Chrysostome sur Actes 3405

HOMÉLIE 35 LE JOUR DU SABBAT, NOUS SORTIMES DE LA VILLE, ET NOUS ALLAMES PRÈS DE LA RIVIÈRE, (CHAP. 16,VERS. 13, 14, JUSQU'AU VERS. 24.)

OU ÉTAIT LE LIEU ORDINAIRE DE LA PRIÈRE. NOUS NOUS ASSIMES ET NOUS PARLAMES AUX FEMMES QUI ÉTAIENT ASSEMBLÉES. — IL Y EN AVAIT UNE NOMMÉE LYDIE, DE LA VILLE DE THYATIRE, MARCHANDE DE POURPRE, QUI SERVAIT DIEU. ELLE ÉCOUTA, ET LE SEIGNEUR LUI OUVRIT LE COEUR POUR ÊTRE ATTENTIVE AUX PAROLES DE PAUL.

3500 Ac 16,13-24

ANALYSE. 1 et 2. Conversion de la marchande de pourpre. — Démon chassé du corps d'une servante. — Les apôtres battus de verges et mis en prison par les magistrats de Philippes.
2 et 3. Rien de plus inutile que l'homme oisif. — Contre la bonne chère.

3501 1. Voilà encore Paul qui se rapproche des habitudes juives, à cause des circonstances de temps et de lieu. On ne priait pas seulement dans la synagogue, mais en dehors; il y avait pour cela comme un rendez-vous, car les usages des Juifs avaient quelque chose de matériel. « Le jour du Sabbat », car il était probable que la foule se rassemblerait ce jour-là, « nous nous assîmes et nous parlâmes aux femelles qui étaient assemblées. Il y en avait une nommée Lydie, de la ville de Thyatire, marchande de pourpre, qui servait Dieu. Elle écouta, et le Seigneur lui ouvrit le coeur pour être attentive aux paroles de Paul ». Tout cela est bien modeste. Il s'agit d'une femme de condition obscure, comme on le voit par sa profession, mais voyez quelle sagesse elle possède. On lui rend d'abord ce témoignage qu'elle craignait Dieu et qu'elle invita les apôtres. « Après qu'elle eut été baptisée, et sa famille avec elle, elle nous fit cette prière : « Si vous me croyez fidèle au Seigneur, entrez dans ma maison et y demeurez; et elle nous y força (Ac 16,15) ». Voyez comment elle les persuade tous ; remarquez aussi la prudence avec laquelle elle supplie les apôtres, l'humilité de ses paroles et sa grande sagesse. « Si vous me jugez », dit-elle, « fidèle au Seigneur». Rien n'est plus puissant pour persuader. Qui ne serait touché de semblables paroles? Ce n'étaient pas seulement des instances, des supplications, c'était de la contrainte, puisqu'on ajoute : « Elle nous y força »; c'est-à-dire, par ces paroles. Voyez quels fruits précoces, et comme elle apprécie l'importance de sa conversion. Vous me jugez fidèle, vous l'avez prouvé en me confiant de pareils mystères, car vous ne l'eussiez pas fait sans avoir confiance en moi. Elle n'osa pas les inviter avant d'avoir été baptisée, ce qui prouve qu'elle n'aurait pu les t'engager, avant cela. Pourquoi Paul et ses compagnons hésitaient-ils, refusaient-ils, au point de se faire contraindre? Pour exciter le zèle de cette femme ou bien pour la raison que dit le Christ : « Quand vous entrerez dans une ville, informez-vous (174) si quelqu'un mérite de vous recevoir et demeurez chez lui ». (Lc 10,8) Ainsi la Providence conduisait tout.

« Or, il arriva que, comme nous allions au lieu de la prière, nous rencontrâmes une servante qui, ayant un esprit Pythien, apportait un grand gain à ses maîtres, en devinant (Ac 16,16). Elle se mit à nous suivre, Paul et nous, en criant : Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui nous annoncent la voie du salut (Ac 16,17) ». Pourquoi le démon dit-il de pareilles choses, et pourquoi Paul s'y oppose-t-il ? C'était malignité d'un côté et prudence de l'autre, car le diable voulait ainsi empêcher les apôtres d'être dignes de foi. En effet, si Paul avait accepté son témoignage, le démon aurait trompé les fidèles en se prévalant d'une pareille approbation, car le démon ne les vante que pour s'établir à leur place et ne s'humilie que pour les perdre. Aussi Paul se contenta d'abord de ne pas accepter ce témoignage et de le repousser, ne voulant point prodiguer les miracles : mais comme le démon persévérait plusieurs jours et dévoilait ses intentions en disant toujours : « Voilà les hommes du Dieu Très-Haut qui nous annoncent la voie du salut; il lui commanda de sortir. Paul, ayant peine à le souffrir, se tourna vers elle et dit à l'esprit : « Je te commande au nom de Jésus-Christ de sortir de cette fille, et il sortit à l'heure même (Ac 16,18). Mais les maîtres de cette fille, « voyant qu'ils avaient perdu l'espérance de leur gain, se saisirent de Paul et de Silas ; et les ayant emmenés dans la place devant ceux qui commandaient dans la ville (Ac 16,19), ils les présentèrent aux magistrats, en leur disant : Ces hommes troublent toute notre ville, car ce sont des Juifs (Ac 16,20) qui veulent établir une manière de vivre qu'il ne nous est point permis de recevoir ni de suivre, à nous qui sommes Romains (Ac 16,21) ». Ainsi l'argent cause du mal partout. O cruauté des païens ! Ils voulaient que cette servante restât possédée, afin de leur rapporter de l'argent. « Ils se saisirent de Paul et de Silas, et ils disaient: Ces hommes troublent toute notre ville ». Que faisaient-ils pour cela ? Pourquoi ne pas les avoir arrêtés plus tôt? « Car ce sont des Juifs », tant ce nom avait une mauvaise réputation. « Ils veulent établir une manière de vivre qu'il ne nous est point permis de recevoir ni de suivre, à nous qui sommes Romains ». Ils en font un crime de lèse-majesté. « La foule se jeta sur eux (Ac 16,22). » O folie ! Ils n'examinent point, ils ne réfléchissent pas; tandis qu'après un pareil miracle, on aurait dû se prosterner devant les apôtres et les regarder comme des bienfaiteurs et des sauveurs. Si vous voulez des richesses, pourquoi ne pas vous empresser de recueillir ces immenses trésors? N'est-il pas plus beau de pouvoir chasser les démons que de leur obéir? Voilà des miracles, mais l'amour de l'argent l'emporta.

« Les magistrats firent déchirer leurs habits et commandèrent qu'ils fussent battus de verges; et, après qu'on leur en eut donné plusieurs coups, ils les mirent en prison et ordonnèrent au geôlier de les garder sûrement (Ac 16,23) ». Ainsi, c'était Paul qui avait tout fait, les miracles et la prédication; cependant Silas partagea ses dangers. Pourquoi dit-on que Paul « eut peine à souffrir ces paroles? » C'est à cause de la malice du démon, dont il dit ailleurs : « Nous n'ignorons point ses pensées. » (2Co 2,11) Pourquoi les habitants ne disent-ils pas : Ils ont chassé un démon, ils ont été impies envers Dieu? Pourquoi font-ils de cela un crime de lèse-majesté? c'est qu'autrement ils se seraient avoués vaincus. C'est ainsi que l'on disait à propos du Christ: « Nous n'avons d'autre roi que César ». (Jn 19,15) « Quiconque se prétend roi est l'ennemi de César. (Jn 19,12) Ici ils les mirent en prison », tant était grande leur fureur. « Le geôlier ayant reçu cet ordre, les mit dans un cachot et leur serra les pieds dans des ceps (Ac 16,24) ». Observez qu'il les met dans un cachot, et cela est encore providentiel. Comme il allait se produire un grand miracle, tout se passa en dehors de la ville, dans l'endroit le plus convenable, et à l'abri de toute tentative et de tout danger. Remarquez combien l'historien s'attache à tout indiquer. Comme on était dans le calme, on faisait d'autant plus d'attention à ce qui se disait, car Philippes n'était pas une grande cité. Nous-mêmes, apprenons par là à ne rougir de personne. Pierre demeure chez un corroyeur, Paul chez une marchande de pourpre; est-ce là de l'orgueil ? Prions donc Dieu pour qu'il ouvre notre coeur : du reste, Dieu ouvre tous les coeurs qui s'y prêtent; mais on en voit qui s'y refusent. Mais revenons à ce qui précède. « C'était une femme marchande de (175) pourpre, à qui Dieu ouvrit le coeur pour qu'elle fût attentive aux paroles de Paul ». Ouvrir le coeur regardait Dieu, l'attention dépendait de cette femme; ainsi, c'était une oeuvre à la fois divine et humaine. « Après avoir été baptisée, elle pria en disant : Si vous m'avez jugée ». Vous le voyez, elle est baptisée et elle reçoit les apôtres en leur faisant cette supplication, plus instante que celle d'Abraham. Elle ne donne pas d'autre gage que celui de son salut. Elle ne dit pas : si vous m'avez jugée une femme d'une condition supérieure et pieuse, mais quoi? « Fidèle au Seigneur ». Je le serai de même pour vous, si vous n'hésitez pas à me suivre. Elle ne dit point : chez moi; mais : « Restez dans ma maison », pour montrer qu'elle agissait ainsi de tout son coeur, tant sa foi était grande !

Mais, dites-moi, quel était ce démon? C'était le dieu Pythien; on l'appelle ainsi parce qu'on était en Grèce. Vous voyez donc qu'Apollon était un démon; il cherchait à tenter les apôtres pour les exciter au mal : voilà pourquoi il faisait parler la servante.

3502 2. O monstre de perversité ! puisque tu sais qu'ils annoncent la voie du salut, pourquoi ne sors-tu pas de toi-même? Ce que voulait Simon, quand il disait : « Accordez-moi que celui à qui j'imposerai les mains reçoive le Saint-Esprit » (Ac 8,19) ; le démon le fait également ici : comme il voyait que l'on accueillait les apôtres, il dissimule, espérant qu'ils le laisseront dans ce corps s'il les célèbre lui-même. Mais si, quand il s'agit d'un homme, « la louange n'est pas. agréable dans la bouche d'un pécheur » (Qo 15,9), elle l'est encore bien moins de la part du démon. Si le Christ n'a pas besoin d'un témoignage humain, pas même de celui de Jean, il réclame encore moins celui du démon. La prédication ne vient pas des hommes, mais du Saint-Esprit. Plusieurs habitants poussaient des clameurs insolentes, espérant troubler les apôtres par leurs cris, et disaient : « Ce sont des hommes qui troublent notre ville ». Que dites-vous? N'êtes-vous pas esclaves du démon? pourquoi ne l'écoutez-vous plus maintenant? Il dit lui-même que « ce sont là les serviteurs du Dieu Très-Haut » ; et vous dites : «Ils troublent notre ville ». Le démon dit «Ils annoncent la route du salut », et vous dites : « Ils nous enseignent une manière de vivre que nous ne devons pas suivre ». Vous voyez qu'ils n'écoutent même plus le démon et qu'ils ne songent qu'à une chose: l'amour de l'argent. « Ils les menèrent dans la place, devant ceux qui commandaient la ville, et le « peuple se jeta sur eux ». Observez que les apôtres ne répondent rien et ne se défendent pas: ce qui les rend encore plus admirables. Car il est écrit : « Quand je suis faible, c'est alors que je suis puissant: ma grâce te suffit, car ma force se montre tout entière dans la faiblesse ». (2Co 12,10 2Co 12,9) Ainsi leur douceur leur méritait une nouvelle admiration. Plus leur prison était étroite, plus le miracle fut éclatant. Sans doute les magistrats voulaient éviter une sédition. Pour contenter là foule furieuse, ils firent immédiatement frapper les apôtres; s'ils les firent mettre en prison et garder soigneusement, c'était pour les juger ensuite. « On leur serra les pieds « avec des ceps », qui remplaçaient les cordes. Que de larmes ne devons-nous pas verser sur ce qui se passe aujourd'hui ! Voilà ce qu'ils souffraient patiemment, tandis que nous vivons dans le luxe et au milieu des fêtes, et dans les théâtres. Aussi arrivons-nous à notre ruine et à notre perte, tout en cherchant partout le plaisir, lorsque nous craignons d'être insultés pour le Christ ou même de défendre sa cause. Rappelons-nous souvent, je vous en conjure, leurs souffrances et leur constance, leur calme et leur courage. Voilà ce qu'ils supportaient pour accomplir l'oeuvre de Dieu. Ils ne disaient pas : Pourquoi Dieu ne nous secourt-il pas quand nous annonçons sa parole ? Mais ces épreuves même leur étaient utiles, et, même quand ils n'étaient pas secourus, ils en sortaient plus fermes, plus forts et plus audacieux. « La tribulation donne la patience ». (Rm 5,4)

Ne recherchons donc pas une vie molle et dissolue. Nous venons de voir que les apôtres recueillaient un double avantage, parce qu'ils se fortifiaient et que leur récompense en devenait plus grande; de même, une manière de vivre opposée a un double inconvénient, parce qu'elle amollit sans cesse et parce qu'elle ne promet aucune récompense, mais plutôt une punition. Rien de plus inutile que l'homme qui passe tout son temps dans le luxe et la dissolution. Celui qui n'a pas été éprouvé est réprouvé, non-seulement pour les luttes spirituelles, mais pour toutes les autres. La paresse n'est bonne à rien, et l'amour du plaisir ne (176) réussit même pas à le procurer, car il n'en résulte que le dégoût. Il n'y a pas tant d'agréments dans la gourmandise et la volupté; tout cela passe et disparaît. Gardons-nous de les rechercher. Si nous examinons quel est le plus heureux, de l'homme qui travaille et se fatigue, ou de celui qui vit dans le luxe et l'oisiveté, nous trouverons que c'est encore le premier. Le second a un corps énervé et lymphatique, ses sens eux-mêmes, loin d'être sains et intacts, restent languissants et émoussés; dans un pareil état, on n'a même pas le plaisir de la santé. Lequel faut-il préférer pour un cheval? L'oisiveté ou l'exercice? Pour un navire? de pourrir au port, ou de voguer dans la mer ? Pour l'eau ? de rester stagnante ou de s'écouler? Pour le fer? le repos ou le mouvement? Ne voit-on pas que d'une façon il brille et ressemble à l'argent, tandis que de l'autre il est rongé par la rouille, hors d'usage et perd quelque chose de sa substance? Voilà ce qui arrive à une âme oisive, la rouille l'envahit et lui ôte son éclat ainsi que toutes ses autres qualités. Par quel procédé peut-on enlever cette rouille? En l'aiguisant au moyen des fatigues; ce sont elles qui rendent à l'âme sa puissance et son activité. Comment, dites-moi, si elle restait émoussée, inerte comme du plomb, pourrait-elle arracher les vices et blesser le démon? A qui peut plaire l'homme qui nourrit son obésité et se fait traîner comme un phoque?

3503 3. Je ne vous parle pas de ceux dont c'est la conformation naturelle, mais de ceux qui se sont rendus tels que je le dis par leur gourmandise, tandis que la nature les avait destinés à être dispos. Le soleil s'est levé, il a répandu partout ses rayons éclatants, il a éveillé chaque homme pour l'envoyer à ses travaux; le laboureur a saisi son hoyau, le forgeron son marteau, tous les ouvriers manient les instruments de leur profession ; la femme a repris sa quenouille ou sa toile; mais le paresseux, bien avant dans la matinée, se lève comme un porc pour remplir son ventre, et ne songe qu'à bien dîner. Car, même parmi les animaux, les seuls qui ne se réveillent qu'après le jour et pour se repaître, sont ceux qui ne sont bons qu'à être mangés eux-mêmes; tandis que les bêtes de somme et celles qui rendent quelque service, ont aussi leur travail, même la nuit. Il sort de table quand le soleil éclaire déjà toute la place, et il se lève en se détirant comme un porc engraissé, après avoir passé la meilleure partie du jour dans l'ombre. Il reste longtemps assis, accablé sous le poids de l'ivresse; c'est là sa principale occupation. Puis il se fait parer et va promener sa honte, n'ayant plus rien de l'homme et ne montrant qu'une brute sous forme humaine. Ses yeux sont chassieux, sa bouche sent le vin, sa pauvre âme semble elle-même abattue par une indigestion, il traîne une masse de chair comme un éléphant. Puis il s'assied près d'autres personnes, mais sa conversation et ses actions sont telles qu'il vaudrait mieux pour lui dormir qu'être éveillé. Une mauvaise nouvelle le trouve plus faible qu'une jeune fille; une bonne, plus vain qu'un enfant; il bâille à chaque instant. Il a tout à craindre de toutes les attaques, sinon de la part des hommes, au moins de celle des passions; un pareil homme est facilement entraîné par la colère, la volupté, la jalousie, par tout enfin. Chacun le flatte, le caresse, amollit encore son âme; aussi son état devient-il pire de jour en jour. S'il se présente une difficulté d'affaires, il n'est plus que cendre et que poussière, et ses habits de soie ne lui servent à rien. Ce n'est pas sans raison que nous vous parlons ainsi, mais pour vous empêcher de vivre oisifs et inutiles. L'oisiveté et les plaisirs sont inutiles dans toutes professions et ne servent qu'à la vanité et à la mollesse. Comment un pareil homme ne serait-il point condamné par tout le monde, domestiques, amis et parents? Qui est-ce qui n'a pas le droit de dire : C'est un fardeau de la terre, c'est un être inutile au monde? Non-seulement il est inutile, mais il se fait tort à lui-même, il fait son malheur et celui des autres. On se demande ce qu'il y a de plus doux que le repos? Voilà à quoi aboutit ce que l'on cherche tant, l'inaction et l'oisiveté. Qu'y a-t-il de plus déplaisant qu'un homme qui n'a rien à faire, de plus gênant, de plus malheureux? Ne vaudrait-il pas mieux être chargé de chaînes, que de s'asseoir dans la place pour bâiller et regarder les passants ? L'âme est destinée par sa nature à une activité continuelle; elle ne souffre pas le repos. Dieu a fait tout être vivant pour agir; sa nature particulière détermine son genre d'action, mais sa nature générale lui interdit le repos. Ne prenons pas exemple sur les malades, mais consultons l'expérience. Rien de plus pénible que la nonchalance, que l'inaction; aussi Dieu nous (177) a imposé la nécessité du travail. Le repos prolongé nuit à tout ce qui existe et à notre corps lui-même. Si l'oeil est inactif, de même que la bouche, l'estomac ou toute -autre partie du corps, celui-ci est bientôt réduit à l'extrémité, mais cela est surtout vrai pour l'âme. Du reste, ce n'est pas seulement l'oisiveté qui est nuisible, mais aussi toute occupation mal choisie. Les dents souffrent si elles ne broyent rien, mais elles s'émoussent si elles cherchent à broyer ce qui est trop dur. De même l'âme s'affaiblit, soit qu'elle reste inactive, soit qu'elle se livre à des occupations qui ne lui conviennent pas. Nous devons donc fuir ces deux écueils : l'oisiveté et les actions plus nuisibles que l'oisiveté. Quelles sont-elles ? Celles qui inspirent l'avarice; la colère, la calomnie, les disputes, le meurtre, la jalousie et tous les autres vices. Voilà ce que nous ne devons pas faire, tandis que nous devons rechercher de toute notre force les actions inspirées par les vertus, afin d'obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 36 VERS MINUIT, PAUL ET SILAS S'ÉTANT MIS EN PRIÈRE, CHANTAIENT A LA LOUANGE DE DIEU, (CHAP. 16,VERS. 25, 26, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

ET LES PRISONNIERS LES ENTENDAIENT. — TOUT A COUP IL SE FIT UN SI GRAND TREMBLEMENT DE TERRE, QUE LES FONDEMENTS DE LA PRISON EN FURENT ÉBRANLÉS; TOUTES LES PORTES S'OUVRIRENT EN MÊME TEMPS, ET LES LIENS DE TOUS LES PRISONNIERS FURENT ROMPUS.

3600 Ac 16,25-40

ANALYSE. 1 et 2. Paul et Silas sont délivrés de leur prison par un tremblement de terre. — Le geôlier de la prison se convertit.
3. Qu'il faut prier la nuit: — Ce que c'est que prier en vérité.

3601 1. Que peut-on trouver d'égal à leurs âmes? Battus de verges, ils étaient couverts de blessures, ils avaient subi mille injures, encouru les plus grands dangers, ils étaient attachés au fond d'un cachot; or, même dans cet état, ils ne songeaient pas au sommeil ; ils veillaient, au contraire. Voyez tout l'avantage des tribulations ! tandis que nous autres, couchés dans des lits moelleux, à l'abri de tout danger, nous dormons toute la nuit. Peut-être leur position même les excitait-elle à veiller. Ils ne cédèrent point à la tyrannie du sommeil, à l'accablement de la douleur, à l'abattement de la crainte ; tout cela, au contraire, les animait et les réjouissait. « Vers minuit, ils priaient et chantaient les louanges de Dieu ; les prisonniers les entendaient ». C'était pour eux une chose nouvelle et étonnante. « Tout à coup il se fit un si grand tremblement de terre, que les fondements de la prison en furent ébranlés; toutes les portes s'ouvrirent en même temps et les liens de tous les prisonniers furent rompus ». La terre trembla afin que le geôlier fût éveillé, et les portes s'ouvrirent pour rendre le miracle plus frappant, mais les autres prisonniers ne s'en aperçurent pas, car (178) ils se seraient tous enfuis. « Le geôlier s'étant éveillé et voyant toutes les portes de la prison ouvertes, tira son épée et voulut se tuer, s'imaginant que les prisonniers s'étaient sauvés (Ac 16,27). Mais Paul lui cria à haute voix: Ne «vous faites pas de mal, car nous sommes tous ici (Ac 16,28) ». Il admira encore plus la bonté de Paul: il s'étonna de voir un homme qui, pouvant fuir, ne l'avait pas fait, et qui le détournait de se tuer lui-même. « Alors le geôlier ayant demandé de la lumière, entra et se jeta en tremblant aux pieds de Paul et de Silas (Ac 16,29), et les ayant fait sortir, il leur dit : « Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé (Ac 16,30) ? » Voyez jusqu'où allait son admiration ! « Ils lui répondirent: Croyez à Notre Seigneur Jésus-Christ et vous serez sauvé, vous et votre famille (Ac 16,31). Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu'à tous ceux qui étaient dans sa maison (Ac 16,32) ». En se hâtant de parler ainsi à leur geôlier, ils montraient toute leur bonté pour lui. « A cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et aussitôt il fut baptisé avec toute sa famille (Ac 16,33). Puis les ayant menés dans son logement, il leur servit à manger; et il se réjouit avec toute sa maison de ce qu'il avait cru en Dieu (Ac 16,34) ». Il les soigna ainsi comme pour les remercier et leur rendre hommage. « Le jour étant venu, les magistrats lui envoyèrent dire par des huissiers qu'il laissât aller ces prisonniers (Ac 16,35) ». Les magistrats avaient sans doute appris ce qui s'était passé, mais ils n'osaient pas les mettre ouvertement en liberté. « Aussitôt le geôlier vint dire à Paul : Les magistrats ont mandé qu'on vous élargit; sortez donc maintenant et allez en paix (Ac 16,36). Mais Paul dit aux huissiers : Après nous avoir publiquement battus de verges, sans connaissance de cause, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont mis en prison, et maintenant ils nous font sortir en secret. Il n'en sera pas ainsi, mais qu'ils viennent eux-mêmes nous en tirer (Ac 16,37). Les huissiers rapportèrent ces paroles aux magistrats qui eurent peur, ayant appris qu'ils étaient citoyens romains (Ac 16,38). Ils vinrent donc leur faire des excuses, et, les ayant mis hors de la prison, ils les supplièrent de se retirer de la ville (Ac 16,39). Et eux, au sortir de la prison, ils allèrent chez Lydie, et ayant vu les frères, ils les consolèrent et partirent (Ac 16,40) ». Paul ne part point aussitôt après l'ordre des magistrats, peut-être à cause de Lydie et des autres frères, ou bien pour intimider les magistrats en évitant de s'éloigner avec trop de résignation, et aussi pour encourager les fidèles. Ils avaient donc, mes bien-aimés, trois griefs contre les magistrats: ils étaient citoyens romains, non condamnés, et on les avait jetés publiquement en prison. Ainsi les apôtres ne négligent point toutes ces considérations humaines.

Comparons cette nuit à celles que nous passons au milieu des festins, de l'ivresse, de la débauche; celles où notre sommeil est aussi pesant que la mort, ou bien nos veilles plus pénibles que ce sommeil même. Les uns, en effet, quand ils dorment, sont privés de tout sentiment : les autres ne veillent que pour leur perte et leur malheur, à préparer des intrigues, à gagner de l'argent, à combiner des vengeances, à méditer des méchancetés, à repasser les injures qu'ils ont dites ou entendues dans la journée; c'est ainsi qu'ils rallument leur colère et s'excitent à tous les crimes. Voyez comme Pierre dormait : la Providence l'avait voulu; en effet, quand l'ange se présenta, personne ne devait voir ce qui se passait. La délivrance de Paul fut encore disposée pour éviter que le geôlier se tuât lui-même. Pourquoi n'y eut-il pas d'autre miracle? Parce que cela suffisait pour entraîner et convaincre cet homme qui aurait été dans un grand danger, si Paul avait été délivré autrement; car un miracle nous touche moins que ce qui peut nous sauver : ce qui suivit servait à prouver que le tremblement de terre n'était pas un phénomène ordinaire. Il eut lieu la nuit, parce que rien ne se faisait pour l'ostentation, mais tout pour le salut des hommes. Cet homme n'était pas méchant; il avait mis les apôtres au cachot parce qu'il en avait reçu l'ordre, mais non de son propre mouvement. Pourquoi Paul n'éleva-t-il pas la voix tout d'abord ? Cet homme était plein de trouble et d'émotion et ne l'aurait pas écouté. Aussi quand il le voit prêt à se tuer, il l'arrête et lui crie : « Nous sommes tous là ! » Alors le geôlier, « ayant demandé de la lumière, entra et se prosterna devant Paul et Silas ». Le geôlier tombe aux pieds de ses prisonniers. « Il les fait sortir et leur dit : Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé? » En effet, de quoi parlaient les apôtres? Observez aussi que le geôlier ne les aime pas seulement parce (179) qu'ils l'ont sauvé, mais parce qu'il admire leur puissance.

3602 2. Voyez ce qui se passe de part et d'autre. D'un côté, voilà une servante débarrassée du mauvais esprit, et les magistrats mettent en prison ceux qui l'ont ainsi délivrée du démon: de l'autre côté, au seul aspect des portes ouvertes, le geôlier ouvre les portes de son coeur, le dégage de tous ses liens et allume sa lumière; car cette lumière brillait dans son coeur. Il s'élance et se prosterne, sans demander: Comment cela s'est-il fait? qu'est-il arrivé? Il dit aussitôt : « Que dois-je faire pour être sauvé? Là-dessus, que dit Paul? Croyez à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vous serez sauvé, vous et votre maison ». Ce que les hommes désirent le plus, c'est que toute leur famille soit sauvée. « Ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu'à tous ceux qui étaient dans sa maison ». Il lava les plaies de leurs corps, et, eux, celles de son âme; il donna la nourriture temporelle et reçut la nourriture spirituelle. « Et il se réjouit ». Cependant tout se réduisait à des paroles et à de grandes espérances ; mais c'était une preuve qu'il avait la foi et que tout lui était remis. Qu'y a-t-il de pire, de plus cruel, de plus sauvage qu'un geôlier? Cependant il les accueillit avec beaucoup de respect : il ne se réjouit pas d'avoir été préservé de la mort, mais « d'avoir cru en Dieu. Croyez au Seigneur », lui dit Paul; aussi est-il écrit : « Il crut à Dieu », pour montrer que ce n'était pas le pardon d'un coupable et d'un pécheur. Aussi les apôtres disent-ils : « Ils nous ont battus, sans condamnation préalable, et nous ont jetés en prison », pour montrer qu'ils avaient agi en même temps que la grâce. Voyez comme cette grâce se manifeste de différentes manières, pour la délivrance de Pierre, puis de Paul, qui tous deux étaient apôtres.

Les magistrats « furent effrayés » : pourquoi? Par la qualité de citoyens romains, mais non par l'injustice de la condamnation. «Ils les supplièrent de sortir de la ville ». Ils leur demandaient cela comme une grâce ; mais ceux-ci ne partirent qu'après avoir visité Lydie et l'avoir encouragée : en effet, ils ne pouvaient laisser cette femme hospitalière dans l'angoisse et l'affliction. Ils partirent donc, non pour obéir aux magistrats, mais pour déployer leur zèle apostolique; cette ville ayant été suffisamment instruite par le miracle, il ne fallait pas y rester plus longtemps. Car un miracle semble avoir plus d'éclat et faire plus de bruit quand ceux qui l'ont fait ne sont plus là : en effet, 1a foi du geôlier le proclamait assez haut : que peut-on voir de plus étonnant? Voilà un homme que l'on charge de chaînes, et c'est lui qui délie les autres; il brise une double chaîne et sacrifie sa liberté pour la rendre à celui qui la lui avait enlevée. Voilà vraiment les oeuvres de la grâce. « Sortez », leur dit-on, « allez en paix »; c'est-à-dire, en sécurité et sans rien craindre. Ils veulent aussi que le geôlier soit hors de tout danger, et n'encoure aucune responsabilité. Ils ne disent point : On nous a battus et jetés en prison après les miracles que nous avons faits; personne ne s'en serait inquiété. Ils disent ce qui pourrait le plus frapper les esprits: «Nous n'étions pas condamnés et nous sommes citoyens romains». Songeons toujours à une pareille captivité, plutôt encore qu'au miracle. Que diront les gentils, en voyant le prisonnier convertir le geôlier? Il ne s'agissait, répondront-ils, que d'un homme méprisable, misérable et privé de sens, sujet à tous les vices et à toutes les erreurs. Ils diront encore: Qu'importe de convertir un corroyeur, une marchande de pourpre, un eunuque, un geôlier, des esclaves et des femmes? Mais que pourront-ils répliquer, quand nous leur citerons des personnages bien plus élevés, un centurion, un proconsul et bien d'autres depuis ce temps-là jusqu'à nos jours, des rois et des empereurs. Eh bien ! je vais vous dire quelque chose d'étrange : nous allons considérer les moins importants. Qu'y a-t-il d'étonnant à cela? Cela est étonnant en effet : il n'y aurait rien d'extraordinaire s'il s'agissait de faire comprendre la première chose venue; mais quand il s'agit de la résurrection, du royaume des cieux, de la conduite de la vie, il est plus étonnant d'en faire acquérir l'intelligence et la conviction à des gens simples qu'à des personnes instruites. En l'absence de tout danger, si l'on enseigne une science, on distingue naturellement les élèves sans intelligence. Mais si vous dites à un de ces hommes que vous appelez esclaves : Si tu m'écoutes, tu t'exposes à tous les dangers, tout le monde te sera hostile, il te faudra mourir après avoir subi mille maux. Avec tout cela, si vous persuadez son âme, on ne pourra plus dire que c'est par faute d'intelligence. On pourrait le (180) prétendre si ces dogmes promettaient le plaisir; mais si l'esclave embrasse une doctrine à laquelle ne peuvent s'élever les philosophes, voilà ce qui est le plus étonnant.

Parlons, si vous le voulez, de ce corroyeur, et voyons ce que Pierre lui dit, ou bien revenons à ce geôlier. Que lui dit Paul? Il lui parle de la résurrection du Christ, de la résurrection des morts et du royaume des cieux; aussitôt il le convertit sans peine. Eh quoi ! il n'a pas besoin de lui dire qu'il faut vivre sagement, ne pas être avare ni cruel, et même donner ses biens à d'autres? Cependant le voilà convaincu de ces vérités qui n'appartiennent pas aux esprits faibles, mais aux grandes âmes. Supposons que sa simplicité même lui eût fait accepter les dogmes ; qu'est-ce donc que cette simplicité qui lui fait accepter la vie parfaite? Plus il y a de simplicité chez un homme converti à des principes que même les philosophes n'ont pu persuader aux philosophes, plus le miracle est extraordinaire, surtout quand les esclaves et les femmes se convertissent et déploient des vertus que Platon et aucun autre philosophe n'ont pu inspirer à personne. Que dis-je, à personne? pas à eux-mêmes. Si l'on s'en rapporte à Platon, il ne faut pas mépriser les richesses, puisqu'il possédait tant de biens de toute espèce, des anneaux d'or et des vases précieux. Quant à l'approbation publique, Socrate, qui a si bien parlé là-dessus, nous a fait voir qu'il ne la méprisait pas, puisqu'il a tout fait pour la gloire. Si vous connaissiez ses discours, je pourrais vous en parler longuement et vous montrer qu'il y prodigue l'ironie, du moins s'il faut s'en rapporter à ses disciples : tout ce qu'ils ont écrit d'après lui, semble avoir pour fondement un vain amour de la gloire.

3603 3. Mais laissons les philosophes de côté et revenons sur nous-mêmes. A ce qui précède, il faut encore ajouter les dangers qui menaçaient les nouveaux fidèles; nous ne devons donc point rougir de leur condition. Mais songeons à cette nuit que passèrent les apôtres, au bois qui leur servait d'entraves, à leurs chants religieux; cherchons nous-mêmes à les imiter, et nous verrons s'ouvrir pour nous, non pas une prison, mais le ciel. Oui, nos prières peuvent ouvrir le ciel lui-même. Par ses prières, Elie a fermé le ciel et l'a ouvert. L'autre vie a aussi une prison : « Ce que vous aurez lié sur terre, sera lié aussi dans le ciel ». (Mt 16,19) Prions pendant la nuit, et nous romprons ces chaînes. Comme preuve que les prières effacent les péchés, nous avons l'exemple de la veuve et celle de cet ami qui, à une heure indue de la nuit, ne cesse pas de frapper. Nous pouvons encore citer Corneille : « Tes prières et tes aumônes sont montées en présence de Dieu ». (Ac 10,4) Enfin, croyons-le, d'après ce que dit Paul : « La veuve qui est vraiment veuve et solitaire, espère en Dieu et persévère jour et nuit dans ses prières ». (1Tm 5,5) S'il le dit pour une veuve, une faible femme, cela est encore plus vrai pour les hommes.

Je vous l'ai déjà dit, et je le répète. Sans même dire beaucoup de prières, veillons assez pour en dire une seule avec attention : cela suffit, je n'en demande pas davantage. Si ce n'est pas au milieu de la nuit, que ce soit du moins le matin. Montrez par là que la nuit n'est pas faite seulement pour le corps, mais pour l'âme : ne souffrez point qu'elle s'écoule sans profit et rendez grâces à Dieu; ces grâces retombent sur vous. Dites-moi, si nous sommes préoccupés d'une affaire importante, n'allons-nous pas solliciter tout le monde? Puis, si-nous obtenons promptement ce qu'il nous faut, nous respirons. Eh bien ! ne voudriez-vous pas avoir à solliciter quelqu'un qui fût disposé à vous savoir gré de vos sollicitations? Ne voudriez-vous pas être dispensé de chercher à qui vous adresser, mais trouver un protecteur tout prêt, et ne pas avoir besoin d'intermédiaire pour vos demandes? N'est-ce pas ce qu'il y a de plus avantageux? Il agit pour nous, d'autant plus que nous n'avons pas besoin d'autres appuis : semblable à un ami sincère, il nous reproche surtout de ne pas avoir assez de confiance en lui et de ne le faire solliciter que par d'autres. C'est ainsi que nous sommes à l'égard de ceux qui nous demandent une faveur; nous la leur accordons plutôt quand ils se présentent eux-mêmes, que s'ils se font représenter par d'autres. Mais, direz-vous, si je l'ai offensé? Ne l'offensez plus et repentez-vous; venez ensuite, et c'est surtout alors que vous éprouverez sans retard toute sa bonté. Dites-lui seulement : Je vous ai offensé; dites-le du fond de l'âme et en toute sincérité, et tout vous sera remis. Vous n'avez pas autant de désir de vous faire pardonner vos péchés, qu'il n'en a de les pardonner. Pour comprendre que vous ne le désirez pas assez, songez (181) combien peu vous veillez et vous faites l'aumône ; lui, au contraire, afin de remettre nos péchés, n'a pas épargné son Fils unique, qui partage son trône. Voyez-vous qu'il désire le pardon des pécheurs encore plus qu'eux-mêmes? Hâtons-nous donc et ne remettons rien à demain. Il est bon et clément, donnons-lui seulement prise sur nous, afin de ne pas rester inutiles à nous-mêmes, car il nous pardonnerait encore sans cela. De même que dans mille circonstances nous confions nos intérêts à différentes personnes, nous pouvons nous reposer sur lui du soin de notre salut. « Présentons-nous devant lui en lui rendant hommage » (Ps 94,2), car il est bon et clément.

Cependant que fera-t-il si vous ne l'invoquez pas avec sincérité, si vous ne lui dites : Pardonnez-moi, que des lèvres et non du coeur? Qu'est-ce qu'invoquer avec sincérité ? c'est-à-dire, de toute son âme, avec un esprit pur : on dit d'un parfum qu'il est pur quand il n'est mêlé avec rien; il en est de même ici. Celui qui le prie et l'invoque sincèrement, persévère et ne s'arrête qu'après avoir été exaucé; mais celui qui se contente d'accomplir le précepte de la prière, ne l'invoque pas sincèrement. Qui que vous soyez, ne dites pas seulement : Je suis un pécheur; mais cherchez à perdre cette opinion de vous-même ; ne le dites pas seulement, mais affligez-vous-en. Si vous éprouvez cette souffrance, vous chercherez à en guérir; si vous n'y travaillez pas, c'est que vous ne souffrez point et qu'alors votre prière est une dérision. Celui qui dit : Je suis malade, ne fait-il pas tout pour guérir? La prière est une arme bien puissante. « Si vous savez donner à vos enfants ce qui leur convient, combien plus votre père ne vous le donnera-t-il pas ». (Lc 11,13) Pourquoi ne voulez-vous pas aller vers lui? Il vous aime, il est plus puissant que toute créature, il peut et il veut; qui vous arrête? Rien. Adressons-nous donc à lui avec confiance, allons le trouver en lui apportant les offrandes qu'il réclame, le pardon des injures, la bonté et la douceur. Tout pécheur que vous êtes, ne craignez pas de lui demander la rémission de vos péchés, pourvu que vous puissiez lui présenter cet hommage mais, fussiez-vous juste, cela ne vous sert à rien si vous ne savez oublier les offenses. Celui qui ne pardonne pas à son prochain, ne peut lui-même obtenir un pardon complet. Dieu est sans comparaison plus clément que nous; cela est clair pour tout le monde, n'est-il pas vrai ? Or, si vous pouvez lui dire : J'ai été offensé, et j'ai dompté ma colère ; j'ai été patient contre la violence, afin d'accomplir vos ordres; ne vous pardonnera-t-il pas lui-même? Certainement il vous remettra toutes vos fautes. Ainsi bannissons de nos âmes le souvenir des injures ; cela nous suffit pour être exaucés. Prions donc avec vigilance et persévérance, pour jouir avec abondance des fruits de la clémence divine et obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Actes 3405