Chrysostome sur Actes 4803

HOMÉLIE XLIX. OR, PAUL SACHANT QU'UNE PARTIE DE CEUX QUI ÉTAIENT LA ÉTAIENT SADUCÉENS, (CHAP. XXIII, VERS. 6-8, JUSQU'AU VERS. 30)

ET L'AUTRE PHARISIENS, IL S'ÉCRIA DANS L'ASSEMBLÉE : « MES FRÈRES, JE SUIS PHARISIEN ET FILS DE PHARISIEN; ET C'EST A CAUSE DE L'ESPÉRANCE D'UNE AUTRE VIE ET DE LA RÉSURRECTION QUE L'ON VEUT ME CONDAMNER ». PAUL AYANT PARLÉ DE LA SORTE, IL S'ÉLEVA UNE CONTESTATION ENTRE LES PHARISIENS ET LES SADUCÉENS, ET L'ASSEMBLÉE FUT DIVISÉE. CAR LES SADUCÉENS DISENT QU'IL N'Y A NI RÉSURRECTION, NI ANGE, NI ESPRIT; AU LIEU QUE LES PHARISIENS RECONNAISSENT L'UN ET L'AUTRE.
4900 Ac 23,6-30

ANALYSE. 1-3. Saint Paul devant le conseil des Juifs. — Il divise habilement ses adversaires. — Le tribun, averti du complot que les Juifs ont formé de le tuer, l'envoie, pour le mettre en sûreté, à Césarée sous bonne escorte.
3 et 4. Fermeté de saint Paul. — Comme tout ce que l'on entreprend contre les amis de Dieu tourne à leur avantage.

4901 1. Voici encore un endroit où l'homme se montre seul. Paul en effet n'a pas continuellement l'assistance divine à son service, et il trouve parfois l'occasion de mettre du sien dans l'accomplissement de sa mission. Il le fait dans ce qui précède, il le fait encore après en continuant son apologie, et il réussit à diviser l'assemblée injustement conjurée contre lui. Il est sincère quand il se dit pharisien ; il était en effet pharisien.de père en fils. Ecoutez comment il use de cette circonstance pour se défendre. « Je suis pharisien et fils de pharisien, et c'est à cause de l'espérance d'une autre vie et de la résurrection des morts que l'on veut me condamner». Puisque ses accusateurs ne veulent pas dire pourquoi Ils cherchent à le faire condamner, il faut bien que Paul le dise : « Or les pharisiens reconnaissent l'un et l'autre ». Mais il y avait trois choses, pourquoi donc l'auteur dit-il l'un et l'autre? C'est parce que esprit et ange sont une même chose, ou bien encore, c'est parce que le mot .ne se dit pas seulement de deux, mais aussi de trois: Dans ce cas l'auteur se serait exprimé abusivement, et sans s'occuper de la propriété des termes. Et voyez dès qu'il s'est déclaré du parti des pharisiens, ceux-ci aussitôt prennent sa défense. — «Il y eut donc un grand bruit. Et quelques-uns des scribes du parti des pharisiens contestaient en disant : Nous ne trouvons point de mal en cet homme. Si un esprit lui est apparu en effet, ou bien un ange (9), n'allons pas combattre Dieu », Et pourquoi n'avaient-ils -pas pris sa défense auparavant? Parce que Paul ne s'était pas encore montré comme un des leurs, et qu'il n'était pas encore connu avant cette apologie comme un pharisien de naissance. Voyez-vous comment, à l'instant même où les passions se dissipent, la vérité se découvre? Ce qu'ils disent revient à ceci : Quel crime y a-t-il si un ange lui a parlé, ou bien un esprit, et si, instruit par lui, il enseigne maintenant la résurrection ? Donc laissons-le, de peur qu'en le persécutant nous ne combattions contre Dieu même. La justification est parfaite, et Paul n'offre aucune prise à l'accusation. « Comme le tumulte augmentait, le tribun craignant que Paul ne fût mis en pièces par ces gens-là, commanda qu'on fit venir des soldats, afin qu'ils l'enlevassent d'entre leurs mains et le menassent dans la forteresse (10) ». Maintenant qu'il a appris que Paul est citoyen romain, le tribun (248) appréhende que l'apôtre ne soit mis en pièces par la foule; la situation n'était donc pas sans péril. Voyez-vous qu'il a eu raison de faire connaître sa qualité de citoyen romain; sans cette révélation, le tribun n'eût pas conçu cette crainte. L'armée enlève donc l'apôtre. Les scélérats virent par là tous leurs efforts déjoués; néanmoins, ils redoublèrent d'ardeur sans se laisser arrêter par l'échec qu'ils avaient subi. C'est ainsi que la méchanceté persiste toujours dans sa voie en dépit des obstacles. Combien cependant la Providence leur avait ménagé de motifs propres à faire tomber leur colère et à les faire venir à.résipiscence. Ils n'en persistent pas moins dans leur voie. Paul avait donc usé pour sa défense d'un moyen efficace, puisque par là il a échappé. au péril imminent d'être mis en pièces par ces furieux.

« La nuit suivante, le Seigneur se présenta à lui, et lui dit : Paul, ayez bon courage; car comme vous avez rendu témoignage.de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous me rendiez témoignage dans Rome. Le jour étant venu, les Juifs firent une ligue, et jurèrent, en appelant l'anathème sur eux-mêmes, de ne manger ni boire qu'ils n'eussent tué Paul. Ils étaient plus de quarante qui avaient fait cette conjuration (11-13). Ils jurèrent en appelant l'anathème sur eux-mêmes », dit le texte; voyez quelle violence et quelle ardeur pour la vengeance et pour le mal. Que veut dire « appeler sur, soi l'anathème »? Cela veut dire que ces Juifs jurèrent de renoncer à la .foi en Dieu s'ils n'accomplissaient leur complot contre la vie de Paul. Ils ont donc été anathématisés à jamais, puisqu'ils ne tuèrent point Paul. Il y en eut quarante qui entrèrent dans .cette conspiration. Voilà bien cette nation, s'il s'agit de s'entendre pour faire le bien, on ne trouvera pas deux hommes pour agir de concert; s'il s'agit d'un crime à commettre, vous voyez aussitôt accourir un peuple entier. Et ils prennent pour complices même les chefs du peuple, comme l'affirme le texte en ajoutant : « Et ils vinrent se présenter aux princes des prêtres et aux sénateurs, et ils leur dirent: Nous avons fait voeu, en appelant sur nous l'anathème, de ne point manger que nous n'ayons tué Paul. Vous n'avez donc qu'à faire savoir de la part du conseil au tribun, que vous le priez de faire amener demain Paul devant vous, comme pour connaître plus particulièrement de son affaire: et nous serons prêts pour le tuer avant qu'il arrive. « Mais le fils de la soeur de Paul ayant appris cette conspiration, vint et entra dans la forteresse, et en avertit Paul. Paul ayant appelé un des centeniers, lui dit : Je vous prie de mener ce jeune homme au tribun, car il a quelque chose à lui dire. Le centenier prit le jeune homme avec lui, et le mena au tribun ». Voici encore une fois Paul sauvé par une mesure de prudence humaine. Et voyez Paul ne dit ce secret à personne, pas même au centenier, il ne veut pas que le complot formé contre lui se divulgue. « Et le centenier vint trouver le tribun et lui dit : Paul le prisonnier m'a prié de vous amener ce jeune homme, qui a quelque chose à vous dire. « Le tribun le prenant par la main, et l'ayant tiré à part, lui demanda : Qu'avez-vous à me dire? Ce jeune homme lui dit : Les Juifs ont résolu ensemble de vous prier que demain vous envoyiez Paul dans leur assemblée, comme s'ils voulaient connaître plus exactement de son affaire; mais ne consentez pas à leur demande, car plus de quarante hommes d'entre eux doivent lui dresser des embûches, ayant fait voeu, avec de grands serments, de ne manger ni boire qu'ils n'aient tué Paul ; et ils sont déjà tout préparés, attendant seulement que vous leur ayez accordé ce qu'ils désirent. Le tribun ayant appris cela, renvoya le jeune homme, et lui défendit de découvrir à personne qu'il lui eût donné cet avis (14-22)».

4902 2. Le tribun fait sagement de lui recommander de ne rien dire à personne. Il donne ensuite ses ordres aux centurions. Paul est envoyé à Césarée pour s'y faire entendre sur un plus grand théâtre et devant. un plus illustre auditoire. Les Juifs ne pourront pas dire qu'ils - auraient embrassé la foi s'ils avaient vu Paul, s'ils 'avaient entendu enseigner. Cette excuse leur est ainsi enlevée. La nuit suivante, le Seigneur se présenta à lui, et lui dit: « Paul, ayez bon courage; car comme vous avez rendu témoignage de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous me rendiez témoignage dans Rome ».. Remarquez : le Seigneur lui apparaît, puis il le laisse se sou-. ver par des voies humaines. Admirez l'apôtre, il ne se trouble pas, il ne dit pas : Qu'est-ce que ceci veut dire? Suis-je trompé par le (249) Seigneur? Pareille pensée ne lui vient même pas, nul soupçon de ce genre n'effleure son esprit, il croit simplement. Bien qu'il croie cependant, il ne s'endort pas, il ne néglige pas de prendre les mesures que lui suggère la sagesse humaine. Remarquez aussi comment les Juifs se sont imposés une sorte de nécessité, par l'anathème qu'ils ont appelé sur leurs têtes. Voilà le jeûne converti en un instrument de meurtre. Hérode s'était déjà assujéti à la nécessité du serment. Tel est l'artifice du démon, il cache ses piéges sous les apparences de la piété. Il eût fallu citer, accuser, composer un tribunal. Une conduite pareille n'était pas celle de prêtres, mais de chefs de brigands; ni de magistrats, mais de fléaux publics. Et voyez l'excès de la méchanceté. Il ne leur suffit pas de se corrompre entre eux, ils entreprennent encore de corrompre le gouverneur. C'est pourquoi la Providence permet qu'il soit instruit de leurs menées. Ainsi ces hommes montrent, tant par l'impossibilité où ils sont de rien dire, que par leurs menées secrètes, qu'ils ne sont rien. Il est vraisemblable qu'après le départ de Paul, les princes des prêtres se présentèrent chez le gouverneur pour le demander, et qu'ils se retirèrent couverts de confusion à cause de l'insuccès de leur déMche. Le tribun agit sagement. Il ne voulait point livrer Paul par une complaisance coupable. Comment, demandera-t-on, ajouta-t-il foi à ravis du jeune homme? Par ce qui s'était passé, il conjectura la vraisemblance de ce complot. Voyez que de méchanceté: ils imposent une sorte de nécessité aux prêtres eux-mêmes. Si les prêtres prirent sur eux une charge si importante, s'ils coururent ainsi tout le risque de l'affaire, faut-il s'étonner que les autres aient fait ce qu'ils ont fait. Paul est déclaré innocent par la sentence des païens, comme le Christ l'avait été par la voix de Pilate. Remarquez comme l'iniquité se combat elle-même. Ils :l'avaient livré pour le faire condamner et mettre à mort; et c'est le contraire qui arrive, il est trouvé innocent et sauvé. Sans cela il eût été mis en pièces; sans cela il eût été condamné, il eût péri. Non-seulement le tribun le dérobe à la rage de ses ennemis, mais il devient l'instrument de son salut en le faisant protéger par une si forte escorte. Ecoutez comment.

« Et ayant appelé deux centeniers, il leur dit. Tenez prêts dès la troisième heure de la nuit, deux cents soldats, soixante-dix cavaliers et deux cents lances, pour aller jusqu'à Césarée. Il leur ordonna aussi d'avoir des chevaux pour monter Paul, et le mener sûrement au gouverneur Félix. Il écrivit en même temps une lettre en ces termes : Claude Lysias, au très-excellent gouverneur Félix, salut. Les Juifs s'étant saisis de cet homme, et étant sur le point de le tuer, je suis intervenu avec des soldats et l'ai tiré de leurs mains, ayant su qu'il était citoyen romain. Et voulant savoir de quel crime ils l'accusaient, je le menai en leur conseil. J'ai trouvé qu'il n'était accusé que de certaines choses qui regardent leur loi, sans qu'il y eût en lui aucun crime- qui fût digne de mort ou de prison. Et sur l'avis qu'on m'a donné d'une entreprise que les Juifs avaient formée pour le tuer, je vous l'ai envoyé, ayant aussi commandé à ses accusateurs d'aller proposer devant vous ce qu'ils ont à dire contre lui. Adieu. (23-30) ». Cette lettre contient une justification de Paul : « Je n'ai trouvé en lui aucun crime qui fût digne de mort», en même temps qu'une accusation contre les Juifs. — Ils étaient, dit-il, sur le point de le tuer. Puis il ajoute : « Je l'ai mené en leur conseil », et ils n'ont rien trouvé à lui reprocher. Et- au lieu de s'arrêter après leur première tentative et d'en rougir, ils cherchent de nouveau à le tuer, en sorte que la justice de sa cause paraît avec plus d'éclat. Et pourquoi le tribun envoie-t-il aussi les accusateurs? Afin que devant le tribunal Paul fût déclaré innocent, après un. minutieux examen.

Reprenons. « Je suis pharisien », dit-il. Il dit cette parole pour se les concilier. Puis, pour ne pas s'en tenir à une flatterie pure et simple, il ajoute : « Et c'est à cause de l'espérance d'une autre vie, et de la résurrection des morts, que l'on veut me condamner ». Il attaque pour se, mieux défendre; car les saducéens disent qu'il n'y a ni ange, ni esprit. Il n'existe rien d'incorporel selon les saducéens, pas même Dieu lui-même, tant ils étaient matériels. Par conséquent, ils refusaient de croire à la résurrection. « Et quelques scribes du parti des pharisiens s'étant levés, discutaient et disaient : Nous ne trouvons rien de mal en cet homme ».
4903 3. Voyez : le tribun entend les pharisiens déclarer Paul innocent ; et il ne prononce dans le même sens et il l'enlève plus (250) hardiment. Les discours tenus par Paul avaient été remplis de sagesse. « La nuit suivante, le Seigneur se présentant à lui, lui dit: Ayez bon courage, Paul, comme vous m'avez rendu témoignage à Jérusalem, il faut de même que vous me rendiez témoignage dans Rome». Voyez quelle consolation ! Le Seigneur commence par louer son apôtre; ensuite, pour que son départ imprévu pour Rome ne l'effraie pas, il le lui annonce d'avance; comme s'il disait : non-seulement tu iras là, mais tu auras encore l'occasion d'y montrer la même intrépidité apostolique. Ensuite, il n'est pas dit qu'il. se sauvera du péril, mais qu'il méritera par son témoignage la grande couronne dans. la grande ville. Pourquoi l'apparition n'a-t-elle pas lieu avant le péril ? parce que c'est toujours dans les tribulations que Dieu console, c'est alors que sa présence est la plus désirée, et il nous exerce dans les périls. A ce moment-là, c'est vrai, il était dans le calme, étant débarrassé de ses liens; mais il allait bientôt courir un danger terrible : «Nous avons juré en appelant l'anathème sur nous, de ne pas manger ni boire ». Quelle fureur étrange ! ils se soumettent à l'anathème sans aucune raison. « Afin qu'il l'amène vers vous, comme devant connaître plus exactement de son affaire ». Que dites-vous? Est-ce qu'il,n'a point parlé publiquement devant vous jusqu'à deux fois? n'a-t-il pas dit qu'il était pharisien ? N'est-il pas superflu d'aller plus loin? Mais ils aimaient tant les tribunaux et les lois, ils tenaient si fort à ne rien négliger ! Et ils déclarent leur dessein, et ils annoncent le forfait qu'ils méditent. «Le fils de la soeur de Paul ayant appris le complot ». C'est pan trait, de la divine providence qu'ils n'aient pas remarqué qu'on les entendait.

Que fit Paul? Il ne fut pas troublé, mais il vit dans ce qui se passait l'oeuvre de Dieu, et remettant tout à Dieu il sut tirer de ce fait son salut. Voyez .comment Dieu a tout dispensé pour le bien. Le jeune homme dénonce le complot, on l'en croit, et Paul est sauvé. — Mais, dira-t-on, puisqu'il avait été renvoyé absous, pourquoi faire partir des accusateurs? — Pour que l'enquête soit plus exacte et l'innocence de l'apôtre mieux établie. Telle est la conduite de Dieu: ce qui devait nous perdre dans la pensée de nos ennemis est souvent ce qui nous sauve. Aussi Joseph fut en butte aux pièges de la femme de son maître, et ce qui paraissait un piège se changea en voie de salut. Le séjour de la prison était en effet bien préférable à là maison où vivait ce monstre. Dans cette maison il était traité avec douceur, mais sa crainte des obsessions de sa maîtresse était continuelle, crainte pire pour lui que le séjour de la prison. Après l'accusation, il fut désormais libre et tranquille, et n'eut plus à redouter les piéges impurs de cette femme. Mieux valait pour lui la société des infortunés que celle d'une maîtresse égarée par sa passion. Ici il se consolait lui-même par la pensée qu'il était captif pour la chasteté; là il redoutait les blessures qui pouvaient être faites à son âme : rien de plus fâcheux qu'une femme amoureuse pour un jeune homme qui ne veut pas consentir à son désir, rien de plus impur, de plus repoussant. Il n'y a pas de prison qui soit aussi dure. On peut donc dire qu'au lieu d'être jeté en prison, il en fut délivré. Cette femme attira sur Joseph l'inimitié de son maître, mais elle lui assura l'amitié de Dieu, elle le fit avancer dans l'intimité du Maître véritable et absolu; elle le dépouilla de l'intendance de sa maison, mais elle l'introduisit dans la maison dû Maître par excellence.

D'un autre côté ses frères le vendirent, mais ils le délivrèrent ainsi des ennemis qu'il rencontrait dans la maison de son père, de la haine, de l'envie, des embûches quotidiennes, ils l'envoyèrent loin de ceux qui le haïssaient. Quoi de plus fâcheux que d'être forcé de vivre avec des frères envieux, d'être en butte aux soupçons, aux pièges de toute espèce ? La Providence fit servir à,la grandeur du juste Joseph ce que ses frères et la femme de Putiphar avaient tenté pour le perdre. Etait-il dans les honneurs, c'est alors qu'il était en danger; était-il dans l'abaissement, c'est alors qu'il était le plus en sûreté. Les eunuques l'oublient, et ceci tourne encore à sa gloire et ne fait que lui ménager une. occasion plus brillante pour sortir de prison ; de la sorte sa délivrance sera due non à la faveur humaine, mais tout entière à la divine Providence ; il sortira à propos pour rendre de grands services, et Pharaon, en le tirant de sa prison, sera son obligé plus que son bienfaiteur. Il convenait que sa délivrance fût non pas une grâce accordée à un esclave, mais une conséquence de la nécessité où se (251) trouverait le roi. Il convenait aussi que la sagesse de ce juste fût manifestée avec éclat. Si l'eunuque l'oublie, c'est afin que l'Égypte ainsi que le roi apprennent à le connaître. S'il eût été délivré plus tôt, il eût peut-être désiré de revoir sa patrie. C'est pour cela que mille nécessités, l'arrêtent, d'abord la servitude, puis la prison, enfin le service du roi; c'est par ces ménagements que Dieu arrivait à ses fins. Il était donc comme un jeune cheval de bonne race qui brûlait de s'élancer librement dans l'espace pour rejoindre les siens, et que Dieu retenait là pour des motifs glorieux. Qu'il désirât de revoir son vieux père et de le délivrer de son chagrin, cela est évident puisque aussitôt il l'appelle près de lui.
4904 4. Voulez-vous que nous.considérions d'autres embûches pour faire voir, plus clairement encore qu'elles sont utiles à ceux qui y sont exposés, non-seulement parce qu'elles sont toujours suivies d'une récompense sûre, mais encore parce qu'elles, sont accompagnées d'avantages actuels et présents? L'oncle de Joseph persécuta le père, de celui-ci, il le contraignit à quitter son pars. Hé bien ! il ne fit que l'éloigner du péril et le mettre en sûreté. Il contribua à le rendre plus sage, il lui procura la faveur d'une vision. On objectera qu'il servit sur une terre étrangère. Mais il «arrive dans sa parenté, et 2 y prend une épouse, et se fait estimer de son beau-père. Il est vrai que celui-ci voulut aussi lui tendre des embûches. Or, ces embûches tournent encore à son avantage, en le ramenant dans son pays. Un bonheur sans mélange lui eût fait oublier ce retour. J'avoue qu'on lui fit perdre la récompense à laquelle il avait droit, mais par suite cette même récompense se trouva encore augmentée. Plus la persécution multipliait ses attaques, plus la prospérité de Jacob florissait. S'il n'eût pas épousé l’aînée des filles de Laban, il ne se serait point vu promptement père de tant d'enfants, il eût- passé d'assez longues années sans enfants, et dans le chagrin comme Rachel. Celle-ci avait un motif de pleurer étant si longtemps stérile, tandis que lui trouvait de la consolation, et pouvait repousser les plaintes de sa femme. De plus, s'il n'avait été privé de sa récompense, le désir. ne lui serait pas venu de revoir sa terre natale, sa sagesse n'eût pas été mise en évidence, il n'eût pas vu Rachel et Lia s'attacher à lui plus étroitement qu'auparavant. Écoutez ce qu'elles dirent : « Votre père ne nous a-t-il pas dévorées nous et notre argent? » (Gn 31,15) Ainsi donc, à être persécuté, il gagna d'être aimé d'avantage. Il eut desservantes au lieu d'épouses, et il fut aimé d'elles, possession à laquelle nulle autre n'est comparable: Nul trésor, en effet, ne vaut l'amour qu'on se porte mutuellement entre époux. « Et une. femme vivant en parfait accord avec son mari » (Qo 25,2) : béatitude unique proclamée par le Sage. Cette condition existant, tout le reste, richesse et prospérité, vient par surcroît; si au contraire elle manque, tout le reste devient inutile, tout se trouve bouleversé, tout se remplit d'amertume et de confusion. Recherchons donc ce point- avant tout. Celui qui recherche l'argent, ne recherche pas autre chose. Recherchons ce qui peut être durable.

Ne recherchons pas en mariage les femmes riches, de peur que la disproportion de la fortune ne donne à l'épouse des sentiments de hauteur qui pourraient devenir une cause de discorde. Voyez ce que Dieu a fait, comment il a soumis la femme à son mari. Pourquoi n'avez-vous ni reconnaissance ni bon sens? Cessez de pervertir le don de Dieu. Ne recherchez donc pas une femme gui soit riche, mais une femme qui soit votre compagne dans la vie, pour la procréation des enfants. Dieu a donné la femme à l'homme, non pour qu'elle lui rapporte des revenus, mais pour qu'elle soit son aide..Celle qui vient avec une riche dot vient en ennemie, en souveraine, et non simplement comme une femme. Riche, elle se croit en droit d'être arrogante. Rien de plus vil qu'un homme qui a résolu de s'enrichir par cette voie. Si la richesse est déjà par elle- même remplie de tentations, que dire de la richesse ainsi acquise ? Ne considérez pas si un tel ou un tel a quelquefois réussi de cette manière par hasard, et contre toute vraisemblance. Ces heureuses fortunes; qui arrivent extraordinairement à quelques-uns, ne méritent guère qu'on s'y arrête. Or, si l'on examine cette question au point de vue de la raison, il est certain que ces sortes d'unions sont remplies d'amertume. De plus le déshonneur ne vous atteint pas seul, il atteint encore vos enfants que vous laisserez pauvres si vous vous en allez le premier, car votre femme ne manquera pas de prétextes pour contracter un second mariage. N'en voyons-nous pas un grand nombre se remarier sous le prétexte (252) d'éviter le mépris, et d'avoir quelqu'un qui administre leurs biens. Ne nous laissons donc pas entraîner au milieu de tant de maux par l'appât des richesses. Mais négligeons tout le reste, et recherchons une belle âme pour rencontrer l'affection. C'est là une grande richesse, un grand trésor qui comprend tous les biens de la vie; puissiez-vous en jouir convenablement et vivre selon les lois de Dieu, afin que vous puissiez aussi obtenir les biens futurs par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Cette dernière homélie a été traduite par M. JNNIN.

HOMÉLIE L. LES SOLDATS DONC, POUR EXÉCUTER L'ORDRE QU'ILS AVAIÉNT REÇU, PRIRENT PAUL AVEC EUX, (CHAP. XXIII, VERS. 31-33, JUSQU'AU VERS. 21 DU CHAP. XXIV)

ET L'EMMENÈRENT LA NUIT A ANTIPATRIDE. ET LE LENDEMAIN, ILS S'EN RETOURNÈRENT A LA FORTERESSE, AYANT LAISSÉ LES CAVALIERS CONTINUER LEUR ROUTE AVEC LUI. CEUX-CI, ÉTANT ARRIVÉS A CÉSARÉE, RENDIRENT LA LETTRE AU PROCURATEUR, ET REMIRENT PAUL ENTRE SES MAINS.
5000 Ac 23,31-24,21

ANALYSE. 1-3. Saint Paul descend de Jérusalem à Césarée escorté comme un roi. — Il comparaît devant le gouverneur qui le trouve innocent, mais néanmoins qui le retient prisonnier.
3 et 4. Il faut supporter patiemment les injures et se réconcilier avec son ennemi. — L'offensé s'honore lui-même en faisant les premières déMches auprès de l'offenseur.

5001 1. Ainsi Paul se met en route, escorté comme un.roi, par un si grand nombre de gardes, et pendant la nuit, parce qu'ils redoutent l'effervescence de la colère du peuple. La multitude cesse du moins de le poursuivre, après qu'elle l'a expulsé de la ville. Or, le tribun n'eut pas protégé son départ avec tant de précautions, si lui-même ne l'eût reconnu innocent, et si, en même temps, il n'avait connu les passions sanguinaires auxquelles les Juifs étaient en proie. « Le procurateur ayant donc lu la lettre, s'enquit de quelle province était Paul, et ayant appris- qu'il était de Cilicie, il lui dit : Je vous entendrai, quand vos accusateurs seront venus, et il commanda qu'on le gardât au palais d'Hérode (34, 35) ». Lysias avait déjà pris sa défense; mais les Juifs reviennent à la charge contre lui, ils surprennent la bonne foi du juge, et Paul est de nouveau jeté en prison; écoutez de quelle manière, car le texte sacré ajoute : « Cinq jours après, le grand prêtre Ananie descendit à Césarée, avec quelques anciens du peuple et un certain orateur nommé Tertulle, qui se rendirent accusateurs de Paul devant le procurateur ». Voyez de quelle manière, loin de se désister, ils viennent sans être arrêtés par les mille obstacles qui s'opposaient à cette déMche, de sorte qu'en ce moment même il leur est impossible de ne pas en ressentir une (253) sorte de confusion. « Et Paul ayant été appelé, Tertulle commençai à l'accuser en ces termes : Comme c'est par vous, très-illustre Félix, que nous jouissons d'une profonde paix, et que plusieurs mesures très-salutaires à ce peuple ont été arrêtées par votre sage prévoyance, nous le reconnaissons en toutes rencontres et en tous lieux, et notes vous en rendons de très-humbles actions de grâces. Mais ne voulant pas vous détourner plus longtemps des affaires de votre gouvernement, je vous prie d'écouter avec votre bonté ordinaire ce que nous avons à vous dire en peu de paroles ». (Chap. XXIV, l, 4) Mais c'est vous-mêmes, grand prêtre et anciens du peuple, qui avez tout fait; quel besoin aviez-vous donc d'un orateur? Voyez comme celui-ci, dès le début, cherche à présenter Paul comme un novateur et.comme un séditieux; comme il cherche, par ses éloges, à capter l'opinion du juge. Remarquez aussi que, comme s'il avait beaucoup à dire, il court rapidement d'une chose à l'autre, et se borne à dire ceci : « Afin de ne pas vous détourner glus longtemps des affaires de votre gouvernement». Voyez en même temps de quelle manière il fait naître dans le coeur du juge le désir de la sévérité, puisqu'il ne s'agit de rien moins pour lui que d'arrêter les menées du perturbateur de l'univers, et que c'est un grand intérêt qui excite leur zèle. « Ayant trouvé cet homme.qui est une peste publique, qui pousse à la révolté tous les Juifs de l'univers, quai est le chef de la secte des Nazararéens, qui a même tenté de profaner le «temple, nous nous étions saisis de lui, « et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l'a arraché d'entre les mains avec une grande violence, ordonnant que ses accusateurs viendraient comparaître devant vous; et vous pourrez vous-même l'examiner et reconnaître la vérité de toutes les choses dont nous l'accusons (54»). — «Il excite», dit-il, «le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde». Ils l'accusent d'être le fléau, l'ennemi publie de la nation, et le chef de la secte des Nazaréens. Rien n'était plus infamant que cette dénomination de Nazaréen », à cause du mépris qu'on affectait à l'égard de Nazareth. C'est pourquoi ils mettent. en avant cette particularité, et cherchent à y trouver un nouveau sujet d'accusation contre lui. « Ayant trouvé cet homme », dit-il. Remarquez avec quelle méchanceté ils le décrient comme un criminel qui a pris la fuite, et qu'ils ont eu de la peine à atteindre, bien qu'il eût passé sept jours dans le temple. « Nous nous étions saisis de lui, et le voulions juger suivant notre loi ». Voyez comme ils outragent cette loi elle-même, à moins qu'il ne fût permis par la loi de frapper, de tuer, de dresser des embûches. Puis vient l'accusation dirigée contre Lysias. « Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l'a arraché d’entre les mains avec une grande violence », action, semble-t-il dire, qu'il ne lui appartenait pas de faire, et qu'il s'est pourtant permise. « Vous pourrez vous-même, en l'interrogeant, reconnaître la vérité des choses dont nous l'accusons. Les Juifs ajoutèrent que tout cela était véritable ». Mais que fait Paul pendant ce temps? Est-ce qu'il garde le silence sur tout cela? Nullement. Il prend de nouveau la parole librement et sans crainte, il répond, et cela par ordre du procurateur; car le texte ajoute : « Mais le procurateur ayant fait signe à Paul de parler, il répondit en ces termes : J'entreprendrai avec d'autant plus de confiance de me justifier devant vous, que je sais que, depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province, et qu'il vous est aisé de savoir qu'il n'y a pas plus de douze jours que je suis venu adorer à Jérusalem, et ils ne m'ont point trouvé disputant avec qui que ce soit dans le temple, ni amassant le peuple, soit dans les synagogues, soit dans la ville, et ils ne sauraient prouver aucun des chefs dont ils m'accusent maintenant (9-13) ». Rendre témoignage à l'équité du juge, ce n'est pas le langage de la flatterie, langage que nous trouvons bien plutôt dans ces paroles : « C'est par vous que nous jouissons d'une profonde paix», ce qui revient à dire : Mais vous, pourquoi excitez-vous injustement des séditions? Remarquez que les Juifs poussaient le juge à,l'injustice; Paul ne cherche que la justice, et c'est pour cela qu'il dit : « J'entreprendrai avec d'autant plus de confiance de me justifier ». Il se prévaut ensuite du temps : « Je sais que depuis plusieurs années vous rendez la justice dans cette province ». Cela importait-il beaucoup à sa démonstration? Sans doute: car par là il fait voir que le gouverneur lui-même sait que Paul n'a rien fait de ce dont il est accusé. Si, en effet, il eût excité quelque trouble, (254) Félix, en sa qualité de juge, l'aurait su, et un fait aussi grave ne se serait pas dérobé à sa connaissance. Puis, comme l'accusateur n'a rien pu prouver sur les prétendues menées de Paul dans la ville de Jérusalem, voyez ce qu'il ajoute : « Il excite le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde », accumulant ainsi mensonge sur mensonge. Voilà pourquoi Paul le chassant de cette position, dit : « Je suis venu pour adorer », à peu près comme s'il disait pour se justifier: tant je suis éloigné de chercher à exciter des troubles. Et il insiste sur ce solide argument, en ajoutant : « Ils ne m'ont point trouvé disputant. avec qui que ce soit, ni dans le temple, ni dans la ville, ni dans la synagogue », ce qui était vrai. Et Tertulle lui donne la qualification de chef.», comme dans un combat ou une émeute; mais Paul se borne à répondre avec douceur : « Il est vrai, et je le reconnais devant vous, que selon cette religion qu'ils appellent secte, je sers le Dieu de nos. pères, croyant. toutes les choses qui sont écrites dans la loi et dans les prophètes; espérant en Dieu, comme ils l'espèrent eux-mêmes, que tous les hommes justes injustes ressusciteront un jour (14, 15) ».
5002 2. Considérez ceci : les Juifs s'attachent à le séparer, à l'isoler,d'eux : mais lui se confond avec eux en s'unissant à la,loi par les raisons mêmes qu'il fait valoir pour sa justification. Et pour donner plus de force à ce qu'il a dit, il ajoute : « C'est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes. Mais étant venu, après plusieurs années, pour faire des aumônes à ma nation et des sacrifices à Dieu.; lorsque je vaquais encore à ces exercices, ils m'ont trouvé purifié dans le temple, sans rassemblement du peuple et sans tumulte .(16, 18) ». Pourquoi êtes-vous monté à Jérusalem ? Pourquoi êtes-vous .venu? Pour adorer », répondit-il, « pour à faire des aumônes ». Ce n'était pas le fait d'un séditieux. Ensuite, il fait tomber les masques, en disant, sans rien particulariser : « C'est dans ces exercices que m'ont trouvé quelques Juifs d'Asie, qui auraient dû comparaître devant vous, et se rendre.accusateurs, s'ils avaient quelque chose «contre moi; mais que ceux-ci déclarent «s'ils ont trouvé en moi quelque iniquité, lorsque j'ai comparu dans leur assemblée, à moins que l'on ne m'accuse de cette parole que j'ai dite hautement en leur présence : .C'est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd'hui traduit en justice par vous (19-21) ». Le propre d'une justification complète, c'est de ne pas reculer devant ses accusateurs, et d'être prêt à rendre compte à tous de sa conduite. « C'est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd'hui, » dit-il, « traduit en justice par vous ». Et il ne dit rien de tout ce qu'il pouvait dire à bon droit, à savoir : qu'ils l'ont épié, qu'ils l'ont détenu, qu'ils lui ont dressé des embûches : (car tout cela, ceux-ci racontent qu'ils l'ont fait, mais lui, quelque danger qu'il coure en ce moment, il n'en dit rien) il garde le silence à ce sujet; et bien qu'il eût mille choses à dire, il borné sa justification à ce seul point, dans la ville de Césarée, où son arrivée, au milieu d'une telle escorte, a eu un certain éclat. « Pendant que je vaquais à a ces exercices, ils m'ont trouvé purifié dans le temple ».. Comment donc l'a-t-il profané? La même personne n'a pu se purifier et adorer en même temps qu'elle profanait les saints lieux. Le soin qu'il a- de s'interdire les longueurs ajoute à la force de sa défense. Et cela même fait plaisir au juge; et c'est aussi dans ce dessein que Paul me paraît resserrer le champ de sa justification. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut.

Comme Tertulle avait précédemment fait de longues harangues, il ne dit pas simplement : écoutez l'exposé de l'affaire, mais pour ne pas vous détourner plus longtemps des soins,de votre gouvernement, je vous prie de nous écouter avec votre bonté ordinaire », montrant par là qu'il a l'intention d'abréger. Peut-être arrange-t-il ainsi son discours pour gagner la faveur de Félix, ou plutôt, n'y a-t-il pas quelque chose de bienveillant à ne dire que quelques mots pour ne pas être importun, alors qu'on aurait beaucoup à dire? « Nous avons trouvé cet homme qui est une pesté, publique... Il a même tenté de profaner le temple ». — Il ne l'a donc pas profané. effectivement. — Mais peut-être a-t-il commis ailleurs cette profanation. — Nullement; car, dans ce cas, Tertulle en eût parlé. Or, il se contente de dire ici : «il a tenté »,mais le « comment » il ne l'ajoute, pas. En même temps qu'il s'attache ainsi à mettre en relief et à exagérer tout ce qui est contre Paul, voyez (255) comme il atténue les torts des Juifs dans toute cette affaire. « Nous nous étions saisis de lui », dit-il, « et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l'a arraché d'entre les mains avec une grande violence ». Il fait voir ici que c'est par suite d'une sorte de violence qu'ils comparaissent ainsi devant un tribunal étranger, et qu'ils n'importuneraient pas en ce moment le procurateur, si Lysias ne les y avait forcés, et qu'il n'avait pas le droit de leur enlever cet homme. C'est contre -nous que cet homme a commis ses méfaits ; c'est donc chez nous qu'il devrait être mis en jugement. — Pour reconnaître que c'est bien là ce qu'il veut dire, vous n'avez qu'à voir la suite : « Avec une grande violence », dit-il, c'est là en effet de la violence. « Vous pourrez savoir de lui ». Il n'ose pas lui-même se porter accusateur, car c'était un homme indulgent pour ses semblables, et il ne veut pas non plus passer outre sans raison. Puis, pour qu'on ne croie pas qu'il vient, il fait de Paul son propre accusateur. «Vous pouvez», dit-il; « l'examiner et reconnaître la vérité de toutes ces choses ». Viennent ensuite les témoins qui doivent confirmer ses allégations : « Les Juifs ajoutèrent que tout cela était véritable». Les accusateurs sont ici à la fois témoins et accusateurs. Paul répond : « Sachant que depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province ». Puisque depuis plusieurs années il connaît le juge, il n'est donc ni un étranger, ni un barbare, ni un novateur. Et c'est avec raison qu'il ajoute ce mot : « avec justice », par lequel il exclut toute idée de partialité, soit à L'égard du grand prêtre, soit à l'égard du peuple, soit à l'égard de son accusateur. Remarquez qu'il s'abstient de toute invective, bien qu'il y soit poussé pair sa situation même. « Croyant », dit-il « toutes les choses qui sont écrites dans la loi ». Il dit cela pour montrer que ce dont ils l'accusent ne saurait être le fait d'un homme qui croit à la résurrection, résurrection qu'ils attendent eux-mêmes. Il n'a pas dit, en parlant d'eux, qu'ils croient à ce qui est écrit dans les prophètes, (car ils n'y croyaient pas). Comment croyait-il, lui, à tous ces prophètes, et non les Juifs? C'est ce qu'il serait trop long d'expliquer en ce moment.

On pourrait s'étonner qu'énonçant tant de choses, nulle part il ne fasse mention du Christ. Je réponds que, dans ce terme croyant », il a compris tout ce qui avait trait au Christ, mais il s'en tient pour le moment au sujet de la résurrection, parce que cette croyance était commune aux chrétiens et aux Juifs, et qu'ainsi il écarte- tout soupçon de sédition. Vient ensuite la raison de son voyage à Jérusalem. « Je suis venu faire des aumônes à ma nation et à Dieu des offrandes », et cela depuis plusieurs années ». Comment donc aurait-il mis le trouble parmi des gens auxquels il est venu faire l'aumône, après avoir entrepris à cet effet un si grand.voyage ? «Sans attroupement », dit-il, « sans tumulte ». Il s'attache partout à ôter à sa conduite tout caractère séditieux. C'est bien à propos qu'il fait appel, pour être ses accusateurs, aux Juifs d'Asie, disant : « Ils devraient paraître devant vous et m'accuser, s'ils avaient quelque grief contre moi ». Il est si assuré de son innocence quant aux choses dont on l'accuse, qu'il croit pouvoir leur porter ce défi. Et il accepte pour accusateurs; non-seulement les Juifs d'Asie, mais encore ceux de Jérusalem, et il presse ces derniers de se présenter aussi, en ajoutant : « Ou bien que ceux-ci même déclarent ». Car ce qu'ils supportaient avec peine dès le commencement, c'est que Paul annonçât la résurrection. Et il avait raison d'en agir ainsi: car ce point établi, il lui, était facile d'amener ce qui concerne la résurrection du Christ. « Quelle iniquité », dit-il, « ont-ils trouvée en moi, « lorsque j'ai comparu dans leur assemblée?» Il dit: « Dans leur assemblée », pour montrer qu'ils n'ont rien trouvé contre lui, non pas à la suite d'une enquête faite à son sujet en particulier, mais en présence d'une multitude de gens examinant cette affaire avec le plus grand soin.
5003 3. Que ce que je dis soit vrai, c'est ce que prouvent ceux-là même qui l'accusent sur ce point. C'est pour cela qu'il a dit: « C'est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes ». En effet, la vertu parfaite consiste à ne pas donner prise aux reproches des hommes, et à s'efforcer d'être également irréprochable devant Dieu. « J'ai crié », dit-il, « dans l'assemblée », montrant par cette expression : « J'ai crié », leur violence à son égard, comme s'il disait: Ils ne sauraient alléguer que j'ai fait cela sous prétexte de faire l'aumône ; car il n'y a eu autour (256) de moi, à ce propos, ni attroupement, ni tumulte; et d'ailleurs, après enquête faite à ce sujet, on n'a pas trouvé autre chose dans ma conduite. — Avez-vous remarqué sa mansuétude au sein des périls? avez-vous remarqué la modération de son langage, et comme il n'a d'autre but que de détruire les accusations dirigées contre lui, sans les accuser à son tour, ne se justifiant qu'autant qu'il y est forcé? Il agit ainsi à l'exemple du Christ qui disait: « Je ne suis pas possédé du démon, mais j'honore mon Père, et vous, vous m'avez déshonoré». (Jn 8,49) Et nous, imitons Paul, puisqu'il a été lui-même l'imitateur du Christ. Si Paul n'a eu aucune parole dure pour ceux qui en étaient venus à son égard jusqu'à vouloir le faire mourir, comment, nous, pourrions-nous mériter notre pardon, si nous nous laissons emporter jusqu'aux injures et aux outrages, en appelant nos ennemis des scélérats, des infâmes? Comment pourrions-nous nous excuser même d'avoir des ennemis? Ne comprenez-vous pas que celui qui honore les autres s'honore lui-même ? Mais nous, tout au contraire, nous nous outrageons nous-mêmes. Tu accuses, parce que tu as été outragé! Pourquoi tombes-tu toi-même dans la même faute? Pourquoi te blesses-tu toi-même? Reste impassible, reste invulnérable, de peur qu'en voulant frapper autrui, tu ne te précipites toi-même dans le malheur. N'avons-nous pas assez de ces tempêtes de l'âme qui se soulèvent dans ses profondeurs sans que personne les excite, je veux sjire nos désirs insensés, nos folles tristesses, nos abattements, et tant d'autres mouvements désordonnés ? faut- il encore que nous y accumulions comme à plaisir d'autres orages?

Mais comment est-il possible, dites-vous, de supporter cet outrage? — Comment, vous demanderai-je à mon tour, comment n'est-ce pas possible? Est-ce que les mots peuvent nous blesser ?est-ce qu'il en reste sur notre corps des meurtrissures? Quel est donc le mal qu'ils nous font? Si nous le voulons, nais pouvons les supporter. Imposons-nous la loi de ne pas souffrir. de leur atteinte, et nous les supporterons. Disons-nous à nous-mêmes. Ceci n'est pas l'effet de la haine qu'on nous porte, c'est plutôt l'effet d'une sorte d'infirmité. Et ce qui prouve que ce n'est ni l'effet de la haine, ni l'effet de la méchanceté, c'est que notre ennemi.voulait se contenir, bien qu'on ait eu mille fois tort envers lui. Si nous nous contentons de faire cette réflexion que l'outrage provient d'une sorte d'infirmité, nous le supporterons, nous pardonnerons à celui qui nous a outragés, et nous nous efforcerons de ne pas tomber nous-mêmes dans ce défaut. Si je demande à tous ceux qui m'écoutent: Die pourriez-vous pas, si vous le vouliez bien, avoir assez de philosophie pour supporter les outrages ? chacun répondra: Pour moi, du moins, je le crois ainsi. Eh bien donc, lui dirai-je, si quelqu'un t'a offensé malgré lui, sans le vouloir, et comme poussé par la passion, possède-toi. Ne vois-tu pas les démoniaques? C'est bien moins une violente inimitié, qu'une sorte d'infirmité, qui met certaines personnes dans cet état. Il en est ainsi de nous; c'est en nous-mêmes, ce n'est pas dans la nature même des injures, que se trouve la cause de notre émotion. Comment se fait-il, en effet, que nous supportons les mêmes outrages de la part d'un fou? Et si ceux qui nous outragent sont des amis ou des supérieurs, nous supportons également leurs outrages. Mais quelle absurdité n'est-ce pas d'endurer ainsi ce qui nous vient de nos amis, des fous et des supérieurs, et de ne pas endurer ce qui nous vient de nos égaux ou de nos inférieurs ? Je l'ai déjà. dit bien des fois: il s'agit,d'une chose qui ne dure qu'un instant, et que l'instant d'après voit s'évanouir; un peu de patience, et tout est dit. Plus l'outrage est grave, plus est grande l'infirmité de celui qui outrage. Sais-tu dans quel cas il faut se chagriner? Lorsque, à nos outrages, un autre n'appose que le silence. Car alors c'est lui qui est fort, et c'est nous qui sommes faibles; mais si c'est le contraire qui arrive, non-seulement il ne faut pas s'en chagriner, mais il faut même s'en réjouir. Tu as été couronné, tuas été proclamé vainqueur, sans que tu aies eu besoin de descendre dans l'arène. Tu n'as été incommodé ni par l'ardeur du soleil, ni par la poussière; tu n'as pas eu à en venir aux mains, tu n'as eu qu'à vouloir: et assis ou debout, tu as reçu une belle couronne, une couronne plus belle que toutes celles qu'on décerne aux athlètes, car il est plus méritoire de triompher des traits de la colère que de frapper un ennemi qui vous attaque. Tu as vaincu, sans même avoir engagé la lutte; tu n'as eu qu'à dompter la passion qui était en toi, égorgeant ainsi la bête irritée, ou, pour mieux dire, la muselant au moment où elle entrait en (257) fureur, comme un pâtre prévoyant: c'était une guerre civile qui avait éclaté; c'était en toi- même que le combat était engagé. — Car de même que ceux qui assiègent une place, cherchent à fomenter la guerre civile dans l'intérieur de cette place, et sont vainqueurs par l'emploi de ce moyen : de même celui qui nous outrage, s'il ne parvient pas à exciter en nous-mêmes l'ardeur du ressentiment, échouera dans son entreprise ; il n'a aucune force, aucun pouvoir, si nous n'attisons le feu en nous-mêmes. — Que l'étincelle de la colère demeure donc en nous, pour n'y être ranimée qu'à propos, et non contre nous-mêmes, ce qui nous exposerait à mille maux.

Ne voyez-vous pas de quelle manière, dans les maisons, le feu est tenu caché, sans être éparpillé nulle part et jeté au hasard parmi la paille et les étoffes, de peur que le moindre vent qui viendrait à souffler n'allume un incendie ? Quand la servante va quelque part une lampe à la main, et quand le cuisinier allume ses fourneaux, on leur recommande expressément de prendre des précautions; et lorsque la nuit survient, nous avons soin de couvrir le feu de peur que, pendant notre sommeil; et lorsque personne n'est là pour y veiller, il ne 'se rallume et qu'un incendie n'éclate. — Agissons de même à l'égard de la colère: ne la laissons pas s'éparpiller çà et là dans notre pensée, mais renfermons-la dans, les profondeurs de l'âme, de peur que le vent ne vienne à souffler, je veux parler des paroles offensantes que nous sommes exposés à entendre : sachons contenir le souffle en nous-mêmes, pour ne l'employer qu'à propos et lorsque la chose est sans danger pour nous. S'il se déchaîne du dehors en toute liberté, il ne connaîtra pas de bornes et allumera un incendié qui dévorera tout. Que cette étincelle de la colère ne nous serve donc qu'à nous donner de la lumière. En effet, la lumière naît de la colère, quand celle-ci n'éclate qu'à propos. Portons des torches allumées pour surprendre ceux qui, à là faveur des ténèbres, cherchent à nuire à leurs semblables ; servons-nous-en pour. épier les pièges du démon. Que cette étincelle ne soit pas abandonnée un peu partout, comme au hasard; conservons-la sous la cendre; que d'humbles pensées la recueillent et l'endorment dans leur sein. Nous n'en avons pas toujours besoin, mais seulement quand il nous faut vaincre quelque difficulté, aplanir quelque obstacle, quand il nous faut adoucir quelque coeur endurci, ou reprendre avec vigueur quelque esprit qui s'égare

5004 4. Que de maux ont enfanté la colère et ses emportements ! Et ce qui est plus fâcheux, c'est qu'après que nous nous sommes séparés les uns des autres à la suite d'une altercation, nous ne-nous sentons plus capables de nous réunir encore, mais nous attendons que les autres viennent à nous : chacun a honte de faire le premier pas en vue d'une réconciliation. Voyez donc, on ne rougit pas de donner comme le signal de cette mauvaise action, je veux dire, la séparation, le déchirement : mais on rougit de s'approcher pour rajuster ce qui a été ainsi mis en pièces, comme ferait celui qui n'éprouverait aucune peine à amputer son membre, mais qui rougirait d'avoir à le mettre en place, et à donner les soins nécessaires en pareil cas. Réponds-moi, ô homme ! As-tu de grands torts à te reprocher, et peut-on dire que c'est toi qui as provoqué la lutte? Dès lors, il est juste que ta fasses les premiers pas pour te réconcilier, puisque tu as été la cause première. du dissentiment. Mais c'est toi qui as été offensé; c'est lui, dis-tu, qui est cause de tout. — Eh bien, pour cette raison même, fais les premiers pas, afin qu'on t'en admire davantage, et que tu obtiennes ainsi doublement la première place, et pour n'avoir pas été la cause de cette rupture, et pour avoir empêché qu'elle ne se prolonge; et peut-être déjà ton ennemi, à qui sa conscience reproche les mille méfaits dont tu te plains, en rougit-il, en a-t-il honte en secret. — Mais il s'est laissé aller aux derniers excès ! — Eh bien, pour cette raison même, n'hésite pas à accourir vers lui : car deux violentes passions le troublent,: l'emportement et la colère. Tu viens d'articuler toi-même les motifs que tu as de faire les premières démarches : tu te possèdes, tu es sain d'esprit, ta vue n'est pas troublée comme la sienne, pour lui, il est plongé dans les ténèbres; car tel est l'effet de l'emportement et de la colère. Toi qui es exempt de ces maux, toi qui te portes bien, va, comme le médecin, voir le malade. Quel est le médecin qui osera dire : Puisque cet homme est malade, je ne veux pas aller à lui? Tout au contraire, les médecins sortent précisément pour aller visiter ceux qu'ils savent hors d'état de venir les trouver. Quant à ceux qui sont en état de sortir, ils ne s'en inquiètent guère, (258) parce qu'ils savent qu'ils ne sont que légèrement indisposés : ils réservent toute leur sollicitude pour ceux qui sont obligés de garder le lit. Est-ce que tu ne considères pas la colère, l'emportement, comme la pire des maladies? L'emportement ne peut-il pas être assimilé à une fièvre violente, et la colère à une vive inflammation. qui fait enfler nos membres? Juge donc combien il est pénible d'être pris par la fièvre, ou d'avoir une inflammation; va, marche, éteins ce feu, car tu le peux, par la grâce de Dieu: arrête au plus tôt cette inflammation, comme on arrête, au moyen de l'eau, les progrès d'un incendie.

Mais quoi, diras-tu, mes avances ne feront que l'exalter davantage ! — Cela ne te regarde pas : tu as fait ce que tu pouvais faire; quant à lui, qu'il ne s'impute qu'à lui-même d'avoir si mal répondu à tes bons, sentiments : il doit nous suffire que notre conscience ne nous reproche pas qu'une chose fâcheuse soit arrivée parce que nous avons négligé de faire ce qui était de notre devoir. « Donnez », dit l'apôtre, « donnez à manger à votre ennemi, car en faisant cela, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ». (
Rm 12,20) Et tout en disant cela, il n'en vçut.pas moins que nous allions trouver notre ennemi, que nous nous réconciliions avec lui, que nous lui fassions du bien, non, pour amasser ainsi,des charbons, mais pour que notre ennemi, sachant cela, se calme, pour qu'il craigne et redoute les bienfaits et les témoignages d'amitié de son ennemi plus encore que ses embûches. Un ennemi vindicatif ne fait pas autant de mal à son ennemi, que celui-ci n'en reçoit d'un adversaire qui cherche à lui être utile et à lui faire du bien. En effet, le vindicatif se nuit à lui-même, et peut-être.un peu à celui dont il cherche à se venger : mais celui qui, tout au contraire, cherche à faire du bien.à son ennemi, « a amassé des charbons de feu sur la tête de ce dernier. ». — Ne devons-nous pas, diras-tu, nous abstenir de lui faire du bien, afin de lui épargner ce malheur qui doit en être la suite? — Mais.voudras-tu donc; en agissant autrement, amasser les charbons sur ta propre tête? Car c'est ce que fait la vengeance. — Mais vous voulez donc que j'aggrave encore le mal? - Point du tout : ce n'est pas toi qui l'aggraves; ce n'est qu'à son humeur brutale qu'il doit s'eu prendre de cette aggravation. En effet, si alors que tu lui

fais du bien, que tu l'honores, que tu as à coeur de te réconcilier avec lui, lui, au contraire, conserve au fond du coeur sa haine:, c'est contre lui-même qu'il allume ce feu dévorant, ç'est sa propre tête qu'il livre à ses' ravages. Quant à toi, tu n'y es pour rien. Ne cherche p$a à être plus. miséricordieux que Dieu lui-même ; car, en voulant l'être, tu t'exposerais à mille maux. Mais que dis-je ! Quand tu voudrais l'être, tu ne le pourrais pas, même au plus faible degré. Et comment donc cela pourrait-il être? « Autant », dit-il, « il y a de distance entre le ciel et la terre, autant mes desseins, sont au-dessus de vos desseins ». (Is 55,9) Et en un autre endroit : «Si vous », dit-il, « qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus vous donnera votre Père qui est dans les cieux ». (Mt 7,11) Mais tout, cela n'est qu'une excuse, qu'un vain prétexte. Gardons-nous de porter un esprit de sophisme dans l'interprétation des ordres de Dieu. Tu demandes comment tu tombes ici dans le sophisme : le voici. L'apôtre a dit : « En faisant cela, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ». Mais toi, tu dis : Je crains mon ennemi, parce qu'il m'a fait beaucoup de tort, et cette crainte m'arrête quand il s'agit de lui faire du bien. N'est-ce pas là ce que tu dis? Mais comment donc se fait-il que tu aies un ennemi? Tu crains celui qui t'a fait du, tort, et tu ne te crains pas toi-même ! Plût à Dieu que tu eusses un peu plus de souci de ce qui te regarde ! N'agis pas, si tu veux, de cette façon envers ton ennemi dans cette intention, mais dans telle ou telle autre... Mais tu n'agis pas du tout. Eh bien, pour te déterminer, je ne veux plus te donner cette raison : « Que tu amasseras sur la tête de ton ennemi des charbons ardents », mais une autre raison plus haute. Tu peux agir, si tu veux, par ce nouveau motif, mais agis enfin. Paul a dit ce qui précède, pour t'exciter, par la crainte du châtiment, à bannir de ton coeur toute haine, Sachant tout ce qu'il n’y a de purement animal dans nos. penchants, et que, par suite, si l'on ne nous montrait la perspective de quelque châtiment, il serait impossible de nous amener à aimer notre ennemi, il nous jette, pour ainsi dire, cette grossière pâture. Mais ce n'est pas là ce que le Christ a dit aux apôtres. Que leur dit-il? Afin que vous deveniez semblables à votre Père qui est dans les cieux». (Mt 5,45) (259) Il est, du reste, impossible que deux, hommes restent ennemis, quand l'un des deux fait du bien à l'autre. Voilà dans quelle vue Paul nous fait cette recommandation. Mais toi, pourquoi, philosophe en paroles, ne gardes-tu aucune mesure dans tes actions? Tu ne donnes pas à manger à ton ennemi, pour ne pas amasser sur sa tête des charbons de feu. C'est fort bien. Mais est-ce que tu as pour lui dés ménagements, de l'affection, ou est-ce dans cette intention que tu agis ainsi envers lui? Dieu sait si c'est ce motif qui te fait parler de la sorte. Toujours est-il que vis-à-vis de nous, tu uses de sophismes et de vains prétextes. Ton ennemi est-il réellement pour toi un objet de prévoyante sollicitude? Crains-tu réellement qu'il ne soit châtié? Tu as donc éteint en toi, en ce cas, toute l'ardeur de tes ressentiments : car celui qui aime son semblable, à ce point qu'il négligé son propre intérêt pour l'intérêt d'autrui, n'est plus ion ennemi. Tu diras probablement : jusques à quand nous permettrons-nous ces jeux d'esprit sans excuses en des choses aussi graves? Je vous supplie donc de couper court à tout vain prétexte, quand il s'agit d'obéir aux lois de Dieu; afin qu’après nous être conduits, dans la vie présente, d'une manière qui lui soit agréable, nous puissions obtenir les biens qui nous ont été, promis, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Chrysostome sur Actes 4803