Chrysostome Homélies 30000

HOMÉLIE EN L'HONNEUR DE TOUS LES SAINTS

QUI ONT SOUFFERT LE MARTYRE

DANS TOUT LE MONDE ENTIER.




ANALYSE.

Rien dans ce discours ne fait voir s'il a été prononcé à Antioche ou à Constantinople. - L'année est pareillement inconnue. - Depuis que nous avons célébré la solennité sainte de la Pentecôte, dit Chrysostome, il n'y a pas encore sept Jours de passés, et nous voici encore une fois occupés du choeur des martyrs, ou plutôt, de cette milice, de ces phalanges de martyrs, qui ne sont inférieures en rien à la milice des anges, qu'a vue le patriarche Jacob, mais qui lui sont égales et rivalisent avec elle. - Il s'agit ici du choeur des martyrs, c'est-à-dire de tous les martyrs absolument, ainsi que l'exprime le titre: Eloge de tous les saints qui ont souffert le martyre dans le monde entier. - Ecoutons là-dessus Fronton du Duc: «Dans le calendrier des Grecs, publié par A. Conti, d'après le Menologium grec, imprimé à Venise en 1535, on trouve au 25 juin: Kuriake tes agias Pentekostes (dimanche de la sainte Pentecôte); puis, au 1er juillet: Kuriake ton agion panton (dimanche de tous les saints) - Dans l'Eglise latine on célébra d'abord la fête de tous les martyrs d'après une prescription de Boniface 1V: ensuite au temps de Grégoire 4,on célébra celle de tous les saints. - Peut-être en fut-il de même dans l'Eglise grecque: elle aurait eu autrefois, peu de jours après la Pentecôte, une fête consacrée à la mémoire de tous les martyrs, qui serait devenue plus tard unie solennité en l'honneur de tons les saints. - Du reste, ce discours est attribué à Chrysostome, non-seulement par l'exemplaire manuscrit de la bibliothèque royale de Médicis, mais aussi par le Catalogue des discours authentiques de ce Père, conservé dans la bibliothèque d'Augsbourg, et par un certain index tes biblou ton margariton qu'on nous a envoyé d'Italie, et dans lequel ce discours est porté sous le titre de ‘Egkomion eis tous agious pantas (Panégyrique en l'honneur de tous les saints).»



1. Saint Chrysostome compare les martyrs aux anges; la condition mortelle est pour les martyrs une source de biens. - Comparaison des tourments des martyrs avec la guerre; tableau saisissant de leurs souffrances et de leur patience - 2. Récompenses réservées aux martyrs. - 3. Animés par leur exemple, nous devons combattre nos passions, et nous préparer à souffrir comme eux si l'occasion du martyre se présente. - Leur souvenir toujours vivant dans notre âme la rend une demeure agréable à Dieu.



30001 1. Depuis que nous avons célébré la solennité sainte de la Pentecôte, il n'y a pas encore sept jours de passés, et nous voici encore une fois occupés du choeur des martyrs, ou plutôt de cette milice, de ces phalanges de martyrs, qui ne sont inférieures en rien â la milice des anges qu'a vue le patriarche Jacob, mais qui lui sont égales et rivalisent avec elle. En effet, martyrs et anges ne diffèrent entre eux que par le nom, mais sont réunis par les oeuvres: si les anges habitent le ciel, les martyrs l'habitent aussi; les anges possèdent une jeunesse éternelle, les anges sont immortels, les martyrs jouiront aussi de ces avantages. Mais, direz-vous, les anges ont de plus reçu en partage une nature immatérielle. Et qu'importe? les martyrs sont en effet revêtus d'un corps, mais il est immortel; bien plus, même avant leur immortalité, la mort de Jésus-Christ honore leurs corps plus que ne fait leur immortalité. Le cortège des étoiles n'orne pas le ciel d'une manière aussi brillante que cette multitude de blessures n'embellit de son éclat les corps des martyrs. Aussi, quand ils sont morts, c'est là surtout leur supériorité, et même avant leur immortalité, ils ont reçu une récompense, puisqu'ils ont été couronnés par la mort. Vous l'avez mis un peu au-dessous des anges, vous l'avez couronné de gloire et d'honneur (Ps 8,6); c'est ainsi que David parle de la nature commune des hommes; mais le Christ est survenu et a comblé même cette faible différence,, en condamnant la mort par la mort. Mais ce n'est- pas seulement là ce que je (440) prétends: je prétends que cette infériorité de la mort est même devenue un avantage; car s'ils n'eussent point été mortels, ils n'auraient pas été martyrs; de sorte que si la mort n'existait pas, il n'y aurait pas non plus de couronne; s'il n'y avait point de terme à cette vie, il n'y aurait pas de martyre; si enfin la mort n'existait pas, saint Paul n'aurait pu dire: Je meurs chaque jour; oui, j'en prends à témoin la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ (1Co 15,31); s'il n'y avait pas une mort, une destruction de la vie actuelle, il n'aurait pas pu dire non plus: Je me réjouis dans mes souffrances pour vous, et j'accomplis dans ma chair ce qui manque à la passion de Jésus-Christ. (Col 2,4) Ainsi ne gémissons pas d'être mortels, mais soyons reconnaissants de ce que la mort nous a ouvert la carrière du martyre; de ce que la perte de cette vie nous donne un sujet de récompenses; de ce que nous avons là un motif de luttes. Voyez quelle est la sagesse de Dieu: ce qui était le plus grand des maux, le point capital de notre malheur, ce que le démon avait introduit dans le monde, la mort en un mot, Dieu l'a fait tourner à notre honneur et à notre gloire, c'est grâce à elle qu'il conduit les athlètes aux récompenses du martyre! Eh quoi? rendrons-nous grâces au démon à cause de la mort? A Dieu ne plaise! car le bien qui en est résulté n'est pas la réalisation des plans du démon, mais le bienfait de la sagesse de Dieu. Le démon l'avait introduite pour notre perte, pour nous ramener vers la terre et nous fermer ainsi tout espoir de salut. Mais le Christ la reprit à son tour et la métamorphosa, et par elle il nous fit rentrer dans le ciel. Que nul ne m'accuse donc pour avoir appelé à la fois choeur et milice la foule tout entière des martyrs, et d'avoir ainsi donné à un seul et même objet deux appellations contradictoires: choeur et milice se contredisent en effet, mais ici les deux choses se sont confondues; car de même que ces troupes qui figurent dans les réjouissances, ils ont marché aux épreuves avec joie;?et, semblables à des guerriers, ils ont montré toute espèce de courage et de patience, et ont vaincu leurs adversaires. A ne considérer que les faits matériels, c'est un combat, une guerre, une expédition; mais si vous examinez l'esprit dans lequel tout cela s'est passé, ce sont des choeurs, des réjouissances, des solennités pleines d'allégresse.

Voulez-vous que je vous montre que les souffrances des martyrs sont plus épouvantables que la guerre? Qu'y a-t-il dans la guerre de formidable? Des deux côtés des armées sont debout, bien défendues, étincelantes de leurs armes, et couvrant la terre de cet éclat; de toutes parts on lance des nuées de traits dont la multitude obscurcit l'air, des ruisseaux de sang inondent le sol; partout, semblables à une moisson que l'on fauche, tombent les cadavres des soldats qui se massacrent les uns les autres. Eh bien! maintenant, laissez-moi vous faire passer de ce champ de bataille à celui des martyrs. Ici également nous avons deux corps d'armée en présence: celui des martyrs et celui des tyrans. Seulement les tyrans sont bien armés, et les martyrs combattent dépourvus de tout appareil guerrier; toutefois la victoire reste à ceux qui n'ont point, d'armes, et non à ceux qui en sont si bien pourvus. Qui ne serait stupéfait, de voir le tyran armé du fouet, vaincu par sa victime flagellée, l'ennemi qui enchaîne vaincu par son captif, le persécuteur qui brûle vaincu par le martyr que le feu torture; le bourreau enfin vaincu par le supplicié? Voyez-vous combien cette dernière scène est plus épouvantable que la première? Dans le premier cas, quelque horrible qu'il soit, tout arrive d'une manière naturelle; mais ici, tout déconcerte la nature, tout l'ordre des choses est bouleversé; et c'est pour vous montrer que c'est la grâce de Dieu: qui opère ces résultats. Et pourtant, quoi de plus injuste qu'un pareil combat? Quoi de plus illégitime que des luttes semblables? A la guerre du moins, les deux partis se munissent pour l'action: ici, rien de tel: l'un est sans armes, et l'autre est armé. Dans les jeux athlétiques encore, chacun des combattants a la faculté de, lever le bras contre son adversaire; ici, il y en a un d'attaché, et l'autre décharge des coups arbitrairement; et comme si, en vertu de leur pouvoir tyrannique, les juges s'étaient arrogé le droit, de faire le mal, et n'eussent réservé aux justes martyrs que celui de le souffrir, ils s'acharnent contre les saints; et même ainsi, ils ne peuvent en venir à bout, car à la suite de ce combat inégal, ce sont les tyrans qui se retirent vaincus. C'est comme si on amenait un guerrier sur le champ de bataille, et qu'après avoir brisé la pointe de sa lance, après l'avoir dépouillé de sa cuirasse, on le contraignît à combattre ainsi désarmé; et que ce guerrier pourtant, frappé, blessé, recevant (441) de toutes parts mille coups meurtriers, sortît victorieux de cette épreuve. En effet, les martyrs ont été amenés nus, les mains liées derrière le dos, on les a frappés, déchirés de toutes parts, et avec tout cela, leurs persécuteurs ont été vaincus; et ceux qui recevaient les blessures ont élevé un trophée de leur victoire sur le démon. Lorsque l'on frappe sur du diamant, il ne cède point, il ne s'amollit point, il détruit au contraire le fer dont on le frappe; ainsi les âmes des saints, soumises à de pareilles épreuves, n'en éprouvaient elles-mêmes aucun dommage, mais elles brisaient la puissance de ceux qui les. frappaient, et les renvoyaient de la lutte, bafoués de leur défaite et couverts de blessures intolérables. Les tyrans attachaient les martyrs sur le chevalet: là, ils leur déchiraient les flancs, ils y creusaient des sillons, semblant ouvrir la terre avec la charrue plutôt que lacérer des corps humains; on voyait ces entrailles à nu, ces flancs ouverts, ces poitrines en lambeaux; et là ne s'arrêtaient pas même dans leur rage ces tigres altérés de sang; ils enlevaient les victimes du chevalet pour les étendre sur une échelle de fer placée elle-même sur des charbons; alors se produisait un spectacle plus atroce encore que le premier, ces corps laissant dégoutter deux sortes de substances: l'une, celle de leur sang qui ruisselait, et l'autre, celle de leurs chairs qui se consumaient; et les saints martyrs, couchés sur ces charbons comme sur un lit de roses, contemplaient avec joie ce qui se passait.

30002 2. Je viens de vous parler d'une échelle de fer: rappelez-vous maintenant l'échelle spirituelle que vit le patriarche Jacob, et qui allait de la terre au ciel; par cette échelle les anges descendaient, par celle-ci, les martyrs montaient au ciel; l'une et l'autre était soutenue par le Seigneur. Ces saints martyrs n'auraient pu supporter leurs douleurs, s'ils n'eussent eu pour appui une telle échelle. Oui, de même que les anges descendaient et montaient par l'échelle de Jacob, ainsi les martyrs montent au ciel par leur échelle de fer: cela est évident pour tout le monde. Et comment? Les anges étaient envoyés pour le service de ceux qui devaient hériter du salut (He 1,14), et les martyrs s'étant acquittés de leurs luttes en athlètes victorieux, sont remontés pour toujours auprès du maître des athlètes. Et n'écoutons pas à la légère ce que l'on nous dit; mais lorsque nous entendons parler de ces charbons sur lesquels on plaçait leurs corps déchirés, pensons à ce que nous sommes quand la fièvre s'empare de nous. Nous trouvons la vie insupportable, nous sommes troublés, impatients, nous nous fâchons comme de petits enfants, nous nous figurons que le feu de l'enfer ne saurait être plus cruel; et voilà les martyrs, en proie non pas au feu de la fièvre, mais à une flamme, qui les assiège de toutes parts, à des étincelles qui sautent sur leurs blessures, et qui dévorent ces plaies d'une manière plus cuisante que la dent des bêtes les plus féroces; et eux, comme s'ils étaient de diamant, comme s'ils voyaient tout cela se produire sur le corps d'autrui, ils demeurent avec générosité, avec le courage conforme à leur devoir, fermement attachés aux paroles de leur croyance, inébranlables au milieu de tous les maux, et donnant une preuve éclatante de leur courage et de la grâce de Dieu. Vous avez vu souvent, au point du jour, le soleil se lever, et darder ses rayons d'or; eh bien! tels étaient les corps des martyrs, lorsque des ruisseaux de sang s'échappaient tout alentour, comme autant de rayons vermeils, et jetaient sur leurs corps un éclat bien plus vif que le soleil n'en répand dans le ciel. A la vue de ce sang, les anges se réjouissaient, les démons frissonnaient, et Satan lui-même tremblait. Car ce n'était pas simplement du sang qu'ils voyaient, mais un sang salutaire, un sang sacré, un sang digne des cieux, un sang qui arrose continuellement les belles plantes de l'Eglise. Satan vit donc ce sang, et il frissonna: c'est qu'il se rappelait un autre sang, celui du Maître: c'était pour ce sang-là que celui des martyrs coulait; car depuis le jour où le flanc du Maître fut percé, vous voyez des milliers de flancs percés comme le sien. En effet, qui est-ce qui ne se préparerait avec une grande joie à des épreuves qui doivent nous donner part aux souffrances du Maître, et assimiler notre mort à celle de Jésus-Christ? Oui, c'est là une rétribution suffisante; un honneur bien au-dessus de nos peines, une récompense bien plus grande que nos luttes, même avant de recevoir la possession du royaume céleste. N'ayons donc point de ces frissonnements, lorsque nous entendons dire qu'un tel a souffert le martyre; frissonnons, au contraire, lorsqu'on nous apprend qu'un tel autre a pu faiblir et tomber, en présence de rémunérations si glorieuses.

Que si vous demandez ce qu'ils deviennent (442) après leur martyre, aucun langage ne saurait l'exprimer. Car l'oeil n'a point vu, dit l'Apôtre, ni l'oreille entendu, ni le coeur de l'homme soupçonné, ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment. (1Co 2,9) Or personne n'a aimé Dieu comme l'ont fait les martyrs. Cependant, de ce que la grandeur des biens qui les attendent surpasse le langage et la pensée, nous ne prendrons pas un motif de nous taire; mais, autant que nous serons capables, moi de l'exprimer, et vous de le comprendre, nous tâcherons de vous dépeindre en traits affaiblis la béatitude qui leur est réservée: ceux-la seuls la connaîtront clairement, qui par les mêmes épreuves auront mérité d'en jouir. Les maux donc si cruels et si insupportables que souffrent ici-bas les martyrs, ne durent qu'un court instant; mais quand ils ont quitté cette vie, ils montent aux cieux, précédés par les anges, escortés par les archanges; car les anges et les archanges ne rougissent pas de les avoir pour compagnons dans le service de Dieu; ils sont prêts à tout faire pour eux, puisque ceux-ci ont été prêts à tout souffrir pour Jésus-Christ leur maître commun. Lors donc qu'ils montent au ciel, toutes ces saintes puissances du ciel accourent au- devant d'eux. Si, en effet, lorsque des athlètes étrangers arrivent dans une ville, on voit tout le peuple affluer de toutes parts, les entourer, et considérer la beauté de leurs membres; à plus forte raison, quand les athlètes de la foi montent au ciel, les anges accourent-ils, et toutes les puissances célestes affluent-elles de tous côtés, pour considérer leurs blessures; alors les martyrs sont accueillis et salués avec joie comme des héros qui reviennent de la guerre et du champ de bataille à la suite de plusieurs victoires et chargés de trophées; ils sont, par un cortége nombreux, conduits au Roi des cieux, au pied de ce trône d'où déborde une gloire infinie, là où les chérubins et les séraphins ont leur demeure. Parvenus en ce lieu, ils adorent celui qui est assis sur le trône, alors ils trouvent auprès du Maître un accueil plus bienveillant encore qu'auprès de leurs compagnons dans le service de Dieu. En effet, il ne les reçoit pas comme des serviteurs (quoique ce soit déjà là un honneur insigne, dont on ne saurait trouver l'égal); mais il les reçoit comme ses amis: Car pour vous, dit Notre-Seigneur, vous êtes mes amis (Jn 15,14); et cela est tout naturel; car, ainsi que Notre-Seigneur venait de le dire: Il n'y a point de plus grand amour, que de donner sa vie pour ses amis. (Jn 13) Comme ils ont donc fait preuve du plus grand amour, Dieu les accueille, et ils jouissent de cette gloire céleste, se mêlent au choeur des anges, et prennent part aux concerts mystérieux. Car si, tandis qu'ils étaient dans un corps mortel, ils étaient admis dans ces choeurs célestes par la participation aux saints mystères, de sorte qu'ils chantaient l'hymne trois fois saint (Is 6,3) en compagnie des chérubins mêmes, comme vous le savez, vous qui avez été initiés aux saints mystères; à plus forte raison, maintenant qu'ils ont rejoint ceux dont ils partageaient déjà les chants d'allégresse, unissent-ils désormais leurs voix à celle des puissances célestes, pour chanter, pleins d'une sainte confiance, l'hymne éternel de louanges. N'avez-vous pas eu jusqu'ici horreur du martyre? Et maintenant, ne le désirez-vous pas? Ne gémissez-vous pas à présent de ce que l'occasion ne s'en présente point? Aussi, exerçons-nous en vue de cette occasion. Ils ont méprisé la vie: méprisez la mollesse; ils ont livré leur corps au feu: livrez maintenant vos biens entre les mains des pauvres; ils ont foulé aux pieds les charbons ardents: et vous, éteignez la flamme de vos passions. Tout ceci est pénible, mais profitable. Ne considérez pas les incommodités présentes, mais les avantages à venir, non les maux actuels, mais les biens en espérance, non les souffrances, mais les récompenses, non les travaux, mais les couronnes; non les sueurs, mais le salaire, non les douleurs, mais la rétribution, non le feu qui vous brûle, mais le royaume qui vous est proposé, non les bourreaux qui vous entourent, mais le Christ qui vous couronnera.

30003 3. Telle est la meilleure méthode et le chemin le plus facile pour arriver à la vertu, c'est de ne pas considérer les épreuves seulement, mais en même temps les récompenses, et de ne pas envisager non plus les récompenses isolément des épreuves. Lors donc que vous ferez l'aumône, ne faites pas attention à l'argent dépensé, mais à la justice que vous amassez: Il a distribué ses biens, il a donné aux pauvres; sa justice demeure pour l'éternité. (Ps 112,9) Ne regardez pas le monceau de richesses qui diminue, mais le trésor qui augmente. Si vous jeûnez, ne pensez pas à l'affaiblissement produit par le jeûne, mais au bien-être qui provient de cet affaiblissement; si vous veillez (443) dans la prière, ne songez pas à la fatigue résultant de votre veille, mais à la confiance que vous procure la prière. Ainsi font les soldats ils considèrent non les blessures, mais les récompenses, non les massacres, mais les victoires, non les morts qui tombent, mais les héros que l'on couronne. Ainsi encore les pilotes songent moins aux flots de la mer qu'au port, moins aux naufrages qu'aux affaires commerciales, moins aux dangers de la navigation qu'aux avantages qui s'ensuivent. Agissez de même: réfléchissez quel honneur c'est pendant une nuit profonde, quand tous les hommes, toutes las bêtes, tous les êtres animés sont endormis, que le plus grand calme règne au loin, d'être vous seul éveillé, et de vous entretenir plein de confiance avec le Maître commun de toutes les créatures.

Mais, dira-t-on, le sommeil est bien doux. Oui, mais rien. n'est plus doux que l'oraison. En vous entretenant seul avec lieu, vous pouvez obtenir bien des résultats, n'ayant personne qui vous gêne et vous dérange de votre prière; le moment lui-même vous vient en aide pour vous faire obtenir ce que vous demandez. Au lieu de cela, resterez-vous couchés sur un lit moëlleux, vous retournant sans cesse, et ne pouvant vous décider à vous lever? Songez aux martyrs d'aujourd'hui, étendus sur leur échelle de fer, sous laquelle il n'y a pas de molle draperie, mais une couche de charbons ardents. Je veux terminer ici mon discours, afin que vous ayez en partant la mémoire fraîche et récente de ce supplice, et que vous vous en souveniez jour et nuit; car en y songeant toujours, fussions-nous retenus par une multitude de liens, nous pourrons facilement les rompre tous, et nous lever pour la prière. Du reste, gravons dans toute l'étendue de notre coeur, non pas seulement leurs échelles de fer, mais aussi leurs autres tourments. Et de même que ceux qui veulent rendre leurs maisons brillantes, les ornent partout de peintures gracieuses, de même représentons sur les murs de notre intelligence les tortures diverses des martyrs. Car les peintures dont j'ai parlé en premier lieu ne servent à rien, tandis que ces dernières sont fort utiles: elles n'exigent aucuns frais, aucune dépense, aucun art il suffit, pour remplacer tout cela, d'un zèle ardent, d'une réflexion généreuse et pure; voilà la main pleine d'habileté qui reproduira l'image de leurs souffrances. Représentons-les donc dans notre âme, les uns étendus dans des poêles brûlantes, les autres étendus sur les charbons; d'autres plongés dans des chaudières, d'autres précipités dans la mer, ceux-ci déchirés, ceux-là disloqués sur une roue, d'autres jetés dans des gouffres à pic; ceux-ci luttant contre des bêtes féroces, ceux-là roulant dans des abîmes, tous enfin périssant de mille manières différentes. Ayant ainsi embelli notre maison par ces représentations diverses, nous aurons préparé au Roi des cieux une station convenable. Car lorsqu'il verra ces peintures dans notre âme, il y viendra avec son Père, et il s'arrêtera chez nous avec le Saint-Esprit; et notre âme sera désormais une demeure royale, nulle pensée déraisonnable ne pourra plus y pénétrer, car le souvenir des martyrs, semblable à une gracieuse peinture, subsistera toujours en nous, y répandra le plus brillant aspect, et Dieu, le roi suprême, séjournera continuellement en nous. Ayant ainsi reçu Jésus-Christ en ce monde, nous pourrons, après notre départ d'ici-bas, être reçus à notre tour dans les tabernacles éternels; puissions-nous tous obtenir cette faveur par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire au Père ainsi qu'à l'Esprit saint et vivifiant, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE PRONONCÉE APRÈS LE TREMBLEMENT DE TERRE.



Tome 3,p. 443-447

Traduit par M. MALVOISIN



AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Nous avons publié une autre homélie sur un tremblement de terre, qui est la sixième sur Lazare, tome fer, dans l'avertissement de laquelle nous avons prouvé par plusieurs témoignages, tant de Chrysostome que d'autres autorités, qu'Antioche fut ébranlée par de fréquents tremblements de terre, surtout à l'époque de Chrysostome. - Celui dont il est ici question arriva tandis que Chrysostome était malade au lit; mais, dans son ardent désir d'instruire le peuple, qu'il voyait attristé par l'approche du fléau, il ne sentit plus son mal, et vola vers son troupeau: c'est à quoi il fait allusion dans ces paroles: L'enseignement de la parole divine a changé en bonne santé ma maladie. - Ce discours fut prononcé hors de la ville, dans une des églises que fréquentait la piété du peuple d'Antioche; c'est ce que nous apprennent plusieurs passages du discours, dans lesquels Chrysostome loue le peuple d'avoir entrepris, pour entendre la parole de Dieu, un voyage fatigant et pénible. - Nous voyons également par un passage que Chrysostome avait déjà prononcé un discours la veille à l'occasion de ce tremblement de terre. Nous a avons aucune donnée sur l'année de ce discours la maladie de Chrysostome ne peut rien faire conjecturer, car il avait une santé assez faible et était souvent malade. - François Combefis avait publié cette homélie à l'étranger, en 1656. Le texte que nous avons suivi a été transcrit d'après un manuscrit du Vatican et comparé avec celui de Combefis.

Amour de Chrysostome pour son troupeau; piété des habitants d'Antioche; fruit à retirer des calamités. - Combien les fidèles sont devenus meilleurs par la pénitence que le tremblement de terre leur a fait faire; la colère de Dieu est maintenant apaisée. Les vices des riches avaient causé le fléau, les prières des pauvres ont sauvé la ville.


Si la maladie m'a empêché de célébrer avec vous cette fête spirituelle, la fatigue du voyage à faire ne vous a pas découragés. Et si cette fatigue ne vous a permis d'arriver ici que tout baignés de, sueur, l'enseignement de la parole divine a, tout à la fois, changé en bonne santé ma maladie, et apporté par le chant des psaumes un soulagement à vos forces épuisées. C'est pourquoi je n'ai point, quoique malade, tenu ma langue silencieuse; et vous, quoique fatigués, vous ne vous êtes pas exemptés de m'entendre; mais en même temps que la parole a retenti, les fatigues ont cessé, en même temps que l'enseignement a commencé, l'épuisement a disparu. La maladie et la fatigue n'affligent que le corps, au lieu que l'enseignement est le noble produit et le remède de l'âme. Or, autant l'âme l'emporte sur le corps, autant les oeuvres de la première sont les plus précieuses. C'est pourquoi, malgré la maladie et bien d'autres empêchements, je n'ai point cessé de vous porter dans mon coeur, et je n'aurai pas été privé, même aujourd'hui, de ma part à cette belle fête. Il n'y a encore qu'un instant, j'étais cloué sur mon lit, mais Dieu n'a pas permis que je mourusse entièrement de faim. Car de même que vous avez faim d'écouter, j'ai, moi aussi, faim de parler. C'est ainsi que souvent une mère malade aimerait mieux sentir ses mamelles tourmentées par son enfant, que de voir son enfant souffrir de la faim,: je consens, moi aussi, que mon corps s'épuise pour vous. Et qui ne donnerait avec joie jusqu'à son sang pour vous, pour vous dont la piété est si (445) ardente, pour vous qui brûlez d'un tel désir d'écouter la parole divine, pour vous enfin qui, en un instant si court, venez de montrer de tels sentiments de pénitence? Vous ne connaissez ni jour ni nuit: vous faites de l'un et de l'autre le jour, sans même changer d'air, mais vous éclairant la nuit pour en passer toute la durée à veiller; les nuits sont pour vous sans sommeil; la tyrannie du sommeil, vous en avez secoué le joug, car votre amour pour Jésus-Christ a vaincu en vous l'imperfection de la nature. Vous avez affranchi vos corps de là condition humaine en imitant les puissances célestes: vous les imitez à tous les yeux par vos veilles, par votre jeûne prolongé, par un si pénible voyage qui est une fatigue quant à la nature et un repos quant à l'intention. Voilà quel est le fruit de vos craintes, voilà le profit que vous tirez de ce tremblement de terre, profit qu'on ne dépense jamais, profit qui met les pauvres plus à l'aise et qui enrichit encore les riches: il ne connaît ni riches, ni pauvres. Le tremblement de terre arrive, et voilà qu'il enlève l'inégalité des conditions humaines. Où sont maintenant les riches vêtus de soie? Où est leur or? Tout cela a disparu, plus facilement détruit qu'une toile d'araignée; tout cela s'est trouvé plus fugace que les fleurs printanières. Mais puisque je vois votre esprit bien préparé, je veux vous servir une table plus somptueuse. Je vois que votre corps est fatigué, mais que votre âme est vive de jeunesse. Les sources de vos sueurs sont en grand nombre, mais elles servent à laver votre conscience. Et si des athlètes vont jusqu'à se couvrir de sang pour des feuilles de laurier qu'on donne aujourd'hui et qui demain seront flétries, combien plus vous autres, qui êtes entrés dans la carrière des bonnes oeuvres, devez-vous ne céder à aucune des fatigues que vous avez à subir pour la vertu et ne point vous laisser amollir. Votre auditoire est ma couronne, et un seul qui m'écoute parmi vous vaut pour moi la ville entière. Il en est qui ont couronné leurs coupes, d'antres qui ont réuni des convives à des festins de Satan, d'autres qui ont préparé une table somptueuse; mais vous, vous avez accompli une longue veille, vous avez purifié la ville entière par la sainte trace de vos pieds en traversant la place publique, et vous avez sanctifié l'air. Oui, l'air aussi est sanctifié par le chant des psaumes, comme vous avez entendu aujourd'hui que Dieu le dit à Moïse: Car le lieu où tu es est une terre sainte. (Ex 3,5) Vous avez sanctifié le sol, la place publique, vous avez fait pour nous de la ville une église, Et comme un torrent qui passe et qui, emporté par l'abondance dé Son courant, renverse toutes choses, ainsi ce torrent spirituel, ce fleuve de Dieu, qui réjouit là cité de Dieu (Ps 45,5 Ps 64,10), s'est grossi jusqu'à ses bords et a purifié le bourbier de l'impiété. Il n'y a plus d'impudique, ou si quelqu'un l'est encore, il est en voie de se transformer. L'homme entend les accents divins, et son esprit est remené à la mesure, les chants sacrés pénètrent en lui, et son impiété disparaît, ses passions d'avarice prennent la fuite. Si elles ne fuient pas, du moins elles imitent les bêtes sauvages qui se réfugient l'hiver dans des tanières. Ainsi se cache l'esprit déréglé semblables aux serpents qui; lorsque le froid vient engourdir leur corps, s'enfoncent dans la terre, ainsi ces passions viles et ignobles s'engloutissent comme dans un abîme. C'est qu'en effet, ceux-là même qui les traînent avec eux en rougissent, car ils les traînent encore avec eux, mais elles sont mortifiées. Vos chants sacrés deviennent pour eux la saison d'hiver. La sainte mélodie entre dans l'oreille de l'avare, et si elle ne chasse point hors de lui la passion, du moins elle la mortifie; elle entre dans l'oreille de l'impudique et de l'orgueilleux, et si elle ne tue pas l'impudicité et l'orgueil, du moins elle les enfouit. Or c'est déjà un grand point que le vice n'ait passa franchise. Je vous disais hier aussi qu'il y avait un grand fruit à retirer des tremblements de terre. Vous avez vu la miséricorde du Seigneur ébranlant la ville et affermissant votre âme, secouant les fondements de vos maisons et consolidant vos pensées, rendant la cité chancelante et fortifiant vos coeurs. Réfléchissez à cette miséricorde: il vous a secoués un instant et il vous a affermis pour jamais; le tremblement de terre a duré deux jours, puisse votre piété ne jamais cesser! vous avez été affligés pendant peu de temps, mais c'est pour toujours que vous avez été enracinés. Car je sais bien que votre piété a pris racine dans la crainte de Dieu, et quoique le calme soit revenu, le fruit reste. Il n'y a plus ni ronces qui étouffent le bon grain, ni pluie torrentielle qui l'inonde; la crainte a merveilleusement travaillé le sol de votre âme, et elle a secondé mes paroles. Je me tais, et les fondements de vos maisons élèvent la voix; je (446) garde le silence, et ces secousses vous crient d'une manière plus éclatante que le son de la trompette: Le Seigneur est miséricordieux et compatissant, il est plein de longanimité et de pitié. (Ps 102,8 Ps 102,9) Si je suis venu, continue-t-il, ce n'est pas pour vous écraser, mais pour vous donner de l'énergie. Oui, ce tremblement de terre emprunte une voix pour vous dire: je vous ai épouvantés, non pour vous affliger, mais afin de vous rendre plus diligents. Faites une grande attention à ce que je vais vous dire: comme la parole n'avait plus assez de force, le châtiment a élevé la voix; l'enseignement se fatiguait à la tâche, la crainte est arrivée à son aide. Je suis venu vous entretenir un moment et je fais ce qui dépend de moi: après vous avoir vigoureusement étreints je vous remettrai à la parole,afin que la parole ne s'épuise pas en pure perte. Comme je trouve des pierres et des ronces, je commence par en purger le terrain, afin que la parole jette ensuite la semence à pleines mains.

Quel dommage avez-vous éprouvé de cette affliction momentanée? D'hommes que vous étiez, vous êtes devenus des anges; vous avez passé au ciel, sinon quant au séjour, du moins quant à l'état de vos âmes. Et ceci n'est pas une flatterie: les faits m'en sont témoins. Qu'avez-vous négligé en effet sous le rapport de la pénitence? Vous avez banni l'envie, expulsé les passions viles, implanté en vous, la vertu; vous avez persévéré la nuit tout entière dans de saintes veilles, et dans les sentiments d'une grande charité ainsi que d'un zèle ardent. Nul ne songe plus à ses affaires d'argent, nul ne tient plus le langage de l'avarice; non-seulement vos mains sont pures de péchés,. mais encore votre langue est affranchie de la licence et de l'injure; nul n'outrage plus son prochain, nul ne va prendre place à des banquets de Satan; les maisons sont pures, la place publique est lavée de toute souillure; le soir nous gagne, et nulle part des choeurs de jeunes gens ne font entendre de chants théâtrals. Il y a, il est vrai, des choeurs, mais dont les chants ne sont pas ceux de l'impureté: ce sont de vertueux cantiques; on peut entendre, sur la place publique, les hymnes retentir; les fidèles qui sont restés chez eux chantent, les uns des psaumes, les autres des hymnes; la nuit arrive, et tout le monde se réunit à l'église, ce port qui n'est point battu des flots, cet océan qui ne connaît point de tempêtes. Je croyais, moi, qu'après un ou deux jours, la veille aurait brisé vos corps, et voici que plus elle se prolonge, plus aussi votre ferveur augmente. Ceux qui vous chantaient des psaumes se sont fatigués, et vous, vous êtes toujours dispos; ils ont manqué de force, et vous, vous avez acquis une énergie nouvelle. Où sont les riches? dites-moi: qu'ils apprennent des pauvres la divine sagesse! Les riches dorment, mais les pauvres, sur la terre nue, ne dorment point: ils fléchissent les genoux, comme Paul et Si. las. (Ac 16) Eux aussi chantaient des psaumes, et ils ébranlèrent la prison: vous, vous chantez des psaumes comme eux, et vous avez raffermi la ville ébranlée. Les résultats sont opposés, mais ils tournent l'in et l'autre à la gloire de Dieu. Les apôtres firent trembler la prison afin d'ébranler l'âme des infidèles, de délivrer le geôlier, et de proclamer la parole de Dieu; vous, vous avez raffermi la ville, afin d'apaiser la colère de Dieu; les deux buts ont été atteints d'une manière différente. Toutefois, je me réjouis, non pas de ce que la ville s'est, raffermie, mais de ce qu'elle le doit à vos prières, et de ce que vos chants sacrés en sont devenus les fondements. La colère venait d'en-haut: votre voix est venue d'en bas; et le torrent de colère qui tombait du ciel a été arrêté par cette voix qui s'élevait de la terre. Les cieux s'étaient ouverts, notre sentence en était descendue: le glaive était aiguisé: la ville allait joncher le sol; la colère semblait impossible à conjurer. Nous n'eûmes besoin d'autre chose que de la pénitence, des larmes et des gémissements, et tout s'apaisa: Dieu avait prononcé, mais nous avons calmé sa colère. Ce n'est donc pas à tort qu'on vous appellerait les protecteurs et les sauveurs de cette ville. Où sont-ils, les magistrats? où sont-ils, ces grands protecteurs officiels? C'est véritablement vous qui êtes les tours, les murailles, la sûreté de la ville. Car pour eux, par leur iniquité, ils ont miné la ville, et vous, par, votre vertu, vous l'avez consolidée. Si vous demandez à quelqu'un d'où vient que la ville a été ainsi ébranlée, quand même on ne vous répondrait pas, il reste bien avéré que cela vient des péchés, de l'avarice, des injustices, des prévarications, de l'orgueil, de la sensualité, du mensonge. Et de la part de qui? de la part des riches. Et si ensuite on vient demander ce qui fait que la ville s'est raffermie, il est (447) bien avéré que c'est le chant des psaumes, que ce sont les prières, que ce sont les veillés. Et de qui? des pauvres. Ce qui a ébranlé la ville est le fait des premiers; ce qui l'a raffermie est votre fait: de sorte que c'est vous qui en êtes devenus les protecteurs et les sauveurs.

Mais terminons ici notre discours pour continuer nos veilles et le chant de nos psaumes, en renvoyant la gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. MALVOISIN.






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