Chrysostome sur Actes 800

HOMÉLIE VIII. OR, PIERRE ET JEAN MONTÈRENT ENSEMBLE AU TEMPLE, A LA PRIÈRE DE LA NEUVIÈME HEURE. (Ac 3,1, JUSQU'AU VERSET 11)

800 Ac 3,1-11

ANALYSE. 1. Le sujet de cette homélie est la guérison d'un boiteux opérée par les apôtres saint Pierre et saint Jean, et pour mieux faire ressortir l'éclat du miracle, l'orateur constate d'abord l'état de cet homme. — Il développe ensuite tous les détails de ce miracle, et loue la conduite pleine de reconnaissance que tint ce boiteux.
2. Cependant le peuple s'étant rassemblé, Pierre en prend occasion de faire connaître Jésus-Christ. — Ici saint Chrysostome, après avoir rappelé le discours fait dans le cénacle, montre l'apôtre s'élevant dans celui-ci à une plus grande hauteur de force et de confiance. — Mais soudain il interrompt son sujet, et, abordant une question de morale, il exhorte ses auditeurs à travailler courageusement à l'acquisition des vertus chrétiennes, leur prouvant que l'habitude d'une seule facilite la pratique de toutes les autres.
3. C'est pourquoi il les supplie avec prières et avec menaces d'extirper du milieu de Constantinople le jurement et le blasphème, et montre quelle sera sur l'univers entier l'heureuse influence d'un tel exemple. — Si un petit nombre seulement obéit à la voix du pasteur, il s'en consolera, parce qu'il vaut mieux pour lui n'avoir à diriger que quelques brebis dociles que de commander à une multitude de chrétiens qui déshonorent aux yeux des païens la sainteté de la religion.

801 1. Une étroite amitié unissait les deux apôtres, Pierre et Jean. Aussi voyons-nous que, dans la dernière cène, « Pierre fait signe à Jean », et qu'ils courent tous deux au tombeau. C'est encore Pierre qui interroge Jésus-Christ au sujet de Jean, et lui dit : « Et (15) celui-ci, que deviendra-t- il?» (Jn 21,21) Saint Luc, qui a omis le récit de plusieurs autres miracles, y rapporte la guérison du boiteux, parce qu'elle frappa plus fortement tous ceux qui en furent témoins. Mais observons tout d'abord que les deux apôtres ne montèrent point au temple dans le dessein d'opérer un miracle, car, à l'imitation de leur divin Maître, ils évitaient tout ce qui pouvait tourner à leur avantage. Pourquoi donc vinrent-ils au temple ? Est-ce qu'ils observaient encore le culte mosaïque? Nullement : mais c'était pour l'édification générale. Nous les voyons en effet opérer un prodige nouveau qui les affermit eux-mêmes dans leur vocation, et qui détermine la conversion d'un grand nombre de disciples. Ce boiteux l'était de naissance, et par conséquent incurable par les moyens ordinaires. Il était âgé de quarante ans, comme on va nous le dire, et depuis quarante ans on n'avait pu le guérir. Au reste vous savez assez combien toute infirmité de ce genre est rebelle aux traitements de la médecine, et la sienne était si grande qu'il ne pouvait même pourvoir aux besoins de son existence.

Du reste tout contribuait à le faire connaître, le lieu où il se tenait, et le genre même de son infirmité. « Or, il y avait, » dit saint Luc, un homme boiteux dès le sein de sa mère, qui était porté, et qu'on plaçait chaque jour à la porte du temple, appelée la Belle-Porte, pour demander l'aumône à ceux qui y entraient » (Ac 3,2). Il demandait donc l'aumône, et ne connaissait pas les apôtres auxquels il s'adressait. « Voyant Pierre et Jean entrer au temple, il les pria de lui donner l'aumône. Mais Pierre et Jean le fixèrent, et Pierre lui dit: Regardez-nous » (Ac 3,3-4). A ces mots, il ne se lève point, et persiste à leur demander l'aumône. Car telle est la coutume du pauvre, il ne se rebute point d'un premier refus, et renouvelle ses instances. Rougissons donc, nous qui cessons de prier, si le Seigneur ne nous exauce sur-le-champ. Au reste voyez comme Pierre se hâte de lui adresser une parole de bienveillance : « Regardez-nous », lui dit-il. Ainsi s'épanchaient au dehors les dispositions de son âme. «Mais celui-ci les regarda attentivement, espérant en recevoir quelque aumône. Or, Pierre dit : Je n'ai ni or, ni argent; mais ce que j'ai, je te le donne » (Ac 3,5-6). Il ne dit point : Je te donne une chose bien plus précieuse que l'argent; que dit-il donc? « Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche, et l'ayant pris par la main droite, il le souleva» (Ac 3,6-7). L'apôtre imita dans cette circonstance le Sauveur Jésus, qui, lui aussi, tendait la main à tous ceux dont la foi était faible et chancelante, pour prouver que ce n'était pas en eux un mouvement spontané.

« Et l'ayant pris par la main droite, il le souleva » (Ac 3,7). Cette guérison attestait la résurrection de Jésus-Christ, car elle en était une image. « Et aussitôt ses jambes et ses pieds s'affermirent; et, s'élançant, il se leva et marcha » (Ac 3,7-8). Il s'essayait, pour ainsi dire, à marcher, et il expérimentait si ses jambes pourraient le soutenir; il avait des pieds, mais ils étaient perclus. Quelques-uns même disent que dans le premier moment il ne savait pas marcher. « Et marchant, il entra avec eux dans le temple » (Ac 3,8). En vérité, voilà un étonnant prodige. Ce boiteux n'est point conduit par les deux apôtres, mais il les suit, et fait ainsi connaître ses bienfaiteurs. Bien plus, sautant de joie, il louait le Seigneur, et non les hommes, car il ne les regardait que comme les instruments de la bonté divine. C'est ainsi qu'il se montrait reconnaissant.

Mais revenons sur l'explication des versets précédents. « Pierre et Jean montaient au temple à la neuvième heure de la prière » (Ac 3,1). Peut-être était-ce l'heure où l'on y portait le boiteux, parce que, à ce moment, le temple était plus fréquenté. Au reste saint Lucc réfute tout autre motif que celui de recevoir l'aumône, car il dit expressément : « On le plaçait à la porte du temple pour demander l'aumône à ceux qui y entraient» (Ac 3,2). Ce détail si précis est une preuve de la sincérité du récit. Mais pourquoi, direz-vous, ses parents ne l'avaient-ils pas conduit à Jésus-Christ? Peut-être étaient-ils eux-mêmes incrédules; et, en effet, quoiqu'ils se trouvassent en ce moment dans le temple, ils ne le présentèrent point aux deux apôtres. Cependant ils les virent entrer, et ils ne pouvaient ignorer les grands prodiges qu'ils avaient déjà opérés. « Il les priait de lui faire l'aumône » (Ac 3,3). Il les reconnut sans doute à leur extérieur pour des hommes charitables, aussi s'empressa-t-il de les arrêter.

Il n'est pas inutile d'observer qu'ici saint Jean garde le silence, et que saint Pierre (16) parle en son nom. « Je n'ai », dit-il, « ni or, ni argent » (Ac 3,6). Il ne dit point, comme nous, je n'ai pas sur moi ; mais absolument: je n'ai pas. Vous rejetez donc ma demande, pouvait lui dire ce boiteux. Non, reprenait Pierre; mais je vous fais part de ce que j'ai. Voyez l'humble modestie de l'apôtre ! il ne se glorifie point même devant celui dont il va devenir le bienfaiteur. On ne voit ici agir que les lèvres et la main. Ce boiteux représentait les Juifs, qui, au lieu d'implorer la guérison, de leurs âmes, rampaient sur la terre, et ne demandaient que des biens temporels. Ils fréquentaient le temple, mais c'était pour mieux s'enrichir. Quelle fut donc la conduite de l'apôtre? Il ne méprisa point ce boiteux, et ne chercha point un riche, disant : Si le miracle s'opère à son égard, il ne fera aucun bruit. Ainsi il n'attendit aucune gloire de celui qu'il allait guérir, et il ne le guérit point en présence de nombreux témoins, car il était encore sur le seuil de la porte, et non dans l'intérieur du temple que remplissait la multitude. Pierre ne s'entoura point de tant de solennité, et quand il fut entré dans le temple, il ne publia point ce miracle. Son extérieur seul avait engagé ce boiteux à lui demander l'aumône. Mais, par un prodige nouveau et plus grand, cet homme eut à l'instant la conscience de sa guérison. Tout au contraire, un malade guéri après de longues années, en croit à peine une guérison qu'il voit de ses propres yeux. Or, ce boiteux étant guéri, suivit les apôtres et rendit grâces à Dieu. « Il entra avec eux dans le temple », dit saint Luc, « marchant, sautant et louant Dieu » (Ac 3,8).

802 2. Admirez comme il saute de plaisir, et ferme ainsi la bouche à tous les murmures des Juifs. Je croirais aussi que, pour mieux prouver la réalité de sa guérison, il se donnait ces violents mouvements qu'on ne peut feindre. C'était bien ce même homme perclus des deux jambes, et qui ne pouvait se remuer, même pressé par la faim; - et certes, s'il eût pu marcher seul, il n'eût point voulu partager ses aumônes avec ceux qui l'assistaient. Comment donc aujourd'hui le voudrait-il? Ou comment feindrait-il une guérison pour faire honneur à des gens qui lui auraient refusé une légère aumône? Mais il conservait, même après sa guérison, le sentiment d'une vive reconnaissance, et il en donna des preuves dans cette circonstance comme dans la suite. Au reste, il était généralement connu, et c'est ce que dit expressément saint Luc. « Et tout le peuple le vit marcher et louer Dieu. Et tous reconnaissaient que c'était celui-là même qui était assis à la Belle-Porte du temple pour demander l'aumône » (Ac 3,9-10). Cette expression « reconnaissaient », est parfaitement juste, car ce ne fut point ce miracle qui le fit connaître, comme nous le disons de ceux dont nous n'avons qu'un vague souvenir. Mais pouvait-on ne pas croire qu'au nom de ce même Jésus qui opérait de si grands prodiges, les péchés étaient remis ?

« Et comme celui qui avait été guéri tenait par la main Pierre et Jean, tout le peuple étonné courut vers eux, au portique qui s'appelle le portique de Salomon » (Ac 3,11). L'attachement et l'amitié ne permettaient pas à ce boiteux de quitter ses bienfaiteurs, et sans doute qu'il les louait et les remerciait. « Et tout le peuple courait vers eux, ce que voyant Pierre, il prit la parole » (Ac 3,11-12). Pour la seconde fois le même apôtre agit et parle. Dans le cénacle le prodige de l'universalité des langues lui avait gagné l'attention de ses auditeurs, et dans le temple c'est la guérison de ce boiteux. Alors il avait pris, comme pour texte de son discours, le déicide que les Juifs avaient commis, et maintenant il part du sujet même de leurs pensées. Il ne sera donc pas sans intérêt d'examiner en quoi ces deux discours diffèrent et se ressemblent. Le premier fut prononcé dans le cénacle, avant toute conversion et tout miracle. le second, au contraire, le fut en présence du peuple étonné, du boiteux guéri, et d'une foule qui ne doutait plus, et qui ne disait plus : « Ces gens sont pris de vin ». Observez encore que là Pierre parlait au nom de tous les apôtres, et ici au nom seul de saint Jean ; et enfin qu'il s'exprime avec plus de force et de confiance.

Tel est, en effet, le caractère de la vertu ; qu'elle progresse toujours et ne s'arrête jamais. Remarquez aussi que ce premier miracle s'opère dans le temple, afin de fortifier la foi des nouveaux fidèles. Ce n'est donc point dans un lieu retiré, et comme en secret que Pierre agit, et néanmoins ce n'est point dans l'intérieur du temple, où le peuple était nombreux. Mais comment le peuple put-il croire à ce miracle? Parce que celui-là même sur qui il (17) avait été opéré publiait sa guérison; or, si elle n'eût été réelle, aurait-il seulement osé se montrer à la foule? Ainsi ce miracle s'opère dans un lieu qui est tout ensemble public et secret. Et voyez ce qui arrive : Pierre et Jean montaient au temple pour prier, et ils firent tout autre chose. Ainsi le centurion Corneille priait et jeûnait pour obtenir une grâce tout autre que la révélation dont il fut favorisé.

Jusqu'ici Pierre désigne le Sauveur sous le nom de Jésus de Nazareth ; et il dit au boiteux « Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche » (Ac 3,6). C'était un moyen de l'amener à croire à sa parole. Mais, je,vous le demande, ne vous lassez pas dès les premiers instants de cet entretien ; et quoique plusieurs peut-être se retireront après ce premier récit, je veux y revenir. D'ailleurs avec un peu de bonne volonté, nous arriverons bientôt à la fin, et nous atteindrons le but. Car, comme dit le proverbe, le zèle engendre le zèle, et la lâcheté, la lâcheté. Le peu de bien que l'on a fait, encourage à en faire plus encore, et on le continue avec confiance. Plus on met de bois sur un brasier, et plus il devient ardent. Ainsi plus l'âme se nourrit de pieuses pensées, et plus elle devient invincible à la tentation. Vous faut-il un exemple? Dans notre coeur naissent, comme des ronces et des épines, le parjure, le mensonge, la dissimulation, la fraude, la malignité, la raillerie, l'injure, la moquerie et les paroles impures et obscènes. D'un autre côté pullulent dans ce même coeur l'avarice, la rapine, l'injustice, l'hypocrisie et la malice. Ajoutez-y encore la concupiscence, l'immodestie, l’impureté, la fornication et l'adultère; et enfin l'envie, la jalousie, la colère, l'emportement, la haine; la vengeance, le blasphème et mille autres vices. Si vous triomphez des premiers, vous vaincrez facilement les seconds et même les troisièmes.

C'est qu'une première victoire fortifie l'âme et la prépare à de nouveaux succès. Que celui qui a l'habitude de jurer, se corrige donc de cette diabolique coutume, et non-seulement il remplira un devoir, mais encore il se sentira porté aux divers exercices de la piété. Car celui qui s'interdit le péché du blasphème, ne voudra point en commettre d'autre, et il gardera honorablement la vertu qu'il s'est acquise. Il se respectera lui-même avec le même soin que nous évitons de salir un habit précieux. Il en arrivera donc bientôt à ne plus se permettre aucun acte de colère, d'emportement, ni de méchanceté, et ainsi, en avançant peu à peu, il atteindra la perfection. Mais souvent nous voyons arriver tout le contraire : car celui qui a bien commencé, ne se soutient pas; il retombe par lâcheté dans ses premiers désordres et devient incorrigible. Par exemple, nous nous sommes imposé la loi de ne pas jurer, et pendant trois ou quatre jours nous y avons été fidèles: Mais dans une circonstance la tentation l'a emporté et nous avons perdu tout le fruit de notre première victoire. Alors, hélas ! nous tombons dans un lâche découragement, et nous ne voulons plus renouveler nos efforts. Cela se comprend jusqu'à un certain point ; car on est toujours peu empressé à relever un bâtiment qu'on a vu s'écrouler; et cependant il faudrait s'armer de courage et recommencer avec une nouvelle énergie.

803 3. Proposons-nous donc chaque jour la pratique d'une vertu, et commençons par les plus faciles. Renonçons à la mauvaise habitude de jurer, mettons un frein à notre langue et ne prenons jamais en vain le nom du Seigneur. Ici point de dépenses, point de pratiques et nuls efforts pénibles : il suffit de le vouloir et tout est fait; car c'est une affaire d'habitude. Aussi je vous le demande instamment : sachez vouloir. Si je vous avais annoncé une distribution d'argent, tous, vous vous seriez empressés d'accourir; et si vous me voyiez dans un péril extrême, vous n'hésiteriez pas à exposer votre vie pour m'en arracher. Eh bien ! aujourd'hui, je suis en proie à une vive douleur, et je souffre tout autant que si j'étais prisonnier, battu de verges ou condamné aux mines. Tendez-moi une main secourable, et réfléchissez à quels dangers vous m'exposez si je ne puis obtenir de vous-mêmes le plus léger acte de vertu; je dis léger sous le rapport du travail et des efforts. Et en effet, que répondrai-je à ces accusations : Pourquoi n'as-tu pas exhorté et repris? Pourquoi n'as-tu pas commandé, insisté sur l'obligation et menacé fortement les désobéissants?

Il ne me suffira pas de répondre que j'ai averti, car on répliquera qu'il fallait plus que de simples remontrances, et l'on me condamnera par l'exemple d'Héli. Ce n'est point, à Dieu ne plaise ! que je vous compare à ses fis. Mais enfin il les reprenait et leur disait : « Mes enfants, n'agissez pas ainsi, car j'apprends qu'on parle mal de vous ». (
1S 2,24) (18) Cependant l'Ecriture dit qu'il n'avertit point ses enfants, c'est-à-dire qu'il ne le fit pas avec assez de force et de sévérité. De plus, n'est-il pas absurde de voir, parmi les Juifs, un chef de synagogue parler en maître et se faire obéir, tandis qu'ici ma parole est méprisée et dédaignée ? Je ne cherche point ma propre gloire et je n'en veux point d'autre que vos moeurs chrétiennes; mais je cherche votre salut. Chaque jour je crie, je tonne à vos oreilles, et malgré la véhémence de mes paroles, personne ne m'écoute. Ah ! combien j'ai à craindre qu'au jour du jugement je ne rende compte de ma trop grande indulgence ! C'est pourquoi je vous le déclare à haute et intelligible voix : j'interdis l'entrée de l'église à quiconque se permettra encore de parler le langage de Satan, c'est-à-dire de jurer.

Je vous donne un mois pour vous corriger; et ne m'alléguez point la nécessité de vos affaires ni la défiance que l'on a de votre parole, car vous pouvez changer cette habitude de tout attester par serment. Je sais bien que je vais prêter à la critique; mais il vaut mieux pour moi d'être critiqué pendant ma vie que de brûler après ma mort. Au reste, qui rira de moi, sinon les insensés? Car quel homme sage blâmerait mon zèle à faire observer la loi divine? Mais les plaisanteries des méchants retomberont bien moins sur moi que sur Jésus-Christ lui-même: Ce mot vous fait horreur, et cependant il est vrai. Si j'étais l'auteur de cette loi, ces froides railleries m'atteindraient; mais puisque Jésus-Christ en est le législateur, elles se dirigent contre lui. Oui, il a été autrefois moqué, frappé à la joue et souffleté, et aujourd'hui encore il reçoit absolument les mêmes outrages. Aussi nous menace-t-il de l'enfer et du ver qui ne meurt pas.

Je le répète donc et je vous le déclare de nouveau : Rira et raillera qui voudra, peu m'importe; car je ne suis en place que pour être moqué et honni, et pour tout souffrir, étant, selon l'apôtre, « la balayure du monde ». (1Co 4,13) Mais quiconque enfreindra le précepte qui défend de jurer, j'interdis, comme à son de trompe, l'entrée de l'église, fût-il prince ou même empereur. Déposez-moi de ma charge, ou, si vous m'y laissez, ne m'exposez pas au péril de la damnation. Et comment oserais-je m'asseoir sur ce trône, si je ne fais rien de grand ? Il vaudrait beaucoup mieux alors que j'en descendisse, car je ne connais pas de position plus triste que celle d'un évêque qui est inutile à son peuple.

Convertissez-vous donc, je vous en supplie, et veillez sur vous-mêmes; réunissons nos efforts et nous obtiendrons quelque succès. Avec moi employez le jeûne et la prière pour demander à Dieu qu'il vous accorde de déraciner cette funeste habitude. Est-il une gloire comparable à celle d'être les docteurs de l'univers? Et, ne sera-ce pas déjà beaucoup si partout on sait que le jurement est inconnu dans Constantinople? Par là vous aurez droit à une double récompense, parce que vous aurez été vertueux et zélés pour la sanctification de vos frères. Car ce que je suis au milieu de vous, vous le serez à l'égard de toutes les nations: pas une qui ne veuille vous imiter, en sorte que vous luirez à tous les regards comme la lampe placée sur le chandelier. Est-ce tout? non certainement, et ce n'est que le commencement d'une vie vraiment chrétienne, car celui qui s'interdit le jurement s'adonnera bientôt, bon gré, mal gré, par honte ou par crainte, à la pratique des autres vertus.

Mais plusieurs, me direz-vous, vont se retirer, choqués de vos paroles. Eh ! ne savez-vous pas « qu'un seul qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux que mille impies ». (Si 16,3) Aussi tout vous semble-t-il bouleversé, et sens dessus dessous, parce que, comme au théâtre, nous estimons plus le choix que le nombre des personnes. Et, en effet, à quoi sert le nombre? Voulez-vous connaître combien un saint l'emporte à lui seul sur toute une multitude? opposez-lui une armée entière, et vous verrez qui fera de plus grandes choses. Josué, fils de Navé, combattit seul contre les ennemis d'Israël, et il les vainquit, tandis que d'autres chefs succombèrent avec de nombreuses armées. Ainsi, mon cher frère, une multitude qui ne fait pas la volonté de Dieu, est nulle. Sans doute, je désire et je souhaite, même aux dépens de ma vie, que cette Eglise brille par la multitude de ses fidèles, mais de véritables fidèles : et si je ne puis en réunir un grand nombre, je me consolerai par l'excellence du choix. Un seul diamant n'est-il pas plus précieux que mille oboles? ne vaut-il pas mieux avoir l'oeil bon et sain que de le perdre et de devenir gras et obèse? n'est-il pas plus avantageux de ne posséder qu'une brebis, que d'en avoir cent attaquées de la teigne? enfin, un père ne préfère-t-il pas deux (19) ou trois enfants vertueux à un plus grand nombre méchants et vicieux?

D'ailleurs, ne savez-vous pas que peu entreront dans le royaume des cieux, et que beaucoup tomberont dans l'enfer ? Eh ! quel avantage me procurerait un grand nombre de mauvais chrétiens? aucun, ou plutôt leur exemple serait pernicieux aux autres. Ce serait comme si un chef, ayant le choix entre dix soldats valides et mille autres malades et infirmes, voulait les réunir tous ensemble. Certes, un tel mélange ne produirait aucun bon résultat; et de même je ne devrais en attendre que de la honte pendant ma vie, et d'affreux supplices après ma mort, car le grand nombre ne me justifiera point devant le Seigneur, et la stérilité de mes oeuvres me condamnera. N'est-ce pas même la réponse que nous font les païens, quand nous leur disons : Voyez comme nous sommes nombreux? Oui, vous êtes nombreux, disent-ils, mais mauvais.

Aussi je le déclare encore une fois à haute voix et du ton le plus sévère : J'éloignerai et j'exclurai de l'église tous ceux qui n'obéiront pas à cet ordre, et tant que je serai assis sur ce trône, je n'admettrai là-dessus aucune excuse. Si l'on m'en fait descendre, je n'aurai plus la responsabilité de votre conduite; mais aussi longtemps que je serai votre pasteur, je serai ferme et vigilant, moins par la crainte du supplice que par le désir de votre salut. Ah ! que je le souhaite ardemment ! et combien, pour l'obtenir, je me répands en douloureux gémissements ! mais obéissez à votre pasteur, afin que sur la terre et dans le ciel votre obéissance soit magnifiquement récompensée, et que nous obtenions tous les biens éternels, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant, toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE IX. OR, PIERRE VOYANT CELA, DIT AU PEUPLE : HOMMES D'ISRAEL, POURQUOI VOUS ÉTONNEZ-VOUS DE CECI,(Ac 3,12-26)

OU POURQUOI NOUS REGARDEZ-VOUS, COMME SI C'ÉTAIT PAR NOTRE VERTU, OU PAR NOTRE PIÉTÉ, QUE NOUS EUSSIONS FAIT MCHER CE BOITEUX?
900 Ac 3,12-26

ANALYSE. 1. Après avoir montré la modestie de saint Pierre, qui repousse personnellement la gloire de ce miracle, l'Orateur entre dans le développement de son discours, et y rehausse deux éminentes qualités : la force avec laquelle il reproche aux Juifs leur déicide, et la douceur avec laquelle il leur ouvre la voie du repentir et de la pénitence.
2. Il observe aussi que l'apôtre qui, dans son premier discours, s'était appuyé de l'autorité de David pour prouver la résurrection de Jésus-Christ, allègue ici celle de Moise pour établir que tous doivent croire à sa doctrine, et particulièrement les Juifs, qui sont les fils des prophètes.
3. A l'égard du déicide commis sur la personne de Jésus-Christ, Pierre oppose leur conduite à celle de Pilate qui vouait l'absoudre, et leur fait ainsi sentir l'énormité de leur crime.
4. Quant à la guérison de ce boiteux faite au nom de Jésus, elle prouve que Jésus ego vraiment ressuscité, car comment un mort pourrait-il opérer un tel prodige ?
5. L'Orateur revient ensuite sur la prophétie de Moise, et de nouveau en fait ressortir la gloire de Jésus-Christ, qui est ce législateur que tous doivent écouter.
6.Puis il terminé par une vive exhortation à bannir le serment de toutes transactions commerciales et alaires civiles.

901 1. Ce second discours de l'apôtre respire plus de confiance que le premier. Ce n'est point qu'il cédât alors à un sentiment de crainte, mais c'est qu'un ton moins humble (20) eût irrité des esprits railleurs. Aussi s'étudie-t-il dès les premiers mots à capter leur attention. Apprenez ceci, leur dit-il, et prêtez l'oreille à mes paroles. Ici, au contraire, ces précautions oratoires devenaient inutiles, car les esprits n'étaient point lâches ni distraits. Le miracle les avait rendus attentifs et les avait remplis de crainte et d'étonnement. Ces dispositions exigeaient donc un exorde tout différent, et en repoussant toute gloire personnelle, Pierre acquérait un nouveau droit à leur bienveillance. Et, en effet, l'orateur est assuré de plaire à son auditoire, quand il s'annonce modestement, et repousse tout soupçon d'orgueil et de vanité. Au reste, ce mépris de la gloire que faisaient paraître les deux. apôtres, rejaillissait glorieusement sur eux, et montrait que la guérison de ce boiteux était une couvre divine à laquelle les hommes n'avaient aucune part, et 'qu'eux-mêmes devaient admirer, bien loin de s'en attribuer l'honneur.

Voyez-vous donc combien Pierre est pur de toute ambition, et avec quel soin il repousse la gloire qu'on lui décerne? C'est ainsi qu'avaient agi les anciens justes; Daniel, qui disait : « Si je parle, ce ne sera point parce que je possède une sagesse toute particulière »; Joseph qui s'écriait : « L'interprétation des songes ne vient-elle pas de Dieu? » et David qui répondait à Saül : « Lorsqu'un lion ou un ours venait, j'invoquais le nom du Seigneur et je les déchirais de mes mains ». (
Da 2,30 Gn 40,8 1R 17,34) Et de même nos deux apôtres disent : « Pourquoi nous regardez-vous comme si par notre vertu et notre piété nous avions fait marcher ce boiteux? » Car ce n'est pas ici notre oeuvre, et nous n'avons pu par nous-mêmes attirer sur cet homme une si grande grâce.

« Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères ». L'apôtre rappelle souvent le souvenir dés anciens patriarches pour écarter tout soupçon d'une religion nouvelle, et de même que dans son premier discours.il avait nommé David, il cite dans celui-ci Abraham et ses descendants. « A glorifié son Fils Jésus ». Toujours la même humilité que dans son exorde; et puis il insiste sur le crime des Juifs, le flétrit hautement et n'en parle plus en termes couverts, comme il avait fait précédemment. Son but est de presser leur conversion, car plus ouvertement il condamne leur déicide et plus il éveille leur attention. « A glorifié son Fils Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui avait jugé qu'il devait être renvoyé absous ». Vous êtes donc coupables d'un double crime, parce que Pilate voulait le renvoyer absous et que vous vous y êtes opposés.« Vous avez donc renié le saint et le juste, et vous avez demandé qu'on vous accordât la grâce d'un homicide; et vous avez fait mourir l'auteur de la vie, mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, et nous sommes témoins de sa résurrection ».

C'est comme s'il eût dit : vous avez préféré à Jésus un insigne voleur. C'était donc un reproche bien grave; mais parce qu'il les tenait sous sa main, il les presse vivement. « Vous avez fait mourir l'auteur de la vie; mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts ». Ici il montre le dogme de la résurrection ; et pour prévenir cette objection, sur quelles preuves se repose-t-il? il ne cite point les prophètes, mais son propre témoignage, parce que désormais il mérite d'être cru. La première fois qu'il avait parlé de la résurrection de Jésus-Christ, il avait invoqué l'autorité de David. Et ici, en se posant lui-même comme témoin, il s'appuie sur le collège apostolique. « Nous sommes », dit-il, « témoins de sa résurrection, et c'est par la foi en son nom, que sa puissance a affermi cet homme que vous voyez et que vous connaissez; et c'est la foi qui vient de lui, qui a donné à celui-ci une entière guérison en présence de vous tous ». Avant d'expliquer le miracle, il en montre la certitude par ces mots : « En présence de vous tous ». Mais, parce qu'il les avait sévèrement repris, en leur montrant glorieux et ressuscité,ce Jésus qu'ils avaient fait mourir, il se hâte d'adoucir sa parole, et leur ouvre la voie du repentir.

« Et maintenant, mes frères, je sais que vous l'avez fait par ignorance, ainsi que vos chefs ». Il leur présente donc, une double excuse : d'abord leur « propre ignorance », et puis « l'exemple de leurs chefs ». C'est ainsi que Joseph disait à ses frères : « Dieu m'a envoyé devant vous ». (Gn 45,5) Bien plus, ce qu'il n'avait fait qu'indiquer par ces mots

« Il a été livré par le conseil et la prescience de Dieu » (Ac 2,23), il le développe en disant que « le Seigneur vient d'accomplir « ainsi ce qu'il avait prédit par la bouche de (21) ses prophètes, que le Christ devait souffrir ». C'était presque les absoudre de ce crime, en leur montrant qu'ils n'avaient fait qu'exécuter la volonté de Dieu; et en disant : « selon ce qui avait été prédit », il leur rappelle indirectement les reproches qu'ils adressaient à Jésus-Christ sur la croix: Que Dieu le délivre, s'il le veut; car il a dit : je suis le Fils de Dieu. Qu'il se confie donc en lui, et qu'il descende présentement de la croix. (Mt 27,40 Lc 29,35)

Eh quoi ! ô insensés, pensiez-vous qu'il condescendrait à vos amères railleries? Non, bien certainement. Mais il fallait que ces choses arrivassent pour accomplir les prophéties. Aussi Jésus-Christ ne descendit-il point de la croix, non par impuissance, mais par un acte de sa puissance. C'est donc cette excuse que l'apôtre présente à ses auditeurs, afin qu'ils la saisissent avec empressement; et en disant : « Dieu vient d'accomplir ainsi ce qu'il avait prédit », il rapporte toutes choses à l'exécution de ses volontés. « Faites donc pénitence», ajoute-t-il, « et convertissez-vous ». Il ne dit point : En renonçant à vos péchés, mais.: «Afin que vos péchés, soient effacés », ce qui présente le même sens.; puis il indique quels seront les fruits de cette pénitence : « Quand les temps de repos que la présence du Seigneur doit donner, seront venus ». Pouvait-il mieux leur faire sentir dans quel abîme de maux ils étaient tombés, et de quels malheurs ils étaient affligés ! Il leur adresse donc ces paroles, parce qu'il n'ignore point qu'ils cherchent quelque consolation, et qu'elles sont propres à adoucir l'amertume de leur douleur.
902 2. Mais admirez avec quelle sagesse procède l'apôtre. Dans son premier discours, il s'est borné à insinuer la résurrection de Jésus-Christ et son ascension : ici, au contraire, il n'hésite pas à annoncer son second avénement. « Quand le Seigneur », dit-il, « aura envoyé Jésus-Christ prédit longtemps d'avance. Et il faut», c'est-à-dire, il est nécessaire, « que le ciel le reçoive jusqu'au jour du rétablissement de toutes choses ». Pourquoi ne vient-il donc pas aujourd'hui? la raison en est manifeste. « C'est qu'il faut que tout ce que Dieu a prédit par la bouche de ses saints prophètes, dès le commencement du monde, s'accomplisse. Car Moïse a dit à nos pères : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira ». Précédemment Pierre avait cité David, et ici il cite Moïse. « Tout ce que Dieu a prédit ». L'apôtre ne dit pas : « Tout ce que le Christ a prédit » mais : « le Seigneur », afin de les amener insensiblement à la foi au Sauveur Jésus. C'est pourquoi il leur allègue un témoignage irrécusable, celui, de Moïse qui a dit : « Le Seigneur, votre Dieu, vous suscitera d'au milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira ». Ecoutez maintenant la menace : « Et quiconque n'aura pas écouté ce prophète, sera exterminé du milieu du peuple ». (Dt 18,15)

« Or tous les prophètes », continue l'apôtre, «.depuis Samuel, et dans les temps postérieurs, ont annoncé ces jours ». C'était révéler clairement à ses auditeurs le châtiment d'Israël. Mais observez que toutes les fois que saint Pierre doit leur annoncer quelque chose d'important, il allègue le témoignage des prophètes, et qu'il en trouve des mieux appropriés aux promesses, non moins qu'aux menaces, comme celui-ci : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je place vos ennemis sous vos pieds ». (Ps 109,2) Dans son admirable concision, ce verset énonce le crime et le genre du châtiment. « Un prophète semblable à moi ». Pourquoi donc vous étonner ! « Car vous êtes les fils des prophètes » ; aussi vous disais-je que toutes ces choses ont été faites pour vous. Les Juifs pouvaient en effet se considérer comme rejetés, du Seigneur à cause de leur déicide; car il leur paraissait invraisemblable que le Dieu qu'ils venaient de crucifier les aimât comme. ses enfants. C'est néanmoins ce qu'avait prédit Moïse : « Vous êtes », avait-il dit, « les fils des prophètes, et les enfants de l'alliance que Dieu a établie avec nos pères, disant à Abraham ; Et en ta race seront bénies toutes les familles de la terre ». (Gn 12,3) C'est donc pour « vous premièrement que Dieu,a envoyé son Fils, le ressuscitant ». Sans doute, c'est aussi pour tous les autres peuples, mais premièrement pour vous qui l'avez crucifié. « Et il l'a envoyé afin que vous soyez bénis, et que chacun de vous revienne de son iniquité ».

Mais reprenons l'explication de ce discours. L'apôtre veut convaincre les Juifs que ni Jn, ni lui ne sont l'auteur de ce miracle; aussi leur dit-il: «Pourquoi vous étonnez-vous? » Cependant il ne veut ras qu'ils doutent de sa réalité; et c'est pour le leur rendre plus certain encore, qu'il prévient leurs pensées, et s'écrie : « Pourquoi nous regardez-vous comme si nous avions opéré ce prodige par notre vertu et notre piété? » Si cette guérison vous trouble et vous agite, apprenez quel en est l'auteur, et vous cesserez de vous en étonner. Ici encore, comme toujours, Pierre s'appuie sur le témoignage de Dieu, et dès qu'il a affirmé que tout. arrive selon ses conseils, il n'hésite plus à reprendre vivement ses auditeurs. Aussi a-t-il dans son premier discours nommé Jésus « un homme approuvé a de Dieu au milieu d'eux » ; et il leur rappelle sans cesse qu'ils l'ont mis à mort pour mieux faire resplendir le miracle de sa résurrection. Mais ici ce n'est plus seulement Jésus de Nazareth; et il lui donne un titre bien plus auguste. « Le Dieu de nos pères », dit-il, « a glorifié son Fils Jésus ».

Admirez cependant l'humilité du saint apôtre; il ne s'emporte point contre ses auditeurs, et ne leur dit point subitement: Croyez en Jésus-Christ, car voilà que cet homme, âgé de quarante ans et boiteux de naissance, a été guéri en son nom. Un tel langage les eût rebutés: il s'en abstient donc, et s'empresse de louer l'étonnement qu`ils font paraître. Il nomme ensuite Dieu, le Père de Jésus, et ne dit point que celui-ci avait guéri le boiteux, quoiqu'il fût véritablement l'auteur de cette guérison, afin de prévenir cette objection Jésus était un malfaiteur, et comment peut-on lui attribuer cette gloire? C'est pourquoi il leur rappelle' quel jugement Pilate en a porté, et leur montre ainsi, pour peu qu'ils veuillent réfléchir, que Jésus n'était point un malfaiteur, car Pilate n'eût point alors voulu le relâcher. Observez aussi le choix de cette expression : « Pilate jugeant qu'il devait être absous ». Ce n'était pas en lui une simple volonté, mais un vrai jugement qui' attestait que vous demandiez la grâce de l'homme qui avait commis un meurtre, et que vous rejetiez celui .qui rappelait les morts à la vie.

Ils pouvaient encore faire cette objection Comment ceux qui abandonnèrent alors leur Maître, viennent-ils aujourd'hui le glorifier? Pierre y répond en citant le témoignage des prophètes qui avaient prédit que les choses devaient ainsi arriver. D'autre part il les reprend vivement, de peur qu'ils ne- cherchassent à s'excuser sur l'ordre et les conseils du Seigneur. Car c'était un crime énorme que d'avoir renié Jésus-Christ en présence de Pilate ; et la présence parmi eux du meurtrier qu'ils lui avaient préféré, leur ôtait à cet égard toute excuse. Pierre agit donc avec une grande sagesse, et leur prouve combien, dans ces circonstances, leur conduite a été honteuse et légère. Pilate, qui était païen, qui voyait Jésus pour la première fois, et qui n'avait été témoin d'aucun prodige, voulait le délivrer, et vous, qui aviez été comme nourris au milieu de ses miracles, vous vous y êtes opposés. Au reste Pilate, en renvoyant Jésus absous, prétendait accomplir un devoir de justice, et non point faire un acte de compassion et d'indulgence. Car écoutez ses propres paroles : La coutume est de vous accorder la délivrance d'un prisonnier : « Et voulez-vous que je vous délivre celui-ci? » Et vous, dit l'apôtre, « vous avez rejeté le saint et le juste ». Il ne dit point : Vous avez livré, mais : « vous avez rejeté ». Cette expression est parfaitement juste, parce qu'ils s'étaient écriés : « Nous n'avons pas d'autre roi que César ». (Jn 19,15)

Observons enfin que l'apôtre, après avoir reproché aux Juifs de n'avoir point réclamé la délivrance du juste, et même de l'avoir rejetée, ajoute : Et vous l'avez mis à mort. Lorsque les esprits étaient encore tout plongés dans les,ténèbres, il n'avait eu garde de parler ainsi; mais les voyant troublés et agités, il frappe ces coups violents parce qu'ils peuvent mieux les sentir. Ce n'est point dans le transport de l'ivresse, mais quand elle est dissipée, qu'on peut faire d'utiles représentations ; et de même l'apôtre profite d'un moment Lcide pour parler sévèrement et énumérer leurs nombreux forfaits. Ils ont livré à la mort celui que Dieu a glorifié, ils l'ont renié en présence de Pilate qui le trouvait innocent, et ils lui ont préféré un voleur.
903 3. Admirez aussi comme il insinue que la résurrection de Jésus-Christ est un effet de sa puissance. Dans son premier discours, il avait dit : « Il était impossible qu'il fût retenu dans le tombeau ». Et ici : «Vous avez mis à mort l'auteur même de la vie ». Il n'a donc point reçu la vie d'un autre. L'esprit de malice enfante le mal, et le père de l'homicide est celui qui a commis le premier meurtre. Ainsi (23) l'auteur de la vie est celui qui possède, la vie par lui-même : « Que Dieu a ressuscité », ajoute l'apôtre, « et c'est par la foi en son nom», poursuit-il, « que sa puissance, a affermi cet homme que vous voyez, et que vous connaissez; et c'est cette foi qui vient par lui, qui a donné à cet homme une entière guérison ». Mais puisque la foi que ce boiteux a eue en Jésus-Christ a opéré son entière guérison, pourquoi Pierre dit-il « en son nom », et non point par son nom? C'est que les apôtres n'osaient pas encore prêcher la foi en Jésus-Christ ; et néanmoins, pour ôter tout ce que ce mot « par son nom », aurait eu de peu élevé, il ajoute immédiatement : « Que la puissance de ce nom a affermi cet homme, et que la foi qui vient par lui, a donné à cet homme une entière guérison ».

Observez donc avec quelle condescendance l'apôtre ménage ses paroles. Et en effet celui-là s'est ressuscité lui-même, dont le nom seul a redressé ce boiteux qui était aussi impuissant à marcher que s'il eût été mort. Remarquez aussi comme toujours il s'en rapporte à leur propre témoignage. Il avait dit précédemment : « Vous le savez vous-mêmes»; et: « au milieu de vous ». Ici il dit également : « Que vous voyez et que vous connaissez et en présence de vous tous ». Il est vrai qu'ils ignoraient que ce boiteux avait été guéri au nom de Jésus, mais ils savaient qu'il était boiteux. Et les deux apôtres publiaient que cette guérison n'était pas leur oeuvre, mais celle de la puissance de Jésus-Christ. Si ce miracle n'avait été bien réel, et s'ils n'avaient eux-mêmes cru fermement à la résurrection du Sauveur, jamais ils n'eussent cédé à un mort l’honneur de cette guérison, et ils l'eussent tournée à leur propre avantage, d'autant plus que tous les regards se fixaient sur eux.

Mais parce que Pierre voyait tous les esprits troublés et agités, il s'empresse de les rassurer en leur donnant le nom de frères. «Mes frères », leur dit-il dans son premier discours, sans parler de lui-même; il les avait exclusivement entretenus de Jésus-Christ. « Que toute la maison d'Israël sache donc certainement ». Ici au contraire il ajoute quelques avis. Précédemment il avait attendu l'explosion de leur étonnement et de leurs railleries, et maintenant il parle le premier, parce qu'il connaît leurs oeuvres et qu'il sait que les esprits sont plus traitables. Toutefois on ne peut conclure des premières paroles de l'apôtre que les Juifs avaient agi par ignorance. Et en effet, qui oserait sous ce prétexte les excuser d'avoir demandé la grâce de l'homicide Barabbas, et d'avoir rejeté Jésus que Pilate jugeait digne d'être renvoyé absous, parce qu'ils voulaient le faire mourir? Cependant il leur ouvre comme une voie au repentir et à l'excuse, et leur suggère même un moyen assuré de défense, en disant : En faisant mourir Jésus, vous saviez bien qu'il était. innocent, mais peut-être ignoriez-vous qu'il fût le principe de la vie. C'est ainsi qu'il excuse ses auditeurs du crime de déicide, et même ceux qui en furent les auteurs. Autrement il eût augmenté leur obstination, s'il se fût répandu en reproches amers. Car reprenez trop sévèrement l’homme qui a commis une faute grave, et il l'aggravera en cherchant à s'excuser.

Remarquez aussi que l'apôtre ne leur dit plus: Vous l'avez tué, vous l'avez crucifié; mais seulement: « vous Pavez fait mourir», amenant ainsi ses auditeurs à un sincère repentir. Si les premiers ont agi par ignorance, à plus forte raison les seconds; et si Dieu leur pardonne, pourrait-il ne point pardonner aux autres? Admirez encore la réserve de l'apôtre. Il a dit précédemment: « Toutes ces choses sont arrivées selon le conseil et la prescience de Dieu » ; et ici : « Le Seigneur vient d'accomplir ce qu'il avait fait prédire de Jésus-Christ ». Mais il ne cite aucun fait en témoignage de sa parole, parce que dans toute cause criminelle ce genre de preuve présage le châtiment. « Je donnerai », dit le Seigneur, « les impies pour le prix de sa sépulture, et les riches pour la récompense de sa mort ». (
Is 53,9) Et encore : « Le Seigneur a accompli ce qu'il avait fait prédire par la bouche de tous les prophètes, que le Christ devait souffrir ». L'apôtre leur révélait ainsi un grand mystère, puisque ce n'était pas un seul prophète, mais tous les prophètes, qui l'avaient annoncé; et en même temps il leur rappelait que, quoiqu'ils eussent agi par ignorance, rien n'était arrivé que selon la volonté du Seigneur.

Nous voyons donc combien est admirable cette sagesse divine qui fait concourir à ses fins même la malice des pécheurs : « Il a accompli ». Pierre emploie ce terme pour marquer que rien ne manquait aux (24) souffrances du Christ, et déclarer qu'il avait à cet égard accompli les prophéties dans toute leur étendue. Il semble aussi qu'il eût dû leur dire : Ne vous croyez pas innocents de ce déicide, parce qu'il avait été prédit, et que vous avez agi par ignorance. Toutefois ce langage eût été un peu sévère; aussi leur dit-il plus doucement : « Faites donc pénitence ». Et pourquoi? « Afin que tous vos péchés soient effacés », et ceux que vous avez commis en crucifiant le Sauveur, quoique peut-être votre ignorance puisse en partie vous excuser, et tous les autres dont vous vous êtes rendus coupables. Il ajoute ensuite : « Quand les temps de repos seront venus ». C'était parler obscurément de la résurrection, car le temps véritable du repos est celui que désirait saint Paul, lorsqu'il disait : « Pendant que nous sommes dans ce corps, comme dans une tente, nous gémissons sous son poids ». (2Co 5,4) Enfin, montrant que Dieu est l'auteur de ce repos, l'apôtre poursuit ainsi : « Quand le Seigneur aura envoyé Jésus-Christ qui vous a été annoncé depuis longtemps ». J'observe aussi que Pierre ne dit point : Afin que votre péché soit effacé, mais : « vos péchés » ; et encore qu'il se contente d'insinuer « l'envoi » ou la mission du Christ, sans entrer dans aucune explication. Il ajoute seulement « qu'il faut que le ciel le reçoive ». Mais pourquoi parler comme au futur, et ne pas dire que le ciel l'a reçu? C'est qu'il fait allusion aux prophéties anciennes qui annonçaient que tels étaient les décrets et les conseils divins. Au reste, il omet à dessein la génération éternelle du Verbe, et continue a parler de l'économie de son incarnation. « Moïse a dit à vos pères : le Seigneur vous suscitera un prophète ». Précédemment l'apôtre avait dit : « Jusqu'au jour du rétablissement de toutes choses, jour que Dieu à prédit par la bouche de tous ses saints prophètes, dès le commencement du monde ». Et ici il fait enfin paraître Jésus-Christ lui-même. Mais s'il a fait lui-même plusieurs prédictions, et si nous devons l'écouter, qui nous accuserait d'erreur lorsque nous disons que tout a été prédit par les prophètes?

904 4. Au reste l'apôtre veut montrer qu'ils ont en effet prédit toutes ces choses; et un examen attentif nous le prouvera, quoique les prophéties ne laissent pas que d'être quelquefois obscures. Pierre ne parlait donc pas un langage nouveau. « Selon ce qui a été prédit ». Ici encore il effraie ses auditeurs, en insinuant que plusieurs prophéties ne sont pas encore accomplies. Comment donc a-t-il pu dire que le Christ « avait accompli tout ce qu'il devait souffrir ? » Il a dit : « Le Christ a accompli », et non pas: Tout a été accompli, déclarant, par cette manière de parler, que le Christ avait personnellement souffert tout ce qu'il devait souffrir, mais que tout ce qui avait été prédit, comme devant ensuite arriver, n'avait pas encore été accompli. « Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi ». Cette parole ne pouvait que lui concilier la bienveillance de ses auditeurs; et admirez le double caractère d'humilité et d'élévation par lequel il désigne le Christ ! Et, en effet, le Christ est bien grand puisqu'il monte dans les cieux, et en même temps il est bien humble puisqu'il est semblable à Moïse. Au reste, cette ressemblance était alors très-importante.

Mais en même temps le Christ est bien au-dessus de Moïse, « puisque quiconque ne l'écoutera pas sera exterminé ». A cette première preuve de supériorité, l'apôtre en ajoute un grand nombre d'autres, et il en forme comme un imposant ensemble de témoignages. « Dieu le suscitera du milieu de vos frères ». Moïse lui-même a donc fait entendre de graves menaces contre ceux qui ne l'écouteraient pas, et l'apôtre les résume en quelques mots. « Et tous les prophètes », ajoute-t-il, « depuis Samuel ». Il ne les cite point chacun en particulier, pour ne pas trop allonger son discours, et il les omet à dessein après avoir heureusement allégué le témoignage de Moïse. « Vous êtes », poursuit-il, « les fils des prophètes, et les enfants de l'alliance que Dieu a faite ». Les enfants « de l'alliance », c'est-à-dire les héritiers. Et afin d'éloigner jusqu'à la pensée qu'ils lui étaient redevables de ce bienfait, l'apôtre leur rappelle que depuis longtemps ils avaient acquis ce droit. Et il leur prouve ainsi combien le Seigneur les a aimés.

« C'est à vous que Dieu, ressuscitant son Fils, l'a premièrement envoyé ». Il ne dit point simplement : Dieu vous a envoyé son Fils, mais après l'avoir ressuscité, c'est-à-dire après que vous l'avez eu crucifié. Et pour qu'ils n'attribuassent point cet acte de miséricorde au Fils et non au Père, il ajoute : « Afin qu'il vous bénisse ». Mais si le Christ, qui (25) est votre frère, vous bénit, la promesse du Seigneur se réalise. Aussi, loin que vous soyez exclus du nombre de ses enfants, il veut que vous deveniez les maîtres et les chefs de vos frères. C'est pourquoi vous ne devez point-vous considérer comme rejetés et abandonnés de Dieu. « Afin que chacun de vous revienne de son iniquité ». Ainsi ce n'est pas une simple bénédiction, mais une bénédiction pleine et abondante. Eh ! que sera donc cette bénédiction ! Elle sera vraiment grande. Car revenir seulement de ses iniquités, ne suffit pas pour les expier, ni, à plus forte raison, pour obtenir la bénédiction divine. Et en effet, quand celui qui commettait l'injustice, devient vertueux, on ne peut dire qu'il est béni, et il reçoit seulement le pardon de ses fautes.

Mais ces mots: « Semblable à moi », ne peuvent s'appliquer à Jésus-Christ qu'en qualité de législateur, et autrement ils n'auraient aucun sens. Aussi Moïse ne dit-il pas simplement : «Vous l'écouterez »; mais: « que toute âme qui n'écoutera pas ce prophète, sera exterminée du milieu du peuple ». Au reste ce n'est qu'après les avoir. convaincus de péché, et après leur en avoir offert la rémission avec la promesse dés biens du ciel, que l'apôtre allègue le témoignage de Moïse. Eh ! quelle est la conclusion de ses paroles ? » Jusqu' « au jour du rétablissement de toutes choses ». Ainsi il leur cite Moïse comme les engageant à écouter tout ce que Jésus-Christ leur dira, et les y invitant sous les plus graves menaces. Oui, ces menaces sont terribles, et c'est pourquoi il faut lui obéir. Et maintenant que signifient ces mots : « Fils des prophètes, et enfants de l'alliance? » Ils signifient héritiers et successeurs. Si vous êtes les fils du père de famille, pourquoi donc ne considérez-vous votre patrimoine que comme un bien étranger? Vous avez sans doute commis un grand crime, mais vous pouvez en obtenir le pardon.

Que ces paroles sont consolantes ! Et puis il ajoute ; « Dieu vous a envoyé son Fils pour « vous bénir ». Il ne dit pas; pour vous sauver; mais: pour, vous bénir, ce qui est bien plus excellent; et il montre ainsi que Jésus crucifié bénira ceux mêmes qui l'ont attaché à la croix. Imitons-le donc, et rejetons toute pensée de sang et d'inimitié. Il ne suffit pas de ne point se venger; car la vengeance était défendue par la loi ancienne; mais il faut nous conduire envers ceux qui nous ont fait tort comme envers de véritables amis, et les aimer comme nous-mêmes. Nous serons ainsi les imitateurs et les disciples de ce Jésus qui est mort sur la croix, et qui n'a rien épargné pour le salut de ses bourreaux, jusqu'à leur envoyer ses apôtres. D'ailleurs ne méritons-nous pas souvent l'injustice qu'on nous fait éprouver? Mais à l'égard de Jésus-Christ la conduite des Juifs fut aussi impie qu'injuste, car ils crucifièrent leur bienfaiteur, l'homme qui jamais ne leur avait fait de mal. Quel fut donc leur motif? Dites-le moi. L'orgueil et la vanité. Et cependant Jésus-Christ les honorait dans toute circonstance. Comment? Rappelez-vous ces paroles : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites donc tout ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas ce qu'ils font ». Et encore : « Allez, et montrez-vous au prêtre ». (
Mt 23,2-8) C'est ainsi que Jésus, pouvant perdre ses ennemis, leur offrait le salut, et à son exemple soyons amis de tous, et réservons pour le démon seul tout sentiment de haine et d'inimitié.
905 5. Mais voulez-vous aimer facilement vos frères? évitez le serment et la colère. Car nous ne saurions haïr celui contre lequel nous ne nous permettrons pas même un mouvement de colère. Or puisque le serment en est la cause la plus ordinaire, ne jurez plus, et vous aurez comme coupé les ailes à la colère. On peut dire aussi que le serment et la colère sont le vent qui enfle la voile; mais s'il ne souffle pas, carguez la voile; il ne sert de rien de la tenir déployée. Oui, supprimons les cris et les jurements, et nous aurons comme coupé le nerf de la colère. Si vous en doutez, essayez, et l'expérience vous convaincra qu'il en est ainsi. Je propose cet accord à l'homme le plus irascible ; qu'il s'abstienne de jurer, et de mon côté je ne lui parlerai plus de pratiquer la douceur chrétienne. Tout sera parfait, car il n'y aura plus ni serment, ni parjure.

Au reste, vous ne savez pas dans quelles difficultés vous vous engagez. Et en effet, le serment est une chaîne qui vous enlace de toutes parts, en sorte qu'il vous faut faire les plus grands efforts pour arracher votre âme à un péril inévitable. Mais si vous n'y réussissez pas, vous vous abandonnez aussitôt à la douleur, aux disputes et aux imprécations. Encore (26) toute cette colère s'échappe-t-elle en pure perte ! C'est pourquoi ordonnez et menacez, mais gardez-vous d'y ajouter le serment. Car vous pourrez alors, et à voire gré, revenir sur vos actes et sur vos paroles. D'ailleurs je ne veux aujourd'hui que vous parler avec beaucoup de douceur, puisque votre bienveillante attention me prouve que déjà vous vous êtes en grande partie corrigés. Je me bornerai donc à vous rappeler quelles circonstances ont donné lieu au serment, et l'ont propagé parmi les hommes. Le récit de son origine et celui des temps et des personnages au milieu desquels il s'est produit pour la première fois vous sera un témoignage de ma reconnaissance. L'homme vertueux n'est point étranger au langage d'une saine philosophie, et l'homme vicieux n'est point digne de l'entendre.

Dès les premiers siècles, Abraham conclut plusieurs traités, immola des victimes et offrit des sacrifices; mais il ne prononça aucun serinent. Quelles en furent donc la cause et l'occasion ? La malice toujours croissante des hommes, l'oubli complet de toute notion de justice, et les progrès de l'idolâtrie. Alors donc, et alors seulement les hommes, étant devenus irréligieux, commencèrent à prendre Dieu à témoin de leurs paroles. Et en effet qu'est-ce que le serment? Une garantie qu'on donne de sa sincérité, quand la corruption des moeurs ôte toute confiance. Ainsi le premier reproche que mérite celui qui fait un serment est d'être si peu sincère qu'on ne saurait croire à sa parole sans une garantie, et même la plus grande qu'il puisse offrir. Car c'est parce qu'on le juge indigne de la moindre confiance, que l'on repousse toute garantie qui viendrait des hommes, et que l'on exige celle de Dieu. En second lieu, celui qui requiert le serment, n'est pas moins coupable, s'il l'exige dans toutes les affaires, et s'il refuse tout autre mode de transaction.

O démence, honte et folie ! ô homme, toi qui n'es qu'un ver de terre, cendre et poussière, tu appelles le Seigneur en témoignage de ta parole, et tu le forces à devenir ta caution ! Mais si une querelle s'élevait parmi vos esclaves, et si dans le feu de la dispute l'un d'eux osait appeler son maître en garantie de sa parole; pour toute réponse vous le feriez châtier sévèrement, et vous lui apprendriez ainsi à ne point se jouer de votre autorité. Bien plus, supposons qu'au lieu de son maître, cet esclave invoquât le témoignage d'un bomme vénérable, celui-ci ne s'en tiendrait-il pas offensé? Mais je ne demande point le serment, me direz-vous. Très-bien; cessez donc de l'exiger; et quand on vous dira : Voulez-vous un tel pour caution, refusez-vous y absolument. Quoi ! faut-il que je perde mon bien ? Je ne dis point cela, et, je me plains seulement de l'offense que vous faites à Dieu. C'est pourquoi celui qui exige le serment est certainement plus coupable que celui qui le prête; mais je n'absous point celui qui jure sans en être requis.

Une conduite bien plus criminelle est celle de ces hommes qui jurent pour une obole, pour un rien, souvent même pour une chose injuste. Encore du moins si l'on ne s'exposait point au parjure. Car dans ce cas, il y a un grave désordre, et il faut en faire retomber la responsabilité sur celui qui a reçu le serment et sur celui qui l'a prêté. Mais que de choses me direz-vous, sont douteuses et inconnues ! Vous devez alors n'agir qu'avec beaucoup de réserve, et si vous êtes imprudent, ne blâmez que,vous seul. Au reste, il vous serait plus avantageux de souffrir ce dommage que tout autre. Car, lorsque vous appelez à serment votre débiteur, que vous proposez-vous? de l'entraîner à un parjure? Mais ce serait une véritable démence, et le châtiment en retomberait sur votre tête; il vaudrait mieux pour vous perdre votre fortune, qu'exposer ainsi le salut de votre frère, risquer le vôtre et offenser le Seigneur. Une telle conduite dénoterait une grande insensibilité de coeur, et une profonde impiété.

Mais j'espère, me direz-vous, que cet homme gardera son serment. Pourquoi donc ne le croiriez-vous pas sur sa parole? C'est que plusieurs craignent de violer un serment, et se font un jeu d'une simple promesse. Erreur, erreur, ô mon frère ! car celui qui s'est accoutumé à ravir le bien ou la réputation du prochain, ne respectera pas un serment, et celui qui s'effraie d'un parjure, s'effraiera bien plus encore d'une injustice. Mais il ne s'y résout qu'avec peine. — Il mérite donc que vous le traitiez avec bonté. Au reste, oublions un instant cette coutume d'exiger le serment dans toutes les transactions et affaires civiles, et portons la question sur le terrain des moeurs privées : Ici, vous ne pouvez alléguer aucune excuse, car vous jurez, et vous vous parjurez (27) souvent pour une valeur de dix oboles. Mais parce que Dieu ne lance pas sa foudre et ne nous écrase pas, nous continuons à le blasphémer; et dans quelles circonstances? A propos d'un panier de légumes, d'une paire de souliers, ou d'une modique somme d'argent.

Eh quoi ! si Dieu ne nous punit pas sur-le-champ, croyons-nous ne pas commettre de péché ? Erreur ! ce délai de sa vengeance ne prouve qu'une chose, la miséricorde du Seigneur, et nullement notre vertu. Pourquoi donc ne jurez-vous point par la vie de votre enfant, ou par, la vôtre? Et pourquoi ne dites-vous pas : Si je manque à ma parole, que je sois livré aux mains du bourreau? Mais vous craignez de proférer un,pareil serment, et à vos yeux, Dieu est moins que vos membres et que votre tête. Prononcez du moins quelque, imprécation contre vous-mêmes. Mais Jésus-Christ a porté à notre égard la bonté jusqu'à nous défendre de jurer par notre tête; et nous, au contraire, nous poussons la témérité jusqu'à profaner la gloire de Dieu, et attester son saint nom sous le plus frivole prétexte. Vous ne savez donc pas ce qu'est Dieu, et quelle bouche est digne de l'invoquer? S'agit-il d'un homme illustre par ses vertus, nous disons : Purifiez vos lèvres et louez-le ensuite; mais nous prononçons à la légère et sans aucun respect le nom adorable du Seigneur, ce nom qui est au-dessus de tout nom, qui est admirable sur toute la terre, et que les démons eux-mêmes n'entendent qu'avec frémissement.

906 6. O détestable coutume qui nous fait mépriser le nom du Seigneur ! Certes, si vous forciez votre débiteur à jurer dans le lieu saint, vous vous croiriez coupable de sacrilège. Mais qui vous inspirerait cette horreur? L'usage qui est contraire à de pareils serments, tandis que ce même usage les autorise en tout autre lieu. Eh quoi ! est-il donc permis de prononcer en vain le saint nom de Dieu ? Les Juifs l'entouraient d'un tel respect qu'ils l'écrivaient sur une lame d'or, et que le grand prêtre seul la portait sur le front. Nous, au contraire, nous le proférons presque à chaque instant avec une coupable légèreté. Si dans l'ancienne loi il était interdit de prononcer même le nom de Dieu, n'est-ce pas, je vous le demande, une étrange audace et un véritable délire que de l'appeler en témoignage de notre parole? Toute perte devrait nous paraître préférable à un tel blasphème. Je vous le répète donc, et je vous adjure de ne pas l'oublier. Bannissez le serment de toutes vos transactions civiles ou commerciales, et amenez-moi tous les désobéissants. Oui, je vous le dis et je vous le recommande en présence de tout le clergé de cette ville, il n'est permis à personne de jurer, soit en prenant en vain le nom de Dieu, soit de toute autre manière.

Si quelqu'un viole cette défense, qu'on me le dénonce, quel qu'il soit. Vous n'êtes que des enfants, et il faut que je vous traite comme des enfants. Mais qu'il n'en soit pas ainsi ! car je rougirais pour vous si vous aviez encore besoin d'être menés la verge à la main. Oseriez-vous, n'étant que catéchumène, vous approcher de la table sainte? Et ce qui est bien plus grave encore, vous ne craignez point, après votre baptême, de vous asseoir à cette table, dont tous les prêtres n'approchent pas, et de vous permettre ensuite de criminels jurements. Certes, vous n'oseriez, au sortir de ce lieu saint, frapper votre enfant, et vous n'avez ni honte, ni crainte de jurer après avoir communié! Amenez-moi les coupables; j'en ferai bonne justice, et je les renverrai contents et satisfaits. Au reste, faites ce que vous voudrez; pour moi, je vous intime ce commandement : Ne jurez point. Eh ! comment espérer encore que l'on sera sauvé si l'on transgresse ainsi toutes les lois divines? Les contrats et les actes de commerce ne sont-ils donc faits que pour la perte de votre âme? Et pouvez-vous gagner autant que vous perdrez ?

Celui que vous avez appelé à serment se parjure-t-il? Vous perdez son âme et la vôtre. — Mais il remplira son serment. — Vous n'en avez pas moins donné la mort à son âme, en le forçant de transgresser un précepte divin. Corrigeons-nous donc de cette criminelle coutume, et bannissons le serment de la place publique, des boutiques, et en général de toutes nos transactions. Nous sommes, assurés d'en retirer le plus grand fruit. Car ne pensez pas avancer vos affaires en transgressant la loi divine. Mais personne, me direz-vous, ne veut me croire sur parole, et l'on m'oblige à mille serments. Telle est l'objection qui m'est faite souvent; et moi je vous réponds que vous êtes coupables de jurer ainsi avec tant de facilité. Car s'il en était autrement et si l'on savait bien que jamais vous ne vous permettez de jurer, je vous assure qu'on aurait plus de confiance en votre parole qu'aux serments multipliés de mille autres. Moi, je ne jure point, et cependant vous me croyez de préférence à ceux qui ont toujours te serment à la bouche.

Mais, m'objecterez-vous, vous êtes prince et évêque. Sans doute et même quelque chose de plus. Car, répondez-moi en toute franchise :, Si j'avais la criminelle habitude de jurer en toute circonstance, respecteriez-vous beaucoup ma dignité? Nullement. Ma, dignité est donc en dehors de la question. Et maintenant, je vous le demande, que gagnez-vous à jurer ainsi? L'apôtre savait endurer la faim; et à son exemple, vous devriez préférer la pauvreté à cette criminelle violation de la loi divine. Vous restez incrédule : eh bien ! ne néglige aucun moyen, et souffrez même, s'il le faut, pour, vous corriger; est-ce que Dieu ne vous en récompensera pas? Et Celui qui nourrit chaque jour les parjures et les blasphémateurs, vous laisserait-il mourir de faim parce que vous auriez obéi à sa parole?

O vous donc, qui êtes ici réunis, prenez tous l'engagement de ne plus jurer, et déjà célèbres par votre foi, distinguez-vous encore par là des autres églises de la.Grèce, et même de tous les autres peuples. Ce sera un sceau céleste qui nous désignera en tous lieux comme le royal troupeau de Jésus-Christ. Notre langage et nos paroles nous feront distinguer des autres fidèles comme un accent étranger fait reconnaître un barbare d'avec un grec. Eh ! dites-moi, qui distingue les perroquets des autres oiseaux? N'est-ce pas leur aptitude à parler ? Et de même, comme autrefois les apôtres, nous nous ferons connaître à notre parole, si nos entretiens sont tout angéliques. Lorsqu'on vous dira : Prêtez serment; répondez : Jésus-Christ le défend et je ne le prêterai pas. C'en sera assez pour vous affermir dans toutes les vertus chrétiennes, vous ouvrir les voies de la piété, vous initier à la véritable philosophie, et vous faciliter l'exercice des moyens de salut. Soyons fidèles à observer ces règles, et nous obtiendrons les biens du temps.et ceux de l'éternité, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

Traduit par M. l'abbé DUCHASSAING.


Chrysostome sur Actes 800