Brentano - B. Emmerich: Myst. AT



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Bienheureuse Anne Catherine Emmerich

(1774-1824)

Béatifiée en octobre 2004

Les Mystères de l'Ancienne Alliance

édition par livres-mystiques.com et JESUSMARIE.com


Texte intégral recueilli par Clémens Brentano
Traduit et présenté par Jean-Joachim Bouflet


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TABLE DES MATIERES

Avant-propos - Note sur le " dépôt sacré " - Introduction -

LA CREATION

1 la chute des anges - 2 la création de la terre - 3 Adam et Eve - 4 l'arbre de la vie et l'arbre de la Connaissance

LE PÉCHÉ ET SES CONSÉQUENCES

1 le péché originel . 2 la promesse du salut - 3 le rejet du Paradis - 4 la famille d'Adam - 5 Caïn. Les enfants de Dieu. Les géants - 6 Noé et sa descendance. Les fondateurs de lignées Hom et Djemschid - 7 la construction de la tour de Babel - 8 Derkétô - 9 Sémiramis - 10 Melchisédech - 11 Job - 12 Abraham - 13 l'offrande du pain et du vin par Melchisedech - 14 Abraham reçoit le sacrement de l'Ancienne Alliance - 15 Jacob - 16 Joseph et Aseneth - 17 l'Arche d'Alliance.



Avant-propos


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NOTE PRELIMINAIRE



La très grande richesse des visions d'Anne Catherine Emmerick nous incite à mettre en tête de ce livre des pages que le lecteur parcourra volontiers avant la lecture du volume, quitte à y revenir avec plus d'attention une fois sa lecture terminée.

Etonnantes révélations que les visions d'Anne-Catherine Emmerick sur les mystères de l'Ancienne Alliance ! Encore toute petite fille, la célèbre stigmatisée westphalienne fut favorisée de la contemplation - sous forme d'images, comme elle le précise elle-même expressément - de nombreuses scènes qui lui montraient la laborieuse préparation par Dieu d'un Peuple Elu avec lequel il voulait faire alliance, pour susciter en son sein une Vierge Immaculée qui donnerait naissance au Christ Rédempteur.

Toutes les visions d'Anne Catherine Emmerick s'ordonnent autour d'un thème unique vers lequel elles convergent : le mystère du Salut, accompli dans le Christ Rédempteur. déjà dans la toute première vision - création des anges et chute des esprits rebelles -  le thème du Salut se trouve évoqué. Et, à la suite de la voyante, nous découvrons avec étonnement la création de l'univers et du premier couple, les merveilles du Paradis, l'histoire du péché originel, celles du Déluge et de la construction de la Tour de Babel nous compatissons aux épreuves de Job et assistons aux malheurs de Jacob ; nous suivons Abraham d'Ur en Terre Promise, et Joseph jusqu'en Egypte au récit biblique, les visions d'Anne Catherine ajoutent une foule de détails pittoresques, d'une rare précision, souvent d'ordre visuel : en effet, tout ceci, Anne-Catherine l'a vu. Il ne s'agit point de méditations ni d'élévations spirituelles, ni de réflexions ou de lumières purement abstraites, mais de visions : regardant et contemplant des scènes hautes en couleur et souvent mouvementées, la petite voyante avait l'impression de regarder son " livre d'images", comme elle le dit si bien.

Au-delà de la trame biblique, Anne Catherine Emmerick a pu voir plusieurs scènes de l'antiquité orientale : ainsi la vie de Djemchid et d'Hom, descendants de Noé, chefs de tribu et fondateurs d'une religion, le brahmanisme : ainsi les épisodes de la vie de la légendaire Sémiramis, reine de Babylone, et de sa mère Derkétô. Ainsi les pérégrinations et l'oeuvre du roi de Salem, le mystérieux Melchisédech, à peine évoqué dans l'Ecriture.

Aucune des visions d'Anne Catherine Emmerick n'est en contradiction avec la Bible. Et l'histoire, l'archéologie, ont corroboré les révélations de la stigmatisée, bien après sa mort : l'utilisation de l'hémione comme animal de trait, la technique de la voûte en berceau à Babylone au IIè millénaire avant Jésus-Christ, l'emploi de mosaïques et de fresques en Mésopotamie, la construction de pyramides pour des cultes astrologiques et orgiaques en Egypte, l'existence et l'oeuvre religieuse du faux prophète Hom... Tout cela, l'archéologie l'a découvert, parfois longtemps, après qu'Anne Catherine Emmerick en eut fait mention.

Car elle voyait, elle participait à la vision divine, elle abolissait l'espace et le temps : charisme prodigieux, unique dans l'histoire de l'Eglise. Toutes les visions sur les mystères de l'Ancienne Alliance sont données à Anne Catherine dans la lumière de l'unique Réalité : l'Amour de Dieu pour les hommes, et la manifestation de cet Amour dans le Salut. La Rédemption.

Cette première traduction française des "mystères de l'Ancienne Alliance" est très littérale, précisément pour conserver aux paroles d'Anne Catherine Emmerick leurs mille nuances, et surtout l'expression visuelle des scènes : le verbe " voir" se rencontre partout il eut été facile de le supprimer souvent, mais eut-ce été honnête ? Car c'est le récit d'une voyante exceptionnelle que voici, récit de celle qui fut peut être la plus grande visionnaire de tous les temps.


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Note sur le "dépôt sacré"

Créant Adam, Dieu dépose en lui une bénédiction destinée à être transmise de génération en génération. Cette bénédiction est certes une réalité spirituelle, mais aussi un "objet" concret : au moment où Adam est prés de pécher, Dieu lui retranche, à l'aide d'une lame recourbée, ce "dépôt sacré "; les visions d'Anne Catherine Emmerick nous montrent ce "dépôt sacré" comme support concret d'une double réalité ce dépôt sacré est donné à Adam, puis à Abraham sous la forme d'une petite nuée : il provoque chez les patriarches un renflement du côté droit il se transmet d'aine en aine il a la forme d'un haricot avec un germe finalement, il est retrouvé par Moise dans le sarcophage de Joseph, et place, enveloppé d'un linge, dans l'Arche d'Alliance. Lors des vicissitudes d'Israël, ce "dépôt sacré" retiré de l'Arche est confié aux prophètes, puis transmis à Joachim, père de la très Sainte Vierge Marie et c'est en Marie que, sous l'action de l'Esprit-Saint, il se réalise en Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui effectue le Salut de toute l'humanité par la Rédemption. Appelé parfois "germe", le dépôt sacré est le signe concret de l'Alliance de Dieu avec l'humanité, et il est le gage de la Rédemption par le Christ.

Ce dépôt sacré est le support d'une réalité spirituelle : la bénédiction de Dieu, accordée à Adam, certes, puis à Abraham et à ses descendants, fut momentanément retirée à Jacob, père des douze tribus d'Israël, et remise à travers Joseph à tout le Peuple Elu : l'Alliance divine n'est plus personnelle, mais proposée à tout le peuple. C'est pourquoi le "dépôt sacré", gage concret de cette Alliance, sera placé dans l'Arche d'Alliance. Il se conservera au milieu du Peuple jusqu'au moment ou, la très Sainte Vierge Marie, ayant été prédestinée par Dieu à devenir la nouvelle Arche d'Alliance, elle recevra en elle ce mystérieux dépôt sacré qui en fera l'Immaculée Conception et la préparera à être la mère du Verbe Incarné, la mère du Saint des Saints.

A la réalité spirituelle, bénédiction et alliance, se greffe toute une signification mystique du dépôt sacré : il est le présage et la préfiguration de l'Eucharistie et les visions d'Anne Catherine Emmerick ramènent constamment le dépôt sacré et l'alliance à l'Eucharistie : dans l'Ancienne Alliance, Dieu restait présent dans son Peuple grâce à ce dépôt sacré, gage d'alliance et de bénédiction dans l'Alliance Nouvelle, Jésus-Christ est l'Emmanuel, "Dieu parmi nous", constamment présent au milieu de son Eglise, le nouvel Israël, par l'Eucharistie. Tout le rituel, tous les symboles qui entourent la remise ou la passation du dépôt sacré rappellent l'Eucharistie : la consécration des patriarches, le calice remis par Melchisedech à Abraham, les nappes ou linges blanc et rouge, qui se retrouvent à la Cène, les pains et le vin ou la liqueur comparable à du sang.

On ne peut lire et comprendre lés visions d'Anne-Catherine Emmerick qu'en fonction de l'Eucharistie, à la lumière de l'Eucharistie, sacrement des sacrements, déjà préfigurée dans ce dépôt sacré confié au Peuple Elu a donné définitivement par le Christ, qui accomplit et achève l'Alliance de Dieu avec les hommes, dans l'Eucharistie et au sein de l'Eglise, nouvel Israël, dépositaire du Christ Lui-mème, qui s'est fait le gage et la réalisation de l'Alliance de Dieu avec les hommes.

J.-J. Bouflet

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Introduction



Anne Catherine relatait ainsi les visions de sa prime jeunesse :

"Lorsque, vers l'âge de cinq ou six ans, je méditais le premier article de la profession de Foi catholique - "je crois en Dieu le Père, Créateur tout-puissant du ciel et de la terre... ", toutes sortes d'images se rapportant à la création du ciel et de la terre se présentaient à mon âme. Je voyais la chute des anges, la création de la terre et du Paradis, Adam et Eve, et le péché originel. Je croyais tout simplement que chacun voyait cela, comme les autres choses qui nous entourent, si bien que j'en parlais à mes parents, à mes frères et soeurs, à mes compagnons de jeu je racontais tout cela naïvement, jusqu'au moment où je remarquai que l'on se moquait de moi, me demandant si j'avais un livre dans lequel tout cela était écrit. Aussi commençai-je peu à peu à taire ces choses, pensant qu'il était inopportun de parler de tels sujets je ne me fis toutefois aucun souci particulier quant à cela.

J'ai continué d'avoir ces visions, aussi bien la nuit qu'en plein jour, aux champs, à la maison, quand je marchais, quand je travaillais, parmi toutes sortes d'occupations. une fois, à l'école, je racontai la résurrection d'une façon toute différente de celle qui nous avait été enseignée, mais sans aucune malice j'en parlai avec d'autant plus d'assurance que je croyais naïvement ces détails connus de tout un chacun aussi bien que de moi : je n'avais nullement l'idée que cela pût être quelque chose qui m'était particulier Alors les autres enfants, stupéfaits, se moquèrent de moi et se plaignirent de moi au maître d'école, qui me défendit sévèrement de me livrer à de telles rêveries.

Mais je continuais d'avoir ces visions, et me tus j'étais comme une enfant qui regarde des images et les commente en son for intérieur, sans trop chercher à savoir ce que ceci ou cela signifie Comme j'avais eu plusieurs fois l'occasion de voir des images conventionnelles de saints, ou des représentations de scènes bibliques, figurées tantôt d'une façon et tantôt d'une autre, souvent contradictoires, sans que cela eût changé quoi que ce soit dans ma foi, je considérais que mes visions étaient mon livre d'images, et je les contemplais paisiblement, ayant toujours cette pensée présente à l'esprit : tout pour la plus grande gloire de Dieu !

Dans les choses spirituelles, je n'ai jamais rien cru d'autre que ce que le Seigneur Dieu a révélé et qu'Il propose à notre foi dans la sainte Eglise catholique, fét-ce expressément écrit ou non Jamais je n'ai cru selon le même degré de foi ce que je voyais dans mes visions : je les considérais sur le même plan que ces crèches de Noël, toutes différentes les unes des autres, devant lesquelles j'allais ça et là me recueillir sans que la différence de l'une à l'autre ne me trouble et dans chacune d'entre elles, c'est toujours le seul même Enfant Jésus que je prie Il en était de même pour tous ces tableaux de la création du ciel et de la terre, et de l'homme : c'est le Seigneur Dieu, le Créateur tout puissant du ciel et de la terre, que je priais à partir de ces différentes visions.



La Création



1 - la chute des anges

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Je vis d'abord apparaître devant moi un espace de lumière infini, et, très haut dans cet espace, comme un globe lumineux semblable à un soleil ; je sentis que dans ce globe se trouvait l'unité des trois divines Personnes. En mon for intérieur, je nommai ceci le Consentement (divin) et j'en vis procéder comme une Opération : alors furent appelés à l'existence les Choeurs d'Esprits, infiniment éclatants, et puissants, et beaux, qui apparaissaient sous le globe lumineux comme des anneaux, des cercles concentriques brillants. Ce monde de lumière se tenait au-dessous du soleil supérieur comme un autre soleil.

D'abord, ces Choeurs évoluèrent tous, comme animés par l'amour issu du divin soleil. Soudain, je vis une partie de tous les Choeurs se fixer en eux-mêmes, abîmés en leur propre beauté. Ces Esprits ressentaient un plaisir propre, ils voyaient toute beauté en eux-mêmes ; ils se tournaient sur eux-mêmes, se complaisaient en eux-mêmes.

Au commencement, tous les Esprits étaient tirés d'eux-mêmes par un mouvement supérieur à eux ; maintenant, une partie d'entre eux se fixaient en eux-mêmes, immobiles. Et au même moment, je vis tous ces Esprits précipités vers l'abîme et s'obscurcissant, tandis que les autres Esprits s'écartaient d'eux et évoluaient de façon à combler leurs rangs, qui étaient plus petits. Mais je ne vis pas ceci comme s'ils les pourchassaient en sortant du cadre de la vision : tandis que les premiers s'immobilisaient et tombaient, les autres, toujours en mouvement, occupaient leurs rangs, et tout ceci était une même chose.

Lorsque ces Esprits furent précipités vers l'abîme, je vis apparaître, en bas, un disque de ténèbres qui me sembla devoir constituer leur séjour, et je compris que leur chute était irrémissible. Mais l'espace qu'ils occupaient à présent en bas était bien plus restreint que celui qu'ils avaient eu en partage en haut, si bien qu'ils m'apparaissaient étroitement serrés les uns contre les autres.

Depuis que, petite enfant, j'avais vu cette chute des Esprits, j'étais effrayée jour et nuit par leur action, et je me disais qu'ils devaient faire beaucoup de mal à la terre : ils sont toujours autour d'elle ; il est heureux qu'ils n'aient pas de corps, sinon ils obscurciraient le soleil et on les verrait planer devant lui comme des nuées ; ce serait épouvantable.

Aussitôt après la chute, je vis les Esprits des cercles lumineux s'humilier devant le globe de la Divinité et demander avec soumission que ce qui était tombé fût de nouveau rétabli.

Alors je vis un mouvement et une opération dans le globe de la lumière divine, qui était resté jusque-là immobile et qui avait, à ce que je compris, attendu cette requête.

Apres cette démarche des Choeurs angéliques, je compris intérieurement qu'ils devaient désormais rester préservés de toute chute. J'eus cependant connaissance de ceci, qui est la déclaration de Dieu et son jugement éternel : tant que les Choeurs déchus ne seront pas rétablis quant au nombre, il y aura un combat. Et je vis cette durée infiniment longue pour mon âme, comme impossible. Ce Combat aura lieu cependant sur la terre, car il ne peut plus y avoir de lutte en haut, décréta Dieu.

Après cette transformation intérieure, je n'ai plus été capable d'avoir la moindre pitié pour le diable car je l'ai vu se précipiter avec violence dans l'abîme, dans le libre exercice de sa volonté mauvaise. Et je n'ai plus été aussi fâchée contre Adam, j'ai toujours pensé qu'il avait été prédestiné.


2 - la création de la terre

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Juste après la requête des anges restés fidèles et après le mouvement dans la Divinité, je vis apparaître une sphère sombre à côté du disque de ténèbres qui avait pris naissance en bas; cette sphère était à la droite du disque, à une faible distance.

Alors je posai mon regard plus attentivement sur cette sphère sombre à droite du disque de ténèbres, et j'y vis un mouvement, comme si elle devenait de plus en plus grosse ; je vis des points lumineux jaillir de la masse, la recouvrir comme de rubans clairs et déborder ça et là en larges taches claires (
Gn 1,3); et en même temps, je vis le profil de la terre qui surgissait de l'eau et s'en séparait (Gn 1,6). Puis je vis un mouvement dans les endroits découverts, comme si quelque chose y prenait vie. Et je vis de la végétation croître sur la terre ferme, et un fourmillement de vie parmi les plantes. Déjà dès mon enfance, je pensais que les plantes étaient animées (Gn 1,11).

Jusque-là, tout avait été gris, puis tout devint clair, et je vis comme un lever de soleil. C'était comme le petit matin sur la terre, lorsque tout sort du sommeil. Tout le reste de la vision disparut alors. Le ciel était bleu, le soleil y commençait sa course. Je vis seulement une partie de la terre éclairée et illuminée par le soleil, spectacle si beau et si ravissant que je pensai que ce fût le paradis (Gn 1,14).

Et je voyais tout ceci, toutes ces transformations sur la sphère sombre, comme un jaillissement du globe tout-puissant de la Divinité. Lorsque le soleil monta, tout fut comme au matin, au réveil : mais là, c'était le premier matin, et pourtant aucune créature ne le savait : elles étaient là comme si elles avaient toujours été là, elles étaient dans l'innocence.

Tandis que le soleil montait, je voyais les arbres et les plantes devenus plus grands et croissant toujours plus. L'eau était plus limpide et plus sainte, toutes les couleurs étaient plus pures et plus vives, tout était indiciblement agréable ; il n'y avait pas non plus trace de ce que les créatures sont maintenant. Toutes les plantes, toutes les fleurs, tous les arbres avaient d'autres formes ; maintenant tout parait aride et rabougri en comparaison, maintenant tout est comme dégénéré.

Souvent, lorsque je comparais les plantes ou les fruits de notre jardin à ceux du sud, qui sont tout différents, plus grands, nobles, plus savoureux, comme par exemple les abricots, je pensais : ce que sont nos fruits par rapport aux fruits tropicaux, les fruits tropicaux le sont, et encore de bien plus loin, par rapport aux fruits du paradis.

J'y ai vu des roses, blanches et rouges, et je pensai qu'elles signifiaient les souffrances du Christ et la Rédemption. J'ai vu des palmiers aussi, et de grands arbres au large feuillage, qui donnaient une ombre très étendue, comme un toit.

Dès que je vis le soleil, tout était petit sur la terre, puis tout grandit et devint finalement immense. Les arbres ne poussaient pas serrés les uns contre les autres. Je vis seulement une plante de chaque espèce, pour les grandes du moins, comme lorsqu'on expose seulement un spécimen dans les parterres. Du reste, tout était verdoyant et d'une pureté, d'une intégrité et d'une perfection que ne rappellent en rien les aménagements et les nettoyages effectués par les hommes. Je pensais encore combien tout était beau, tant que l'homme n'était pas là ! Il n'y a pas de péché, pas de destruction, pas de déchirement. Ici, tout est intègre et saint ici, rien n'a été soigné et guéri ici, tout est pur, rien n'a eu besoin de purification.

L'étendue que je voyais était douce et vallonnée, et toute recouverte de végétation mais au milieu il y avait une source, d'où s'écoulaient de tous côtés des ruisseaux, qui se jetaient parfois les uns dans les autres. Je vis d'abord du mouvement dans ces eaux (Gn 1,20), et remarquai des animaux vivants puis ensuite je vis les animaux ça et là, parmi les buissons et les fourrés, comme sortant du sommeil et regardant ça et là autour d'eux; ils n'étaient pas craintifs, et tout différents de ce qu'ils sont maintenant; par rapport aux animaux actuels, ils étaient aussi parfaits que des hommes; ils étaient purs, nobles, rapides, attachants et doux. Il est impossible de l'expliquer. La plupart de ces animaux m'étaient inconnus. Je n'en vis vraiment aucun comme maintenant. J'ai vu l'éléphant, le cerf, le chameau, et particulièrement le rhinocéros, que j'ai vu aussi dans l'Arche, où il était remarquablement attachant et doux; il était plus trapu qu'un cheval et avait une tête ronde. Je n'ai pas vu de singe, pas d'insectes, ni aucune de ces misérables bêtes hideuses; j'ai toujours pensé que c'étaient là des punitions du péché. J'ai vu de nombreux oiseaux, et j'entendais leurs chants merveilleux, comme au matin; mais je n'ai entendu aucun rugissement, je n'ai vu aucun oiseau de proie (Gn 1,24).

Le Paradis existe toujours, mais il est absolument impossible aux hommes d'y accéder; je l'ai vu, qui subsiste toujours dans toute sa splendeur, très haut, séparé en biais de la terre, comme le disque de ténèbres des anges déchus fut détaché du ciel.


3 Adam et Eve

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J'ai vu qu'Adam fut créé non pas au Paradis, mais à l'emplacement où devait par la suite s'élever Jérusalem. Je l'ai vu sortir, éclatant et blanc, d'une colline de terre jaune, comme d'un moule. Le soleil brillait, et je pensais, car j'étais alors une enfant, que le jour avait fait sortir Adam de la colline. Il était comme né de la terre, qui était vierge : Dieu la bénit et elle devint sa mère (
Gn 2,7). Il ne sortit pas soudain de la terre, il y eut un instant jusqu'au moment où il parut. Il était dans la colline, allongé sur le côté gauche, le bras replié sur la tête, et une légère nuée le recouvrait comme d'une gaze; je vis une forme dans son côté droit et compris que c'était Eve, qui fut tirée de lui par Dieu, au Paradis (Gn 2,22). Dieu l'appela, et ce fut comme si la colline s'ouvrait, et Adam en sortit peu à peu. Là, il n'y avait pas d'arbre, simplement des petites fleurs (Gn 2,5). J'avais vu également les animaux sortir chacun de la terre, un par espèce, et les femelles s'en détacher.

J'ai vu Adam emporté au loin, dans un jardin situé très haut, le Paradis (Gn 2,8). Dieu conduisit les animaux devant Adam, au Paradis, et Adam leur donna un nom et ils le suivirent et ils jouaient autour de lui (Gn 2,19). Tout lui était soumis avant le péché Eve n'avait pas encore été tirée de lui. Tous les animaux auxquels il avait donné un nom le suivirent plus tard sur la terre.

Je vis Adam dans le Paradis, non loin de la source au milieu du jardin; il semblait sortir du sommeil, parmi les fleurs et les plantes. Il était auréolé d'une lueur blanche, mais son corps était plus proche de la chair que de l'esprit. Il ne s'étonnait de rien, ni de soi-même, et se promenait parmi les arbres et les animaux, comme s'il était habitué à tout, comme quelqu'un qui inspecte ses champs.

Je vis Adam près d'une colline, allongé près de l'eau sous un arbre, le bras gauche replié sous la joue. Dieu fit tomber le sommeil sur lui et, souriant très doucement, Adam fut ravi en extase (Gn 2,21).

Alors Dieu tira Eve du côté droit d'Adam (Gn 2,21), à l'endroit où Jésus fut plus tard percé par la lance. Je vis Eve fine et petite; elle devint rapidement plus grande, jusqu'à atteindre sa taille définitive et être parfaitement belle. Sans le péché originel, tous les hommes seraient ainsi nés au cours d'un doux sommeil. La colline se fendit en deux et je vis apparaître, du côté d'Adam, un roc comme composé de cristaux de pierres précieuses, et du côté d'Eve une vallée toute blanche, comme recouverte de petits fruits blancs et fins comme du froment.

Lorsqu'Eve eut été formée, je vis que Dieu donnait -  ou plutôt répandait, quelque chose sur Adam. C'était comme si, du front, de la bouche, de la poitrine et des mains de Dieu, qui apparaissait sous figure humaine, s'écoulaient des flots de lumière qui se réunissaient en un globe éclatant : ce globe entra dans le côté droit d'Adam, d'où Eve avait été tirée. Adam seul reçut ceci : c'était le germe de la bénédiction de Dieu. Dans cette bénédiction était une trinité. La bénédiction qu'Abraham reçut de l'ange était identique, apparaissant sous la même forme, mais pas aussi lumineuse (Gn 17,4).

Eve se tenait radieuse devant Adam, et Adam lui tendit la main. Ils étaient comme deux enfants, indiciblement beaux et nobles. Ils étaient tout brillants, revêtus de rayons comme d'une gaze. Je voyais un large flot de lumière sortir de la bouche d'Adam, et sur son front comme une auréole de majesté. Autour de sa bouche était un soleil de rayons, qu'il n'y avait pas chez Eve. Je vis leur coeur, exactement comme celui des hommes maintenant, mais des rayons enveloppaient leurs poitrines, et au milieu du coeur de chacun je voyais une auréole brillante, dans laquelle se tenait une petite figure qui semblait serrer quelque chose dans la main; je pense que cela représentait la troisième Personne de la Divinité. De leurs mains et de leurs pieds aussi je vis jaillir des rayons lumineux. Leurs cheveux retombaient de la tête en cinq mèches lumineuses, deux à partir des tempes, deux derrière les oreilles et une de l'arrière de la tête.

J'ai toujours eu le sentiment que les portes du corps humain avaient été ouvertes par les Plaies de Jésus, qu'elles avaient été refermées par le péché originel et que Longin avait ouvert au côté de Jésus la Porte de la nouvelle naissance à la vie éternelle.

J'ai vu les mèches lumineuses, rayons sur la tête d'Adam, comme sa plénitude, son auréole, l'achèvement des autres rayonnements; et cette auréole retrouve sa place sur les âmes et les corps glorieux. Nos cheveux sont cette gloire déchue, éteinte, obscurcie, et la comparaison entre notre chair actuelle et celle d'Adam avant la chute est du même ordre que celle de nos cheveux avec les rayons qui couronnaient Adam.

Adam tendit la main à Eve ; ils quittèrent le lieu de la création d'Eve pour se promener dans le Paradis, contemplant tout avec bonheur. Ce lieu de la création d'Eve était le plus élevé du Paradis, tout y était splendeur et lumière, plus que partout ailleurs.



4 l'Arbre de la Vie et l'Arbre de la Connaissance

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Au milieu du jardin lumineux, je vis une étendue d'eau avec une île qui était reliée à la berge par un isthme. Cette île et l'isthme étaient plantés d'arbres très beaux, mais au milieu de l'île se dressait un Arbre magnifique, qui dominait tous les autres et en même temps les protégeait (
Gn 2,9). Ses racines constituaient le sol de l'île. Il recouvrait toute l'île et se dressait de toute sa hauteur et largeur jusqu'à une cime très fine. Ses branches s'étendaient très droit, portant des rameaux qui s'élançaient vers le ciel comme autant de petits arbres comparables. Les feuilles étaient fines, les fruits jaunes étaient protégés par une cosse de feuilles, comme les roses qui s'ouvrent à peine. L'Arbre avait quelque chose de semblable au cèdre. Je ne me souviens pas avoir vu Adam ou Eve ou des animaux sur l'île prés de l'Arbre, sinon de très beaux oiseaux blancs, majestueux, que j'entendais chanter dans les branches. Cet Arbre était l'Arbre de la Vie.

Juste devant l'isthme qui menait à l'île se dressait l'Arbre de la Connaissance (Gn 2,17). Le tronc en était écailleux comme celui des palmiers les feuilles poussaient directement sur le tronc, très grandes et larges, ayant un peu la forme de semelles de chaussures. Cachés au creux des feuilles, les fruits pendaient par grappes de cinq, un en avant et les quatre autres groupés autour de la tige du premier. Les fruits, jaunes, avaient moins l'aspect d'une pomme que celui d'une poire ou d'une figue : ils avaient cinq côtes et leur germe ressemblait à un nombril ; l'intérieur de ces fruits était mou comme celui des figues, couleur de sucre brun, avec des veines rouge sang.

L'Arbre était plus large en haut qu'en bas, il jetait des branches qui s'enfonçaient profondément dans la terre. Je vois encore cette espèce d'arbres dans des pays chauds. Il jette en terre ses branches, comme des pousses, qui s enracinent et forment de nouveaux arbres, qui se reproduisent de la même façon, si bien qu'un tel arbre constitue souvent un abri sur un grand espace qu'occupent de nombreuses familles.

À quelque distance de l'Arbre de la Connaissance, sur la droite, je vis une petite colline arrondie, doucement inclinée, constituée de cristaux rouges lumineux et de toutes sortes de pierres précieuses; elle était garnie de degrés en forme de cristaux. Tout autour d'elle croissaient des arbres élancés, suffisamment hauts pour cacher quelqu'un qui se fût trouvé sur la colline ; d’autres plantes et végétaux poussaient alentour. Ces arbres et ces plantes avaient des fleurs et des fruits vivaces et multicolores.

À quelque distance de l'Arbre de la Connaissance, sur la gauche, je vis une dépression, une petite vallée. Elle était couverte comme d'une terre blanche, délicate, ou de brume, et de fleurettes et de grains blancs. A cet endroit aussi croissaient toutes sortes de plantes, mais elles étaient sans couleurs et portaient quelque chose qui ressemblait plus à de la poussière qu'à des fruits.

C'était comme si ces deux endroits avaient une relation entre eux, comme si la colline devait être déposée dans la vallée : elles étaient comme la semence et le champ. Ces deux endroits me parurent sacrés. Je les voyais tous deux lumineux, surtout la colline. Entre eux et l'Arbre de la Connaissance poussaient toutes sortes de petits arbustes et de buissons. Tout ceci, comme du reste toute la nature, était comme transparent et en lumière. Ces deux endroits étaient les lieux de séjour de nos premiers parents. L'Arbre de la Connaissance était comme une séparation entre eux. Je pense que Dieu leur a attribué ces lieux après la création d'Eve et au début, je les vis assez peu se promener ensemble. Je les voyais se promenant chacun à sa place, sans aucune convoitise (Gn 2,25).

Les animaux étaient d'une grâce inexprimable, tout lumineux, et servaient Adam et Eve. Chaque animal, suivant son espèce, avait son séjour, son gîte, ses sentiers, ses limites, et tous ces cercles d'évolution renfermaient en eux un grand mystère d'ordre et d'harmonie divine.



le péché et ses conséquences


1 - Le Péché originel

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Je vis Adam et Eve se promener pour la première fois dans le Paradis. Les animaux venaient à leur rencontre et les escortaient, s'attachant davantage à Eve qu'à Adam... Eve s'occupait en général beaucoup plus qu'Adam de la terre et des créatures, elle regardait plus souvent le sol autour d'elle, et semblait plus curieuse. Adam était plus calme, plus tourné vers Dieu.

Parmi tous les animaux, il s'en trouvait un qui s'attacha plus que tous les autres à Eve c'était une bête extrêmement familière, enjôleuse et docile je n'en connais aucune à quoi je puisse la comparer. Cette bête était en effet toute lisse et mince, comme si elle n'avait pas d'os. ses pattes de derrière étaient courtes et elle marchait debout.

1. Dans
Gn 3,1s. le serpent est présenté comme l'animal le plus rusé des champs. Mais il est montré non pas tant comme animal que comme créature diabolique qui mène nos premiers parents à la chute par sa ruse... Le serpent se dresse en paroles contre Dieu. en L'accusant de mensonge, et il se révèle en même temps comme l'ennemi des hommes en poussant par ses discours Adam et Eve à la révolte contre la volonté de Dieu ; (NdT)


Sa queue pointue traînait sur le sol, et elle avait de petites pattes courtes, très haut, près de la tête. Sa tête était ronde et exprimait une ruse remarquable : cette bête avait une langue fine toujours en mouvement. La couleur de son ventre, de sa poitrine et de sa gorge était à peu près blanc jaunâtre. et tout son dos était tacheté de brun, presque comme une anguille. Cette bête avait environ la taille d'un enfant de dix ans. Elle tournait toujours autour d'Eve, si docile et folâtre, si agile et si curieuse de tout et de rien qu'Eve éprouvait beaucoup de plaisir en sa compagnie. Mais pour moi, cette bête avait je ne sais quoi d'effrayant, et je la vois toujours aussi distinctement. Je n'ai pas vu qu'Adam ou Eve l'aient touchée. Il y avait avant le péché une grande distance entre l'homme et les animaux et je n'ai jamais vu nos premiers parents toucher un animal et si les animaux étaient plus confiants envers l'homme ils n'en restaient pas moins à l'écart.

Lorsqu'Adam et Eve revinrent à l'endroit lumineux, une silhouette éclatante, comme celle d'un homme majestueux aux cheveux blancs étincelants, vint à eux et sembla leur donner tout ce qui les entourait, leur désignant tout en quelques mots, et aussi leur ordonner quelque chose. Ils n'avaient nulle crainte, mais écoutaient avec candeur. Lorsque cette silhouette disparut, ils parurent plus satisfaits, plus heureux, ils semblaient mieux comprendre et découvrir un ordre plus grand en toutes choses : et ils en éprouvaient une très vive reconnaissance, mais Adam plus qu'Eve, qui pensait à son bonheur et à ces choses plus qu'à la reconnaissance car elle n'était pas aussi tournée vers Dieu qu'Adam. son âme se penchait plus vers la nature. Je crois qu'ils se sont promenés trois fois dans le Paradis.

Puis je vis Adam sur la colline lumineuse où il avait été plongé dans le sommeil, lorsque Dieu tira la femme de son côté : il rendait grâce et s'émerveillait. Il se tenait tout seul sous les arbres. Quant à Eve, je la vis s'approcher de l'Arbre de la Connaissance, comme si elle voulait se tenir prés de lui. La bête était de nouveau près d'elle, encore plus folâtre et plus agile : Eve fut toute conquise par le serpent et se complut particulièrement en sa compagnie. Alors le serpent grimpa dans l'Arbre, assez haut pour que sa tête fût à la hauteur de celle d'Eve il s'agrippa au tronc avec ses pattes et, tournant la tête vers Eve, il lui parla. Il lui dit que si Adam et elle mangeaient de ce fruit de l'Arbre, ils deviendraient libres et ne seraient plus des esclaves, qu'ils connaîtraient la façon dont ils se multiplieraient.

Adam et Eve avaient déjà reçu de Dieu l'ordre de se multiplier (Gn 1,28). Mais j'appris qu'ils ne connaissaient pas les desseins de Dieu à ce sujet, et que, s'ils les avaient sus et avaient néanmoins péché, la Rédemption eût été impossible.

Dès lors, Eve ne cessa de penser à ce que lui avait dit la bête, et elle s'enflamma du désir d'en savoir plus; il se passa en elle quelque chose qui l'abaissait, et j'en frémis. Alors elle se tourna vers Adam, qui se tenait paisiblement sous les arbres, et l'appela, et il vint. Eve courut à lui, puis fit demi-tour, il y avait en elle une hésitation et un trouble. Elle marcha, comme si elle voulait dépasser l'Arbre, mais elle s'en approcha, du côté gauche, et se tint derrière le tronc, recouverte de ses longues feuilles tombantes.

L'Arbre était plus touffu au sommet, et ses longues branches flexibles recouvertes de feuilles retombaient jusqu'à terre; à l'endroit où se tenait Eve, un fruit particulièrement beau pendait.

Lorsqu'Adam arriva près d'elle, Eve lui prit le bras et lui fit part de ce qu'avait dit cette bête qui parlait, et Adam écouta aussi. Lorsqu'Eve prit le bras d'Adam, c'était la première fois qu'elle le touchait : lui ne la toucha pas, mais tout devint plus obscur autour d'eux.

Je vis que la bête montrait le fruit sans oser toutefois le cueillir pour Eve. Mais lorsqu'Eve convoita le fruit, la bête le cueillit et le lui tendit : c'était le fruit d'une grappe de cinq, le plus beau, celui qui se trouvait au milieu des autres.

Je vis alors qu'Eve s'approcha d'Adam avec le fruit et le lui donna, et que sans son consentement à lui, il n'y aurait pas eu de péché. Je vis que le fruit semblait s'ouvrir dans la main d'Adam qui parut y voir des Images. C'était comme s'ils avaient révélation de ce qu'ils devaient ignorer. L'intérieur du fruit était couleur de sang et parcouru de veines. Je vis qu'Adam et Eve s'obscurcissaient et qu'ils se tassaient dans leur taille. L'éclat du soleil sembla se ternir. La bête sauta de l'arbre et je la vis s'enfuir à quatre pattes. Mais je n'ai pas vu qu'Adam et Eve aient mangé le fruit avec leur bouche, comme nous faisons : le fruit disparut entre eux (Gn 3,6).

Je vis qu'Eve avait déjà péché lorsque le serpent était dans l'Arbre, car elle lui avait remis sa volonté. Je compris à ce sujet quelque chose que je suis incapable d'exprimer en paroles : c'était comme si le serpent représentait la forme, le symbole de leur volonté, comme celui d'un être par lequel ils pouvaient tout faire et tout atteindre. Et Satan se glissa en cela.

Le péché ne se trouva pas accompli par le seul usage du fruit défendu: ce fruit renferme en soi la faculté d'une reproduction tout arbitraire, reproduction dans l'ordre des sens, qui sépare de Dieu : il est le fruit de cet arbre qui plonge ses branches dans la terre pour se reproduire en poussant ainsi de nouveaux surgeons, ceux-ci se multipliant à leur tour de la même façon, même après la chute. Aussi, ayant consommé ce fruit dans la désobéissance, l'homme se sépara de Dieu, et la concupiscence s'implanta en lui, et par lui dans toute la nature humaine. Cette usurpation des propriétés du fruit eut en l'homme, qui voulut ainsi satisfaire son désir propre, de funestes conséquences : la division, la déchéance de la nature, le péché et la mort.

Après la création d'Eve, Dieu avait accordé à Adam une bénédiction porteuse d'une faculté permettant à l'homme de se reproduire dans la sainteté et la pureté 2 cette bénédiction fut retirée à Adam à cause de l'usage qu'il fit du fruit défendu, car je vis le Seigneur passer derrière Adam lorsque celui-ci quitta sa colline pour rejoindre Eve 3 et lui retirer quelque chose : et il me sembla que le Salut du monde devait sortir de ce que Dieu avait repris à Adam 4.

2. l'union charnelle ne constitue nullement le péché originel qui, ainsi que le souligne Anne Catherine Emmerick, est avant tout désobéissance et faute dans l'ordre spirituel. La forme actuelle de la reproduction n est qu'une conséquence du péché originel. (N.D.T.)
3. C'est lorsqu'Adam répondit à l'appel d'Eve qui se trouvait prés de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. (NdT)
4. Ce que Dieu avait retranché d'Adam devint le "dépôt sacré" dont il sera question dés le chap. 12. (N.D.T.)


Un jour, à la fête de la sainte et immaculée Conception de Marie, Dieu m'accorda une vision de ce mystère : je vis la vie physique et spirituelle de tous les hommes comme contenue en Adam et Eve, et gâtée par la chute et mêlée au mal, ce dont les anges déchus tirèrent une grande puissance. Mais je vis également la seconde Personne de la Divinité descendre vers Adam et lui retirer la bénédiction divine, avec une lame recourbée, avant qu'il consentit au péché. Au même moment, je vis la Vierge Marie sortir du côté d'Adam, comme une petite nuée lumineuse qui s'éleva vers Dieu.

Lorsqu'Adam et Eve eurent consommé le fruit, ils furent comme ivres, et leur consentement au péché provoqua de grands changements en eux. Car, le serpent étant auprès d'eux, ils étaient pénétrés de son influence, et l'ivraie s'introduisait parmi le bon grain.

La circoncision a été établie comme un signe de châtiment et d'expiation (Gn 17,10) : de même que le premier surgeon de la vigne est émondé, pour éviter que le vin ne devienne aigre, mauvais et inutilisable, de même homme fut soumis à ce rite, comme s'il devait par là retrouver sa noblesse.

Lorsque la réparation de la chute m'était montrée sous forme de visions, je voyais Eve qui, à peine issue du côté d'Adam tournait déjà la tête vers le fruit défendu et courait vers l'arbre pour l'entourer de ses bras. Mais Je voyais en même temps, dans une vision opposée, comment Jésus, né de la Vierge Immaculée, se hâtait vers la Croix et la serrait dans ses bras, et comment la descendance de nos premiers parents, souillée et dispersée par la faute d'Eve, retrouvait sa pureté grâce aux souffrances de Jésus il m'a été montre comment la convoitise et ses troubles doivent être extirpés de la chair par les douleurs de l'expiation 5. J'ai toujours ainsi compris les mots de l'Epitre aux Galates selon lesquels le fils de la servante n'a point de part à l'héritage : par ce terme "servante", on doit entendre la chair et les soumissions serviles qu'elle engendre 6. Le mariage est un état de pénitence, qui exige le renoncement, la prière, le Jeune, la pratique de l'aumône et dont le but est l'accroissement du Royaume de Dieu.

Avant le péché originel, Adam et Eve étaient fort différents de ce que nous, misérables humains, sommes à présents mais à cause de l'usage qu'ils firent du fruit défendu, ils reçurent un devenir formel et temporel, et tout ce qui en eux était spirituel se mua en chair, matière, instrumentalité et réceptivité. Auparavant, ils étaient un en Dieu, et leur volonté ne faisait qu'une avec celle de Dieu; désormais, ils sont divisés en leur volonté propre, qui est égoïsme, concupiscence, impureté. En cueillant le fruit défendu, l'homme se détourna de Dieu, son Créateur, et ce fut comme s'il usurpait le pouvoir de créer. Dans l'être humain, toutes les forces, les actions et les qualités, et leurs relations entre elles et avec la nature entière, sombrèrent au niveau de la matière, dans l'ordre corporel, et empruntèrent toutes sortes de formes et d'expressions; à l'origine, l'homme avait été établi par Dieu maître de toute la création désormais, tout se trouvait en lui rabaissé au niveau de la nature, il était comme un seigneur que ses esclaves eussent soumis et lié, et il devait à présent lutter et combattre contre ces esclaves. Je ne suis guère capable d'exprimer ces choses : c'est comme si l'homme avait possédé en Dieu l'origine et le centre de toutes choses, et comme s'il les avait ramenées a soi, si bien que ces choses étaient devenues ses maîtres.

5. Le thème de l'expiation est l'un des plus importants dans la vie et les écrits d Anne Catherine Emmerick. (NdT)
6. Ces soumissions ne sont pas limitées à la sexualité mais se manifestent dans toutes les convoitises de la chair : gourmandise, paresse, envie, intempérance, luxure etc. (NdT)


J'ai vu l'intérieur de l'homme, tous ses organes, comme l'image de toutes les créatures et de leurs relations entre elles 7 il récapitule en lui toutes choses, des astres jusqu'aux plus petits animaux, comme si ceux-ci étaient par la chute de l'homme tombés eux-mêmes dans le corporel et le périssable 8. Tout ceci s harmonisait en l'homme, mais il brisa cette harmonie et dut désormais travailler, lutter et souffrir à cause de sa faute Je ne peux exprimer cela plus clairement. car Je suis moi-même un membre de l'humanité déchue.

L'homme a été créé pour combler les rangs laissés vides par les anges rebelles. Sans le péché originel, il se fut multiplié jusqu'à ce que le genre humain atteignit le nombre des anges déchus, et la création eût alors été achevée. Si Adam et Eve avaient vécu une seule génération sans pécher, ils ne seraient jamais plus tombes ensuite. Je suis assurée que le monde ne finira pas tant que le nombre des anges rebelles ne sera pas obtenu et que tout le froment n'aura pas été séparé de la balle.

7. Créé à l'image de Dieu et à sa ressemblance l'homme récapitule en soi toute harmonie mystérieuse de l'univers (NdT)
8. Le péché est un désordre qui. non seulement lèse celui qui le commet mais atteint toute l'harmonie du plan divin de la Création. (NdT)


J'ai eu un jour la vision globale de TOUT le péché, en son incommensurable étendue, et de TOUT le salut. J'ai contemplé clairement tous les mystères. je les a' compris avec précision. mais il m'est bien impossible d exprimer cela en paroles. J'ai vu le péché, depuis la chute des anges et la faute d'Adam. jusqu'à nos Jours, avec la totalité de ses innombrables ramifications. et j'ai vu également toutes les préparations de la Rédemption et du Salut, jusqu'à la venue et la mort de Jésus. Jésus m'a montré le prodigieux mélange et l'incroyable désordre qui règnent en toutes choses. et tout ce qu'Il a accompli depuis l'origine pour la purification et la restauration de l'univers.

Lors de la chute des anges, beaucoup d’esprits mauvais vinrent sur la terre et infestèrent les airs : j'ai vu nombre de choses saturées et possédées de toutes sortes de façons par leur fureur.

Le premier homme était une image de Dieu, il était comme le ciel. Tout était un avec lui et en lui : sa forme était une expression de la forme divine. Il devait recevoir et posséder la terre et les créatures, mais en les tenant de Dieu et en l'adorant. Cependant, il était libre. c'est pourquoi il fut confronté à l'épreuve. à ce qui lui était interdit : manger du fruit de l'Arbre. à l'origine. tout était uni et semblable : lorsque s'éleva la petite hauteur. La colline lumineuse sur laquelle se tenait Adam. et lorsque se creusa la vallée toute blanche et semée de fleurs minuscules, comme de la poussière. le Tentateur s'approcha.

Après la chute, tout changea. Toutes les formes de la création se réalisèrent et s'éparpillèrent, tout ce qui était uni se diversifia. tout ce qui était un se multiplia Adam et Eve ne restèrent plus tournés vers Dieu seul, mais se fixèrent en eux-mèmes c est alors qu'ils ne furent plus un, mais deux 9, puis bientôt trois, et finalement une multitude. Ils étaient des images de Dieu, | ils devinrent simplement le complément l'un de l'autre. produisant en eux-mèmes l'image du péché. Ils furent ainsi entraînés dans une relation avec le cercle des esprits rebelles. Ils conçurent à partir d'eux-mèmes et furent tributaires du sol. et les anges déchus établirent leur domination sur eux et sur la terre, si bien qu'il en résulta une infinie variété de péchés, de culpabilité. de misères, à cause du mélange des hommes entre eux et de leur dispersion dans la nature amoindrie par la faute originelle.

Mon Fiancé 10 me montra toutes ces choses très clairement, de façon précise et compréhensible, de façon bien plus exacte que tout ce que nous percevons des événements de la vie quotidienne, et je pensais qu'un enfant serait tout à fait capable de les comprendre. Pourtant' je ne peux plus guère exprimer ces réalités.

Il me fit voir le plan et les voies du Salut depuis l'origine et tout ce qu'Il a accompli. J'ai reconnu l'inexactitude de cette idée selon laquelle Dieu n'avait pas besoin de se faire homme, ni de mourir sur la croix, étant fort capable de procéder tout autrement pour nous sauver, grâce à sa Toute-Puissance.

9. Le péché est rupture de l'unité qui a sa source en Dieu' il est division : Adam et Eve. se détournant de Dieu, sont divisés et s'affrontent désormais. (NdT)
10. C'est ainsi qu'Anne Catherine Emmerick nommait Jésus-Christ.


En fait, il a réalisé tout ceci en toute perfection, miséricorde et justice. Dieu ne connaît point de nécessité. Il réalise tout ce qu'Il produit, Il est Celui qui est.

J'ai vu Melchisédech 11 comme un ange, préfigurant le Christ. Prêtre Eternel venu sur la terre. Comme le sacerdoce est en Dieu de toute éternité, il était prêtre dans l'ordre éternel, en tant qu'ange.

J'ai vu tout ce qu'il a fait pour préparer, fonder, établir et préserver la race humaine. et pour la guider. J'ai vu également Hénoch et Noé, leur rôle et leur signification. Et. à côté de toutes ces figures' il m'a été montré l'empire de l'enfer, toujours à l'oeuvre dans l'éclosion. les agissements et les mille formes d'un culte idolâtrique terrestre, charnel. diabolique. Toutes ces choses empruntaient des expressions précises et comparables. issues de puisions intérieures et secrêtes. qui incitaient et menaient au péché et à la dispersion. qui en est la conséquence.

C'est ainsi que tout m'a été révélé. d'Abraham à Moïse. de Moïse aux prophètes, toujours en relation et en correspondance avec notre monde actuel. Ainsi, par exemple. cet enseignement sur une question précise : pourquoi les prêtres n'ont-ils plus le pouvoir d'aider en opérant des guérisons, pourquoi ne parviennent-ils plus ou si peu à exercer ce charisme ? Ce don du sacerdoce m'a été montré à l'époque des prophètes. ainsi que son origine : j ai vu. par exemple' Elisée donner son bâton à Giezi 12 pour le poser sur l'enfant de la Sunamite, qui était mort. Or dans ce bâton se trouvait renfermée toute la puissance d'Elisée, sa mission. de façon toute spirituelle.

11. Cf. chap 10.
12 Elisée (Dieu a aidé) était un prophète, fils de Saphat d'AbelMéchola : disciple et successeur d Elle. il vécut vers 850-800 avant J.C. et accomplit de nombreux miracles. Giezi (ou Gechasi) était son serviteur. Cf 2R 4,29-37. (NdT)


Ce bâton était le prolongement de son bras, c'était son bras même C'est à cette occasion que j'ai vu l'origine de la crosse des évêques, du sceptre des rois, - et leur pouvoir, tel que la foi le communique, en les liant de façon particulière à ceux qui sont investis d'une mission, et en les tenant à l'écart de tout le reste. Mais Giezi n'y croyait pas assez, et la mère éplorée s'imaginait ne pouvoir obtenir du secours que d'Elisée lui-même, si bien que des doutes occasionnés par l'obscurcissement humain avaient fait obstacle à la force de Dieu communiquée à Elisee et à son bâton. Je vis cependant Elisée s'allonger sur l'enfant, bouche contre bouche, main contre main, poitrine contre poitrine, et, par sa prière, ramener l'âme de l'enfant dans le corps. J'ai eu à cette occasion l'explication de cette forme de thaumaturgie. et de sa relation avec la mort de Jésus qu'elle préfigurait. En Elisée, la foi et la grâce divine ouvrirent de nouveau à l'homme les portes du salut et de la rédemption qui avaient été closes par le péché, à la tête, au côté, aux mains et aux pieds 13. Elisée se coucha. tel une croix de vie déjà préfigurée, sur l'enfant mort, image d'une croix aux sources fermées 14 et, par sa prière et sa foi, fit de nouveau circuler en lui la vie et la santé, réparant et expiant les fautes des parents, commises par la tête, le coeur, les mains et les pieds, qui avaient causé la mort de l'enfant.

13. Ces portes sont les Plaies du Christ. que le chrétien doit reproduire en son âme. (NdT)
14. La croix est instrument de mort. mais. par la mort du Christ elle est devenue dispensatrice de vie. (NdT)


J'ai vu en même temps que tout cela des symboles sur la mort de Jésus en Croix et sur ses saintes Plaies, et l'harmonie qui existe en tout. Mais j'ai contemplé la plénitude de ce don de la résurrection et de la guérison qui se répandait depuis la mort de Jésus sur la croix dans tout le sacerdoce de son Eglise, et en particulier dans les chrétiens à la foi éminemment solide : car c'est à la mesure de notre vie en Jésus et de notre crucifixion en lui que les portes de la grâce manifestées par ses Plaies sont ouvertes en nous. J'ai appris beaucoup de choses sur l'imposition des mains, sur la puissance de la bénédiction et sur son action au loin, et tout me fut expliqué précisément en cet exemple du bâton d'Elisée, bâton qui est en quelque sorte prolongement de la main et porteur de sa puissance.

Il m'a été montré pourquoi les prêtres, à l'heure actuelle, répandent si rarement des grâces de bénédiction et de guérison; cela m'a été représenté sous forme de symboles, comme toutes les réalités de cet ordre.

J'ai vu trois artistes qui modelaient des figures de cire.

Le premier utilisait de la belle cire blanche; il était lui-même très habile et travaillait avec facilité, mais avait la tête toute pleine de sa propre suffisance et ne portait pas l'image du Christ dans son coeur, si bien que son oeuvre avorta.
Le second mode prit de la cire pâle, mais il était rempli d'amour-propre et prenait son ouvrage si peu à coeur qu'il ne fit rien de bon.
Quant au dernier, fort maladroit, il pétrissait avec patience et naïveté de la vulgaire cire jaune, et, bien qu'il travaillât avec beaucoup de difficultés, il fit un très bon ouvrage et une image fort expressive malgré la grossièreté de l'exécution. De même, les prêtres tout occupés à disserter de choses mondaines et imbus de sagesse humaine et de fausse science ne produisent rien de bon, alors que quelques-uns, par leur seule pauvreté et simplicité, manifestent la puissance du sacerdoce dans la bénédiction et la guérison.

En toutes ces choses, c'était comme si j'allais à l'école, et mon Fiancé m'enseignait comment, de sa conception à sa mort, il avait souffert et expié et réparé. Et je voyais tout ceci en des représentations de sa vie uniquement. J'ai vu également que l'on pouvait, par la prière et en offrant ses propres souffrances, obtenir la conversion et le salut de nombreuses âmes qui ne travaillent guère sur la terre et sont captives du péché mortel.

J'ai vu aussi comment les Apôtres se sont dispersés sur la plus grande partie de la terre, pour y briser la domination de Satan et y porter la bénédiction, et comment certaines régions étaient tout particulièrement au pouvoir de l'ennemi : mais Jésus, par son sacrifice parfait, a obtenu aux hommes la puissance de sa bénédiction et l'a solidement établie en eux, en leur envoyant autrefois, et maintenant encore, son Esprit de Sainteté. Et il m'a été montré que ce don, destiné par la force de la bénédiction à soustraire la terre et les pays à la domination de Satan, se trouve évoqué en ces paroles : "Vous êtes le sel de la terre." (Mt 5,13) C'est pour cela que le sel entre également dans la composition de l'eau bénite.

En ces visions. j'ai vu également combien scrupuleusement on s'adonne avec passion aux occupations charnelles et temporelles, si bien que toutes les pratiques issues du refus des bénédictions célestes constituent le sens même de la vie pour beaucoup : prodiges du royaume de Satan, culte de la nature, superstition, magie, magnétisme, science tournée vers l'humain, arts superficiels - tous les moyens en somme de farder la mort, de rendre le péché agréable et d'endormir la conscience - sont pratiqués avec une superstitieuse ferveur par ceux-là mêmes qui prétendent déceler dans les mystères de la religion catholique des formes caractéristiques de superstition. Et pourtant ces mystères pourraient se célébrer par des rites différents, tandis que ces gens-là mènent leur vie et toutes leurs activités mondaines de façon extrèmement consciencieuse selon des normes analogues - de sorte que seul vienne à être négligé le Royaume du Dieu fait homme. C'est ainsi que j'ai également constaté combien on accorde d'importance à toutes les occupations mondaines, au détriment du service de Dieu.




Brentano - B. Emmerich: Myst. AT