Chrysostome sur Actes 3603

HOMÉLIE 37 ILS PASSÈRENT DE LA PAR AMPHIPOLIS, PAR APOLLONIE, ET VINRENT A THESSALONIQUE, (CHAP. 17, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 15.)

OÙ LES JUIFS AVAIENT UNE SYNAGOGUE. — PAUL Y ENTRA, SUIVANT SA COUTUME, ET IL LES ENTRETINT DES ÉCRITURES PENDANT TROIS JOURS DE SABBAT. — LEUR DÉCOUVRANT ET LEUR FAISANT VOIR QU'IL FALLAIT QUE LE CHRIST SOUFFRIT ET QU'IL RESSUSCITAT D'ENTRE LES MORTS : ET CE CHRIST, LEUR DISAIT-I50,EST JÉSUS QUE JE VOUS ANNONCE.
3700 Ac 17,1-15

ANALYSE. 1 et 2. Les Juifs persécutent les apôtres. — Saint Paul ne se lasse pas de vouloir les sauver.
3. Exhortation à la concorde. — Nous avons tous besoin les uns des autres. — Il est en notre pouvoir de mettre fin à la lutte pénible entre l'esprit et la chair. — Belle allégorie dans laquelle lame est représentée sous l'image d'une ville gouvernée par l'intelligence. — Ruses du démon.

3701 1. Ils ne font que passer par les petites villes et s'empressent d'arriver aux grandes, d'où leur parole pouvait se répandre aux environs comme en coulant d'une fontaine. Suivant son habitude, Paul entra dans la synagogue des Juifs qu'il n'abandonnait pas, quoiqu'il eût dit : « Nous nous tournons vers les gentils » (Ac 13,46) : au contraire, il montrait un nouveau zèle pour eux. Ecoutez ses paroles : « Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon coeur une grande affection pour le salut d'Israël et que je le demande à Dieu par mes prières » (Rm 10,4) ; et aussi : « J'eusse désiré être anathème et séparé du Christ pour mes frères ». (Rm 9,3) Il le faisait pour la promesse et la gloire de Dieu, et afin de ne pas scandaliser les gentils. « Il les entretint des Ecritures pendant trois jours de sabbat, leur découvrant et leur faisant voir qu'il fallait que le Christ souffrît et qu'il ressuscitât d'entre les morts, et que ce Christ était Jésus qu'il annonçait ». Voyez-vous qu'il commençait avant tout par prêcher la passion. Ainsi les apôtres n'en rougissaient pas et savaient combien une pareille prédication était salutaire. « Quelques-uns d'entre eux crurent et se joignirent à Paul et à Silas; comme aussi une grande multitude de grecs craignant Dieu et plusieurs femmes de qualité (Ac 17,4) ». L'auteur ne fait que résumer la prédication, car il est tellement ennemi des paroles inutiles que rarement il rapporte les discours en entier. « Mais des fanatiques parmi les Juifs incrédules, prirent avec eux quelques méchants hommes de la lie du peuple ; et ayant excité un tumulte, ils troublèrent toute la ville et vinrent en foule à la maison de Jason, voulant enlever Paul et Silas et les mener devant le peuple (5). Mais, ne les ayant pas trouvés, ils traînèrent Jason et quelques-uns des frères devant les magistrats de la ville, en criant: il y a des gens qui sont venus ici pour troubler la ville (Ac 17,6) ! Jason les a reçus; ils sont tous rebelles aux ordonnances de César en proclamant un autre roi, Jésus (7) ». Quelle accusation! Ils les présentent encore comme coupables de lèse-majesté, en prétendant qu'ils disent « qu'il y a un autre roi, Jésus. Ils émurent donc la populace et les magistrats de la ville qui les écoutaient (8). Mais Jason et les antres ayant donné caution, les magistrats les laissèrent aller (Ac 17,9) ». Ce Jason était un homme admirable, puisqu'il s'exposait au danger pour en délivrer les apôtres. «Dès la nuit même, les frères conduisirent hors de la ville Paul et Silas, pour aller à Bérée, où étant arrivés ils entrèrent dans la synagogue des Juifs (10), (183) : «Ceux-ci étaient plus nobles que ceux de Thessalonique; ils reçurent la parole avec beaucoup d'affection et d'ardeur, examinant tous les jours les Ecritures, pour voir si ce « qu'on leur disait était véritable (11) ». Ils étaient « plus nobles », c'est-à-dire meilleurs vous voyez qu'ils lisaient les Ecritures, non pas négligemment, mais avec soin; et l'expression du texte montre combien ils les scrutaient. Ils voulaient se convaincre encore mieux par eux-mêmes de la passion, car ils étaient déjà dans le chemin de la foi. « De sorte que plusieurs d'entre eux, et beaucoup de femmes grecques de qualité et un assez grand nombre d'hommes, crurent en Jésus-Christ (Ac 17,12). Mais quand les Juifs de Thessalonique surent que Paul avait aussi annoncé la parole de Dieu à Bérée, ils y vinrent émouvoir et troubler le peuple (13). Aussitôt les frères se hâtèrent de faire sortir Paul pour aller vers la mer; et Silas avec Timothée demeurèrent à Bérée (14) ». Vous voyez que tantôt il cède, tantôt il résiste; enfin, qu'il agit souvent par prudence humaine. « Mais ceux qui conduisaient Paul le menèrent jusqu'à Athènes, où ils le quittèrent après avoir reçu ordre de lui, de dire à Silas et à Timothée qu'ils vinssent le trouver au plus tôt (Ac 17,15) ».

Mais revenons à ce qui précède. « Pendant trois jours de sabbat, il leur parlait en leur découvrant les Ecritures ». Rien de mieux, tant qu'ils pouvaient le faire. C'est ainsi qu'agissait le Christ; partout il expliquait les Ecritures, mais il ne faisait pas des miracles partout. Comme on était aussi opposé à Paul et qu'on l'appelait imposteur et sorcier, il parle des Ecritures. Car celui qui cherche à persuader, seulement avec des prodiges, est suspect avec raison; celui qui persuade d'après les Ecritures évite de pareils soupçons. Nous voyons que Paul convertit souvent par sa seule prédication : ainsi, quand il enseignait à Antioche, toute la ville se rassembla autour de lui; voilà un fait bien important, c'était un miracle qui n'était pas vulgaire, et un des plus grands possibles. Mais ici, pour que les apôtres ne crussent pas qu'ils pouvaient, Dieu permettait qu'ils fussent chassés. Il en résultait deux conséquences : c'était de les empêcher d'être fiers comme des vainqueurs ou tremblants comme des criminels; aussi, leur vocation était-elle providentielle. « Beaucoup de personnes pieuses parmi les gentils, un grand nombre de femmes de qualité et d'hommes furent convertis ». Mais les Juifs leur étaient toujours contraires. Comment celui qui a dit: « Nous sommes envoyés aux gentils, et d'autres aux circoncis (Ga 11,9) », discutait-il avec les Juifs? Il le faisait, pour ainsi dire, par-dessus le marché. Mais, s'il devait parler aux Juifs, comment disait-il encore? « Celui qui a agi avec Pierre auprès des circoncis, a agi avec moi auprès des gentils ». (Ga 8) De même que les autres apôtres, quoique réservés pour les circoncis, parlaient aussi aux gentils, de même Paul, quoiqu'il parlât plus souvent aux gentils, ne négligeait pas les Juifs, afin de ne pas faire paraître de divisions.

3702 2. Mais pourquoi, direz-vous, commençait-il par entrer dans les synagogues? C'est qu'il convertissait les gentils au moyen des Juifs et par ce qu'il disait aux Juifs : il savait, en effet, que c'était une bonne méthode pour amener les gentils à la foi. Aussi disait-il : « Je reste l'apôtre des gentils ». (Rm 11,13) Toutes ses lettres montrent qu'il lutte contre les Juifs. « Il fallait », dit-il, « que le Christ souffrît ». Si cela était nécessaire, il fallait aussi qu'il ressuscitât, car la souffrance était bien plus étonnante que la résurrection. En effet, si Dieu a livré à la mort Celui qui n'avait rien fait de mal, à plus forte raison il a dû ressusciter. «Mais des Juifs incrédules prirent avec eux quelques hommes de la lie du peuple et troublèrent la ville ». Il y avait donc des gentils dans ce rassemblement ; et si les Juifs en prirent plusieurs, c'est qu'ils ne se croyaient pas assez nombreux pour faire une émeute et qu'ils n'avaient pas de motif raisonnable pour cela. C'est ce qui arrive toujours dans les séditions où l'on se sert des hommes les plus pervers. « Comme ils ne trouvaient pas les apôtres, ils emmenèrent Jason ». Quelle tyrannie ! On arrachait sans raison les gens de leur domicile. « lis sont a tous rebelles aux ordonnancés de César, en « proclamant Jésus comme un autre roi ». Comme les apôtres ne disaient. rien de contraire à ces ordonnances et ne troublaient pas la ville, ils leur imputent un autre crime et les accusent de lèse-majesté. Que craignez-vous de Jésus puisqu'il est mort? Voyez comme partout les persécutions développent la prédication. « Ceux-ci étaient plus nobles que ceux (184) de Thessalonique », c'est-à-dire, ils ne faisaient aucun mal : les uns se convertissent, les autres, au contraire, ne songent qu'à troubler les apôtres. Beaucoup furent convertis parmi les gentils et leurs femmes : voilà encore les progrès de la foi chez les gentils.

Considérez en même temps que si les apôtres ont fui, c'était l'effet de la Providence et non. celui de la crainte; autrement, ils eussent cessé leur prédication, de peur d'irriter encore les esprits. Mais qu'arrivait-il? la fureur de leurs ennemis s'apaisait, et cependant leur prédication s'étendait. Aussi, dit-on avec raison, à propos de cette émeute, que les Juifs sont venus exciter la foule; ce qui montre bien l'excès de leur fureur. « Aussitôt, les frères se hâtèrent de faire sortir Paul pour aller vers la mer ». Ils n'emmènent que Paul, craignant qu'il n'arrivât quelque malheur à l'homme qui dirigeait tout. Ainsi, la grâce n'opérait pas seule; elle laissait aux hommes leur action, les excitait, les réveillait et n'écartait pas d'eux les inquiétudes. Vous voyez qu'elle a protégé les apôtres jusqu'à la ville de Philippes; ici il n'en est plus de même. « Ils quittèrent Paul après en avoir reçu l'ordre de dire à Silas et à Timothée qu'ils vinssent le rejoindre au plus tôt ». Paul avait raison, car si puissant qu'il fût, il avait besoin d'eux. Ainsi, c'était bien l'ordre de Dieu qui les envoyait en Macédoine, car les lumières de la foi avaient commencé à se répandre dans le reste de la Grèce. Du reste, Paul dépassait quelquefois les préceptes divins. Ainsi, le Christ voulait qu'il vécût de l'Evangile, mais il se privait de le faire (1Co 9,14 1Co 9,15) ; le Christ ne l'avait pas envoyé pour baptiser (1Co 1,17) ; cependant il baptisait. Il s'employait donc à tout, quoique, en général, il fût envoyé près des gentils, de même que Pierre près des circoncis. « Jason et les autres ayant donné caution, les magistrats les laissèrent aller ». Vous voyez que Jason donne caution pour Paul et risque ainsi sa vie pour lui. « Ils étaient plus nobles que les gens de Thessalonique », c'est-à-dire, plus avancés en vertu et en foi divine. « Ils reçurent la parole avec beaucoup d'affection et d'ardeur, examinant tous les jours les Ecritures, pour voir si ce qu'on leur disait était véritable ». Ainsi, ils n'y mettaient point d'entraînement ni d'irréflexion.

La plus grande de ces villes était Thessalonique où il y avait beaucoup de populace, et il n'est pas étonnant que les hommes soient plus méchants dans une grande ville : en effet, plus elle est grande, plus nombreuses sont les occasions de désordres. De même que le mal sévit plus grièvement dans un corps qui lui fournit plus d'aliments, ainsi se renouvelèrent à Thessalonique, dans de plus vastes pro. portions, les scènes déplorables d'Irone. Aussi Paul les quitte pour les punir d'avoir cherché le malheur des autres; c'est ce qu'il entend par ces paroles : « Les Juifs nous empêchaient de parler aux gentils. » (1Th 2,16) Pourquoi, dira-t-on, les apôtres ne restèrent-ils pas? Pourquoi ne firent-ils pas de miracles? Si Paul était resté longtemps dans la ville où on l'avait lapidé, n'aurait-il pas dû encore bien mieux rester ici ? C'est que Dieu ne leur permettait pas de prodiguer les miracles; car vaincre sans miracles est plus merveilleux que tous les miracles possibles. Maintenant Dieu gouverne sans faire de miracles; c'était déjà ainsi qu'il voulait gouverner d'ordinaire. Aussi les apôtres ne s'empressaient point d'en faire, et Paul lui-même dit : « Nous prêchons le Christ crucifié ». (1Co 1,23) A ceux qui cherchent en nous des artisans de miracles, nous leur expliquons ce que les miracles même ne sauraient expliquer, et nous les convertissons. Voilà ce qu'il y avait de plus merveilleux. Aussi, quand la prédication s'étend, voyez comme se multiplient les miracles de cette nature. Il en fallait faire plus pour les fidèles que pour les autres, mais comment les apôtres font-ils ces miracles? En s'éloignant et en cédant. « Ils le firent sortir pour aller vers la mer ». Pourquoi cela? Pour qu'il fût moins facile de le saisir. Ainsi ils avaient agi d'une manière bien méritoire pour eux-mêmes, et accompli, à l'égard de Paul, une grande oeuvre et une belle action: ils ne songeaient qu'à l'arracher au danger.

3703 3. Remarquez tout l'intérêt que les disciples portaient à ces illustres apôtres. Maintenant, grands et petits, nous sommes divisés: parmi nous les uns s'élèvent et les autres en sont jaloux. Pourquoi sont-ils jaloux? Parce que nous sommes gonflés d'orgueil et que nous ne voulons point les traiter sur le pied d'égalité. La bonne harmonie d'un corps n'admet point de gonflement : il n'y en a pas parce que les membres sont tellement disposés que chacun a sa fonction particulière: la (185) tête a besoin des pieds et les pieds de la tête. Dieu l'a voulu ainsi pour la société; c'est nous qui ne voulons pas : et pourtant, même sans qu'il nous l'eût commandé, nous devrions avoir la charité. Ne voyez-vous pas que les païens eux-mêmes nous accusent quand ils vantent les avantages de l'amitié ? Les laïques ont besoin de nous, et, à notre tour, nous avons besoin des laïques. Ainsi, sans disciples et sans sujets, il n'y aurait ni maîtres ni souverains : que pourraient-ils faire? De même encore la terre a besoin du laboureur et le laboureur de la terre. Quelle récompense aura le maître s'il n'a point de disciples à montrer? Quelle récompense auront les disciples s'ils ne profitent pas d'un enseignement excellent? Ainsi nous avons besoin les uns des autres : on n'est pas général sans soldats, souverain sans sujets, et même il en faut beaucoup. On ne peut rien faire par soi-même, ni des mains ni de l'intelligence : on est d'autant plus honoré qu'il y a plus de monde qui vous entoure. Par exemple, les pauvres ont besoin d'aumônes, et ceux qui font l'aumône ont besoin de pauvres qui la reçoivent. « Vous cous sidérant les uns les autres, afin de vous exciter mutuellement à la charité et aux bonnes oeuvres ». (He 10,24) Aussi la puissance collective de l'Eglise est considérable, et ce qui est impossible à chacun de ses membres devient possible à tous quand ils sont unis. Voilà ce qui prouve la nécessité des prières pour le monde entier, pour les destinées de l'Eglise, pour la paix, pour ceux qui souffrent. Et c'est ce que Paul montre en disant : « Afin que la grâce que nous avons reçue, en considération de plusieurs personnes, soit aussi reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous » (2Co 1,11) ; c'est-à-dire, pour que beaucoup de personnes participent à cette grâce: aussi réclame-t-il souvent leurs prières. Voyez encore ce que Dieu dit aux habitants de Ninive : « Et moi je n'épargnerai pas cette ville où il y a plus de cent vingt mille hommes ». (Jn 4,11) Il dit aussi : « Quand deux ou trois hommes sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux ». (Mt 18,20) Si deux personnes ont cette puissance, un grand nombre ne l'aura-t-il pas davantage? Une seule aurait quelque influence, mais beaucoup moins. Pourquoi restez-vous seul? Pourquoi n'en attirez-vous pas d'autres? Pourquoi ne propagez-vous pas la charité ? Pourquoi ne faites-vous pas naître l'amitié? Vous manquez de ce qu'il y a de plus essentiel dans la vertu. Quand les méchants se réunissent ensemble, Dieu s'en irrite encore davantage, de même qu'il prend plaisir à voir les bons s'unir entre eux. « Ne vous réunissez pas pour faire le mal », dit-il, (Ex 23,2), « tous se sont égarés, tous ensemble sont inutiles » (Ps 13,3), et leur perversité les fait presque chanter de joie.

Recherchez des amis plutôt que des serviteurs, plutôt que toute autre chose. Si vous êtes un homme de paix, vous êtes un fils de Dieu ; à plus forte raison si vous faites des amis. Celui qùi réconcilie obtient le nom de fils de Dieu ; quel nom mérite celui qui rend amis ceux qu'il a réconciliés? Chargeons-nous de cette négociation, tâchons que les ennemis deviennent amis et que les indifférents se réunissent, mais commençons par nous-mêmes. Celui chez qui la concorde n'habite pas, et qui se dispute avec sa femme, n'inspirera pas de confiance s'il veut réconcilier les autres; et de même qu'il est dit: « Médecin, guéris-toi toi-même » (Lc 4,23), on lui en dira autant. Quelle hostilité trouvons-nous en nous-mêmes? Celle de l'âme et du corps, du vice et de la vertu. Terminons cette guerre, soyons vainqueurs dans ce combat; alors, en paix avec nous-mêmes, nous parlerons aux autres avec une assurance entière, sans que notre conscience nous reproche rien. La colère lutte avec la douceur, l'amour des richesses avec le désintéressement, la jalousie avec la bonté. Terminons cette guerre, triomphons de ces ennemis, dressons des trophées de notre victoire et rétablissons la paix dans notre état. Notre âme, en effet, c'est un état, c'est un gouvernement où se trouvent bien des citoyens et des étrangers, mais renvoyons les étrangers pour qu'ils ne corrompent point les citoyens. Ne souffrons aucune idée étrangère ou altérée, aucune pensée de la chair. Ne voyons-nous pas que, si un ennemi est surpris dans une ville, on le juge comme un espion? Ainsi renvoyons les étrangers et même exterminons les ennemis. Si nous en surprenons un, livrons à l'intelligence qui nous gouverne cette pensée barbare et qui n'appartient à la cité que par les apparences. Nous avons beaucoup de ces pensées qui sont nos ennemies par leur nature, mais qui sont couvertes d'une peau de brebis. C'est ainsi que (186) les Perses, quand ils ont ôté leur tiare, leurs caleçons et leurs chaussures barbares pour prendre nos habits, quand ils se sont rasés et qu'ils parlent notre langue, dissimulent leur hostilité; mais quand on les soumet à la question, on découvre tout ce qu'ils cachaient. Agissez de même ici: soumettez cette pensée à toutes les épreuves, et vous reconnaîtrez bientôt tout ce qu'elle a de barbare. Je veux vous montrer par un exemple quels sont ces espions que le démon envoie pour voir ce qui est en nous prenons-en un pour le mettre à nu et l'examiner avec soin devant notre tribunal; nous choisirons, si vous le voulez, un de ceux que Paul avait saisis. « Ce sont des ordonnances qui ont quelque apparence de sagesse dans une superstition et une humilité affectée, dans un rigoureux traitement qu'on fait subir au corps, et dans le peu de soin qu'on prend de rassasier la chair ». (Col 2,23) Par exemple, le diable voulait introduire le judaïsme; s'il voulait le faire par lui-même, il n'y parviendrait pas. Voyez maintenant son artifice. Le corps, dit-il, doit pratiquer l'abstinence; or, c'est de la sagesse, c'est de l'humilité de se priver de nourriture et de la repousser. De même il a voulu, avec certains hérétiques, nous entraîner vers la créature. S'il avait dit: Adorez la créature, il se serait trahi lui-même; mais il dit que Dieu est créé. Mais en présence des juges, mettons à nu le sens des Ecritures apostoliques, conduisons le coupable en face de ce tribunal, et les juges distingueront les prédications du mensonge de celles de la vérité. Bien des gens font des gains, des gains injustes, afin de donner aux pauvres: c'est là une mauvaise pensée. Mais, débarrassons-la de tout ce qui peut la dissimuler et réfutons-la pour ne pas nous laisser surprendre: cherchons au contraire à éviter tous les piéges du démon pour garder avec soin les véritables dogmes, passer avec assurance la vie présente et jouir des biens qui nous ont été promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 38 PENDANT QUE PAUL LES ATTENDAIT A ATHÈNES, SON ESPRIT ÉTAIT IRRITÉ (CHAP. 17,VERS, 16, 17, JUSQU'AU VERS. 31.)

VOYANT L'ATTACHEMENT DE CETTE VILLE A L'IDOLATRIE. — IL PARLAIT DONC DANS LA SYNAGOGUE AVEC LES JUIFS ET CEUX QUI CRAIGNAIENT DIEU, ET AUSSI DANS LA PLACE AVEC CEUX QUI S'Y RENCONTRAIENT.

3800 Ac 17,16-31

ANALYSE. 1-3. Saint Paul devant l'Aréopage. — Les Juifs plus acharnés que les païens à persécuter les chrétiens. — Exorde habile dont saint Paul se sert dans son discours aux Athéniens. — Misère de la philosophie, si on la compare à la doctrine révélée.
4 et 5. Faites pénitence car vous serez jugés. — Ces paroles de saint Paul s'adressent aussi bien à nous qu'aux Athéniens. — Pour aimer Dieu représentez-vous souvent ses bienfaits. — Saint Chrysostome raconte que dans sa jeunesse il échappa, ainsi qu'un de ses amis, à un péril imminent.

3801 1. Observez que Paul a plus d'épreuves à supporter de la part des Juifs que de celle des gentils. A Athènes, il n'a rien de grave à supporter et tout se borne à des railleries: les Juifs, au contraire, sont tellement irrités qu'ils commettent beaucoup de violences. Aussi (187) est-il dit: « Pendant que Paul les attendait à Athènes, son esprit était irrité en voyant l'attachement de cette ville à l'idolâtrie ». Son irritation était juste, car nulle part on ne voyait tant d'idoles. « Il parlait donc dans la synagogue avec les Juifs et ceux qui craignaient Dieu, et aussi dans la place avec ceux qui s'y rencontraient ». Vous le voyez, il discute encore avec les Juifs pour fermer complètement la bouche à ceux qui le représentaient comme se vouant aux gentils à l'exclusion des Juifs. Quant aux philosophes, il est étrange qu'en l'entendant parler ainsi ils n'aient pas commencé par le mépriser et repousser ses prédications en disant : Cela ne ressemble pas à la philosophie. S'ils ne l'ont pas fait, c'est que lui-même ne montrait aucun orgueil; car, du reste, ils ne pouvaient rien comprendre ni rien sentir de tout ce qu'il leur disait. Comment l'eussent-ils compris, puisque les uns faisaient Dieu matériel, et que les autres faisaient consister le souverain bien dans le plaisir : « Il y eut aussi quelques philosophes épicuriens et stoïciens qui conférèrent avec lui, et les uns disaient: Qu'est-ce que veut dire ce discoureur? et les autres : « Il semble qu'il prêche de nouveaux dieux; à cause qu'il leur annonçait Jésus et la résurrection (Ac 17,18) »; car ils pensaient que la résurrection était une certaine divinité, puisqu'ils adoraient aussi des déesses. « Enfin, ils le prirent et le menèrent à l'Aréopage, en lui disant: Pourrions-nous savoir de vous quelle est cette nouvelle doctrine que vous nous publiez (Ac 17,19) ? Car vous nous dites de certaines choses dont nous n'avons pas encore ouï parler. Nous voudrions donc bien savoir ce que c'est (Ac 17,20) ». Ils le menèrent à l'Aréopage, non pour s'instruire, mais pour le punir, car c'était là que se jugeaient les affaires capitales. Remarquez comme, sous prétexte de s'instruire, ils accusent la nouvelle doctrine afin de la détruire. Du reste, c'était la ville des bavards.

« Or tous les Athéniens, et les étrangers qui demeuraient à Athènes, ne passaient leur temps qu'à dire et à entendre quelque chose de nouveau (Ac 17,21). Paul, étant donc au milieu de l'Aréopage, leur dit : Athéniens, il me semble qu'en toutes choses vous êtes religieux jusqu'à l'excès (Ac 17,22); car, ayant regardé en passant les statues de vos dieux, j'ai trouvé aussi un autel, sur lequel il est écrit : «Au Dieu inconnu. C'est donc ce Dieu que vous adorez sans le connaître, que je vous annonce (Ac 17,23) ». Il semble ne rien leur dire de désagréable et même faire leur éloge. « Je vois que vous êtes religieux jusqu'à l'excès», c'est-à-dire, extrêmement pieux. Mais cet autel où était écrit : « Au Dieu inconnu », qu'était-ce donc ? Les Athéniens, à plusieurs époques, avaient admis beaucoup de dieux et même ceux de l'étranger. Ils avaient le temple de Minerve, celui de Pan, et d'autres divinités qui leur étaient venues de tous côtés; mais ils craignaient qu'il n'y en eût quelqu'une qui leur fût inconnue et qui fût adorée quelque part; aussi, pour plus de sûreté, ils lui avaient élevé un autel; mais comme ils ne savaient quel était ce Dieu, ils avaient mis cette inscription : « Au Dieu inconnu ». Paul dit que c'est Jésus-Christ, ou plutôt le Dieu de l'univers. « Celui que vous adorez sans le connaître, c'est celui que je vous annonce ». Voyez comme il leur montre qu'ils l'ont déjà accepté : Je ne vous apporte, dit-il, rien d'étranger, rien de nouveau. Car les autres lui disaient sur tous les tons: « Quelle est cette nouvelle doctrine que vous nous publiez, car vous nous dites de certaines choses dont nous n'avons pas encore ouï parler ». Il détruit aussitôt leur soupçon, puis il ajoute : « Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans ce monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre (Ac 17,24) ». Ensuite, pour qu'on ne s'imagine pas que ce Dieu soit la première divinité venue, il complète en disant : « Il n'habite point dans des temples bâtis par les hommes; il n'est point honoré par les ouvrages des mains de l'homme, comme s'il avait besoin de quelqu'un ». Voyez comme il arrive peu à peu à discuter la philosophie et à railler les erreurs des gentils. Il donne à tous la vie, la respiration et toutes choses. « Il a fait naître d'un sang unique toute la race des hommes, et leur a donné pour demeure toute l'étendue de la terre (Ac 17,26) ». Tels sont les attributs de Dieu; mais voyez s'ils ne conviennent pas aussi à son Fils : « Le Seigneur », dit-il, « du ciel et de la terre », que les païens regardaient comme des dieux. Il parle de la création et des hommes. « Il a marqué des époques précises et des limites à chaque peuple, afin qu'ils cherchassent Dieu et qu'ils tâchassent de le trouver comme sous leur main et à tâtons, quoiqu'il ne soit pas loin (188) de chacun de nous (Ac 17,27). Car c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être; et comme quelques-uns de vos poètes l'ont dit : Nous sommes même la race de Dieu (Ac 17,28) ». C'est ce que dit le poète Aratus. Voyez quelle démonstration il leur donne d'après ce qu'ils avaient fait et dit eux-mêmes. « Puisque nous sommes la race de Dieu, nous ne devons donc pas croire que la divinité soit semblable à de l'or, à de l'argent ou à de la pierre, dont l'art et l'industrie des hommes ont fait des figures (Ac 17,29) ». Mais pourrait-on dire : C'est précisément pour cela que nous devons le croire semblable à une statue d'or ou d'argent. Point du tout; car nous n'y ressemblons point nous-mêmes, et surtout nos âmes. Pourquoi n'a-t-il pas aussitôt employé le langage philosophique, et n'a-t-il pas dit Dieu est de nature incorporelle, invisible et sans figure ? Parce qu'il semblait inutile de parler ainsi à des hommes qui ne savaient pas encore que Dieu était unique. Aussi, laissant cette question, il insiste sur ce qu'il a déjà examiné, et dit : « Dieu, méprisant ces temps d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes, et en tous lieux, qu'ils se convertissent (Ac 17,30), parce qu'il a arrêté un jour auquel il doit juger le monde, selon la justice, par celui qu'il a destiné à être juge; ce dont il a donné à tous les hommes une preuve certaine en le ressuscitant d'entre les morts ». Vous voyez qu'il avait ébranlé leurs âmes par ce mot : « Il a arrêté un jour » ; ce qui les avait terrifiés; puis il trouve l'occasion d'ajouter : « En le ressuscitant d'entre les morts ».

Mais revenons à ce qui précède. « Pendant que Paul les attendait à Athènes, son esprit était irrité ». Cette irritation ne signifie pas de la colère ou de l'indignation, mais de la vigilance et du zèle; de même que dans le passage où il est dit : « Il y eut entre eux une contestation » (Ac 15,39).

3802 2. Observez que c'est la Providence qui a permis qu'il fût, malgré lui, obligé d'attendre ses compagnons. Le mot « d'agitation » montre seulement sa sollicitude, mais, je le répète, sa vigilance était loin de ressembler à la colère et à l'indignation. Il ne pouvait supporter ce qu'il voyait, mais il en souffrait. « Il discutait donc dans la synagogue avec les Juifs et ceux qui craignaient Dieu ». Vous le voyez discutant encore contre les Juifs; quant à ceux qui craignaient Dieu, il entend par là les prosélytes. Car les Juifs étaient dispersés de tous côtés depuis la venue du Christ; ainsi la loi tombait, et en même temps leur présence exhortait les hommes à la piété. Quant à eux, ils n'y gagnaient rien, sinon de multiplier les témoignages de leurs malheurs. « Quelques philosophes épicuriens et stoïciens discutaient avec lui ». Les Athéniens ne jouissaient plus de leurs lois, puisqu'ils étaient soumis aux Romains. Alors, de quoi et pourquoi voulaient discuter ces philosophes? Parce qu'ils en voyaient d'autres qui discutaient avec Paul et qui avaient de la considération pour lui. Mais observez qu'ils commencent par parler d'une manière offensante : « L'homme animal ne comprend pas ce qui vient de l'Esprit ». (1Co 2,14) « Il semble », disent-ils, « annoncer de nouveaux démons ». Ils donnaient à leurs divinités le nom de démons, car leurs villes étaient pleines d'idoles. Ils le prirent et le conduisirent devant l'Aréopage ». Pourquoi devant l'Aréopage? Pour l'effrayer, car c'était là qu'on jugeait les affaires capitales. « Pourrions-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que vous publiez, car vous nous dites des choses que nous n'avons jamais entendues. Or, tous les Athéniens et les étrangers qui demeuraient à Athènes, ne passaient leur temps qu'à dire ou à entendre quelque chose de nouveau ». Cela montre que tout ce peuple, qui n'était occupé qu'à parler et à écouter, regardait cependant cette doctrine comme nouvelle, parce qu'il ne l'avait jamais entendu expliquer. « Paul étant donc au milieu de l'Aréopage leur dit: Athéniens, il me semble qu'en toutes choses vous êtes religieux jusqu'à l'excès. En passant j'ai vu vos statues ». Il ne dit pas encore: vos démons, mais il s'y prépare ; quand il dit qu'ils sont « religieux à l'excès », c'est pour parler de cet autel. « C'est Dieu », dit-il, « qui a fait le monde et tout ce qu'il contient ». D'un seul mot il renverse tous les dogmes des philosophes. En effet, les épicuriens disaient que l'univers s'était formé de lui-même par une réunion d'atômes; les stoïciens prétendaient que tout était matériel et périrait par une conflagration. Mais Paul leur dit : le monde, avec tout ce qu'il contient, est l'oeuvre de Dieu. Voyez quelle brièveté et, en même temps, quelle clarté ! Remarquez aussi que c'était pour eux une chose étrange que l'idée du (189) monde créé par Dieu. Ce que le premier venu sait maintenant était ignoré des Athéniens et des savants parmi les Athéniens. S'il a tout fait, il est clair qu'il est aussi le maître de tout. Vous voyez que Paul réunit ainsi les qualités de Dieu et de Créateur; elles s'appliquent aussi au Fils. Les prophètes disent partout que l'attribut principal de Dieu est, en effet, la création; mais les païens séparaient les idées de Créateur et de Seigneur, parce qu'ils croyaient la matière incréée. Enfin Paul n'expose et n'établit ses idées que d'une manière voilée, mais il corrige celle des païens. « Dieu n'habite pas », dit-il, « des temples bâtis par les hommes ». Il habite en effet des temples, mais bien différents, qui sont les âmes des hommes; aussi a-t-il supprimé le culte matériel.

Eh quoi ? N'habitait-il pas le temple de Jérusalem? Non, sans doute, mais il s'y manifestait. Pourquoi donc était-il honoré par les mains de l'homme chez les Juifs? Ce n'était pas par leurs mains, mais par leurs esprits; car il ne recherchait pas le culte matériel comme s'il en avait eu besoin. « Est-ce que je mangerai », dit-il, « la chair des taureaux, ou que je boirai le sang des boucs? » (Ps 49,13) Paul avait dit : « Il n'est point honoré par les ouvrages de la main des hommes comme s'il avait besoin de rien » ; mais ce n'était pas assez ; c'est là un attribut de la divinité, mais il fallait en indiquer d'autres. Aussi il ajoute : « C'est lui qui donne à tous la vie, la respiration et toutes choses ». Il expose ainsi deux caractères de la divinité ; n'avoir besoin de personne et donner à tous. Comparez à cela la philosophie de Platon ou celle d'Epicure, et vous verrez combien elles sont frivoles. « Il a donné la vie et la respiration ». Vous voyez qu'il n'a pas engendré, mais créé notre âme. Remarquez encore comment il tranche la question de la matière: « Il a fait d'un sang unique toute la race humaine, et lui a donné pour demeure toute l’étendue de la terre ». Voilà une théorie bien supérieure à celle des atômes et de la matière éternelle. Elle montre que ni le corps ni l'âme de l'homme ne sont dus à une agrégation fortuite; c'était là ce que disaient les païens en prétendant qu'il n'y avait pas de création. Lorsque Paul dit que Dieu ne veut pas être honoré par les mains des hommes, il sous-entend qu'il veut l'être par leur esprit et leurs pensées. « C'est », dit-il, « le maître du ciel et de la terre ». Il n'y a donc pas de divinités spéciales. « Dieu a fait le monde et tout ce qu'il contient ». Après avoir montré comment le monde a été fait, il déclare que Dieu n'habite pas des temples faits de la main des hommes; c'est comme s'il disait : Si c'est Dieu, il est clair qu'il a tout créé; s'il n'a point créé, il n'est pas Dieu. Les dieux, dit-il, qui n'ont pas fait le ciel et la terre, doivent périr. Il expose des dogmes bien supérieurs à tout ce que l'on connaissait (quoiqu'il ne révèle pas toutes les grandes vérités, car le temps n'était pas encore venu, et il parlait comme à des enfants); du moins il explique le Dieu créateur, souverain et indépendant.

3803 3. En disant qu'il avait fait venir le genre humain d'un sang unique, il fait voir qu'il est l'auteur de tous les biens. Est-il rien d'aussi sublime? Que Dieu ait fait tous les hommes avec un seul, cela est admirable; mais qu'il les contienne tous en lui-même, cela est bien plus admirable encore. « Il donne à tous le souffle et la vie ». Mais que veulent dire ces mots : « Il a marqué des époques précises et des limites d'habitation à chaque peuple, afin qu'ils cherchent Dieu et qu'ils tâchent de le trouver, comme avec la main et à tâtons ». Tout le monde, veut-il dire, n'est pas dans la nécessité de chercher Dieu ; il est vrai que Dieu a ordonné de le chercher; mais ce n'est pas en tout temps, c'est seulement à des époques prescrites. Ces paroles signifient seulement que ceux même qui l'avaient jusque-là cherché parmi eux ne l'avaient pas trouvé, quoique sa, présence fût aussi manifeste que si l'on pouvait le toucher. Car, en réalité, on ne peut pas dire que le ciel soit d'un côté et qu'il ne soit pas de l'autre, qu'il soit visible à une époque et non à une autre. Il est facile à trouver à toute époque et dans tout pays; Dieu a voulu qu'on pût le chercher sans être arrêté par les obstacles de temps et de lieux. Mais cette doctrine, que le royaume des cieux existait partout et en tout temps, n'aurait été profitable pour ces gens-là que s'ils avaient voulu l'appliquer. Aussi Paul ajoute : « Quoiqu'il ne soit pas loin de chacun de nous », mais qu'il soit près de tout le monde. C'est comme s'il disait : Non-seulement Dieu nous a donné la respiration, la vie, et tout en un mot; mais, ce qui est le comble de, ses bienfaits, il s'est fait connaître à nous, il nous a accordé de pouvoir (190) le trouver et le posséder. Mais nous n'avons pas voulu le chercher, quoiqu'il fût à notre portée: « Il n'est pas loin de chacun de nous ». O ciel ! l'apôtre dit que Dieu est à côté de chacun des habitants de la terre. Est-il rien de plus grand que cette parole ? Voyez comme elle confond la pluralité des dieux. Pourquoi dire seulement qu'il n'est pas loin? » Il est si près qu'on ne peut vivre sans lui, car c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être ». Paul semble dire, comme en prenant une comparaison matérielle : on ne peut ignorer que l'air est répandu partout, qu'il est près de nous et même en nous; il en est de même pour le créateur de toutes choses. Ainsi tout, dit-il, vient de lui ; c'est de la Providence qu'il veut parler, et de la conservation du monde, lorsqu'il dît que nous avons en lui l'être, le mouvement, la vie. Il ne dit pas Par lui, mais : « En lui », ce qui annonce une union plus intime. Le poète qu'il cite n'avait pas la même idée quand il disait : « Nous sommes sa race ». Ces mots que le poète applique à Jupiter, Paul les applique à Dieu; non pas qu'il confonde l'un et l'autre, loin de là ! Mais il les adresse à qui de droit. Il rend aussi au vrai Dieu l'autel qu'on n'avait pas dressé pour lui. En effet, chez les gentils, beaucoup de paroles et d'actions religieuses s'adressaient, à leur insu, au Dieu véritable, mais ils croyaient qu'elles s'appliquaient à un autre.

Dites-moi, en effet, à qui cette inscription «Au Dieu inconnu », pouvait-elle convenir le mieux, au Créateur, ou au démon? Assurément c'était au Créateur, que l'on savait exister; sans le connaître. De même cette faculté de tout produire ne s'applique véritablement qu'à Dieu et non à Jupiter qui n'était qu'un homme et un détestable imposteur. Ce n'est pas à propos d'un être pareil que Paul a pu dire : « Nous sommes sa race » ; loin de là ! Son idée est toute différente. Il dit que nous sommes fils de Dieu, c'est-à-dire sa famille, ses proches, ou bien encore ses alliés et ses voisins. Pour qu'on ne lui fasse plus ce reproche : « Vous nous dites des choses étrangères à nos oreilles », (en effet rien n'est plus désagréable aux hommes en général), il cite un de leurs poètes. Il ne leur dit point : Vous ne devez pas croire que Dieu ressemble à un objet d'or ou d'argent, c'est là une pensée perverse et détestable ; il leur parle plus doucement : « Nous ne devons pas croire » à cette ressemblance, mais nous devons voir plus haut. Qu'est-ce qui est plus haut? Dieu, mais nous n'en parlons pas encore, car c'est le nom de la toute-puissance; jusqu'ici nous ne disons que ceci : Le divin ne ressemble pas à ces objets; en effet, qui pourrait le soutenir? Voyez comme il arrive peu à peu à l'idée de l'immatériel : car une divinité, quand même on la concevrait matérielle, différerait encore de ces représentations : « Puisque nous sommes la race de Dieu, nous ne devons pas croire que le divin soit semblable à de l'or, à de l'argent ou à de la pierre dont l'art et l’industrie des hommes ont fait des figures ». Mais, dira-t-on : Puisque nous ne le pensons pas, à quoi bon ce langage ? C'est que le discours de Paul s'adressait à la multitude, aussi avait-il raison' de parler ainsi; car si nous-mêmes, au point de vue de notre âme, nous ne ressemblons pas à ces objets, Dieu y ressemble encore bien moins : il commence donc par les détourner de cette idée. Non-seulement Dieu ne ressemble point à un produit de l'art du sculpteur, mais aucune conception humaine ne peut le représenter, ni l'art ni la pensée ne peuvent se le figurer. Aussi dit-il : Si Dieu peut être le produit de l'art et de la pensée humaine, si la substance de Dieu est donc aussi dans une pierre, comment, nous qui vivons en lui, ne le trouvons-nous pas? Il reproche ainsi deux choses à ses auditeurs: D'abord de ne pas trouver Dieu, ensuite de se le figurer comme ils le font. Par elle-même, la pensée humaine n'est pas digne de foi. Mais après avoir ainsi ému leurs esprits et leur avoir montré qu'ils étaient inexcusables, voyez ce qu'il ajoute : «Dieu ; méprisant ces temps d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes et en tous lieux qu'ils se convertissent ». Quoi! personne ne sera puni? Personne de ceux qui voudront se repentir. Il ne parle pas de ceux qui sont morts, mais de ceux auxquels s'adresse sa parole. Dieu, dit-il, ne vous demande pas de comptes. Il ne dit pas: Dieu vous a dédaignés, vous a pardonnés; il dit: vous ignoriez. Le dédain supposerait qu'il n'inflige pas de punition à ceux qui en méritent, mais ce n'était qu'une erreur. Il ne dit point : Vous vous êtes égarés volontairement, mais il l'a fait comprendre plus haut, en disant : « Il faut se repentir en tous lieux ». Par, là, il faut comprendre toute la terre.

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3804 4. Voyez comme il les détourne de la pluralité des dieux: « Parce qu'il a arrêté un jour dans lequel il doit juger le monde selon la justice », il parle encore du monde pour indiquer les hommes, « par celui qu'il a marqué en le ressuscitant des morts ». Observez qu'il atteste la passion, par cela même qu'il rappelle la résurrection. La vérité du jugement est prouvée par la résurrection dont elle est la conséquence nécessaire, et la vérité de toutes ces paroles était démontrée, puisqu'il s'était relevé du tombeau. En effet, tout le monde étant convaincu qu'il était ressuscité des morts, on devait aussi croire tout le reste. Voilà ce que l'on disait aux Athéniens et ce qu'il faudrait aussi nous dire ; savoir : que nous devrions tous faire pénitence, parce que Dieu a marqué un jour où il jugera le monde. Voyez quel juge il nous donne, rempli de providence, de bonté, de miséricorde, de puissance, de sagesse, enfin réunissant toutes les qualités du Créateur. Ses paroles ont prouvé qu'il était ressuscité des morts. Faisons donc pénitence, puisque le jugement est inévitable. Si le Christ n'est pas ressuscité, nous ne serons pas jugés; s'il est ressuscité, nous serons certainement jugés. « Il est mort pour commander aux vivants et aux morts. (Rm 14,9) » « Nous serons tous présents devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rémunéré a d'après ses actions ». (Rm 10 2Co 5,10) Ne pensez pas que ce soient là des paroles en l'air: il s'agit de la résurrection universelle, car c'est ainsi que se fera le jugement. Ces mots: « En le ressuscitant des morts», s'appliquent au corps; c'est lui qui était mort, qui avait succombé. Chez les païens, on rejette également la création et le jugement ; on les regarde comme des contes d'enfants ou comme les folies de l'ivresse. Mais nous qui en sommes profondément convaincus, profitons-en, et efforçons-nous d'être les serviteurs du Christ. Jusques à quand serons-nous ses ennemis? Jusques à quand le repousserons-nous? Vous vous écriez : Nous en sommes loin ; pourquoi ce langage? Je me garderais bien de le dire si vous ne le faisiez pas, mais à quoi servirait de me taire quand les faits parlent aussi clairement? Comment parviendrons-nous à l'aimer? Je l’ai dit mille fois, mais je vais le répéter encore : il me semble avoir trouvé pour cela une méthode puissante et infaillible. Après avoir réfléchi aux bienfaits que nous avons reçus de Dieu en commun avec tous les hommes, et qui sont trop importants et trop nombreux pour que nous puissions les compter; après en avoir rendu grâces à Dieu, songeons à tous les bienfaits que chacun de nous a reçus, et rappelons-les tous les jours à notre mémoire. Comme ils font sur nous plus d'effet que les autres, chacun de nous doit les méditer et examiner avec soin s'il n'a pas évité quelque danger, échappé à ses ennemis, enfin s'il n'a pas quelques bienfaits inscrits à son compte sui le livre de Dieu :.par exemple, s'il n'a pas été soustrait à quelque péril en sortant avant le jour, s'il n'a pas triomphé de l'attaque de quelques malfaiteurs, s'il n'a pas été guéri d'une maladie dont tout le monde désespérait; toutes ces pensées ont une grande influence pour nous rendre Dieu propice. Si Mardochée, du moment que le roi se rappela le service qu'il lui avait rendu, fut récompensé par ce souverain au point de partager sa grandeur, nous serons récompensés à plus forte raison si nous examinons avec soin en quoi Dieu a reçu nos offenses et en quoi nous avons reçu ses bienfaits; nous montrerons ainsi notre reconnaissance et notre repentir. Mais personne ne fait cette méditation. Quand nous parlons de nos péchés, nous disons seulement que nous avons péché sans récapituler nos fautes; de même, quand nous parlons des bienfaits de Dieu, nous disons en général que nous en avons reçu, mais nous ne les examinons pas en particulier, nous ne disons point où, quand, ni comment ils nous ont été accordés. Mettons-y dorénavant tout notre soin. Si même on peut retrouver les plus anciens, qu'on les rappelle au souvenir, comme si l'on avait découvert un grand trésor. Cela nous est encore utile pour ne pas désespérer. Car lorsque nous aurons vu que Dieu nous a souvent protégés, nous ne désespérerons plus et nous ne croirons plus qu'il nous ait abandonnés : nous posséderons ainsi une grande preuve de sa providence à notre égard, puisque nous songerons que, malgré nos péchés, il ne nous a pas punis et que même il nous a protégés.

3805 5. Voici une anecdote que j'ai entendu raconter. Un enfant qui n'avait pas encore quinze ans se trouvait aux champs avec sa mère. Des miasmes ayant infecté l'air, tous deux furent pris de la fièvre; c'était en automne. La mère se hâta d'aller à la ville. L'enfant, auquel les (192) médecins ne permirent pas ce déplacement, étant dévoré par la fièvre, eut l'idée de se gargariser, croyant qu'il apaiserait la fièvre par ce moyen et en ne prenant aucun aliment. C'était une idée d'enfant, aussi cette obstination mal placée ne lui fit-elle aucun bien. Lorsqu'enfin il se trouva à la -ville, sa langue était paralysée et il resta longtemps sans parler, au point de ne rien pouvoir articuler; cependant il lisait et prit des leçons pendant longtemps, mais cela ne l'avançait à rien. Il avait perdu toute espérance et sa mère était désolée. Les médecins faisaient des consultations de toutes espèces, sans aucun résultat; enfin le bon Dieu rompit le lien de sa langue et il parla avec autant de facilité qu'autrefois. Sa mère racontait aussi que, lorsqu'il était petit, il avait eu dans le nez ce qu'on appelle un polype; les médecins en avaient aussi désespéré; sa mère était réduite à désirer sa mort, et son père (qui existait encore); le croyait également perdu; en un mot, c'était une anxiété générale. Mais le mouvement violent d'un accès de toux chassa cette excroissance maladive, et tous les accidents cessèrent. Néanmoins, après qu'il fut guéri, il lui tomba sur les yeux une fluxion d'une humeur âcre et visqueuse qui produisait une chassie tellement épaisse, que les yeux en étaient fermés: le plus grave était la crainte qu'il ne restât aveugle, comme tout le monde le prévoyait. Cependant, par la grâce de Dieu, il fut encore délivré promptement de cette maladie.

Voilà ce que j'ai entendu dire; je vais maintenant vous raconter ce que je sais par moi-même. A l'époque où j'étais très-jeune, les tyrans qui gouvernaient notre ville conçurent des soupçons : l'extérieur des remparts était garni de soldats pour tâcher de saisir des livres de sorcellerie et de magie. Celui qui avait écrit cet ouvrage et qui l'avait jeté, à peine terminé, dans la rivière, fut arrêté: on lui demanda son livre qu'il ne put donner, et on le fit passer dans la ville tout couvert de chaînes. Après avoir recueilli des preuves de sa culpabilité, on le punit; pendant ce temps, comme j'allais à l'église des martyrs, je passais près des jardins sur la rivière, avec un camarade. Celui-ci, voyant un livre qui flottait, le prit d'abord pour un linge; il s'approcha, reconnut que c'était un livre et descendit pour le prendre. Moi, je taquinais mon camarade, et, en plaisantant, je réclamais ma part de l’épave.

Mais, dit-il, voyons ce que c'est; et, en tournant un coin de la page, il vit des figures de magie. Au même instant un soldat vint à passer. Mon ami cacha le livre, il tremblait de peur. Qui aurait cru que nous l'avions retiré du fleuve, tandis que l'on arrêtait une foule de gens, même sans qu'ils fussent suspectés? Nous n'osions le jeter, de peur d'être aperçus, et nous redoutions également de le déchirer. Enfin, avec l'aide de Dieu, nous réussîmes à le jeter, et nous fûmes sauvés du danger le plus terrible.

Je pourrais, si je le voulais, vous citer une foule d'exemples, mais je vous ai dit ces faits afin que vous en profitiez et pour que, si l'un de vous est exposé à des accidents, non pas identiques, mais analogues, il ne les oublie jamais. Par exemple, si une pierre lancée droit contre vous ne vous atteint pas, gardez-en toujours un souvenir, qui sera très-agréable à Dieu. Quand nous nous rappelons les hommes qui ont pu nous sauver la vie, nous sommes affligés d'être incapables de rien faire pour eux : nous devrions, à plus forte raison, avoir le même sentiment à propos de Dieu. Il en résulte encore un autre avantage : Si nous sommes portés au désespoir, disons-nous : « puisque nous recevons le bien de la part du Seigneur, ne devons-nous pas aussi en accepter le mal ? » (
Jb 2,10) Jacob avait la même pensée quand il disait: « L'ange qui m'a arraché au mal depuis ma jeunesse (1)». (Gn 48,16) Réfléchissons, non-seulement que nous avons été arrachés au mal, mais rappelons-nous comment et dans quelles circonstances. Voyez comme Jacob se rappelle chaque bienfait en particulier: « J'ai passé le Jourdain avec mon bâton ». (Gn 32,10) LesJuifs gardaient constamment le souvenir- de ce qui était arrivé à leurs ancêtres, et parlaient sans cesse de leurs aventures d'Egypte. Et nous aussi, à plus forte raison, rappelons-nous ce a qui nous est arrivé quand nous sommes tombés dans l'inquiétude et le malheur, et reconnaissons que si Dieu ne nous avait tendu la main, nous aurions péri depuis longtemps. Songeons-y tous et pensons-y chaque jour, rendons à Dieu de continuelles actions de grâces, rapportons tout à sa gloire et ne cessons de le célébrer, afin d'être récompensés de notre reconnaissance, par la grâce et la mi

1. La Vulgate porte : A regelus qui erint me de cunctis malis.

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miséricorde de son Fils unique, auquel, ainsi qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Actes 3603