Chrysostome Homélies 19000

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ÉLOGE DE SAINT PAUL






AVERTISSEMENT

- Saint Chrysostome dit au commencement de l'homélie sur les Calendes: Dernièrement, tandis que je faisais l'éloge du bienheureux Paul, vous avez tressailli de joie comme si vous l'aviez vu lui-même présent devant vous. Je voulais revenir aujourd'hui encore sur le même sujet, etc., t. 2,p. 449. Quelques-uns ont cru qu'il s'agissait, dans ces paroles, de l'homélie sur la demande des enfants de Zébédée: c'est l'opinion d'Hermant. Tillemont y voit l'homélie sur le choix d'une épouse; mais s'il pouvait être question dans ce passage d'une homélie isolée, on pourrait en nommer une foule d'autres; l'éloge de saint Paul est un sujet que saint Chrysostome ne se lasse jamais de traiter, il y revient partout dans ses oeuvres. Il nous semble donc que ces mots: Je voulais revenir aujourd'hui encore sur le même sujet, ne peuvent se rapporter qu'à une série d'instructions et désignent par conséquent les sept panégyriques de saint Paul. On ne peut douter qu'ils n'aient été prêchés à Antioche, puisque saint Chrysostome parle, dans le quatrième, de Daphné, qui était un faubourg de cette ville, et qu'il témoigne, dans le commencement du sixième, les avoir prêchés assez prés les uns des autres. L'année de ces discours ne peut se fixer avec certitude. Nous en avons une traduction latine qu'on croit être d'Anianus le pélagien, natif de Célède, en Campanie, qui vivait au commencement du Ve siècle. Ce traducteur, en effet, donne au défenseur de la grue de Jésus-Christ, saint Augustin, les noms de manichéen et de traducien, noms que les pélagiens donnaient aux catholiques. On ne trouve dans aucun de ces panégyriques ce que Photius cite d'un discours de saint Chrysostome sur saint Paul.


19100

Première homélie.

Traduit par M. PORTELETTE




ANALYSE.

- Saint Paul a réuni dans un degré éminent tout ce qu'il y a de bon et de grand, non-seulement parmi les hommes, mais encore parmi les anges. Il a toutes les vertus d'Abel, de Noé, d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, do Joseph, de Job, de Moïse, de David, d'Elie et de Jean-Baptiste et des anges.



191011. Une prairie tout émaillée de vertus, un jardin spirituel, on peut le dire sans crainte, telle lut l'âme du bienheureux Paul; à tant de fleurs de la divine grâce, il sut joindre une sagesse digne de cette grâce d'en-haut. Ce fut un vase d'élection, il s'appliqua glorieusement à se purifier, l'abondance de l'Esprit lui versa tous ses dons. Et de cette source il fit jaillir pour nous des fleuves admirables, non pas quatre fleuves seulement, comme dans le paradis, mais d'innombrables courants d'eaux spirituelles qui coulent toujours, qui n'arrosent pas la terre, mais réveillent, dans les âmes humaines, la fécondité de la vertu. Quel discours ne serait pas au-dessous d'une telle perfection? quel langage saurait rendre l'éloge égal à celui qu'il faut célébrer? Toutes les vertus humaines réunies dans une seule âme, chacune de ces vertus au plus haut degré, non-seulement les vertus humaines, mais celles des anges, quelle parole assez grande pour louer dignement cette grandeur! Est-ce là une raison pour que nous nous taisions? Non, c'est au contraire une raison, et une raison déterminante pour que nous parlions. Car c'est le plus grand sujet de louanges que la perfection de la vertu (331) défie, surpasse toute louange, toute abondance oratoire, et notre défaite vaut mieux que tous les triomphes possibles de la parole. Par où commencer nos éloges? Par où, sinon par démontrer ce que nous venons d'avancer, savoir, qu'il possède les vertus que l'on voit dans tous les hommes? Car quelque grandeur qu'aient montrée, soit les prophètes, soit les patriarches, soit les justes, soit les apôtres, soit les martyrs, réunissez toutes ces vertus, Paul en sa personne les a reproduites toutes ensemble à un si haut degré de perfection que nul, en ce qu'il a de meilleur, ne peut rivaliser avec lui. Voyez, Abel a offert un sacrifice (Gn 4,4) de là, la célébrité de son nom; mais, si vous considérez le sacrifice de Paul, vous verrez qu'il est aussi supérieur à l'autre que le ciel est au-dessus de la terre. De quel sacrifice voulez-vous que je vous parle? car un seul ne lui a pas suffi. Chaque jour il s'offrait lui-même en sacrifice (1Co 15,31), et il s'offrait doublement, mourant chaque jour, et promenant partout ce qui était frappé de mort en lui. (2Co 4,10) Sans cesse il faisait face aux dangers, il s'immolait volontairement, mortifiant en soi la nature de la chair, vraie victime sacrifiée à Dieu, ou plutôt victime bien préférable aux anciennes. Car il n'immolait ni génisses, ni brebis: c'était lui-même qu'il sacrifiait chaque jour, et doublement. De là, la confiance qui lui. faisait dire: J'ai déjà reçu l'aspersion pour être sacrifié. (2Tm 4,6) Cette aspersion veut dire qu'il a déjà répandu son propre sang.

Sachez bien qu'il ne lui suffit pas de ces sacrifices; mais, après s'être entièrement consacré à Dieu, il lui fit encore une offrande des peuples, des continents, des mers; planant sur les pays grecs, sur les pays barbares; sur tout l'espace que le soleil embrasse, il volait comme un aigle, il volait partout, non en simple voyageur, mais arrachant les épines des péchés, répandant la parole de la piété, dissipant l'erreur, amenant la vérité; des hommes, il faisait des anges, ou plutôt, des démons, il faisait des anges, et ces anges étaient des hommes. Aussi, près de son départ, après tant de sueurs et des trophées sans nombre, pour consoler ses disciples, il disait: Quand même je devrais répandre mon sang sur la victime et le sacrifice de votre foi, je m'en réjouirais, et je m'en conjouirais avec vous tous; et vous devriez aussi vous en réjouir et vous en conjouir avec moi. (Ph 2,17 Ph 2,18) Quelle victime pourrait donc égaler celle que Paul immola avec le glaive de l'Esprit, qu'il offrit sur l'autel érigé au plus haut des cieux? Abel périt par la perversité, par la rage meurtrière de Caïn (Gn 4,8); de là, la gloire d'Abel. Mais moi j'ai à vous montrer, des milliers de morts, autant de morts que ce; bienheureux apôtre a passé de jours à publier le Seigneur. Et maintenant si vous voulez considérer la mort non plus seulement spirituelle mais réelle de saint Paul, vous remarquerez que si Abel fut tué par un frère qui n'avait en rien à se plaindre de lui, Paul fut égorgé par ceux qu'il voulait arracher à des maux sans nombre, pour qui il a enduré tout ce qu'il a souffert.

Noé fut un homme juste et parfait au milieu des hommes de son temps (Gn 6,9), et il était sans égal parmi eux tous; Paul fut sans égal parmi les hommes de tous les temps. Noé se sauva seul, avec ses enfants; Paul, â son tour, vit le monde englouti sous un nouveau déluge beaucoup plus affreux que l'ancien; il ne fit pas une arche avec des planches; au lieu de planches il agença des épîtres; mais il ne sauva pas deux, ou trois, ou cinq de ses parents, il sauva du péril l'univers entier qui s'abîmait dans les flots. Son arche n'était pas réduite à ne parcourir qu'un seul lieu, elle comprenait la terre jusqu'à ses dernières limités, et alors; et maintenant encore, Paul nous fait tous entrer dans cette arche construite pour sauver les foules, qui transforme des insensés plus dépourvus de raison que les animaux, qui en fait des êtres dignes de rivaliser avec les puissances d'en-haut, victoire de l'arche nouvelle sur celle d'autrefois. Celle-là reçut un corbeau, et laissa sortir un corbeau; elle reçut un loup, et n'en adoucit pas la férocité Paul fit mieux; il reçut des loups, il en fit des brebis; les éperviers, les geais, il les transforma en colombes; tout ce qui était déraison et férocité, il le chassa de la nature humaine, il y substitua la douceur de l'Esprit, et maintenant encore flotte sur les ondes l'arche qui ne se brise pas. C'est que pour fendre de pareilles planches les orages de la perversité n'ont pas de puissance: c'est l'arche qui domine les flots qu'elle sillonne, et l'arche fait taire la tempête; et cela est juste, car ce n'est ni le bitume, ni la poix qui joignent les planches, c'est l'Esprit-Saint.

Voyez Abraham maintenant, tous l'admirent; quand il entendit ces paroles: Sortez de votre (335) pays, de votre parenté (Gn 12,4), il quitta patrie, demeure, amis, parents: l'ordre de Dieu fut tout pour lui. Et nous aussi, sachez-le bien, nous admirons cette obéissance. Mars -qui pourrait se comparer à Paul? Ce n'est pas seulement sa patrie, et sa demeure, et ses parents qu'il abandonna, mais le monde lui-même pour Jésus; bien plus, il dédaigna le ciel même, et le ciel du ciel, et il ne recherchait qu'une seule chose, l'amour de Jésus. Entendez-le lui-même qui vous le montre, qui vous le dit: Ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni ce qu'il y a de plus haut, ni ce qu'il y a de plus profond ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu. (Rm 8,38 Rm 8,39) Abraham, dira-t-on, se précipitant dans les dangers, arracha son neveu aux ennemis!

Mais Paul ne sauva pas seulement son neveu, ni trois et cinq villes, mais la terre tout entière, et il ne l'arracha pas aux barbares, mais aux démons mêmes, affrontant chaque jour des dangers sans nombre, et, au prix de ses morts particulières, procurant aux autres une sûreté entière. Mais la perfection de la vertu, la couronne de la sagesse est à celui qui a sacrifié son fils? Eh bien! ici encore, nous trouverons que le premier rang appartient à Paul, car ce n'est pas son fils, c'est lui-même qu'il a plus, de mille fois sacrifié, comme je viens déjà de le dire. Qu'admire-t-on dans Isaac? Entre beaucoup de vertus, sa patience: il creusait des puits, on le chassait de ses possessions (Gn 26,15 Gn 26,18 Gn 26,20 Gn 26,22), il ne résistait pas; à mesure qu'on remplissait les puits, il passait dans un autre lieu; il ne se précipitait pas, avec tous les siens, sur ceux qui le tourmentaient: il se retirait, il abandonnait partout les terres qui étaient à lui, pour satisfaire la cupidité de ses ennemis. Mais Paul ne vit pas seulement des puits, mais son propre corps recouvert de pierres amoncelées; Il ne se retirait pas comme Isaac; il allait à ceux qui le lapidaient, il voulait, à toute force, les enlever au ciel avec lui. Plus cette source de grâce était obstruée, plus vive elle jaillissait, plus elle versait de ces eaux qui donnent la patience. Mais son fils, mais Jacob est admiré pour sa force d'âme dans l'Ecriture? Eh! quelle âme de diamant pourrait égaler la patience de Paul? Ce n'est pas un esclavage de quatorze ans, mais égal à la durée dé sa vie entière, qu'il endura pour l'épouse du Christ: il ne fut pas brûlé seulement par la (335) chaleur du jour, par la glace de la nuit, mais il endura mille fois les neiges, les pluies, les grêles de la tribulation, un jour les coups de fouet, un jour les pierres tombant sur tous ses membres, un autre jour encore les bêtes féroces qu'il -fallait combattre, une autre fois les flots; et nuit et jour, la faim, le froid; et partout, au prix de mille combats, il arrachait (2Co 11,23-33) les brebis à la gueule du démon. Mais Joseph fut la pureté même! J'aurais peur du ridicule, si je célébrais par là celui qui se crucifia lui-même pour le monde (Ga 6,14), et qui ne regardait pas seulement ce que les corps ont de séduisant, mais toutes les choses humaines du même oeil que nous voyons la poussière et la cendre; qui était comme un mort insensible en présence d'un mort. Exact, attentif à réprimer tous les bonds de la nature vicieuse, jamais il n'éprouva, en quelque circonstance que ce fût, une seule de ces défaillances auxquelles est si sujette la fragilité humaine.

Job frappe tous les hommes d'admiration? C'est avec raison qu'on admire ce grand athlète, comparable à Paul par la patience, par la pureté de sa vie, par le témoignage qu'il rendit à Dieu, par la bravoure qu'il déploya dans des luttes fameuses, par l'admirable victoire qui couronna ces combats. Mais les combats de Paul ne durèrent pas seulement plusieurs mois, ils durèrent un nombre d'années; il n'essuyait pas avec des tessons l'humeur qui sortait corrompue de ses membres, il ne restait pas étendu sur le fumier, mais il s'attaquait à la gueule du lion spirituel, et mille et mille fois luttant contre les tentations, il était plus solide qu'un roc; ce ne furent pas seulement trois amis, ou quatre, mais tous qui l'insultèrent, infidèles et faux frères, le conspuant, l'outrageant. Mais l'hospitalité de Job était magnifique ainsi que son souci des pauvres? Nous nous garderons bien de le nier, mais nous trouverons tout cela aussi inférieur aux vertus de Paul, que le corps est au-dessous de l'âme. Ce que Job faisait pour les corps infirmes, Paul le pratiquait pour les âmes malades, redressant tous les esprits boiteux, revêtant les pauvres intelligences nues de la robe de la sagesse. Et, à ne considérer que les bienfaits mêmes qui s'adressent aux corps,. Paul avait toute la supériorité qui élève l'affamé et le pauvre secourant l'indigence, au-dessus du riche qui donne de son superflu; la demeure (336) de Job était ouverte à tout venant, l'âme de Paul s'épanouissait pour la terre entière, et il faisait accueil à la foule des peuples. De là ses paroles: Mes entrailles ne sont pas resserrées pour vous, mais les vôtres le sont pour moi. (2Co 6,12) Job avait des troupeaux innombrables de boeufs et de brebis, et il était libéral envers les pauvres; Paul ne possédant rien que son corps, y trouvait de quoi subvenir aux besoins des indigents; de là ses paroles: Ces mains ont fourni, à moi, et à ceux qui étaient avec moi, tout ce qui nous était nécessaire. (Ac 20,34) Le travail de ses mains était un revenu qu'il attribuait aux pauvres et aux malheureux qui avaient faim. Mais les vers et les blessures causaient à Job de cruelles, d'insupportables douleurs? J'en conviens; mais si vous y comparez les coups de fouet que Paul reçut pendant tant d'années, et la faim continuelle, et la nudité, et les fers, et la prison, et les dangers, et les complots formés contre lui par ses proches, par les étrangers, par les tyrans, par la terre entière, ajoutez-y des souffrances plus amères encore, j'entends les douleurs éprouvées pour ceux qui tombent, l'inquiétude pour toutes les Eglises, le feu qui le brûlait toutes les fois qu'il y avait un scandale, vous verrez que l'âme qui endurait tout cela était plus solide qu'un rocher, avait une force à triompher du fer et du diamant. Ce que Job souffrit dans son corps, l'âme de Paul eut à le supporter, et tous les vers de Job le torturaient moins cruellement que la vue des scandales ne faisait l'âme du bienheureux apôtre. De là, les sources de larmes qui jaillissaient continuellement de ses yeux, non-seulement pendant les heures du jour, mais de la nuit, et il n'est pas de femme, en proie aux douleurs de l'enfantement, qui soit plus douloureusement déchirée qu'il ne l'était. Aussi disait-il: Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement. (Ga 4,19) Quel est encore, après Job, celui qu'on admirera? Moïse, assurément. Mais celui-là aussi voit Paul bien au-dessus de lui. Entre tant de grandes vertus, ce qu'il y a, dans cette âme si sainte de Moïse, qui l'élève surtout, sa couronne, c'est d'avoir voulu être effacé du livre de Dieu pour le salut des Juifs. (Ex 32,32) Mais Moïse voulut périr avec les autres? Paul pour les autres; non pas avec les autres, mais, les autres étant sauvés, Paul consentit à déchoir de la gloire éternelle; Moïse lutta contre Pharaon? mais Paul combattait chaque jour contre le démon; l'un supportait toutes ses fatigues dans l'intérêt d'un seul peuple; l'autre, dans l'intérêt de la terre entière, endurait les plus durs labeurs, se couvrait, non-seulement de sueur. mais, au lieu de sueur, du sang qui ruisselait de tout son corps; il ne parcourait pas seulement les pays habités, mais les lieux sans habitants; non-seulement la Grèce, mais les contrées des Barbares.

Je pourrais faire paraître devant vous et Josué, et Samuel, et les autres prophètes; mais, pour ne pas trop étendre ce discours, n'abordons que les principaux; car si Paul se montre évidemment au-dessus d'eux, il n'y a plus aucun moyen de douter de sa supériorité sur les autres. Quels sont les principaux d'entre les prophètes?

Après ceux dont nous avons parlé, quels sont-ils, si ce n'est David, Elie, Jean, l'un précurseur du premier avènement, l'autre, du second avènement du Seigneur et pour cela nommés Elie l'un et l'autre? Qu'est-ce qui distingue David? Son humilité et son amour de Dieu. Mais à ce double titre, qui est supérieur à Paul, qui ne reste pas au-dessous de lui? Qu'est-ce qu'Elie a d'admirable? D'avoir fermé le ciel, amené la famine, fait descendre le feu? Je ne le pense pas: admirons en lui son amour pour le Seigneur, amour plus brûlant que le feu. Mais, si vous considérez le zèle de Paul, vous le trouverez aussi supérieur qu'Elie est au-dessus des autres prophètes. Car que pour. rait-on comparer à ces paroles qu'inspirait à Paul son zèle pour la gloire du Seigneur: J'eusse désiré être anathème pour mes frères qui sont d'un même sang que moi selon la chair? (Rm 9,3) Aussi, les cieux lui étant proposés pour but de ses efforts, et les couronnes, et tous les prix du combat, il contint son désir, il patienta: Il est plus utile pour votre bien que je demeure uni à cette chair (Ph 1,24); aussi, ni la créature visible, ni la créature que l'intelligence conçoit ne lui paraissant suffire pour exprimer toute la forcerie son amour et de son zèle, il imaginait une autre manière d'être, il allait jusqu'à supposer l'impossible, pour exprimer ainsi ce qu'il voulait, ce qu'il désirait. Mais Jean se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage? (Mt 3,4) Mais Paul, au milieu des habitations des hommes, vécut comme Jean dans le désert; il ne mangeait ni sauterelles ni miel sauvage; sa (337) nourriture était bien plus grossière; il ne prenait même pas la nourriture nécessaire à la vie, emporté qu'il était parle zèle de la prédication. Mais Jean fit paraître contre Hérode une grande liberté de discours? (Mt 14,4) Mais Paul ne s'attaqua pas à un, à deux, à trois tyrans, mais à des milliers de tyrans comme Hérode, qu'il réduisit au silence, disons mieux, à des tyrans bien plus cruels encore. Il ne nous reste plus qu'à faire la comparaison de Paul avec les anges; laissons donc, sous nos pieds, la terre; montons sur les hauteurs des cieux, et que personne n'accuse l'audace de notre discours. Car si l'Écriture a donné à Jean le nom d'ange, comme aux prêtres, qu'y a-t-il d'étonnant que celui qui les surpasse tous soit comparé par nous aux puissances d'en-haut? Eh bien, en quoi consiste la grandeur des anges? C'est qu'ils appliquent tous leurs soins à obéir à Dieu. Ce que David exprime ainsi, dans son admiration: Puissances remplies de force, exécutant ce qu'il dit. (Ps 102,20) Voilà la grandeur incomparable, fussent-ils dix mille fois incorporels; le plus haut degré de leur béatitude, le voici: c'est leur obéissance, c'est que jamais cette obéissance n'est en défaut. Eh bien! Paul aussi l'a conservée, cette obéissance parfaite; car il n'a pas seulement accompli la parole de Dieu, mais ses commandements, plus que ses commandements, ce qu'il a montré par ces paroles: En quoi trouverai-je donc un sujet dé récompense? En prêchant l'Évangile. de telle sorte que je prêche gratuitement. (1Co 9,18) Quelle est encore la grandeur que le prophète admire dans les anges? Celui qui rend ses anges comme des souffles, qui fait, de ses ministres, un feu brûlant. (Ps 103,4) Paul en est la preuve manifeste; comme un souffle, comme un feu, il parcourut le monde entier, il le purifia. Mais il n'a pas encore obtenu le ciel? Eh! voilà ce qu'il y a précisément de tout à fait admirable. Encore sur la terre, un tel homme, dans un corps mortel, rivalisait de vertu avec les puissances incorporelles. Quelle condamnation ne mériterions-nous donc pas si, à la vue d'un homme qui a réuni en lui seul toutes les vertus, nous ne nous efforcions pas d'imiter la moindre de celles qu'il pratiqua? Pensons-y, travaillons à nous soustraire à une telle accusation, efforçons-nous d'arriver à ce beau zèle, afin de pouvoir obtenir les mêmes biens, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire avec la puissance, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il!

Traduit par M. PORTELETTE





19200

Deuxième homélie (1).



ANALYSE.

Saint Paul a porté la vertu jusqu'où elle pouvait aller, il l'a pratiquée sans aucune vue de récompense temporelle, ni mime éternelle; il ne fuyait pas les peines, il les recherchait même, il les chérissait, il s'affligeait pour le salut de tous les hommes en général et de chacun en particulier; il vivait sur la terre comme s'il eût été dans le ciel, il s'est rendu digne des plus grandes faveurs et des grâces les plus insignes; enfin il est un excellent modèle de vertu, auquel cependant nous ne devons pas désespérer d'atteindre.



Saint Paul est de tous les hommes celui qui a le mieux montré quelle est la grandeur de l'homme, quelle est la dignité de notre nature, à quelle vertu nous pouvons atteindre; et il me semble que par toute sa vie, il justifie hautement le Créateur, confond tous ceux qui dépriment la créature humaine, nous exhorte à la vertu, ferme la bouche aux audacieux qui attaquent le Maître commun, et montre qu'il n'y a pas une si grande distance entre l'homme et les anges si nous voulons être attentifs sur nous-mêmes. Sans avoir reçu une autre nature que nous, sans être né avec une autre âme, sans avoir habité un autre monde, mais placé sur la même terre et dans les mêmes régions, élevé suivant les mêmes lois et les mêmes coutumes, il a surpassé tous les hommes de tous les siècles. Où sont donc ceux qui exagèrent les difficultés que nous offre la -vertu, et la pente facile qui nous conduit au vice? saint Paul les réfute pleinement par ces paroles: Le moment si court et si léger de nos afflictions dans cette vie produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire. (2Co 4,17) Mais si les afflictions telles qu'en a éprouvé ce


1 Traduction de l'abbé Auger, revue.



grand apôtre, sont légères, à plus forte raison les goûts dépravés qui nous entraînent au mal le sont-ils.

Ce que je trouve d'admirable en lui, c'est que non-seulement dans l'ardeur de son zèle il ne sentait pas les peines qu'il essuyait pour la vertu, mais qu'il pratiquait la vertu sans attendre aucune récompense. Nous ne supportons pas les fatigues qu'elle demande, quoiqu'on nous propose une rétribution; saint Paul l'embrassait et la chérissait sans songer à aucun prix ni salaire; les plus grands obstacles à sa pratique, il les surmontait avec courage, sans prétexter ni la délicatesse du tempérament, ni la multitude des affaires, ni les penchants de la nature, ni aucune autre raison. Quoiqu'il fût chargé de plus de soins et de sollicitudes que le fut jamais aucun général ni aucun prince, cependant il acquérait chaque jour. plus de force, et montrait une ardeur toujours nouvelle au milieu des périls. C'est ce qu'il faisait entendre en disant: J'oublie ce qui est derrière moi, et j'avance vers ce qui est devant moi. (Ph 3,13) Menacé de la mort, il invitait les peuples à partager la joie dont il était pénétré. Réjouissez-vous, leur disait-il, et félicitez-moi. (Ph 2,18) Au (339) milieu des dangers, des outrages et des affronts, il triomphait et écrivait aux Corinthiens: Aussi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages et dans les persécutions que j'éprouve. (2Co 12,10) Il appelait ses peines et ses travaux les armes de la justice (2Co 4,7), faisant voir qu'il en tirait les plus grands avantages, et que ses ennemis ne pouvaient le prendre d'aucun côté. De toute part accablé de coups, d'outrages et d'injures, il s'applaudissait comme s'il eût été mené en triomphe, comme s'il eût érigé sans cesse des trophées sur toute la terre; il rendait grâce à Dieu en disant: Grâces soient rendues à Dieu, qui nous fait toujours triompher. (2Co 2,14) Il cherchait les affronts et les outrages que lui attirait la prédication, beaucoup plus que nous ne cherchons la gloire et les honneurs; il désirait la mort beaucoup plus que nous n'aimons la vie; il chérissait la pauvreté beaucoup plus que nous n'ambitionnons les richesses; il embrassait les travaux et les peines avec beaucoup plus d'ardeur que nous ne désirons le repos et les plaisirs. Il s'affligeait plus volontiers que les autres ne se réjouissent; il priait pour ses ennemis avec plus de zèle que les autres ne font contre eux d'imprécations. Il avait renversé l'ordre des choses, ou plutôt c'est nous qui le renversons, et lui l'observait tel qu'il est établi par Dieu. Ce qu'il faisait était conforme à la nature; ce que nous faisons y est contraire.

Quelle en est la preuve? Saint Paul lui-même, qui, étant homme, courait plus volontiers aux peines qu'aux plaisirs. La seule chose qu'il redoutait et qu'il évitait, c'était d'offenser Dieu; comme la seule chose qu'il désirait était de plaire à Dieu. Aucun des biens présents, je dis même aucun des biens futurs, ne lui semblait désirable; car ne me parlez pas des villes, des nations, des princes, des armées, des armes, des richesses, des principautés et des puissances: tout cela n'était pas même à ses yeux une vile poussière; mais considérez le bonheur qui nous est promis dans le ciel, et alors vous verrez tout l'excès de son amour pour Jésus. La dignité des anges et des archanges, toute la splendeur céleste n'étaient rien pour lui, en comparaison de la douceur de cet amour: l'amour de Jésus était pour lui plus que tout le reste. Avec cet amour, il se regardait comme le plus heureux de tous les êtres; il n'aurait pas voulu, sans cet amour, habiter au milieu des trônes et des dominations il aurait mieux aimé, avec la charité de Jésus, être le dernier de la nature,, se voir condamné aux plus grandes peines, que sans elle d'en être le premier, et d'obtenir les plus magnifiques récompenses. Etre privé de cette charité était pour lui le seul supplice, le seul tourment, le seul enfer, le comble de tous les maux: posséder cette même charité était pour lui la seule jouissance; c'était la vie, le monde, les anges, les choses présentes et futures, c'était le royaume, c'étaient les promesses, c'était le comble de tous les biens. Rien de ce qui ne le conduisait pas là n'était pour lui ni fâcheux ni agréable; tous les objets visibles, il les méprisait comme une herbe desséchée. Les tyrans, les peuples furieux, ne lui paraissaient que des insectes importuns; la mort, les supplices, tous les tourments imaginables, ne lui semblaient que des jeux d'enfants, à moins qu'il ne fallût les souffrir pour l'amour de Jésus-Christ; car alors il les embrassait avec joie, et il se glorifiait de ses chaînes, plus que Néron du diadème qui décorait son front. Il habitait la prison comme si t'eût été le ciel même; il recevait les coups de fouet et les blessures plus volontiers que les athlètes ne saisissent le prix dans les jeux. Il ne chérissait pas moins que la récompense le travail, qu'il regardait comme une récompense; aussi l'appelait-il une grâce. En voici la preuve C'était pour lui un avantage d'être dégagé des liens du corps, et d'habiter avec Jésus-Christ, c'était une peine de demeurer dans un corps mortel; cependant il choisit l'un plutôt que l'autre, et il le regarde comme plus essentiel. C'était pour lui une peine et un travail d'être séparé de Jésus-Christ, et la peine la plus dure, et le travail le plus rude; c'était pour lui un avantage et une récompense d'habiter avec Jésus-Christ; mais il choisit l'un plutôt que l'autre pour l'amour de Jésus-Christ. On dira peut-être que tout cela lui était agréable pour l'amour de Jésus. C'est ce que je dis moi-même, et je prétends que ce qui cause en nous de la tristesse lui procurait une satisfaction abondante. Et que parlé-je de ses périls et de ses autres tribulations? il éprouvait une peine continuelle qui lui faisait dire: Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? qui est scandalisé sans que je brûle? (2Co 2,29) A moins qu'on ne dise que cette peine était accompagnée d'un certain plaisir. Ainsi des mères qui ont perdu leurs enfants sont soulagées, en (340) quelque sorte, lorsqu'elles ont la liberté de pleurer, et sont oppressées lorsqu'elles ne peuvent donner un libre cours à leurs larmes. De même saint Paul recevait un soulagement de pleurer nuit et jour; car jamais personne ne déplora ses propres maux comme cet apôtre déplorait les maux d'autrui. Quelle était, croyez-vous, sa douleur, en voyant que les Juifs n'étaient pas sauvés, lui qui demandait d'être déchu de la gloire céleste, pourvu qu'ils fussent sauvés? (Rm 9,2 Rm 9,3) D'où il, est manifeste que leur perte lui était plus sensible que la privation de la gloire, puisque autrement il n'eût pas fait un pareil souhait, il n'eût point préféré ce dernier mal, comme plus consolant et plus doux; et il ne se contentait pas d'un simple désir, il s'écriait: Je suis saisi d'une tristesse profonde; mon coeur est pressé sans cesse d'une douleur violente.

Un homme qui s'affligeait presque chaque jour pour les habitants de la terre, et pour tous en général, pour les nations et les villes, et pour chacun en particulier, à quoi pourrait-on le comparer? à quelle nature de fer, à quelle nature de diamant? de quoi dirons-nous qu'était composée son âme? de diamant ou d'or? elle était plus ferme que le plus dur diamant, plus précieuse que l'or et que les pierres du plus grand prix. A quoi donc pourra-t-on comparer cette âme? A rien de ce qui existe. Il y aurait peut-être une comparaison possible, si, par une heureuse alliance, le diamant acquérait les qualités de l'or, et l'or celles du diamant. Mais pourquoi le comparer à l'or et au diamant? mettez le monde entier dans la balance, et vous verrez que l'âme de Paul l'entraînera. En effet, si lui-même a dit des saints, qui, couverts de peaux, vivaient dans des cavernes, qui n'ont brillé que dans un petit coin de la terre, que le monde ne les valait pas, à plus forte raison dirons-nous de lui que le monde entier ne le valait pas. Mais si le monde ne le vaut pas, qu'est-ce qui le vaudra? peut-être le ciel. Mais le ciel lui-même n'est rien en comparaison de Paul; car s'il a préféré lui-même l'amour du Seigneur au ciel et à tout ce qu'il renferme, à plus forte raison le Seigneur, dont la bonté surpasse autant celle de Paul que la bonté même surpasse la malice, le préférait-il à tous les cieux. Le Seigneur, oui, le Seigneur nous aime bien plus que nous ne l'aimons, et son amour surpasse le nôtre plus qu'il n'est possible de l'exprimer.

Examinez de quelles faveurs il a gratifié ici. bas cet apôtre avant la résurrection future. Il l'a ravi jusqu'au troisième ciel, et lui a fait entendre des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter. Et cette faveur lui était due, puisqu'il marchait sur la terre et se conduisait en tout comme s'il eût conversé avec les anges; puisque, enchaîné à un corps mortel, il imitait leur pureté: puisque, sujet à mille besoins et à mille faiblesses, il était jaloux de ne pas se montrer inférieur aux puissances célestes. Il a parcouru toute la terre comme s'il eût eu des ailes; il était au-dessus des travaux et des périls, comme s'il n'eût pas eu de corps; il méprisait les choses de la terre comme s'il eût déjà joui du ciel; il était éveillé et attentif comme s'il eût habité au milieu de puissances incorporelles. Des nations diverses ont été confiées au soin des anges; mais aucun d'eux n'a dirigé la nation remise à sa garde comme Paul a dirigé toute la terre. Et ne me dites pas que ce n'est point Paul qui a été l'auteur et le principe de la conversion des peuples; je l'avoue moi. même. Mais si ce n'est pas lui dont la vertu a opéré la conversion du monde, il mérite toujours quelques éloges, puisqu'il s'est rendu digne d'en être le ministre et l'instrument. Michel a été chargé de la nation juive, Paul l'était de la terre et des mers, de tout le monde habité et inhabitable. Et ce n'est pas pour déprimer les anges que je parle ainsi, à Dieu ne plaise! mais pour montrer qu'il est possible à l'homme de s'approcher d'eux et d'habiter avec eux. Mais pourquoi le soin de la conversion du monde n'a-t-il pas été confié aux anges? c'est afin que, si vous vous endormez dans une molle indolence, vous n'ayez aucune excuse, vous ne puissiez pas recourir à la faiblesse de votre nature. D'ailleurs, la conversion du monde était un prodige plus étonnant dans un simple mortel: n'est-il pas admirable, en effet, et extraordinaire, que la parole sortie d'une bouche humaine eut le pouvoir de mettre en fuite la mort, d'effacer les péchés, de dissiper les ténèbres qui enveloppaient le monde, de faire de la terre le ciel? Voilà pourquoi je suis frappé de la puissance du Très-haut, en même temps que j'admire Paul d'avoir signalé un pareil zèle, de s'être rendu digne d'une pareille grâce.

Quant à vous, mes frères, je vous exhorte à ne (341) pas vous contenter d'admirer ce modèle de vertu, mais à l'imiter; car c'est ainsi que nous pourrons obtenir les mêmes couronnes. Si vous êtes surpris que je vous dise qu'en acquérant les mérites de Paul vous obtiendrez les mêmes récompenses, écoutez-le lui-même; il dit: J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; il ne me reste qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée, que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra en ce jour, et non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement. (2Tm 4,7 2Tm 4,8) Vous voyez comme il invite tous les hommes à mériter la même gloire. Puis donc que la même couronne nous est proposée à tous, efforçons-nous tous de nous rendre dignes des biens qui nous sont promis. Ne considérons pas seulement la grandeur et la sublimité des vertus de Paul, mais l'ardeur du zèle qui lui a attiré une telle grâce, quoiqu'il fût de même nature que nous, et qu'il participât à toutes nos faiblesses. C'est ainsi que ce qu'il y a de plus difficile et de plus pénible nous deviendra facile et léger, et, qu'après avoir combattu et souffert un peu de temps, nous porterons à jamais la couronne immortelle et incorruptible, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il!





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