Chrysostome Homélies 1300

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SERMONS SUR LA CONSOLATION DE LA MORT

AVERTISSEMENT.

Ces deux opuscules ne nous ont été conservés que dans une traduction latine. Le premier porte en tète : « Sermon de saint Jean sur la consolation de la mort. » Le second réuni au premier n'a point de titre et se termine seulement par ces mots : « Fin du discours de la Résurrection. » Il est probable que le saint Jean désigné par le titre du premier de ces deux discours n'est autre que saint Jean Chrysostome, dont on croit d'ailleurs reconnaître l'éloquence à travers le voile de la traduction latine. 2 n'est pas impossible néanmoins que ces deux ouvrages soient de simples centons dont les éléments auraient été puisés dans les écrits du saint évêque. — Le commencement du second discours établit sa connexion avec le premier ; et le mot Libellas que porte le texte à cet endroit, permet de supposer que ni l'un ni l'antre n'a peut-être été prononcé. — Au point de vue littéraire, on remarquera la vive prosopopée qui se trouve au paragraphe 7 du second sermon.

PREMIER SERMON.

ANALYSE.

1. De la bonne et de la mauvaise tristesse.
2. Loi générale de la mort.
3. La mort peut être un bienfait.
4. Le deuil aboli par la loi nouvelle.
5. De la résurrection.
6. Qu'il faut répondre avec joie à l'appel de Dieu.
7. L'attente de la résurrection, fond du Christianisme.

1301 1. Faites silence, mes frères, si vous ne voulez laisser perdre des paroles utiles et qui vous seront bien nécessaires en ce moment. Le besoin de la médecine ne se fait jamais mieux sentir, que lorsqu'une grave maladie se déclare : s'il y a lieu d'appliquer avec soin le collyre, c'est lorsque l'oeil est en souffrance. Vous qui êtes exempts de pareilles infirmités, écoutez-moi donc sans murmurer..: car l'homme en santé, lui-même, ne peut rien perdre à (512) connaître les médicaments salutaires: et vous dont le mal a gagné l'âme et obscurci la clairvoyance, n'en soyez que plus attentifs à ouvrir les yeux afin que le collyre de la parole de salut vous soit. appliqué, non-seulement pour votre consolation, mais encore pour votre guérison. Si la personne qui a mal aux yeux refuse de les ouvrir pour y recevoir le collyre versé par le médecin, le remède se répand au dehors de la pupille, et l'oeil demeure endolori : de même, si l'affligé, dans l'excès de sa tristesse, ferme son âme aux avertissements qui pourraient le sauver, il souffre encore davantage, et éprouvera peut-être la vérité de ces paroles de l'Ecriture : que la tristesse du monde opère la mort. (2Co 7,10) Le bienheureux apôtre Paul, ce docteur des fidèles, ce médecin de salut, a dit qu'il y a deux tristesses : l'une bonne, l'autre mauvaise ; l'une utile, l'autre funeste; l'une qui sauve, l'autre qui perd. Et pour que personne ne révoque en doigte ce que je dis, je vais citer ses propres paroles. Il dit : « La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable; mais la tristesse du siècle produit la mort. » (2Co 7,10) Voilà la mauvaise tristesse.

1302 2. Voyons donc, mes frères, si la tristesse présente, si celle qui dévore maintenant les coeurs et s'exprime dans le langage, est utile ou funeste, capable d'aider ou de nuire. Voilà un corps inanimé ; sur une table est étendu un homme qui n'est plus un homme, des membres privés de vie ; on crie, il ne répond pas; on l'appelle, il n'entend pas ; son visage est pâle, défiguré, d'une transparence qui laisse voir la mort : à ce spectacle vient se joindre l'idée du silence éternel qu'il va désormais garder, du plaisir qu'on a goûté dans son commerce, des services qu'il aurait pu nous rendre; le sang parle, les plus tendres paroles arrivent à notre coeur, avec le regret d'une longue familiarité. Voilà sans doute de quoi tirer des larmes, exciter des gémissements, et plonger l'âme entière dans une tristesse profonde. A cette douleur si forte, si bien armée, la première chose à opposer, c'est que tout ce qui naît ici-bas est condamné à mourir. Telle est la loi de Dieu, telle est l'immuable sentence qu'après sa faute le premier père du genre humain s'entendit signifier, quand Dieu lui dit : « Tu es terre, et tu iras en terre. » Qu'y a-t-il donc d'étonnant à ce qu'un homme, né pour ce destin, ait satisfait à la loi, à la sentence divine? Faut-il s'indigner de ce qu'un fils de mortels ait répondu à l'appel, à l'irrésistible appel de la nature qui est la sienne? Ce qui est si ancien n'a rien d'étrange, ce qui est quotidien n'a rien d'inouï, ce qui est commun à tous n'est particulier à personne.

Si nous savons que nos ancêtres et nos bisaïeux sont partis par ce même chemin de la mort, si les patriarches même, si les prophètes, à commencer par Adam ont dû mourir pour s'en aller de ce monde, retirons notre âme de cet abîme de tristesse : ce mortel n'a fait que payer sa dette. Et qu'y a-t-il de triste dans l'acquittement d'une dette ? Cette dette, on ne saurait s'en décharger à prix d'argent : cette dette, ni la vertu n'en dispense, ni la sagesse, ni la puissance ; et les rois mêmes sont contraints dé la payer. Ah ! je vous exciterais à redoubler de tristesse, si, pouvant empêcher ou retarder cet événement au prix de quelque sacrifice, votre négligence ou votre parcimonie l'eût laissé s'accomplir. Mais, puisque tout provient d'un éternel et immuable décret de la Divinité, c'est à tort que nous nous plaignons, à tort que nous recherchons en nous-mêmes les raisons de cette mort, quand il est écrit : « Au Seigneur Dieu appartiennent les dénouements de la mort. » (
Ps 47,21) Pénétrons-nous de cette condition imposée généralement à la vie : et les yeux de notre âme, grâce à ce premier remède, commenceront à éprouver quelque soulagement.

1303 3. Mais; dites-vous que la mort est un malheur commun à tous, je le sais bien : je n'ignore pas que celui que j'ai perdu n'a fait que payer sa dette : mais je songe à l'attrait de son commerce, aux liens qui nous unissaient, à notre intimité : de là mes regrets. Si pour cette raison vous vous abandonnez à la tristesse, vous êtes le jouet de l'erreur et non le sujet de la raison. Vous devez savoir que Dieu qui vous avait donné ce bonheur, peut vous en donner un autre qui le surpasse; que celui qui vous a infligé cette perte, saura bien, dans une autre occasion, la réparer. Pour ce qui est de l'intérêt, si vous songez au vôtre, vous devez considérer aussi celui du défunt : peut-être est-ce un bonheur pour lui, suivant ce qui est écrit « Il a été enlevé, pour que la malice ne changeât point son intelligence. Son âme était agréable à Dieu, et pour cette raison il s'est hâté de le retirer du milieu de l'iniquité. » (Sg 4,11-14) Que dire de l'intimité que (513) le temps efface quelquefois, au point que la mémoire n'en garde aucune trace? Ce que le temps peut faire, à plus forte raison la sagesse et la réflexion doivent-elles l’opérer. Songeons surtout à cette sentence divine exprimée par la bouche de l'Apôtre: « La tristesse du siècle produit la mort. » Plaisir, intérêt présent, commerce intime, toutes ces choses sont du monde, toutes ces joies sont du siècle et passent avec lui : se décourager, se contrister pour cela, n'est-ce pas vraiment une maladie mortelle? Je ne puis que vous le répéter encore, vous le répéter sans cesse : « La tristesse du siècle produit la mort. » Pourquoi produit-elle la mort? Parce qu'une tristesse excessive nous conduit ou au doute ou au blasphème..

1304 4. Mais, dira-t-on, nous interdis-tu de pleurer les morts? Quand on a pleuré les patriarches, et Moïse, ce ministre de Dieu, et tant de prophètes ; quand Job, le juste par excellence, a déchiré ses vêtements après avoir perdu ses fils; ce n'est pas moi qui défends de pleurer les morts, c'est l'Apôtre des Gentils, lequel parle ainsi : « Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, au sujet de ceux qui dorment, que vous ne devez pas vous affliger comme ceux qui n'ont pas d'espérance. » (1Th 4,12) Ce texte si clair ne saurait être obscurci par les exemples de ceux qui avant la loi ou à l'ombre de la loi, ont pleuré leurs morts. Ils avaient raison de pleurer, parce que le Christ n'était pas encore venu du ciel sécher par sa résurrection cette source de larmes. Ils avaient raison de pleurer, parce que la sentence de mort portait encore ses effets. lis avaient raison de gémir: car la résurrection n'était pas encore prêchée. Les saints espéraient la venue du Seigneur: mais en attendant, ils pleuraient leurs morts, parce qu'ils n'avaient pas encore vu celui qu'ils espéraient. Siméon, un de ces saints de l'ancien temps, d'abord inquiet à la pensée de mourir, n'eut pas plutôt reçu entre ses bras Jésus Notre-Seigneur, encore enfant selon la chair, qu'il se félicita,de sa mort prochaine, en disant: « Maintenant vous laissez, Seigneur, votre serviteur s'en aller en paix parce que mes yeux ont vu le Sauveur qui vient de vous. » (Lc 2,29-30) O bienheureux Siméon ! Il avait vu l'objet de son espérance, et désormais il considérait la mort comme une paix, un repos. Mais vous direz : Ne lit-on pas dans l'Evangile que la fille du chef de la synagogue fut pleurée, que les soeurs de Lazare te pleurèrent. C'est que ces affligés restaient attachés à la doctrine de l'ancienne loi, attendu qu'ils n'avaient pas encore vu le Christ ressusciter d'entre les morts. Que dis-je ? Le Seigneur lui-même pleura Lazare enseveli, non certes, pour donner l'exemple de pleurer les morts, mais pour montrer par ses larmes qu'il s'était revêtu d'un corps véritable; ou encore, dans son humanité, il pleurait sur les Juifs qu'un pareil signe même ne devait pas faire croire en lui. En effet, ce n'est pas la mort de Lazare qui pouvait causer ses larmes, puisque Jésus lui-même l'avait déclaré endormi, et avait promis de le ressusciter, ce qui fut fait.

1305 5. Les anciens gardèrent donc leurs usages et leur faiblesse jusqu'à la venue du Christ: Mais du jour où le Verbe fut fait chair et habita parmi nous, du jour où le dernier Adam abrogea la sentence portée contre le premier, du jour où le Seigneur anéantit notre mort par sa mort et ressuscita des enfers le troisième jour, la mort cessa d'être un objet d'effroi pour Ils fidèles . on ne craint plus le .déclin du jour, parce que le soleil levant paraît au ciel. Ecoutez plutôt la voix du Seigneur qui ne saurait mentir . «Je suis la résurrection et la vie: celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra, et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais.» (Jn 11,25-26) Elle n'a rien d'ambigu, mes très-chers frères, cette parole divine: Quiconque croit au Christ et garde ses commandements, vivra, même après sa mort. S'emparant à son tour de cette parole, et s'y attachant de toute la force de sa foi, l'apôtre sain!. Paul enseignait ce qui suit; «Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, au sujet de ceux qui dorment, que vous ne devez pas être tristes. » (1Th 4,12) Admirable révélation de l’Apôtre ! Un mot lui suffit pour prêcher la résurrection, avant d'en enseigner le dogme. Il appelle les morts « Ceux qui forment,» et fait entendre clairement par là qu’ils doivent ressusciter. « Vous ne devez pas être tristes au sujet de ceux qui dorment, ainsi que les autres. » Ceux qui n'ont pas l'espérance, qu'ils s'abandonnent à la tristesse: nous qui sommes fils de l'espérance, réjouissons-nous. Maintenant, quelle est cette espérance qui nous distingue, c'est ce qu'il nous apprend en disant: « Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, Dieu amènera de même avec Jésus (514) ceux qui se seront endormis en lui.» (1Th 4,13) Jésus est pour nous, et le salut durant notre vie terrestre, et la vie à notre départ d'ici-bas. « Pour moi, dit l'Apôtre, vivre est le Christ, et mourir un gain. » (Ph 1,2-1) Gain en effet, puisqu'une prompte mort nous dispense des peines et des tribulations attachées à une vie plus longue. Voici maintenant que le prophète nous fait savoir dans quel ordre et de quelle manière sera réalisée notre espérance : « Nous vous affirmons sur la parole du Seigneur que nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont déjà endormis. Car le Seigneur lui-même, au commandement et à la voix de l'archange, et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel; et ceux qui seront morts dans le Christ, ressusciteront les premiers. Ensuite, nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au-devant du Christ dans les airs: et ainsi nous serons à jamais avec le Seigneur. » (1Th 4,14-16) Il veut dire par là que le Seigneur à son arrivée trouvera beaucoup de chrétiens encore vivants et non séparés de leur corps; ceux-ci, néanmoins, ne seront pas ravis au ciel avant que les saints morts, ressuscités par la trompette de Dieu et la voix de l'archange, soient sortis de leurs tombeaux. Mais une fois réveilles, ils seront enlevés dans les nuées, conjointement avec les vivants, pour aller au-devant de Jésus-Christ dans les airs : et dès lors ils règneront à jamais avec lui. Et certes l'on ne saurait révoquer en doute que les corps, malgré leur pesanteur, puissent être soulevés dans les airs: c'est ainsi qu'à la voix du Seigneur, le corps de Pierre put marcher sur les eaux. L'histoire d'Elie nous fournit encore une confirmation de notre espérance, dans ce fait qu'il fut ravi au ciel à travers les airs sur un char enflammé.

1306 6. Mais vous demanderez peut-être : En quel état sera-t-on après la résurrection? C'est votre Seigneur qui vous l'apprend: « Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père.» (Mt 13,43) Que dis-je, comme le soleil? Quand les fidèles doivent être transfigurés à l'image du Christ, comme l'atteste l'apôtre Paul : « Notre vie est dans les cieux: c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui réformera le corps de notre humilité en le conformant à son corps glorieux. » (Ph 3,20-21) Sans nul doute cette chair mortelle sera transfigurée en conformité de là splendeur du Christ: ce qui était mortel se revêtira d'immortalité: car « Ce qui avait été semé dans l'infirmité, ressuscitera dans la force. » (1Co 15,43) La chair ne craindra plus la corruption, elle ne sera plus sujette à la faim, à la soif, aux maladies, aux accidents. La paix profonde, une sécurité constante, peuvent se rencontrer dans cette vie. Autre est cette gloire céleste, où la joie même ne subira point d'éclipses.

1307 7. Voilà ce que saint Paul avait dans l'esprit et sous les yeux, lorsqu'il disait : « Je désirais « d'être dissous et d'être avec Jésus-Christ, chose bien meilleure pour moi. » (Ph 1,23) Ailleurs il parle explicitement : « Pendant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur: car c'est par la foi que nous marchons, et non par une claire vue. Mais nous aimons mieux sortir de ce corps et aller jouir de la présence du Seigneur. » (2Co 5,6-8) Hommes de peu de foi, que faisons-nous donc, quand nous perdons le courage et la paix, pour peu qu'une des personnes qui nous sont chères s'en aille auprès du Seigneur? Que faisons-nous en préférant voyager en ce monde, plutôt que d'être transportés en présence du Christ? Oui, toute notre vie n'est qu'un voyage comme des étrangers en ce inonde, nous n'avons pas de séjour fixe, nous travaillons, prenons de la peine, marchant par des voies difficiles, hérissées de dangers : de toutes parts des piéges, des ennemis tant spirituels que corporels, de tous côtés des sentiers d'erreur. Et quand tant de périls nous assaillent, loin de faire des voeux pour notre délivrance, nous allons jusqu'à plaindre et pleurer ceux qui sont délivrés, comme s'ils étaient perdus! Quel service Dieu nous a-t-il donc rendu par son Fils unique, si nous redoutons encore le trépas? Pourquoi nous glorifier d'avoir été régénérés par l'eau et par l'Esprit, si le départ d'ici-bas nous afflige? Le Seigneur lui-même nous crie : « Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et où je suis, là sera aussi mon serviteur.» (Jn 12,26)

Supposez qu'un roi terrestre invite quelqu'un à visiter son palais ou à prendre place à sa table, l'invité ne s'empressera-t-il point d'accourir ? Combien ne devons-nous pas nous hâter davantage d'accourir vers le roi du ciel, qui appelle ceux qu'il reçoit, non-seulement à sa table, mais encore au partage de son trône : « Si nous mourons avec lui, dit l'Ecriture, nous vivrons avec lui; si nous souffrons, nous régnerons avec lui.» (2Tm 2,12) Je ne dis pas cela pour qu'on attente à sa vie, pour qu'on se donne la mort contre la volonté du Dieu créateur, pour qu'on chasse son âme de l'asile que lui offre le corps : je dis cela pour que, à l'heure où l'on est appelé soi-même ou voit appeler son prochain, on parte joyeux et content, ou qu'on félicite ceux qui partent. Le fond du .christianisme, en effet, c'est l'attente d'une vraie vie après la mort, d'un retour après le départ. Munis de la parole de l'Apôtre, remercions donc avec confiance Dieu qui nous a fait vaincre la mort, par le Christ, Notre-Seigneur, à qui gloire et puissance, maintenant et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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SECOND SERMON.

ANALYSE.

1. Résurrection de la chair, à démontrer seule contre les infidèles et les incrédules, celle de l'âme étant admise par tous.
2. Possibilité, analogies, vision d'Ezéchiel.
3. Promesse divine, témoigna;e des apôtres et des martyrs. Exemple de la mère des Macchabées, de David, d'un païen.
4. Prosopopée : le diable au jour du jugement, plaidant la cause de ce païen comparé aux chrétiens pusillanimes.
5. Bornes prescrites aux regrets.
6. Garder sa tristesse pour la pénitence.
7. Exhortation à la résignation.

1401 1. Dans le discours qui précède nous avons traité brièvement des raisons qui doivent nous consoler d'être mortels, de l'espoir de la résurrection ; nous allons maintenant revenir avec plus de développements et plus de force sur le même sujet. Si les choses que j'ai dites sont certaines aux yeux des fidèles, elles paraissent des fables aux infidèles et aux incrédules, c'est à ceux-ci que nous nous adresserons d'abord en quelques mots. Tous vos doutes, à vous incrédules, portent sur la permanence du corps. Quelques-uns nient, en effet, qu'un corps réduit en poussière puisse ressusciter et revivre. D'ailleurs en ce qui concerne l'âme, la chose leur paraît indubitable; aussi bien, touchant l'immortalité de l'âme il n'y pas même de dissentiment parmi les philosophes, quoique païens. Qu'est-ce que la mort, sinon la séparation du corps et de l'âme? Au départ de l'âme qui vit toujours, qui ne petit mourir, parce qu'elle provient du souffle de Dieu, le corps seul périt, car il y a en nous une partie mortelle, une autre immortelle., Mais à son départ., l'âme, invisible aux yeux charnels, est recueillie par les anges, et établie, ou dans le sein d'Abraham, si elle est fidèle, ou dans la prison de l'enfer, si elle est pécheresse; jusqu'à l'arrivée du jour fixé pour qu'elle rentre en possession de son corps et rende compte de ses actes au tribunal du juge incorruptible, le Christ. Les hésitations ne regardent donc que la chair. En conséquence, c'est à son secours qu'il faut venir, c'est sa résurrection qu'il faut démontrer.

1402 2. Que si quelque sceptique, quelque incrédule me demande : « Comment les morts ressusciteront-ils? ou avec quel corps reviendront-ils? » je leur répondrai par la bouche (516) et avec le langage de l'Apôtre : « Insensé, ce que tu sèmes n'est point vivifié, si auparavant il ne meurt. Et ce que tu sèmes n'est pas le corps même qui doit venir, mais une simple graine, comme de blé ou de quelque autre chose (1Co 15,35-37), » une graine morte et desséchée ; et une fois tombée en putréfaction, elle se lève plus féconde, se revêt de siliques, s'arme d'épis. Comment donc celui qui fait renaître le grain de blé à cause de toi, serait-il incapable de te ressusciter en vue de lui-même ? Celui qui ressuscite chaque jour le soleil plongé dans le sépulcre de la nuit, qui renouvelle la lune presque éteinte, qui ramène pour nos besoins les saisons écoulées, pourrait ne pas nous rappeler, nous en faveur de qui il répare toutes choses, et laisser disparaître sans retour ceux qu'il a allumés de son souffle, animés de son Esprit? Il cesserait d'être à jamais, l'homme qui l'a connu, adoré pieusement?

Mais vous hésitez encore à croire que vous puissiez renaître après la mort, être rappelés à l'existence, quand vous ne serez plus qu'une cendre, qu'une poussière d'ossements? Mais dites-moi donc ce que vous étiez avant que votre mère vous conçût? Rien, assurément. Eh bien ! ne sera-t-il pas facile à Dieu qui tous a créés de rien, de vous refaire avec quelque chose? Croyez-moi, refaire ce qui fut sera aisé à qui a pu créer celui n'était pas. Celui qui, dans le sein de votre mère, a, de je ne sais quelle semence, fait sortir des nerfs, des veines et des os, celui-là pourra, n'en doutez point, vous retirer du sein de la terre pour une rie nouvelle. — Mais vous craignez que vos os desséchés ne puissent se revêtir désormais de la chair qui les couvrait autrefois ? Gardez-vous d'apprécier la majesté divine d'après votre propre impuissance. Ce Dieu, père de l'univers, qui vêt les arbres de feuilles et les prairies de fleurs, ce Dieu saura bien habiller vos os, quand sera venu le printemps de la résurrection.

Le prophète Ezéchiel en avait douté quelque temps, le Seigneur lui demandant si les ossements desséchés qui gisaient dans la plaine, vivaient, il répondit : « Vous le savez, Seigneur. » Mais après que Dieu lui ayant donné ses ordres et lui-même prophétisant, il eut tu ces os accourir à leurs places et rentrer dans leurs jointures, quand il eut vu ces os desséchés s'unir par des nerfs, se couvrir de chair, se sillonner de veines, se vêtir de peau ; après qu'il eut prophétisé en esprit et que l'esprit de chacun fut revenu et rentré dans ces corps gisants, qu'ils eurent ressuscité, qu'ils se tinrent debout; alors le Prophète, raffermi au sujet de la résurrection, mit par écrit sa vision, afin qu'une si grande chose parvînt à ta connaissance de la postérité. C'est donc justement qu'Isaïe s'écrie : « Les morts se relèveront, ceux qui sont dans les tombeaux ressusciteront, ceux qui sont dans la terre se réjouiront. Car la rosée qui vient de vous est la santé pour eux. » (Is 26,19) Au printemps, de même que la rosée fait germer et croître les semences humides, ainsi la rosée de l'Esprit fera germer les os des fidèles.

1403 3. Doutez-vous maintenant qu'avec quelques débris d'ossements on puisse refaire l'homme tout entier? Une faible étincelle tous suffit, à vous, pour ranimer une grande flamme : et Dieu, avec un lieu de cendre ne pourrait refaire votre humble corps dans son intégrité? En vain vous diriez: nulle part les restes de la chair ne se retrouvent : peut-être ils ont été consumés par le feu ou dévorés par les bêtes mais sachez d'abord que tout ce qui est consumé retournera dans les entrailles de la terre, d'où il su lira d'an ordre de Dieu pour le faire sortir. Vous-même, quand vous manquez de feu, vous prenez une pierre et un peu de fer, et vous faites sortir des veines du caillou autant de feu qu'il vous est nécessaire. Ce que. vous faites par votre industrie et l'intelligence que Dieu vous a départie lui-même, quand vous amenez au jour ce qui était invisible, comment la majesté divine n'aurait-elle pas le pouvoir de l'opérer? Comment ne pourrait-elle pas faire paraître ce qui était caché jusque-là? Croyez-moi : Dieu peut tout.

1404 4. Occupez-vous de savoir une seule chose, s'il a, promis d'opérer la résurrection : une fois assuré de la réalité de cette promesse par le témoignage de plus d'un grand pomme, que dis-je ? par l'infaillible garantie de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, affermi dans la foi, cessez désormais de craindre la mort. Continuer de la craindre, en effet, c'est douter: et douter, c'est se charger d'un péché sans remède : car c'est accuser Dieu, par cette incrédulité téméraire, ou d'impuissance, ou, tout au moins, de mensonge. Mais ce n'est pas là ce qu'établissent les bienheureux apôtres, les saints martyrs. Les apôtres enseignent que le Christ est ressuscité pour répandre ce dogme (517) de la résurrection ; ils nous annoncent que les morts doivent être ressuscités en lui ; ils n'ont reculé ni devant la mort, ni devant les tortures, ni devant la croix. Si le témoignage de deux ou de trois personnes suffit en toute matière, comment révoquer en doute la résurrection des morts, établie par tant de témoignages si valables, et scelles du sang de ceux qui les ont prononcés?

Et les saints martyrs? ont-ils compté, oui ou non, sur la résurrection? S'ils n'y avaient pas compté, ils n'auraient certes pas accueilli comme le plus grand des bonheurs une mort aggravée par tant de souffrances et de tourments. C'est qu'ils ne songeaient pas aux supplices du moment, mais aux récompenses futures. Ils savaient qu'il est ait : « Les choses qui se voient sont pour un temps; mais celles qui ne se voient pas sont éternelles. » (
2Co 4,18) Ecoutez, mes frères, un trait de courage. Une mère exhortait ses sept fils, sans pleurer, que dis-je? avec joie : elle voyait ses fils écorchés, coupés en morceaux, brûles à petit feu : et elle ne pleurait pas, elle ne gémissait pas, elle encourageait instamment ses fils à la patience. Ce n'était point certes cruauté chez elle, mais bien fidélité elle aimait ses fils, non avec faiblesse, mais d'un amour viril. Elle exhortait ses fils au martyre qu'elle subit- elle-même avec joie. C'est qu'elle était sûre de sa résurrection et de celle de ses fils? Que dirai-je de tant d'hommes, de femmes, d'enfants, de jeunes filles? raconterai-je comment tous se jouèrent de la mort, comment tous s'enrôlèrent avec le plus vif empressement dans la céleste milice? Il n'aurait tenu qu'à eux, cependant, de rester dans la vie présente: car ils étaient libres ou de vivre en reniant le Christ, ou de mourir en le confessant : mais ils préférèrent sacrifier une vie temporaire, et conquérir la vie éternelle, quitter la terre et habiter le ciel.

1405 5. Comment hésiter dans ce choix, mes frères? quel asile reste-t-il encore à la crainte de la mort? Si nous sommes les fils des martyrs, si nous voulons être reconnus pour leurs héritiers, ne nous affligeons pas devant la mort, ne pleurons pas les êtres chers à notre âme, qui s'envolent avant nous vers le Seigneur. Si nous étions tentés de porter leur deuil, les bienheureux martyrs nous réprimanderaient eux-mêmes, et nous diraient : O fidèles! ô vous qui aspirez au royaume de Dieu ! vous qui pleurez avec tant de marques d'affliction ceux que vous aimez, quand ils sont morts dans leurs lits, mollement couchés sur la plume, si vous les voyiez torturer et mettre à mort par les Gentils pour le nom de Dieu, que feriez-vous? L'histoire ne vous fournit-elle pas un exemple? Le patriarche Abraham, offrant son fils unique en sacrifice, l'égorgea par le glaive de son obéissance; il ne fit pas grâce à celui qu'il aimait d'un si profond amour, parce qu'il voulait prouver sa docilité aux ordres divins. Me direz-vous qu'il n'a agi ainsi qu'à cause de ce commandement d'en-haut? Eh bien ! à vous aussi, il vous est commandé de ne pas vous affliger au sujet des endormis. Ceux qui n'observeront pas les moindres préceptes, observeront-ils les plus grands ? Ignorez-vous que l'âme qui succombe à de telles épreuves, encourt la condamnation dans les épreuves plus redoutables? Si l'on a peur d'un ruisseau, se hasardera-t-on sur la mer? Celui qui pleure une perte si amèrement, est-il capable d'affronter la lutte du martyre? Car, pour celui qui se montre patient et magnanime en ces occurrences, il se fraye la voie pour monter plus haut.

1406 6. En voilà assez, mes frères, pour vous inspirer le mépris de la mort, et confirmer vos espérances. Il me reste à mettre sous vos yeux l'exemple des anciens, exemple consolateur entre tous, auquel je souhaite que vous prêtiez tous l'attention du coeur. Le grand roi David voyait avec la plus vive douleur un fils chéri, qu'il aimait plus que sa propre vie, atteint d'une maladie : tout remède humain étant devenu impuissant, il recourut à Dieu; déposant tout l'appareil tic la majesté royale, il s'assit à terre, coucha sur un cilice, s'abstint de boire et de manger : et sept jours durant il pria Dieu de vouloir bien lui accorder la vie de son fils, Les vieillards de son palais vinrent le consoler, le prier d'accepter du pain, craignant que dans son zèle pour la vie de son fils, il ne le précédât lui-même au tombeau. Ils ne purent rien gagner, rien obtenir par leurs instances: une tendresse aussi vive brave le danger même. Il repose donc, ce roi, sur un sordide cilice, pendant que son fils est malade : les paroles ne peuvent le consoler; le besoin de nourriture ne saurait même le distraire. Son âme se repaît de tristesse, son coeur se nourrit de souffrances; ses yeux versent des larmes, et c'est son unique breuvage.

Sur ces entrefaites le décret de Dieu s'accomplit: l'enfant meurt. Voilà la mère en deuil, toute la maison dans les larmes; les esclaves tremblants, indécis, ne savent que faire : aucun n'osait annoncer au maître la mort de son fils : ils craignaient que ce père, si affligé quand son enfant vivait encore, ne mît fin à ses jours en apprenant qu'il n'était plus. Tandis que les serviteurs disputent entre eux, tandis que, dans leur trouble, ils se pressent ou se dissuadent mutuellement de parler, David comprend, il prévient le message, il demande si son fils a rendu l'âme. Ils ne peuvent dire non, leurs larmes révèlent la vérité. On accourt avec une hâte inusitée, on est dans l'attente et dans la crainte, de ce que peut tenter contre lui-même ce tendre père. Le roi David quitte aussitôt le cilice sur lequel il était couché; il le quitte, le visage serein, comme s'il avait appris que son fils était sauvé; il va au bain, se plonge dans l'eau; il va au temple, adore Dieu; il prend son repas avec ses amis, étouffant ses soupirs, mettant fin à ses lamentations, un air de contentement sur le front.

Les gens de la maison s'étonnent; ses amis demeurent stupéfaits de ce changement surprenant et subit: enfin ils osent lui demander d'où vient, qu'après avoir tant pleuré du vivant de son fils, il ne pleure plus maintenant qu'il est mort. Alors cet homme magnanime répondit: Tant que mon fils vivait encore, il fallait m'humilier, jeûner, pleurer sous les yeux du Seigneur: car je pouvais espérer la prolongation de sa vie : mais aujourd'hui que la volonté du Seigneur est accomplie, ce serait une folie et une impiété, de me tourmenter de lamentations inutiles. «J'irai vers lui,» dit-il, « il ne reviendra pas vers moi. » Contemplez cet exemple de magnanimité, de courage. Si David, qui vivait sous le régime de la loi, à une époque où le deuil était, je ne dirai pas permis, mais imposé, sut interdire ainsi à son sueur un deuil déraisonnable, réprimer ainsi sa tristesse et celle des siens: nous qui vivons sous le régime de la grâce, nous qui sommes assurés de la résurrection, à qui toute tristesse est interdite, de quel front osons-nous pleurer nos morts à la façon des Gentils, pousser des hurlements insensés, comme font en d'autres circonstances les ministres de Bacchus, déchirer nos vêtements et mettre nos poitrines à nu, faire entendre de stériles chants de plainte autour du tombeau où repose le corps du défunt? Enfin pour quelle raison teindre en noir nos vêtements, sinon pour attester, non-seulement par nos pleurs, mais par nos vêtements mêmes que nous sommes de malheureux infidèles? Ce sont là, mes frères, des rites étrangers, empruntés, défendus, et messéants, lors même qu'ils seraient permis.

Mais quelquefois, quand il s'agit d'un frère ou d'une sueur, en dépit de la force qu'on peut puiser dans sa foi et dans la volonté du Seigneur, on se laisse vaincre, ébranler par l'opinion de ses parents, de ses voisins: on craint de paraître insensible et dur, en s'abstenant de toucher à ses vêtements, de s'abandonner aux orgies d'un deuil insensé. Eh : quelle vanité, quelle folie, que de songer à l'opinion de quelques hommes jouets de l'erreur, et de ne pas craindre de faire tort par là à la foi qu'on a embrassée ! Pourquoi n'apprend-il pas plutôt la patience, celui qui est dans ce cas? Et pourquoi celui qui doute ne vient-il pas apprendre à croire auprès de moi ? Quelle que soit la douleur qui dévore son âme, il devrait ensevelir son deuil dans le silence de son coeur, au lieu de le publier dans un emportement indiscret.

1407 7. Je veux encore citer un seul exemple afin de corriger ceux qui croient devoir pleurer les morts; cet exemple est emprunté à l'histoire païenne. Il y avait, parmi les païens, un grand personnage, qui avait un fils unique et l'aimait de tout son coeur. Il sacrifiait au Capitole, en l'honneur des idoles de sa nation, quand on vint lui annoncer que son fils unique était mort. Il ne quitta pas les objets consacrés qu'il tenait dans ses mains, ne pleura pas, ne soupira pas; et écoutez quelle fut sa réponse : Qu'on l'ensevelisse, dit-il; je sais que mon fils était mortel. Considérez cette réponse, considérez la vertu de ce païen, qui ne voulut pas même qu'on l'attendit pour inhumer son fils en sa présence. Que ferons-nous, mes frères, au jour du jugement, en présence du Christ, si le diable alors amène cet homme en face de nous et dit : Cet homme, mon adorateur, que j'abusais par mes prestiges, au point de lui faire rendre un culte à des images aveugles et sourdes; cet homme à qui je n'avais promis ni la résurrection d'entre les morts, ni le paradis, ni le royaume des cieux; cet homme, avec la fermeté d'un sage a vu sans se plaindre, sans gémir, la mort de son fils unique, et une pareille nouvelle n'a pu lui faire déserter mes autels: et vos chrétiens, vos fidèles, pour qui (519) vous avez enduré le crucifiement et la mort, afin de les délivrer eux-mêmes de la crainte du trépas, et de les rendre assurés de leur résurrection; non -seulement ils pleurent les morts et en portent le deuil, mais ils osent encore venir à l'église, et même quelques-uns de vos clercs, de vos pasteurs, interrompent leur ministère pour se livrer au deuil, comme s'ils voulaient braver votre volonté? Et pourquoi ? parce que vous avez tiré ceux qu'il vous a plu des ténèbres du siècle pour les appeler à vous.

A cela que pourrons-nous répondre, mes frères? Ne serons-nous pas saisis de confusion en nous voyant convaincus d'être inférieurs en ce point à des gentils ? Et cependant ils devraient pleurer, ces païens, qui, ignorant Dieu, ne sont pas plutôt morts qu'ils courent droit au supplice. Ils devraient pleurer, ces Juifs, qui en refusant de croire au Christ, se sont voués eux-mêmes à la perdition. Il faut plaindre aussi nos catéchumènes si, par défaut de foi ou par la négligence de leurs proches, ils ont perdu la vie avant d'avoir reçu le baptême salutaire. Mais pour celui qui s'en va du monde, sanctifié par la grâce, scellé de la foi, justifié par ses oeuvres ou protégé par son innocence, loin de le pleurer, il faut l'estimer heureux; regrettons-le, ne le pleurons pas; et regrettons-le avec modération, en songeant que nous-mêmes nous ne tarderons pas à le suivre.

1408 8. Trêve donc à tes larmes, à tes soupirs, à tes gémissements, ô fidèle : bannis ta tristesse présente pour revêtir cette autre tristesse que l'Apôtre nomme tristesse selon Dieu, tristesse capable d'opérer notre salut durable: en d'autres termes, le repentir des péchés que tu as commis. Sonde torr coeur, interroge ta conscience; et si tu y trouves quelque sujet de repentir (ce qui ne peut manquer, puisque tu es homme), soupire en te confessant, mêle des larmes à tes prières, tremble à la pensée de la mort véritable, du supplice de l'âme, à la pensée de ton péché, comme parle David : « Puisque je déclare mon iniquité, et que je serai troublé au sujet de mon péché : » et tu ne redouteras pas la dissolution de ton corps qui sera rajeuni et perfectionné en temps opportun, quand Dieu l'ordonnera. Voyez comment l'Ecriture proclame à la fois ces deux vérités, en disant: « L'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres, en sortiront. » Voilà pour la tranquillité d'âme, pour le mépris de la mort. Et la suite, maintenant? « Ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie ; mais ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation.» (Jn 5,28-29) Voilà pour la différence des résurrections. Toute chair, da moins toute chair humaine, doit ressusciter nécessairement ; mais les bons ressusciteront à la vie, les méchants au supplice, ainsi qu'il est écrit: « C'est pourquoi les impies ne ressusciteront point dans le jugement, ni les pécheurs dans l'assemblée des justes. » (Ps 1,5) Ainsi donc, si nous ne voulons pas ressusciter à notre condamnation, bannissons toute tristesse au sujet de la mort, et livrons-nous à cette autre tristesse qui est celle de la pénitence ; songeons aux bonnes oeuvres, à l'amendement de notre vie, et si nous pensons aux cadavres, aux funérailles, que ce soit pour nous rappeler que nous sommes mortels, et nous empêcher par là de négliger notre salut, pendant qu'il est temps, qu'il nous est loisible de nous en occuper: c'est, à savoir, en donnant de meilleurs fruits, en réparant les fautes que nous avons pu commettre dans notre ignorance: autrement l'instant de la mort pourrait nous surprendre ; nous demanderions alors, mais en vain, du temps pour nous repentir; nous demanderions à faire des aumônes, à expier nos fautes, et nos souhaits ne seraient point exaucés.

1409 9. Après vous avoir montré, mes frères, la nécessité commune de la mort, l'interdiction prononcée contre les larmes, la faiblesse des anciens, encore étrangers à l'influence fortifiante du christianisme, après avoir mis sous vos veux le sacrement du Seigneur et l'enseignement des apôtres au sujet de la résurrection, vous avoir rappelé les actes des apôtres, les souffrances des martyrs, vous avoir proposé en outre l'exemple de David, et y avoir ajouté celui d'un gentil; enfin après avoir insisté sur la différence des deux tristesses, l'une nuisible, l'autre utile; l'une pernicieuse, l'autre salutaire au moyen de la pénitence: que nous reste-t-il, mes frères, sinon à rendre grâces à Dieu notre Père, et à dire: « Que votre volonté soit faite sur la terre comme aux cieux ? » C'est vous qui nous avez donné la vie, vous qui avez institué la mort; vous nous introduisez dans le monde, vous nous en retirez, et après nous en avoir retirés, vous nous (520) sauvez, car rien ne périt de ce qui appartient aux vôtres, à ce point que vous avez dit qu'il ne périssait pas un sent cheveu de leur tête : « Vous leur ôterez leur souffle, et ils défailliront, et ils retourneront dans leur terre; » mais aussi: « Vous enverrez votre Esprit, et ils « seront créés, et vous renouvellerez la face « de la terre. n Voilà, mes frères, le langage qui convient à des fidèles, voilà le remède de salut; l'oeil essuyé par cette consolation, imprégné du remède de ces réflexions, non-seulement ne tombera point dans la cécité, résultat du désespoir, mais ne sentira pas même les humeurs engendrées par la tristesse: bien au contraire, portant un clair regard sur le séjour de lumière, nous dirons avec le patient Job : « Le Seigneur a donné, et le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il est arrivé: soit le nom du Seigneur béni dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. »

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HOMÉLIE POUR LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST.

Tome 6, p. 579-585

AVERTISSEMENT.

L'homélie sur la fête de Noël est citée par saint Cyrille d'Alexandrie sous le nom de saint Chrysostome et une partie de ce que ce Père en a cité se trouve dans les actes du concile d'Ephèse. Malgré un témoignage si positif; on a cependant émis des doutes sur l'authenticité de cette homélie telle que nous l'avons. Ces doutes se fondent sur ce que saint Cyrille, dans sa citation, rapporte à la sainte Vierge les paroles suivantes : Elle embrasse le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit, tandis que dans notre homélie, elles sont dites de Béthléem. C'est sur ce fondement que Tillemont ne veut voir dans le morceau suivant qu'un centon formé de passages empruntés tantôt à saint Chrysostome, tantôt à saint Athanase : quoi qu'il en soit, homélie ou centon, la pièce est fort belle et ne manque ni de suite dans les idées, ni d'unité dans le style.

Je vois un mystère nouveau et admirable ; la voix des pasteurs retentir à mes oreilles, non semblable aux accords agrestes du chalumeau, mais au chant des hymnes célestes. Les anges chantent, les archanges font entendre leurs accords et les chérubins leurs cantiques, les séraphins rendent gloire, tous célèbrent cette fête dans laquelle ils contemplent un Dieu sur la terre et l'homme dans les cieux, Celui qui était élevé abaissé par son incarnation et celui qui était abaissé élevé par la miséricorde. Aujourd'hui, Béthléem imite le ciel: les astres de son firmament sont les anges qui chantent leurs cantiques; son soleil est le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit. Et ne cherchez pas comment cela a pu être accompli, car lorsque Dieu veut, l'ordre de la nature doit céder. Il a voulu, il a eu la puissance, il est descendu, il nous a sauvés : la volonté de Dieu s'accomplit en toutes choses.

Aujourd'hui, Celui qui est prend naissance, Celui qui est devient ce qu'il n'était pas. Etant Dieu, il devient homme et n'abandonne pas sa divinité. Car, ce n'est point par la perte de sa divinité qu'il devient homme, ni par addition de qualité que d'homme il devient Dieu ; mais il est le Verbe, et, sa nature demeurant la même à cause de son immutabilité, il s'est fait chair. Mais lorsqu'il vint à naître, les Juifs refusaient de croire à cet enfantement merveilleux, les pharisiens interprétaient à (580) contre-sens les livres sacrés, les scribes enseignaient le contraire de la loi, enfin Hérode cherchait Celui qui venait de naître non pour l'honorer, mais pour le faire périr.

Dans ce jour, tout ce qu'ils voyaient était contradiction. « Car, » ainsi que le dit. le Psalmiste, « ces choses n'ont point été cachées à leurs fils dans la génération suivante. » (Ps 77,4) Des rois arrivèrent, et c'était pour vénérer le roi céleste qui venait sur la terre, non pas accompagne des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des puissances, des vertus; mais parcourant un chemin nouveau, une route non frayée, et sortant d'un sein immaculé. Cependant, il n'abandonnait pas le gouvernement des légions célestes, ni ne se dépouillait de sa divinité lorsqu'il se faisait homme : les rois vinrent l'adorer comme le céleste Roi de gloire; les soldats le reconnurent comme le Seigneur des armées ; les femmes le vénérèrent comme né de la femme et changeant les douleurs de la femme en joie et en allégresse ; les vierges le proclamèrent comme fils d'une vierge. admirant que Celui qui a fait le lait et les mamelles et qui a donné au sein de la femme d'être une source intarissable reçoive d'une mère vierge la nourriture des petits enfants; les enfants l'ont vu devenir petit enfant afin que de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle sortît fa louange parfaite; les enfants ont vu en lui l'enfant qui s'est servi de la fureur d'Hérode pour donner à leur âge la gloire du martyre ; les hommes faits ont reconnu Celui qui s'est fait homme pour apporter remède aux maux de ceux qui vivaient sous le joug; pour les pasteurs, il est le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis; pour les prêtres, il est le souverain Pontife selon l'ordre de Melchisédech (He 7,17 Ps 109,4) ; pour les esclaves, il est Celui qui a pris la forme de l'esclave afin de nous racheter de la servitude (Ph 2,7) ; pour les pécheurs, il est Celui qui a tiré de leurs filets ceux qui ont été envoyés pour ramener les hommes; pour les publicains, Celui qui a choisi un publicain afin d'en faire un évangéliste; pour les femmes de mauvaise vie, Celui dont les pieds furent arrosés (les larmes d'une courtisane; et, pour tout dire en un mot, les pécheurs ont pu voir en lui l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du inonde; les mages lui ont fourni sa garde royale, les pasteurs font environné de leurs bénédictions, les publicains ont annoncé son Evangile, les courtisanes l'ont embaumé avec la myrrhe, la Samaritaine a eu soif de la source de vie qu'il fait connaître, et la Chananéenne a montré envers lui sa foi inébranlable.

Puisque tous se réjouissent ainsi, je veux aussi me réjouir, je veux former des choeurs, je veux célébrer une fête, mais je formerai des choeurs non en pinçant la cithare, non en agitant le thyrse, non en m'accompagnant de la flûte, noir en portant (les torches allumées, je veux, ni lieu d'instruments de musique, porter les langes du Christ. Ces langes sont mon espérance, ma vie, mon salut; ils me tiennent lieu de flûte et de cithare. C'est pourquoi je m'avance en les portant, afin que leur puissance soit toute la force de mon discours et que je puisse, dire avec fange : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » avec les pasteurs « Et la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté! » (Lc 2,14)

Aujourd'hui, celui qui est né du Père d'une manière ineffable est né de la Vierge, pour l'amour de moi, (l'une manière inexplicable et merveilleuse. 2 est né du Père, avant les siècles, conformément aux lois de sa nature et Celui qui fa engendré le sait ; aujourd'hui, il est né en dehors des lois de la nature et la grâce de l'Esprit-Saint en est témoin. Sa génération céleste est légitime et la génération terrestre ne l'est pas moins; il est vraiment le Dieu engendré de Dieu, il est vraiment homme né d'une vierge. Dans le ciel, il est le seul Fils unique d'un seul; sur la terre, il est le seul Fils unique d'une vierge seule. De même que dans sa génération céleste il serait impie de lui chercher une mère, de même dans sa génération terrestre ce serait un blasphème de lui chercher un père. Le Père a engendré sans écoulement de sa substance et la Vierge a enfanté sans connaître la corruption. Dieu n'a point souffert d'écoulement de sa substance, car il a engendré comme il convenait à un Dieu, et la Vierge n'a point connu la corruption lorsqu'elle enfantait, parce qu'elle a enfanté spirituellement (1). D'où il suit que sa génération céleste. ne peut être expliquée par des paroles humaines et que sa venue dans le temps ne peut être le sujet de nos investigations. Je sais qu'une vierge a enfanté aujourd’hui, et je crois qu'un Dieu a engendré en

1 C'est-à-dire par l'opération du Saint-Esprit.

dehors du temps; mais j'ai appris que le mode de cette génération doit être honoré par le silence et ne peut être l'objet d'une curiosité indiscrète. Car, lorsqu'il s'agit de Dieu, il ne faut pas nous arrêter à la nature des choses, mais croire à la puissance de Celui qui agit. C'est une loi de la nature qu'une femme mette au monde après qu'elle a contracté mariage; mais si une vierge, sans connaître le mariage. enfante et ensuite reste vierge, ceci est au-dessus de la nature. Que l'on scrute ce qui est conforme à la nature, j'y consens; mais on doit honorer par le silence ce qui est au-dessus de la nature, non parce qu'if faut s'éloigner de tels sujets, mais parce qu'ils sont ineffables et dignes d'être célébrés autrement que par des paroles.

Mais accordez-moi, je vous prie, la permission de mettre fin à ce discours dès l'exorde. Car, je redoute de m'élever jusqu'à cette région des choses dont il n'est point permis de parler et je ne sais de quel côté ni comment diriger le gouvernail. Que dirai-je, ou comment pourrai-je parler? Je vois une mère qui enfante, je contemple un fils mis au monde, mais j'ignore le mode de cette génération lorsque Dieu veut, la nature est vaincue, les limites de l'ordre établi dans la nature sont franchies. Rien n'arrive ici selon l'ordre de la nature, mais un miracle s'accomplit au-dessus des lois de la nature. La nature n'a point agi ; la volonté du Seigneur a opéré. O grâce qui surpasse tout langage ! Le Fils unique, qui est avant tous les siècles, que le sens du toucher ne peut atteindre, qui est simple, incorporel, a revêtu un corps mortel et visible comme le mien ! Et pour quelle cause, sinon pour que son aspect nous enseigne, et qu'ainsi enseignés il nous conduise par la main vers les choses invisibles? Parce que les hommes ont plus de confiance dans ce que leurs yeux voient que dans ce que leurs oreilles entendent, et qu'ils hésitent lorsqu'ils n'ont point vu, il a voulu parler aux yeux par le moyen de son corps, de telle sorte que tout prétexte fût enlevé à l'incrédulité. Il naît d'une vierge qui ne connaît point ce qui a rapport à la génération, qui n'a point coopéré à ce qui s'accomplit, qui n'a eu rien contribué à ce qui est fait, mais qui est un simple instrument de la puissance ineffable et qui sait seulement ce qu'elle a appris de Gabriel en l'interrogeant. « Comment cela se « peut-il faire puisque je ne connais point d'homme ? » (Lc 1,34) Ce à quoi il répond: Voulez-vous le savoir ? « L'Esprit-Saint descendra en vous et la puissance du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » (Lc 35) Or, comment le Seigneur était-il avec elle et, bientôt après, recevant d'elle la naissance? De même que l'artisan qui trouve une matière très-belle et parfaitement disposée en fabrique un vase merveilleux, ainsi le Christ trouvant le corps saint et l'âme de la Vierge se construit un temple animé, il forme dans son sein l'homme tel qu'il l'a résolu, se revêt de cette nature humaine et se manifeste aujourd'hui, n'ayant point rougi de la difformité de notre nature. Ce n'a pas été pour lui un opprobre de se revêtir de son propre ouvrage, et c'était pour son oeuvre une gloire éclatante que celle de devenir le vêtement de Celui qui l'avait faite. De même que dans la première formation il était impossible que l'homme existât avant que la terre dont il fut fait vînt entre les mains de son Créateur, ainsi il était impossible que le corps corruptible de l'homme reçût une nouvelle nature avant que Celui qui l'avait faite s'en fût revêtu.

Que dirai-je donc ou comment parlerai-je (1)? Ce mystère me frappe d'admiration. L'Ancien des jours devient enfant; Celui qui est assis sur un trône élevé et inaccessible repose dans la crèche; Celui que le sens du toucher ne peut connaître, qui est simple, sans composition de parties et qui n'a point de corps est touché par des mains humaines ; Celui qui brise les liens de. l'iniquité est retenu dans les liens que forment ses langes, parce qu'il l'a ainsi voulu. Il a résolu de changer l'ignominie en honneur, l'infamie en un titre de gloire, l'outrage extrême en une preuve de vertu. C'est pourquoi il a pris mon corps, afin que je puisse porter en moi son Verbe; et prenant ma chair, il m'a donné son Esprit, afin que donnant et recevant il puisse amasser pour moi un trésor de vie. Il a pris ma chair, afin de me sanctifier; il m'a donné son Esprit afin de me sauver.

1 Ce qui suit est cité par saint Cyrille dans son livre aux Reims.

Mais, encore une fois, que dirai-je ou comment parlerai-je? « Voici qu'une vierge concevra. » (Is 7,14) Ce n'est plus désormais une chose à venir dont il est parlé; c'est une chose accomplie qui est proposée à notre admiration. C'est parmi les Juifs que s'est accomplie cette parole prononce au milieu d'eux; c'est parmi nous qu'elle est crue, parmi nous qui n'en avions pas même entendu le premier mot: « Voici que la vierge concevra. » (Is 7,14) La synagogue gardait la promesse écrite ; l'Eglise possède l'objet de la promesse. L'une a possédé le livre et l'autre les trésors promis par ce livre ; l'une a su teindre la laine et l'autre a revêtu la robe de pourpre qui en a été tissue. La Judée l'a enfanté; la terre entière l'a reçu. La synagogue l'a nourri et élevé ; l'Eglise le possède et recueille les fruits de sa présence. Celle-là eut le cep de la vigne et près de moi sont les fruits mûrs de la vérité. Celle-là a vendangé les raisins ; mais les nations boivent le breuvage mystique. Celle-là a semé le grain du froment dans la Judée; mais les nations ont moissonné avec la faux la moisson de la foi. Les nations ont recueilli avec piété la rose, tandis que l'épine de l'incrédulité est demeurée parmi les Juifs. Le petit s'est envolé et les insensés restent assis auprès du nid demeuré vide. Les Juifs interprètent la lettre, qui est semblable à la feuille, et les nations recueillent le fruit de l'Esprit.

« La Vierge concevra. » Dis-moi donc le reste, ô juif ! dis-moi quel est Celui qu'elle a enfanté? Aie en moi autant de confiance qu'en Hérode. Mais tu manques de confiance, et je sais pourquoi. Tu ne penses qu'à tendre des embûches. Tu l'as dit à Hérode afin qu'il le mît à mort; tu ne me le dis pas, pour que je ne puisse l'adorer. Quel est donc Celui qu'elle a enfanté ? Quel est-il? C'est le Maître de la nature. Lorsque tu gardes le silence, la nature crie. Elle a enfanté Celui qui a été mis au monde de la façon qu'il avait choisie pour naître. Ce n'est pas la nature qui avait réglé cet enfantement, mais c'est le Maître de la nature qui introduit ce mode inusité de naissance, afin de montrer, en se faisant homme, qu'il ne naît pas comme un homme, mais comme un Dieu.

Il naît aujourd'hui d'une vierge qui triomphe de la nature et qui remporte la victoire sur le mariage. Il convenait au Dispensateur de la sainteté qu'il naquît d'un enfantement pur et saint. Il est Celui qui forma autrefois Adam d'une terre vierge et ensuite lira la Lemme d'Adam sans le concours d'une mère. De même qu'Adam, sans mère, donna naissance à la femme, ainsi la Vierge enfante aujourd'hui un homme sans le concours de l'homme. Et parce que le sexe de la femme était redevable envers l'homme depuis qu'Adam avait donné naissance à la femme sans le secours d'une femme, aujourd'hui la Vierge paye à l'homme la dette contractée par Eve, puisqu'elle enfante sans le secours de l'homme. Afin qu'Adam ne puisse s'enorgueillir d'avoir produit la femme sans le secours d'une femme, la Vierge engendre un homme sans le secours de l'homme, de telle sorte que l'égalité résulte de la parité des merveilles opérées. Adam perdit une de ses côtes et n'en fut pas amoindri; d'autre part, le Seigneur s'est formé dans le sein de la Vierge un temple animé et il n'a point détruit sa virginité. Adam demeura sain et sauf après l'enlèvement de sa côte; la Vierge n'a point été flétrie après la naissance de son fils.

Le Seigneur n'a point voulu se construire un autre temple, ni se revêtir d'un corps formé d'une autre manière, pour faire connaître qu'il ne méprisait pas le limon d'Adam. Et, parce que l'homme trompé était devenu l'instrument de Satan, il a fallu qu'il prît comme un temple animé celui-là même qui avait été séduit, afin que par cette union avec son Créateur, il l'arrachât à l'union et au service de Satan. Et, toutefois, se faisant homme, le Christ n'est pas mis au monde comme un homme, mais comme un Dieu, parce que s'il était issu, comme l'un de nous, d'un mariage ordinaire, la foule n'eût pas voulu croire en lui. Mais il naît d'une vierge et, en naissant, il garde le sein de sa mère immaculé, et cette vierge elle-même sans souillure, afin que les circonstances inusitées d'un pareil enfantement nous inspirent une foi plus grande. Donc, si le Gentil m'interroge ou si le juif n'interroge pour savoir si le Christ, étant Dieu par nature, s'est fait homme en dehors des lois de la nature, je répondrai qu'il en est ainsi, et j'en donnerai pour preuves les marques d'une virginité qui n'a point été violée. Car il n'y à qu'un Dieu qui puisse vaincre l'ordre de la nature, il n'y a que Celui qui a fait le sein de la femme et lui a donné sa virginité qui ait pu préparer pour lui-même ce mode immaculé de sa naissance et se construire, selon son désir, un temple bâti d'une manière ineffable.

Dis-moi donc, ô juif, si la Vierge a enfanté ou non ? Si elle a enfanté, reconnais la (583) merveille de cet enfantement. Mais si elle n'a point enfanté, pourquoi as-tu trompé Hérode? C'est toi-même qui as répondu lorsqu'il demandait où devait naître le Christ : « A Béthléem, dans la terre de Juda. » (Mt 2,5) Est-ce que je connaissais cette bourgade ou ce lieu? Est-ce que j'étais informé de la dignité de Celui qui venait de naître? Est-ce que ce n'est pas Isaïe qui fait mention de lui comme d'un Dieu? «Elle enfantera un fils,» dit-il, « et on l'appellera Emmanuel. » (Is 7,14) N'est-ce pas vous, adversaires sans bonne foi, qui nous avez appris la vérité? N'est-ce pas vous, scribes et pharisiens, observateurs exacts de la loi, qui nous avez instruits de toute cette affaire? (Mt 1,23) Est-ce que nous connaissions la langue hébraïque? Est-ce que vous n'avez pas été vous-mêmes les interprètes des Ecritures? Après que la Vierge eut enfanté, avant qu'elle enfantât, n'est-ce pas vous qui, interrogés par Hérode, afin qu'il fût clair que ce passage n'est pas interprété avec partialité, avez apporté en témoignage le prophète Michée, à l'appui de votre discours? « Et toi,» dit-il, «Béthléem, maison de paix, tu n'es pas la dernière entre les principales villes de Juda; car c'est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d'Israël.» (Mi 5,2 Mt 2,6) Le prophète a dit avec raison : « De toi, » car c'est de vous qu'il est sorti pour être donné au monde.

Celui qui est se manifeste, mais celui qui n'est pas est créé ou formé. Mais lui, il était; il était auparavant; il était toujours. Il était de toute éternité comme Dieu, gouvernant le monde. Aujourd'hui, il se manifeste comme homme afin de gouverner son peuple, mais comme Dieu il sauve toute la terre. O ennemis utiles ! O accusateurs bienveillants ! Vous dont l'imprudence a révélé le Dieu né dans Béthléem, vous qui avez fait connaître le Seigneur caché dans la crèche, vous qui sans le vouloir avez montré la retraite dans laquelle il repose, vous qui devenus nos bienfaiteurs contre votre gré avez découvert ce que vous vouliez laisser dans l'ombre ! Voyez-vous ces maîtres inhabiles? Ce qu'ils enseignent, ils l'ignorent: ils meurent de faim et ils nous nourrissent; ils ont soif et ils nous désaltèrent; ils sont dans l'indigence et ils nous enrichissent.

Venez donc et célébrons cette fête; venez et que ce soit pour nous un jour de solennité. Que la manière de célébrer cette, fête soit extraordinaire, puisque le récit de cette naissance est extraordinaire. Aujourd'hui, le lien antique est brisé, le diable est couvert de confusion, les démons se sont enfuis, la mort est détruite, le paradis est ouvert, la malédiction est effacée, le péché a été banni, l'erreur a été vaincue, la vérité est revenue, et la parole dé la piété est répandue et propagée en tous lieux. La vie du ciel est implantée sur la terre, les anges communiquent avec les hommes, les hommes ne craignent point de s'entretenir avec les anges. Et pourquoi? Parce qu'un Dieu est venu sur la terre et l'homme dans le ciel, et qu'ainsi tout a été uni et mêlé. Il est venu sur la terre, lui qui est tout entier dans le ciel, et, étant tout entier dans le ciel, il est tout entier sur la terre. Etant Dieu, il s'est fait homme, sans renoncer à sa divinité. Etant le Verbe, non sujet au changement, il s'est fait chair: il s'est fait chair afin d'habiter parmi nous. Il n'est point devenu Dieu, mais il était Dieu. Mais il s'est fait chair, afin qu'une crèche pût recevoir Celui que le ciel ne pouvait contenir. Il est donc posé dans la crèche, afin que Celui qui nourrit toute créature reçoive d'une vierge mère la nourriture qui convient à un petit enfant.

De la sorte, le Père des siècles à venir devient un enfant à la mamelle et repose sur les bras d'une vierge, afin d'offrir aux mages un accès plus facile. Car aujourd'hui les mages arrivent et donnent l'exemple de ne point obéir au tyran : le ciel se réjouit et indique le lieu où repose son Seigneur, et ce Seigneur porté sur le nuage léger du corps qu'il a choisi s'avance rapidement vers le pays d'Egypte. En apparence, il luit les embûches d'Hérode ; dans la réalité, il accomplit ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : « En ce jour-là, » dit-il, « Israël sera le troisième, après l'Assyrien; parmi les Egyptiens sera mon peuple béni sur la terre que bénit le Seigneur Dieu des armées en disant: Béni sera mon peuple en Egypte, en Assyrie, et en Israël! » (Is 19,24)

Que diras-tu, ô juif, toi, le premier, qui deviens le troisième? Les Egyptiens et les Assyriens sont mis avant toi, et Israël, le premier-né, est compté ensuite. Il en est ainsi à bon droit. Les Assyriens viendront d'abord, puisque les premiers, ils ont adoré en la personne des mages. Les Egyptiens après les Assyriens, parce qu'ils l'ont reçu fuyant les (584) embûches d'Hérode. Israël sera compté le dernier parce qu'après la sortie du Jourdain il l'a reconnu par la personne des apôtres. Il est entré en Egypte renversant les idoles de l'Egypte faites de la main de l'homme, après avoir fait mourir les premiers-nés des Egyptiens. (Is 19,1) C'est pourquoi aujourd'hui il se présente en qualité de premier-né, afin de faire disparaître un deuil ancien. Qu'il soit appelé premier-né, c'est ce qu'atteste Luc l'évangéliste, en disant : « Et elle mit au monde son premier-né, et elle l'enveloppa de langes, et elle le plaça dans la crèche parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans l'hôtellerie. » (Lc 2,7) Il entre en Egypte pour mettre fin au deuil antique, apportant la joie et non des plaies nouvelles, et au lieu de la nuit et des ténèbres la lumière du salut. Jadis, l'eau du fleuve avait été souillée par la mort des enfants enlevés avant l'âge. Maintenant, celui-là même entre en Egypte qui, autrefois, avait rougi ces ondes; il donne à l'eau du fleuve la vertu d'engendrer le salut, purifiant par la puissance de l'Esprit tout ce qu'il y avait en elle d'impur et de souillé. Les Egyptiens, frappés de diverses plaies et se laissant aller à leur fureur, avaient méconnu Dieu. Il entre en Egypte et remplit de la connaissance de Dieu les âmes religieuses qui sont dans cette contrée, en sorte que la terre arrosée par le Nil aurait bientôt plus de martyrs que d'épis.

A cause de la brièveté du temps, je terminerai ici mon discours. Je terminerai lorsque j'aurai dit comment le Verbe, qui est immuable, est devenu chair, sans changement de sa nature. Mais que dirai-je ou comment parlerai-je ? Je vois un artisan, une crèche, un enfant, des langes, (enfant né de la Vierge privé des choses nécessaires, de toutes parts la pauvreté, de toutes parts l'indigence. Avez-vous vu le riche dans une pauvreté profonde? Comment étant riche est-il devenu pauvre à cause de nous? Comment n'a-t-il point un lit, point de molle toison, mais la crèche toute nue sur laquelle il est jeté ? O pauvreté, source de richesses ! 0 richesses sans mesure, qui n'avez que l'apparence de la pauvreté ! Il repose dans la crèche et il ébranle le mande entier. Il est enveloppé dans les liens de ses langes et il brise les liens du péché. Il n'a pas encore fait entendre sa voix et il a instruit les mages et il les a disposés à la conversion.

Que dirai-je donc on comment parlerai-je? Voici l'enfant enveloppé de ses langes et couché dans la crèche ; Marie, vierge et mère est près de lui ; près de lui est Joseph, regardé comme son père. Celui-ci est appelé le mari, celle-là est saluée du nom de femme ; mais ces noms légitimes sont dépouilles de toute leur signification habituelle, ils doivent être compris comme une simple appellation, mais une appellation qui ne va point jusqu'à la nature des choses. Joseph est l'époux de Marie, mais l'Esprit-Saint l'a couverte de son ombre. Et c'est pour cela que Joseph hésite et ne sait quel nom donner à l'enfant. Il n'osait pas dire qu'il fût le fruit de l'adultère et ne pouvait proférer ce blasphème contre la Vierge, mais il ne pouvait pas dire qu'il fût son propre fils, car il savait qu'il ignorait comment et d'où l'enfant tirait son origine. C'est pour cela que, tandis qu'il doute, un oracle du ciel lui est apporté par la voix de l'ange : « Ne crains pas Joseph, car ce qui est né d'elle est de l'Esprit-Saint. » (Mt 1,20)

L'Esprit-Saint a couvert la Vierge de son ombre. Pourquoi donc est-il né de la Vierge, en conservant savirginité immaculée? Afin que, si jadis Satan trompa Eve encore vierge, Gabriel, à son tour, vint apporter un heureux message à Marie, elle-même vierge. Mais Eve trompée enfanta une parole qui introduisit la mort dans le monde, tandis que Marie, recevant un heureux message, enfanta dans la chair le Verbe qui nous donne la vie éternelle. La parole d'Eve indiqua le bois par lequel Adam fut chassé du paradis; le Verbe sorti de la Vierge montre la croix par laquelle il introduit le larron à la place d'Adam dans le paradis. Car comme les gentils, les juifs et les hérétiques ne voulaient pas croire que Dieu engendre sans écoulement de sa substance, en demeurant immuable, c'est pourquoi aujourd'hui, sorti d'un corps sujet au changement, il a conservé, dans son intégrité, ce corps sujet au changement, pour nous faire comprendre que, de même qu'il est né d'une vierge sans briser sa virginité, ainsi Dieu, sans changement ni écoulement de sa substance sainte., comme Dieu, a engendré un Dieu, ainsi qu'il convenait à un Dieu.

Et, parce que les hommes, ayant abandonné Dieu, se sont fait des statues de forme humaine auxquelles ils portaient leur culte, au mépris du Créateur; à cause de cela, (585) aujourd'hui, (585) le Verbe de Dieu, étant Dieu, apparaît sous la forme de l'homme, afin de détruire le mensonge et de transporter vers lui-même tout culte. A lui donc qui rétablit de la sorte toutes choses dans une voie meilleure, à Celui qui est le Christ Notre-Seigneur, gloire et honneur, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

Traduit par M. HORIOT.

FIN DU SIXIÈME VOLUME.



Chrysostome Homélies 1300