Brentano - Bse Emmerich, Vie Vierge Marie - XC - Sur le massacre des Innocents par Hérode.

XC - Sur le massacre des Innocents par Hérode.


Jésus étant à peu près au milieu de sa seconde année, un ange apparut à la sainte Vierge, à Héliopolis, et lui apprit le massacre des enfants par Hérode. Joseph et elle en furent très affligés, et l'Enfant-Jésus pleura toute la journée. Voici ce que je vis à cette occasion.


Les trois rois n'étant pas revenus à Jérusalem, les craintes d'Hérode, qui avait alors diverses affaires de famille à régler, se calmèrent un peu ; mais elles se réveillèrent de nouveau lorsqu'après le retour de la sainte Famille à Nazareth, mille bruits arrivèrent jusqu'à lui touchant les prédictions faites par Siméon et par Anne lors de la présentation de Jésus au temple. Il envoya des soldats, sous divers prétextes, en différents lieux des environs de Jérusalem, à Gilgal, à Bethléem, et jusqu'à Hébron, et il fit faire un dénombrement des enfants. Les soldats occupèrent ces endroits pendant neuf mois. Hérode, pendant ce temps, était à Rome 1, et ce ne fut qu'après son retour que les enfants furent égorgés. Jean avait alors deux ans, et il avait été caché chez ses parents pendant quelque temps, avant qu'Hérode ait donné l'ordre aux mères de présenter devant les autorités leurs enfants âgés de deux ans et au-dessous. Élisabeth, avertie par un ange, s'enfuit de nouveau dans le désert avec le petit saint Jean. Jésus avait alors prés d'un an et demi et pouvait déjà courir.


Les enfants furent égorgés en sept endroits différents. On promit aux mères des gratifications à cause de leur fécondité. Elles portèrent leurs enfants, qu'elles avaient revêtus de leurs plus beaux habits dans les maisons où se tenaient les autorités. Les hommes furent renvoyés et les mères séparées de leurs enfants. Ceux-ci furent égorgés par des soldats dans des cours fermées, jetés en tes enterrés dans des fosses.


La soeur Emmerich raconta sa vision sur le massacre des Innocents, le 8 mars 1821, par conséquent, vers le moment de l'année où eut lieu la fuite en Egypte, en sorte qu'on peut admettre que cet événement eut lieu un an après.


Elle raconta ceci étant gravement malade : elle mentionna divers événements arrivés dans la famille d'Hérode et divers voyages, mais d'une manière très peu intelligible. Elle ne mentionna clairement que le séjour d'Hérode à Rome. L'écrivain lisant quinze ans après l'histoire d'Hérode le Grand dans l'historien Josèphe, n'y trouva rien qui indiquait un voyage d'Hérode à cette époque, et il ne sait pas d'où peut venir cette erreur. Peut-être voulait-elle dire : Antipater, fils d'Hérode, avait été à Rome, et ce ne fut qu'après son retour qu'eut lieu le massacre des enfants.


Aujourd'hui, vers midi, dit-elle, je vis les mères avec leurs enfants de deux ans et au-dessous, venir à Jérusalem d'Hébron, de Bethléem et d'un autre endroit où Hérode avait envoyé des soldats et fait donner des ordres en conséquence par ses fonctionnaires Elles se rendirent à la ville en différentes troupes. Plusieurs avaient deux enfants avec elles, et étaient montées sur des ânes. On les conduisit toutes dans un grand bâtiment, et on renvoya les hommes qui les accompagnaient. Elles entrèrent gaiement, car elles croyaient recevoir des gratifications pour leur fécondité.


L'édifice était un peu isolé ; il n'était pas loin de celui qui fut plus tard la demeure de Pilate. Il était entouré de murs, de manière qu'on ne pouvait pas facilement savoir au dehors ce qui se passait dans l'intérieur. Ce devait être un tribunal, car je vis dans la cour des piliers et des blocs de pierres où pendaient des chaînes ; il y avait aussi des arbres qu'on courbait et qu'on liait ensemble pour y attacher des hommes, puis on les laissait se redresser rapidement pour écarteler ces malheureux. C'était un édifice massif et sombre. La cour était presque aussi grande que le cimetière, qui est À un des côtés de l'église principale de Dulmen. Une porte, qui s'ouvrait entre deux murs, conduisait à cette cour, qui était entourée de bâtiments de trois côtés. Ceux de droite et de gauche avaient un étage ; celui du centre ressemblait à une vieille synagogue abandonnée. Ces bâtiments avaient tous des portes sur la cour.


On conduisit les mères, à travers la cour, aux deux bâtiments latéraux ! et on les y enferma. Elles me firent l'effet d'être dans une espèce d'hôpital ou d'auberge. Quand elles se virent privées de leur liberté. elles eurent peur et commencèrent à pleurer et à se lamenter. Elles restèrent ainsi toute la nuit.


Le jour suivant, 9 mars, elle raconta ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui, après midi, un tableau effrayant. Je vis dans la maison de Justice le massacre des Innocents. Le grand édifice de derrière qui fermait la cour était élevé de deux étages. L'étage inférieur consistait en une grande salle nue, semblable à une prison ou à un grand corps de garde ; au-dessus, était une pièce dont les fenêtres avaient vue sur la cour. Je vis là plusieurs personnages rassemblés comme en tribunal ; il y avait devant eux des rouleaux posés sur une table. Je crois qu'Hérode était présent, car je vis un homme en manteau rouge avec une fourrure blanche ; il y avait sur cette fourrure de petites queues noires. Je le vis, entouré des autres, regarder par la fenêtre de la salle.


Les mères, avec leurs enfants, étaient appelées une à une pour être conduites des bâtiments latéraux dans la grande salle inférieure du corps de logis qui était sur le derrière. A l'entrée, les soldats leur enlevaient leurs enfants et les portaient dans la cour, où une vingtaine d'entre eux les massacraient en leur perçant la gorge et le coeur avec des épées et des piques. Il y avait des enfants au maillot que leurs mères allaitaient encore, et d'autres, un peu plus grands, avec de petites robes. Ils ne les déshabillaient pas, mais ils les égorgeaient, et, les prenant par le bras ou par le pied, ils les jetaient en tas. C'était un horrible spectacle.


Les mères furent entassées par les soldats dans la grande salle ; et, quand elles virent ce qu'on faisait de leurs enfants, elles poussèrent des cris lamentables, s'arrachèrent les cheveux et se jetèrent dans les bras les unes des autres. A la fin, elles étaient si serrées, qu'elles pouvaient à peine se remuer. Je crois que le massacre dura jusqu'au soir.


Les enfants furent, plus tard, jetés tous ensemble dans une fosse creusée dans la cour. Leur nombre me fut montré, mais je ne m'en souviens pas bien. Je crois qu'il y en avait sept cents, plus un chiffre où se trouvait sept ou dix-sept.


Je fus terrifiée à cette vue ; je ne savais pas où cela avait lieu, je croyais que c'était ici. Quand je me réveillais, je ne pus me remettre que peu à peu. Je vis, dans la nuit suivante, les mères chargées de liens et reconduites chez elles par les soldats. Le lieu du massacre des enfants à Jérusalem était l'ancienne cour des exécutions, située à peu de distance du tribunal de Pilate ; mais des changements y avaient été faits à son époque. Je vis, à la mort de Jésus, s'ouvrir la fosse où avaient été jetés les enfants égorgés ; leurs âmes apparurent et sortirent de là.


XCI - Saint Jean réfugié de nouveau dans le désert.


Lorsqu’Élisabeth, avertie par un ange avant le massacre des Innocents, se réfugia de nouveau dans le désert avec le petit Jean, je vis ce qui suit à cette occasion.


Élisabeth chercha longtemps avant de trouver une grotte qui lui parût assez sûre et assez cachée ; mais quand elle l'eut trouvée, elle y resta environ quarante jours avec l'enfant. Quand elle revint chez elle, un Essénien de la communauté du mont Horeb, vint dans le désert ; il portait des aliments à l'enfant et l'aidait dans tout ce qui lui était nécessaire. Cet Essénien, dont j'ai oublié le nom, était parent de la prophétesse Anne. Il vint d'abord toutes les semaines, puis tous les quinze jours, jusqu'à ce que Jean n'eût plus besoin de son secours. Ce moment ne tarda pas beaucoup ; car, de très bonne heure, l'enfant se trouva mieux dans le désert que parmi les humains. Il était destiné par Dieu à y croître dans son innocence, sans contact avec les hommes et leurs péchés. Comme Jésus, il n'alla jamais à l'école : ce fut le Saint Esprit qui l'instruisit. Je vis souvent près de lui une lumière ou des figures lumineuses, comme des anges. Le désert qu'il habitait n'était pas dévasté et stérile ; il y venait parmi les rochers beaucoup d'herbes et d'arbrisseaux portant des baies de diverses sortes ; il y avait aussi des fraises que Jean cueillait et mangeait. Il avait une familiarité extraordinaire avec les bêtes, surtout avec les oiseaux. Ils volaient à lui et se posaient sur ses épaules ; il leur parlait ; ils semblaient le comprendre et lui servaient pour ainsi dire de messagers. Il allait aussi le long des ruisseaux, et les poissons, eux-mêmes, se familiarisaient avec lui ; ils s'approchaient quand il les appelait et le suivaient tant qu'il marchait au bord de l'eau.


Je le vis s'éloigner beaucoup de sa patrie, peut-être cause du danger qui le menaçait. Les animaux l'avaient en telle amitié, qu'ils le servaient et l'avertissaient. Ils le conduisaient à leurs repaires ou à leurs nids ; et, quand les hommes s'approchaient, il s'enfuyait dans leurs lieux de refuge. Il se nourrissait de fruits sauvages, d'herbes et de racines. Il n'avait pas longtemps à chercher pour cela ; car, s'il ne savait pas l'endroit où on en trouvait, les bêtes le lui indiquaient. Il portait toujours sa peau d'agneau et son petit bâton, et s'enfonçait toujours plus avant dans le désert. Quelquefois, pourtant, il se rapprochait de sa patrie. Deux fois il eut une entrevue avec ses parents, qui désiraient toujours vivement sa présence. Ils devaient savoir quelque chose les uns sur les autres par révélation ; car, quand Élisabeth ou Zacharie voulaient voir Jean, il ne manquait jamais de venir à leur rencontre de très loin.


XCII - Voyage de la sainte Famille à Mataréa. Sur les Juifs de la terre de Gessen.


Après un séjour d'à peu près dix-huit mois, Jésus ayant environ deux ans, la sainte Famille quitta Héliopolis par suite du manque d'ouvrage et de beaucoup de persécutions. Ils se dirigèrent au midi, vers Memphis. Comme ils passaient par une petite ville peu éloignée d'Héliopolis, et qu'ils se reposaient dans le vestibule d'un temple d'idole, l'idole tomba et se brisa. Elle avait une tête de boeuf, avec trois cornes ; plusieurs ouvertures étaient pratiquées dans le corps pour placer et brûler les offrandes. Il s'ensuivit un grand tumulte parmi les prêtres idolâtres, qui arrêtèrent la sainte Famille et la menacèrent, Mais l'un d'entre eux représenta aux autres qu'il valait mieux se recommander au Dieu de ces gens ; il rappela les fléaux qui avaient frappé leurs ancêtres lorsqu'ils avaient persécuté le peuple auquel ceux-ci appartenaient, notamment la mort des premiers-nés de chaque famille dans la nuit qui avait précédé la sortie de ce peuple. Sur ces observations, on laissa aller la sainte Famille sans lui faire de mal.


Ils allèrent jusqu'à Troya, endroit situé sur la rive orientale du Nil, vis-à-vis Memphis. C'était un bourg considérable, où il y avait beaucoup de boue. Ils avaient l'idée de rester là, mais on ne les reçut nulle part ; on refusa même de leur donner de l'eau à boire et quelques dattes qu'ils demandaient. Memphis était située sur l'autre rive du Nil. Le fleuve était large en cet endroit, et il y avait quelques îles. Une partie de la ville était aussi de ce côté du Nil. Il s'y trouvait, du temps de Pharaon, un grand palais avec des jardins et une haute tour, sur laquelle montait souvent la fille de Pharaon. Je vis aussi la place où Moise, enfant, avait été trouvé parmi de grands roseaux. Memphis formait comme trois villes des deux côtés du Nil ; et il semblait que Babylone, une ville placée sur la rive orientale plus en aval du fleuve, en fit aussi partie. Du reste, à l'époque de Pharaon, la contrée du Nil entre Héliopolis, Babylone et Memphis, était tellement couverte de hautes digues de pierres, de canaux et d'édifices voisins les uns des autres, que tout cet ensemble ne paraissait faire qu'une seule ville. Au temps de la sainte Famille, il y avait des séparations et de grands intervalles déserts.


Ils revinrent au nord, en descendant le cours du fleuve, dans la direction de Babylone, qui était dépeuplée, mal bâtie et fangeuse. Ils la contournèrent, passèrent entre le Nil et la ville, et firent un peu de chemin dans la direction opposée à celle qu'ils avaient d'abord prise.


Ils firent environ deux lieues le long du Nil La route était bordée ça et là de bâtisses en ruine. Il leur fallut traverser encore un canal et un petit bras du fleuve, et ils arrivèrent à un endroit dont j'ai oublié le nom ancien, mais qui, plus tard, s'appela Mataréa. Il était voisin d'Héliopolis. Cet endroit, situé sur une langue de terre . en sorte que l'eau le bordait de deux côtés, était assez dépeuple ; les habitations y étaient très dispersées et mal bâties ; elles étaient faites avec du bois de dattier et du limon desséché, et couvertes en roseaux. Joseph y trouva de l'ouvrage. Il bâtit des maisons plus solides en branches entrelacées, et construisit au-dessus des galeries où l'on pouvait se promener.


Ils se logèrent là sous une voûte sombre, dans un lieu solitaire, à peu de distance de la porte par laquelle ils étaient entrés. Joseph disposa, en outre, une construction légère en avant de cette voûte. Ici aussi, une idole, qui était dans un petit temple, tomba à leur arrivée, et, plus tard, toutes les idoles de l'endroit. Ce fut encore un prêtre qui calma le peuple en rappelant le souvenir des plaies d'Egypte. Plus tard, quand une petite communauté de Juifs et de païens convertis se fut rassemblée autour d'eux, les prêtres leur abandonnèrent le petit temple dont l'idole était tombée à leur entrée, et saint Joseph en fit une synagogue. Il devint comme le père de la communauté et leur apprit à chanter régulièrement les psaumes, car ils avaient oublié en grande partie le culte de leurs pères.


Il y avait là quelques Juifs très pauvres, vivant dans des fosses et des trous creusés dans la terre. Dans le village juif, situé entre On et le Nil, demeuraient, au contraire, beaucoup d'Israélites qui avaient un temple à eux, mais ils étaient tombés dans l'idolâtrie ; ils avaient un veau d'or, use figure avec une tête de boeuf, et, alentour, de petites figures d'animaux ressemblant à des putois, avec de petits baldaquins au-dessus. Ce sont des animaux qui défendent l'homme contre les crocodiles (les ichneumons).


Ils avaient aussi une imitation de l'Arche d'alliance, dans laquelle étaient d'affreuses choses. Ils pratiquaient un culte abominable, qu'ils exerçaient en se livrant à toutes sortes d'impuretés dans un passage souterrain, croyant amener par là la venue du Messie. Ils étaient très endurcis, et ne voulaient pas se corriger. Plus tard plusieurs d'entre eux vinrent ici de cet endroit, qui était éloigné de deux lieues au plus. Ils ne pouvaient pas venir directement, à cause des canaux et des chaussées, mais il leur fallait faire un détour autour d'Héliopolis.


Ces Juifs, du pays de Gessen, avaient déjà fait connaissance avec la sainte Famille, lorsqu'elle était à On, et Marie faisait pour eux toutes sortes d'ouvrages de femme, comme du tricot et des broderies. Elle ne voulait pas faire des choses inutiles et des objets de luxe, mais seulement des choses d'un usage habituel et des habits qu'on mettait pour prier. Je vis des femmes lui commander des ornements à la mode, pour satisfaire leur vanité ; Marie alors les refusait, quelque besoin qu'elle eût d'avoir de l'ouvrage. Je vis aussi ces femmes lui dire des injures.


XCIII - Mataréa. Pauvreté du lieu. Oratoire de la sainte Famille.


Au commencement, leur position à Mataréa fut pénible il n'y avait là ni bois, ni eau potable ; les habitants brûlaient de l'herbe desséchée ou des roseaux. La sainte Famille ne mangeait, la plupart du temps, que des aliments froids. Joseph trouva du travail ; il mit les cabanes en meilleur état. Les gens du pays le traitaient presque comme un esclave ; ils lui donnaient ce qu'ils voulaient ; quelquefois, il recevait un salaire pour son travail, quelquefois il ne recevait rien. Les habitants étaient très peu industrieux dans la construction de leurs cabanes. Il n'y avait pas de bois en cet endroit ; je vis bien ça et là des souches, mais ils n'avaient pas d'instruments pour les façonner. La plupart n'avaient que des couteaux de pierre ou d'os. Ils extrayaient de la tourbe. Joseph avait apporté les plus indispensables de ses outils.


La sainte Famille s'installa bientôt assez bien. Joseph divisa son habitation en compartiments à l'aide de cloisons en clayonnage ; il disposa un foyer et fabriqua des escabeaux et de petites tables. Les gens du lieu prenaient leurs repas par terre.


Ils vécurent là plusieurs années, et j'ai vu des scènes des différentes années de la vie de l'Enfant-Jésus. Je vis l'endroit où il dormait. Dans le mur de la voûte où Marie prenait son repos, Joseph avait pratiqué une cavité où était la couche de Jésus. Marie dormait à côté, et je l'ai vue souvent la nuit prier à genoux devant la couche de l'enfant. Joseph dormait dans un autre endroit.


Je vis aussi un oratoire disposé par saint Joseph dans l'habitation. Il était dans un couloir séparé. Joseph et la sainte Vierge y avaient leurs places distinctes ; il y avait aussi pour l'Enfant-Jésus un petit coin où il priait debout, assis ou agenouillé. La sainte Vierge avait une espèce de petit autel devant lequel elle priait : c'était une petite table couverte en blanc et en rouge ; on la tirait comme d'un compartiment pratiqué dans le mur et qui pouvait se fermer. Il y avait dans l'enfoncement du mur une espèce de reliquaire. Je vis de petits bouquets dans des vases en forme de calice. J'y vis le bout du bâton de Joseph avec la fleur qui l'avait fait désigner dans le temple comme époux de Marie. Outre cela, Je vis une autre relique, mais je ne puis bien préciser ce c'était.


XCIV - Elisabeth conduit pour la troisième fois le petit saint Jean dans le désert.


Pendant le séjour de la sainte Famille en Egypte, le petit Jean était revenu secrètement à Juttah, chez ses parents ; car je le vis encore conduit dans le désert par Elisabeth, lorsqu'il avait quatre ou cinq ans. Zacharie n'était pas présent lorsqu'ils quittèrent la maison. Je crois qu'il était parti d'avance pour ne pas voir les adieux ; car il aimait Jean au delà de toute expression ; il lui avait pourtant donné sa bénédiction, car il bénissait toujours Élisabeth et Jean avant de se mettre en route.


Le petit Jean avait une peau de mouton qui, partant de l'épaule gauche, lui tombait sur la poitrine et les reins et se rattachait sur le côté droit. L'enfant n'avait d'autre vêtement que cette peau. Il avait des cheveux bruns, plus foncés que ceux de Jésus, et tenait encore à la main le petit bâton blanc qu'il avait pris avec lui en quittant la maison, et que je lui vis toujours porter dans le désert. Je le vis ainsi pendant que sa mère le tenait par la main. C'était une femme âgée, de grande taille, à l'allure prompte ; elle avait une petite tête et une figure agréable. Souvent il courait en avant. Il avait toute la naïveté de son âge sans en avoir la légèreté.


Ils se dirigèrent d'abord vers le nord, ayant un cours d'eau à leur droite ; je les vis ensuite traverser une petite rivière. Il n'y avait pas de pont ; ils passèrent sur un radeau formé de poutres qui se trouvait là. Élisabeth, qui était une femme très décidée, le dirigeait à l'aide d'une branche d'arbre. Au delà de cette rivière, ils se dirigèrent plus au levant et entrèrent dans une gorge de rochers qui était nue et aride par en haut, mais dont le fond était couvert de buissons avec des fruits sauvages et des fraises, dont l'enfant cueillait et mangeait de temps en temps. Quand ils eurent cheminé quelque temps dans ce défilé, Élisabeth dit adieu à l'enfant ; elle le bénit, le serra contre son coeur, l'embrassa sur les deux joues et sur le front, et revint sur ses pas. Plusieurs fois elle se retourna et le regarda en pleurant. Quant à lui, il était sans inquiétude et marchait d'un pas assuré, s'enfonçant de plus en plus dans le défilé.


J'étais très malade pendant ces visions, et Dieu me fit la grâce d'assister à tout ce qui se passait comme si j'eusse été un enfant. Je croyais être une petite fille du même âge que Jean, et je m'inquiétais de le voir s'éloigner autant de sa mère. Je craignais qu'il ne pût plus retrouver la maison paternelle ; mais je fus rassurée par une voix qui me dit : " Sois sans inquiétude ; l'enfant sait très bien ce qu'il fait ". Il me sembla que j'entrais dans le désert seule avec lui, comme avec un compagnon des jeux de mon enfance, et je vis à plusieurs reprises ce qui lui arrivait. Jean, lui-même, me raconta plusieurs détails sur sa vie dans le désert, par exemple, comment il s'y faisait violence et mortifiait ses sens de toutes les façons, comment il y devenait de plus en plus éclairé, et comment il était instruit de tout ce qui l'intéressait d'une manière extraordinaire.


Tout cela ne me surprenait pas, car déjà, dans mon enfance, lorsque je gardais notre vache, j'avais vécu intimement avec saint Jean dans le désert. Souvent, lorsque je désirais le voir, et que je m'écriais au milieu des buissons : " Petit saint Jean, viens me trouver avec ton bâton et ta peau sur les épaules ! ", le petit saint Jean venait à moi avec son bâton et sa peau d'agneau ; nous jouions comme des enfants ; il me racontait et m'enseignait toute sorte de bonnes choses. Je n'étais pas étonnée non plus qu'il apprît tant de choses des animaux et des plantes dans le désert, car, moi aussi, pendant mon enfance, lorsque j'étais dans les bois, dans les pâturages et dans les champs, lorsque je cueillais des épis, que j'arrachais du gazon ou que je ramassais des herbes, j'étudiais comme un livre chaque feuille, chaque fleur ; tous les animaux qui passaient, tout ce qui m'entourait était pour moi une source d'enseignement. Toutes les formes, toutes les couleurs, et jusqu'à la configuration des feuilles me faisaient venir des pensées profondes, que les gens auxquels je les communiquais écoutaient avec étonnement, mais dont ils riaient la plupart du temps ; ce qui finit par m'habituer à garder le silence sur tout cela, car je pensais et je pense encore souvent qu'il en arrive autant à tous les hommes, et qu'on n'apprend mieux nulle part que dans cet alphabet que Dieu lui-même a écrit.


Lorsque dans mes contemplations postérieures je suivis de nouveau le petit saint Jean dans le désert, je vis, comme je l'avais fait antérieurement, toutes ses allures et ses actions. Je le vis jouer avec des fleurs et des animaux ; les oiseaux surtout étaient singulièrement familiers avec lui. Ils venaient se poser sur sa tête quand il marchait ou qu'il priait à genoux ; souvent il plaçait son bâton en travers sur des branches : alors les oiseaux de toutes couleurs venaient à son appel et se posaient sur son bâton à la suite les uns des autres. Il les regardait et leur parlait familièrement comme s'il leur eût fait l'école. Je le vis aussi suivre d'autres animaux dans leurs gîtes, leur donner à manger et les considérer attentivement.


XCV - Hérode fait mourir Zacharie en prison.

- Elisabeth se retire dans le désert prés de saint Jean, et y meurt.


Jean était âgé de six ans, Zacharie alla une fois au temple avec des victimes pour le sacrifice, et Elisabeth profita de son absence pour visiter son fils dans le désert. Zacharie n'y était jamais allé le voir, afin que, si Hérode l'interrogeait sur le séjour de son fils, il put répondre sans manquer à la vérité qu'il ne le connaissait pas. Mais pour satisfaire sa grande tendresse pour Jean et son ardent désir de le voir, celui-ci, plus d'une fois, vint en grand secret pendant la nuit dans la maison de ses parents et s'y arrêta quelque temps. Vraisemblablement son ange gardien l'y conduisait quand cela devait être et qu'il n'y avait pas de danger. Je le vis toujours guidé et protégé par des puissances célestes, et j'aperçus souvent près de lui des figures lumineuses qui paraissaient être des anges.


Jean était prédestiné à vivre dans la solitude, sépare du monde et privé des secours humains ordinaires pour y être élevé et instruit par l'esprit de Dieu, c'est pourquoi la Providence divine avait disposé les choses pour que des circonstances extérieures aussi le conduisissent forcément au désert. Il y était poussé d'un autre côté par son penchant naturel irrésistible ; car, dès sa plus tendre enfance, je le vis toujours solitaire et méditatif. L'Enfant-Jésus ayant été emmené en Egypte sur un avertissement divin, son précurseur Jean fut de son côté caché dans le désert. Lui aussi était menacé, car on avait beaucoup parlé de lui dans le pays dès les premiers instants de sa vie ; les merveilles de sa naissance étaient connues ; on disait l'avoir vu souvent entouré de lumière, en sorte qu'Hérode en voulait particulièrement à sa vie.


Plusieurs fois déjà Hérode avait fait interroger Zacharie sur le séjour de Jean, mais il n'avait pas jusqu'alors mis la main sur lui. Cependant, cette fois, comme Zacharie allait au temple, il fut assailli et fort maltraité par les soldats d'Hérode qui le guettaient devant la porte de Jérusalem appelée porte de Bethléem, dans un chemin creux où l'on ne pouvait pas voir encore la ville ; ils le traînèrent dans une prison située sur le flanc de la montagne de Sion, près d'un endroit où, plus tard, je vis souvent passer les disciples de Jésus se rendant au temple. Le vieillard y souffrit beaucoup de mauvais traitements ; on le mit même à la torture pour lui faire avouer où était son fils, et, comme on ne put pas y réussir, on le mit à mort sur l'ordre d'Hérode.


Plus tard, ses amis enterrèrent son corps à peu de distance du temple. Ce n'était pas lui qui était le Zacharie tué entre le temple et l'autel, que je vis sortir des murs du temple, près de l'oratoire du vieux Siméon, quand 'es morts apparurent, lors de la mort de Jésus-Christ. Son tombeau, qui était dans le mur, s'écroula, ainsi que plusieurs autres tombeaux cachés dans le temple. Ce Zacharie fut tué entre le temple et l'autel, à l'occasion d'une lutte sur la lignée du Messie ainsi que sur certains droits que quelques familles prétendaient avoir dans le même temple et sur les places qu'elles y occupaient. Ainsi, par exemple, toutes les familles ne pouvaient pas faire élever leurs enfants dans le temple. Je me souviens à cette occasion que j'ai vu un petit garçon, de famille royale, à ce que je crois, confié dans le temple aux soins de la prophétesse Anne. Zacharie seul périt dans cette lutte Son père s'appelait Barachias'. Je vis aussi qu'on retrouva plus tard les ossements de ne Zacharie. mais j'ai oublié les détails.


Elisabeth revint du désert à Juttah pour y attendre le retour de son mari. Jean l'accompagna une partie du chemin. Elle le bénit et le baisa sur le front, après quoi il retourna dans le désert. Elisabeth trouva chez elle la triste nouvelle du meurtre de Zacharie. Sa douleur fut si grande qu'elle ne put pas l'apaiser. Alors elle alla se réunir à Jean dans le désert, et elle y mourut peu de temps avant que la sainte Famille ne revint d'Egypte. L'Essénien du mont Horeb qui assistait le petit saint Jean, l'ensevelit dans le désert.

Jean s'y enfonça davantage, s'éloignant de plus en plus de la maison paternelle. Il quitta le défilé de rochers pour un pays plus ouvert, et je le vis arriver près d'un petit lac. Il y avait là beaucoup de sable blanc ; la rive était plate, et je le vis s'avancer assez loin dans l'eau, pendant que les poissons nageaient sans crainte autour de lui. Il demeura longtemps dans cet endroit, et je le vis s'y faire dans les broussailles une cabane de branches entrelacées, où il passait la nuit. Elle était très basse et tout juste assez grande pour qu'il pût s'y coucher pour dormir. Là et ailleurs, je vis souvent près de lui des figures lumineuses d'anges avec lesquels il conversait humblement, mais sans crainte et avec une piété naive. Ils semblaient l'instruire et lui faire remarquer différentes choses Je vis aussi une petite traverse à son bâton, qui avait ainsi la forme d'une croix. Il y avait attaché une bandelette d'écorce semblable à une petite flamme : elle flottait au vent, et il jouait avec.


Lorsque la soeur parla du meurtre de ce Zacharie entre le temple et l'autel, et de la querelle qui y donna lieu, elle luttait contre le sommeil extatique, et elle ne s'exprima pas très clairement sur ce point.


La maison paternelle de Jean à Juttah était alors habitée par une fille de la soeur d'Elisabeth. C'était une maison bien ordonnée. Jean, devenu plus grand, y vint encore une fois en secret ; puis il retourna dans le désert jusqu'au moment où il parut parmi les hommes.


A Mataréa aussi, où les habitants n'avaient d'autre eau que l'eau trouble du Nil, Marie, en priant, trouva une fontaine. Ils souffrirent d'abord de grandes privations, n'ayant que des fruits à manger et de mauvaise eau à boire. Il y avait longtemps qu'ils n'avaient eu de bonne eau, et Joseph voulait aller avec ses outils et son âne en chercher dans le désert. À la fontaine du Jardin de baume, lorsque la sainte Vierge, étant en prière, vit un ange qui lui dit qu'elle trouverait une source derrière sa demeure. Je la vis aller de l'autre côté du mur où était son habitation, jusqu'à un espace libre placé plus bas, parmi des décombres où se trouvait un vieil arbre très gros. Elle avait à la main un bâton au bout duquel était une petite pelle, comme en portent souvent dans ce pays les gens qui voyagent.


Elle courut toute joyeuse appeler Joseph, qui découvrit en creusant qu'il y avait eu là autrefois une fontaine avec un revêtement en maçonnerie, et qu'elle n'était que bouchée et encombrée. Il la dégagea et la restaura à merveille. Il y avait prés de cette fontaine, du côté par où Marie était venue, une grande pierre assez semblable à un autel, et je crois bien qu'en effet ç'avait été autrefois un autel, mais j'ai oublié ce qui s'y rapportait.


Ce fut là que la sainte Vierge lava et fit sécher au soleil les vêtements et les linges de l'Enfant-Jésus. Cette fontaine resta inconnue et fut exclusivement à l'usage de la sainte Famille jusqu'au temps où Jésus fut assez grand pour rendre divers petits services, comme de puiser de l'eau pour sa mère. Je le vis une fois amener d'autres enfants à la fontaine, et leur donner à boire dans le creux d'une grande feuille. Les enfants ayant raconté cela à leurs parents, d'autres personnes, vinrent à la source, qui pourtant resta principalement à l'usage des Juifs.


Un jour que Marie priait à genoux sur la route où elle habitait, je vis Jésus se glisser jusqu'à la fontaine avec une outre, et y puiser de l'eau ; c'était la première fois. Marie fut profondément émue lorsqu'elle le vit revenir, et, toujours agenouillée, elle le pria de ne plus faire cela, pour ne pas courir le risque de tomber dans l'eau. Jésus lui dit qu'il prendrait garde, mais qu'il désirait puiser de l'eau pour elle toutes les fois qu'elle en aurait besoin.


Le petit Jésus rendait à ses parents des services de toute espèce, et il se montrait très attentif et très soigneux. Ainsi je le voyais, quand Joseph ne travaillait pas trop loin de la maison, lui porter l'outil qu'il pouvait avoir oublié. Il faisait attention à tout. Je crois que la joie qu'il leur donnait compensait, et bien au delà, tout ce qu'ils avaient à souffrir. Je vis aussi plus d'une fois Jésus aller au village des Juifs, qui était bien à un mille de Mataréa, chercher le pain qu'on donnait à sa mère en échange de son travail. Les vilaines bêtes qui se rencontrent fréquemment dans ce pays ne lui faisaient pas de mal et se montraient familières avec lui. Je le vis jouer avec des serpents.


La première fois qu'il alla seul au village des Juifs (je ne sais plus bien si c'était dans sa cinquième ou dans sa septième année), il portait une petite robe brune bordée de fleurs jaunes que la sainte Vierge lui avait faite. Je vis qu'il s'agenouilla pour prier sur le chemin, et que deux anges lui apparurent et lui annoncèrent la mort d'Hérode. Il ne le dit pas à ses parents ; je ne sais si ce fut par humilité, ou parce que les anges lui dirent de n'en rien faire, ou bien encore parce qu'il savait qu'ils ne devaient pas encore quitter l'Égypte. Je le vis une autre fois aller au village en question avec d'autres enfants juifs, et, lorsqu'il revint à la maison, pleurer amèrement sur l'état de dégradation où étaient tombés les Israélites qui habitaient ce lieu.



Brentano - Bse Emmerich, Vie Vierge Marie - XC - Sur le massacre des Innocents par Hérode.