Chrysostome Homélies 8000


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CATÉCHÈSES OU INSTRUCTIONS AUX CATÉCHUMÈNES.



Tome 3,p. 132-145


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Première catéchèse

Adressée à ceux qui se disposent à recevoir le baptême. - Pourquoi le baptême est appelé le bain de la régénération et non le non le sacrement de la rémission des péchés; et aussi qu'il est dangereux, non-seulement de se parjurer, mais encore de jurer, quand même on jurerait selon la vérité.

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

On voit par la première catéchèse qu'elle flet faite trente jours avant Pâques; et par ce qui y est dit sur le jurement, on voit que ce fut pendant le carême de l'an 387, durant lequel saint Chrysostome ne cessa de prêcher sur cette matière. - Ce qui peut faire difficulté, c'est qu'il paraît, par la onzième homélie au peuple d'Antioche, que saint Chrysostome demeura dans le silence pendant le temps auquel on doit rapporter cette homélie aux catéchumènes; mais on peut, ce semble, la lever, en ne considérant pas comme un discours public une instruction faite en particulier aux catéchumènes, l'obligation cil il s'était trouvé de parler au peuple les autres jours ne lui ayant pas laissé le loisir de former ces jeunes plantes. - Il est vrai que dans cette catéchèse le saint ne dit pas un mot de l'état où la sédition avait réduit la ville d'Antioche, ce qui pourrait faire douter qu'il l'eût prêchée pendant le carême de l'an 387. - Mais il faut remarquer qu'il parlait à des jeunes gens uniquement assemblés pour recevoir des instructions sur le sacrement de baptême, et que les motifs de consolation et d'espérance dont ses discours au peuple d'Antioche sont remplis, auraient été déplacés dans cette homélie. - Saint Chrysostome s'insinue dans l'esprit des catéchumènes par des termes d'humilité et de charité, n'hésitant point à les traiter de frères à cause de la grâce qu'ils allaient bientôt recevoir. -Il les prie de se souvenir de lui lorsqu'ils l'auront reçue, et qu'on les aura revêtus de l'habit royal et de la pourpre teinte du sang du Seigneur. - Il les loue de leur ardeur à recevoir le baptême, et de ce qu'ils n'attendaient pas à la mort pour le recevoir, comme faisaient plusieurs, dont quelques-uns même avaient perdu connaissance lorsqu'ils le demandaient. - Il croit que ceux qui en usaient ainsi ne recevaient point la grâce du baptême. - Il marque les différents noms que l'Eglise donnait au baptême, qui sont ceux de bain, de régénération, d'illumination, de sépulture, de circoncision et de croix; la différence du baptême avec les ablutions de la loi ancienne, qu'il fait consister en ce que le baptême purifie l'âme, au lieu que ces ablutions ne purifiaient que le corps; enfin la vertu de ce sacrement pour remettre les péchés et nous rendre saints et justes, eussions-nous auparavant été coupables de tous les crimes que l'homme peut commettre. - Il dit un mot de la pénitence après de baptême, mais uniquement pour exhorter les catéchumènes à si bien vivre, qu'ils n'en aient jamais besoin, et à employer les trente jours qui leur restaient à combattre tellement contre le démon qu'ils ne puissent en être vaincus; il les exhorte particulièrement à éviter les péchés de la langue, surtout le jurement, et veut qu'ils s'en éloignent d'autant plus qu'on ne le regarde pas comme un péché. (Dom REMY CEILLIER)



81011. Combien est délicieuse et attrayante pour nous cette réunion de jeunes frères! je vous donne le nom de frères avant votre naissance à la grâce, je vous salue comme des parents, vous qui n'êtes pas encore membres de la famille chrétienne. C'est que je sais, oui, je sais parfaitement à quelle haute dignité, à quel honneur vous êtes sur le point d'être élevés. Or on a coutume de rendre ses hommages à ceux qui vont être investis d'une charge importante, et cela même avant qu'ils soient entrés en fonction, afin de s'attirer, par cette marque de déférence, leur bienveillance pour l'avenir, et les avantages qui en découlent. C'est ce que je fais; car vous allez être élevés non à une charge ordinaire, mais à la dignité de rois, non d'un royaume vulgaire, mais du royaume des cieux. Aussi, je vous conjure et vous supplie de vous souvenir de moi lorsque vous y serez parvenus. Ce que Joseph disait au (132) grand échanson: Souvenez-vous de moi quand vous serez heureux (Gn 11,14), je vous le dis maintenant: Oui, souvenez-vous de moi quand vous serez heureux. Je ne demande pas comme Joseph une récompense pour l'interprétation d'un songe; je ne suis pas venu vers vous pour interpréter des songes, mais pour vous parler des choses du ciel, pour vous annoncer ces biens que l'oeil n'a point vus, que l'oreille n'a point entendus, que le coeur de l'homme n'a point compris. (1Co 2,9) Car tels sont les biens que Dieu a préparés à ceux qu'il aime.

Joseph disait au grand échanson: Encore trois jours, et Pharaon vous rétablira dans votre charge. (Gn 40,12 Gn 40,15) Pour moi je ne vous dis pas: Encore trois jours et vous deviendrez les officiers d'un grand roi; mais je vous dis encore trente jours et vous serez introduits non par Pharaon, mais par le Roi des cieux dans cette patrie qui est en-haut, dans cette cité du ciel, dans cette Jérusalem où l'on jouit de la vraie liberté. Joseph disait: Vous présenterez la coupe à Pharaon (Ibid); mais moi je vous dis: Le roi lui-même vous présentera ce calice redoutable, rempli d'une vertu divine et l'emportant infiniment sur tout objet créé. Ceux qui sont initiés connaissent la vertu de ce calice; vous, vous la connaîtrez bientôt. Souvenez-vous donc de moi quand vous serez dans ce royaume, quand vous aurez reçu le manteau royal, revêtu la robe empourprée du sang du Seigneur, et ceint le diadème dont le splendide rayonnement efface la lumière du soleil. Car tels sont les dons du céleste Epoux, supérieurs aux mérites des hommes, mais proportionnés à sa royale munificence.

C'est pourquoi je vous félicite avant même que vous soyez introduits dans cette demeure sacrée, je vous félicite et tout ensemble j'applaudis à votre généreuse ardeur, car vous ne venez pas, comme certains négligents, recevoir le baptême à la dernière extrémité; au contraire, semblables à des serviteurs zélés, qui se sentent pressés d'obéir à leur maître, vous placez votre vie sous la discipline du Christ avec une pieuse impatience, vous prenez ce joug si doux, ce fardeau si léger. A la vérité, ceux qui sont baptisés à la fin de leurs jours reçoivent la même grâce que vous, mais le généreux empressement de la bonne volonté, l'appareil des saintes cérémonies, ils ne l'ont pas. Ils reçoivent le baptême sur leur lit, et vous c'est dans le sein de l'Eglise notre mère commune; ils le reçoivent au milieu des larmes, et vous dans la joie et l'allégresse; ils le reçoivent en gémissant, et vous avec mille actions de grâces; eux, ils sont dévorés par la fièvre, vous, remplis de l'abondance d'une joie toute spirituelle. Voilà pourquoi ici tout est en rapport avec la grâce que vous recevez; là, quel contraste étrange! ceux qui reçoivent le baptême pleurent et gémissent; autour d'eux sont des enfants en larmes, une épouse désolée, des amis attristés, des serviteurs abattus; tout l'aspect de la maison est sombre comme un jour d'hiver enveloppé de brouillards. Et le malade! si vous pénétrez dans le fond de son coeur, il est plus triste encore que tout ce que je viens de dire; de même que les vents soufflant avec impétuosité dans des directions contraires soulèvent et bouleversent. la mer; ainsi les dangers suspendus sur la tête du malade troublent son âme de mille pensées terribles, de mille soucis contraires qui le tiraillent en tous sens. S'il jette les yeux sur ses enfants, il pense qu'ils vont être orphelins; il voit son épouse et d'avance. il pleure son veuvage; la vue de ses serviteurs lui montre le vide affreux qui va se faire dans sa maison; il jette les yeux sur lui-même; alors il se rappelle sa vie, cette vie qui lui échappe, et, sous le coup de la séparation, une grande tristesse descend dans son âme comme un nuage épais. Tel est l'état de celui qui va recevoir le baptême. Au milieu de ce trouble, de cette agitation, entre le prêtre, plus terrible pour le malade que la fièvre même, plus redouté que la mort par les parents du moribond. Oui, la voix du médecin déclarant que tout espoir de guérison est perdu, cause moins d'effroi que la venue du prêtre, et l'on reçoit comme un messager de mort celui qui apporte la vie éternelle, Mais je n'ai pas encore parlé du plus grand de tous les malheurs: souvent au milieu du trouble causé par une alarme subite, pendant que les parents, ne sachant quel parti prendre, s'agitent beaucoup sans rien faire, l'âme rompant ses derniers liens quitte le corps qui n'est plus qu'un cadavre. Quelquefois même, l'âme est encore présente dans le corps; mais à quoi bon? le moribond ne reconnaît plus personne, il n'entend plus rien, et ces paroles par lesquelles l'homme contracte son alliance avec son Seigneur, il ne peut plus les articuler; celui que l'on veut rendre participant de la lumière (133) divine est là comme un morceau de bois, ou comme une pierre, il ne diffère pas d'un mort de quoi lui servira l'initiation baptismale?

81022. Celui qui va s'approcher des mystères sacrés et redoutables, doit veiller sur lui-même, être exempt de tout souci mondain, tempérant, plein d'un saint empressement, chasser de son esprit toute pensée étrangère et tenir la maison de son âme parfaitement nette et pure, comme s'il devait recevoir le Roi. Telle est votre préparation, telles sont vos pensées, telle est la disposition de votre coeur. Aussi attendez-vous à recevoir de Dieu une récompense digne de cette excellente disposition, de Dieu dont les bienfaits surpassent toujours le mérite de notre obéissance.

Mais il faut donner du sien à ses frères; je vais donc vous faire part de ce qui est à moi, ou plutôt ce que je vais vous communiquer n'est pas à moi, mais au Seigneur: Car que possédez-vous que vous ne l'ayez reçu? Or, si vous l'avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous ne l'avez pas reçu? (
1Co 4,7) Avant tout, je voulais vous expliquer pourquoi nos pères ont choisi ce temps de l'année de préférence à tout autre pour donner des enfants à l'Église par la vertu du sacrement de baptême; pourquoi l'instruction qui précède, pourquoi l'on ôte ses chaussures, pourquoi l'on ne garde qu'une tunique seulement, pourquoi les prières des exorcismes? car ce n'est pas en vain et sans réflexion que l'Église a fixé ce temps et déterminé ce costume: tout cela a une raison mystérieuse, un sens caché, et je voulais vous en instruire; mais je vois que d'autres choses plus nécessaires nous appellent; il est en effet nécessaire de dire ce que c'est que le baptême, pourquoi il a été institué, et quels grands biens il nous procure.

Cependant, si vous le voulez, parlons d'abord de la dénomination de cette purification spirituelle; elle ne porte pas rien qu'un nom, mais plusieurs. Elle est appelée le bain de la régénération: Il nous a sauvés, dit l'Apôtre, par l'eau de la régénération et de la rénovation du Saint-Esprit. (Tt 3,5) Elle est encore appelée illumination; écoutez saint Paul: Rappelez en votre mémoire ce premier temps, où après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu le grand combat des souffrances (He 10,32); et ailleurs: car il est impossible que ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goûté le don du ciel, et qui après cela sont tombés, se renouvellent par la pénitence. () Elle est aussi nommée baptême: Car vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ. (Ga 3,27) Elle est aussi appelée sépulture. Car, dit l'Apôtre, nous avons été enseveli, avec lui par le baptême pour mourir au péché (Rm 6,4); également circoncision: C'est en lui que vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme, mais qui consiste dans le dépouillement des vices. (Col 2,11) Elle est appelée croix: Car notre vieil homme a été crucifié afin que le corps du péché soit détruit. (Rm 6,6) On pourrait encore citer beaucoup d'autres noms, mais pour ne pas perdre tout notre temps sur ce sujet, revenons à la première dénomination, et son explication terminera ce discours; en attendant reprenons l'instruction d'un peu plus haut.

Il y a une espèce de purification qui est commune à tous les hommes, elle s'opère par le bain qui enlève les souillures du corps; les Juifs ont aussi une sorte de purification plus auguste que le bain dont je viens de parler, mais bien inférieure à notre bain spirituel qui confère la grâce; lui aussi enlève les souillures du corps, et non-seulement celles-là, mais encore celles de l'âme. Car il y a bien des choses qui par elles-mêmes ne sont pas impures, mais qui le deviennent par suite de la faiblesse de la conscience. Ainsi un masque, si difforme qu'il soit, n'est pas réellement terrible; cependant il parait tel aux enfants, à cause de la faiblesse de cet âge; il en est de même de certaines actions; par exemple toucher à un cadavre, ce n'est pas en soi une chose impure, mais si on le fait croyant commettre une faute, cet attouchement devient une souillure. Que cet acte ne soit pas impur par lui-même, Moïse qui a promulgué la loi le montre bien, lui qui emporta le corps de Joseph, et néanmoins ne fut pas souillé.

Et c'est pourquoi saint Paul, parlant d'une souillure de ce genre qui provient non de la nature des choses, mais de la faiblesse de la conscience, s'exprime ainsi: Rien n'est impur de soi-même, et une chose n'est impure qu'à celui qui la croit telle. (Rm 14,14) Vous le voyez, la souillure vient non de la chose elle-même, mais de la conscience qui est mal formée; et encore: Toutes les viandes sont pures, mais un homme fait mal d'en manger, lorsqu'en le (134) faisant il scandalise les autres. (Rm 20) Remarquez encore que la souillure est contractée non par l'action de manger, mais par le scandale qu'elle cause.

81033. Or cette souillure, la purification des Juifs l'effaçait; mais le bain qui donne la grâce fait disparaître non cette tache corporelle, mais celle qui, étant une véritable souillure, atteint le corps et l'âme; il purifie non ceux qui touchent des cadavres, mais ceux qui font des oeuvres de mort.

Seriez-vous impudique, seriez-vous fornicateur, idolâtre, auriez-vous commis n'importe quel crime, seriez-vous couvert de toutes les souillures qui peuvent flétrir un homme, plongez-vous dans la piscine de ces eaux saintes, et vous en sortez plus pur que les rayons du soleil. Ne croyez pas que j'exagère; écoutez saint Paul parlant de l'efficacité de ce bain spirituel: Ne vous y trompez pas, ni les idolâtres, ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les impudiques, ni ceux dont les débauches outragent la nature, ni les avares, ni les intempérants, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d'autrui ne posséderont le royaume de Dieu. (
1Co 6,9-10) Et en quoi, direz-vous, ces paroles touchent-elles à la question? Montrez ce dont il s'agit, c'est-à-dire que la vertu du baptême efface ces souillures. Ecoutez donc ce qui suit: Vous avez été tout cela, mais vous avez été lavés, sanctifiés, justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit de notre Dieu. (1Co 5,11) Nous nous proposions de vous dire que ceux qui s'approchaient de ce bain spirituel étaient purifiés de toute souillure, et voilà que nos paroles vous prouvent qu'ils sont non-seulement purifiés, mais encore sanctifiés et justifiés. Car l'Apôtre ne dit pas seulement: Vous avez été purifiés, mais il ajoute: Vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés.

Quoi de plus admirable que de voir la justification produite sans travail, sans peine et sans le secours des bonnes oeuvres! car telle est la grandeur de ce don divin que sans aucune peine il nous rend justes devant Dieu. Si une simple lettre très-courte signée par l'empereur peut rendre à la liberté des hommes chargés de toutes sortes de crimes et élever quelques-uns de ses sujets aux plus hautes dignités, combien plus l'Esprit-Saint, qui est tout-puissant, nous délivrera-t-il de toute iniquité, établissant en nous le règne de la justice et nous remplissant d'une confiance inébranlable. Voyez cette étincelle tombant dans le gouffre de la mer, aussitôt elle s'éteint, elle disparaît engloutie sous les flots; ainsi toutes les iniquités des hommes, quand elles tombent dans la piscine du bain sacré, sont anéanties; elles disparaissent plus vite et plus facilement que cette étincelle. Et pourquoi, direz-vous, si ce bain remet tous nos péchés, pourquoi l'appelle-t-on bain de la régénération et non pas bain de la rémission des péchés, bain de la purification? c'est parce que non-seulement il nous remet nos péchés, et nous purifie de nos souillures, mais que par lui nous recevons une seconde naissance. Oui, il nous crée de nouveau, il nous forme non en nous façonnant une seconde fois avec de la terre, mais en nous faisant sortir d'un autre élément qui est l'eau; il ne nettoie pas seulement le vase, mais il le refait de nouveau tout entier. Les vases que l'on purifie gardent toujours, quelques précautions que l'on prenne, des marques de la tache qui a été enlevée; mais ceux que l'on jette dans le fourneau pour les refondre, renouvelés par la flamme, déposent toute scorie et sortent de là aussi brillants que s'ils étaient entièrement neufs. Si quelqu'un prenait pour la refondre une statue d'or, toute noircie par le temps, la fumée, la poussière, détériorée par la rouille, il la rendrait très-pure et très-brillante; ainsi notre nature dégradée par la rouille du péché, obscurcie par nos crimes, comme par une fumée qui en ternit l'éclat, privée de sa beauté première, Dieu la refait pour ainsi dire, la plonge dans l'eau comme dans le creuset, la pénètre comme d'un feu, de la grâce du Saint-Esprit, et de là elle sort toute renouvelée, jetant un éclat qui surpasse la splendeur des rayons du soleil, car le vieil homme est brisé, et de ses débris sort un homme nouveau et plus brillant.

81044. Or c'est à ce brisement mystique, à cette purification que le Prophète faisait allusion quand il disait: Vous les briserez comme un vase de potier. (Ps 2,9) Que ces paroles s'entendent des fidèles, c'est ce qui est évident par celles qui précèdent; les voici: Tu es mon fils; aujourd'hui je t'ai engendré: demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et ton empire s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre. (Ps 7,8) Vous l'entendez; il parle de l'Eglise, assemblée de toutes les nations, du royaume de Jésus-Christ établi partout. Puis il ajoute: Vous les conduirez avec (135) une verge de fer; il ne s'agit pas d'une autorité insupportable, mais forte: vous les briserez comme un vase de potier.

Ici le bain est pris dans un sens plus mystique; le Psalmiste ne dit pas des vases d'argile cuite, mais des vases de potier. Ici faites attention. Vous brisez un vase d'argile cuite, on ne peut le refaire, parce qu'il acquiert sous l'action du feu une dureté que rien ne saurait plus dissoudre. Mais les vases de potier, c'est-à-dire qui sont encore dans la main de l'ouvrier, et qui n'ont pas encore subi l'action du feu; ces sortes de vases, un ouvrier habile peut les broyer et leur redonner leur première forme. Aussi Dieu parlant d'un malheur irréparable, lire sa comparaison non d'un vase de potier, mais d'un vase d'argile cuite. Voulant montrer au prophète et aux juifs qu'il allait livrer la ville à une ruine dont elle ne se relèverait pas, il ordonna au prophète de prendre un vase d'argile cuite et de le briser en présence de tout le peuple en disant: Ainsi, la ville sera anéantie, brisée. (Jr 19,11) Veut-il au contraire lui laisser la douceur de l'espérance, c'est sur le potier qu'il attire l'attention du prophète; il lui met sous les yeux non un vase d'argile cuite, mais un vase de terre échappant à la main de l'ouvrier, et il dit: Si le potier redonné sa première forme à ce vase qui vient de tomber, et plus forte raison puis-je, moi, vous relever et vous quérir de votre chute. (Jr 18,6) Oui, Dieu peut, par le bain de la régénération, nous corriger, nous hommes de boue; bien plus, quand nous avons subi l'action du Saint-Esprit, et qu'ensuite nous sommes retombés, il peut, par une sévère pénitence, nous rendre tels que nous étions avant notre chute.

Mais ce n'est pas le moment de parler de pénitence: Ah! fasse le ciel que jamais vous n'ayez besoin de ces remèdes; puissiez-vous plutôt conserver intacte cette beauté, rester toujours avec cet éclat qui vous appartiendra bientôt! Or, pour qu'il en soit ainsi, disons un mot de la manière dont vous devez régler votre vie. Dans la carrière que vous parcourez actuellement, jeunes athlètes, vos chutes ne sent pas dangereuses; vous vous exercez pour ainsi dire dans la maison, et les coups retombent sur ceux qui vous instruisent. Mais voici bientôt venir le temps des vrais combats le stade est ouvert, voilà les spectateurs sur les gradins de l'amphithéâtre, à leur tête est le président des jeux; alors point de milieu ou tomber lâchement et se retirer couvert de honte, ou se comporter en brave et obtenir la couronne et le prix; ainsi ces trente jours sont pour vous des jours de lutte, d'apprentissage, d'exercice. Dès ce moment apprenons à vaincre le malin esprit, car une fois baptisés, il faudra descendre dans l'arène, lutter avec lui, le combattre à outrance. Dès maintenant apprenons à connaître ses stratagèmes, ce qui le rend si méchant, d'où vient que ses coups nous atteignent si facilement, afin que le temps de la lutte arrivé, la nouveauté du combat ne déconcerte pas notre courage, mais que préparés, exercés, instruits des ruses de l'adversaire, nous l'abordions avec une entière confiance.

De tous côtés le démon nous tend des piéges, il arme principalement contre nous notre langue et notre bouche. Une langue toujours en mouvement, une bouche qui n'est jamais fermée, c'est là l'organe dont le démon se sert le plus souvent pour nous tromper et nous perdre. De là pour nous la source de beaucoup de fautes à l'occasion de péchés graves. Qu'il est facile de pécher par la langue! écoutez cette sentence: Le glaive fait beaucoup de victimes, la langue davantage encore. (Si 28,22) La sentence suivante, qui est du même auteur, nous montre combien cette chute est grave Il vaut mieux tomber sur le pavé que de pécher par la langue. (Si 20,20) Ce qui veut dire: il vaut mieux tomber et se briser les membres que de proférer une parole qui puisse perdre notre âme. Non-seulement l'auteur parle des fautes que l'on peut faire, mais il nous exhorte à veiller avec le plus grand soin pour ne pas nous laisser surprendre: Placez, dit-il, à votre bouche une porte et des verroux. (Si 28,28) Ces paroles ne se doivent pas prendre dans le sens littéral, elles signifient que nous devons avec le plus grand soin interdire à notre langue les paroles inconvenantes. Avec notre effort personnel, et même avant notre effort personnel, nous avons besoin du secours d'en-haut pour pouvoir dompter la bête féroce que chacun de nous porte au dedans de soi; c'est ce que le Prophète nous enseigne en disant: J'élève les mains pour offrir le sacrifice du soir; placez, Seigneur, une garde à ma bouche et à mes lèvres une porte qui s'ouvre à propos. (Ps 140,2-3) Et celui que je citais tout à l'heure dit encore: Qui placera (136) une garde à ma bouche et sur mes lèvres le sceau de la prudence? (Qo 22,33)

Tous, ne le voyez-vous pas, craignent les fautes que la langue fait commettre, les pleurent, donnent des conseils et recommandent de prendre beaucoup de précautions. Et pourquoi, direz-vous, si la langue nous expose à de si grands dangers, pourquoi Dieu nous l'a-t-il donnée en nous créant? parce qu'elle nous procure aussi de grands avantages et que si nous voulons veiller sur nous, elle nous est utile et nullement préjudiciable. Ecoutez encore le même auteur: En la puissance de la langue sont la vie et la mort. (Pr 18,21) Le Christ dit la même chose: Vous serez condamné par vos paroles, et vous serez justifié par vos paroles. (Mt 12,37) Ici le mal, là le bien, la langue est comme au milieu: vous êtes le maître.

Ainsi, voilà un glaive: servez-vous-en pour percer l'ennemi, il devient entre vos mains un instrument de salut; si vous vous blessez, ce n'est pas le fer lui-même, mais le mauvais usage que vous en faites qu'il faut accuser. Il en est de même de la langue: c'est un glaive dont vous pouvez disposer selon votre gré: servez-vous-en pour accuser vos péchés et non pour blesser votre frère. Aussi Dieu l'a-t-il entourée d'une double barrière, les dents et les lèvres, de peur qu'agissant à la légère vous ne soyez portés trop facilement à dire ce qui ne convient pas. Mettez donc un frein à votre langue. Veut-elle s'en débarrasser? Servez-vous de vos dents pour la châtier, qu'elles remplissent par leurs morsures l'office de bourreau. Il vaut mieux que la langue soit déchirée sur la terre par les morsures, en punition de ses fautes que desséchée dans l'autre vie, réclamant pour se rafraîchir une goutte d'eau qui ne lui sera pas accordée. De combien de péchés n'est-elle pas l'instrument? Paroles injurieuses, blasphèmes, propos impudiques, flatteries, jurements, parjures!

81055. Mais pour ne pas accabler vos esprits sous l'abondance excessive des matières, ne parlons aujourd'hui que de l'obligation d'éviter les jurements. Je vous préviens que jusqu'à ce que vous évitiez, je ne dis pas seulement les parjures mais même les serments faits pour une juste cause, je ne traiterai pas, d'autre question; il serait absurde, quand vous n'avez pas encore bien appris les premiers éléments, de vouloir vous pousser plus avant; ce serait puiser de l'eau avec un tonneau percé: ainsi les maîtres ne transmettent à leurs élèves des enseignements nouveaux que quand ils voient les premiers bien gravés dans leur mémoire,

Prenez donc bien la chose à coeur si vous ne voulez pas arrêter le cours de nos instructions. Faire serment, c'est un péché grave et très-grave; et cela précisément parce qu'il ne paraît pas tel; je le crains, d'autant plus qu'on le craint moins; mal incurable parce qu'on ne croit pas que ce soit un mal. Parce qu'une simple parole n'est pas un crime, on se figure que le serment n'en est pas un, et sans méfiance on tombe dans cette faute; si quelqu'un en fait l'observation, alors on se moque, on rit aux éclats, non de ceux qui sont réprimandés, mais de ceux qui prétendent guérir cette maladie.

Aussi je veux m'étendre sur ce sujet; le mal est très-enraciné, je veux l'arracher, le faire disparaître, et je ne parle pas seulement des parjures, mais des serments faits pour une cause juste.

Je prévois votre objection: un tel, qui est un homme vertueux, réservé, pieux, un prêtre, ne laisse pas pourtant de jurer.

De grâce! ne me parlez pas de cet homme modeste, réservé, pieux, honoré du sacerdoce; mais supposez même Pierre, Paul, ou un ange descendu du ciel; oui, supposez cela, tant il s'agit peu ici d'une question de personne. Je lis la loi sur le serment, elle émane non des serviteurs, mais du Seigneur lui-même: or quand c'est le souverain qui parle, on laisse de côté l'autorité du serviteur. Si vous osez me dire que le Christ a ordonné le serment ou qu'il l'a laissé sans punition, montrez-le-moi et je me soumets.

Mais s'il l'interdit formellement et s'il attache à cette défense une telle importance qu'il compare celui qui fait des serments au démon lui-même: Or ce qui va au delà de ces paroles oui et non, est du démon (
Mt 5,37), pourquoi venez-vous me parler de l'autorité de celui-ci ou de celui-là? Dieu rendra sa sentence non d'après la désobéissance de quelques-uns de ses serviteurs, mais d'après les injonctions de ses lois. J'ai ordonné, dira-t-il, il fallait obéir, ne pas mettre en avant l'autorité de celui-ci ou de celui-là, ni s'enquérir trop minutieusement des fautes des autres. David, cet homme si grand, est tombé dans une faute grave; s'ensuit-il, dites-moi, que nous puissions pécher sans danger? Il faut donc se mettre sur ses gardes et n'imiter dans les saints que les bons (137) exemples qu'ils nous ont laissés. Mais si nous rencontrons dans leur vie quelque négligence ou quelque désobéissance à la loi, nous devons les éviter avec le plus grand soin. Car ce n'est pas aux saints qui sont comme nous d'humbles serviteurs, mais au souverain Maître que nous avons affaire, et c'est à lui-même que nous rendrons compte de toutes les actions de notre vie. Préparons-nous donc à paraître devant ce tribunal; quelque admirable, quelque grand que soit celui qui a transgressé cette loi, le châtiment est là pour punir son crime, il le subira Dieu ne fait acception de personne.

Comment pourrons-nous éviter ce péché? Il ne suffit pas de montrer que c'est un péché grave, il faut encore indiquer le moyen de ne pas le commettre. Vous avez une épouse, des enfants, un ami, des parents, des voisins, priez. les de veiller sur vous et chargez-les du soin de vous reprendre. C'est quelque chose de grave qu'une habitude: il est difficile de la faire disparaitre, difficile de se mettre en garde contre ses entraînements; elle nous surprend et cela quelquefois malgré nous. Donc, plus vous connaissez la force de la mauvaise habitude, plus vous devez redoubler d'efforts pour vous en délivrer et pour en contracter une bonne. De même qu'elle a pu devenir plus forte que vous, et que malgré vos soins, vos précautions et votre continuelle vigilance, elle vous fait tomber, de même si vous contractez la bonne habitude de ne plus faire de serments, vous ne serez plus entraînés malgré vous lors même que votre vigilance sera par hasard en défaut. Oui, c'est une grande chose que l'habitude, - c'est une seconde nature: pour ne pas être obligés de lutter toujours, prenons une autre habitude. Prions en grâce ceux avec lesquels vous vivez de vous engager à éviter le serment, qu'ils vous y habituent, qu'ils vous reprennent quand vous vous oubliez. Cette vigilance qu'ils exerceront sur vous leur profitera à eux-mêmes de conseil et d'exhortation pour bien faire; car celui qui avertit son prochain ne tombera pas aussi facilement lui-même dans le précipice qu'il veut faire éviter, Et c'est vraiment un précipice que l'habitude de prêter serment, non-seulement quand il s'agit de choses de peu d'importance, mais même quand il s'agit de choses graves. Pour nous, nous ne saurions, par exemple, acheter des légumes, soutenir une contestation pour deux oboles, quereller et menacer nos serviteurs sans prendre Dieu à témoin. Pour de pareilles futilités vous n'oseriez pas appeler en témoignage devant un tribunal un homme de grande naissance ou revêtu de quelque dignité si peu considérable qu'elle soit; et si vous aviez cette audace, vous subiriez le châtiment qu'elle mérite: et le Roi des cieux, le Seigneur des anges, vous ne craignez pas de le prendre à témoin quand il est question de marchandises, d'argent, ou d'autres misères de ce genre! Est-ce supportable? Comment donc pourrons-nous rompre avec cette mauvaise habitude? en plaçant autour de nous les gardiens dont j'ai déjà parlé, en nous fixant à nous-mêmes un terme pour notre amendement et en nous infligeant une punition, si, ce temps écoulé, nous ne sommes pas corrigés. Mais combien nous faudra-t-il de temps? Pour ceux qui veillent avec soin et sont animés d'un véritable zèle, je ne crois pas qu'il faille plus de dix jours pour couper le mal jusque dans sa racine. Si après ces dix jours nous sommes surpris en flagrant délit, imposons-nous une peine plus considérable, un châtiment en rapport avec la grandeur de notre faute.

Ce châtiment, quel sera-t-il? je ne le détermine pas, je vous laisse les maîtres.

Si nous agissons de la sorte pour les choses qui nous concernent, nous nous corrigerons non-seulement de l'habitude de jurer, mais encore de toute autre habitude mauvaise. Fixons-nous un terme, punissons-nous sévèrement si nous tombons, et purifiés, nous approcherons de notre Dieu; nous éviterons les peines de l'enfer, nous nous présenterons avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ.

C'est ce que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, dans les siècles des siècles, ainsi qu'à Dieu le Père, en l'unité du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.




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