Chrysostome Homélies 44000

HOMÉLIE SUR LE PARALYTIQUE DESCENDU PAR LE TOIT.


Qu'il est différent de celui dont parle saint Jean, et de l'égalité du Père et du Fils.



AVERTISSEMENT et ANALYSE.


Dans l'exorde de cette homélie, saint Chrysostome dit qu'il avait fait depuis peu un discours sur le paralytique de trente-huit ans; ce qui désigne, sans aucun doute, la douzième homélie contre les Anoméens (voyez tome II), dans laquelle il prouve, par la guérison miraculeuse de ce paralytique, que le Fils est égal au Père en puissance. Il fit, comme l'on croit, cette homélie en 398, étant déjà évêque de Constantinople; ainsi il faut rapporter vers le même temps l'homélie sur le paralytique descendu par le toit.


1. Nature des richesses spirituelles, elles ne s'épuisent jamais. L'histoire du paralytique nous apprend à supporter les épreuves de la vie. - 2. Dieu est toujours père et médecin soit qu'il use dg sévérité, soit qu'il use d'indulgence. Le secours de la grâce divine est nécessaire. - 3. L'orateur passe au second paralytique. Les Evangélistes ne se contredisent pas. - 4. Différences des deux paralytiques. - 5. Grande foi du paralytique. - 6. Le Christ démontre sa divinité. - 7. La rémission des péchés.
8. Exhortation à la patience dans les peines.



44001 1. Quand nous avons dernièrement parlé du paralytique qui gisait dans son lit auprès de la piscine, nous avons trouvé un grand et magnifique trésor, non en creusant la terre, mais en examinant les sentiments de ce malade; nous avons trouvé un trésor, non d'or, d'argent et de pierres précieuses, mais de force, de sagesse, de patience, d'espoir en Dieu: ce qui vaut mieux que l'or et la richesse. La richesse matérielle vous expose aux embûches des voleurs, à la langue des calomniateurs, aux attaques des brigands, aux crimes de vos propres esclaves, et si vous évitez tout cela, elle ne vous en causera pas moins les plus grands malheurs en attirant sur vous les regards de l'envie et vous suscitant mille tempêtes. La richesse spirituelle échappe à tous ces périls, nul accident ne peut l'atteindre dans la haute région où elle est placée, elle se rit des voleurs, des brigands, des envieux, des calomniateurs, et même de la mort. La mort ne la sépare pas de celui qui la possède; au contraire, c'est après la mort surtout qu'elle lui est assurée, qu'elle le suit, qu'elle habité avec lui dans la vie future, qu'elle plaide puissamment en sa faveur et lui rend le juge propice.

Nous avons trouvé ces richesses cachées en abondance dans l'âme du paralytique. Je vous en atteste, vous qui avez mis toute votre ardeur à creuser cette mine, sans l'épuiser toutefois. Car telle est la nature de la richesse spirituelle; elle est comme l'eau qui coule sans tarir, elle est plus abondante encore: car elle croît à mesure qu'augmente le nombre de ceux qui viennent puiser à ses sources. Elle entre dans l'âme de chacun et se communique sans se diviser ni s'amoindrir, elle se donne tout entière, et elle reste tout entière sans pouvoir être jamais épuisée, sans pouvoir jamais manquer: c'est ce qui est arrivé en cette circonstance. Vous vous êtes jetés en foule sur ce trésor, chacun de vous y a puisé largement selon ses forces; et que parlé-je de vous, c'est depuis Notre-Seigneur que des milliers et des milliers d'hommes s'y enrichissent, et néanmoins il (20) de traitement pour procurer au corps sa santé; et pour leur âme qui languit, ils n'éprouveront nul souci, ils ne feront rien pour recouvrer une santé si précieuse, quoiqu'ils sachent bien que le corps doit mourir et disparaître, qu'il est passager comme les fleurs du printemps, que comme elles il se fane, se flétrit, se corrompt; que l'âme au contraire est immortelle, qu'elle a été faite à l'image de Dieu, et que c'est elle qui a mission de gouverner ce corps animal. Ce qu'est le cocher au char, le pilote au navire, le musicien à l'instrument, le Créateur a voulu que l'âme le fût à ce corps de boue. C'est elle qui tient les rênes, qui dirige le gouvernail, qui touche les cordes, et lorsqu'elle s'acquitte bien de sa fonction, il en résulte comme un harmonieux concert de vertu; lorsqu'au contraire elle fait vibrer les cordes ou trop faiblement ou plus fort qu'il ne faut, art et harmonie, tout disparaît. Voilà cette âme que négligent la plupart des hommes, qu'ils ne jugent pas digne d'un moment d'attention, tandis que toute leur vie sera employée à s'occuper du corps; les uns embrassent la carrière maritime, ils vont combattre contre les flots et les tempêtes, portant partout avec eux la vie et la mort, confiant à un fragile bois à toutes les espérances de leur salut; d'autres se vouent au pénible soin de cultiver la terre, tantôt la remuant profondément avec la charrue, tantôt l'ensemençant puis moissonnant; tantôt plantant puis recueillant, et leur vie se passe tout entière dans ces accablants travaux. Celui-ci se livre au commerce aussi voyagera-t-il et sur terre et sur mer; à son pays il préférera les pays étrangers, il quittera patrie, famille, amis, parents, enfants même, pour aller chercher un peu d'argent sur une terre inhospitalière. Et pourquoi énumérer les professions nombreuses que les hommes n'ont inventées que pour les besoins de leur corps dans lesquelles ils s'emploient, et le jour et la nuit pour soigner ce qu'il y a en eux de moins noble, tandis que, pour leur âme, ils la laissent abandonnée à la faim, à la soif, à la misère la plus sordide et la plus repoussante, en proie à mille maux divers? Et après ces travaux, après toutes ces peines, ils n'y auront pas rendu supérieur à la mort leur corps mortel, mais ils auront précipité dans des supplices sans fin et le corps mortel et l'âme immortelle.

44002 2. Aussi, déplorant l'aveuglement qui s'est emparé de ces hommes, je voudrais, pour dissiper les ténèbres épaisses qui les entourent, m'élever en un lieu d'où j'apercevrais toutes les générations des hommes, je voudrais être doué d'une voix qui pénétrât jusqu'aux extrémités de la terre, d'une voix qui se fit entendre de tous, pour proclamer et faire retentir partout cette parole de David: Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? Pourquoi aimez-vous la vanité, recherchez-vous le mensonge (Ps 4,3), et préférez-vous aux choses célestes les choses qui passent? Jusques à quand aurez-vous les yeux fermés et les oreilles closes pour ne pas entendre cette voix qui vous crie chaque jour: Demandez et il vous sera donné; cherchez et vous trouverez; frappez et il vous sera ouvert; car quiconque demande reçoit; et qui cherche trouve, et à qui frappe il sera ouvert? (Mt 7,7-8) Mais comme il y en a qui mènent une vie imparfaite, se précipitent vers les choses du temps, se plaisent dans les pensées de la chair, ne savent pas prier convenablement, notre commun Maître a voulu enseigner la manière de prier, disant: Quand vous prierez, ne parlez pas beaucoup comme les païens; ils s'imaginent qu'à force de paroles ils seront exaucés. (Mt 6,7) Il veut empêcher cette abondance qui se répand en paroles et qui ne sert à rien.

Par ce flux d'inutiles paroles qu'il défend, le Seigneur nous donne à entendre que dans la prière il ne faut pas demander les choses passagères et périssables. Ne demandez donc pas la beauté du corps que le temps flétrit, que la maladie enlève, que la mort fait disparaître car telle est la beauté du corps. C'est une fleur éphémère, qui paraît dans le printemps de la jeunesse et qui bientôt se fane sous l'action du temps. Et si vous voulez voir ce qui la soutient, vous aurez bientôt appris à la mépriser C'est l'humeur, le sang, le suc de la nourriture que nous avons prise: voilà ce qui circule dans les yeux, les joues, le nez, le front, les lèvres, en un mot dans le corps tout entier, et sucette circulation disparaît, la beauté du visage disparaît aussi. Ne demandez pas l'abondance des richesses, des richesses qui, comme les eaux d'un fleuve, s'écoulent et s'enfuient, qui passent tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là, qui échappent à leurs possesseurs, qui ne peuvent rester à ceux qui les aiment, qui amènent avec elles des envieux, des (21) voleurs, des calomniateurs, toute sorte de maux, incendies, naufrages, attaques, séditions, infidélités même dans notre maison, vols de créances, faux en écritures, et tous ces accidents auxquels ceux qui aiment les richesses sont exposés par leur fortune même. Ne demandez pas les dignités: car elles aussi amènent mille maux, soucis redoutables, insomnies continuelles, piéges de la part des envieux, machinations perfides de la part des ennemis, sophismes des rhéteurs qui sous leurs beaux discours déguisent la vérité et la rendent presque insaisissable, grave péril pour les juges. Il en est dont les prières se répandent en paroles nombreuses et inutiles pour demander au Dieu tout-puissant ces choses et autres semblables, tandis qu'ils n'attachent aux biens réels aucun intérêt. Ce n'est,pas le malade qui apprend au médecin l'utilité de tel ou tel remède; il n'a qu'à se soumettre à ceux qu'on lui donne, quelque pénible que doive être le traitement. Ce ne sont pas les passagers qui disent au pilote comment il faut tenir le gouvernail et diriger le navire; mais, restant sur le pont, ils se fient à son expérience, non-seulement quand la navigation est heureuse, mais encore quand ils se voient exposés à des dangers extrêmes. C'est seulement lorsqu'ils ont affaire à Dieu, qui sait pourtant ce qu'il leur faut pour leur bonheur, que les hommes ont l'esprit assez mal fait pour ne pas s'en rapporter entièrement à lui; mais ils demandent comme utile ce qui leur serait nuisible, semblables à un malade qui prierait le médecin de lui donner non ce qui peut faire disparaître la maladie, mais ce qui en entretiendrait et en nourrirait la cause. Le médecin se garderait d'écouter la demande du malade, même quand il le verrait pleurer et gémir; il ne suivrait que sa science, et cette insensibilité, nous l'appellerions non cruauté, mais humanité; s'il obéissait au malade et lui fournissait ce qu'il demande, il agirait envers lui comme un ennemi: mais en lui résistant et combattant ses désirs, il ne montre pour bi que de la bienveillance et de la charité: de même le médecin de nos âmes ne saurait écouter des demandes qui tourneraient au détriment de ceux, qui les font. Les pères qui aiment leurs enfants ne leur fournissent, quand ils sont encore jeunes, ni épées ni charbons de feu; ils savent bien que. ce leur serait un funeste présent. Et il y en a cependant qui sont assez insensés pour demander à Dieu non-seulement la beauté corporelle, la richesse, la puissance, mais encore la malédiction et des châtiments terribles pour leurs ennemis, et ce Dieu dont ils recherchent la faveur et les bonnes grâces, ils appellent ses colères et ses sévérités sur leurs ennemis. Le Seigneur les blâmant par avance nous ordonne de ne pas parler longtemps dans nos prières; il nous enseigne ce qu'il y faut dire, et en peu de paroles il nous instruit de toutes les vertus: ces paroles ne nous apprennent pas seulement à bien prier, mais elles suffisent pour régler toute notre vie.

440033. Quelles sont-elles et quel en est le sens? voilà ce qu'il nous faut rechercher avec soin, pour les observer fidèlement comme des lois divines. Notre Père qui êtes aux cieux. (Mt 6,9) Quel excès de charité! Quelle sublime élévation! Par quelles paroles dignement remercier Celui qui nous a comblés de tant de biens! Considérez, mes chers auditeurs, la bassesse de notre commune nature, examinez notre origine et vous n'y trouverez rien que boue, que cendre, que poussière; formés de terre, nous retournerons en terre après notre mort. Puis, admirez l'insondable abîme de la bonté de Dieu qui veut que nous lui donnions le nom de Père, nous terrestres à lui qui habite le ciel, nous mortels à lui immortel, nous corruptibles à lui incorruptible, nous qui passons à lui qui demeure, nous qui ne faisons que de sortir de la boue à lui qui est Dieu de toute éternité. Toutefois, s'il vous permet de prononcer ce nom, il ne veut pas que ce soit en vain, mais bien afin que, respectant le nom de Père que lui donne votre bouche, vous imitiez sa bonté, comme il dit en un autre endroit: Devenez semblables à votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes; (Mt 5,45) Vous ne pouvez appeler votre Père, le Dieu de toute bonté, si vous gardez un coeur cruel et inhumain; car, dans ce cas, vous n'avez plus en vous la marque de bonté du Père céleste; mais vous êtes descendus au rang, des bêtes féroces, vous êtes déchus de votre noblesse divine, vous êtes dégénérés selon cette parole de David: L'homme n'a pas compris la gloire à laquelle il était élevé; il est devenu comparable aux animaux privés de raison, et il s'est fait semblable à eux. (Ps 49,21) Quoi! cet homme s'élance comme le taureau, frappe (22) du pied comme l'âne, garde rancune comme le chameau, s'emplit le ventre comme l'ours, dérobe comme le loup, pince comme le scorpion, est rusé comme le renard, hennit après les femmes comme le cheval après les cavales, et il pourrait faire entendre la parole des enfants et appeler Dieu du nom de Père! Mais comment faudrait-il l'appeler lui-même? Bête féroce? Mais de tous les vices que je viens d'énumérer les animaux n'en ont qu'un, et celui-ci les réunit tous et il a moins de raison que les animaux mêmes. Que dis-je, bête féroce? Mais il est pire que les animaux. Ceux-ci, quoique féroces par nature, peuvent, par le soin de l'homme, s'apprivoiser. Mais celui qui est homme, et qui change la férocité naturelle des animaux en une douceur qui ne leur est pas naturelle, quelle excuse aura-t-il donc, lui qui change la douceur qui lui est naturelle en une férocité qui ne lui est pas naturelle, lui qui peut rendre doux ce qui est cruel par nature et qui se rend cruel lorsque, par nature, il est doux, lui qui apprivoise le lion et le rend docile, et qui change son propre coeur en un coeur plus cruel que celui du lion! Il y a deux obstacles à vaincre chez le lion, puisqu'il est privé de raison et qu'il est le plus féroce des animaux; et pourtant la sagesse que Dieu nous a donnée dompte cette nature rebelle. Et celui qui triomphe de la nature des animaux va perdre l'avantage que la nature lui a donné! le lion, il le fait homme, et il lui est indifférent de faire de lui-même un lion! Au lion il donne ce qui est au-dessus de sa nature, et à lui-même il refuse ce qui est de sa nature! Comment donc pourrait-il appeler Dieu son Père? Un homme plein de bonté et de charité pour son prochain, un homme qui, loin de se venger des injures reçues, ne rend que le bien pour le mal, celui-là seul peut sans crainte appeler Dieu son Père. Voyez maintenant et saisissez toute la force de ces paroles: elles nous font une loi de nous aimer les uns les autres, elles nous resserrent tous dans le lien d'une charité mutuelle. Le Seigneur ne nous a pas commandé de dire, mon Père qui êtes aux cieux, mais bien notre Père qui êtes aux cieux, afin que, sachant que nous avons un Père commun, nous éprouvions les uns pour les autres un amour fraternel. Ensuite pour nous apprendre à nous détacher de la terre et des choses de la terre, à ne pas nous courber sans cesse vers elle, mais à saisir les ailes de la foi, à prendre notre essor, à traverser les airs, à passer au-delà des régions éthérées, à chercher celui que nous appelons notre Père, il nous a ordonné de dire: Notre Père qui êtes aux cieux, non que Dieu ne se trouve que dans les cieux, mais pour que nous qui sommes actuellement attachés à la terre, nous levions les yeux au ciel, et qu'admirant la beauté des biens qui nous y attendent, nous aspirions vers eux de tout notre coeur.

440044. Telle est la première parole; écoutez maintenant la seconde: Que votre nom soit sanctifié. Ce serait une folie de croire qu'il demande pour Dieu un accroissement de sainteté, par ces paroles: Que votre nom soit sanctifié, car il est saint, tout à fait saint, saint par excellence. Et les séraphins, dans des chants continuels, lui adressent cet hymne: Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées; le ciel et la terre sont remplis de sa gloire. Comme ceux qui, acclamant les monarques, les appellent rois et empereurs, n'ajoutent rien à leurs prérogatives, mais ne font que proclamer celles qu'ils possèdent; de même nous ne donnons pas à Dieu une sainteté qu'il n'aurait pas, lorsque nous lui disons: Que votre nom soit sanctifié; nous proclamons seulement celle qu'il a: car, l'expression qu'il soit sanctifié, se dit au lieu de: qu'il soit glorifié. Cette parole nous apprend à diriger notre vie dans le chemin de la vertu, afin qu'en nous voyant, les hommes glorifient notre Père céleste, selon ce qui est dit en un autre endroit de l'Evangile: Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres e¢ qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Mt 5,16) Puis Jésus-Christ nous enseigne à dire: que votre règne arrive. Tyrannisés par les concupiscences charnelles, assaillis de mille tentations, nous avons besoin du règne de Dieu, de peur que le péché ne règne dans ce corps mortel et ne le rende esclave des passions, de peur encore que nos membres ne deviennent des instruments d'iniquité pour le péché, mais afin qu'ils soient des instruments de justice aux mains de Dieu et que nous nous rangions dans l'armée du Roi des siècles. Cette parole nous apprend encore à ne pas trop nous attacher à cette vie mortelle, mais à fouler aux pieds les choses présentes, à désirer les choses futures comme étant seules stables, à rechercher le royaume du ciel et de l'éternité, à ne pas mettre notre (23) bonheur dans les choses qui peuvent nous plaire ici-bas, ni dans la beauté des corps, ni dans l'abondance des richesses, ni dans les grandes possessions, ni dans le luxe des pierreries, ni dans la magnificence des maisons, ni dans les dignités et les honneurs, ni dans la pourpre et le diadème, ni dans les festins, dans les mets exquis, dans les plaisirs quels qu'ils soient, mais à répudier avec mépris ces faux biens, pour tendre de tous nos efforts vers le seul règne de Dieu. Après nous avoir enseigné le détachement du monde, le Seigneur ajoute: Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel; il nous a inspiré l'amour des biens à venir, il nous les a fait désirer avec ardeur, et quand il a jeté cette flamme dans notre coeur, il dit: Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, comme s'il disait: O vous, notre Roi, accordez-nous de vivre comme ceux qui sont au ciel, afin que ce que vous voulez nous le voulions aussi. Secourez notre volonté qui faiblit, qui voudrait accomplir vos préceptes, mais qui en est empêchée par la fragilité du corps. Tendez-nous une main secourable, à nous qui voudrions courir et qui ne pouvons que nous traîner. Notre âme a des ailes, mais alourdies par la chair; elle s'élance vers le ciel, mais la chair la fait retomber lourdement sur la terre; avec votre secours tout lui deviendra possible, même ce qui est impossible. Que votre volonté donc soit faite sur la terre comme au ciel.

440055. Comme il vient de nommer la terre, et qu'à des créatures, sorties de la terre, vivant sur la terre, portant un corps formé de la terre, il faut un aliment conforme à leur nature, Jésus-Christ devait nécessairement ajouter: Donnez-nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance. Il veut que nous demandions le pain nécessaire à notre subsistance, non le superflu, mais le nécessaire, ce qui suffit à réparer les pertes que le corps subit sans cesse et à l'empêcher de mourir de faim, non des tables voluptueuses, non des mets variés, non des festins préparés avec une savante industrie, non des pâtisseries délicates, non des vins aux parfums de fleurs, et tous ces autres raffinements qui flattent le palais, mais qui accablent l'estomac, qui appesantissent l'esprit, qui font que le corps se révolte contre l'esprit, semblable à un cheval rebelle au frein comme à la voix de son cavalier. Ce n'est pas là ce que la parole de Dieu nous enseigne à demander, mais le pain nécessaire à notre subsistance, c'est-à-dire qui s'assimile au corps et le fortifie. Et ce pain, il ne nous ordonne pas de le demander pour un grand nombre d'années, mais seulement pour le jour présent. Ne soyez pas inquiets, nous dit-il, pour le lendemain. (Mt 6,34) Pourquoi vous inquiéteriez-vous du lendemain, vous qui ne verrez pas le lendemain, qui travaillerez sans recueillir les fruits de votre travail? Confiance en ce Dieu qui donne à toute chair sa nourriture! (Ps 135,25) Celui qui vous a donné votre corps, qui d'un souffle de sa bouche a créé votre âme, qui vous a doué de raison, qui, même avant votre création, vous avait préparé tant de biens, vous abandonnera-t-il après votre création, lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et sur les injustes? (Mt 5,45) Placez donc en lui votre confiance, ne lui demandez que la nourriture du jour présent, lui laissant le soin du lendemain, comme disait le bienheureux David: Abandonne au Seigneur le soin de ta personne et il te nourrira. (Ps 55,23)

Après nous avoir enseigné dans les paroles précédentes la plus sublime philosophie, sachant qu'il est impossible qu'étant hommes et revêtus d'un corps mortel nous ne tombions pas, il nous a appris à dire: Et pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Cette demande renferme trois préceptes salutaires: à ceux qui sont parvenus à un haut degré de vertu Jésus-Christ apprend qu'ils ne doivent pas cesser d'être humbles, ni se confier en ce qu'ils ont fait de bien, mais craindre et trembler et se souvenir de leurs iniquités passées, comme le faisait le grand Paul qui, après tant de bonnes oeuvres, disait: Jésus-Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier (1Tm 1,15): il ne dit pas j'étais, mais je suis, montrant par là que le souvenir du passé lui était sans cesse présent. A ceux donc qui sont arrivés à la perfection, Notre-Seigneur par ces paroles indique que l'humilité doit être leur sauvegarde. A ceux qui sont tombés après la grâce du saint baptême, loin de les laisser désespérer de leur salut, il apprend à demander au médecin des âmes le pardon qui les guérira. En outre il nous donne à tous une leçon de charité. Il veut que nous soyons indulgents pour les coupables, sans ressentiment contre ceux qui nous ont (24) offensés: si nous pardonnons, on nous pardonnera, et c'est nous qui fournissons la mesure du pardon qui nous sera accordé. Car nous demandons d'obtenir autant que nous aurons accordé, nous demandons une indulgence proportionnée à celle que nous aurons eue nous-mêmes. Après cela, Jésus-Christ nous ordonne de dire: Et ne nous induisez pas en tentation; mais délivrez-nous du mal. Il nous arrive bien des maux causés par les démons, bien des maux causés par les hommes, soit qu'ils nous tourmentent ouvertement, soit qu'ils nous tendent des piéges cachés. Le corps, s'il se soulève contre l'âme, nous cause un grave dommage; s'il tombe dans les innombrables maladies qui nous assiègent, il ne nous amène que douleurs et afflictions. Puis donc que de toutes parts nous sommes exposés à des maux si nombreux et si divers, Notre-Seigneur nous apprend à demander au Dieu tout-puissant d'en être délivrés. Car devant celui qu'il protège, la tempête s'apaise, les flots redeviennent tranquilles, le démon s'enfuit confus, comme autrefois quand, se retirant des hommes, il entra dans le corps des pourceaux; ce que même il n'osa pas faire sans permission. S'il n'a pas même de pouvoir sur des pourceaux, en aura-t-il sur des hommes vigilants et humbles, gardés par le Dieu qu'ils adorent comme leur maître et leur roi? Aussi à la fin de cette prière nous montre-t-il qu'à Dieu appartiennent la royauté, la puissance et la gloire, en disant: A vous sont la royauté, la puissance et la gloire pour toute l'éternité (1): Ainsi soit-il. Comme s'il disait: je vous demande tout cela parce que je vous reconnais comme le Maître universel de toutes choses, comme ayant une puissance qui ne finira jamais, pouvant tout ce que vous voulez, possédant une gloire qu'on ne peut vous ravir. Pour tous ces motifs, rendons grâces à Celui qui a daigné nous accorder tant de biens, et proclamons qu'à Lui convient toute gloire, tout honneur et toute puissance; à Lui, dis-je, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



1 Cette conclusion de l'oraison dominicale se trouve dans les bibles grecques, mais non dans la Vulgate.




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HOMÉLIE SUR LA NÉCESSITÉ DE RÉGLER SA VIE SELON DIEU.

SUR LE TEXTE: LA PORTE EST ÉTROITE (Mt 7,14).

Explication de l'Oraison Dominicale.




AVERTISSEMENT et ANALYSE.


1. et 2. Dans cette homélie, l'orateur, après avoir montré combien les fidèles doivent être attentifs aux oracles de l'Evangile; après avoir fait voir, en citant ces passages: La porte de la vie est étroite... La porte de la perdition est large..., combien peu de chrétiens sont occupés de leur âme et des objets célestes, combien au contraire sont livrés aux soins du corps et aux objets terrestres; l'orateur, dis-je, après ces réflexions préliminaires, passe à la prière, comme au sujet qu'il veut traiter. Il reproche à la plupart des hommes de demander à Dieu des biens fragiles et périssables, la beauté, les richesses, les honneurs, et de ne pas s'en rapporter à lui pour les biens qui leur sont vraiment utiles; il s'élève contre ces rimes vindicatives qui prétendent intéresser dans leur vengeance, le Ciel même qui condamne la vengeance. - 3. 4. et 5. Jésus-Christ nous apprend comment nous devons prier. Un éloge de l'Oraison Dominicale est suivi de l'explication de cette excellente prière, dont tous les articles sont expliqués et enchaînés avec beaucoup d'art et de naturel.

On ne peut pas fixer la date de cette homélie. Quelques savants doutent qu'elle soit de saint Jean Chrysostome. L'éditeur bénédictin pense le contraire; il juge avec raison qu'elle est vraiment digne de cet orateur, soit pour le fond des choses, soit pour la beauté du style.



450011. La lecture de l'Écriture sainte est toujours pour ceux qui la font avec attention une leçon de vertu; mais les Evangiles surtout renferment, dans leur texte vénéré, la doctrine la plus sublime; les paroles qu'ils contiennent sont les oracles mêmes du grand Roi. Aussi menace-t-il d'un châtiment terrible ceux qui ne mettent pas tous leurs soins à garder ses commandements. Si, pour enfreindre les ordres d'un prince de la terre, on encourt une punition inévitable, combien plus des tourments intolérables accableront-ils celui qui aura violé les ordres du Maître des cieux! Puis donc que la négligence nous expose à de tels dangers, appliquons-nous avec plus de soin que jamais à comprendre les paroles qui viennent d'être lues, paroles tirées de l'Évangile. Or, quelles sont-elles? Combien est étroite la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie, et qu'il en est peu qui la trouvent! et encore Large est la porte et spacieuse la voie qui mène à la perdition, et nombreux sont ceux qui la suivent. (Mt 7,14) Pour moi qui entends fréquemment ces paroles et qui vois combien les hommes s'empressent à des soins inutiles, la vérité de ces sentences me jette dans la stupéfaction. Tous marchent dans la voie spacieuse, tous courent après les choses présentes sans s'occuper le moins du monde des choses futures; ils se plongent sans cesse dans les jouissances de la chair et pour leurs âmes ils les laissent s'abîmer dans la fange; ils reçoivent chaque jour mille blessures et n'ont même pas le sentiment des maux qui les dévorent: leur corps est-il blessé, ils font en toute hâte chercher le médecin, l'appellent chez eux, lui donnent un salaire aussi grand qu'ils le peuvent, supportent tout avec patience, se soumettent à un difficile (26) meure dans son intégrité. Ne nous lassons donc pas de puiser à cette source intarissable de richesses spirituelles; venons encore aujourd'hui y remplir nos âmes; contemplons la charité du Maître et la patience de l'esclave. Affligé depuis trente-huit ans d'une maladie incurable, tourmenté continuellement, il ne se plaignit pas, il ne fit pas entendre une parole répréhensible, il n'accusa pas Celui qui l'avait ainsi traité, mais il supporta ce malheur avec courage et patience. - Et comment le savez-vous? me dira-t-on; la sainte Ecriture ne nous a rien appris de sa vie antérieure; elle nous a dit seulement que sa maladie durait depuis trente-huit ans; mais qu'il n'y ait eu chez lui ni plainte, ni emportement, ni colère, elle ne l'a pas ajouté. - C'est cependant ce qu'elle vous montrera avec évidence, si vous voulez lire avec une attention sérieuse et non superficielle et momentanée. En le voyant en présence du Christ qui vient le trouver, qui ne lui est pas connu, qu'il ne croit encore être qu'un homme, en le voyant, dis-je, si réservé dans son langage, n'en pouvez-vous pas conclure quelle a été sa conduite antérieure? Car, à cette question: Voulez-vous être guéri? il ne répond pas comme on aurait pu s'y attendre Vous me voyez gisant ici paralytique depuis tant d'années; et vous Me demandez si je veux être guéri? Vous êtes donc venu insulter à mes souffrances, vous en moquer et mire de mon malheur? Il ne dit rien de semblable; mais avec une parfaite tranquillité d'âme: Oui, Seigneur, répond-il. Mais si après trente-huit ans il était si calme, si paisible, alors- que toute force d'âme devait être brisée chez lui, figurez-vous quelle devait être sa patience au commencement de sa maladie. Car, tout le monde sait que les malades ne sont pas aussi moroses au début de leurs maladies que lorsqu'il y a déjà longtemps qu'ils souffrent: ils deviennent très-difficiles, lorsque leur maladie traîne en longueur; ils deviennent parfois insupportables. Celui-ci donc qui après tant d'années se montre si calme et répond avec tant de patience, a dû évidemment supporter antérieurement avec reconnaissance ce mal qui lui était envoyé de Dieu.

Stimulés par cet exemple, imitons la patience de notre frère; sa paralysie sera pour nos âmes un principe de force; quel homme sera si indolent, si lâche, qu'à la vue de ce malheur, il ne se sente disposé à supporter avec courage même les choses les plus intolérables? Ce n'est pas son état de santé, c'est sa maladie qui nous est d'une grande utilité; car sa guérison a fait, il est vrai, louer le Seigneur par ceux qui l'ont entendu raconter; mais sa maladie et son infirmité nous sont une leçon de patience, nous provoquent à l'imiter et nous fournissent une nouvelle preuve de la charité de Dieu pour nous. Lui avoir envoyé une maladie et si grave et si longue, c'est déjà une preuve d'amour. L'orfèvre jette l'or dans le creuset et l'y laisse éprouver par le feu, jusqu'à ce qu'il soit devenu plus pur: de même pour les âmes des hommes, Dieu les laisse éprouver par le malheur, jusqu'à ce qu'elles soient devenues pures et brillantes, jusqu'à ce qu'elles aient retiré de cet état de grands avantages: ainsi cette infirmité était un premier bienfait de Dieu.

450022. Donc pas de trouble, pas de désespoir quand il nous arrive des épreuves. Si l'orfèvre sait après combien de temps il faut retirer du feu l'or qu'il y a mis et ne le laisse pas brûler et se consumer, Dieu le sait bien mieux encore, et quand il nous verra devenus plus purs, il saura bien faire disparaître les épreuves, de peur qu'accablés par des maux trop nombreux nous ne chancelions et ne tombions. Pas de découragement, pas de défaillance, si nous sommes surpris par quelque malheur; mais laissons Dieu qui s'y entend, laissons-le, dis-je, purifier notre âme; il n'agit que dans l'intérêt et pour le plus grand avantage de ceux qu'il éprouve. Aussi un auteur sage nous adresse-t-il cet avis: Mon fils, lorsque vous entrerez au service du Seigneur, préparez votre âme à l'épreuve; que votre coeur soit plein de droiture et de force, et ne vous hâtez pas dans le temps de la tentation. (Qo 2,1-2)

Laissez-le, nous veut-il dire, entièrement maître; il sait bien le moment où il faudra nous retirer de ces maux qui sont comme la fournaise où nous sommes purifiés. Il faut le laisser faire partout, lui rendre grâces de tout, témoigner notre reconnaissance pour tout, soit qu'il nous comble de biens, soit même qu'il nous frappe: car c'est là aussi un bienfait. Le médecin n'est pas médecin seulement quand il fait prendre des bains, ordonne une nourriture substantielle et veut que le malade se promène dans des jardins fleuris, mais aussi quand il brûle et qu'il coupe; le père n'est pas (27) père seulement quand il caresse son fils, mais aussi quand il le chasse de la maison, qu'il le réprimande, qu'il le châtie; il n'est pas moins père alors que quand il récompense. Aussi sachant que Dieu nous aime mieux que tous les médecins, ne vous inquiétez pas, ne lui demandez pas compte des moyens qu'il emploie; mais qu'il veuille user d'indulgence ou de sévérité, abandonnons-nous à lui; par l'un comme par l'autre de ces moyens, c'est toujours pour nous sauver, pour nous unir à lui qu'il agit; il sait ce dont chacun a le soin, ce qui est utile à chacun, comment et de quelle manière chacun se sauvera et c'est dans cette route qu'il nous conduit. Marchons donc où il veut nous mener, marchons sans hésitation, que la route soit douce et facile ou bien rude et âpre, tout comme a fait ce paralytique. Le premier bienfait que Dieu lui accorda, ce fut de purifier par une si longue maladie son âme qu'il jetait en quelque sorte dans un creuset où le feu des tentations devait la dépouiller de toute souillure. Un second, non moindre que celui-là, ce fut de lui être présent dans ses épreuves et de lui procurer de vives consolations. C'est lui qui le soutenait et le dirigeait, qui lui tendait une main secourable sans jamais le laisser tomber. Et en entendant dire que Dieu lui venait ainsi en aide, n'allez pas retirer votre admiration ni à ce paralytique ni à tout autre qui dans l'épreuve montre de la force. Car fussions-nous mille fois parfaits, fussions-nous plus forts et plus puissants que tous les hommes, si le bras de Dieu nous abandonne, nous ne pourrons plus résister à la première tentation venue. Et que parlé je de nous, faibles et pauvres? Quand ce serait un autre Pierre, un autre Paul, un autre Jacques, un autre Jean, si Dieu ne vient à son secours, il est facile de l'attaquer, de l'ébranler, de le terrasser. Et à ce propos, je vous rappellerai une parole du Christ; il dit à Pierre: Voici que Satan a demandé de vous cribler comme le froment; et j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point. (Lc 22,31-32)

Qu'est-ce à dire, vous cribler? C'est vous entraîner, vous agiter, vous précipiter, vous tourmenter, vous frapper, vous torturer, comme ce qui passe au crible; mais, ajoute-t-il, je l'ai empêché: je savais que vous n'auriez pu supporter cette épreuve. Car dire pour que ta foi ne défaille point, c'est montrer que, s'il l'avait permis, sa foi aurait défailli. Mais si Pierre qui a tant aimé le Christ, qui a exposé mille fois sa vie pour lui, qui était toujours plus ardent que les autres apôtres, qui a été appelé bienheureux par le Maître et surnommé Pierre, parce qu'il avait une foi inébranlable et invincible, eût succombé et renié la foi, en supposant que le Christ eût permis au démon de le tenter autant qu'il le voulait, quel autre pourra résister sans le secours du ciel? Aussi saint Paul dit: Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces; mais il vous fera tirer profit de la tentation même afin que vous puissiez persévérer. (1Co 10,13) Non-seulement il ne permettra pas, dit-il, que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, mais même quand la tentation est proportionnée à nos forces, il est près de nous, nous soutenant, combattant avec nous, pourvu que nous apportions à la lutte ce qui dépend de nous, comme le zèle, l'espérance en lui, la reconnaissance, la force, la patience. Car ce n'est pas seulement dans les périls qui excèdent nos forces, mais encore dans celles qui ne les dépassent pas que nous avons besoin du secours d'en-haut, si nous voulons résister avec courage. Ailleurs le même apôtre dit: Comme les souffrances du Christ abondent en nous, c'est aussi par le Christ que notre consolation abonde, afin que nous puissions nous-mêmes, par l'encouragement que Dieu nous donne, consoler aussi ceux qui sont sous le poids de toute sorte de maux. (2Co 4,5) En sorte que celui qui a consolé le paralytique, c'est celui-là même qui avait permis qu'il fût éprouvé. Mais voyez, après la guérison, quelle sollicitude il lui montre. Il ne le renvoie pas pour ne plus s'en occuper, mais le rencontrant dans le temple il lui dit: Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus de peur qu'il ne vous arrive encore pis. (Jn 5,14) Si c'eût été par haine qu'il eût permis la tentation, il ne l'aurait pas délivré, il ne l'aurait pas prémuni pour l'avenir; car lui dire de peur qu'il ne vous arrive encore pis, c'est vouloir prévenir les maux futurs. Il a mis fin à la maladie, mais non au combat; il a chassé l'infirmité, mais non banni la crainte, afin que le bienfait ne fût pas oublié. Il est. d'un médecin soigneux de ne pas seulement guérir les maux présents, mais de prémunir coutre les maux à venir; c'est ce que fait le Christ, en fortifiant l'âme du paralytique par le souvenir du passé. Car, comme d'ordinaire nos maux (28) disparaissent de notre mémoire presque aussitôt qu'ils nous ont quittés, c'est pour perpétuer ce souvenir, que le Christ dit: Ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive encore pis.

450033. La sollicitude et la douceur du Seigneur ne se montrent pas moins dans l'espèce de reproche qu'il adresse au paralytique, que dans la précaution qu'il prend de l'avertir. Car il ne divulgue pas ses péchés, il lui dit seulement que ce qu'il souffre, il le souffre à cause de ses péchés; quels sont ces péchés, il ne l'a pas dit; il n'a pas dit: tu as commis telle et telle faute, telle et telle iniquité, mais après l'avoir indiqué par ce simple mot: Ne péchez plus, et lui avoir dit une parole dont le souvenir le rendrait plus circonspect, il nous montre sa patience, son courage, sa vertu, en le mettant dans la nécessité de dévoiler tout son malheur et de parler de sa constance: car, dit-il, tandis que je viens, un autre descend avant moi; mais quant à ses péchés, Jésus-Christ ne les découvre pas. Si nous voulons cacher nos iniquités, Dieu le désire bien plus encore que nous la guérison, c'est en public qu'il l'opère; l'exhortation et le conseil, c'est en particulier qu'il les donne; jamais il ne découvre nos fautes, à moins que quelquefois il ne nous y voie insensibles. Car lorsqu'il dit: Vous avez vu que j'avais faim et vous ne m'avez point donné à manger, que j'avais soif et vous ne m'avez point donné à boire (Mt 25,42), il le dit dans le temps présent pour que nous n'ayons pas à l'entendre dans le temps futur. Il menace, il démasque aujourd'hui afin de n'avoir rien à dévoiler au jugement, comme il a menacé de ruine la ville de Ninive précisément afin de prévenir cette ruine. S'il voulait publier nos péchés, il n'aurait pas annoncé qu'il les publierait; mais s'il l'annonce, c'est pour que la crainte de la manifestation, sinon celle de la punition, nous ramenant à de sages sentiments, nous les effacions tous. C'est ce qui arrive au baptême; il admet l'homme à ce bain salutaire sans faire connaître ses iniquités à personne, il ne rend public que le pardon, et quant aux péchés, personne ne les connaît que lui et celui à qui ils sont remis. C'est ce qui est arrivé en cette circonstance: il blâme le paralytique quand il n'y a pas de témoin; ou plutôt ce n'est pas un blâme, c'est presque une apologie pour lui donner la raison de cette longue affliction, lui dire et lui montrer que ce n'est pas en vain qu'il a voulu le faire si longtemps souffrir, il le fait souvenir de ses fautes et lui dit la cause de sa maladie: L'ayant trouvé dans le temple, dit l'Evangéliste, Jésus lui dit: Ne péchez plus de peur qu'il ne vous arrive encore pis.

Puisque nous avons retiré tant de profit de l'histoire de ce premier paralytique, allons nous instruire auprès de l'autre, celui dont parle saint Matthieu. (Mt 9) Car, dans les mines, c'est aux endroits où l'on a déjà trouvé de l'or qu'on va plutôt fouiller de nouveau. Je sais que plusieurs de ceux qui lisent sans beaucoup réfléchir, pensent qu'il ne s'agit dans les quatre évangélistes que d'un seul et même paralytique, mais cela n'est pas. Renouvelez ici votre attention. Ce n'est pas ici une recherche inutile; une solution convenable nous sera une arme de plus contre les Gentils, contre les Juifs et contre la plupart des hérétiques. Car tous reprochent aux évangélistes de n'être pas d'accord entre eux. Mais grâce à Dieu, ce reproche est entièrement faux; si les auteurs sont différents, la grâce du Saint-Esprit est une, cette grâce qui a dirigé les évangélistes: or là où est la grâce du Saint-Esprit, là est l'amour, la charité, la paix, et non la guerre, la discorde, la lutte et le combat. Comment montrerons-nous que ce n'est pas du même paralytique qu'il s'agit? Par bien des arguments tirés du lieu, du temps, des circonstances, du jour, enfin de la manière dont la guérison s'est opérée, dont le médecin est arrivé, dont le malade gisait abandonné. - A quoi bon cette démonstration, me dira-t-on? N'y a-t-il pas beaucoup de miracles qui sont rapportés différemment par les divers évangélistes? - Sans doute, mais autre chose est de parler d'une manière différente, autre chose de parler d'une manière contradictoire; des différences ne sont pas des démentis: au contraire, dans ce que nous examinons, il n'y a que contradictions, si l'on n'admet pas que le paralytique de saint Matthieu n'est pas celui dont ont parlé les trois autres évangélistes. Et afin que vous compreniez mieux que parler d'une manière différente n'est pas parler d'une manière contraire, citons des exemples. Un évangéliste dit que Jésus porta sa croix, un autre que ce fut Simon le Cyrénéen, et il n'y a pas la de désaccord, pas d'opposition. - Mais ne sont-ce pas deux choses évidemment contraires que porter et ne pas porter? - Non; l'une a eu lieu aussi bien que l'autre. Quand on sortit du (29) prétoire, Jésus portait sa croix; plus loin, Simon la lui prit et la porta. De même pour les larrons, celui-ci dit que tous deux blasphémèrent contre Jésus, celui-là que l'un blâma les injures que vomissait l'autre. Et cependant il n'y a là rien de contradictoire. Pourquoi? Parce que ces deux choses eurent lieu: au commencement tous deux insultaient Jésus; mais quand il s'opéra de grandes merveilles, que la terre trembla, que les rochers se fendirent, que le soleil s'obscurcit, l'un des larrons se convertit, il devint meilleur, reconnut le Crucifié et confessa qu'il était Roi. Et afin de ne pas nous laisser croire que c'est par une nécessité, par une force intérieure qu'il agit ainsi, afin de ne pas laisser place au doute, l'Evangile nous le montre conservant jusque sur la croix sa méchanceté première, pour nous faire reconnaître que c'est de lui-même et de son propre mouvement qu'il change et que c'est la grâce de Dieu qui le rend meilleur.

450044. Il y a, dans les évangiles, bien de ces passages qui paraissent opposés sans l'être en effet; les faits rapportés par l'un se sont passés aussi bien que ceux qui sont racontés par l'autre; seulement ils ne parlent pas du même moment: l'un dit ce qui a eu lieu d'abord, l'autre ce qui a eu lieu ensuite. Mais ici rien de semblable, et le grand nombre de circonstances rapportées ne permet pas même après l'examen le plus superficiel de douter que ces deux paralytiques ne soient différents. Ce serait un rude travail que de montrer, dans l'hypothèse opposée, l'accord complet des évangélistes entre eux; s'il n'y a qu'un malade, tout est contradictoire: si vous en admettez deux, tout se concilie facilement.

Exposons donc les motifs qui nous font dire qu'il y a deux paralytiques différents. Quels sont-ils? C'est à Jérusalem que l'un est guéri, l'autre à Capharnaüm: l'un près de la piscine, l'autre dans une petite maison, voilà pour le lieu; le premier en un jour de fête, voilà le moment précisé; l'un était malade depuis trente-huit ans, de l'autre il n'est rien dit de semblable, voilà pour le temps; l'un en un jour de sabbat, voilà pour le jour; et si le second avait été guéri un jour de sabbat, saint Matthieu n'aurait pas manqué de le dire, ni les Juifs présents d'en faire la remarque: car si déjà ils s'indignèrent d'une guérison qui cependant n'avait pas été faite un jour de sabbat, que n'eussent-ils pas dit s'ils avaient pu saisir ce prétexte pour accuser Notre-Seigneur? Le dernier est apporté à Jésus-Christ, le premier c'est Jésus-Christ qui va le trouver, et il n'avait personne pour le secourir: Seigneur, dit-il, je n'ai personne (
Jn 5,7), tandis que le second avait beaucoup de parents qui le descendirent même par le toit. Pour le premier, Jésus-Christ guérit son corps avant son âme car c'est après l'avoir délivré de sa paralysie qu'il lui dit: Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus. Pour le second, il n'en est pas de même: il guérit d'abord son âme, car il lui dit: Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis (Mt 9,2), et ensuite il le délivre de sa paralysie.

Maintenant que nous voyons avec évidence qu'il y en a deux, il nous reste à reprendre la narration tout entière, à voir comment s'est opérée la guérison de l'un, comment celle de l'autre, pourquoi toutes deux d'une manière différente, l'une le jour du sabbat, l'autre un autre jour, pourquoi Jésus vient vers l'un, tandis qu'il se laisse apporter l'autre, pourquoi dans un cas c'est le corps, dans l'autre l'âme qu'il guérit d'abord. Ce n'est pas sans motif qu'il agit ainsi, lui qui sait et prévoit tout. Attention donc et voyons d'abord quel est le médecin! Si, lorsque les médecins doivent se servir du fer ou du feu pour quelque opération difficile, lorsqu'ils ont à pratiquer une incision ou une amputation sur un membre blessé ou infirme, si, dis-je, en pareil cas l'on s'empresse avec un intérêt curieux autour de l'opérateur et du patient, combien plus devons-nous le faire ici, puisque le médecin est plus grand, le mal plus grave, et que ce n'est pas l'art des hommes, mais la grâce de Dieu qui opère la guérison? Là vous voyez la peau coupée, le pus qui coule, la pourriture qui sort; quelle répulsion n'inspire pas un tel spectacle! quelle peine et quelle douleur cause non seulement la vue des blessures, mais la vue des souffrances des personnes ainsi traitées! (Car qui serait assez insensible pour qu'en présence de pareils maux et au milieu de tant de gémissements, il ne fût pas ému, n'éprouvât pas de compassion et ne sentît pas son âme attristée?) et cependant la curiosité nous fait supporter ce spectacle: ni rien de semblable; on ne voit ni fer, ni feu, ni sang qui coule, ni malade qui souffre et gémisse; la seule chose qu'il y ait, c'est là sagesse du médecin qui n'a pas besoin de ces secours extérieurs et qui se (30) suffit à elle-même. Elle se contente de commander et tout danger disparaît.

Et si vous trouvez admirable que la guérison s'opère avec tant de facilité, il est plus étonnant encore qu'elle se fasse sans douleur, sans que les malades éprouvent aucune souffrance. Puis donc que le miracle est plus grand, la guérison plus entière et le plaisir des spectateurs exempt de toute tristesse, examinons de près, nous aussi, le Christ opérant cette guérison: Jésus étant monté dans une barque, traversa la mer et vint dans sa ville. Et voilà que des gens lui présentaient un paralytique gisant sur un lit, et Jésus voyant leur foi, dit à ce paralytique: Mon fils ayez confiance, vos péchés vous sont remis. (Mt 9,1-2) Leur foi le cède à celle du centurion, mais l'emporte sur celle du paralytique de la piscine. Le centurion n'attira pas le médecin chez lui, il ne lui amena pas non comme le malade, mais s'adressant à lui comme à Dieu, il lui dit: Prononcez seulement une parole et mon serviteur sera guéri. (Lc 7,75) Les gens du paralytique de Capharnaüm n'attirèrent pas non plus le médecin chez eux, et en cela ils sont égaux au centurion; mais ils amenèrent le malade au médecin, et en cela ils lui furent inférieurs, parce qu'ils ne dirent point: Prononcez seulement une parole. Toutefois ils l'emportent encore sur le paralytique de Jérusalem; celui-ci dit en effet: Seigneur, je n'ai personne qui, lorsque l'eau est agitée, me jette dans la piscine. (Jn 5,7) Quant aux premiers, ils savaient que le Christ n'a nullement besoin d'eau, de piscine ou d'autre chose semblable. Et cependant le Christ rendit la santé non-seulement au serviteur du centurion, mais encore aux deux derniers, et il ne leur dit point Quoique vous ayez montré moins de foi, vous n'en serez pas moins guéris; seulement, il comble celui qui en a montré plus de louanges et de félicitations en disant: Je n'ai point trouvé en Israël même une telle foi. (Lc 7,9) Pour celui qui en montra moins, il se contenta de ne pas le louer, et ne refusa pas de le guérir, ni lui ni même celui qui ne montra aucune foi. Mais de même que les médecins, pour avoir guéri la même maladie, reçoivent des uns cent pièces d'or, des autres cinquante, de ceux-ci moins encore, de ceux-là rien; de même le divin médecin reçut, pour ses honoraires, du centurion une foi grande et qu'on ne peut trop louer, du paralytique de Capharnaüm une foi moindre, de l'autre malade nulle foi, et ils n'en furent pas moins guéris tous trois. Pourquoi Jésus accorda-t-il ce bienfait à celui qui n'avait rien donné? Parce que ce n'est point la négligence, ni l'indifférence, mais l'ignorance où il était à l'égard du Christ dont il n'avait entendu raconter aucune action ni grande, ni petite, qui lui fit montrer si peu de foi. Voilà pourquoi il n'en reçut pas moins un grand bienfait. C'est ce que l'Evangéliste nous indique par ces mots: Il ne savait pas qui il était (Jn 5,13), il ne le reconnut à la vue seule, que, quand il le rencontra pour la seconde fois.

450055. Quelques-uns disent qu'il fut guéri, bien que ceux qui l'apportèrent eussent seuls la foi, mais il n'en est pas ainsi: Voyant leur foi, dit l'Evangile, tant de ceux qui l'apportèrent que de celui qui fut apporté. - Mais la foi de l'un ne peut-elle pas obtenir la guérison de l'autre, me direz-vous? - Je ne le crois pas, à moins qu'un âge très-avancé ou une faiblesse extrême n'empêche de croire. - Comment donc, dans l'histoire de la Chananéenne, voyons-nous la mère qui croit et la fille qui est guérie, et dans celle du centurion le serviteur privé de la foi, guéri et sauvé par la foi de son Maître? - Parce que les malades ne pouvaient avoir la foi. Ecoutez les paroles de la Chananéenne: Ma fille est cruellement tourmentée par le démon, tantôt elle tombe dans le feu, tantôt dans l'eau. (Mt 15,22) Comment une fille qui était sous l'empire des ténèbres et du démon, qui ne s'appartenait pas, qui n'avait pas même la santé du corps, comment, dis-je, aurait-elle pu avoir la foi?

Ce qui était arrivé à la Chananéenne arriva au centurion: son serviteur était couché dans sa maison; ne connaissant pas le Christ, ne sachant pas qui il était, comment aurait-il pu croire à celui qu'il ne connaissait pas, de l'existence duquel il n'avait jamais eu le moindre soupçon? Mais ici on ne peut pas dire la même chose, car le paralytique crut. - Et qu'est-ce qui le prouve? - Ce fait seul, qu'il fut amené à Jésus. Ne vous contentez pas de savoir qu'il fut descendu par le toit; mais pensez au sacrifice d'un malade qui consent à cela. Car vous savez combien les malades sont difficiles et chagrins, jusqu'à refuser les soins qu'on leur donne même sur leurs lits, jusqu'à préférer endurer toujours les douleurs de la maladie plutôt que de supporter les douleurs d'un (31) moment que les remèdes entraînent après eux. Mais pour ce paralytique, il consentit à sortir de sa maison, à se laisser porter en public, à se montrer à une foule de spectateurs. On voit des malades qui aiment mieux mourir que de découvrir leurs maux. Il n'en est pas ainsi de ce malade; il voit la foule rassemblée, les entrées inabordables; eh bien! il se laissera descendre par le toit. Tant l'amour est habile, tant la charité est féconde en expédients! Celui qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Il ne dit pas à ses proches: Qu'est-ce donc? Pourquoi cette agitation, cet empressement? Attendons que la maison soit vide, que la foule se soit écoulée. Rassemblés maintenant, ces hommes se disperseront tout à l'heure, nous pourrons voir en secret le prophète et le consulter sur cette maladie. Faut-il aux yeux de tous étaler mon malheur, me descendre par le toit malgré les souffrances que cela me causera? Il ne fait aucune de ces réflexions, ni en lui-même, ni à ceux qui le portent, mais il regarde comme une gloire d'avoir tant de témoins de sa guérison. Et si cela nous montre sa foi, les paroles du Christ nous la montreront aussi. Quand il fut descendu du toit et introduit dans la maison, le Christ lui dit: Confiance, mon fils; vos péchés vous sont remis. En entendant ces mots, il ne se fâche point, ne s'irrite point, ne dit pas à son médecin: Que me dites-vous? Ne venais-je pas chercher une autre guérison que celle que vous m'offrez? Mensonge que tout cela, dissimulation! ce n'est qu'un prétexte pour déguiser votre impuissance. Vous remettez les péchés, parce que c'est chose qu'on ne voit pas. Sans rien dire, sans rien penser de tout cela, il reste, permettant ainsi à son médecin de le guérir par le moyen qu'il voudrait employer. Et si le Christ ne l'alla pas trouver, mais le laissa venir à lui, c'était encore afin de montrer son courage et l'ardeur de sa foi. De même qu'il alla trouver celui qui était paralytique depuis trente-huit ans, parce qu'il n'avait personne pour le secourir, de même il attendit que le paralytique de Capharnaüm, parce qu'il avait beaucoup de parents, vînt le trouver, voulant, par cette conduite différente, manifester la foi de celui qui fut apporté et l'abandon de celui qu'il alla trouver, le courage de l'un et la patience de l'autre, et il en agit ainsi surtout pour les spectateurs. Car les Juifs ne voyaient qu'avec peine et jalousie les bienfaits que recevait leur prochain, et ils blâmaient ces miracles tantôt à cause du jour de sabbat où ils étaient opérés, tantôt à cause de la vie des personnes qui en étaient l'objet. Si celui-ci était prophète, il saurait bien quelle est la femme qui le touche (Lc 7,39); ils parlaient ainsi, ne sachant pas que c'est le devoir du médecin de rechercher les malades et de les approcher, sans jamais les fuir ni les abandonner. C'est le reproche que Jésus leur adresse: Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins, mais les malades. (Mt 9,12) Pour leur ôter tout prétexte, il commence par montrer combien sont dignes de guérison ceux qui viennent le trouver, à cause de la foi qu'ils manifestent. C'est par ce motif qu'il fait voir de l'un la résignation, de l'autre la foi bouillante et l'ardeur; c'est pour cela encore qu'il guérit l'un un jour de sabbat, l'autre un autre jour, afin que voyant les Juifs accuser et blâmer le Christ sans avoir ce prétexte du sabbat, nous apprenions que ce n'était pas le zèle pour la loi qui les faisait parler, mais l'excès de leur haine. Mais pourquoi, sans commencer par guérir le paralytique, lui dit-il: Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis? Admirez sa sagesse. Les médecins ne commencent pas par traiter la maladie elle-même, mais par en enlever la cause. Si par exemple les yeux sont remplis d'humeur et de pus, le médecin, laissant là la pupille, s'occupe de la tête où est l'origine, la source du mal; le Christ en agit de même et enlève d'abord la racine du mal. L'origine, la raison, la source du mal, c'est le péché. C'est le péché qui paralyse les corps, c'est le péché qui amène les maladies; aussi Jésus-Christ dit en cette circonstance: Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis; et en une autre occasion: Vous voilà guéri, ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive encore pis, montrant ainsi que c'est le péché qui enfante les maladies. Au commencement, à l'origine de la création, c'est par suite du péché que la maladie se saisit du corps de Caïn. Car, après son fratricide, après ce grand crime, la paralysie s'empara de son corps: qu'était-ce que le tremblement qu'il éprouvait si ce n'est la paralysie? Quand en effet la force qui réside dans le corps est devenue trop faible et ne peut plus soutenir tous les membres, elle les abandonne, et les membres tremblent et sont agités.

450066. Saint Paul aussi nous enseigne cette vérité. Après avoir parlé aux Corinthiens d'un (32) certain péché, il dit: c'est pour cela qu'il y a parmi vous beaucoup d'infirmes et de languissants. Ainsi le Christ fait d'abord disparaître la cause des maux, et par ces mots: Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis, il relève le malade et réveille son âme engourdie: car sa parole est suivie d'effet; elle pénètre jusqu'à la conscience, atteint l'âme, et lui rend une parfaite tranquillité. Car rien ne cause tant de joie, ne rend tant de confiance que de n'éprouver aucun remords. Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis. Là où les péchés sont pardonnés, il n'y a plus que des enfants d'adoption. C'est ainsi que nous ne pouvions pas appeler Dieu notre Père, avant que l'eau régénératrice n'eût lavé nos souillures, et quand nous avons reparu après l'immersion, ayant déposé ce fardeau, alors nous avons dit: Notre Père qui êtes aux cieux. Mais pourquoi, à l'égard de l'autre paralytique, n'en a-t-il pas agi de même et a-t-il commencé par guérir son corps? Parce que la longue durée de sa maladie avait expié ses péchés: une grande épreuve peut nous délivrer du fardeau de nos iniquités: de Lazare il est dit qu'il a reçu les maux ici-bas et que dans le sein d'Abraham il est dans la joie; et ailleurs nous lisons: Consolez mon peuple, parlez au coeur de Jérusalem, lui disant qu'elle a reçu de la main du Seigneur le double de ses péchés. (Is 40,1-2) Et le Prophète dit encore: Seigneur, donnez-nous la paix; car vous n'avez rien laissé impuni (Is 26,12), montrant par là que les punitions et les châtiments nous obtiennent le pardon de nos péchés, vérité que bien des preuves nous démontrent.

Pour le paralytique de la piscine, Jésus-Christ ne lui a pas remis ses péchés, il l'a seulement prémuni pour l'avenir, parce que, ce me semble, ses péchés avaient déjà été pardonnés en considération de sa longue maladie; ou, si ce n'est pas là le vrai motif, au moins dirai-je que, comme il n'avait pas une foi bien grande au Christ, Jésus commença par un prodige moindre, mais éclatant et visible, c'est-à-dire par lui rendre la santé du corps. Avec l'autre malade il n'agit pas de même; mais comme il avait une foi plus grande, une âme plus élevée, il lui parle d'abord d'une maladie plus grave, pour les motifs que j'ai indiqués et en outre pour se déclarer l'égal du Père en dignité. De même qu'il ne guérit à Jérusalem un jour de sabbat que pour détourner les spectateurs de l'observance judaïque et afin que les accusations des Juifs lui fournissent l'occasion de se montrer égal à son Père, de même prévoyant en la circonstance présente ce qu'ils allaient dire, il parla comme il le fit pour en prendre occasion de montrer que sa dignité est égale à celle du Père. C'est une tout autre chose de tenir ce langage de lui-même sans que personne le blâme ni ne l'accuse, ou bien de le faire pour se défendre, quand les autres lui en fournissent le prétexte. La première manière eût choqué les auditeurs, la seconde excitait moins de haine, s'admettait plus facilement et c'est ainsi du reste que nous le voyons agir toutes les fois que, par ses paroles ou par ses oeuvres, il se déclare l'égal de son Père. C'est ce que nous indique l'Évangéliste (Jn 5,16) en nous disant que les Juifs le blâmèrent non-seulement de ce qu'il avait violé le sabbat, mais encore de ce qu'il appelait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu, ce qui était bien plus grave: c'est ce qu'il montrait moins par ses paroles que par ses oeuvres. Pourquoi donc ces méchants, remplis de haine et d'envie, cherchent-ils partout l'occasion de le confondre? Celui-ci blasphème, se disent-ils? Personne ne peut remettre les péchés que Dieu seul. (Mc 2,7) Là, ils le blâment d'avoir violé le sabbat, et leurs accusations lui donnant occasion, pour se défendre, de se déclarer égal à son Père, il leur dit: Ce que mon Père fait, je le fais aussi. De même ici, leurs critiques lui sont un sujet de se montrer égal à son Père. Car que disent-ils? Personne ne peut remettre les péchés que Dieu seul. Ils ont eux-mêmes tracé cette limite, assigné cette règle, dicté cette loi; il va les convaincre par leurs propres paroles. Vous avez dit que c'était le propre de Dieu de remettre les péchés: vous proclamez ainsi manifestement l'égalité du Christ avec Dieu. Ils ne sont pas du reste les seuls qui l'aient proclamé; déjà le Prophète avait dit: Qui est Dieu comme vous? puis il montre ce qui est propre à Dieu, en disant: Vous effacez les iniquités et faites disparaître les injustices. (Mi 7,18) Si donc vous voyez quelqu'un qui fait la même chose, il est Dieu, Dieu comme le premier.

Mais voyons comme le Christ les confond, avec quelle douceur, quelle modestie, quelle charité! Et voici que quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes: celui-ci blasphème. (Mt 9,3) Ils n'avaient pas prononcé une parole, pas dit un mot, mais leur critique était encore cachée au fond de leur âme. Que fait le Christ? 33 Il révèle publiquement leurs pensées secrètes; avant de se montrer Dieu par la guérison du paralytique, il veut par un autre moyen leur faire voir la puissance de sa divinité. Dieu seul en effet peut révéler les pensées secrètes: Vous seul, dit le Prophète, connaissez les coeurs. Et voulez-vous voir que ce mot seul n'exclut pas le Fils? Si le Père seul connaît les coeurs, comment le Fils pourrait-il pénétrer le secret des pensées? Or il est dit qu'il, savait par lui-même ce qu'il y avait dans l'homme (Jn 2,25); et saint Paul, pour montrer que c'est le propre de Dieu de connaître les choses cachées au fond de la pensée, dit: Celui qui scrute les coeurs (Rm 8,27), montrant que c'est la même chose que de scruter les coeurs ou de s'appeler Dieu. Quand je dis Celui qui fait pleuvoir, je ne désigne que Dieu, et cela par une de ses oeuvres; quand je dis Celui qui fait lever le soleil, sans ajouter le mot Dieu, je n'en désigne pas moins Dieu par son oeuvre: de même quand saint Paul dit Celui qui scrute les coeurs, il montre que ce ne peut être l'oeuvre que de Dieu seul. Car si cette péri phrase n'avait pas pour nous désigner Dieu la même force que le mot propre, il ne l'eût pas employée seule. Si cet attribut lui était commun avec la créature, nous ne saurions pas qui il a voulu désigner; la confusion aurait régné dans l'esprit des auditeurs. Afin donc de montrer que ce qui est propre au Père, appartient aussi au Fils, et que par conséquent tous deux sont égaux„ le Seigneur dit: Pourquoi pensez-vous mal en vos coeurs? Lequel est le plus facile de dire: Vos péchés vous sont remis, on de dire: Levez-vous et marchez? (Mt 9,4-5)

450077. Voici qu'il donne une seconde preuve que les péchés sont remis. Il est bien plus grand de remettre les péchés que de guérir les corps, d'autant plus grand que l'âme est au-dessus du corps: si la paralysie est une maladie du corps, le péché est une maladie de l'âme; mais si le premier miracle est plus grand, il n'est pas visible; le second est plus petit, mais il se voit. Jésus va se servir du plus petit pour faire croire au plus grand, et afin de montrer que c'est par condescendance pour leur faiblesse qu'il en agit ainsi, il dit: Lequel est le plus facile de dire: Vos péchés vous sont remis, ou de dire: Levez-vous et marchez? pourquoi, Seigneur, passez-vous d'un plus grand miracle à un plus petit? Parce qu'un miracle: visible leur sera une démonstration plus claire qu'un miracle invisible. Aussi ne guérit-il pas le malade avant de; leur avoir dit: Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés: Levez-vous, dit-il alors au paralytique, et marchez (Mt 9,6); comme s'il disait: Pardonner les péchés est une merveille plus grande, mais à cause de vous j'en ajoute une moindre, puisque vous regardez celle-ci- comme preuve de celle-là. Dans une autre circonstance, il loua ces paroles du centurion: Dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri; car je dis ci celui-ci: va, et il va, et â celui-là viens, et il vient (Mt 8,8-9) Il le rassura par ses éloges; dans une autre circonstance encore, il reprit les Juifs qui le critiquaient à propos du sabbat, lui reprochant de le violer, et il leur montra qu'il avait le pouvoir de changer les lois; de même en cette occasion, lorsque les Juifs eurent dit-il se fait égal à Dieu, il s'attribue ce qui n'appartient qu'au Père, il les blâme, les réprimande, leur montre par ses oeuvres qu'il ne blasphème point, et ainsi il nous fournit une preuve irrécusable qu'il a la même puissance que son Père. Mais remarquez comment il veut établir ce point fondamental que ce qui appartient au Père seul lui appartient aussi, à lui. Il ne se contente pas de guérir le paralytique, il dit en même temps: Afin que vous sachiez, que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés; tant il met de soin et d'attention à montrer qu'il a la même puissance que son Père.

45008 8. Tous ces enseignements, ceux que nous avons reçus hier et avant-hier, retenons-les avec soin, prions pour qu'ils se gravent inaltérables dans nos âmes, apportons-y tous nos efforts et attachons-nous Fans cesse à ces leçons. C'est ainsi que nous garderons ce que nous avons acquis déjà et que nous acquerrons plus encore; et si quelque chose nous échappe parla suite, une instruction assidue nous le fera recouvrer. Et non-seulement notre intelligence ne sera nourrie que de doctrines saines et pures, mais nous surveillerons nos actions avec plus de soin et nous pourrons achever la vie présente dans la joie et la paix. Car toutes les souffrances qui agitent notre âme se calmeront facilement puisque le Christ est là et que celui qui l'approche avec foi obtient sans peine sa guérison. Souffrez-vous d'une faim continuelle, êtes-vous privé du nécessaire, êtes-vous (34) quelquefois forcé de prendre votre repos avant d'avoir apaisé votre faim? Venez ici, entendez saint Paul, nous disant qu'il a vécu dans la faim, la soif, la nudité, non un jour, ni deux, ni trois, mais toute sa vie (c'est en effet ce que signifient ces paroles: Jusqu'à cette heure nous souffrons la faim, la soif, la nudité). (1Co 4,11) Vous vous sentirez assez consolé en voyant dans mes instructions que, si Dieu vous laisse souffrir de la faim, ce n'est pas qu'il vous haïsse ou qu'il vous abandonne. Si c'était un effet de sa haine il ne l'aurait pas fait supporter à saint Paul, celui des hommes qu'il chérit le plus: il n'agit ainsi que par intérêt, par bienveillance, pour nous porter à une perfection plus grande. Votre corps est-il assiégé par la maladie et par mille autres maux, vous serez consolé en voyant ces deux paralytiques, et avec eux le grand, le noble disciple de saint Paul, qui vécut dans de continuelles infirmités, à qui la maladie ne laissa pas un instant de relâche, comme saint Paul nous l'apprend par ces paroles: Usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes infirmités (1Co 4,11), fréquentes, nous dit-il. Votre honneur est-il attaqué publiquement par la calomnie, et ses attaques sont-elles assez vives pour agiter et tourmenter votre âme, venez et écoutez: Vous êtes heureux, lorsque les hommes vous maudissent et disent faussement toute sorte de mal de vous; réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est grande dans les cieux (Mt 5,11-12); et alors votre tristesse disparaîtra et vous serez comblés de joie: Réjouissez-vous et tressaillez, lorsqu'ils vous injurieront. (Lc 6,22-23) Voilà comme il console ceux qui sont calomniés et voici comme il enraye les calomniateurs: Toute parole oiseuse que les hommes auront prononcée, ils en rendront compte (Mt 12,36), qu'elle soit bonne ou mauvaise. Avez-vous perdu votre épouse, votre fils, un de vos parents, entendez saint Paul gémissant sur la vie présente, appelant de tous ses voeux la vie future, affligé de se voir retenu ici-bas, et vous sentirez votre peine adoucie par ces mots: Je ne veux pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font tous les autres qui n'ont pas d'espérance (1Th 4,12) Il ne dit pas touchant ceux qui sont morts, mais ceux qui dorment, pour montrer que la mort n'est qu'un sommeil. Lorsque nous voyons quelqu'un dormir, nous restons sans trouble, sans abattement, parce que nous savons qu'il se réveillera; de même, lorsque nous voyons quelqu'un mort, nous n'éprouvons pas de trouble, pas d'abattement; ce sommeil, pour être long, n'en est pas moins réellement un sommeil. Par ce mot de sommeil, il console les fidèles affligés et répond aux accusations des infidèles. Si vous pleurez d'une douleur inconsolable celui qui vous a quitté, vous ressemblez à cet infidèle qui ne croit pas à la résurrection. C'est avec raison qu'il pleure puisqu'il ne trouve dans l'avenir rien qui le rassure; mais pour vous que tant de preuves ont dû convaincre de la réalité d'une vie future, pourquoi tomber dans le même découragement? C'est pour cela qu'il dit: Je ne veux pas que vous soyez dans l'ignorance touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres qui n'ont pas d'espérance.

Ce n'est pas seulement le Nouveau, c'est encore l'Ancien Testament qui nous présentera de douces consolations. En voyant Job après la ruine de sa fortune, la perte de ses troupeaux, la mort, non d'un, ni de deux, ni de trois de ses enfants, mais de tous, enlevés à la fleur de l'âge, en le voyant, dis-je, montrer tant de courage, fussiez-vous le plus pusillanime des hommes, il vous sera facile de maîtriser votre douleur et de la supporter. Car, vous, vous avez assisté à la dernière maladie de votre enfant, vous l'avez vu reposant sur son lit, vous avez entendu ses dernières paroles, recueilli son dernier soupir, fermé ses yeux et sa bouche. Et ce patriarche ne vit pas l'agonie de ses enfants, n'assista pas à leurs derniers instants; tous ils n'eurent qu'un même tombeau, leur propre maison, et sur la même table ce fut un mélange informe de têtes brisées, de sang répandu, de poutres, d'argile, de poussière, de chairs broyées. Et pourtant après une si grande épreuve, il ne se laisse aller ni aux gémissements, ni au désespoir; mais que dit-il? Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, la volonté du Seigneur s'est accomplie: que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles! (Jb 1,21) Que ces paroles soient les nôtres en toute circonstance; quelque malheur qui nous arrive, perte de biens, maladies, épreuves, calomnies, affliction quelle qu'elle soit, disons toujours: Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, la volonté du Seigneur s'est accomplie; que le nom dit Seigneur soit béni dans toits les siècles! Si telle est notre (35) sagesse, nous ne souffrirons aucun mal, quand même nous endurerions mille tourments; mais le gain nous sera plus grand que la perte, les biens que les maux; par ces paroles nous nous rendrons Dieu propice et nous éloignerons notre ennemi: car, aussitôt que ces paroles sont prononcées, le démon s'enfuit, et, quand il s'enfuit, tout nuage de tristesse se dissipe, et en même temps toutes les pensées qui vous affligent s'évanouissent, et, en outre, vous vous assurez et les biens de la terre et ceux du ciel, témoin Job, témoins les apôtres qui, ayant méprisé pour Dieu les maux d'ici-bas, jouissent des biens éternels. Résignation donc! en tout événement réjouissons-nous, rendons grâce à la bonté de Dieu, afin que nous passions dans la paix la vie présente et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire, honneur, puissance à jamais, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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