeur humain d'aimer Dieu et l'homme, même quand cela peut entraîner de grandes souffrances. Sur la Croix surtout, Jésus brise le pouvoir de la résistance autodestructrice à l'amour que le péché fait peser sur nous. Pour sa part, le Père répond en ressuscitant Jésus comme le premier-né de ceux qu'il a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils (cf. Rm 8,29). A ce moment-là, Jésus est devenu une fois pour toutes la révélation et l'accomplissement d'une humanité régénérée et renouvelée selon le dessein de Dieu. En Jésus, nous découvrons la grandeur et la dignité de toute personne dans le coeur de Dieu, qui a créé l'homme à son image (cf. Gn 1,26), et nous découvrons l'origine de la nouvelle création, qui est advenue par sa grâce.

Le Concile oecuménique Vatican II a enseigné que, « par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme ».44 Dans cette vérité profonde, les Pères synodaux ont vu l'ultime source d'espérance pour les peuples de l'Asie dans leurs combats et dans leurs incertitudes. Quand les hommes et les femmes répondent par une foi vivante au don d'amour de Dieu, sa présence apporte amour et paix, et transforme le coeur humain de l'intérieur. Dans l'encyclique Redemptor hominis, j'écrivais que « la Rédemption du monde — ce mystère redoutable de l'amour, dans lequel la création est renouvelée — est, dans ses racines les plus profondes, la plénitude de la justice dans un coeur humain, dans le Coeur du Fils premier-né, afin qu'elle puisse devenir la justice des coeurs de beaucoup d'hommes, qui, dans ce Fils premier-né, ont été prédestinés de toute éternité à devenir fils de Dieu et appelés à la grâce, appelés à l'amour ».45

Ainsi la mission de Jésus a rétabli la communion entre Dieu et l'humanité; elle a aussi instauré une nouvelle communion entre les êtres humains éloignés les uns des autres à cause du péché. Au-delà de toutes les divisions, Jésus donne la possibilité à tous les peuples de vivre comme des frères et des soeurs qui reconnaissent un seul Père qui est aux cieux (cf. Mt 23,9). En lui est apparue une nouvelle harmonie où « il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28). Jésus est notre paix, « lui qui de deux réalités n'a fait qu'une, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine » (Ep 2,14). En tout ce qu'il disait et faisait, Jésus a été la voix, les mains et les bras de son Père, réunissant tous les fils de Dieu en une unique famille d'amour; il a prié pour que ses disciples puissent vivre en communion de la même manière qu'il est en communion avec son Père (cf. Jn 17,11). Parmi ses dernières paroles, nous l'avons entendu dire: « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour. [...] Voici quel est mon commandement: vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,9 Jn 15,12). Envoyé par le Dieu de la communion, et étant vrai Dieu et vrai homme, Jésus a établi la communion entre le ciel et la terre dans sa personne. Nous croyons que « Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1,19-20). Le salut peut être trouvé dans la personne du Fils de Dieu fait homme et dans la mission confiée à lui seul comme Fils, mission de service et d'amour pour la vie de tous. Avec l'Eglise du monde entier, l'Eglise en Asie proclame la vérité de la foi: « Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous » (1Tm 2,5-6).

(43) Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. RH 10: AAS 71 (1979), p. 274; La Documentation catholique 76 (1979), p. 306.
(44) Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. GS 22.
(45) N. RH 9: AAS 71 (1979), pp. 272-273; La Documentation catholique 76 (1979), p. 305.


L'unicité et l'universalité du salut en Jésus

14 Les Pères synodaux ont rappelé que le Verbe préexistant, le Fils unique et éternel de Dieu, « était déjà présent dans la création, dans l'histoire et en tout être humain qui aspire au bien ».46 Par le Verbe, présent dans le cosmos avant même l'Incarnation, le monde fut (cf. Jn 1,1-4 Jn 1,10 Col 1,15-20). Mais, comme Verbe incarné qui a vécu, qui est mort et qui est ressuscité des morts, Jésus Christ est maintenant proclamé comme l'accomplissement de toute la création, de toute l'histoire, de tout homme qui aspire à la plénitude de la vie.47 Ressuscité des morts, Jésus Christ « est présent à tous et à toute la création d'une manière nouvelle et mystérieuse ».48 En lui « les valeurs authentiques de toutes les traditions religieuses et culturelles telles que la miséricorde et la soumission à la volonté de Dieu, la compassion et la rectitude, la non-violence et la droiture, la piété filiale et l'harmonie avec la création, trouvent leur plénitude et leur réalisation ».49 Du début à la fin du temps, Jésus est le seul Médiateur universel. Même pour ceux qui ne professent pas explicitement la foi en Lui comme Sauveur, le salut vient de Lui comme grâce, par la communication de l'Esprit Saint.

Nous croyons que Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, est l'unique Sauveur parce que lui seul — le Fils — pouvait mener à son accomplissement le plan universel de salut du Père. En tant que manifestation définitive du mystère de l'amour du Père envers tous, Jésus est en effet unique et « c'est précisément ce caractère unique du Christ qui lui confère une portée absolue et universelle par laquelle, étant dans l'histoire, il est le centre et la fin de l'histoire elle-même ».50

Aucune personne, aucune nation, aucune culture n'est imperméable à l'appel de Jésus qui parle du coeur même de la condition humaine. « C'est sa vie elle-même qui parle, son humanité, sa fidélité à la vérité, son amour qui s'étend à tous. Sa mort en croix parle, elle aussi, c'est-à-dire la profondeur insondable de sa souffrance et de son abandon ».51 Dans la contemplation de sa nature humaine, les peuples de l'Asie trouvent la réponse à leurs questions les plus profondes, l'accomplissement de leurs espérances, l'élévation de leur dignité et la victoire sur leur désespoir. Jésus est la Bonne Nouvelle pour les hommes et les femmes de tout temps et de tout lieu qui cherchent le sens de l'existence et la vérité de leur humanité.

(46) Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Evêques, Rapport après la discussion, n. 3.
(47) Cf. ibid.
(48) Ibid.
(49) Proposition 5.
(50) Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. RMi 6; AAS 83 (1991), p. 255; La Documentation catholique 88 (1991), p. 155.
(51) Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. RH 7: AAS 71 (1979), p. 269; La Documentation catholique 76 (1979), p. 304.


CHAPITRE III

L'ESPRIT SAINT: SEIGNEUR, QUI DONNE LA VIE




L'Esprit de Dieu dans la création et dans l'histoire

15 S'il est vrai que la signification salvifique de Jésus ne peut être comprise que dans le contexte de sa révélation du plan de salut de la Trinité, il s'ensuit que l'Esprit Saint est une partie absolument vitale du mystère de Jésus et du salut qu'il apporte. Les Pères synodaux se sont souvent référés au rôle de l'Esprit Saint dans l'histoire du salut, notant qu'une fausse séparation entre le Rédempteur et l'Esprit Saint pourrait mettre en péril la vérité que le Christ est l'unique Sauveur de tous.

Dans la tradition chrétienne, l'Esprit Saint a toujours été associé à la vie et au don de la vie. Le Credo de Nicée-Constantinople appelle l'Esprit Saint celui « qui est Seigneur et qui donne la vie ». Aussi n'est-il pas surprenant que de nombreuses interprétations du récit de la création dans le livre de la Genèse aient vu l'Esprit Saint dans le vent qui agitait la surface des eaux (cf.
Gn 1,2). Il est présent dès le premier instant de la création, première manifestation de l'amour de Dieu Un et Trine, et il est toujours présent dans le monde comme sa force qui donne la vie.52 Puisque la création est le commencement de l'histoire, l'Esprit est en un sens une puissance cachée qui est à l'oeuvre dans l'histoire, la guidant sur les voies de la vérité et du bien.

La révélation de la personne de l'Esprit Saint, amour mutuel du Père et du Fils, est le propre du Nouveau Testament. Dans la pensée chrétienne, il est considéré comme source de vie pour toutes les créatures. La création est la libre communication d'amour de Dieu qui, du néant, appelle toute chose à l'existence. Tout ce qui est créé est rempli de l'échange incessant d'amour qui caractérise la vie intime de la Trinité, c'est-à-dire est comblé de l'Esprit Saint: « L'Esprit du Seigneur remplit le monde » (Sg 1,7). La présence de l'Esprit dans la création engendre dans tout ce qui existe l'ordre, l'harmonie et l'interdépendance.

Créés à l'image de Dieu, les êtres humains deviennent la demeure de l'Esprit d'une nouvelle manière lorsqu'ils sont élevés à la dignité de fils adoptifs (cf. Ga 4,5). Régénérés par le baptême, ils font l'expérience de la présence et de la puissance de l'Esprit non seulement comme Auteur de la vie, mais aussi comme Celui qui purifie et qui sauve, produisant des fruits qui sont « charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5,22-23). Et ces fruits de l'Esprit sont le signe que « l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné » (Rm 5,5). Quand il est librement accepté, cet amour fait des hommes et des femmes des instruments visibles de l'incessante activité de l'invisible Esprit. C'est avant tout cette nouvelle capacité de donner et de recevoir l'amour qui rend témoignage à la présence intérieure et à la puissance de l'Esprit Saint. Comme conséquence de la transformation et de la régénération qu'il réalise dans le coeur et dans l'esprit des hommes, l'Esprit Saint influe sur les sociétés, les cultures et les religions.53 « En effet, l'Esprit se trouve à l'origine des idéaux nobles et des initiatives bonnes de l'humanité en marche: "Par une providence admirable, il conduit le cours des temps et rénove la face de la terre" ».54

Suivant le parcours du Concile Vatican II, les Pères du Synode ont souligné l'action multiple et diversifiée de l'Esprit Saint, qui sème constamment des semences de vérité parmi tous les peuples, ainsi que dans leurs religions, leurs cultures et leurs philosophies.55 Cela signifie que leurs religions, leurs cultures et leurs philosophies sont capables d'aider les peuples, individuellement et collectivement, à lutter contre le mal et à servir la vie et tout ce qui est bon. Les forces de mort isolent les uns des autres les peuples, les sociétés et les communautés religieuses, et elles engendrent les soupçons et les rivalités qui conduisent aux conflits. Au contraire, l'Esprit Saint soutient les peuples dans leur recherche de compréhension et d'acceptation mutuelles. Le Synode avait donc raison de voir dans l'Esprit de Dieu le premier agent du dialogue de l'Eglise avec les peuples, les cultures et les religions.

(52) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Dominum et vivificantem (18 mai 1986), n. DEV 54: AAS 78 (1986), p. 875; La Documentation catholique 83 (1986), p. 602.
(53) Cf. ibid., n. DEV 59: AAS, l.c., p. 885; La Documentation catholique, l.c., p. 605.
(54) Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. RMi 28: AAS 83 (1991), p. 274;La Documentation catholique 88 (1991), p. 162; cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. GS 26.
(55) Cf. Proposition 11; Conc. oecum. Vat. II, Décr. sur l'activité missionnaire de l'Eglise Ad gentes, nn. AGD 4 AGD 15; Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 17; Const. past. Gaudium et spes, nn. GS 11 GS 22 GS 38; Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. RMi 28: AAS 83 (1991), pp. 273-274; La Documentation catholique 88 (1991), p. 162.


L'Esprit Saint et l'Incarnation du Verbe

16 Sous la conduite de l'Esprit, l'histoire du salut se déroule sur la scène du monde, et même du cosmos, selon le plan éternel du Père. Ce plan, mis en oeuvre par l'Esprit dès le premier moment de la création, est déjà présent dans l'Ancien Testament et il a été porté à son accomplissement par la grâce de Jésus Christ; il se poursuit dans la nouvelle création, par ce même Esprit Saint, jusqu'à ce que le Seigneur revienne dans la gloire à la fin des temps.56 L'Incarnation du Fils de Dieu est l'oeuvre suprême de l'Esprit Saint: « La conception et la naissance de Jésus sont l'oeuvre la plus grande accomplie par l'Esprit Saint dans l'histoire de la création et du salut, c'est-à-dire la grâce suprême — "la grâce d'union" — source de toute autre grâce ».57 L'Incarnation est l'événement par lequel Dieu rassemble en une union nouvelle et définitive avec lui-même non seulement les hommes, mais toute la création et toute l'histoire.58

Ayant été conçu dans le sein de la Vierge Marie par la puissance de l'Esprit (cf.
Lc 1,35 Mt 1,20), Jésus de Nazareth, Messie et unique Sauveur, fut rempli de l'Esprit Saint. Celui-ci descendit sur lui au moment du baptême (cf. Mc 1,10) et le mena au désert pour le fortifier avant son ministère public (cf. Mc 1,12 Lc 4,1 Mt 4,1). Dans la synagogue de Nazareth, Jésus commença son ministère prophétique en s'appliquant à lui-même la vision d'Isaïe sur l'onction de l'Esprit qui le conduit à prêcher la Bonne Nouvelle aux pauvres, la libération aux prisonniers et une année de grâce du Seigneur (cf. Lc 4,18-19). Par la puissance de l'Esprit, Jésus guérit les malades et chassa les démons, comme signe que le Royaume de Dieu était arrivé (cf. Mt 12,28). Après être ressuscité des morts, il communiqua aux disciples l'Esprit Saint qu'il avait promis de répandre sur l'Eglise quand il retournerait vers le Père (cf. Jn 20,22-23).

Tout cela montre que la mission salvifique de Jésus porte la marque unique de la présence de l'Esprit: la vie, la vie nouvelle. Entre l'envoi du Fils par le Père et l'envoi de l'Esprit par le Père et le Fils, il y a un lien étroit et vital.59 L'action de l'Esprit dans la création et dans l'histoire humaine acquiert une signification totalement nouvelle en regard de son action dans la vie et dans la mission de Jésus. Les « semences du Verbe » semées par l'Esprit préparent toute la création, l'histoire et l'homme à la pleine maturité dans le Christ.60

Les Pères synodaux ont exprimé leur préoccupation face à la tendance à séparer l'activité de l'Esprit Saint de celle de Jésus Sauveur; et, répondant à leur préoccupation, je redis ce que j'ai déjà écrit dans l'encyclique Redemptoris missio: « [L'Esprit] ne se substitue pas au Christ, et il ne remplit pas une sorte de vide, comme, suivant une hypothèse parfois avancée, il en existerait entre le Christ et le Logos. Ce que le Christ fait dans le coeur des hommes et dans l'histoire des peuples, dans les cultures et les religions, remplit une fonction de préparation évangélique et cela ne peut pas être sans relation au Christ, le Verbe fait chair par l'action de l'Esprit, "afin que, homme parfait, il sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en lui" ».61

La présence universelle de l'Esprit Saint ne peut donc pas servir d'excuse pour omettre de proclamer explicitement Jésus Christ comme seul et unique Sauveur. A l'inverse, la présence universelle de l'Esprit Saint est inséparable du salut universel en Jésus. La présence de l'Esprit dans la création et dans l'histoire conduit à Jésus Christ, en qui la création et l'histoire sont rachetées et trouvent leur accomplissement. La présence et l'action de l'Esprit, que ce soit au moment de l'Incarnation ou au moment culminant de la Pentecôte, visent toujours Jésus et le salut qu'il apporte. C'est pourquoi la présence universelle de l'Esprit ne peut jamais être séparée de son action à l'intérieur du Corps du Christ, qui est l'Eglise.62

(56) Cf. Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Evêques, Rapport avant la discussion, n. 13: L'Osservatore Romano, 22 avril 1998, p. 5.
(57) Jean-Paul II, Encycl. Dominum et vivificantem (18 mai 1986), n. DEV 50: AAS 78 (1986), p. 870;La Documentation catholique 83 (1986), p. 601; cf. S. Thomas d'Aquin, Somme théologique III 2,10-12 III 6,6 III 7,13.
(58) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Dominum et vivificantem (18 mai 1986), n. DEV 50: AAS 78 (1986), p. 870; La Documentation catholique 83 (1986), p. 601.
(59) Cf. ibid., n. DEV 24: AAS, l.c., p. 832; La Documentation catholique, l.c., pp. 589-590.
(60) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. RMi 28: AAS 83 (1991), p. 274; La Documentation catholique 88 (1991), p. 162.
(61) Ibid., n. RMi 29: AAS, l.c., p. 275; La Documentation catholique, l.c., p. 163; Conc. oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. GS 45.
(62) Cf. ibid.


L'Esprit Saint et le Corps du Christ

17 L'Esprit Saint préserve de manière sûre le lien de communion entre Jésus et son Eglise. Demeurant en elle comme dans un temple (cf. 1Co 3,16), l'Esprit conduit l'Église avant tout à la plénitude de la vérité sur Jésus. C'est l'Esprit qui donne à l'Eglise de pouvoir continuer la mission de Jésus, rendant tout d'abord témoignage à Jésus lui-même, puis portant à son accomplissement tout ce qu'il a promis avant sa mort et sa résurrection, à savoir qu'il enverrait l'Esprit aux disciples afin qu'ils lui rendent témoignage (cf. Jn 15,26-27). L'oeuvre de l'Esprit dans l'Eglise est aussi d'attester que les croyants sont les fils adoptifs de Dieu, destinés à recevoir en héritage le salut, la pleine communion avec le Père qu'il a promise (cf. Rm 8,15-17). Dotant l'Eglise de divers dons et charismes, l'Esprit la fait croître dans la communion comme un corps unique, composé de multiples parties (cf. 1Co 12,4 Ep 4,11-16). L'Esprit rassemble dans l'unité toutes sortes de personnes, avec leurs moeurs, leurs ressources et leurs talents respectifs, faisant de l'Eglise un signe de communion de toute l'humanité, ayant pour chef le Christ.63 L'Esprit confère à l'Eglise la forme d'une communauté de témoins qui, par sa puissance, rendent témoignage à Jésus le Sauveur (cf. Ac 1,8). En ce sens, l'Esprit Saint est le premier agent de l'évangélisation. De tout cela, les Pères synodaux ont pu conclure que, de même que le ministère de Jésus sur terre s'est accompli par la puissance de l'Esprit Saint, de même « le même Esprit a été donné à l'Eglise par le Père et le Fils à la Pentecôte pour achever la mission d'amour et de service de Jésus en Asie ».64

Le plan du Père pour le salut de l'homme ne se termine pas avec la mort et la résurrection de Jésus; par le don de l'Esprit du Christ, les fruits de la mission de salut sont offerts, par l'intermédiaire de l'Eglise, à tous les peuples de tous les temps à travers l'annonce de l'Evangile et le service aimant de la famille humaine. Comme le note le Concile Vatican II, « l'Esprit Saint pousse [l'Eglise] à coopérer à la pleine réalisation du dessein de Dieu, qui a établi le Christ comme principe de salut pour le monde entier ».65 Ayant reçu de l'Esprit le pouvoir de porter à son achèvement le salut du Christ sur la terre, l'Eglise est le germe du Règne de Dieu et elle en attend avec impatience la venue finale. Son identité et sa mission sont inséparables du Règne de Dieu que Jésus a annoncé et inauguré par tout ce qu'il a fait et dit, principalement par sa mort et sa résurrection. L'Esprit rappelle à l'Eglise qu'elle n'est pas à elle-même sa propre fin: en tout ce qu'elle est et en tout ce qu'elle fait, elle existe pour servir le Christ et le salut du monde. Dans cette économie du salut, les oeuvres de l'Esprit Saint dans la création, dans l'histoire et dans l'Église sont toutes une partie de l'unique et éternel dessein de la Trinité sur tout ce qui existe.

(63) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 13.
(64) Proposition 12.
(65) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 17.



Ecclesia in Asia FR 9