Brentano - Bse Emmerich, Vie Vierge Marie - LVII. - Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.

LVII. - Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.


(Le dimanche, 2 décembre.) La soeur ne dit pas si les prêtres, après le repas, retournèrent à la ville et revinrent le lendemain matin, ou s'ils passèrent la nuit près de la grotte ou dans le voisinage ; mais voici ce qu'elle raconta :


Des lampes étaient allumées dans la grotte, et je vis que pendant la nuit on pria beaucoup et qu'on chanta des cantiques La circoncision eut lieu au point du jour. La sainte Vierge était attristée et inquiète. Elle avait apprêté elle-même les linges destinés à recevoir le sang et à bander la plaie ; elle les tenait devant elle dans un pli de son manteau. La pierre octogone fut recouverte par les prêtres d'un drap rouge et d'un autre drap blanc par dessus, avec des prières et des cérémonies ; puis l'un des prêtres s'appuya plutôt qu'il ne s'assit sur le siège, et la sainte Vierge, qui se tenait voilée au fond de la grotte, avec l'Enfant-Jésus sur les bras, le donna à la servante avec les linges. Saint Joseph le reçut des mains de la servante, et le donna à la garde qui était venue avec les prêtres. Celle-ci plaça l'enfant recouvert d'un voile sur la couverture de la pierre octogone.


On fit encore des prières ; puis cette femme ôta à l'enfant ses langes et le remit sur les genoux du prêtre qui était assis. Saint Joseph se pencha par-dessus les épaules du prêtre et tint l'enfant par le haut du corps. Deux prêtres s'agenouillèrent à droite et à gauche, tenant chacun un de ses petits pieds : celui qui devait accomplir la cérémonie s'agenouilla devant lui. On découvrit la pierre octogone et on enleva la plaque de métal pour avoir sous la main les trois boîtes où il y avait des eaux vulnéraires et de l'onguent. Le manche et la lame du couteau étaient de pierre. Le manche, brun et poli, avait une rainure où l'on faisait entrer la lame : celle-ci, qui était de couleur jaunâtre, ne me parut pas très affilée. L'incision se fit avec la pointe recourbée du couteau. Le prêtre fit aussi usage de l'ongle tranchant de son doigt. Il exprima le sang de la blessure, et y mit du vulnéraire et d'autres ingrédients de même nature qu'il prit dans les boîtes. La garde prit alors l'enfant, et, après avoir bandé la plaie, elle lui remit ses langes. Cette fois, on emmaillota, aussi ses bras qui étaient libres auparavant, et on roula autour de sa tête le voile dont on l'avait couverte. Il fut placé de nouveau sur la pierre octogone, et on fit encore des prières.


L'ange avait dit à Joseph que l'enfant devait s'appeler Jésus ; mais le prêtre d'abord n'agréa pas ce nom, et il se mit en prières à cette occasion. Je vis alors un ange lui apparaître et lui montrer le nom de Jésus sur un écriteau pareil à celui qui surmonta la croix sur le Calvaire. Je ne sais pas si en effet cet ange fut vu par lui ou par un autre prêtre ; mais je le vis tout ému écrire ce nom sur un parchemin, comme poussé par une impulsion d'en haut. L'Enfant-Jésus pleura beaucoup après la cérémonie de la circoncision. Je vis saint Joseph le reprendre et le mettre dans les bras de la sainte Vierge qui était restée au fond de la grotte avec deux femmes. Elle le prit en pleurant, se retira dans le coin où était la crèche, s'assit' couverte de son voile, et apaisa l'enfant en lui donnant le sein. Saint Joseph lui remit aussi les linges teints de sang. On pria de nouveau et on chanta des cantiques. La lampe brûlait encore ; il faisait alors tout à fait jour. Bientôt la sainte Vierge vint avec l'enfant et le posa sur la pierre octogone. Les prêtres tournèrent vers elle leurs mains croisées sur la tête de l'enfant, et elle se retira avec lui.


Les prêtres, avant de se retirer, mangèrent quelque chose avec Joseph et deux bergers dans la cabane de feuillage. J'ai su que tous ceux qui avaient assisté à la sainte cérémonie étaient des gens de bien, et que les prêtres plus tard embrassèrent la doctrine du Sauveur. Toute la matinée on fit encore des distributions aux pauvres qui venaient à la porte. Pendant la cérémonie, l'âne était resté attaché dans un lieu séparé.


Encore aujourd'hui beaucoup de mendiants fort sales portant des paquets et venant de la vallée des bergers, passèrent devant la grotte de la Crèche. Ils semblaient aller à Jérusalem pour une fête. Ils demandèrent l'aumône très insolemment et proférèrent des malédictions et des injures près de la crèche, parce qu'ils ne trouvaient pas que Joseph leur eût donné assez. Je ne sais pas qui étaient ces gens, ils me déplaisaient beaucoup.


Dans la nuit suivante, je vis l'enfant souvent privé de sommeil par la douleur qu'il ressentit : il pleurait beaucoup. Marie et Joseph le prirent tour à tour sur leurs bras et le portèrent autour de la grotte en essayant de le calmer.


LVIII - Elisabeth vient à la Crèche.


Le lundi, 3 décembre)

Ce soir je vis Élisabeth se rendre de Juttah à la grotte de la Crèche, montée sur un âne que conduisait un vieux domestique. Joseph la reçut très amicalement ; Marie et elle s'embrassèrent avec des sentiments de joie indicible. Elle pressa l'Enfant-Jésus sur son coeur en versant des larmes. On lui prépara une couche près de la place où Jésus était né. Devant cette place il y avait un tréteau élevé, comme une espèce de tréteau de scieur, sur lequel était un petit coffre où l'on mettait souvent l'Enfant-Jésus. Ce devrait être une chose habituelle pour les enfants, car, déjà chez sainte Anne, j'avais vu Marie, dans sa petite enfance, reposer sur un tréteau semblable.


(Le mardi, 4 décembre.) Hier soir et aujourd'hui, dans la journée, je vis Marie et Élisabeth assises à côté l'une de l'autre et s'entretenant affectueusement. J'étais prés d'elles et j'écoutais toutes leurs paroles avec un vif sentiment de joie. La sainte Vierge raconta à sa cousine tout ce qui lui était arrivé jusqu'alors, et quand elle parla de ce qu'elle avait souffert en cherchant un logement à Bethléem, Élisabeth pleura de tout son coeur. Elle lui raconta aussi beaucoup de choses touchant la naissance de Jésus, et je m'en rappelle encore quelque chose. Elle dit qu'au moment de l'annonciation elle avait été ravie en esprit pendant dix minutes, et qu'elle avait eu le sentiment que son coeur devenait double, et qu'un bien inexprimable entrait en elle et la remplissait tout entière. Au moment de la nativité, elle avait eu aussi un ravissement avec le sentiment que les anges la portaient en l'air agenouillée, et il lui avait semblé que son coeur était divisé en deux et qu'une moitié se séparait de l'autre. Elle avait perdu dix minutes l'usage de ses sens ; puis, ressentant un vide intérieur et un désir immense d'un bien infini qu'elle avait eu jusque là au dedans d'elle et qui n'y était plus, elle avait vu devant elle une lumière éclatante dans laquelle son enfant avait semblé croître sous ses y eux. Elle l'avait alors vu remuer et entendu pleurer ; puis, revenant à elle, elle l'avait pris sur la couverture et pressé contre son sein, car au commencement il lui avait semblé qu'elle rêvait, et elle n'avait pas osé toucher l'enfant environné de lumière. Elle dit aussi qu'elle n'avait pas eu la conscience du moment où l'enfant s'était séparé d'elle. Élisabeth lui dit : " Vous avez eu dans votre enfantement des grâces que n'ont pas les autres femmes ; celui de Jean aussi a été plein de douceur, mais les choses se sont passées autrement ". Voilà ce que je me rappelle de leurs discours.


Vers le soir, Marie se cacha encore avec l'Enfant-Jésus et Elisabeth dans la grotte latérale voisine de la grotte de la Crèche. Je crois qu'elles y restèrent toute la nuit. Marie s'y décida, parce que des gens de distinction de Bethléem venaient en foule à la crèche par curiosité. Elle ne voulut pas se montrer à eux.


Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus sortir de la grotte de la Crèche et aller dans une autre grotte placée à droite. L'entrée en était très étroite : quatorze marches en pente conduisaient d'abord dans un petit caveau, puis dans une chambre souterraine, plus grande que la grotte de la Crèche. Joseph la sépara en deux au moyen d'une couverture suspendue en l'air. La partie voisine de l'entrée était semi-circulaire, l'autre partie était carrée. La lumière ne venait pas par en haut, mais par des ouvertures latérales qui traversaient une grande épaisseur de rocher. J'ai vu, les jours précédents, un homme âgé enlever de cette grotte des fagots, des bottes de paille et des paquets de roseaux, comme ceux dont Joseph se servait pour faire du feu. Ce fut un berger qui leur rendit ce service. Cette grotte était plus claire et plus spacieuse que celle de la Crèche. L'âne n'y était pas. J'y vis l'Enfant-Jésus couché dans une auge creusée dans le roc. Pendant les jours précédents, j'ai vu souvent Marie montrer à quelques visiteurs son enfant, couvert d'un voile et tout nu, à l'exception d'un linge autour du corps. D'autres fois, je le vis de nouveau entièrement emmailloté. Je vis la garde qui avait assisté à la circoncision visiter souvent l'enfant. Marie lui donnait presque tout ce qu'apportaient les visiteurs, afin qu'elle le distribuât aux pauvres de Bethléem.


LIX - Voyage des trois Rois Mages à Bethléem.


(Communiqué le 21 novembre)


(le 25 novembre.) J'ai déjà raconté comment je vis la naissance de Jésus-Christ annoncée aux trois rois la nuit même de Noël. Je vis Mensor et Sair ; ils étaient dans le pays du premier et regardaient les astres. Tous leurs préparatifs de voyage étaient faits. Ils regardaient l'étoile de Jacob du haut d'une tour en forme de pyramide, cette étoile avait une queue. Elle se dilata, pour ainsi dire, à leurs yeux, et ils virent une vierge brillante devant laquelle planait un enfant lumineux. Du côté droit de l'enfant sortit une branche, et à l'extrémité de celle-ci parut, comme une fleur, une petite tour à plusieurs entrées, qui finit par devenir une ville. Aussitôt après cette apparition, tous deux se mirent en route. Théokéno, le troisième, demeurait plus à l'orient, à deux journées de voyage. Il vit la même chose à la même heure, et partit aussitôt en toute hâte pour se réunir à ses deux amis, qu'il rejoignit en effet.


(Le 26 novembre.) Je m'endormis avec un grand désir de me trouver dans la grotte de la Crèche, près de la mère de Dieu, afin qu'elle me donnât l'Enfant-Jésus, pour le tenir quelque temps dans mes bras et le serrer sur mon coeur, et j'y allai en effet. Il faisait nuit. Joseph dormait, appuyé sur son bras droit, derrière son réduit, près de l'entrée. Marie était éveillée ; elle était assise à sa place accoutumée près de la crèche, et tenait sur son sein le petit Jésus recouvert d'un voile. Je m'agenouillai et j'adorai avec un grand désir de voir l'enfant. Ah ! elle le savait bien ; elle sait tout et elle accueille tout ce qu'on lui demande avec une bonté si touchante, quand on prie avec une foi sincère. Mais elle était silencieuse, recueillie ; elle adorait respectueusement celui dont elle était la mère, et elle ne me donna pas l'enfant, parce qu'elle l'allaitait, à ce que je crois. A sa place, j'aurais fait comme elle.


Mon désir allait toujours croissant et se confondait avec celui de toutes les âmes qui soupiraient pour l'Enfant-Jésus. Mais cette ardente aspiration vers le Sauveur n'était nulle part si pure, si naive et si sincère que dans le coeur des bons rois mages de l'Orient, qui l'avaient attendu pendant des siècles dans la personne de leurs ancêtres, croyant, espérant et aimant. Aussi mon désir se tourna vers eux. Quand j'eus fini d'adorer, je me glissais respectueusement hors de la grotte de la Crèche, et je fus conduite par une longue route jusqu'au cortège des trois rois.


Sur cette route, j'ai vu bien des pays, des habitations et des gens, leurs costumes, leurs moeurs et leurs usages, et aussi quelque chose de leur culte ; mais j'ai presque tout oublié. Je raconterai comme je le pourrai ce qui m'est resté présent à la mémoire.


Je fus conduite à l'orient dans une contrée où je n'avais jamais été. Elle était presque partout stérile et sablonneuse. Près de quelques collines habitaient, dans des cabanes de branchage, de petites réunions d'hommes. C'étaient comme des familles isolées, de cinq à huit personnes. Le toit, fait avec des branches, s'appuyait à la colline, où les demeures étaient creusées. Cette contrée ne produisait presque rien ; il n'y venait que des buissons, et ça et là un petit arbre avec quelques boutons dont on tirait une laine blanche. Je vis, en outre, quelques arbres plus grands sous lesquels ils plaçaient leurs idoles. Ces hommes étaient encore très sauvages ; ils me parurent se nourrir le plus souvent de chair crue, spécialement d'oiseaux, et vivre en partie de brigandage.


Ils étaient de couleur cuivrée et avaient des cheveux roussâtres comme le poil du renard. Ils étaient petits, trapus, plutôt gras que maigres, du reste adroits, lestes et actifs. Je ne vis pas chez eux d'animaux domestiques, ni de troupeaux. Ces gens faisaient des espèces de couvertures avec une laine blanche qu'ils recueillaient sur de petits arbres. Ils filaient avec cette laine de longues cordes de l'épaisseur du doigt, qu'ils tressaient ensuite pour en faire de larges bandes d'étoffe. Quand ils en avaient préparé un certain nombre, ils mettaient sur leur tête de grands rouleaux de ces couvertures, et allaient en troupe les vendre à une ville.


Je vis aussi en divers lieux, sous de grands arbres leurs idoles, qui avaient des têtes de taureau, avec des cornes et une grande bouche. Il y avait dans le corps des trous ronds, et en bas une ouverture plus large où l'on faisait du feu pour brûler les offrandes placées dans les autres ouvertures plus petites. Autour de chacun de ces arbres sous lesquels étaient les idoles, se trouvaient, sur de petites colonnes de pierre, d'autres figures d'animaux. Il y avait des oiseaux, des dragons, et une figure qui avait trois têtes de chien et une queue de serpent roulée sur elle-même.


Au commencement de mon voyage j'eus le sentiment qu'il y avait à ma droite un grand amas d'eau dont je m'éloignais de plus en plus. Au delà de la contrée dont je viens de parler le chemin allait toujours en montant, et je traversais une crête de montagne de sable blanc, où gisaient en grande quantité de petites pierres noires brisées, semblables à des fragments de pots et d'écuelles. De l'autre côté, je descendis dans une contrée couverte d'arbres, qui semblaient rangés dans un ordre régulier. Quelques-uns de ces arbres avaient des troncs écailleux et des feuilles d'une grandeur extraordinaire. Il y en avait, aussi de forme pyramidale avec de grandes et belles fleurs. Ces derniers avaient des feuilles d'un vert jaunâtre, et des branches avec des boutons. Je vis aussi des arbres avec des feuilles très lisses en forme de coeur.


J'arrivai ensuite dans un pays de pâturages qui s'étendaient à perte de vue entre des hauteurs. Tout y fourmillait de troupeaux innombrables. La vigne croissait autour des collines, et elle y était cultivée. Il y avait des rangées de ceps sur des terrasses, avec de petites haies de branchages pour les protéger. Les possesseurs de ces troupeaux habitaient sous des tentes dont l'entrée était fermée par des claies légères. Ces tentes étaient faites avec l'étoffe de laine blanche que fabriquaient les peuplades sauvages chez lesquelles j'avais passé. Il y avait au centre une grande tente entourée d'une quantité d'autres plus petites. Les troupeaux, séparés suivant leurs espèces, erraient dans ces grands pâturages, qui étaient entrecoupés par places de masses de buissons, formant comme des taillis. Je distinguai là des troupeaux d'espèces fort différentes. Je vis des montons dont la laine pendait en longues tresses et qui avaient de longues queues laineuses ; puis des animaux très agiles, avec des cornes comme celles des boucs ; ils étaient grands comme des veaux ; d'autres étaient de la taille des chevaux qui courent ici en liberté dans les prairies. Je vis aussi des troupes de chameaux et d'animaux de même espèce avec deux bosses. Dans un endroit, je vis dans une enceinte fermée quelques éléphants blancs et tachetés : ils étaient apprivoisés et servaient pour les usages domestiques.


Cette vision fut interrompue trois fois, parce que mon attention fut appelée d'un autre côté, et j'y revins toujours à différentes reprises. Ces troupeaux et ces pâturages me parurent appartenir à un des rois mages alors en voyage ; je crois que c'était à Mensor et à sa famille. Ils étaient confiés aux soins de bergers subalternes, qui portaient des jaquettes tombant jusqu'aux genoux, à peu près de la forme des habits de nos paysans, si ce n'est qu'elles étaient plus étroites. Je crois que le chef étant parti pour un long voyage, tous ses troupeaux furent in . . . (bas de page absent)


en temps des gens en manteaux longs venir prendre connaissance de tout. Ils se rendaient dans la grande tente centrale, et alors on faisait passer les troupeaux entre celle-ci et les petites tentes ; on les comptait et on les examinait. Ceux qui en faisaient le compte avaient à la main des espèces de tablettes, de je ne sais quelle matière, sur lesquelles ils écrivaient quelque chose. Je me disais alors à moi-même : Puissent nos évêques examiner avec la même diligence leurs troupeaux confiés aux pasteurs du second ordre !


Quand, après la dernière interruption, je revins à cette contrée de pâturages, il était nuit. Un profond silence régnait partout. La plupart des bergers dormaient sous les petites tentes ; quelques-uns seulement veillaient et erraient ça et là autour des troupeaux, lesquels étaient endormis et parqués, suivant leur espèce, dans de grandes enceintes séparées. Pour moi, je regardais avec attendrissement ces troupeaux dormant en paix, en pensant qu'ils appartenaient à des hommes qui, cessant de contempler les immenses pâturages azurés du ciel, semés d'innombrables étoiles, étaient partis à l'appel de leur Créateur tout-puissant, reconnaissant en lui leur pasteur, comme des troupeaux fidèles, pour suivre sa voix avec plus d'obéissance que les brebis de cette terre ne suivent celle de leurs pasteurs mortels. Et comme je voyais les bergers qui veillaient regarder plus souvent les étoiles du ciel que les troupeaux confiés à leur garde, je me disais à moi-même : ils ont bien raison de tourner des yeux étonnés et reconnaissants vers le ciel où, depuis des siècles, leurs ancêtres, persévérant dans l'attente et la prière, n'ont cessé d'attacher leurs regards. Le bon pasteur qui cherche sa brebis égarée, ne se repose pas qu'il ne l'ait trouvée et rapportée ; ainsi vient de faire le Père qui est dans les cieux, le vrai pasteur de ces innombrables troupeaux d'étoiles répandues dans l'immensité. L'homme auquel il avait soumis la terre ayant péché, et la terre ayant été maudite par lui en punition de ce crime, il était allé chercher l'homme tombé et la terre, . . .



(renvoi incohérent entre deux pages)

. . . on séjour, comme une brebis perdue : il a envoyé du haut du ciel son Fils unique pour se faire homme, ramener cette brebis perdue, prendre sur lui tous ses péchés en qualité d'agneau de Dieu et satisfaire en mourant à la justice divine. Et cet avènement du Rédempteur promis venait d'avoir lieu. Les rois de ce pays, conduits par une étoile, étaient partis la nuit précédente pour aller rendre hommage au Sauveur nouvellement né. C'est pourquoi ceux qui veillaient sur les troupeaux regardaient avec émotion les pâturages célestes et priaient ; car le Pasteur des pasteurs venait d'en descendre, et c'était aux bergers qu'il avait d'abord annoncé sa venue.


Pendant que je méditais ainsi en regardant l'immense plaine, le silence de la nuit fut interrompu par le bruit des pas d'une cavalcade qui arrivait en toute hâte : c'était une troupe d'hommes montés sur des chameaux. Le cortège, passant le long des troupeaux qui reposaient, se dirigea rapidement vers la tente principale du camp des bergers. Quelques chameaux endormis se réveillaient ça et là et tournaient leurs longs cous vers le cortège. On entendait bêler des agneaux troublés dans leur sommeil ; quelques-uns des arrivants sautaient à bas de leurs montures et réveillaient les bergers dormant dans les tentes. Les plus voisins des veilleurs accostaient le cortège. Bientôt tout fut sur pied et en mouvement autour des voyageurs ; on s'entretint en regardant le ciel et en se montrant les étoiles. Ils parlaient d'un astre ou d'une apparition dans le ciel qui avait cessé de se montrer, car moi-même je ne la vis pas.


C'était le cortège de Théokéno, le troisième des rois mages, celui qui demeurait le plus loin. Il avait vu dans sa patrie le même signe dans le ciel, qu'avaient vu d'autres, et il s'était aussitôt mis en route. u demandait maintenant combien Mensor et Sair devaient avoir d'avance sur lui, et si l'on pouvait encore voir l'étoile qu'ils avaient prise pour guide. Quand il eut reçu les informations nécessaires, le cortège continua son voyage sans s'arrêter plus longtemps. Cet endroit était celui où les trois rois, qui demeuraient fort loin les uns des autres, avaient coutume de se réunir pour observer les astres, et la tour, en forme de pyramide, au haut de laquelle il' faisaient leurs observations, était dans le voisinage. Théokéno était celui des trois qui demeurait le plus loin. Il habitait au delà du pays dans lequel Abraham avait d'abord vécu, et à l'entour duquel tous les trois étaient établis.


Dans les intervalles entre les visions que j'eus à trois reprises pendant la journée sur ce qui se passait dans la grande plaine des troupeaux, différentes choses me furent montrées touchant les pays où Abraham avait vécu : j'en ai oublié la plus grande partie. Je vis une fois, à une grande distance, la hauteur sur laquelle Abraham voulait sacrifier Isaac. Une autre fois, je vis très distinctement, quoique ce fût fort loin d'ici, l'aventure d'Agar et d'Ismaël dans le désert. La première demeure d'Abraham était située à une grande élévation, et les pays des trois rois, qui se trouvaient alentour, étaient plus bas. Je raconterai ici ce que je vis d'Agar et d'Ismaël. A l'un des côtés de la montagne d'Abraham, plus près du fond de la vallée, je vis Agar avec son fils errer au milieu des buissons. Elle semblait comme hors d'elle-même. L'enfant était encore fort jeune : il avait une longue robe. Elle-même était enveloppée dans un long manteau qui recouvrait la tête, et sous lequel elle portait un vêtement court avec un corsage étroit. Elle plaça l'enfant sous un arbre, près d'une colline, et lui fit des marques sur le front, au haut du bras droit, sur la poitrine et au haut du bras gauche. Je ne vis pas la marque sur le front, mais les autres, qui étaient faites sur les habits, restèrent visibles et semblaient tracées avec une couleur rouge. Elles avaient la forme d'une croix, mais non pas d'une croix ordinaire. Cela ressemblait à une croix de Malte, ayant au milieu un cercle duquel partaient les quatre triangles formant la croix. Dans les quatre triangles, elle écrivit des signes ol1 des lettres en forme de crochets dont je ne comprenais pas la signification. Dans le cercle qui était au centre, je la vis tracer deux ou trois lettres. Elle traça tout cela très vite, avec une couleur rouge, qu'elle semblait avoir dans la main. Peut-être était-ce du sang. Elle s'éloigna ensuite, leva les yeux au ciel et ne regarda plus du côté de son fils. Elle alla à peu près à une portée de fusil et s'assit sous un arbre. Alors elle entendit une voix venant du ciel, se leva et alla plus loin ; puis elle entendit de nouveau la voix, et vit une source sous le feuillage. Elle remplit son outre de cuir, retourna près de son fils, auquel elle donna à boire, et elle le conduisit près de la source, où elle lui mit un autre vêtement par-dessus celui où elle avait fait les marques dont j'ai parlé.


Voilà tout ce que je me rappelle de cette vision. Je crois qu'antérieurement j'avais vu deux fois Agar dans le désert, une fois avant la naissance de son fils, et l'autre fois comme celle-ci avec le jeune Ismaël.


(Dans la nuit du 27 au 28 novembre.) Quand la soeur Emmerich communiqua, en 1821, ces visions sur le voyage des trois rois, elle avait déjà raconté toute la période de la prédication de Jésus. Elle avait vu entre autres choses le Sauveur se retirer au delà du Jourdain, après la résurrection de Lazare, et, pendant une absence de seize semaines, faire une visite aux rois mages, qui, à leur retour de Bethléem, s'étaient établis ensemble dans un pays plus voisin que le leur de la terre promise. Mensor et Théokéno vivaient encore ; mais, lors du voyage de Jésus, Sair, le roi basané, était mort. Il a paru nécessaire d'instruire le lecteur de ces événements, postérieurs de trente-trois ans, mais racontés précédemment, afin de rendre intelligibles certaines choses qui y font allusion dans le récit qui suit.


Dans la nuit du 27 au 28 novembre, je vis à l'aube du jour le cortège de Théokéno rejoindre celui de Mensor et de Sair dans une ville en ruine. Il y avait là de longues rangées de hautes colonnes isolées. Les portes étaient surmontées de tours carrées à moitié écroulées. Il s'y trouvait de grandes et belles statues ; elles n'étaient pas raides comme celles de l'Egypte, mais elles avaient de belles attitudes qui leur donnaient l'air vivant. Le pays était sablonneux, et il y avait beaucoup de rochers. Dans les ruines de cette ville abandonnée étaient établis des gens qui avaient l'air de bandits ; ils n'étaient vêtus que de peaux de bêtes jetées sur le corps, et ils étaient armés d'épieux. Ils avaient la peau basanée ; ils étaient petits et trapus, mais singulièrement agiles. Il me semblait avoir été déjà dans cet endroit, peut-être lors de ces voyages que je fis en songe à la montagne des prophètes et aux bords du Gange. Les trois cortèges se trouvant réunis, ils quittèrent cette ville de grand matin pour continuer leur voyage en toute bâte, et beaucoup de pauvres habitants de ce lieu se joignirent à eux, attirés par la libéralité des trois rois. Ils allèrent à une demi-journée plus loin, et firent là une halte. Après la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ, l'apôtre saint Jean envoya deux disciples, Saturnin ' et Jonadab, le demi frère de saint Pierre, annoncer l'Evangile dans cette ville ruinée.


Je vis les trois rois ensemble. Le dernier arrivé, Théokéno, avait le teint tirant sur le jaune ; je le reconnus pour celui qui, trente-deux ans plus tard, était malade dans sa tente, lorsque Jésus visita les rois mages dans leur établissement voisin de la terre promise. Chacun des trois rois avait avec lui quatre proches parents ou amis intimes, de sorte qu'il y avait en tout dans le cortège quinze personnes de haut rang, accompagnées d'une foule de conducteurs de chameaux et de serviteurs. Parmi plusieurs jeunes gens de ce cortège, qui étaient à peu prés nus jusqu'à la ceinture, et qui pouvaient sauter et courir avec une agilité extraordinaire, je reconnus Éléazar, qui, plus tard, devint martyr, et dont j'ai une relique.


Elle vit les trois rois passer par cette ville le jour de la fête de saint Saturnin, duquel elle possédait une relique : c'est ce qui lui fit remarquer les relations du saint avec cet endroit. Plus tard, l'écrivain lut dans la légende de saint Saturnin qu'il avait prêché l'Evangile en Asie, jusque dans la Médie.


Dans l'après-midi, comme son confesseur lui demandait encore le nom des trois rois, elle répondit : Mensor le brun, baptisé par saint Thomas après la mort du Sauveur, reçut au baptême le nom de Léandre. Théokéno, le jaune, qui était malade lors du passage de Jésus en Arabie, fut baptisé par le même saint Thomas sous le nom de Léon. Le plus basané, qui était déjà mort lors de la visite du Sauveur, s'appelait Séir ou Sair. Son confesseur lui demanda : " Comment donc celui-ci fut-il baptisé " ? Elle ne se déconcerta pas, et dit en souriant : " il était déjà mort, et avait eu le baptême de désir ". Le confesseur lui dit alors : " Je n'ai jamais entendu ces noms : comment s'accordent-ils avec ceux de Gaspard, Melchior et Balthazar " ? Elle répondit : " On les a ainsi nommés parce que cela se rapporte à leur caractère, car ces mots signifient : 1, il va avec amour ; 2, il erre tout autour, il va en caressant, il s'approche doucement ; 3, il saisit promptement avec sa volonté, il unit promptement sa volonté à la volonté de Dieu ". Elle dit cela d'un air très gracieux et indiqua la signification de ces noms par une espèce de pantomime en remuant sa main sur la couverture de son lit. C'est aux orientalistes a dire jusqu'à quel point ces trois noms peuvent être interprétés de cette manière.


(Le 28 novembre.) Une demi-journée au delà de la ville en ruine où se trouvaient tant de colonnes et de figures de pierre, je crus rencontrer pour la première fois le cortège réuni des trois rois mages. C'était dans un pays assez fertile. On voyait ça et là des habitations de bergers construites en pierres blanches et noires Le cortège arriva dans la plaine à un puits, dans le voisinage duquel se trouvaient plusieurs hangars spacieux. Il y en avait trois au milieu et plusieurs autres alentour. C'était comme des lieux de repos pour les voyageurs.


Le cortège entier était divisé en trois groupes : dans chacun d'eux se trouvaient cinq personnages de distinction, et parmi ceux-ci le chef et le roi, qui, comme un père de famille, ordonnait tout, réglait tout et faisait les parts. Chacun de ces trois groupes se composait d'hommes dont je visage était de couleur différente. La tribu de Mensor avait le teint d'un brun agréable, celle de Saïr était d'un brun plus foncé ; celle de Théokéno avait un teint éclatant tirant sur le jaune. Je ne vis personne d'un noir brillant, à l'exception de quelques esclaves.


Les principaux personnages étaient assis sur leurs bêtes de somme, entre des paquets recouverts de tapis. Ils avaient des bâtons à la main. Ils étaient suivis d'autres bêtes grandes à peu près comme des chevaux, sur lesquelles étaient des serviteurs et des esclaves au milieu du bagage. Quand ils furent arrivés, ils descendirent, déchargèrent entièrement les animaux et les firent boire au puits. Celui-ci était entouré d'un petit terrassement sur lequel était un mur avec trois entrées ouvertes. Dans cette enceinte se trouvait le réservoir d'eau, qui était placé un peu plus bas. L'eau sortait par trois conduits fermés avec des chevilles. Le réservoir était fermé par une espèce de couvercle ; il fut ouvert par un homme de la ville en ruine qui s'était joint au cortège. Ils avaient des outres de cuir séparées en quatre compartiments, où quatre chameaux pouvaient boire à la fois quand elles étaient remplies d'eau. Ils étaient si soigneux en ce qui concernait l'eau, qu'ils n'en laissaient pas perdre une goutte ; les bêtes furent ensuite installées dans des enceintes découvertes qui se trouvaient près du puits, et où chacune avait sa place à part. Elles avaient là devant elles des auges de pierre où on leur fit manger d'un fourrage qu'elles portaient avec elles. C'étaient des grains gros à peu près comme des glands (peut-être des fèves). Dans le bagage se trouvaient aussi de grandes cages suspendues aux flancs des bêtes de somme, et où se trouvaient de, oiseaux de diverses espèces, gros à peu près comme des pigeons ou des poulets, ils en mangeaient pendant le voyage. Ils avaient dans des boites de cuir des pains d'égale grandeur, semblables à des tablettes pressées les unes contre les autres. Ils portaient avec eux des vases précieux d'un métal jaune, couverts d'ornements et de pierres fines, lesquels avaient à peu près la forme de ne. vases sacrés, tels que calices, patènes, etc. Ils s'en servaient pour boire et pour présenter les aliments Les bords de ces vases étaient le plus souvent ornés de pierres rouges.


Les tribus n'étaient pas tout à fait habillées de la même manière. Théokéno et sa famille, aussi bien que Mensor, portaient sur la tête une sorte de calotte élevée, autour de laquelle était roulée une bande d'étoffe blanche ; leurs tuniques descendaient jusqu'aux jarrets : elles étaient très simples et avaient à peine quelques ornements sur la poitrine ; ils avaient des manteaux légers, amples et très longs, qui traînaient par derrière. Sair, le basané, et sa famille, portaient des bonnets avec une coiffe ronde, brodée de diverses couleurs, et un petit bourrelet blanc ; ils avaient des manteaux plus courts, et là-dessous des tuniques boutonnées descendant jusqu'aux genoux, chamarrées de lacets, de boutons reluisants et d'autres ornements ; sur l'un des côtés de leur poitrine, se trouvait une plaque brillante de la forme d'une étoile. Tous avaient les pieds nus, posant sur des semelles assujetties avec des cordons qui entouraient le bas des jambes. Les principaux d'entre eux avaient à la ceinture des sabres courts ou de grands coutelas ; ils y portaient aussi des bourses et de petites boites. Il y avait là des hommes de cinquante ans, de quarante, de trente et de vingt ; les uns avaient une longue barbe, les autres la portaient plus courte. Les serviteurs et les chameliers étaient vêtus beaucoup plus simplement ; plusieurs n'avaient sur eux qu'une pièce d'étoffe ou une vieille couverture.


Quand les bêtes furent désaltérées et parquées, et quand eux-mêmes eurent bu, ils firent du feu au milieu du hangar sous lequel ils s'étaient établis : ils se servirent pour cela de morceaux de bois d'environ deux pieds et demi de long, que les pauvres gens du pays avaient apportés en fagots, lesquels paraissaient préparés d'avance pour l'usage des voyageurs ; ils en firent une espèce de bûcher de forme triangulaire, laissant sur le côté une ouverture pour donner de l'air : c'était très habilement arrangé. Je ne sais pas bien comment ils se procurèrent di1 feu : je vis qu'on mit un morceau de bois dans un autre où l'on avait fait un creux, et qu'on le fit tourner quelque temps ; après quoi on le retira allumé. Ils firent ainsi leur feu, et je les vis tuer quelques oiseaux et les faire rôtir.


Les trois rois et les plus âgés firent chacun pour sa tribu ce que fait un père de famille dans sa maison ; ils firent les parts et présentèrent à chacun la sienne : ils placèrent les oiseaux découpés sur de petites patènes ou assiettes, et les firent passer à la ronde ; ils remplirent aussi les coupes et donnèrent à boire à chacun. Les serviteurs subalternes, parmi lesquels étaient des nègres, étaient assis par terre sur une couverture ; ils attendaient patiemment leur tour et recevaient aussi leur part. Je pense que c'étaient des esclaves.


Combien sont touchantes la bonté et la simplicité naïve de ces excellents rois ! ils donnent de tout ce qu'ils ont aux gens qui sont venus avec eux ; ils leur portent même les vases d'or à la bouche, et les font boire comme des enfants.


J'ai appris aujourd'hui beaucoup de choses sur les saints rois, notamment les noms de leurs pays et de leurs villes, mais j'ai presque tout oublié. Je dirai ce que j'ai retenu. Mensor, le brun, était Chaldéen ; sa ville avait un nom comme Acaiaia ; elle était entourée d'un fleuve et comme sur une île. Il résidait habituellement dans la plaine, près de ses troupeaux. Sair, le basané, était déjà auprès de lui tout prêt à partir, la nuit de la Nativité. Je me souviens que son pays avait un nom qui ressemblait à Partherme. (C'est peut-être le nom de Parthiène ou de Parthomaspe défiguré.) un peu au-dessus de ce pays se trouvait un lac. Lui et sa tribu étaient de couleur très foncée) mais avec les lèvres rouges. Les autres gens qu'étaient avec eux étaient blancs Il n'y avait qu'une ville, à peu près grande comme Munster.


L'écrivain trouva, en 1839, par conséquent dix-huit ans après cette mention d'Acaiaia, l'indication suivante dans le Dictionnaire des écoles industrielles de Franke : "Achaiacula, forteresse sur les iles de l'Euphrate en Mésopotamie. "(Ammian., 2 i-2.) Nous désirons qu'on puisse établir une relation entre ces noms.


Théokéno, le blanc, venait de Médie, pays situé plus haut, entre deux mers ; il habitait sa ville, dont j'ai oublié le nom. Elle était composée de tentes dressées sur des fondements en pierres. Je pense que Théokéno, qui était le plus riche des trois, et celui qui avait renoncé à plus de choses, aurait pu se rendre à Bethléem par une voie plus directe, et qu'il avait fait un détour pour se réunir aux autres. Il me semble presque qu'il avait dû passer près de Babylone pour les rejoindre.


Saïr demeurait à trois journées de voyage de l'habitation de Mensor, en évaluant chaque journée à douze lieues. Théokéno était à cinq de ces journées de voyage. Mensor et Sair se trouvaient réunis chez le premier, lorsqu'ils virent l'étoile qui annonçait la naissance de Jésus. Ils s'étaient mis en route le jour suivant. Théokéno vit chez lui la même apparition ; il partit en toute hâte pour rejoindre les deux autres et les rencontra dans la ville en ruine.


L'étoile qui les conduisait était comme un globe rond, et la lumière en sortait comme d'une bouche. (Cette expression peut s'être présentée à elle, parce qu'elle voyait souvent de la lumière sortir de la bouche du Seigneur et de celle des saints.) Il me semblait toujours que ce globe était comme suspendu à un fit lumineux et dirigé par une main. Pendant la journée je voyais au-devant d'eux un corps brillant dont la clarté surpassait celle du jour. Quand je considère la longueur du voyage, je suis étonnée de la vitesse avec laquelle ils le firent ; mais les animaux qu'ils montaient avaient un pas si léger et si égal, que leur marche me paraissait ordonnée, rapide et uniforme comme le vol d'une bande d'oiseaux de passage. Les pays des trois rois formaient ensemble comme un triangle.


Le cortège étant resté jusqu'au soir dans l'endroit où je l'avais vu s'arrêter, les gens qui s'y étaient joints aidèrent à recharger les bêtes de somme, et emportèrent chez eux différentes choses qui avaient été laissées là par les voyageurs. La nuit tombait lorsque ceux-ci se mirent en route. L'étoile était visible ; elle jetait une lueur rougeâtre comme la lune lorsqu'il fait grand vent. Ils marchèrent quelque temps près de leurs montures, la tête découverte, et ils firent des prières. Le chemin ici était tel qu'on ne pouvait pas aller vite. Plus tard, quand il devint uni, ils remontèrent sur leurs bêtes, qui avaient une allure très rapide. Quelquefois ils allaient lentement, et alors ils entonnaient tous ensemble, à travers la nuit, des chants singulièrement expressifs et touchants.


(Du 29 novembre au 2 décembre.) Dans la nuit du 29 au 30 novembre, je me trouvai de nouveau prés du cortège des trois rois. Ils s'avancent toujours dans la nuit, suivant l'étoile qui, en ce moment, semble toucher la terre de sa longue queue lumineuse. Ils la regardent avec une joie tranquille, descendent de leurs montures et s'entretiennent ensemble. Quelquefois ils chantent alternativement de courtes sentences sur un air lent et expressif, dont les notes sont tantôt très hautes, tantôt très basses. Il y a quelque chose d'extrêmement touchant dans ces mélodies qui interrompent le silence de la nuit, et j'ai le sentiment de tout ce qu'ils chantent. Le cortège s'avance dans une belle ordonnance : c'est d'abord un grand chameau portant de chaque côté des coffres sur lesquels sont étendus de larges tapis ; en haut est assis un des chefs, avec son épieu à la main et un sac auprès de lui. Puis viennent des animaux plus petits, comme des chevaux ou des ânes de haute taille, et sur eux, entre les bagages, les hommes qui dépendent de ce chef. Puis, vient un autre chef sur un chameau, etc. Ces animaux marchent légèrement, quoique à grand pas, et ils posent le pied avec précaution. Leur corps ne remue pas ; leurs pieds seuls sont en mouvement. Les hommes sont aussi calmes que s'ils n'avaient à s'occuper de rien. Tout cela est si tranquille et si doux ! c'est comme un songe paisible.


Je ne puis m'empêcher de faire une réflexion frappante sur ce que je vois. Ces bonnes gens ne connaissent pas encore le Seigneur, et ils vont à lui avec tant d'ordre, de paix et de bonne grâce ! tandis que nous, qu'il a délivrés et comblés de ses bienfaits, nous sommes si désordonnés et si irrévérencieux dans nos processions.


Le vendredi, 30 novembre, je vis le cortège s'arrêter dans une plaine près d'un puits. Un homme, sorti d'une cabane comme il y en avait plusieurs dans le voisinage, leur ouvrit ce puits. Ils abreuvèrent leurs bêtes, et firent une courte halte sans les décharger.


Le samedi, 1er décembre, je vis le cortège, qui avait suivi hier un chemin montant sur un plateau élevé. A leur droite étaient des montagnes, et il me sembla qu'à l'endroit où le chemin descendait, ils s'approchèrent d'une contrée où se trouvaient fréquemment des habitations, des arbres et des fontaines. Il me sembla que c'était le pays de ces gens que j'avais vus l'année dernière et récemment encore filer et tisser du coton. Ils adoraient des images de taureaux. Ils offrirent libéralement des aliments à la troupe nombreuse qui suivait le cortège ; mais ils ne se servaient plus des plats dans lesquels ceux-ci avaient mangé, ce dont je fus surprise.


Le dimanche, 2 décembre, Je vis les saints rois dans le voisinage d'une ville dont le nom me parait ressembler à Causour, et qui se compose de tentes dressées sur des fondations en pierres. Ils s'arrêtèrent là chez un autre roi auquel cette ville appartenait, et dont la demeure était à quelque distance. Depuis leur jonction dans la ville en ruine jusqu'ici, ils avaient fait cinquante-trois ou soixante-trois heures de route. Ils racontèrent au roi de Causour tout ce qu'ils avaient vu dans les étoiles. Il fut très étonné, regarda l'étoile qui les conduisait, et y vit un petit enfant avec une croix. Il les pria de lui raconter à leur retour ce qu'ils auraient vu, parce qu'il voulait aussi élever des autels à l'enfant et lui offrir des sacrifices. Je suis curieuse de savoir s'il tiendra sa parole lorsqu'ils reviendront. Je les ai entendus lui raconter l'origine de leurs observations sur les astres, et je me souviens de ce qui suit :


Les ancêtres des trois rois étaient de la race de Job, qui anciennement avait habité près du Caucase, et qui avait eu des possessions dans d'autres pays très éloignés. Environ quinze cents ans avant Jésus-Christ, ils ne formaient encore qu'une seule tribu. Le prophète Balaam était de leur pays ; un de ses disciples y avait fait connaître sa prophétie : " une étoile naîtra de Jacob ", et avait donné des instructions à ce sujet. Sa doctrine s'y était fort répandue : on avait élevé une grande tour sur une montagne, et plusieurs savants astronomes y résidaient alternativement. J'ai vu cette tour, qui était elle-même comme une montagne, large par en bas et se terminant en pointe. Tout ce qu'ils observaient dans le ciel était noté et passait de bouche en bouche. A plusieurs reprises, ces observations furent interrompues par suite de divers événements. Plus tard, ils en vinrent à des abominations impies, au point de sacrifier des enfants. Ils croyaient pourtant que l'enfant promis devait venir bientôt. Environ cinq siècles avant la naissance de Jésus-Christ, les observations avaient cessé. Ils s'étaient alors divisés en trois branches, formées par trois frères qui vivaient séparés avec leurs familles. Ces frères avaient trois filles auxquelles Dieu avait accordé le don de prophétie. Elles parcouraient le pays, vêtues de longs manteaux, et faisaient des prédictions relativement à l'étoile et à l'enfant qui devait sortir de Jacob. On se remit alors à observer les astres, et l'attente de l'enfant redevint très vive dans les trois tribus. Les trois rois descendaient de ces trois frères par quinze générations qui s'étaient succédé en ligne directe depuis environ cinq cents ans. Mais, par suite du mélange avec d'autres races, la couleur de leur peau avait changé, et ils différaient les uns des autres à cet égard.


Depuis cinq siècles, les ancêtres des trois rois n'avaient jamais cessé de se réunir de temps en temps pour observer ensemble les astres. Tous les événements remarquables et relatifs à l'avènement futur du Messie leur étaient indiqués par des signes merveilleux qu'ils voyaient dans le ciel. J'en vis plusieurs pendant leur récit, mais je ne puis les rapporter clairement. Depuis la conception de la sainte Vierge, par conséquent depuis quinze ans, ces signes marquaient plus distinctement que la venue de l'Enfant était proche. Enfin ils avaient vu aussi bien des choses qui se rapportaient à la Passion de Notre Seigneur. Ils pouvaient calculer au juste l'époque où sortirait de Jacob l'étoile prophétisée par Balaam, car ils avaient vu l'échelle de Jacob, et, d'après le nombre des échelons et la succession des tableaux qui s'y montraient, ils pouvaient calculer l'approche du Sauveur, comme sur un calendrier ; car l'extrémité de l'échelle aboutissait à cette étoile, ou bien l'étoile était la dernière image qui y apparût. A l'époque de la conception de Marie, ils avaient vu la Vierge avec un sceptre et une balance, sur les plateaux de laquelle étaient des épis de blé et des raisins. Un peu plus tard ils virent la Vierge avec l'enfant. Bethléem leur apparut comme un beau palais, une maison où étaient rassemblées et distribuées d'abondantes bénédictions. Ils y virent aussi la Jérusalem céleste, et entre ces deux demeures, une route sombre, pleine d'épines, de combats et de sang.


Ils prirent tout cela à la lettre. Ils croyaient que le roi attendu était né au milieu d'une grande pompe, et que tous les peuples lui rendaient hommage. C'est pourquoi ils allaient, eux aussi, l'honorer et lui porter leurs présents. Ils prenaient la Jérusalem céleste pour son royaume sur la terre, et c'était là qu'ils croyaient aller. Quant à la route semée de difficultés, ils pensaient qu'elle représentait leur voyage, ou bien une guerre qui menaçait le nouveau roi. Ils ne savaient pas que c'était le symbole de la voie douloureuse de sa Passion. Au-dessous, sur l'échelle de Jacob, ils virent (et je vis aussi) une tour artistement construite, assez semblable aux tours que je vois ; sur la montagne des prophètes, et où la Vierge se réfugia une fois pendant un orage. Je ne sais plus ce que cela signifiait. (Peut-être la fuite en Egypte.) il y avait une longue série de tableaux sur cette échelle de Jacob, entre autres beaucoup de symboles figuratifs de la sainte Vierge, dont quelques-uns se trouvent dans les litanies, en outre la fontaine scellée, le jardin fermé, et aussi des figures de rois dont les uns tenaient un sceptre et les autres des branches d'arbre.


Ils virent ces tableaux se montrer dans les étoiles ; ils les virent continuellement pendant les trois dernières nuits Alors le principal d'entre eux envoya des messagers aux autres ; et quand ils virent les rois présenter des offrandes à l'enfant nouveau-né, ils se mirent en route avec leurs présents, ne voulant pas être les derniers à lui rendre hommage. Toutes les tribus des adorateurs des astres avaient vu l'étoile, mais celles-ci seules la suivirent. L'étoile qui les conduisait n'était pas une comète, mais un météore brillant que portait un ange.


Ce furent ces visions qui les firent partir dans l'attente de grandes choses, et ils furent ensuite très surpris de ne rien trouver de tout cela. Ils furent très étonnés de la réception d'Hérode et de l'ignorance où tout le monde était. Quand ils arrivèrent à Bethléem, et qu'au lieu du palais magnifique qu'ils avaient vu dans l'étoile, ils virent une pauvre grotte, ils furent assaillis de bien des doutes. Mais ils restèrent fermes dans leur foi, et, à la vue de l'Enfant-Jésus, ils reconnurent que ce qu'ils avaient vu dans les astres était accompli.


Leurs observations des étoiles étaient accompagnées d. jeûnes, de prières, de cérémonies, de toute sorte d'abstinences et de purifications. Ce culte des astres exerçait des influences pernicieuses sur des gens qui étaient en rapport avec le mauvais esprit. Ces gens, lors de leurs visions, étaient saisis de convulsions violentes ; c'était à leur suite qu'avaient lieu d'abominables sacrifices d'enfants. D'autres, comme par exemple les saints rois, virent tout cela clairement, tranquillement, avec une douce émotion, et ils en devinrent meilleurs et plus pieux.


(Du lundi 3 au mercredi 5 décembre.) Lorsque les trois rois quittèrent Causour, je vis se joindre à eux une troupe considérable de voyageurs de distinction qui suivaient la même route. Les 3 et 4 décembre, je vis la caravane traverser une grande plaine. Le b, ils firent une halte près d'un puits. Ils firent boire et manger leurs bêtes de somme sans les décharger, et préparèrent quelques aliments pour eux-mêmes.


Pendant ces derniers jours, la soeur Emmerich, tout en dormant, chanta plusieurs fois des paroles rimées sur des airs étranges, mais très touchants. Comme on l'interrogeait à ce sujet, elle répondit : Je chante avec ces bons rois ; ils chantent si agréablement des paroles comme celles-ci, par exemple :


Nous voulons franchir les montagnes,

et nous agenouiller devant le nouveau roi.


Ils improvisent et chantent ces vers alternativement ; l'un d'eux commence, et tous les autres répètent le vers qu'il a chanté ; alors un autre ajoute un autre vers, et ils continuent ainsi, tout en chevauchant, à chanter leurs douces et touchantes mélodies.


Dans le centre de l'étoile, ou plutôt du globe lumineux qui leur montrait le chemin, je vis apparaître un enfant avec une croix. Ce globe lumineux, lorsqu'ils eurent vu l'apparition de la Vierge dans les étoiles, s'était montré au-dessus de cette image et s'était tout d'un coup mis en mouvement.



Brentano - Bse Emmerich, Vie Vierge Marie - LVII. - Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.