Chrysostome, choix d'Homélies 200

DEUXIEME HOMÉLIE SUR L'HOMME RICHE

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Prononcée à Constantinople, dans la grande église, après qu'un autre avait porté la parole, en présence d'un petit nombre d'auditeurs.
- Sur ce texte: "Ne crains pas lorsqu'un homme sera devenu riche."
- Sur l'aumône.

201 La belle parole que vous venez d'entendre vous donne un fruit mûr, s'il n'est pas abondant: la corde de l'instrument est légère, mais le son est puissant: le discours n'est pas long, mais les pensées en sont d'un grand prix. Il a ranimé le peuple entier par une hymne de louanges, il a stimulé le zèle des auditeurs en célébrant l'Auteur de l'agriculture; après avoir commencé par l'action de grâces, conformément au précepte de l'Apôtre, il a terminé par un chant de gloire. S'il a promptement levé la table, ce n'est pas par indigence, c'est par humilité. Si l'orateur n'a pas voulu prolonger son instruction, ce n'est pas qu'il n'eût beaucoup à vous dire, c'est qu'il a préféré nous laisser ce devoir à remplir. Courage donc, et, délivrés maintenant de la tourmente qui nous a si profondément agités, retrempons-nous dans la lecture des Livres saints comme dans une eau pure et courante. Ainsi font les matelots: après avoir subi les coups de la tempête, et traversé de vastes mers, quand ils sont arrivés dans un port tranquille, repliant les voiles et laissant là les rames, ils descendent de leurs vaisseaux pour courir aux bains et réparer leurs forces par de meilleurs aliments, un sommeil plus calme, un doux repos; et de la sorte ils se disposent à fournir avec plus de vigueur le reste de leur course. Faisons comme eux, et, puisque nous sortons à peine de ces troubles civils où nous étions ballottés comme dans la tempête laissons notre âme de délasser dans la méditation des Écritures comme dans un port à l'abri de tous les vents.

C'est un port sûr et paisible, en effet, une citadelle inexpugnable, une tour que rien ne saurait ébranler, une gloire à l'abri de la malveillance, une armure à l'épreuve des traits, une confiance invincible, une intarissable joie, tout ce que vous pourrez dire d'heureux, que la lecture assidue des divines Écritures. Elle dissipe le chagrin, elle inspire une sainte allégresse, elle donne au pauvre le plus magnifique de tous les trésors, au riche une pleine sécurité, au pécheur la justice, au juste une sûre protection; elle déracine le mal qui existe et fait germer le bien qui n'existait pas; elle chasse la corruption et ramène à la vertu, et non seulement elle y ramène, mais encore y fait prendre racine, elle y confirme pour toujours: C'est un remède spirituel, un char-me inénarrable et divin qui endort la souffrance et fait taire les passions. Cette lecture arrache les épines au péché, purifie le champ de notre âme, répand la semence de la piété et la féconde jusqu'à ce qu'elle ait produit des fruits parfaits. Gardons-nous donc de négliger tant de précieux avantages, ne perdons pas ceux que nous avons déjà recueillis, revenons sans cesse à ce moyen pour y puiser une guérison incessante; que nul, à la vue du riche, ne s'abandonne à l'envie et ne murmure contre la pauvreté: con-naissons mieux la nature des choses, et passons à côté de l'ombre pour aller droit à la vérité. Elle a beau paraître plus grande que le corps, l'ombre n'est que l'ombre; ce n'est pas même qu'elle soit plus grande, elle le paraît seulement, et d'autant plus que nous sommes plus éloignés du rayon du soleil, si bien que vers le milieu du jour, le soleil étant au-dessus notre tête, l'ombre est extrêmement réduite et n'existe presque plus. C'est ce qu'on peut remarquer aussi dans l'existence humaine: à mesure qu'un homme s'éloigne de la vertu, les choses de la vie présente grandissent à ses yeux; mais, quand il se place dans l'éclatante lumière des Écritures, il voit clairement combien ces mêmes choses sont viles, méprisables et fragiles, il comprend qu'elles n'ont pas plus de consistance que les eaux rapides d'un fleuve, qui paraissent et disparaissent en même temps.

Raisonnant sur ce même sujet, et cherchant à relever ces hommes pusillanimes et malheureux qui rampent à terre, sont éblouis par l'éclat des richesses, frémissant et tremblant devant ceux qui les possèdent; de plus, voulant nous détourner de cette indigne frayeur et nous inspirer le mépris des possessions terrestres, le prophète disait: "Ne crains pas lorsqu'un homme sera devenu riche et que la gloire de sa maison se sera multipliée; car, à l'heure de la mort, il ne prendra pas toutes ces choses avec lui." (
Ps 48,17) Remarquez la précision et la clarté de ce langage. David ne dit pas: Lorsque sa gloire se sera multipliée, il dit: "La gloire de sa maison," voulant nous bien montrer que la gloire de l'homme est tout autre que celle de sa maison. Que sont ces deux sortes de gloire? Nous devons les distinguer parfaitement l'une de l'autre, si nous ne voulons pas embrasser de vains fantômes, au lieu de la réalité. La gloire de la maison consiste dans la beauté des portiques et des allées, dans les lambris dorés et les parvis semés de pierres précieuses, dans les prairies et les jardins, dans le nombre des serviteurs et la richesse des meubles, toutes choses qui sont étrangères à l'homme. Ce qui fait la gloire de celui-ci, c'est une foi droite, un zèle selon Dieu, la charité, la douceur, la modération, l'assiduité à la prière, la sage distribution des aumônes, la chasteté, la modestie, tout ce qui complète enfin le magnifique ensemble de la vertu. A cet égard, le doute n'est pas possible: celui qui possède les biens extérieurs n'en retire évidemment aucune gloire, et nul ne songera à lui faire un mérite d'avoir une superbe maison, de beaux jardins, de vastes prairies, une multitude d'esclaves, une riche collection de vêtements. Tout cet éclat appartient aux objets eux-mêmes, et nullement à celui qui les possède. Nous admirons la maison, le jardin, la prairie, le splendide vêtement; c'est un hommage rendu à l'habilité des différents ouvriers, mais non certes à la vertu du possesseur de ces choses; ce serait plutôt un indice de sa perversité.

202 Ainsi donc, bien loin de procurer la moindre gloire à leur maître, de telles possessions la diminuent étrangement. Ceux qui se plaisent à faire un pareil étalage de leurs richesses sont taxés de cruauté, d'égoïsme, d'avarice, de barbarie; ils sont pour tous un objet de mépris et de risée. Et dans le fait, je l'ai dit, ce n'est pas ici la gloire de l'homme, mais tout au plus celle de la maison. Nous admirons et nous louons, au contraire, en toute liberté ceux qui vivent dans la pratique de la réserve et de la modestie, de la douceur et de la justice, les hommes qui s'adonnent entièrement au service de Dieu; car, après tout, c'est en cela que consiste la gloire de l'homme. Sachant qu'il en est ainsi, ne regardez pas comme digne d'envie celui qui possède abondamment des choses qui n'ont rien de commun avec lui. Le verriez-vous assis sur un char, se dressant avec un regard superbe, et portant son front jusqu'aux nues, non en réalité sans doute, puisque cela ne se peut pas, mais par l'orgueil ou mieux par la folle exaltation de son âme, gardez-vous bien de le tenir pour un homme grand, illustre, glorieux. Ce qui nous élève, ce n'est pas un char traîné par de magnifiques animaux, c'est la vertu dont nous avons gravi le faîte et qui monte jusqu'à l'abside des cieux. Un autre s'avance sur un superbe coursier, entouré de nombreux licteurs, qui lui fraient un passage dans la foule; n'allez pas non plus le proclamer heureux. Voyez plutôt ce qui se passe dans son âme, et vous pourrez alors juger ce que vous présentent ces dehors pompeux. N'est-ce pas là quelque chose de pitoyable?

Pourquoi vous avancer ainsi sur la place publique? Pourquoi, je vous le demande, écarter et repousser les autres hommes, n'étant après tout qu'un homme vous-même? Que signifie cet appareil? Quelle est cette arrogance? Êtes-vous donc devenu loup ou lion, pour qu'en traversant la ville vous mettiez tout le monde en fuite? Mais le loup ne s'attaque pas au loup, ni le lion au lion; on les voit plutôt se réunir et respecter leur commune nature: et vous, à qui tant d'autres motifs avec celui-là devraient inspirer la mansuétude, l'humilité, l'équité, pourquoi vous montrez-vous un tel mépris d'êtres doués de raison en exigeant d'eux ce respect pour un animal qui ne la possède pas? Le Seigneur a fait à l'homme cet honneur de l'admettre dans le ciel, et vous ne voulez pas vous rencontrer avec l'homme sur le marché! Que dis-je? Il l'a fait asseoir sur le trône royal, et vous le chassez de la ville! Que signifie ce frein d'or que porte votre cheval? Quelle excuse ou quel espoir de pardon pouvez-vous avoir, vous qui donnez à la brute un ornement inutile et dont elle ne saurait avoir le sentiment, -l'or et le plomb étant pour elle la même chose-, et qui voyez le Christ torturé par la faim sans lui fournir les aliments nécessaires? Comment, homme, refusez-vous de vous mêler aux hommes, et vous faut-il la solitude au milieu des cités, sans qu'il vous vienne à l'esprit que le Seigneur s'est assis à la table des publicains, s'est entretenu avec une courtisane, a été crucifié avec des larrons, a conversé avec les hommes? Dominé par l'orgueil et l'arrogance, vous avez en quelque sorte dépouillé votre qualité d'homme. De là le mépris que vous faites de toute pitié, l'amour des richesses, la cruauté et la barbarie. Quand vous donnez ainsi un frein d'or à votre cheval, des bracelets d'or à vos domestiques, des incrustations d'or à la prière; quand vous vous entourez de peaux et de vêtements rehaussés d'or; quand vous vous imposez à vous-même cette perverse nécessité, à tel point que votre chaussure brille de l'éclat de l'or aussi bien que votre ceinture, et que vous tenez de satisfaire vos insatiables désirs, de rassasier le plus féroce de tous les monstres, la soif de l'or; vous dépouillez alors les orphelins et les veuves, vous devenez l'ennemi du genre humain et vous avez entrepris un labeur sans résultat, une course qui ne saurait aboutir à rien d'heureux.

A quoi bon, par exemple, couvrir d'or ce barbare dont vous avez fait votre serviteur? Quel bien peut-il en résulter pour vous? quelle utilité pour votre âme? quel délassement pour votre corps? quel avantage pour votre maison? C'est tout le contraire que vous éprouvez: une dépense inutile, des frais condamnés par la raison, un aliment donné à la luxure, un enseignement d'iniquité, un moyen de dissolution, la ruine de l'âme, un chemin qui conduit à des maux sans nombre; et ces lits entourés d'argent, tout resplendissants d'or, et ces escabeaux, et ces vases formés du même métal, et ces rires immodérés, quelle heureuse influence peuvent-ils avoir sur votre vie? En deviendrez-vous meilleur vous-même, ou bien votre femme, ou bien quelqu'un de votre famille? N'est-ce pas là plutôt ce qui fait les voleurs, les brigands audacieux, les esclaves infidèles? En voyant de toutes parts l'or et l'argent briller à leurs yeux, ils sentent se réveiller en eux l'instinct de la rapine. Si vous, homme libre et qui n'avez que des sentiments élevés, quand vous voyez l'argent étalé sur les places publiques, n'êtes pas à l'abri des instigations de la cupidité, que pouvez-vous attendre d'un esclave? Je ne dis pas cela pour atténuer le crime des esclaves fugitifs ou des autres malfaiteurs, je le dis uniquement pour que vous n'alimentiez pas chez eux un mal aussi funeste. - Où placerons-nous donc ces richesses, me dira-t-on, et faudra-t-il les enfouir dans la terre? - Assurément non; et, si vous écoutez mes conseils, je vous dirai de quelle manière vous pourrez faire d'un esclave fugitif un serviteur fidèle.

203 Oui, la fortune est bien réellement un esclave fugitif, aujourd'hui chez l'un, et demain chez un autre. Elle n'est pas seulement fugitive, mais elle rend l'homme fugitif, puisqu'elle inspire à ceux qui sont chargés de la garder la pensée de prendre la fuite. Comment pourrez-vous donc l'enchaîner et la retenir? Par un moyen tout contraire à celui qu'on emploie pour retenir les autres fugitifs. On retient les autres en les serrant de près; traitez-la de la sorte, et c'est alors qu'elle s'enfuira: elle vous restera si vous la jetez dehors. Ce que je vous dis vous parait étrange peut-être; mais l'exemple des agriculteurs vous y ramènera. S'ils enfouissaient dans leurs maisons le froment qu'ils ont recueilli, ils le perdraient en le donnant à dévorer aux insectes; s'ils vont le répandre dans les champs, non seulement ils le conservent, mais encore ils le multiplient. Il en est ainsi des richesses: sont-elles renfermées dans des coffres ou dans la terre, elles disparaissent bientôt malgré les serrures et les verrous; si vous les répandez dans le sein des pauvres, comme l'agriculteur répand le blé dans son champ, bien loin de disparaître, elles ne font qu'augmenter. Sachant donc cela, ne les confiez pas à quelques serviteurs, distribuez-les en mille mains, celles des veuves, des orphelins, des infirmes, des estropiés, des prisonniers. Elles n'échapperont point à des étreintes aussi nombreuses, elles seront en sûreté, elles se multiplieront même. - Et que laisserai-je à mes enfants? me dira-t-on peut-être. - Prenez garde, je ne vous oblige pas à tout donner; et encore donneriez-vous tout, ce serait le moyen de rendre vos enfants plus riches; car, au lieu de vos biens, vous leur laisseriez la protection de Dieu, le trésor de l'aumône, des défenseurs et des protecteurs nombreux même parmi les hommes. Nous détestons les avares, alors même qu'ils ne nous ont fait aucun tort, et nous respectons, nous aimons les hommes généreux et compatissants, sans qu'il nous soit rien parvenu de leurs largesses, et ces sentiments, nous les reportons sur leurs enfants. Songez donc quelle est cette gloire d'avoir tous les hommes pour amis, de les entendre tous, en retour du bien que le père aura fait aux pauvres, dire de l'enfant: Voilà le fils d'un véritable ami des hommes, d'un homme bon et miséricordieux. - Et vous, c'est une chose inanimée que vous couvrez de vains ornements; la pierre ne s'animera pas, quelle que soit la quantité d'or dont vous la couvriez. En attendant, vous refusez les aliments nécessaires à des êtres doués de sensibilité et que la faim consume. Lorsque se dressera devant nous le redoutable tribunal, entouré de fleuves de feu, et qu'il nous sera demandé compte des actes de notre vie, que direz-vous pour vous disculper d'une telle indifférence,d 'une aussi dangereuse folie, d'une conduite aussi barbare? Quelle excuse aurez-vous à faire valoir?

Tous les hommes ont un but connu d'eux, un motif qui les guide: demandez à l'agriculteur, et il vous dira pour quelle raison il attelle les boeufs, il trace des sillons, il mène la charrue; demandez au marchand, et il vous dira de même pourquoi il traverse les mers, il loue des ouvriers, il fait des avances; le maçon, le cordonnier, le forgeron, le boulanger, un artisan quelconque, vous rendra raison des procédés de son art. Mais vous, quand vous revêtez d'argent votre couche, quand vous parsemez votre cheval ou vos murs de lames d'or, quand vous acquérez des peaux si richement préparées, si l'on vous en demande la raison, qu'aurez-vous à répondre? Est-ce que par hasard cette brillante couche doit vous procurer un plus doux sommeil? Assurément, c'est ce que vous ne pouvez pas dire; je dirai même le contraire, au risque de vous étonner: les craintes et les soucis qui naissent des richesses troubleront votre sommeil. L'or qui brille sur les murs les rend-il plus solides? Non, vous devez encore l'avouer. Votre cheval et votre domestique vous servent-ils mieux à cause de l'or qui les couvre? C'est bien l'opposé. Pourquoi donc, avec ce luxe, étalez-vous également votre ineptie? Je sais ce que vous allez me dire; c'est pour augmenter votre considération que vous agissez ainsi. - Eh quoi, n'avez-vous pas entendu dès le commencement de notre discours qu'en cela ne consistait pas la gloire de l'homme, mais qu'il trouvait plutôt un sujet de honte, de mépris, de répulsion et de risée? De là naît l'envie, la haine, une suite intarissable de maux; plus la fortune persiste, plus les accusations sont obstinées. Ces vastes et splendides maisons sont elles-mêmes d'impitoyables accusateurs, qui ne cessent d'élever la voix contre leurs maîtres, après même qu'ils sont morts: le corps est dans la terre; mais la vue de ces constructions ne permet pas que le souvenir de la cupidité qu'elles attestent disparaisse dans le même tombeau. Chaque passant, en contemplant la hauteur et l'étendue, l'éclat et la magnificence de l'édifice, se dit à lui-même ou dit à son voisin: De combien de larmes cette maison est pétrie! que d'orphelins spoliés, que de veuves opprimées, que d'ouvriers victimes de l'injustice! - Voilà donc vos espérances bien trompées: vous prétendiez avoir la gloire dans la vie, et l'opprobre vous suit jusque dans la mort. Votre nom est partout affiché sur cette maison comme sur une colonne d'airain; elle vous suscitera mille accusations flétrissantes, de la part même de ceux qui ne vous auront jamais vu de votre vivant.

204 Puisqu'un tel luxe ne peut pas nous donner la vaine satisfaction qu'on s'en était promise, fuyons, mes bien-aimés, fuyons cette triste maladie, ne tombons pas au-dessous des brutes elles-mêmes. Tout est commun entre elles, la terre, les fontaines, les prairies, les montagnes et les bois; l'une n'a rien de plus qu'une autre, et vous, tout homme que vous êtes, et l'homme est le plus doux des animaux, vous devenez plus cruel qu'une bête féroce, puisque vous entassez dans une seule maison la substance d'un nombre incalculable de pauvres. Et ce n'est pas seulement l'identité de nature qui nous unit; nous possédons en commun le ciel, le soleil, la lune, tous les choeurs des astres, l'air, la mer, le feu, l'eau, la terre, la vie et la mort, l'adolescence et la vieillesse, la maladie et la santé, la nourriture et le vêtement. Ajoutez à cela les biens spirituels, cette table sacrée, le Corps du Seigneur, son Sang adorable, l'espérance du royaume céleste, le bain de la régénération, la rémission des péchés, la justification, la sanctification, la rédemption, et ces biens ineffables "que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur de l'homme n'a jamais goûtés." (1Co 2,9) N'est-ce pas une chose contraire à la raison que des êtres unis par la nature et la grâce, par les mêmes pro-messes et les mêmes lois, se disputent avec tant de rapacité les possessions terrestres, méconnaissent à tel point les droits qui leur sont communs, se ravalent même au-dessous des bêtes sauvages, et cela, pour des objets qu'ils auront à quitter avant peu et qui de plus les exposent au danger de se perdre? La mort viendra les en séparer, traînant après elle le terrible jugement et les supplices éternels.

Voulons-nous échapper à cette fatale destinée, soyons pleins de miséricorde. C'est la reine des vertus, elle sera plus tard la basse de notre confiance, elle nous préservera du châtiment, et nul ne fermera le passage à celui qu'elle conduit au ciel. Elle a des ailes puissantes, son crédit est grand auprès de Dieu, elle monte jusqu'au trône royal pour y présenter ses nourrissons avec sécurité. " Vos prières et vos aumônes, est-il écrit, sont montées en présence de Dieu et ne seront pas oubliées." (Ac 10,4) Pourquoi ne nous élèverions-nous pas nous-mêmes à cette hauteur, en nous dégageant des liens de cette fatale avarice, de ce luxe immodéré, de cette ambition sans bornes? Du superflu, faisons le nécessaire, débarrassons-nous de ces biens surabondants, confions-les aux mains du Juge suprême, qui seul peut nous les conserver intacts et nous les compter comme un titre à son indulgence et à sa Libéralité, quand sera venu le jour du jugement. Serions-nous alors coupables de péchés innombrables, Il ne nous refusera pas son pardon. Puissions-nous tous l'obtenir par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Amen.







HOMÉLIE SUR LES MAUX DE LA VIE

400
Sur cette parole du prophète:
"Moi, le Seigneur Dieu, J'ai fait la lumière et les ténèbres,
Je donne la paix et j'envoie les maux." (
Is 45,7)

401 Bien courtes sont ces paroles, mais elles nous ouvrent une source de miel, du miel le plus suave et qui n'engendre jamais le dégoût. Le miel matériel produit une agréable sensation qui s'arrête à la langue, puis il s'altère et se corrompt: le miel de la doctrine pénètre jusqu'à la conscience, l'inonde d'une perpétuelle joie, et devient en nous le principe de l'incorruptible vie. Celui-là se compose du suc des plantes, et celui-ci des sentences de nos livres saints. C'est de ce dernier que vous a nourris avec abondance le maître dont vous venez de recueillir le magnifique enseignement; il a remporté le prix de l'obéissance, il vous a montré la force de la charité et la noblesse de la foi. Courage, et nous aussi nous allons vous servir avec allégresse la table accoutumée; car c'est un grand bonheur pour nous de voir une multitude aussi compacte dans cette enceinte sacrée, alors que des jeux si brillants se célèbrent dans l'hippodrome. Vous avez méprisé ce spectacle; nous voulons donc placer devant vous une coupe remplie jusqu'au bord, une coupe qui, bien loin de produire l'ivresse, fait naître la sobriété. Tel est le vin des Écritures, tels sont les mets étalés sur notre table: ils n'engraissent pas la chair. En disant cela, ce n'est pas la nature même de la chair que nous prétendons condamner, nous mettons seulement bien au-dessus la dignité de l'âme; ce n'est pas l'usage que nous repoussons, nous flétrissons l'abus et l'excès. Si nous nous élevons à des considérations spirituelles, encore ne devons-nous pas donner prise aux fausses spéculations de l'hérésie. Sans doute le corps est inférieur à l'âme, mais il n'est pas l'opposé de l'âme: elle est une substance simple, tandis qu'il demeure sujet aux passions. Dieu dans son art infini n'a pas formé cet univers d'une seule substance, ni de deux ou de trois; Il a créé des natures multiples et diverses, afin de manifester dans la diversité des êtres les trésors de sa Sagesse et la grandeur de son Pouvoir. Il n'a pas seulement créé le ciel, Il a de plus créé la terre; et non seulement la terre mais encore le soleil; avec le soleil, la lune; avec la lune, les étoiles, l'air, les nuées; et pour redescendre de l'air sur la terre, les lacs, les sources, les fleuves, les montagnes, les vallées, les collines, les près, les jardins, toutes les sortes de germes et de plantes, toutes les formes et toutes les énergies de la nature, tout ce que nous pouvons apercevoir dans cet univers; de telle sorte que, si nous le parcourons de la pensée, nous nous écrierons avec le prophète: "Que tes oeuvres sont grandes, Seigneur! Tu as tout fait dans la sagesse." (Ps 103,24)

Le théâtre a-t-il pour vous tant d'attrait, laissez là celui de Satan, et venez à ce théâtre divin. Aimez-vous les accords de la lyre, quittez les mélodies qu'on entend dans le monde, concentrez les forces de votre entendement, et venez écouter cette mélodie spirituelle qui donnera l'essor à votre pensée, où se retrempera la vigueur de votre âme. Voyez comme ces sons divers et ces cordes distinctes font remonter vers Dieu l'Artiste suprême, un concert où règnent pleinement l'unité et l'harmonie. La voix qui s'élève de toutes les créatures se forme de mille voix, mais n'exprime qu'une seule et même pensée, celle de glorifier le Créateur. Chaque corde résonne à part, toutes résonnent ensemble. Pour vous faire une idée du son spécial qu'elles rendent, touchez par la pensée la corde du ciel, et vous l'entendrez soudain élever sa grande voix pour rendre gloire à Dieu. Le prophète le savait bien quand il disait: "Les cieux racontent la Gloire de Dieu, et le firmament annonce l'oeuvre de ses Mains." (Ps 18,2) De cette corde descendez à celle du jour et de la nuit, et vous l'entendez encore rendre des sons plus harmonieux que la lyre et la cithare, alors surtout qu'elle vibre sous une main qui sait la toucher. - Comment ces cordes résonnent-elles? me direz-vous. Le ciel n'a ni bouche, ni langue, ni palais, ni dents, ni lèvres; comment a-t-il une voix? Et le jour, comment peut-il parler? Je ne vois pas là les instruments de la parole, mais bien le cours du soleil et de la lune, la succession du jour et de la nuit, la marche du temps. - De peur qu'en entendant ces choses un esprit grossier ne tombe dans l'incertitude ou le trouble, voici que le prophète renchérit sur ce qu'il vient de dire. Après avoir affirmé que les cieux racontent la Gloire de Dieu, que le jour transmet la parole au jour, que la nuit révèle la science à la nuit, il ne s'en tient pas là, mais il ajoute: "Il n'est pas d'idiomes, il n'est pas de langues qui ne puissent entendre leur voix." (Ps 18,4) Voici quel est le sens de ce texte: Non seulement le jour et la nuit, aussi bien que le ciel, ont une voix; mais encore cette voix est plus éclatante, plus significative, plus soutenue que la voix de l'homme. Comment cela? Écoutez de nouveau le prophète royal: "Il n'est pas d'idiomes, il n'est pas de langues qui ne puissent entendre leur voix." Qu'est-ce à dire? C'est ici l'éloge des voix de la nature, la glorification de leur langage. Ma voix est entendue de celui qui parle une même langue avec moi, et nullement de celui qui parle une autre langue. Si je m'exprime en grec, par exemple, celui qui connaît cette langue me comprendra; mais le Scythe, le Thrace, le Maure, l'Indien, ne pourront pas me comprendre; la différence de nos langues s'oppose à la communication de nos pensées.

402 Si j'entends à mon tour le Scythe ou le Thrace, je ne les comprendrai pas; la langue de l'un ne dit rien à l'intelligence de l'autre: il n'en est plus ainsi du langage que parlent le ciel, la nuit et le jour; ce langage est tel qu'en toute langue, en tout idiome, chez toute nation, il est aisément entendu. De là ce qu'ajoute le prophète, après avoir dit que les cieux racontent la gloire de Dieu, que le jour transmet la parole au jour: "Il n'est pas d'idiomes, il n'est pas de langues qui ne puissent entendre leur voix." J'insiste sur la signification de ce texte: La voix que font entendre le jour, la nuit, le ciel, toutes les créatures, parle si clairement à notre esprit qu'il n'est pas de langue, c'est-à-dire de peuple ou de nation, qui ne soit en état de la comprendre. Il n'est pas de voix à laquelle ne corresponde la voix du ciel: Scythe, Thrace, Maure, Indien, Sarmate, tout idiome, toute langue, toute nation peut entendre cette voix. Comment, je le demande encore? Écoutez, et vous verrez de quelle façon le ciel parle en se taisant. Lorsque vous contemplez sa beauté, sa grandeur, sa position, sa stabilité, son éclat, et que, recueillant toutes ces choses en vous-même, vous rendez gloire au Créateur, vous célébrez sa Puissance, c'est le ciel qui élève la voix en ce moment et qui prend parole: "Les cieux racontent la Gloire de Dieu." De quelle manière, et par quel moyen, encore une fois? En éblouissant celui qui le contemple, et par là même en l'obligeant à lever les yeux vers le Créateur. Si vous vous écriez, à la vue d'une oeuvre aussi belle: Gloire à Toi, Seigneur! quel corps Tu as formé, quelle barrière au milieu du monde! - c'est le ciel, je le répète, qui glorifie de la sorte son Auteur par le ministère de votre langue, et qui l'admire par vos yeux. C'est ainsi qu'il rend hommage à Dieu sans parler; et tous les hommes comprennent ce langage muet. Il ne frappe pas leur oreille, mais il frappe leur vue; et la vue est la même chez tous, si la langue diffère: tous les peuples, sans excepter les barbares, les Scythes, les Thraces, les Maures et les Indiens, entendent cette voix; c'est-à-dire qu'en voyant ce magnifique spectacle, frappée de toutes les splendeurs que le ciel étale à nos yeux, toute âme adore et glorifie l'Auteur de ces merveilles.

On peut dire la même chose du jour et de la nuit. De même que le ciel en nous frappant d'admiration par sa beauté, sa grandeur, sa position, son éclat, sa stabilité, ses fécondes et multiples influences, nous excite à rendre gloire au Créateur; de même le jour et la nuit. Si vous observez avec quel ordre ils se succèdent, comment le jour se borne à remplir sa tâche et se garde bien d'empiéter sur le domaine de la nuit, se montrant exempt de toute ambition, se renfermant dans ses bornes et ne prétextant pas sa splendeur pour se donner le droit d'envahir le temps tout entier; comment la nuit à son tour, ayant accompli sa course, cède la place au jour; et cela, depuis tant de siècles, sans confusion, sans désordre, sans le plus léger empiétement réciproque, malgré l'éclat de l'un et l'obscurité de l'autre; pourrez-vous, à la vue d'une telle harmonie, refouler un sentiment d'admiration et refuser de rendre gloire à Dieu? Semblables à deux soeurs que rattache l'affection la plus tendre et qui mettent en quelque sorte dans la balance l'héritage paternel, afin d'éviter la plus légère fraude, la jour et la nuit se sont partagé le temps et respectent leur mutuel empire avec cette exactitude et cette rigoureuse équité que l'expérience vous montre. Qu'ils écoutent cette leçon les hommes avides d'argent, ceux qui dépouillent leurs frères; qu'ils sachent comprendre cet égal partage du temps, cet accord parfait de la nuit et du jour, et qu'ils apprennent de la sorte à réprimer leurs passions. C'est donc ainsi que "le jour transmet la parole au jour, et que la nuit révèle la science à la nuit." Ce n'est pas en élevant la voix, c'est par l'ordre même et l'harmonie qu'ils observent, c'est par l'égalité de leur pouvoir, par cette marche libre et régulière, qu'ils proclament d'une voix plus éclatante que celle de la trompette la Gloire du Créateur, non sur un point du monde, mais dans toutes les contrées éclairées par le soleil. Ce langage parcourt l'univers, puisque le ciel est partout et que partout se succèdent le jour et la nuit: c'est un enseignement qui se répand à la fois sur la terre et sur la mer. Aussi le prophète ne dit-il pas simplement: Les cieux parlent de la Gloire de Dieu; non, il dit qu'ils la racontent, qu'ils l'exposent, ce qui signifie qu'ils en instruisent les hommes, qu'ils sont les maîtres du genre humain, qu'ils tiennent une immense école où le spectacle de leur beauté remplace les livres et les écrits, et qu'ils enseignent aux ignorants comme aux savants, à tous sans exception, la Sagesse et la Puissance de Dieu, empreintes dans les créatures comme dans un livre.

Les hommes eux-mêmes glorifient Dieu par les autres, sans parler, en gardant un profond silence; et voilà pourquoi le Christ disait: "Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (
Mt 5,16) De même donc qu'à la vue d'une vie pure nous rendons gloire à Dieu, sans que le juste ait besoin de parler; de même, en contemplant la beauté du ciel, nous glorifions Celui qui l'a créé. C'est dans ce sens qu'il faut entendre la parole du prophète: "Les cieux racontent la Gloire de Dieu." Ils ont pour interprètes ceux dont ils frappent les regards." Le jour transmet la parole au jour, et la nuit révèle la science à la nuit." Quelle science? Celle dont le Créateur Lui-même est l'objet. Le jour appelle l'homme au travail, suspend le cours de ses sollicitudes, le plonge dans le sommeil, ferme ses paupières et le prépare en réparant ses forces à reprendre les travaux du jour. Les avantages qu'elle lui procure ne sont donc pas à dédaigner; ils sont d'un prix inestimable. Si la nuit ne venait pas faire trêve à ses innombrables fatigues, le jour ne lui serait plus d'aucune utilité et le rappellerait vainement à l'oeuvre, la nature succomberait sous un travail non interrompu, la vie s'épuiserait, pour lui la lumière serait désormais inutile. C'est donc la nuit qui rend le jour utile à l'homme; et de plus elle conduit à la connaissance de Dieu celui qui sait apprécier les services qu'elle nous rend. En effet, lorsqu'il se dit à lui-même quelle est l'utilité du jour et quelle est celle de la nuit, comment ils se succèdent et se remplacent, formant en quelque sorte un choeur harmonieux, et toujours pour notre conservation et notre bien, serait-il le plus ignorant de tous les hommes, son intelligence s'éveillera, il lui sera facile de reconnaître la Sagesse du suprême Artisan; car le jour et la nuit la manifestent assez, l'un en nous appelant au travail, l'autre en nous invitant au repos.

403 Mais voilà que, nous laissant entraîner à cette digression, nous avons perdu de vue le commencement de notre discours. Il pourrait arriver néanmoins que dans le texte dont vous avez entendu la lecture, quelque chose eût troublé ceux d'entre vous qui sont moins attentifs ou moins versés dans la connaissance des Écritures: hâtons-nous donc de revenir à ce sujet. L'évangile de ce jour renferme l'histoire de cette femme qu'affligeait une perte de sang et qui mit un terme à cette infirmité en touchant simplement la robe du Sauveur, ravissant de cette manière un trésor par la force de sa foi. Oui, ce fut là vraiment un larcin, mais un larcin digne d'éloges, et les éloges ne manquèrent pas à celle qui l'avait accompli: Jésus Lui-même, qui était le volé, loua cette pauvre femme. On a lu de plus ce qui concerne les stigmates de Paul, ses blessures, ses chaînes, ses condamnations, ses naufrages, ses persécutions incessantes et multiples, ses prisons, ses morts de chaque jour, sa faim, sa soif, sa nudité, ses innombrables sollicitudes. Que ferai-je? Je m'arracherai d'un bond impérieux aux entraînements de ce dernier sujet, aux étreintes de Paul, pour n'être pas encore détourné de ma pensée première. Vous le savez, plus d'une fois, comme je m'acheminais vers un but déterminé, il m'a surpris au milieu du discours, il s'est tellement emparé de moi que je n'ai pu m'en séparer qu'à la fin. Il ne faut pas que la même choses m'arrive aujourd'hui; je veux donc ramener de force ma pensée sur la parole du prophète dont j'avais résolu de vous entretenir. Quelle est cette parole? "Moi, le Seigneur, j'ai créé la lumière et les ténèbres, je donne la paix et j'envoie les maux." Vous me rendrez ce témoignage, ce n'est pas sans raison que je dirige à ma course; je m'empresse d'y venir en passant sur tout le reste. C'est qu'il y a là des choses qui peuvent aisément troubler un esprit incapable de les approfondir. Rendez-vous donc attentifs, prêtez-nous une oreille favorable, et, laissant de côté toute préoccupation terrestre, écoutez bien ce que nous vous dirons. C'est ainsi que nous désirons récompenser votre empressement à vous réunir ici, et ne vous renvoyer dans vos demeures qu'après vous avoir largement fourni l'aliment spirituel, de telle sorte que les absents apprennent de vous la perte qu'ils auront faite; et c'est ce qu'ils ne pourront ignorer, si vous recueillez nos enseignements avec zèle et s'il vous est possible de les leur communiquer.

"Moi, le Seigneur, j'ai créé la lumière et les ténèbres, je donne la paix et j'envoie les maux." Je reviens sur cette sentence pour qu'elle se grave dans votre esprit et pour que la solution soit mieux préparée. Isaïe n'est pas seul à tenir ce langage; un autre prophète dit également: "Est-il un mal dans la ville que le Seigneur n'ait pas fait?" (
Am 3,6) Que signifie cela? Il faut donner une solution qui réponde à tous. Mais cette solution, où est-elle? Elle est dans la portée bien comprise de ces expressions. Redoublez d'attention, je vous le demande encore; ce n'est pas en vain et sans motif que j'insiste sur ce point. Nous avançons vers une doctrine qui nous commande ce respect par sa profondeur. Il y a des choses bonnes, il y en a de mauvaises, et d'autres qui tiennent le milieu; parmi ces dernières, plusieurs semblent mauvaises et ne le sont pas en réalité; c'est nous qui les jugeons et les disons telles. Pour rendre ma pensée plus claire et plus ferme en même temps, je prends un exemple: On regarde généralement la pauvreté comme un mal; elle ne l'est pas cependant, elle détruit même le mal quand la vigilance et la sagesse l'accompagnent. La richesse à son tour est généralement tenue pour un bien; mais elle est loin de l'être, si l'on n'en fait pas l'usage qui convient. Si la richesse était absolument un bien, tout homme riche serait par là même un homme bon. S'il est vrai toutefois que tous les riches ne sont pas vertueux et que ceux-là seuls le sont qui usent bien de leur fortune, il est évident que la richesse n'est pas un bien absolu, un bien par elle-même, et qu'elle nous est offerte comme un instrument de vertu. Voyez encore: Le corps a des qualités par lesquelles on désigne celui qui les possède. Ainsi, la blancheur n'est pas une substance, c'est une qualité, une modification de la substance: qu'un homme la possède néanmoins, et nous donnons à cet homme le nom de blanc. La maladie n'est elle-même qu'une modification de la substance, qu'un homme en soit affecté, et nous le désignons sous le nom de malade. Si donc la richesse était la vertu, il faudrait que l'homme riche fût dès lors nommé vertueux et qu'il le fût en réalité; mais, si le riche n'est pas précisément vertueux, la richesse n'est pas une vertu, un bien essentiel; il dépend de nos sentiments qu'elle le devienne. De même, si la pauvreté était un mal, tous les pauvres seraient des hommes méchants; mais tant de pauvres ont conquis le ciel: la pauvreté n'est donc pas un mal.

404 Que direz-vous en présence des blasphèmes causés par la pauvreté? m'objectez-vous. - Je dirai que ce n'est pas à la pauvreté, mais bien à la faiblesse d'esprit ou de coeur qu'il faut attribuer. Nous le voyons par l'exemple du bienheureux Job: Réduit à la dernière indigence, tombé jusqu'au fond de l'abîme, non seulement il ne blasphéma pas, mais encore il continua de bénir Dieu; et voici comment il s'exprimait: "Le Seigneur m'avait tout donné, le Seigneur m'a tout retiré; c'est la volonté du Seigneur qui s'est accomplie; que le Nom du Seigneur soit loué dans tous les siècles." (Jb 1,21) - A cause des richesses, me direz-vous encore, beaucoup se laissent aller à l'avarice et à la rapine. - Mais ce n'est pas non plus les richesses qu'il faut en accuser, c'est la folie des hommes; et le même juste est là pour le prouver: Quoiqu'il fût dans l'abondance, loin de ravir le bien d'autrui, il donnait du sien et faisait de sa maison un port aux voyageurs, comme il le déclare lui-même: "Ma maison était ouverte à tout étranger qui venait s'y présenter." (Jb 31,32) Abraham n'était pas moins riche, et les voyageurs profitaient également de ses richesses: elles n'ont pu rendre injuste ni celui-ci ni celui-là, pas plus que la pauvreté n'a fait du premier, ou de Lazare un blasphémateur; dénués l'un et l'autre des aliments nécessaires, ils ont brillé d'un si vif éclat que Dieu Lui-même rend témoignage à l'un et lui communique les plus grands secrets, que l'autre quitte la terre précédé par les anges, est reçu dans le sein du patriarche et possède les mêmes biens que lui.

Voilà donc les choses que j'appelle indifférentes, la richesse et la pauvreté, la santé et la maladie, la vie et la mort, la gloire et le déshonneur, la liberté et la servitude. Inutile d'aller plus loin; essayer de tout parcourir, ce serait prolonger le discours outre mesure. Qu'il vous suffise de cette indication, et je ne me détourne pas de mon but. Il est écrit: "Fourni au sage une occasion, et il deviendra plus sage." (Pr 9,9) Voilà donc les choses qui tiennent le milieu entre le bien et le mal, dont les hommes peuvent user à leur gré pour l'un ou pour l'autre. Qu'il en soit ainsi des richesses, c'est ce que nous voyons par deux exemples opposés, celui d'Abraham, qui sut en faire un si parfait usage, et celui de ce riche que l'évangile nous présente avec Lazare et qui fit servir ces mêmes biens à sa perte. Ainsi donc, la richesse n'est absolument ni un bien ni un mal. Supposez qu'elle soit un bien absolu, jamais ce riche n'aurait encouru le châtiment qu'il subit; supposez qu'elle soit un mal, Abraham n'aurait pas acquis la gloire qu'il possède. Il en est de même de la maladie. Si la maladie est un mal absolu, je le répète, le malade est un être mauvais. Par conséquent, tel doit être jugé Timothée, puisqu'il était affligé d'une maladie très grave. "Use d'un peu de vin, lui disait son maître, à cause de ton estomac et de tes fréquentes infirmités." (1Tm 5,23) Mais si, loin d'être mauvais pour cela, il trouva dans ses infirmités le sujet d'une plus grande récompense, parce qu'il les supporta patiemment, il est évident que la maladie n'est pas un mal. Un autre prophète était privé de la vue, ce qui ne l'empêchait pas de prophétiser et de prévoir l'avenir: son mal ne l'avait donc pas rendu mauvais et ne lui faisait pas obstacle dans le chemin de la vertu. De même la santé n'est pas absolument un bien; elle ne l'est qu'à la condition qu'on en usera pour le bien, et non pour des oeuvres perverses ou pour un repos désordonné; car un tel repos suffit pour notre condamnation. De là cette parole de Paul: "Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus." (2Th 3,10)

Je conclue donc que ces choses tiennent le milieu, comme nous l'avons dit, sont indifférentes, et ne deviennent bonnes ou mauvaises que par l'usage qu'on en fait. Mais pour-quoi parler de la santé et de la maladie, de la richesse et de l'indigence? Ce qu'on regarde comme le bien capital et comme le plus grand des maux, la vie et la mort n'ont-elles-mêmes rien d'absolu; nous les rangeons dans la même catégorie, et les dispositions seules dans lesquelles elles nous trouvent en font un bien ou un mal. Voici ce que je veux dire: C'est un bien que la vie, mais pour celui qui en fait un bon usage; pour celui qui la fait servir à l'iniquité, elle est plutôt un mal et mieux vaudrait pour lui mourir. Par contre, le plus redoutable de tous les maux dans l'opinion commune, est la source de mille biens, s'il est amené par une juste cause. Témoins les martyrs, dont la mort a fait les plus heureux des hommes. Voilà pourquoi Paul ne désire vivre dans le Christ que parce qu'il voit en cela le fruit de ses oeuvres. "Je ne sais quel choix faire, dit-il, mon âme est comme partagée: j'éprouve le désir d'être affranchi de mes liens et d'aller avec le Christ, c'est ce qui me serait de beaucoup le plus profitable; mais que je demeure encore dans la chair, c'est plus utile pour vous." (Ph 1,22-24) Le prophète exprimait ainsi le même sentiment: "Précieuse est devant le Seigneur la mort de ses saints." (Ps 65,15) Ce n'est pas la mort absolument parlant qui est précieuse, c'est une telle mort. Ailleurs il dit: "La mort des pécheurs est très mauvaise." (Ps 33,22) Ce n'est donc là, vous le voyez, ni un bien, ni un mal absolu; seules les dispositions de l'âme en décident. Le sage Salomon, appréciant et discutant la valeur de ces choses indifférentes par elles-mêmes, et voulant nous montrer que cela n'est pas un bien de soi et ceci un mal, que le mal devient un bien dans les circonstances convenables, malgré la peine qu'il nous cause d'abord, et que le bien devient un mal en dehors de ces mêmes circonstances, s'exprime ainsi: "Il est un temps pour pleurer, il est un temps pour rire; il est un temps pour vivre, il est un temps pour mourir." (Qo 3,4) En effet, il n'est pas toujours bon de se réjouir, quelquefois même c'est nuisible: il n'est pas non plus toujours bon de s'affliger, il peut arriver que cela soit funeste et mortel. C'est la pensée que Paul exprime en ces termes: "La tristesse qui est selon Dieu produit la pénitence, qui elle-même conduit sûrement au salut; mais la tristesse selon le monde opère la mort." (2Co 7,10) Voilà donc encore une chose indifférente de soi. C'est pour cela que le même apôtre nous ordonne, non pas simplement de nous réjouir, mais de nous réjouir dans le Seigneur. ( voir 1 Ph 4,4)

C'est assez toutefois avoir parlé de ces choses indifférentes, du moins pour des auditeurs attentifs; nous devons maintenant passer à celles qui ne sont plus dans ce milieu, qui sont bonnes au point de ne pouvoir devenir mauvaises, ou mauvaises au point de ne pouvoir devenir bonnes. Quant à celles dont nous avons traité jusqu'ici, nous savons qu'elles passent d'un extrême à l'autre; que les richesses, par exemple, sont tantôt un mal, quand elles ont pour but de satisfaire l'avarice, et tantôt un bien, quand elles sont employées en aumônes; que toutes les choses de même nature sont soumises à la même loi. Mais il en est, nous venons de le dire, qui ne sauraient jamais devenir mauvaises; et celles qui sont contraires à celles-là demeurent dès lors toujours mauvaises, impossible qu'elles soient jamais bonnes. Telles sont l'impiété, le blasphème, la mollesse, la cruauté, l'inhumanité, la gourmandise, et toutes les autres du même genre. Je ne dis pas que le méchant ne puisse jamais devenir bon, et réciproquement; je dis que les choses elles-mêmes ne peuvent pas subir un tel changement. En restant dans leurs bornes respectives, les unes sont un bien et les autres un mal; tandis que l'homme est bon ou mauvais suivant qu'il embrasse les unes ou les autres. Les choses se divisent donc en trois catégories: il en est de bonnes dont l'essence ne change pas, telles que la tempérance, la générosité, et autres semblables; il en est d'essentiellement mauvaises et qui ne changent pas davantage, comme la luxure, la férocité, la barbarie; il en est enfin qui deviennent bonnes ou mauvaises selon l'usage qu'on en fait. Les richesses je l'ai dit, sont l'instrument de l'avarice ou de la bienfaisance; cela dépend des sentiments de celui qui les possède. La pauvreté aboutit tantôt au blasphème, tantôt à l'action de grâces et à la philosophie. Comme il y a des insensés, et en grand nombre, - j'arrive maintenant à la solution - qui tiennent pour mal non seulement ce qui l'est par essence et ne saurait jamais devenir un bien, mais encore ce qui de sa nature est indifférent, vous l'avez entendu; comme beaucoup donc appellent mal ce qui n'est pas un mal, le prophète emploie leur langage; il parle donc des maux qui sont tels dans l'estime des hommes, mais qui ne sont pas des maux réels: il parle de la captivité, de l'esclavage, de la famine, et d'autres fléaux pareils. Non seulement ce ne sont pas là des maux véritables, mais ce sont encore des moyens propres à guérir les maux; et pour le prouver voyons la famine, qui certes nous fait tous trembler et frémir.

Eh bien, apprenez que la famine n'est pas un mal, laissez-moi vous donner une leçon de philosophie. Le peuple hébreu étant tombé dans une extrême corruption, Elie cet homme extraordinaire digne d'habiter le ciel, voulant les arracher à leur indolence et les ramener au bien, s'écria: "Vive le Seigneur, devant qui je me suis présenté, la pluie ne tombera pas sans ma permission." (1R 17,1) Et celui qui ne possédait pas autre chose qu'un manteau ferma le ciel, tant il avait de crédit auprès de Dieu. Vous voyez bien que la pauvreté n'est pas un mal. Si elle l'était, jamais, le plus pauvre des hommes n'aurait eu la puissance d'agir ainsi sur le ciel, tout en cheminant encore sur la terre. Par ce moyen Il envoya la famine comme la meilleure des institutrices, la plus capable de réformer les moeurs dépravées. Ce fut comme lorsqu'une fièvre violente s'empare de notre corps: les veines de la terre furent desséchées, les cours d'eau cessèrent, les herbes furent brûlées, et toute sève tarit. Hors, cela ne fut pas peu profitable à ce peuple, c'est ainsi que se trouva réprimée son impétuosité vers le mal, qu'il revint à de meilleurs sentiments et se montra plus docile à la voix du prophète. Ceux qui couraient tout à l'heure aux idoles et qui sacrifiaient leurs enfants aux démons, voyant maintenant frapper à mort tant de prêtres de Baal, ne témoignent plus aucune indignation, ni même aucun regret; rendus meilleurs par la famine et saisis de frayeur, ils acceptent tout en silence.

406 Vous voyez donc bien que la famine n'est pas un mal, qu'elle sert même à le détruire, qu'elle est un remède propre à guérir nos maladies. Voulez-vous vous convaincre qu'il en est de même de la captivité, considérez ce qu'étaient les Juifs avant la captivité de Babylone et ce qu'ils devinrent sous le coup de cette épreuve; vous resterez alors persuadés que la liberté n'est pas un bien absolu, que la captivité n'est pas un mal. Quand ils jouissaient de leur liberté, vivant tranquilles dans leur patrie, ils se conduisaient de telle sorte que les prophètes élevaient chaque jour la voix, tant les lois étaient enfreintes, le culte des idoles en honneur, les divins préceptes foulés aux pieds, mais, après avoir été transportés sur une terre étrangère, au milieu des barbares, il réprimèrent leurs mauvais instincts, ils renoncèrent à leurs vices, ils observèrent la loi,comme nous le voyons d'après un psaume que je dois mettre aujourd'hui sous vos yeux pour vous apprendre les heureux fruits de la captivité. Quel est ce psaume? "Sur le bord des fleuves de Babylone nous nous sommes assis, et nous avons versé des larmes au souvenir de Sion. Aux saules de la rive nous avons suspendu nos instruments de musique. Là nous ont interrogés ceux qui nous avaient amenés captifs; ils nous demandaient les paroles de nos chants sacrés; faites-nous entendre, disaient-ils, les cantiques de Sion. - Comment chanterions-nous l'hymne du Seigneur sur une terre étrangère ?" (Ps 136,1-4). Comme la captivité les a domptés ! Auparavant, ils ne supportaient que les prophètes vinssent les avertir de ne pas transgresser la loi, et maintenant, ils savent résister aux instances des barbares, aux ordres impérieux de leurs maîtres, qui veulent les obliger à la transgresser; ils disent: Non, nous ne chanterons pas l'hymne du Seigneur sur une terre étrangère, parce que la loi nous le défend.

Souvenez-vous encore des trois jeunes Hébreux: bien loin de leur nuire, la captivité fit mieux éclater leur vertu. La même chose eut lieu pour Daniel. Et Joseph, quel mal résulta-t-il pour lui d'avoir été réduit en esclavage, traîné dans un autre pays, chargé de chaînes? Est-ce que cela seul ne le couvrit pas d'honneur et de gloire. Et cette femme égyptienne qui vivait au sein de l'opulence, du faste et de la liberté, quel bien en retira t-elle? Ne tomba t-elle pas dans l'état le plus déplorable pour n'avoir pas usé de ses avantages comme il le fallait? Nous avons donc évidemment établi quelles sont les choses bonnes, mauvaises, indifférentes, et de plus que le prophète parle dans le texte cité de ces dernières, de la captivité, de l'esclavage et de l'exil, que nous savons n'être pas un mal, quoique généralement on suppose le contraire. Il importe d'ajouter pourquoi de telles paroles ont été prononcées. Dans sa bonté pour les hommes, toujours prompt à pardonner et lent à punir, Dieu voulait épargner aux Juifs le châtiment de leurs crimes; et c'est pour cela qu'il leur envoya les prophètes, afin que la terreur provoquée par ses menaces le dispensât d'en venir aux faits: ainsi s'était-il conduit envers les Ninivites. Il les avait jadis menacés de détruire leur ville, non pour la détruire en effet, mais pour la sauver, au contraire; ce qui du reste eut lieu. Il agissait de même en cette occasion: il envoyait les prophètes, annonçant les incursions des barbares, l'effusion du sang, la captivité, la servitude, le séjour en pays étranger. Tel un père plein de tendresse, voulant ramener au bien un fils négligent et dissolu, prend en main les verges et lui présente des liens, en lui tenant ce langage: je t'attacherai, je te flagellerai, je te tuerai: autant de paroles par lesquelles il s'efforce de l'effrayer et de l'arracher au vice: tel Dieu faisait continuellement retentir de terribles menaces, dans le but de corriger ses enfants. Voyant cela et voulant empêcher cet amendement, le diable envoyait à son tour de faux prophètes; et tandis que les vrais ministres de Dieu annonçaient la captivité, la servitude et la famine, les autres promettaient la paix, la fertilité, l'abondance de tous les biens. De là ces avertissements donnés par les prophètes :"La paix, la paix ! Où donc est la paix ?" (Jr 6,14). Et tout homme instruit sait bien que les événements ont pleinement confirmé la parole des prophètes, à l'encontre de ceux qui retenaient le peuple dans sa léthargie. C'est donc pour combattre ces influences dissolvantes et funestes que Dieu dit par la bouche d'Isaïe: "Moi, le Seigneur Dieu, je donne la paix et j'envoie les maux." Quels maux? Ceux dont nous avons parlé, la captivité, la servitude et les autres du même genre; mais non certes l'impureté, la mollesse, la cupidité, ni rien de semblable. De même, lorsqu'un autre prophète dit: "S'il est un mal dans la cité que le Seigneur n'a pas fait," par ce mal, par ce mal il entend la famine, la maladie, les fléaux que le Seigneur envoie. C'est encore le sens de cette parole du Christ: "A chaque jour suffit son mal, " son labeur, sa fatigue, sa peine (Mt 6,34) .

407 Voici donc ce que dit le prophète: ne vous laissez pas endormir par de fausses prédictions; c'est Dieu qui peut vous donner la paix, mais aussi vous livrer à la servitude. - "Je donne la paix et j'envoie les maux," n'a pas une autre signification. Pour mieux vous en convaincre, examinons avec soin chaque expression. C'est après avoir dit: "C'est moi qui fais la lumière et les ténèbres," qu'il ajoute: "Je donne la paix et je crée les maux." Il a d'abord mis en présence deux contraires, et puis deux autres; ce qui vous fait voir qu'il ne parle pas de corruption, mais d'infortune. En effet, quel est le contraire de la paix? Évidemment, c'est le trouble de la servitude, et non la fornication, l'adultère ou l'injustice. J'insiste: dans le second membre de la phrase comme dans le premier sont placés deux contraires; et ce n'est pas le vice précisément qui est le contraire de la paix, c'est la tribulation ou le malheur. Or les hommes sont affectés envers les choses qui leur arrivent comme envers les éléments. Je m'explique: le Seigneur a fait la lumière et les ténèbres, une chose que les hommes tiennent pour agréable, une autre qu'ils regardent comme pénible, puisqu'ils en viennent à maudire la nuit; et voilà justement ce qu'ils font sous le premier rapport. Mais la nuit et les ténèbres ne doivent pas plus être accusées que l'exil et la servitude. Quel mal, je vous prie, voyez-vous dans les ténèbres? Ne nous reposent-elles pas de nos travaux? ne nous délivrent-elles pas de nos sollicitudes? n'imposent-elles pas une trêve à nos douleurs? ne raniment-elles pas nos forces? Sans les ténèbres et la nuit, eussions-nous pu jouir de la lumière? Cet être animé qu'on appelle l'homme ne tomberait-il pas bientôt épuisé? Il y a des insensés néanmoins qui prétendent que les ténèbres sont un mal; mais il n'en est rien: elles concourent même à nous rendre le jour utile, en nous rendant plus aptes au travail par le repos qui le précède.

Il en est de même de la captivité, dont il est parlé dans ce texte: je donne la paix et j'envoie les maux." Elle est un bien pour ceux qui savent en user; car elle leur inspire la modération et la sagesse, en rabattant leur orgueil. La vertu ne saurait être esclave; rien ne peut en triompher, ni la servitude, ni la captivité, ni l'indigence, ni la maladie, ni la mort elle-même, le plus redoutable des tyrans. J'en appelle à ceux qui ont souffert tout cela, et qui n'en ont été que plus illustres. Quel préjudice causèrent à Joseph - rien n'empêche que je ne mette encore cet exemple sous vos yeux - l'esclavage, les fers, la prison, la calomnie, les embûches, un long exil? En quoi nuisirent à Job la destruction de ses troupeaux, la mort violente et prématurée de ses enfants, les plaies et les vers qui couvrirent son corps, son intolérable affliction, sa couche immonde, la méchanceté de sa femme, les injustes reproches de ses amis, les outrages de ses serviteurs? Lazare gît sous un portique, les chiens lèchent ses plaies, la faim le consume, le riche lui jette à peine un regard dédaigneux, la maladie l'accable, il est abandonné de tous, nul ne daigne lui venir en aide. Paul à son tour est assailli d'un essaim de maux, de persécutions, de morts, de naufrages, de tribulations de tout genre, qu'aucune langue ne saurait énumérer. Quel mal en est-il résulté pour l'un ou pour l'autre? Pénétré de tels enseignements, fuyons le vice, embrassons la vertu, prions pour ne pas succomber à la tentation, et, si parfois nous la subissons, ne nous décourageons pas, ne nous en affligeons pas; car ce sont là les armes de la vertu pour ceux qui savent en faire usage, des moyens qui peuvent nous conduire à la gloire, si nous sommes vigilants, et à la possession des biens éternels. Puissions-nous tous les acquérir par le Christ Jésus notre Seigneur, à qui gloire dans les siècles des siècles. Amen.






Chrysostome, choix d'Homélies 200