Chrysostome sur Actes 2404

HOMÉLIE 25 CEUX DONC QUI AVAIENT ÉTÉ DISPERSÉS PAR LA TRIBULATION SURVENUE A CAUSE D'ÉTIENNE, ALLÈRENT JUSQU'EN PHÉNICIE, (CHAP. 11, VERS. 19, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

EN CHYPRE, ET A ANTIOCHE, N'ENSEIGNANT LA PAROLE A PERSONNE, SI CE N'EST AUX JUIFS.

120

2500 Ac 11,19-30

ANALYSE.

1-3. Le Christianisme s'introduit à Antioche.
3 et 4. Puissance de l’aumône. — Les moyens de faire l'aumône sont nombreux.

2501 1. La persécution ne servit pas peu au progrès de la parole de Dieu : « Pour ceux qui aiment Dieu », dit saint Paul « tout concourt « au bien ». (Rm 8,28) Si donc, on se fût proposé de propager l'Église, on n'eût pas fait autre chose : je veux dire, autre chose que disperser les docteurs. Voyez jusqu'où s'étendit cette prédication: «Ils allèrent », disent les Actes, « jusqu'en Phénicie et en Chypre, et à Antioche, n'enseignant la parole à personne, si ce n'est aux Juifs ». Voyez-vous comment tout se passa par l'action de la Providence pour Corneille? Ceci sert à la défense du Christ et à l'accusation des Juifs. Lors donc qu'Étienne est mis à mort, que deux fois Paul est en danger, que les apôtres sont flagellés, les nations et les Samaritains sont reçus à la foi. Et Paul le proclame en disant : « Il fallait d'abord vous enseigner la parole de Dieu, mais vous vous en êtes vous-mêmes jugés indignes, voici donc que nous nous dirigeons vers les nations ». (Ac 13,46) Ils parcoururent donc les nations et les instruisirent.

« Quelques-uns d'entre eux, des hommes de Chypre et de Cyrène, étant venus à Antioche, conversaient avec les Grecs, et leur annonçaient le Seigneur Jésus. Et la main du Seigneur était avec eux, et un grand « nombre crut et Se convertit au Seigneur Jésus (120, 21) ». Il est vraisemblable, du reste, qu'ils savaient la langue grecque, et qu'il y avait un grand nombre de ces hommes à Antioche. « Et la main du Seigneur,» disent les Actes, « était avec eux », c'est-à-dire, ils faisaient des prodiges. Ne voyez-vous pas qu'il fut besoin de prodiges pour les porter à croire ? « Cette nouvelle parvint aux oreilles de l'Église qui était à Jérusalem, et on députa Barnabé pour aller jusqu'à Antioche (22) ». Pourquoi donc, lorsqu'une si grande ville recevait la parole de Dieu, n'y allèrent-ils pas eux-mêmes, et y envoyèrent-ils Barnabé? Ce fut à cause des Juifs. Cependant ce qu'il y a à faire est d'une grande importance, et d'une si grande, que Paul doit se rendre à Antioche. Ce n'est pas sans raison, mais tout à fait d'après les vues de la Providence, qu'on déteste Paul, afin que ne soit pas renfermée dans Jérusalem la voix de la prédication, la trompette du ciel. Ne voyez-vous pas comment, partout, suivant qu'il l'a décrété dans les cieux, le Christ se sert pour le bien, de la malice des Juifs, et même de la haine qu'ils portent à Paul pour édifier l'Église des gentils? Examinez aussi ce saint homme, je veux dire Barnabé, comme il s'oublie lui-même et court à Tarse : « Lorsqu'il fut arrivé (à Antioche), voyant la grâce de Dieu, il s'en réjouit; et il les exhortait tous à persévérer dans le Seigneur dans (121) le dessein de leur coeur, parce qu'il était un homme juste, rempli de l'Esprit-Saint et de foi. Et une foule nombreuse fut acquise au Seigneur. Barnabé partit pour Tarse, afin d'y aller chercher Paul, et l'ayant trouvé, il le conduisit à Antioche (23, 25) ». Barnabé, homme simple et bon, était l'ami de Paul. C'est à cause de cela qu'il alla chercher l'athlète, le général, le lutteur, le lion : Je ne sais ce que je dois dire, car quoi que je dise, mes paroles seront toujours au dessous de la grandeur de Paul. Barnabé alla donc vers le chien de chasse, capable de tuer les lions, vers le taureau vigoureux, vers la lampe éclatante, vers la bouche assez puissante pour enseigner l'univers. C'est réellement à cause du long séjour de Paul à Antioche, que les fidèles furent appelés chrétiens. « Et il advint qu'ils restèrent une année tout entière avec l’Eglise ; ils instruisirent une foute nombreuse, et c'est à Antioche pour la première fois que les disciples furent appelés chrétiens (26) ».

C'est une grande gloire pour cette ville; car, cela la place bien haut entre toutes les autres, d'avoir possédé la première pendant un si long temps, cette voix éloquente. C'est de là que tout d'abord les disciples furent honorés de ce nom: Ne voyez-vous pas à quel haut rang Paul éleva cette ville, et quelle célébrité il lui donna? C'est l'oeuvre de Paul. Là, où trois mille et cinq mille avaient cru, ainsi qu'une si grande multitude, rien de semblable n'arriva, et les disciples, disait-on seulement, marchaient dans la voie du Christ : à Antioche on les nomma chrétiens. « Il vint dans ces jours de Jérusalem des prophètes à Antioche (27) ». Comme c'était là que devait être planté l'arbre fruitier de l'aumône, la providence pourvoit utilement à y envoyer des prophètes. Observez avec moi que nul des plus illustres apôtres ne fut le docteur des chrétiens d'Antioche ; ils eurent pour docteur des Cypriens, des Cyrénéens, et Paul (celui-ci supérieur aux autres), de même que Paul avait eu pour maître Barnabé et Ananie; mais cela ne le rabaisse en rien, car il eut aussi pour maître le Christ. « L'un d'entre eux, nommé Agabus, se leva, et prédit qu'une grande famine affligerait la terre entière. C'est cette famine qui advint sous Claudius César (28)». Cet homme prédisait par avance qu'une grande famine arriverait nécessairement, et elle est arrivée suivant qu'il l'avait annoncé. Pour que certaines personnes ne, pensent pas que la famine arriva parce que le christianisme faisait son entrée dans le monde, et que les démons s'étaient enfuis, le Saint-Esprit prédit les événements à venir, comme le Christ a prophétisé une foule de choses qui sont arrivées depuis.

La famine ne vint pas cependant parce que dans le principe elle devait arriver, mais bien à cause des maux dont on avait accablé les apôtres. Ces maux, Dieu les supportait quelque temps avec patience, mais comme ils persévéraient, la famine vint pour annoncer aux Juifs leur malheur à venir. Mais, si la famine était venue à cause des Juifs, il fallait, à cause des autres nations, qu'elle cessât. Quelle injure avaient faite les Grecs aux apôtres, pour être frappés, innocents qu'ils étaient, des mêmes malheurs? Si ce n'était pas à cause d'eux que ce fléau frappait le monde, les Juifs eussent dû voir grandir leur gloire, puisque c'était pour leur loi qu'ils agissaient, qu'ils mettaient à mort les apôtres, les persécutaient, les opprimaient et les poursuivaient de tous côtés. Considérez à quelle époque la famine arrive c'est lorsque les gentils étaient reçus à la foi.

2502 2. Mais si c'est à cause des maux endurés par les disciples, que vint la famine, il fallait, dit-on, tes en préserver eux-mêmes. Pourquoi, dites-le-moi? Le Christ n'avait-il pas prédit aux apôtres : « Vous aurez des tribulations « dans le monde? » Mais vous qui dites ces choses, peut-être ajouterez-vous aussitôt qu'il n'eût pas fallu permettre qu'ils fussent flagellés. Considérez donc que pour eux la famine fut une cause de salut, l'occasion de l'aumône, la source de beaucoup de biens, comme elle l'eût été pour vous, si vous l'aviez voulu; mais vous ne l'avez pas voulu. La famine est prédite afin de prédisposer les chrétiens à l'aumône, puisque ceux qui sont à Jérusalem souffrent de grands maux. Auparavant, ils ne supportaient pas la famine. On envoie Paul et Barnabé pour servir « chacun des disciples suivant ses moyens... (29)» Ne voyez vous pas qu'aussitôt qu'ils ont reçu la foi, aussitôt elle porte des fruits, non-seulement pour ceux qui sont avec eux, mais encore pour ceux qui sont éloignés? Il me semble que cela veut dire ici ce que Paul répète ailleurs, à savoir : « Ils nous ont donné la main en signe de commune pensée à Barnabé et à moi... nous recommandant seulement de nous souvenir des pauvres ». (Ga 29) Telle fut la grande (122) utilité de la famine. Regardez, dans leur tribulation, ils ne fondent point comme nous en larmes et en gémissements; mais ils se livrent à un travail immense et plein de zèle, car ils annoncent la parole avec une plus grande liberté. Ils ne disaient pas : Nous, gens de Cyrène et de Chypre, oserons-nous entreprendre la conquête de cette grande et brillante cité mais, confiants dans la grâce de Dieu, ils entreprirent d'enseigner la doctrine, et les autres ne dédaignèrent pas de se faire instruire par eux. Voyez toutes les choses accomplies par ces petits, la prédication étendue, ceux qui sont à Jérusalem prenant soin de tout le reste ensemble, et dirigeant la terre entière comme une seule maison. Ils apprennent que Samarie a reçu la parole de Dieu, et ils y envoient Pierre et Jean; ils apprennent ce qui se passe à Antioche, ils y envoient Barnabé. Li route était longue, il ne fallait pas que les apôtres s'absentassent longtemps, de peur qu'on ne s'imaginât qu'ils avaient pris la fuite et quitté leurs disciples. Ils s'éloignent par nécessité, lorsqu'ils voient l'état désespéré de la nation juive, lorsque d'ailleurs la guerre est imminente, et que ce peuple doit être anéanti, et que la sentence est portée. Ils restèrent à Jérusalem jusqu'à l'époque où Paul partit pour Rome. lis partent donc, non par crainte de la guerre, puisqu'ils allaient chez le peuple qui devait la faire? La guerre commence après la mort des apôtres, et la parole dite contre les Juifs reçoit son accomplissement. « La colère de Dieu contre eux touche à sa fin ». (1Th 2,16) La grâce brilla d'un éclat d'autant plus vif, que les apôtres étaient plus obscurs, elle fit de grandes choses par de faibles instruments.

Mais reprenons ce qui a été dit : « Il les encourageait tous à persévérer dans le Seigneur », dit le texte, « parce qu'il était un homme bon ». Il me semble que le mot bon signifie un homme simple, sans détours, embrasé d'ardeur pour le salut du prochain. C'était non-seulement un homme bon, mais encore rempli de l'Esprit-Saint et de foi. C'est pour cela qu'il les exhortait tous, selon la disposition de son coeur, avec des éloges et des encouragements. Remarquez que, comme une terre féconde, cette ville reçut la parole, et produisit de grands fruits. Pourquoi donc Barnabé fit-il sortir Paul de Tarse pour l'amener à Antioche? Ce n'est pas sans raison, mais parce qu'il y avait là grande espérance la ville est vaste, et la population nombreuse. Voyez comme c'est la grâce qui fait tout, et -non point Paul ; considérez aussi comment cette couvre a été commencée par d'obscurs ouvriers : dès qu'elle commence à briller, les apôtres y envoient Barnabé. Mais pourquoi ne l'y envoyèrent-ils pas plus tôt? Ils agissaient avec une grande circonspection, en ce qui les concernait, et ils ne voulaient pas se faire reprocher par les Juifs d'admettre les gentils. Cependant comme l'admission des gentils dans l'Eglise était nécessaire, et qu'il devait y avoir une discussion à ce sujet, le fait de la conversion de Corneille la précède. C'est alors que se prononce cette parole: « Pour que nous, nous allions chez les gentils, et eux chez les circoncis ». Mais voyez combien heureusement la famine établit des relations entre les convertis de la gentilité et les fidèles de Jérusalem. Ceux-ci reçoivent donc ce que leur envoient leurs frères. Les chrétiens de ce temps-là, plus courageux que nous, avaient autre chose que des larmes à opposer au malheur. Quoi qu'il en soit, les chrétiens vivaient désormais avec plus de liberté, loin de ceux qui les pouvaient gêner, au milieu d'hommes qui n'avaient rien à craindre des Juifs. Ce qui ne contribuait pas peu au progrès de l'oeuvre. Ils émigrèrent même à Chypre, où la sécurité et la liberté étaient plus grandes. « Ils n'enseignaient la parole à personne, si ce n'est aux Juifs ». Ce n'était pas par la crainte des hommes qu'ils ne comptaient pour rien; mais par respect pour la loi, dont ils supportaient encore le fardeau. « Il y avait à Antioche des hommes de Chypre et de Cyrène », ceux-ci surtout ne s'occupaient guère des Juifs. Ces hommes conversaient avec les Grecs, « et leur annonçaient le Seigneur Jésus ». Peut-être est-ce parce qu'ils ne savaient has parler hébreu, qu'on les appelait grecs. « Lorsque Barnabé fût arrivé et qu'il eût vu l'oeuvre de la grâce de Dieu » (non l'oeuvre des hommes), « il les exhortait à persévérer dans le Seigneur ». Peut-être, ces louanges et ces félicitations données par lui à la foule, en convertirent plusieurs. Mais d'où vient qu'on n'écrit pas à Paul, et qu'on envoie Barnabé à Antioche? Les apôtres ne connaissaient pas encore la vertu de cet homme, et c'est pour cela qu'il fut décidé d'envoyer Barnabé. Comme la multitude était grande, et aussi parce que (123) personne n'y mettait d'obstacle, la foi germa facilement; et surtout parce qu'il n'y avait aucune épreuve à subir, parce que Paul prêchait, et qu'il n'y avait aucune nécessité de fuir; c'est avec raison que des prophètes, et non les apôtres eux-mêmes, prédisent la famine; ce ministère les eût rendus odieux. On peut à bon droit s'étonner que les habitants d'Antioche ne se soient point offensés d'être initiés à l'Evangile par ces docteurs de second ordre, et qu'au lieu de se tenir pour méprisés, ils aient été satisfaits, tant ils avaient d'ardeur pour la parole de Dieu. Les apôtres n'attendirent pas le temps de la famine, et envoyèrent Barnabé avant qu'elle fût venue. « Chacun donnait suivant ses moyens ».

2503 3. Remarquez que, dans le conseil des apôtres, on confie cette oeuvre à d'autres personnes : Paul et Barnabé sont envoyés à Antioche. C'est par une grande prévoyance qu'on agit ainsi. D'ailleurs l'oeuvre était commencée, il n'y avait plus lieu de s'en scandaliser. Aujourd'hui personne ne fait de même, quoique la famine soit plus grande que celle d'alors. Un fléau qui fait souffrir tout le monde, sans exception, est chose plus grave sans comparaison qu'une famine, dont les plus pauvres souffrent seuls, tandis que les autres sont dans l'abondance. Alors il n'y avait qu'une espèce de famine, et les pauvres eux-mêmes donnaient. « Chacun donnait suivant ses moyens ». Aujourd'hui il y a double famine, comme double abondance : une dure famine, non pas celle qui fait désirer d'entendre la parole de Dieu mais celle qui doit être soulagée par l'aumône. Alors les pauvres de Jérusalem, et les habitants d'Antioche qui leur envoyèrent de l'argent, profitèrent les uns et les autres de la famine, ceux-ci toutefois plus que ceux-là; maintenant, les pauvres et nous, nous souffrons de la famine : les pauvres, parce qu'ils sont dépourvus de la nourriture nécessaire; nous, parce que nous sommes privés de la miséricorde de Dieu. Rien n'est plus nécessaire que cette dernière nourriture. On n'a pas à subir les maux qui naissent de l'abondance. Le trop plein de cette nourriture n'est point à rejeter aux lieux secrets; rien de plus admirable, rien de plus sain qu'une âne qui en est rassasiée. Elle habite une région où n'arrive ni maladie, ni famine, ni infirmité d'aucune sorte : rien ne peut la vaincre. Mais de même que le fer, non plus qu'aucune autre substance, ne saurait entamer un corps de diamant; de même rien ne pourra triompher d'une âme corroborée par l'aumône. Qui donc, dites-le-moi, pourrait la dompter? La pauvreté? Non, car elle est appuyée sur les trésors des rois. Le voleur et le bandit? Mais personne ne peut transpercer ses murailles. Les vers? Mais son trésor est dans un lieu inaccessible à ce fléau. La jalousie et l'envie? Mais elle ne saurait en être atteinte. Les calomnies et les embûches? Cela non plus. Ce trésor est inviolable. Mais j'aurais honte de montrer seulement les inconvénients dont est affranchie l'aumône, si je ne parlais aussi des avantages qu'elle possède. Non-seulement, elle est à l'abri de l'envie, mais elle est comblée de bénédictions même par ceux qui ne reçoivent pas ses bienfaits. De même que les hommes cruels et sans pitié n'ont pas seulement pour ennemis les victimes de leurs injustices, mais aussi ceux qui n'ayant rien souffert d'eux ont compassion de leurs victimes et les accusent; ainsi ceux dont la vie est un tissu de bonnes oeuvres, n'obtiennent pas seulement les louanges de ceux à qui ils ont fait du bien, mais encore celles des autres hommes. Que dis-je, que l'envie ne peut rien contre elle, et qu'elle est à l'abri des trames des méchants, des voleurs et des bandits? Ce n'est pas là son seul bonheur; non-seulement elle ne subit pas d'amoindrissement, mais elle s'accroît et se multiplie. Qu'y a-t-il de plus ignoble que Nabuchodonosor? Quoi de plus honteux? Qui fut plus injuste que lui? C'était un homme impie ; il vit mille présages, mille signes précurseurs, et il ne voulut pas se repentir; au contraire, il précipita les serviteurs de Dieu dans la fournaise ardente, bien qu'après cela il ait adoré le Seigneur. Que lui dit donc le prophète : « O roi, que mon conseil trouve grâce devant vous ; rachetez vos péchés par l'aumône, et vos iniquités par la pitié pour les pauvres, peut« être le pardon viendra pour vos fautes ». (Da 4,24) Il lui parla ainsi, sans hésiter (car il était persuadé); il voulut le porter à une crainte plus grande, et lui montrer D'extrême nécessité d'agir ainsi. S'il eût parlé par affirmation, le roi eût été plus négligent. C'est ainsi que nous vous pressons aussi quelquefois, lorsque nous disons : Exhortez tel et tel, et nous n'ajoutons pas qu'il vous écoutera certainement, mais que peut-être il vous écoutera. Car le doute cause une plus grande (124) appréhension, et excite davantage. Cependant ces paroles ne furent pas claires pour le roi. Que dites-vous? Y aurait-il un pardon pour de si grands crimes? Certainement.

Il n'y a pas de péché que l'aumône ne puisse purifier et qu'elle ne puisse détruire. Tout péché est au-dessous d'elle, et elle est le remède souverain contre toute blessure. Quoi de plus bas que le publicain ? Son état est l'occasion de toute injustice. Mais Zachée se justifia entièrement par l'aumône. Voyez comme le Christ le démontre, puisqu'il veillait à ce que l'on eût une bourse parmi les siens pour porter ce que l'on donnait. Et Paul dit : « Nous recommandant seulement de nous « souvenir des pauvres ». Il existe partout, dans les Ecritures, de nombreux textes sur ce sujet : « Les richesses particulières», dit l'Esprit-Saint, « sont le prix de l'âme de l'homme ». Et le Christ ajoute: « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez, donnez aux pauvres, puis venez et suivez-moi ». Telle est la véritable perfection. Mais l'aumône ne s'exerce pas seulement par l'argent, elle se fait aussi par les oeuvres. Voici un exemple : Le cas se présente de protéger quelqu'un, de lui tendre la main ; souvent la protection par les actions fait plus que de grands dons d'argent.

2504 4. Permettez-nous d'exposer à présent les divers genres d'aumônes. Vous pouvez faire l'aumône par vos richesses? Ne soyez pas négligent. Vous pouvez faire l'aumône en patronnant quelqu'un? Ne dites pas : Puisque je n'ai pas de fortune, ceci n'est rien; car c'est beaucoup; ayez conscience de votre action comme si vous aviez donné de l'or. Vous pouvez faire l'aumône par un service quelconque? Faites encore cela. Par exemple, vous êtes médecin? Soignez les malades, c'est là une noble chose. Vous pouvez donner un bon conseil? C'est là une couvre plus grande que toutes les autres. Elle est meilleure, porte plus de fruits et procure un plus grand gain; car par là vous ne chassez pas la famine, mais une mort funeste. C'était l'espèce de richesse dont les apôtres étaient comblés. Aussi confièrent-ils à des inférieurs la distribution des aumônes, tandis qu'eux s'occupaient de l'enseignement. Croyez-vous que ce serait une faible aumône- de pouvoir délivrer de son mal une âme inquiète, livrée aux derniers périls et en proie aux ardeurs qui la dévorent. Par exemple, vous voyez un ami en proie à l'amour de l'argent?

Ayez pitié de cet homme. Sa passion le suffoque? Eteignez ce feu. Mais quoi, il n'est pas persuadé? Faites tout ce que vous pouvez, et ne négligez rien. Vous le voyez enlacé par mille liens ? (Car les richesses sont de véritables chaînes.) Allez vers lui, visitez-le, exhortez-le, efforcez-vous de briser ses chaînes. S'il ne le veut pas, la faute en sera toute à lui. Voyez-vous un homme nu et sans asile? (Car au regard du ciel celui-là est nu et sans asile qui ne s'occupe pas de marcher dans la voie droite.) Conduisez-le dans votre demeure, revêtez-le du vêtement de la vérité, donnez-lui droit de cité au ciel. Que ferais-je donc, si moi aussi je suis nu, dit-on? Revêtez-vous tout d'abord vous-même; si vous voyez que vous êtes nu, vous voyez clairement que vous avez besoin de vous vêtir. Si vous savez la raison de cette nudité, vous saurez facilement comment la couvrir. Combien de femmes portent des vêtements de soie, qui sont tout à fait dépouillées des vêtements de la vertu ? Que leurs époux les en revêtent. Mais ces vêtements ne leur conviennent pas, elles veulent les autres? Faites d'abord ainsi que j'ai dit. Poussez-les au désir de ces vêtements, montrez-leur qu'elles sont nues, dissertez avec elles sur le jugement à venir ! Dites : Nous aurons besoin là-bas de ces vêtements et non des autres.

Si vous voulez me le permettre, je vous montrerai cette nudité. L'homme nu, en hiver, devient raide et tremblant, il se tient debout tout contracté, il serre ses bras contre son corps; en été, il n'en est plus ainsi. Si donc je montre que les hommes et les femmes riches sont d'autant plus nus de cette façon, qu'ils sont plus revêtus, ne vous en irritez pas. Que sera-ce donc, dites-moi, lorsque nous parlerons de la géhenne et de ses tourments : est-ce que ceux-ci ne deviendront pas et plus raides et plus tremblants que ces hommes nus? Est-ce qu'ils ne gémiront pas cruellement et ne se condamneront pas eux-mêmes? Mais quoi, lorsqu'ils vont au devant de quelqu'un et lui disent : Priez pour moi, ne disent-ils pas la même chose que ceux-là? Mais, malgré tout ce que nous avons dit, cette nudité n'est pas évidente encore, là-bas elle le sera. Comment et de quelle manière ? Lorsque tous apparaîtront, dépouillés de leurs vêtements de soie et de leurs pierres précieuses, et, revêtus des seuls vêtements de leur vertu et de leur (125) malice; lorsque les pauvres seront environnés d'une gloire immense; alors les riches nus et couverts de honte seront livrés aux supplices. Quoi de plus beau que ce riche revêtu de pourpre? Quoi de plus misérable que Lazare? Lequel suppliait à la façon des mendiants ? Lequel était dans l'abondance? Dites-moi, si quelqu'un couvre sa demeure de tapisseries, et reste nu à l'intérieur, quel bien en tirera-t-il? Il en est ainsi pour les femmes. Elles couvrent de nombreux ornements la demeure de leur âme, je veux dire leurs corps, et au dedans la maîtresse de la demeure reste nue. Prêtez-moi les yeux de l'âme, et je vous montrerai la nudité de l'âme. Quel est donc le vêtement de l'âme? La vertu, c'est évident. Quelle est sa nudité? Le vice. De même que si on dépouille un homme libre, celui-ci rougit, se resserre et s'enfuit; ainsi de l'âme, si nous voulons la contempler, privée de ce vêtement de la vertu, elle rougit. Combien, pensez-vous, rougissent maintenant, et descendent dans le fond de leur coeur, comme pour aller chercher quelque vêtement, afin de ne pas entendre ces paroles? Celles à qui la conscience ne reproche aucun vice, sont heureuses, se réjouissent, sont dans les délices et sont glorieuses de ces paroles. Ecoutez quelques mots sur la bienheureuse Thècle. Pour voir Paul,elle donna ses joyaux.Tous pour voir le Christ, vous n'avez pas donné une obole ; vous admirez ce que Thécle a fait, et vous ne l'imitez pas. N'entendez-vous pas comment le Verbe béatifie les miséricordieux : « Bienheureux les miséricordieux », dit-il, « car il leur sera fait miséricorde ». Quel gain retirerez-vous des vêtements précieux? Jusques à quand serons-nous dans l'admiration de ces vêtements? Revêtons-nous de la gloire du Christ, enveloppons-nous de sa beauté, pour mériter la louange ici-bas, et posséder là-haut les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 26 EN CE TEMPS-LA LE ROI HÉRODE ENTREPRIT DE TOURMENTER QUELQUES-UNS DES MEMBRES DE L'ÉGLISE. (CHAP. 12,1, 2, 3, JUSQU'AU VERS. 17.)

— IL FIT PÉRIR PAR LE GLAIVE JACQUES, FRÈRE DE JEAN. — VOYANT QUE CELA PLAISAIT AUX JUIFS, IL RÉSOLUT DE S'EMPARER DE PIERRE. C'ÉTAIT ALORS LE JOUR DES AZYMES.

2600 Ac 12,1-17

ANALYSE.

1-3. Pierre est mis en prison par Hérode et délivré par un ange.
3 et 4. Que l'affliction est un grand bien. — Bonheur de ceux qui veillent. — Le spectacle de la nuit élève l'âme vers le Créateur. — La nuit est le meilleur temps pour la prière et pour la pénitence.

2601 1. Quel temps désigne « ce temps-là ? » Celui qui suivit immédiatement. Dans le texte, il en est ainsi ; ailleurs, cette parole s'interprète d'une autre manière. Ainsi lorsque Matthieu dit : « En ces jours Jean vint prêchant », il ne désigne pas les jours suivants, mais ceux auxquels se passaient les choses qu'il raconte. L'Ecriture se sert de cette forme, lorsqu'elle raconte les faits qui ont suivi, et aussi lorsqu'elle relate des faits arrivés après un certain (126) laps de temps, s'exprimant comme si elle rapportait la suite immédiate. Elle dit bien: « Le roi Hérode »; mais cet Hérode n'est pas celui du temps du Christ. Voici une autre preuve. Voyez, ce que je disais au commencement, comme les choses s'enchaînent, comme elles sont mélangées de tranquillité et de persécution ; ce ne sont plus les Juifs, ni le conseil, c'est le roi qui met la main à l'oeuvre du mal. Le pouvoir est plus grand, la guerre est d'autant plus terrible, qu'elle est entreprise en vue de plaire aux Juifs. « Il fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean », sans raison et comme par hasard. Si quelqu'un demande pourquoi Dieu l'a permis? Nous répondrons que c'est pour leur bien propre que Dieu permet la mort des martyrs: d'abord, pour démontrer que, même lorsqu'on les met à mort, ils triomphent, comme il en arriva pour Etienne. En second lieu, pour donner aux Juifs, lorsqu'ils auront satisfait leur fureur, l'occasion de se repentir de leur folie; enfin, en troisième lieu, pour montrer que rien n'arrive que par sa permission. « Voyant que cela plaisait aux Juifs, il résolut de s'emparer aussi de Pierre ». O immense perversité ! En quoi leur était-il agréable en commettant un meurtre gratuit et téméraire? « C'était le jour des azymes ». Nouvel et frappant exemple de scrupule judaïque. Pour eux, tuer un innocent n'est rien, l'important, c'est de ne pas le tuer le jour des azymes. « Et lorsqu’il se fut et emparé de lui, et l'eut mis en prison, il le confia à la garde de quatre sections de quatre soldats (Ac 12,4) ». C'était le fait de la colère et de la crainte. « Il fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean », dit le texte. Voyez-vous le courage des apôtres ? De peur qu'on ne puisse dire que les apôtres affrontent la mort sans danger et sans crainte, parce que Dieu les délivre. Le Seigneur permet qu'on les mette à mort, eux et surtout leurs chefs, pour montrer aux homicides que cela ne peut les faire reculer ni les arrêter. « Pierre était gardé dans la prison : mais l'Eglise adressait sans cesse pour lui ses prières à Dieu (Ac 12,5) ». C'était dans son chef et dans son principal organe que l'Eglise était attaquée. Cet emprisonnement de Pierre, survenant après la mort de Jacques, remplissait les fidèles de terreur.

« Mais lorsque Hérode devait le produire devant le peuple, pendant cette nuit Pierre dormait entre deux soldats, lié par une double chaîne; les gardes gardaient la porte de la prison. Et voilà que l'ange du Seigneur lui apparut, et la lumière brilla dans le cachot. Et touchant le côté de Pierre, il le réveilla, et lui dit : Levez-vous promptement, et les chaînes tombèrent de ses mains (Ac 12,6-7) ». Voyez, cette nuit même, Dieu le délivra. « Et la lumière brilla dans le cachot », afin qu'il ne crût pas à un songe; et personne ne vit la lumière excepté lui. Quoique ce fait fût certain, il était si imprévu que Pierre se croyait le jouet d'une illusion. Mais si le fait se fût passé autrement, l'apôtre eût douté bien davantage. Dieu l'avait laissé plusieurs jours en prison avant de le délivrer, pour qu'il s'apprît à regarder la mort en face. Pourquoi donc, dit-on, Dieu ne permit-il pas qu'il tombât entre les mains d'Hérode, et l’arracha-t-il alors à sa puissance? Parce que la mort de Pierre eût plongé l'Eglise dans la stupeur, au lieu que la mort de Jacques eut un bon résultat. On n'eût pas cru que les apôtres fussent des hommes, si tout s'était passé d'une façon divine. Que n'a pas fait Dieu pour Etienne? Ne fit-il pas ressembler son visage à celui d'un ange? Et qu'a-t-il négligé dans le cas présent? « L'ange lui dit : Ceignez vos reins, et mettez vos sandales à vos pieds ». Dieu montre ici qu'il ne s'agit pas d'une évasion opérée par ruse; le prisonnier qui s'évade en perçant les murs est trop pressé pour prendre tant de précautions, comme de mettre ses sandales et se ceindre les reins. « Il fit ainsi. Et l'ange lui dit : Revêtez-vous de vos habits, et suivez-moi. Et étant sorti, il le suivait; et il ne savait pas si ce que faisait l'ange était la vérité; il croyait avoir eu un songe. Lorsqu'ils eurent passé la première et la seconde garde, ils arrivèrent à la porte de fer qui conduit à la ville, et elle s'ouvrit d'elle-même devant eux (Ac 12,8-10) ». Voici un second prodige. Aussitôt que l'ange eut disparu, Pierre comprit. « Lorsqu'ils furent sortis, ils allèrent jusqu'à la première rue, et aussitôt l'ange s'éloigna de lui. Et Pierre, revenu à lui-même, dit : Je sais maintenant que le Seigneur a véritablement envoyé son ange, et il m'arrache des mains d'Hérode et de l'attente du peuple juif (Ac 12,11) ». — « Je sais maintenant », dit-il, non alors. Pourquoi cet événement se passe-t-il ainsi ? Pourquoi Pierre n'a-t-il pas le sentiment de ce qui se passe, bien qu'il reçût une délivrance qui (127) était aussi celle de toute l'Eglise? Dieu veut qu'il soit délivré soudainement, et qu'après sa délivrance, il ait le sentiment de ce qui est arrivé. Une grande preuve qu'il ne s'enfuit pas, c'est que les chaînes lui sont tombées des mains. « Ayant considéré, il se rendit à la maison de Marie, mère de Jean, surnommé Marc, où étaient réunis et priaient beaucoup de disciples. Pierre ayant frappé à la porte du vestibule, une servante, nommée Rhodé, vint pour écouter. Et ayant reconnu la voix de Pierre, à cause de sa joie elle n'ouvrit pas la porte (Ac 12,12-14) ». Remarquez que Pierre n'entre pas aussitôt, mais qu'auparavant la bonne nouvelle est annoncée aux siens. « Etant accourue, elle annonça que Pierre était à la porte. Ils lui dirent : Tu es folle. Mais elle soutenait qu'il en était ainsi ».

2602 2. Remarquez que les servantes mêmes sont remplies de piété. De joie, elle n'ouvrit pas la porte; ils refusaient de croire à cet événement. « Elle soutenait qu'il en était ainsi », disent les Actes. « Mais ils disaient : C'est son ange. Et Pierre continuait à frapper. Ayant ouvert, ils le virent, et furent hors d'eux-mêmes. Leur faisant signe de sa main de se taire, il leur raconta comment le Seigneur l'avait fait sortir de la prison. Et il dit : Annoncez-le à Jacques et aux frères. Et s'étant levé, il alla dans un autre endroit (Ac 12,16-17) ». Reprenons de plus haut la suite de ce qui a été rapporté. « En ce temps-là », dit l'auteur, « le roi Hérode entreprit de tourmenter quelques-uns des membres de l'Eglise ». Comme une bête féroce, il envahit l'Eglise sans cause et par caprice. C'est là ce que disait le Christ : « Vous boirez le calice que je vais boire, et vous serez baptisé du baptême dont j'ai été baptisé ». (Mc 10,39) « Il fit donc périr par le glaive Jacques, frère de Jean », dit le texte. Mais comment, dit-on, ne fit-il pas périr Pierre aussitôt? L'écrivain en donne la raison : « C'étaient les jours des azymes », dit-il, et il voulait que cette mort fût entourée du plus grand éclat possible. Les Juifs, sur l'avis de Gamaliel, s'abstenaient de tuer les disciples; d'ailleurs ils n'avaient pas de motifs, mais ils les faisaient tuer par d'autres mains. Comme il y avait un autre Jacques, le frère du Seigneur, on désigne celui-ci en disant : « Frère de Jean ». Remarquez-vous que les trois apôtres étaient les chefs suprêmes de l'Eglise, surtout Pierre et Jacques? C'était là surtout la condamnation des Juifs. Il devenait évident que ce n'était pas une parole humaine qui était prêchée, et l'on voyait véritablement l'accomplissement de cet oracle: « Nous avons été considérés comme des brebis d'immolation. Voyant donc que cela plaisait aux Juifs, il résolut de s'emparer aussi de Pierre ». Le meurtre, et le meurtre injuste, plaisait. La folie d'Hérode est grande; il était aux ordres des absurdes passions des Juifs; quand il eût fallu faire tout le contraire, et arrêter leur fureur, il l'excitait comme s'il eût été le bourreau des malades et non leur médecin; et cependant il avait mille exemples, et de son aïeul et de son père Hérode : il savait de combien de maux avait souffert le premier à cause du massacre des enfants; et que le second, par l'assassinat de Jean, avait soulevé une guerre terrible. « S'étant emparé de lui, il le mit en prison ». Il craignait que Pierre, à cause de la mort de Jacques, ne s'éloignât, et voulant s'assurer de lui, il le jeta en prison. Plus la garde est rigoureuse, plus le spectacle offert est prodigieux. Tout cela fut bon pour Pierre, il sortit de là plus éprouvé, et montra sa force propre.

« La prière », disent les Actes, « se faisait sans interruption en faveur de Pierre ». La prière est une marque de tendresse. Tous redemandaient leur père, leur père bien-aimé. « Elle était sans interruption la prière faite pour lui ». Apprenez quels étaient les sentiments des fidèles pour leurs maîtres. Ils ne recourent pas à l'émeute et aux troubles, mais à la prière qui est le secours invincible. Ils ne disaient pas : Hommes de néant que nous sommes, comment prierions-nous pour lui. Ils priaient par amour, et ils ne pensaient rien de semblable. Voulez-vous apprendre ce que firent les persécuteurs même sans le vouloir? Ils rendirent les uns plus fermes contre les épreuves, et les autres plus zélés. Si l'on veut les mettre à mort, on choisit un jour de fête comme pour mieux faire éclater leur gloire. « Mais lorsque Hérode devait le produire devant le peuple », disent les Actes, « Pierre cette nuit même dormait ». Voyez Pierre, il dort, il n'est en proie ni à l'inquiétude, ni à la crainte. Cette nuit, dans laquelle il doit être produit devant le peuple, il dormait, il avait tout remis entre les mains de Dieu. Ce n'est pas tout: « Il était couché entre (128) deux soldats, lié par deux chaînes ». Voyez combien la garde est rigoureuse? « Et voilà que l'ange du Seigneur lui apparut, et lui dit : Levez-vous promptement ». Les gardiens dormaient tous, et ils ne s'aperçurent pas de ce qui se passait. La lumière brilla afin que Pierre pût voir, et entendre, et qu'il ne s'imaginât point que ce fût un songe. Et pour qu'il ne tarde pas, on lui touche le côté. On ne lui dit pas seulement : « Levez-vous », mais on ajoute : « promptement », tant il dormait profondément. « Il lui semblait qu'il avait une vision », disent les Actes. « Il passa donc la première et la seconde garde ». Où sont maintenant les hérétiques? Qu'ils nous disent comment il passa : mais ils ne le pourraient pas. Et cependant, c'est pour lui persuader que ce n'est pas un songe que l'ange lui ordonne de se ceindre et de se chausser; c'est aussi pour secouer son sommeil, et lui montrer que la chose est vraie. C'est pour cela aussi que soudain ses chaînes lui tombent des mains, et il entend qu'on lui dit: « Levez-vous promptement ». Cette parole n'était pas dite pour le troubler, mais pour lui persuader de ne pas tarder. «Et il ne savait pas », dit le livre, « si ce que faisait l'ange était vrai; il lui semblait qu'il avait une vision ». Et c'était avec raison, tant le prodige était grand !

2603 3. Ne voyez-vous pas combien est grand ce miracle? combien il frappe celui qui le voit? combien il semble incroyable? Si Pierre continuait à croire que c'était un songe, même après qu'il se fût ceint et chaussé, que n'eût pas fait un autre que lui ? « Ayant donc traversé la première et la seconde garde, ils arrivèrent à la porte de fer. Et lorsqu'ils furent sortis, ils allèrent jusqu'à la première rue, et aussitôt l'ange s'éloigna de lui ». Ce qui s'est passé dans l'intérieur de la prison est plus merveilleux, ce qui suit est plus naturel. Lorsqu'il n'y eut plus d'obstacle, l'ange s'en alla. Pierre n'aurait pu passer au milieu de tant de difficultés ; car, véritablement, il était dans la stupeur. « Maintenant je sais », dit-il, « que le Seigneur a vraiment envoyé son ange, et il m'a arraché des mains d'Hérode, et à l'attente du peuple juif ».

« Maintenant » (non pas alors que j'étais dans la prison). « Ayant considéré, il alla à la maison de Marie, mère de Jean ». Que veut dire « ayant considéré ? » Ayant réfléchi à l'endroit où il était. Voilà ce qu'il a considéré: ou bien qu'il ne devait pas aller n'importe où, mais rendre grâces à son bienfaiteur. Ayant donc considéré, il alla à la maison de Marie. Quel est ce Jean? Peut-être celui qui était toujours avec les apôtres, et c'est pour cela que l'auteur a donné aussi son surnom.

Considérez combien l'affliction est utile ; combien les fidèles ont gagné en priant la nuit; et combien aussi la prière les a rendus vigilants. N'avez-vous pas vu le bien qu'a procuré la mort d'Etienne ? N'avez-vous pas vu de quelle utilité a été cet emprisonnement de Pierre? Dieu, en ne punissant pas ceux qui persécutent les apôtres, montre la grandeur de l'Evangile; et même en permettant que les méchants vivent exempts des maux qu'ils font souffrir aux bons, il montre que les tribulations en soi sont quelque chose d'excellent, et que nous ne devons chercher ni à les fuir ni à en tirer vengeance. Remarquez aussi dans quelle considération étaient les servantes chez les premiers chrétiens. « A cause de sa joie, elle n'ouvrit pas », dit l'auteur. Cet incident fut heureusement ménagé, de peur que les disciples, voyant soudainement l'apôtre, ne demeurassent stupéfaits et incrédules ; et aussi pour que leur intelligence fût préparée. Et ce que nous avons accoutumé de faire, la servante le fit aussi ; car elle s'empressait d'aller porter la bonne nouvelle ; en effet, c'était une bonne nouvelle. « Ils lui dirent : Tu es folle. Mais elle soutenait qu'il en était ainsi. Ils lui dirent : C'est son ange ». Il est donc prouvé par là que chacun de nous a un ange. Mais d'où leur vient cette pensée que c'était un ange? Ils supposaient cela à cause de la circonstance. « Mais comme il continuait à frapper, ils ouvrirent, le virent, et furent stupéfaits. Pierre ayant fait signe de la main », imposa silence pour se faire entendre. Les disciples désiraient, plus que toute autre chose, non-seulement que Pierre fût sauvé, mais encore qu'il fût présent au milieu d'eux. Les fidèles apprirent de la bouche de Pierre tout ce qui s'était passé ; leurs persécuteurs l'apprirent aussi, s'ils avaient voulu croire, mais ils ne voulurent pas. La même chose arriva aussi pour le Christ.

« Annoncez ces choses à Jacques et aux frères ». Remarquez qu'il ne recherche pas la vaine gloire, car il ne dit pas: Annoncez ces choses partout à tout le monde ; mais « aux frères ». « Et il s'en alla dans un autre lieu ».

129

Il ne tentait pas Dieu, et ne se précipitait pas lui-même dans la persécution. Les apôtres ne firent ainsi que lorsqu'ils en eurent reçu l'ordre, par exemple lorsque l'ange leur eût dit : « Entrez dans le temple et parlez au peuple ». (
Ac 5,20) Les apôtres entendirent ces paroles, et aussitôt ils obéirent. Mais ici l'ange ne dit rien de semblable à Pierre, il lui donna seulement la permission de s'éloigner après l'avoir fait sortir en silence et enlevé pendant la nuit. Et les choses se passent ainsi pour nous apprendre qu'en maintes occasions les apôtres, pour éviter de tomber en péril, se sont conduits suivant les lumières de la prudence humaine. Afin que les disciples, après son départ, ne disent pas que c'était son ange, ils le disent tout d'abord, et ils le voient ensuite lui-même, et il leur enlève cette opinion. Si c'eût été un ange, il n'eût pas frappé à la porte, il ne se fût pas retiré dans un autre lieu. Le fait paraît même plus croyable que s'il se fût passé en plein jour. Eux qui étaient libres demeuraient en prière, lui qui était dans les chaînes dormait; s'il eût pensé que ce qui se faisait fût la vérité, il en eût été effrayé et n'en aurait pas gardé le souvenir; mais, croyant à un songe, il ne se troubla pas. « Ils arrivèrent près de la porte de fer ». Vous voyez si elle était solide. « Ayant traversé la première et la seconde garde, ils arrivèrent à la porte de fer ». Et pourquoi, direz-vous, les apôtres ne font-ils pas ces prodiges par eux-mêmes ? Pourquoi ? Parce qu'en les délivrant par le moyen de ses anges, Dieu les honore. Quoi donc, Paul ne fût-il pas délivré sans l'intervention d'un ange? Oui, mais il y avait une raison à cela; il s'agissait alors de convertir le geôlier, et, dans le cas présent, il s'agissait seulement de délivrer l'apôtre; d'ailleurs, Dieu accomplit ses oeuvres de diverses manières. Là, Paul chantait des hymnes; ici, Pierre dormait. Ne cachons donc pas les merveilles de Dieu, mais efforçons-nous de les célébrer pour notre propre utilité, et aussi pour l'édification des autres. De même que celui qui préféra être dans les chaînes est admirable, plus admirable encore est celui qui ne s'éloigna pas avant d'avoir annoncé tout à ses frères. « Et il dit : Annoncez cela à Jacques et aux frères ». Pourquoi cette recommandation? Afin qu'ils se réjouissent et ne soient pas dans l'inquiétude; et aussi pour que les apôtres apprennent la nouvelle par les disciples, et non ceux-ci par les apôtres. Ainsi il s'occupait des plus humbles. Rien n'est donc préférable à une légère affliction. Dans quel état pensez-vous que fût alors leur âme? De combien de joie ne fût-elle pas remplie?

Où sont maintenant les femmes qui dorment toute la nuit? Où sont les hommes qui ne se retournent pas même sur leur lit? Voyez-vous une âme vigilante? Rendus plus purs que le ciel par la persécution, les disciples chantaient des hymnes au Seigneur avec les femmes, les serviteurs et les servantes. Maintenant, lorsque nous voyons un petit danger, nous nous laissons abattre. Rien de plus splendide, que cette église. Soyons les imitateurs et les émules de ces chrétiens. La nuit n'a pas été faite pour que nous dormions et soyons oisifs pendant toute sa durée : témoin les artisans, les âniers, les marchands, et l'Eglise de Dieu qui se lève pendant la nuit. Levez-vous donc, vous aussi, et contemplez le choeur des astres, le silence profond, et le calme immense de la nuit; admirez avec transport la sagesse du Maître de la nature. Alors l'âme est plus pure : elle est surtout plus légère, plus subtile. Les ténèbres elles-mêmes, le profond silence sont propres à produire la componction. Si vous contemplez le ciel comme semé d'yeux innombrables par les astres, vous goûterez une joie infinie en pensant d'abord au Créateur. Si vous pensez que ceux qui crient tout le jour, rient, dansent, sautent, commettent l'injustice, menacent, s'adonnent à l'avarice et à tous les vices; si vous pensez, dis-je, que tous ces hommes ne diffèrent plus en ce moment des morts, vous prendrez en pitié cette vie mondaine à la fois si vaine et si fastueuse. Le sommeil vient, il triomphe de la nature; il est l'image de la mort, il est l'image de la consommation de toutes choses. Vous regardez dans la rue, vous n'entendez aucune voix; si vous arrêtez vos regards sur votre demeure, vous voyez tout le monde, comme étendu dans un sépulcre. Toutes ces choses sont propres à fortifier l'âme, et à la faire penser à la consommation universelle.

2604 4. Voici ce que j'ai à dire aux hommes et aux femmes. Fléchissez les genoux, gémissez, priez le Seigneur de vous être propice. Il se laisse mieux fléchir par ces prières nocturnes, lorsque vous faites du temps du repos le temps des larmes. Rappelez-vous la parole d'un roi (130) : « Je me suis fatigué dans les gémissements, je laverai chaque nuit mon lit, j'arroserai chaque nuit ma couche de mes larmes ». Quelque opulent que vous soyez, vous ne l'êtes pas plus que ce roi; quelque riche que vous soyez, vous ne l'êtes pas plus que David. Et il dit de nouveau : « Au milieu de la nuit je me levais pour vous louer à cause des jugements de votre justice ». (Ps 6,7 Ps 118,42) Alors la vaine gloire ne vous agite plus; comment cela se pourrait-il, lorsque tous dorment et personne ne vous voit? Alors, ni la nonchalance, ni la lâcheté ne s'emparent de vous; comment le pourraient-elles, l'âme étant occupée à de telles choses? Après de telles veilles, le sommeil est doux, et les révélations admirables. Faites cela aussi, ô vous homme, et non la femme seulement. Que votre maison soit une église composée d'hommes et de femmes. Quand il n'y aurait qu'un homme et qu'une femme, ce ne serait pas un empêchement. « Là où deux sont réunis en mon nom », dit le Christ, « je suis au milieu d'eux ». (Mt 18,20) Là où le Christ est au milieu, là est une grande multitude. Là où est le Christ, là sont nécessairement aussi les anges, les archanges et toutes les puissances. Vous n'êtes donc pas seul, puisque le Seigneur de tous est avec vous. Entendez encore le prophète disant : « Un seul qui fait la volonté du Seigneur vaut mieux que mille prévaricateurs ». (Qo 16,3) Rien de plus faible que de nombreux pécheurs; rien de plus fort qu'un seul homme vivant suivant la loi de Dieu. Si vous avez des enfants, réveillez aussi vos enfants, et que la maison devienne tout à fait une église pendant la nuit. S'ils sont petits, et qu'ils ne puissent supporter la veille, qu'ils se reposent après la première ou la seconde prière. Seulement, levez-vous, et faites-vous en une habitude. Rien de meilleur que le trésor où se déposent ces prières. Ecoutez les paroles du prophète : « Si je me souvenais de vous sur ma couche, le matin je méditais sur vous ». (Ps 62,7) Mais vous direz : J'ai passé le jour à travailler, je me suis fatigué, et je ne puis me lever. Ce sont là des prétextes et des excuses. Si fatigué que vous soyez, vous ne l'êtes pas autant que le forgeron qui lève et laisse retomber son pesant marteau sur un fer embrasé, le corps toujours exposé à la fumée. Et cependant, il passe dans ce travail la plus grande partie de la nuit. Les femmes elles-mêmes savent comment, quand on a quelquefois le désir d'aller à la campagne, ou à une fête nocturne, on y veille pendant la nuit entière. Ayez donc un atelier spirituel, non pour y fabriquer des marmites et des bassins, mais pour y édifier votre âme qui est bien meilleure qu'un forgeron ou un orfèvre. Cette âme vieillie par le péché, jetez-la dans le creuset de la confession, faites tomber le marteau sur elle d'une grande hauteur; c'est-à-dire, les paroles de blâme; allumez le feu de l'Esprit-Saint. Vous avez un art bien supérieur à exercer. En effet, vous ne façonnez pas de vases d'or; mais, comme le forgeron fabrique un ustensile, vous formez votre âme qui est plus précieuse que l'or. Vous ne façonnez pas un vase matériel, mais vous débarrassez votre âme de toutes les chimères de ce monde. Ayez avec vous une lumière, non celle qui brûle, mais celle dont le prophète a dit: « Votre loi est une lumière pour mes pieds (Ps 118,105) ». Enflammez votre âme par la prière, et si vous voyez qu'elle est assez enflammée, enlevez-la du feu, et façonnez-la pour le mieux.

Croyez-moi, le feu ne saurait si bien enlever la rouille du fer, que la prière nocturne, la rouille de nos péchés. Imitons au moins les gardes de nuit. Ces hommes, en vertu de la loi humaine, font leurs tournées au milieu du froid, poussant de grands cris; parcourant les rues, souvent mouillés et transis, pour vous, pour votre conservation, et la garde de vos richesses. Cet homme exerce une si grande vigilance sur votre fortune ; mais vous, vous n'avez nul souci de votre âme. Je ne vous astreins pas à courir dehors comme cet homme de garde, ni à pousser de grands cris, ni à vous épuiser de fatigue; mais dans votre chambre à coucher, ou dans la partie retirée de votre demeure, fléchissez le genou devant le Seigneur, et suppliez-le. Pourquoi le Christ a-t-il veillé pendant la nuit? N'est-ce pas pour nous donner l'exemple? Les plantes respirent à cette heure, je veux dire la nuit; l'âme alors reçoit plus qu'elles de rosée. Celles que le soleil a brûlées pendant le jour, se ravivent pendant la nuit. Mieux encore que la rosée, les larmes de la nuit sont versées sur la concupiscence, sur toute sorte d'ardeur et de feu, et elles empêcheront que l'âme ne souffre rien de grave. Si l'âme ne jouit de cette rosée, elle sera consumée pendant le jour. Qu'aucun de vous ne devienne la proie de ce feu; mais, rafraîchis (131) par la clémence divine, et recueillant les fruits de sa bonté, puissions-nous tous ainsi être délivrés du fardeau de nos fautes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et à l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tons les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Actes 2404