Chrysostome sur Actes 3203

HOMÉLIE 33 APRÈS QU'ILS SE FURENT TU, JACQUES PRIT LA PAROLE ET DIT : « FRÈRES, ÉCOUTEZ-MOI. (CHAP. 15, VERS. 13, 14, 15, JUSQU'AU VERS. 34.)

— SIMÉON VOUS A RACONTÉ COMMENT DIEU A SONGÉ D'ABORD A PRENDRE CHEZ LES GENTILS UN PEUPLE CONSACRÉ A SON NOM : — ET IL EST D'ACCORD AVEC LES PAROLES DES PROPHÈTES ».

3300 Ac 15,13-34

ANALYSE. 1 et 2. Discours de saint Jacques au concile de Jérusalem, et lettre du concile aux chrétiens d'Antioche.
3 et 4. Il ne se fait aucun bien ici-bas qu'il ne soit mélangé de quelque mal. — Qu'il est facile même pour un païen de distinguer l'Eglise véritable des sectes hérétiques.

3301 1. Jacques était évêque de l'église de Jérusalem; aussi parle-t-il le dernier, et ainsi se trouve accompli ce passage de l'Ecriture : « Toute parole sera établie par la bouche de deux ou trois témoins ». (Dt 17,6) Remarquez avec quelle sagesse il fonde son avis sur les nouveaux et les anciens prophètes; en effet, il ne pouvait pas citer ses oeuvres personnelles, comme Pierre et comme Paul.

Aussi, la Providence avait-elle tout bien disposé pour que les travaux dont il s'agissait fussent l'ouvrage des apôtres qui ne devaient pas résider à Jérusalem, et que Jacques, qui enseignait dans cette ville, n'y eût pas de part, mais ne fût pas d'un avis opposé. Que dit-il? « Frères, écoutez-moi : Siméon vous a raconté... » Quelques personnes pensent que ce Siméon est celui dont saint Luc a parlé ; (162) d'autres croient que c'est un homonyme (1). Que ce soit l'un ou l'autre, il est inutile de le rechercher, il faut seulement recueillir ces paroles « Frères », dit Jacques... ; voilà un homme plein de bienveillance et une harangue plus parfaite encore, puisqu'elle termine le débat. « Comment Dieu a songé d'abord à prendre chez les gentils un peuple consacré à son nom : et il est d'accord avec les paroles des prophètes ». Comme il était connu depuis peu de temps et qu'il n'inspirait pas autant de confiance que les anciens, il cite une ancienne prophétie, disant : « Ainsi qu'il est écrit : « Je reviendrai ensuite édifier de nouveau la a maison de David qui est tombée, je réparerai ses ruines et la relèverai (Ac 15,16); afin que le reste des hommes, et tous les gentils qui seront appelés de mon nom cherchent le Seigneur (Ac 15,17). C'est ce que dit le Seigneur qui « fait tout cela ». (Am 9,11) Quoi donc? Jérusalem a-t-elle été relevée ? N'a-t-elle pas plutôt été détruite ? Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Quelle est donc la restauration dont il parle? La même que celle qui suivit la ruine de Babylone. « Dieu connaît ses oeuvres de toute éternité (Ac 15,18) ». Tout cela est digne de foi, car il n'avance rien de nouveau, mais tout a été prévu dès le commencement.

1 La Vulgate dit Simon, c'est-à-dire Pierre. Alors Jacques parle du discours qu'il vient d'entendre, ce qui parait plus naturel.

Enfin, il donne son avis : « C'est pourquoi je juge qu'il ne faut point inquiéter les gentils qui se convertissent à Dieu (Ac 15,19), mais qu'on leur doit seulement écrire qu'ils s'abstiennent des souillures des idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang (Ac 15,20). Car, quant à Moïse, il y a eu de tout temps, dans chaque ville, des hommes qui le prêchent dans les synagogues, où on le lit chaque jour de sabbat (Ac 15,21) ». Comme les gentils ne connaissaient pas l'ancienne loi, il leur en impose avec raison quelques prescriptions, pour ne pas paraître l'abroger. Voyez, du. reste, qu'il ne les impose pas comme faisant partie de la loi, mais comme venant de lui-même, puisqu'il dit : « Je juge »; c'est-à-dire, je le pense de moi-même et non pour l'avoir lu dans la loi. Ensuite on prononce la décision générale. « Alors il fut résolu, par les apôtres et les prêtres avec toute l'Eglise, de choisir quelques-uns d'entre eux, pour envoyer à Antioche, avec Paul et Barnabé. Ils choisirent Jude, surnommé Barsabas, et Silas qui étaient les principaux d'entre les frères (Ac 15,22), et ils écrivirent par leur main ce qui suit... « (Ac 15,23). Vous voyez qu'ils ne se contentent pas d'établir ces règles, mais pour qu'elles soient reçues avec plus de confiance, ils envoient quelques-uns d'entre eux, afin que Paul et ses amis ne soient pas suspects. Voyez aussi quelle sévérité dans les termes de cette lettre : « Les apôtres, les prêtres et les frères, à nos frères d'entre les gentils, qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut. Comme nous avons su que quelques-uns qui venaient d'avec nous vous ont troublés par leurs discours et ont renversé vos âmes (en vous disant de circoncire vos enfants et d'observer la loi de Moïse (1), sans que nous leur en eussions donné l'ordre (Ac 15,24) ». Cela suffisait pour condamner cette témérité, mais la bonté des apôtres les empêche d'insister. « Après nous être rassemblés dans un même esprit, nous avons jugé à propos de vous envoyer des personnes choisies, avec nos chers frères Barnabé et Paul (Ac 15,25), qui ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Ac 15,26) ».

1 Le passage entre parenthèses est dans le texte grec du Nouveau Testament, et non dans la Vulgate.

On voit par là que ce n'était pas un ordre tyrannique, qu'ils étaient tous d'accord et qu'ils n'avaient écrit qu'après avoir bien réfléchi. Nous avons choisi, disent-ils, des messagers parmi nous. Ensuite, afin qu'on ne pût croire qu'ils fussent envoyés pour nuire à Paul et à Barnabé, voyez l'éloge de ces apôtres ! « Ils ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous vous avons donc envoyé Jude et Silas, qui vous annonceront la même chose de vive voix (Ac 15,27). Car il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous... (Ac 15,28) » (tout cela n'a donc rien d'humain, puisque c'est le Saint-Esprit qui le décide) «de ne point vous imposer d'autres charges » : ainsi ils avouent de nouveau que la loi est une charge pesante; du reste, ils s'expliquent à ce sujet : « D'autres charges que celles-ci qui sont nécessaires : de vous abstenir de ce qui aura été sacrifié aux idoles, du sang, des chairs étouffées et de la fornication, dont vous ferez bien de vous garder (Ac 15,29) ». Certaines de ces prescriptions ne sont point dans la nouvelle loi, car le Christ n'en a point parlé; mais ils empruntaient cela à l'ancienne loi. En parlant - 163 - de « chairs étouffées», ils défendent le meurtre. « Ayant donc été envoyés, ils vinrent à Antioche, où ils assemblèrent les fidèles et leur remirent la lettre (Ac 15,30). Ceux-ci, l'ayant lue, eurent beaucoup de joie et de consolation (Ac 15,31) ». Pour mieux faire voir en quoi consistait cette consolation, il est encore écrit : « Jude et Silas étant eux-mêmes prophètes, consolèrent et fortifièrent les frères par plusieurs discours (Ac 15,32) : et après être restés là quelque temps, ils quittèrent les fidèles et retournèrent en paix auprès des apôtres» (Ac 15,33) ».

3302 2. Plus de discussions ni de luttes; aussi, après les avoir fortifiés, ils partent en paix; ils étaient venus pour critiquer Paul, et la doctrine de Paul s'établit. Ainsi, l'Eglise ne connaissait pas la vanité, mais tout y respirait la modération. Voyez, en effet; Paul parle après Pierre, et personne ne lui impose silence. Jacques attend, et ne se hâte point de parler ; cependant il présidait l'assemblée. Jean et les autres apôtres n'élèvent pas la voix ; ils se taisent et ne s'emportent pas, tant leur âme était exempte de vanité!

Mais revenons sur ce qui précède. Après qu'ils se furent tu, Jacques prit la parole et dit: « Siméon a raconté comment Dieu conçut d'abord ce dessein ». Pierre avait parlé avec plus de véhémence, mais Jacques s'exprime plus posément. C'est ce que l'on doit faire dans une haute position; il faut laisser dire par d'autres ce qui peut être pénible à entendre et parler avec plus de douceur. Il a raison de dire : « Siméon a raconté », il semble ne faire ici que rapporter l'avis des autres. Observez qu'il montre que depuis longtemps Dieu avait « ce dessein de prendre chez les gentils un peuple consacré à son nom ». Non seulement il le choisit, mais encore il l'associe à son nom, c'est-à-dire à sa gloire. Il ne regarde point la vocation des gentils comme une honte pour son nom, il l'appelle une gloire. En effet, cette gloire s'en accroissait. Mais il donne aussi à entendre quelque chose d'étonnant. Qu'est-ce donc? C'est que l'élection des gentils est la plus ancienne. «Je reviendrai ensuite édifier de nouveau la maison de David, qui est tombée». En réfléchissant là-dessus, on reconnaîtra que la maison de David est encore debout ; car, puisque c'est un de ses descendants qui règne, son royaume s'étend partout. Qu'importeraient les maisons et la ville, s'il n'y avait pas de sujets? Et quel dommage la ruine de la ville peut-elle causer, lorsque tout le monde serait prêt à se sacrifier pour le souverain? Aussi, non-seulement cette maison subsiste, mais elle brille par-dessus toutes les autres car elle est aujourd'hui célèbre par tout l'univers. Or, si la maison de David a été relevée, il est de toute nécessité qu'elle ait été auparavant renversée. Quand il dit : « Je rétablirai », il en explique la raison : « Pour que les autres hommes cherchent le Seigneur ». Si donc la ville a été relevée pour celui qui devait se choisir un peuple parmi les gentils, il est clair qu'elle a été élevée à cause de la vocation des gentils. Quels sont « les autres hommes? » Ceux qui étaient alors abandonnés. Mais observez qu'il en parle à leur place, c'est-à-dire en dernier. « C'est ce que dit le Seigneur qui fait tout cela ». Non-seulement il le dit, mais il le fait : ainsi la vocation des gentils est l'oeuvre de Dieu. On posait une autre question que Pierre résolut clairement en disant: Il n'est pas nécessaire de les circoncire. A quoi bon ce discours? C'est qu'on ne prétendait pas exclure les gentils fidèles; on disait seulement qu'il ne fallait les admettre que d'après l'ancienne loi. Voilà pourquoi Pierre a eu raison de parler ainsi ; mais comme c'était là ce qui inquiétait le plus l'auditoire, Jacques s'en occupe à son tour. Remarquez qu'il s'agissait de faire une loi pour ne pas accomplir la loi, comme Pierre l'avait déjà insinué : maintenant il fallait montrer que notre vocation, à nous autres gentils, était décidée depuis longtemps; c'est ce que fait Jacques; puis il arrive aux prescriptions dont les Ecritures n'ont point parlé ; il fait, pour apaiser les scrupules, une concession à la faveur de laquelle il émet cette conclusion : « Aussi je juge qu'il ne faut point inquiéter les gentils qui se convertissent», c'est-à-dire, qu'il ne faut pas les repousser. Car, si Dieu les a appelés et si nos pratiques les détournent, nous combattons contre Dieu. C'est pourquoi il parle avec raison des « gentils qui se convertissent », montrant par là que c'était la providence céleste qui les réclamait et que leur obéissance ne faisait que répondre à son appel.

Qu'entend-il par ces mots: « Je juge? » cela signifie : J'ai le droit de décider ainsi. « Mais il faut leur écrire qu'ils s'abstiennent des (164) souillures des idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang». C'étaient là des observations matérielles, mais nécessaires à suivre, car il eût été très-dangereux de les négliger. Pour que personne ne vienne dire pourquoi n'en écrit-on pas autant aux Juifs? il ajoute : « Quant à Moïse, il y a eu de tout temps, dans chaque ville, des hommes qui le prêchent»; c'est-à-dire, Moïse leur parle sans cesse. C'est ce qu'il entend par ces mots : « On le lit chaque jour de sabbat ». Voyez quelle tolérance ! Quand il ne voit pas d'inconvénient à le laisser prêcher, il l'accorde sans difficulté, et consent à ce que les Juifs l'étudient partout, mais il en détourne les gentils : de plus, les raisons pour lesquelles il appelle sur Moïse le respect et l'obéissance des Juifs, sont cause qu'il en détourne les gentils. Pourquoi ne leur enseigne-t-il pas cette loi? Parce que ceux-ci ne sont point disposés à la croire. Il fait voir aussi par là que les Juifs eux-mêmes n'étaient pas tenus d'en observer davantage. Si donc, semble-t-il ajouter, nous n'écrivions pas aux Juifs, ce n'est pas qu'ils doivent en observer davantage, mais c'est qu'ils ont quelqu'un pour leur donner ces prescriptions. Il ne dit pas : de peur de les scandaliser ou de les bouleverser, comme saint Paul écrivant aux Galates (
Ga 1,7), mais : je juge qu'il ne faut pas les inquiéter; il fait voir que cela les inquiéterait sans leur être utile. Ainsi, il enlève toutes les entraves. Il semble conserver la loi parce qu'il lui emprunte quelques prescriptions, mais en réalité il la supprime, parce qu'il ne les emprunte pas toutes. Il avait souvent parlé de ces prescriptions : mais il voulait paraître respecter la loi, et, d'un autre côté, donner ces règles comme venant, non pas de Moïse, mais des apôtres; alors, afin d'en établir plusieurs, il en divisa une. C'est là surtout ce qui les apaisa. C'est la Providence qui permet cette dispute, afin qu'après cela le dogme fût mieux établi. « Alors, il fut résolu par les apôtres de choisir les principaux parmi les frères pour les envoyer » : ils n'envoient pas les premiers venus, mais les principaux : « A ceux qui étaient à Antioche, en Syrie et en Cilicie », où la séparation avait pris naissance.

3303 3. Vous voyez qu'ils ne disent rien qui puisse les affliger; ils songent seulement à ce que tout soit bien réglé ; cela servait à ramener ceux qui avaient soulevé cette discussion. Ils ne leur disent point : Vous êtes de pernicieux séducteurs, ni rien de semblable; quoique Paul le fasse au besoin comme quand il s'écrie: « Homme rempli de ruses ! » (Ac 13,10) Mais ici, puisqu'ils se corrigent, cela n'est plus nécessaire. Remarquez encore qu'ils ne disent pas : Quelques-uns d'entre nous vous ont ordonné d'observer l'ancienne loi, mais « ils ont troublé et renversé vos âmes ». Cette expression est parfaitement juste, quoique peu employée. Vos âmes, qui étaient déjà fortifiées solidement, ils les ont renversées comme un édifice, pour y substituer des matériaux de leur fabrique. « Cependant nous ne leur avions donné aucun ordre: Il nous a plu, après nous être rassemblés dans un même esprit avec nos chers frères Paul et Barnabé ». S'ils leur sont chers, ils ne les mépriseront pas, et s'ils ont exposé leur vie, ils sont dignes de foi. « Nous avons donc envoyé Jude et Silas qui vous feront entendre les mêmes choses de vive voix ». Il ne fallait pas, en effet, que la lettre parût seule, de peur qu'on ne la crût extorquée par de faux rapports. L'éloge de Paul fit taire tous ces propos. Car observez que ce n'est pas seulement Paul ou Barnabé qui arrive, mais aussi des messagers de l'Eglise, afin que ni l'un ni l'autre ne fût suspect, et que l'on vit qu'ils étaient en communauté de dogmes avec ceux de Jérusalem. Cela prouve combien ils sont dignes de foi, sans se comparer eux-mêmes à la source de la foi, car ils sont loin de cet orgueil. Voilà le sens de ces paroles et de celles-ci : « Ce sont des hommes qui ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » Mais pourquoi ces mots : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous », lorsqu'il suffisait de mettre: « Au Saint-Esprit? » Ils disent : « Au Saint-Esprit » pour montrer qu'il ne s'agit pas d'une décision humaine, et ils ajoutent: «À nous », pour montrer qu'ils s'y soumettent, quoiqu'ils soient circoncis, « de ne vous imposer aucune autre charge ». Ils parlent ainsi, parce qu'ils s'adressent à des hommes faibles et timides; voilà pourquoi ils ajoutent ces mots. Cependant ils font voir que cette décision n'est pas une condescendance, un ménagement pour leur faiblesse, loin de là; mais il s'agissait d'une pratique répugnante pour les maîtres, inutile et pénible pour les disciples. Voyez comme cette lettre est courte, comme elle ne contient rien de superflu, ni (165) développements oratoires, ni syllogismes, mais seulement la décision, car c'était la loi du Saint-Esprit, et souvent ils répètent cette expression de charge pénible.

Les envoyés « assemblèrent les fidèles et leur remirent la lettre ». En outre, ils les exhortèrent par leurs discours, ce qui était nécessaire afin d'écarter tout soupçon. « Etant eux-mêmes prophètes, ils exhortèrent les frères par plusieurs discours ». On vit alors combien Paul était digne de foi. Sans doute ses paroles auraient dû suffire, mais il avait besoin d'un pareil appui. « Après être demeurés là quelque temps, ils retournèrent en paix ». Il n'y a plus de sédition, d'opposition. Il semble que tous se soient donné la main, comme le dit Paul : « Ils nous donnèrent la main en signe d'union à Barnabé et à moi » (Ga 2,9) ; et aussi: « Ils ne m'ont rien appris de nouveau». (Ga 2,6) En effet, ils avaient approuvé son avis, l'avaient loué et admiré ! Ici il montre que sa doctrine pouvait se démontrer par des raisonnements humains et que le Saint-Esprit n'était pas indispensable pour cela; enfin que ses adversaires avaient commis une faute difficile à excuser, comme on le reconnaissait sans l'intervention du Saint-Esprit. Il montre que les autres prescriptions ne sont pas nécessaires ; donc elles sont superflues, puisque celles-ci sont les seules indispensables. « Vous ferez bien de vous abstenir de ces choses ». Cette parole montre que rien ne leur manquera, s'ils observent cette défense. Cela pouvait se dire seulement de vive voix, mais les apôtres envoyaient une lettre pour établir une loi écrite. Puis, afin d'assurer l'obéissance à cette loi, on la lut aux fidèles qui de leur côté s'y soumirent en paix. Ne nous scandalisons pas des hérésies. Dans les commencements de la prédication, voyez combien de scandales : je ne dis pas chez les infidèles, cela n'était rien, mais chez les fidèles eux-mêmes. D'abord Ananie, puis des murmures, après cela Simon le Magicien, puis les accusations contre Pierre à propos de Corneille, ensuite la famine, et enfin cette discussion qui était plus grave que tout le reste.

En effet, il ne peut se faire aucun bien sans que quelque mal ne s'y mêle. Ne nous troublons donc pas si nous voyons quelques scandales, mais rendons grâces à Dieu qui cherche à nous rendre meilleurs, car la vertu est souvent rehaussée, non-seulement par les tribulations, mais aussi par les tentations. En effet, on ne montre pas un grand amour pour la vérité quand on la possède sans que personne vous en détourne ; mais cet amour éclate si beaucoup de personnes cherchent à vous induire en erreur. Eh quoi ! est-ce pour cela qu'arrivent les scandales? Je ne dis pas que Dieu en soit l'auteur, loin de là; mais il ne les aurait jamais permis si la perversité des autres ne lui avait servi à nous perfectionner. « Accorde-leur de ne faire qu'un ». (Jn 17,24) Quand il arrive des scandales, cela ne nuit pas aux fidèles, mais plutôt leur est utile. C'est ainsi que les bourreaux sont les bienfaiteurs involontaires des martyrs; pourtant ce n'est pas Dieu qui excite leur fureur; de même ne nous inquiétons pas de ceux qui causent du scandale. Ce qui prouve l'excellence de la foi, c'est le nombre de ceux qui l'affectent et la contrefont; sans la beauté de la religion, il n'y aurait pas d'hypocrisie ; je vais vous le faire voir clairement.

3304 4. On cherche toujours à falsifier les parfums; comme par exemple les feuilles d'amome ; comme ces parfums sont rares et indispensables, on les contrefait de bien des façons, car personne ne voudrait imiter une chose qui n'aurait pas de valeur. L'aspect d'une vie pure provoque l'hypocrisie, car personne ne chercherait à ressembler à un méchant, mais plutôt à un solitaire. Que faut-il dire aux gentils, tels que les Grecs? Un grec se présente et dit : Je veux me faire chrétien, mais je ne sais à quoi m'arrêter; chez vous, il y a bien des disputes, des révoltes, des discussions tumultueuses; quelle secte faut-il embrasser? Que choisirai-je ? Chacun me répond : c'est moi qui dis la vérité ! Lequel croirai-je, moi qui n'entends rien aux Ecritures? Chaque secte, lui répondrons-nous, prétend s'appuyer sur les Ecritures, et nous aussi, assurément; car si nous prétendions vous convaincre par de simples raisonnements, cela vous étonnerait avec raison : au contraire, si nous vous disons de croire aux Ecritures dans leur simplicité et leur vérité, vous jugerez facilement que celui qui les accepte est chrétien, et que celui qui les repousse ne l'est pas. Mais qu'arrivera-t-il si quelqu'un vient vous expliquer l'Ecriture à sa manière ? Pourrez-vous soutenir un autre sens et discuter les deux interprétations ? Votre question, me répondrez-vous, n'est pas raisonnable (166) ni judicieuse; comment pourrais-je décider pour ou contre vous? Je veux être disciple et vous me supposez déjà docteur. — Si quelqu'un nous tient ce langage, que lui répliquer? Comment le convaincre? S'il ne dit pas cela comme faux-fuyant et prétexte, demandons-lui s'il condamne les païens. Sa réponse nous suffira; s'il les condamne, il est des nôtres. Demandons-lui pourquoi il les condamne, car il a une raison pour cela. C'est, répondra-t-il évidemment, parce que leurs divinités étant des créatures, ne sont pas le Dieu incréé. Fort bien. S'il trouve ce même caractère chez les hérétiques, et l'opposé chez nous, est-il besoin d'en dire davantage? Tous nous confessons que le Christ est Dieu. Mais voyons ceux qui sont conséquents avec eux-mêmes et ceux qui ne le sont pas. Pour nous, en disant que le Christ est Dieu, nous ne lui attribuons rien qui ne soit digne de Dieu, nous disons qu'il possède la puissance, qu'il n'est pas esclave, mais libre, et qu'il fait tout de lui-même; l'hérétique dit tout le contraire. Je lui demanderai encore : votre intention, en étudiant une science telle que la médecine, est-elle simplement de recueillir au hasard tout ce qui se dit, malgré les différences d'opinion ? Vous n'admettrez pas sans examen tout ce que l'on vous dira, cela ne serait pas digne d'un homme; si vous avez du bon sens et du jugement, vous ne croirez que ce que vous saurez être vrai. Or, nous annonçons le Fils de Dieu, et nos discours s'accordent avec cette prétention ; nos adversaires disent aussi qu'ils l'annoncent, mais le même accord n'existe pas. Pour parler plus clairement, ils ont des hommes dont ils portent le nom; je veux parler du nom des hérésiarques, et chaque hérésie a le sien ; pour nous, aucun homme ne nous a donné son nom; le nôtre ne vient que de la foi.

Mais votre hésitation n'est qu'un prétexte. Dites-moi, quand vous voulez acheter un habit, sans vous connaître aux étoffes, pourquoi cependant ne dites-vous pas : Je ne sais point acheter, on me tromperait? Ne faites-vous pas au contraire tout ce qu'il faut pour en juger? Quelque soit l'objet que vous veuilliez acheter, vous prenez toutes vos précautions; mais ici, vous parlez de manière à faire croire que vous ne voulez embrasser aucune secte chrétienne, Eh bien ! supposons un homme qui n'ait pas de religion du tout, et imaginons qu'il dise en général ce que vous dites des chrétiens en particulier : Il y a une infinité d'hommes, et ils ont des opinions diverses : l'un est païen, l'autre juif, un troisième chrétien; il ne faut admettre aucune croyance, car comment choisir entre ces dogmes qui se contredisent? Je suis disciple, je ne veux pas être juge ni condamner aucune opinion. On ne pourrait plus dire cela, même comme prétexte. Puisque vous avez su repousser les religions fausses ou altérées, vous saurez aussi, dans la véritable, reconnaître la meilleure foi. Pour celui qui n'a encore repoussé aucun dogme, le choix général sera facile; celui qui a fait ce premier pas, mais qui n'a pas encore déterminé son choix particulier, y sera conduit naturellement et peu à peu. Ne cherchons pas de détours ni de prétextes; tout cela est facile. Voulez-vous que je vous montre que tous ces retards sont des prétextes? Vous savez ce qu'il faut et ce qu'il ne faut pas faire; pourquoi donc ne faites-vous point ce qu'il faut, mais au contraire ce qu'il ne faut pas? Agissez tout autrement, puis interrogez Dieu de bonne foi, et il vous révèlera tout. « Dieu n'a point égard aux personnes » (
Ac 10,34) ; mais dans toute nation, celui qui le craint et qui pratique la justice est accepté par lui. Celui qui l'écoute sans préjugé, ne peut manquer d'être convaincu. S'il existait une longueur à laquelle on dût tout rapporter, il n'y aurait pas besoin de calculer, il serait facile de reconnaître ceux qui mesurent bien ou mal; c'est ce qui existe pour la religion. Comment ne le voit-on pas? Cela tient à bien des causes : aux préjugés et aux passions humaines. Mais, observera-t-on, nos adversaires en disent autant contre nous. Eh quoi? nous sommes-nous séparés de l’Eglise? Avons-nous des hérésiarques? Avons-nous pris notre nom d'un homme ? Avons-nous, à leur exemple, des chefs, tels que Marcion, Manicheus, Arius, ou tout autre promoteur d'hérésie? Si nous nous rattachons à quelques noms, ce n'est pas à ceux des sectaires, mais à ceux des hommes qui ont gouverné et dirigé l'Eglise. Nous n'avons point de maîtres sur la terre, à Dieu ne plaise ! Mais un seul qui est au ciel. Telle est aussi, dira-t-on, la prétention de nos adversaires, mais ils ont leur nom qui les accuse et leur ferme la bouche. Les gentils aussi étaient d'opinions diverses, il y avait différentes écoles de philosophes, mais cela (167) n'empêcha personne d'embrasser la véritable religion. Cependant quand ils se consultaient à ce sujet, pourquoi ne disaient-ils pas à propos des chrétiens: Ce sont des Juifs comme les autres; lesquels faut-il croire? Mais ils obéirent à la loi qu'il fallait choisir. Nous aussi, obéissons aux lois de Dieu; faisons tout ce qui peut lui plaire, et réglons-nous d'après sa volonté pendant notre existence présente, afin qu'ayant passé dans la vertu le reste de notre vie, nous puissions jouir des biens qu'il promet à ceux qui l'aiment, et obtenir d'être mis au rang de ceux qu'il chérit, par la grâce et la bonté de son Fils unique, ainsi que de l'Esprit-Saint et vivificateur, Déité unique et véritable, maintenant et à toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 34 PAUL ET BARNABÉ RESTÈRENT A ANTIOCHE, OU ILS ANNONÇAIENT AVEC PLUSIEURS AUTRES LA PAROLE DU SEIGNEUR. (CHAP. 15, VERS. 35, 36, JUSQU'AU VERS. 13 DU CHAP. XVI.)

— QUELQUES JOURS APRÈS PAUL DIT A BARNABÉ : « RETOURNONS VISITER NOS FRÈRES PAR TOUTES LES VILLES OU NOUS AVONS ANNONCÉ LA PAROLE DU SEIGNEUR, POUR VOIR EN QUEL ÉTAT ILS SONT ».

3400 Ac 15,35-16,13

ANALYSE. 1- 4. Séparation de Paul et de Barnabé; qu'elle a servi à la propagation de l’ Evangile. — Paul circoncit Timothée pour mieux abolir la circoncision. — Paul est invité en songe à se rendre en Macédoine. — Deux sortes de songes et visions.
5. Exhortation à orner son âme.

3401 1. Remarquez une fois de plus, avec quelle complaisance ils prodiguent leur parole. Quant aux autres apôtres, saint Luc nous a déjà fait connaître leur caractère, et nous a fait voir que les uns étaient plus doux et plus indulgents, les autres plus fermes et plus sévères. En effet, les dons des hommes sont différents, et il est clair que cette différence est elle-même un don. Un caractère sympathise avec certaines moeurs, et un autre caractère avec certaines autres; changez tout cela, vous gâterez tout. Vous croyez voir parfois s'élever une discussion, mais tout est providentiel et rien n'arrive que pour mettre chacun à la place qui lui convient. Du reste, il ne fallait pas que tous fussent au même rang; il fallait au contraire que l'un commandât et que l'autre obéit; c'est encore un effet de la Providence. Les Cypriotes ne ressemblaient pas à ceux d'Antioche ni aux autres fidèles; il fallait les traiter avec plus de douceur. « Barnabé voulait prendre avec lui Jean, surnommé Marc (Ac 15,37). Mais Paul le priait de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie, et n'avait pas pris part à leur oeuvre (Ac 15,38). Il y eut donc entre eux une contestation à la suite de laquelle ils se séparèrent; et Barnabé ayant pris Marc, fit voile pour Chypre (Ac 15,39). Paul ayant choisi Silas, partit avec lui, après avoir été «abandonné à la grâce de Dieu par les frères (Ac 15,40) ».

De même chez les prophètes, nous trouvons diverses habitudes et différents caractères : par exempte, Elie était sévère et Moïse était doux. Ici Paul fut inflexible; cependant il montre encore de la condescendance : « il priait Barnabé de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie ». Un général (168) ne voudrait pas garder constamment un serviteur indigne de lui: Il en est de même pour un apôtre. C'est ce que Paul fait voir à tout le monde, et à son collègue en particulier. Quoi ! direz-vous, Barnabé était-il un méchant homme? Nullement, et il serait même absurde de le penser. Quelle absurdité, en effet, d'appeler quelqu'un méchant pour une chose aussi peu importante ! Mais remarquez d'abord qu'il n'y avait aucun mal à ce qu'ils se séparassent, si par ce moyen ils pouvaient évangéliser tous les gentils; c'était même un grand bien. Remarquez ensuite que, sans cette occasion, ils eussent eu de la peine à se séparer. Peut-être vous étonnerez-vous que saint Luc n'ait point passé cela sous silence? Mais, ajouterez-vous, s'ils devaient se séparer, il fallait le faire sans discussion. C'est ici que la nature humaine se montre. Si les intérêts du Christ l'exigeaient, rien ne valait mieux que cette occasion. Du reste, une discussion n'est point blâmable quand elle a lieu sur de pareils sujets, et que chacun défend une idée juste. On ferait bien de la condamner si chacun des adversaires ne soutenait que son avantage particulier; mais quand tous deux cherchent à enseigner et à convertir, si chacun prend une route différente, quel mal y a-t-il à cela? Ils se dirigeaient souvent par la raison humaine, car ils n'étaient faits ni de pierre ni de bois. Vous voyez que Paul reprend le choix de Barnabé et donne ses raisons. Barnabé, qui avait été son compagnon et son associé dans tant de circonstances, avait sans doute beaucoup de respect pour lui, mais ce respect n'allait pas jusqu'à négliger son devoir. Lequel des deux avait raison, ce n'est pas à nous d'en juger; mais ce fut un événement providentiel, car sans cela, tandis que certains peuples auraient été visités deux fois, d'autres ne l'auraient pas été une seule. Ce n'était pas sans raison qu'ils étaient restés à Antioche, c'était pour enseigner. Qui enseignaient-ils? à qui prêchaient-ils l'Évangile? Tantôt aux fidèles, tantôt à ceux qui ne l'étaient pas encore. Comme il y avait une foule de scandales, leur présence était nécessaire: il faut voir non pas en quoi ils ont différé, mais en quoi ils ont été d'accord. Ainsi leur séparation produisit un grand bien et la prédication en prit un nouvel essor. Quoi donc ! se séparèrent-ils ennemis? Non certes, car vous voyez ensuite Paul combler Barnabé de louanges dans ses épîtres. « Il y eut entre eux une contestation », mais ce n'était pas une hostilité ni une querelle. Cette contestation fit qu'ils se séparèrent, et avec raison; car ce que chacun d'eux pensait être utile, il n'aurait pu le faire plus tard, à cause de son compagnon.

3402 2. Je crois que cette séparation a été décidée avec réflexion et qu'ils se sont dit l'un à l'autre : Puisque je ne veux pas ce que tu veux, ne disputons pas, allons chacun de notre côté. Ils montrèrent donc beaucoup de condescendance mutuelle. Barnabé voulait respecter l'oeuvre de Paul, et c'est pour cela même qu'il le quittait: de même Paul ne voulait pas nuire aux travaux de Barnabé: aussi agit-il de même en le laissant aller. Plût au ciel que chez nous aussi les séparations n'eussent pas d'autre cause que le zèle de la prédication ! « Paul ayant choisi Silas partit avec lui, après avoir été abandonné à la grâce de Dieu par les frères » Ac 15,40). Voilà un homme admirable et véritablement grand ! Cette discussion fut bien profitable pour Marc: la sévérité de Paul le convertit et l'indulgence de Barnabé empêcha qu'il ne fût laissé de côté: tel est l'avantage auquel aboutit en résumé cette lutte. Se voyant repoussé par Paul, il s'effraya beaucoup et se condamna lui-même; mais se voyant protégé par Barnabé, il s'attacha à lui, et le disciple fut corrigé par la contestation élevée entre les apôtres, tant il fut loin d'en être scandalisé ! Il l'eût été sans doute si les apôtres n'avaient agi que par vanité, mais puisqu'ils semblaient ne rien faire que pour son propre salut et que cette discussion prouvait qu'on faisait bien de l'estimer, de quoi pouvait-il s'étonner?

3403 3. Remarquez la sagesse de Paul. Il n'entre point dans d'autres villes avant de visiter celles qui avaient déjà reçu la parole. « Il traversa la Syrie et là Cilicie, confirmant les Eglises (Ac 15,41) ». « Il arriva à Derbe et à Lystre (Ac 16,1) ». En effet, il n'aurait pas été raisonnable de courir au hasard. Agissons de même, et que les premiers instruits soient aussi les premiers perfectionnés, pour qu'ils ne fassent pas obstacle à ceux qui les suivent. « Visitons nos frères », dit-il, « pour voir en quel état ils sont ». Il était naturel qu'il l'ignorât; aussi voulait-il les revoir. Voyez comme il est toujours vigilant, inquiet, incapable de repos et s'exposant à mille dangers. Observez que ce n'est point par crainte qu'il est venu à Antioche. Il ressemble à un médecin qui va voir ses (169) malades, et il montre la nécessité de visiter encore les villes « où ils ont annoncé la parole du Seigneur ». Barnabé s'est éloigné et ne l'accompagne plus. « Paul choisit Silas et fut abandonné à la grâce de Dieu ». Que signifie cela? C'est que les frères prièrent et invoquèrent Dieu pour lui. Vous voyez partout combien la prière des frères est puissante. Il fit la route à pied, afin de pouvoir être utile à tous ceux qui le voyaient, et cela se comprend; quand les apôtres devaient se hâter, ils voyageaient par mer; mais ici il en était autrement : « Il rencontra un disciple, nommé Timothée, fils d'une femme juive fidèle et d'un père gentil. Les frères qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient un témoignage avantageux de ce disciple (Ac 16,2). Paul voulut donc qu'il vînt avec lui ; et l'ayant pris, il le circoncit, à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là; car tous savaient que son père était gentil (Ac 16,3) ».

Ici l'on doit être frappé de la sagesse de Paul. Lui qui avait soutenu tant de luttes contre la circoncision, qui n'avait eu ni trêve ni repos avant d'avoir tout réglé et fait triompher son opinion, le voilà qui circoncit un disciple ! Non-seulement il ne s'oppose point à cet usage, mais il le pratique lui-même. Rien n'égalait la prudence de Paul ; il agissait toujours pour le bien et non d'après un parti pris. « Il voulut qu'il vînt avec lui ». Admirez cette précaution de l'emmener, « à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là ». Voilà pourquoi il l'a circoncis, car les Juifs n'auraient jamais accepté la parole de Dieu de la bouche d'un incirconcis. Et qu'en résulta-t-il? Voyez quel avantage ! Cette circoncision tendait à détruire la circoncision, puisque le nouveau fidèle devait prêcher les dogmes des apôtres. — Voyez une contradiction, et une contradiction qui produit l'édification. Ce n'est plus avec d'autres qu'ils sont en lutte : ils se contredisent eux-mêmes, et c'est pour édifier l'Eglise. Ainsi, voulant supprimer la circoncision, Paul la pratique pour mieux la supprimer. « Les Eglises croissaient en nombre de jour en jour (Ac 16,5) ». Voilà à quoi servait la circoncision. Il ne s'arrête pas là, puisqu'il venait seulement pour visiter; mais que fait-il? Il va plus loin. « Allant de ville en ville, ils donnaient pour règle aux fidèles de garder les ordonnances qui avaient été établies par les apôtres et par les prêtres de Jérusalem (Ac 16,4).

« Aussi les Eglises étaient confirmées dans la foi, et croissaient en nombre de jour en jour (Ac 16,5). Lorsqu'ils eurent traversé la Phrygie et la Galatie, le Saint-Esprit leur défendit d'annoncer la parole de Dieu en Asie (Ac 16,6). Etant venus en Mysie, ils se disposaient à passer en Bithynie, mais l'Esprit ne le permit pas (Ac 16,7) ». L'auteur ne dit pas pourquoi ces défenses leur furent imposées, il se contente de les rapporter, ce qui nous apprend qu'il faut obéir sans en rechercher la raison, et nous montre aussi que souvent ils agissent d'après la sagesse humaine. « Ils passèrent ensuite la Mysie, et descendirent à Troade (Ac 16,8). Paul eut une vision pendant la nuit : un Macédonien lui apparut et lui fit cette prière : Passez en Macédoine et secourez-nous (Ac 16,9) ». Pourquoi cette vision, et pourquoi le Saint-Esprit ne commanda-t-il pas lui-même? C'est qu'il voulait aussi exercer son influence de cette manière. Souvent les saints sont visités par des songes, et saint Paul lui-même, au commencement de sa conversion, vit apparaître un homme qui lui imposait les mains. Actuellement, le Saint-Esprit l'entraîne, par ce moyen, à étendre davantage sa prédication. C'est pour cela que, d'après l'ordre du Christ lui-même, Paul ne doit pas s'arrêter dans d'autres villes.

En effet, les habitants de ces contrées devaient sans doute être instruits encore longtemps par Jean, et n'avaient peut-être pas besoin d'autres secours : aussi Paul n'avait-il pas besoin d'y rester. Il partit donc pour continuer son voyage. « Aussitôt qu'il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne doutant point que Dieu ne nous appelât, pour y prêcher l'Evangile (Ac 16,10). Nous étant donc embarqués à Troade, nous vînmes droit à Samothrace et le lendemain à Néapolis (Ac 16,11). De là à Philippes, qui est la première colonie romaine qu'on rencontre de ce côté-là, en Macédoine, où nous demeurâmes quelques jours (Ac 16,12) ». C'est ainsi que plus tard le Christ lui apparaît et lui dit : « Il faut que tu te présentes devant César». (Ac 27,24) Ensuite il rapporte les lieux où il passe, il détaille son récit, et indique où il s'est arrêté : il a séjourné dans les villes importantes et a seulement traversé les autres; la colonie établie dans une ville en montrait l'importance.

Mais revenons à ce qui précède. Paul montre à Barnabé leur départ comme indispensable, (170) en lui disant : « Visitons les villes où nous avons annoncé la parole de Dieu ». Cependant, devait-il prier celui qu'il devait bientôt réprimander?

3404 4. C'est ce qui se passe encore entre Dieu et Moïse. L'un supplie et l'autre s'irrite, comme quand il dit à Moïse : « Si son père lui avait craché à la figure » (Nb 12,14); et aussi : « Laisse-moi faire et dans ma colère je détruirai ce peuple ». (Ex 32,10) C'est ce que l'on voit aussi lorsque Samuel pleure Saül. (1R 15,35) Dans ces circonstances d'où résultent tant d'avantages, l'un est irrité, l'autre ne l'est point; c'est ce que nous voyons ici. Du reste, cette contestation a sa raison d'être pour qu'elle soit profitable et n'ait pas l'air d'une fiction. Barnabé aurait fini par céder dans cette occasion, lui qui cédait d'ordinaire, lui qui aimait Paul au point qu'il l'avait cherché à Tarse et présenté aux apôtres, qu'il avait confondu leurs aumônes et soutenu ses dogmes. Il ne se serait point fâché dans cette circonstance, mais tous deux se séparent pour commencer ou achever l'instruction de ceux qui avaient besoin de leurs leçons; c'est ce que Paul dit encore plus loin : « Ne vous fatiguez jamais de faire le bien ». (2Th 3,13) Dans ce passage il y a des gens qu'il blâme, et en même temps il recommande de faire du bien à tout le monde. C'est aussi ce que nous avons l'habitude de vous dire. Ici encore il me semble que certaines personnes en voulaient à Paul ; du reste, en les mettant à part, il fait tout, il avertit, il exhorte. Il y a une grande puissance dans la concorde, dans la charité; ce que vous demandez est très-important, et vous ne l'êtes guère; n'importe, on écoutera toujours votre demande ; ne craignez rien. « En passant dans les villes, il rencontra un disciple, nommé Timothée, dont les frères, qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient bon témoignage ». La foi de Timothée était grande, puisque tout le monde en rendait un pareil témoignage. Paul trouva en lui un autre associé pour remplacer Barnabé. Aussi lui dit-il: « Je me souviens de tes larmes et de ta foi sincère qu'ont eue d'abord ton aïeule Loïde et ta mère Eunice ». (2Tm 4,5) Lorsqu'il le prit et le circoncit », il en dit la raison : c'était « à cause des Juifs qui étaient dans ces lieux-là ». Voilà pourquoi il le circoncit, ou bien encore à cause de son père qui ne s'était pas séparé des gentils, et qui, par conséquent, n'était pas circoncit. Voilà déjà, comme vous le voyez, une dérogation à la loi. Quelques personnes pensent que Timothée était né après la prédication de l'Évangile, mais cela n'est pas certain. « Depuis l'enfance », lui dit Paul, « tu connais les saintes Ecritures ». Ces mots signifient peut-être encore qu'il voulait l'instituer évêque, et qu'il ne pouvait rester incirconcis. En effet, cette obligation n'existait plus pour les gentils qui se convertissaient : c'était là un grand pas de fait que d'avoir écarté un sujet de scandale aussi ancien. On commençait à abroger cette coutume en décidant que les gentils pouvaient s'en abstenir sans qu'on les blâmât, et sans qu'il leur manquât rien pour la religion ; le reste devait venir tout seul, Cependant comme Timothée devait exercer la prédication, Paul le circoncit, quoiqu'il fût gentil par son père et fidèle par sa mère. Du reste, Paul ne s'inquiéta pas de cette circonstance, parce que l'oeuvre immense qu'il accomplissait regardait les gentils; mais il pratiqua cette circoncision, parce que Timothée devait répandre la parole du Seigneur. Observez ici tout le bien qu'il accomplit quand il semble se contredire. « Les églises se multipliaient». Vous voyez que cette circoncision, non-seulement n'a fait aucun mal, mais a procuré même de grands avantages.

« Aussitôt qu'il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne doutant point que Dieu nous y appelât ». Cette apparition n'était pas celle d'un ange, comme à propos de Philippe et de Corneille : qu'était-ce donc? Cette vision rentre dans l'ordre naturel et non dans l'ordre surnaturel. Les manifestations naturelles ont lieu pour des ordres faciles à suivre : celles qui sont surnaturelles interviennent pour des devoirs plus pénibles. Un songe suffisait pour le retirer d'une ville où il voulait prêcher ; mais, quand ce désir était devenu une passion, il n'en pouvait être détourné que par une révélation du Saint-Esprit. C'est ainsi que Pierre entendit ces mots : «Lève-toi, et descends ». (Ac 10,20) Ainsi le Saint-Esprit ne se manifeste pas lui-même quand il s'agît de choses faciles: il suffit d'un songe. Joseph qui était facile à persuader ne voit rien qu'en songe; d'autres ont une véritable vision. C'est ce qui était arrivé à Corneille et à Paul lui-même. Mais ici, « il lui apparaît un Macédonien, qui le priait ainsi ».

(171) Il ne dit pas: qui ordonnait, mais «qui priait»; c'est-à-dire, qui lui demandait ce dont il avait besoin. Pourquoi ces mots: ne «doutant point»? c'est-à-dire, conjecturant. En effet, ils devaient le conclure de cette vision, apparue seulement à Paul, des défenses que le Saint-Esprit leur avait faites et de la proximité où ils étaient de la Macédoine. Ils en étaient encore avertis par la direction de leur navigation, car il n'y avait pas longtemps qu'ils avaient approché de cette frontière de la Macédoine. On reconnaît ici l'avantage providentiel de cette contestation. Sans cela, l'oeuvre du Saint-Esprit aurait été incomplète, et la Macédoine n'aurait pas reçu la parole divine. Un pareil progrès montre que ce n'était pas seulement l'action des hommes. Aussi Barnabé ne s'en fâcha point; seulement « il y eut une contestation entre eux». Ils n'en furent pas plus irrités l'un que l'autre.

3405 5. Nous voyons par là qu'il ne faut pas écouter ces paroles sans attention, mais les étudier et nous en pénétrer : car tout cela n'est pas écrit en vain. C'est un grand malheur de ne pas connaître l'Ecriture : ce qui devrait être notre salut, peut devenir notre perte. C'est ainsi que l'on voit souvent des remèdes souverains, ne servir qu'à la destruction et à la mort de ceux qui les emploient sans en connaître l'usage, et des armes tuer quelquefois les imprudents qui voulaient les utiliser pour leur défense. La raison en est que nous songeons à toute autre chose qu'à l'avantage de notre âme, et que nous sommes préoccupés de tout, excepté de ce qui nous importe le plus. Nous veillons toujours à la solidité de notre maison, et nous craignons pour elle les ravages des années et des orages ; mais notre âme ne nous inquiète pas : nous avons beau la voir menacée de fond en comble, peu nous importe. Si nous avons des animaux, nous veillons sur eux, nous les faisons soigner, guérir; en un mot, nous n'épargnons rien. Nous tenons à ce qu'ils soient bien abrités, et nous recommandons à ceux qui en sont chargés de ne pas les fatiguer par des exercices ou des fardeaux excessifs, de ne pas les faire sortir de nuit quand le temps n'est pas favorable, de ne pas trafiquer sur leur nourriture; enfin nous faisons une foule de prescriptions pour nos animaux, tout cela sans songer à notre âme. Mais pourquoi m'arrêter sur ceux des animaux qui nous sont utiles? Bien des gens ont des oiseaux qui ne servent qu'à les amuser ; cependant ils font là-dessus une foule de recommandations, ils n'oublient et ne négligent rien : enfin nous sommes préoccupés de tout, excepté de nous-mêmes. Sommes-nous donc inférieurs à toutes ces créatures? Nous sommes fâchés, si l'on nous injurie en nous appelant : chien; mais quand nous nous injurions ainsi nous-mêmes, non par nos paroles, mais par nos actions, en prenant moins de soin de notre âme que de nos chiens, cela ne nous choque point. En vérité, c'est à n'y rien comprendre. Combien voit-on de gens qui font en sorte que leurs chiens ne mangent pas plus qu'il ne faut, afin que leur appétit non satisfait, les rende plus légers et plus ardents à la chasse, tandis qu'ils ne s'imposent à eux-mêmes aucune règle contre les excès du plaisir; ils semblent ainsi apprendre la sagesse aux animaux dont ils empruntent la brutalité.

Voilà une chose étrange. Qu'est-ce donc que la sagesse des animaux, direz-vous ? Ne trouvez-vous pas une grande sagesse chez le chien affamé qui saisit une pièce de gibier, et qui, sachant s'abstenir de cette nourriture mise à sa portée, fait taire son appétit pour attendre son maître? Rougissez donc, et vous-même exercez-vous à une pareille sagesse. Vous n'avez aucune excuse. Puisque cet être qui, par sa nature, n'a ni parole ni raison, peut acquérir une pareille sagesse, vous en êtes bien plus capable. En effet, cela ne vient pas de leur nature, mais des soins de l'homme; car autrement tous les chiens seraient de même. Tâchez donc de ressembler à des chiens comme ceux-là. Vous me forcez à de pareilles comparaisons. Je voudrais vous comparer aux anges, mais vous diriez qu'ils sont trop au-dessus de nous; aussi je ne parle pas des anges; à Paul ? vous diriez que c'était un apôtre ; aussi je ne parle point de Paul; à un homme? vous diriez que, s'il a été sage, c'est qu'il a pu l'être; aussi, je ne parle point d'un homme, mais d'un animal dont la sagesse ne provient ni de sa nature, ni de sa volonté : Chose étrange ! elle ne vient pas de lui-même, mais de vos soins à vous-même. Il ne songe pas qu'il est fatigué, épuisé par sa course, qu'il s'est donné la peine de prendre cette proie ; ou plutôt, il laisse tout cela de côté pour obéir à son maître et vaincre son appétit. Oui, direz-vous, mais il attend des éloges, il attend une meilleure nourriture, Eh bien ! dites vous à (172) vous-même que le chien méprise les avantages présents à côté de ceux de l'avenir, tandis que l'espérance du bonheur futur ne peut vous détourner des jouissances actuelles. Le chien sait encore que, s'il déchire le gibier destiné à son maître, non-seulement il en sera privé, mais qu'il n'aura même pas sa pâture habituelle et qu'il aura des coups au lieu de nourriture. Vous, au contraire, vous ne pouvez même pas voir cela, et la raison ne fait pas pour vous ce que l'habitude fait pour le chien. Cherchons donc à imiter les chiens. Les faucons et les aigles nous donnent des leçons semblables: au lieu de chasser les lièvres et les chevreuils, ils poursuivent les oiseaux, et c'est encore l'homme qui les instruit. Voilà ce qui peut nous condamner ou nous servir d'exemple.

Je vous parlerai encore des chevaux sauvages et indomptés, qui ruent et qui mordent: en peu de temps les écuyers habiles les forment si bien que le cavalier se plaît à leur faire prendre toute espèce d'allure; tandis que personne ne dirige l'allure déréglée de notre âme, elle bondit, elle rue, elle se traîne par terre comme un enfant, elle fait mille extravagances, personne ne lui met ni frein ni entraves, et elle ne peut supporter son habile écuyer; je veux dire le Christ: aussi tout va de travers. Nous corrigeons la gourmandise des chiens, nous domptons la férocité des lions et l'indocilité des chevaux, enfin nous faisons parler les oiseaux : n'est-il pas absurde d'exercer les animaux à des actions raisonnables, et de laisser prendre des instincts sauvages à des créatures raisonnables ?

Rien, assurément, rien ne peut nous excuser. Tous ceux qui se conduisent bien, fidèles ou infidèles, n'hésiteront pas à nous accuser; car il y a des infidèles qui se conduisent bien; nous avons même vu qu'on trouvait de bons exemples chez les animaux, chez les chiens ; l'homme seul en donne de mauvais. Nous-mêmes, nous devons nous condamner puisque nous faisons le bien quand nous voulons, et que notre faiblesse seule nous fait tomber en faute. Car on a vu des gens bien pervers se corriger par l'effet de leur volonté. Tout le mal, comme je le disais, vient de ce que les biens que nous cherchons nous sont étrangers. Si vous faites élever une maison splendide, vous cherchez ce qui convient à la maison plutôt qu'à vous : si vous portez de beaux habits, c'est avantageux pour votre corps et non pour vous-même : un beau cheval, c'est la même chose. Personne ne s'inquiète si son âme est belle : cependant, si elle est belle, on n'a besoin de rien autre chose ; si elle ne l'est pas, aucune autre chose ne peut servir. C'est comme pour une mariée : Supposez un lit nuptial orné de tissus dorés, des choeurs de belles femmes, des couronnes de roses, un beau fiancé, les servantes et les amies plus belles les unes que les autres; si la mariée est laide, tout cela ne l'embellira pas. Mais si elle est belle, pensez-vous qu'elle aura besoin de ces splendeurs? Bien au contraire. Car celle qui est laide le paraît encore plus avec tout cet éclat, mais celle qui est belle semble l'être encore plus dans sa simplicité. Il en est de même pour l'âme; lorsqu'elle est belle, toutes les richesses ne lui ajoutent aucun prix et voilent au contraire sa beauté ; car le sage ne brille pas dans l'opulence, mais plutôt dans la pauvreté. S'il est riche, on dit que sa vertu tient à ce qu'il ne manque de rien : au contraire, s'il mérite l'admiration générale, parce que sa pauvreté ne le contraint à rien dont il puisse rougir, personne ne pourra plus lui disputer la couronne de la sagesse.

Si donc nous prétendons aux richesses véritables, embellissons notre âme. De quoi vous servirait-il d'avoir des mulets blancs, bien soignés et bien nourris, si vous, qui les montez, êtes maigre, galeux et difforme : de même, que vous servirait-il d'avoir de beaux lits moelleux, aussi bien ornés que bien travaillés, si votre âme n'avait que des haillons, si elle était nue et sale? Qu'importe qu'un cheval s'avance en mesure et semble danser plutôt que marcher, qu'importe qu'il soit accompagné d'un cortége de fête, si celui qui le monte boite plus qu'un boiteux et remue ses mains et ses pieds d'une manière plus bizarre qu'un ivrogne ou un fou ? Dites-moi, celui qui vous donnerait un beau cheval, mais vous disloquerait le corps, vous ferait-il du bien? Maintenant c'est votre âme qui est disloquée et vous ne vous en inquiétez point. Je vous en conjure, pensons enfin à nous-mêmes : ne nous mettons pas au-dessous de toutes les créatures. Si l'on nous injurie, cela nous pique et nous afflige : mais quand nous nous faisons injure à nous-mêmes par nos actions, nous n'y prenons pas garde. Repentons-nous, si tard que ce soit, veillons sur notre âme et cultivons la (173) vertu, afin que nous puissions obtenir les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Actes 3203