Chrysostome sur Actes 5004

HOMÉLIE LI. OR FÉLIX, QUI CONNAISSAIT TRÈS-BIEN CETTE DOCTRINE, LES AJOURNA, (CHAP. XXIV, 22-23, JUSQU'AU VERS. 22, DU CHAP. XXV)

DISANT : « LORSQUE LE TRIBUN LYSIAS SERA VENU, JE JUGERAI VOTRE AFFAIRE ». ET IL ORDONNA A UN CENTURION DE GARDER PAUL, MAIS EN LUI DONNANT PLUS DE LIBERTÉ, ET SANS EMPÊCHER QU'AUCUN DES SIENS LE SERVIT OU LE VISITAT.
5100 Ac 24,22-25,22

ANALYSE. 1-3. Paul comparaît devant Félix, Festus et le roi Agrippa. — Il en appelle à César.
4 et 5. Nul ne peut nuire à qui ne se nuit pas à lui-même. — Malheur pie l'homme injuste.

5101 1. Voyez le sérieux :examen auquel cette affaire est soumise : plusieurs juges s'en occupent, et pendant longtemps, pour que l'on ne pût pas dire que le jugement avait été surpris. Comme l'orateur avait fait mention de Lysias, disant qu'il leur avait enlevé. Paul avec violente, c'est à propos que le texte sacré nous montre Félix se prévalant de cette allégation :. « Or Félix, qui connaissait très-bien cette doctrine, les ajourna », c'est-à-dire, les renvoya à dessein à un autre jour, non qu'il eût besoin d'en savoir davantage, mais pour se débarrasser des Juifs par ces lenteurs: Il ne voulait pas, à cause d'eux, mettre Paul en liberté, et, d'une autre part, il ne pouvait pas le frapper d'urne peine, car c'eût été honteux. C'est pourquoi il diffère de rendre sa sentence, disant : « Lorsque le tribun Lysias sera venu, je jugerai votre affaire. Et il ordonna au centurion de garder Paul, mais en lui donnant plus de liberté, et sans empêcher qu'aucun des siens le servît ou le visitât ». — En lui donnant plus de liberté » ; par là il l'absout de l'accusation dirigée contre lui. liais pourquoi donc (260) le retient-il après l'avoir absous? Pour ménager les Juifs, ou encore parce qu'il espère recevoir de l'argent. Voilà pourquoi il mande de nouveau Paul devant lui; et pour nous montrer clairement que c'est pour cela qu'il le mande, l'historien sacré ajoute : « Quelques jours après, Félix étant revenu à Césarée avec Drusille sa femme, qui était juive, fit appeler Paul, et écouta ce qu'il lui dit de la foi en Jésus-Christ. Mais comme Paul lui parlait de justice, de chasteté, et du jugement à venir, Félix en fut effrayé et lui dit: C'est assez maintenant, allez; je vous appellerai quand il en sera temps.; et parce qu'il espérait que Paul lui donnerait de l'argent, afin qu'il le mit en liberté, il l’envoyait chercher souvent et s'entretenait avec lui (24-26) ». Voyez quel caractère de vérité s'attache à l'Écriture. Il l'envoyait chercher souvent, non qu'il fût dans l'admiration à son sujet, ni qu'il donnât des éloges à ses paroles, ni qu’il fût disposé à croire; mais pourquoi donc? « Parce qu'il espérait qu'il lui donnerait de l'argent ». Considérez que, en relatant cette circonstance, l'écrivain sacré nous laisse assez comprendre quelle était l'opinion du juge. Certes, s'il eût condamné Paul, il n'eût pas agi de la sorte, et n'aurait pas voulu s'entretenir avec un criminel, avec un homme condamné par la justice. Et remarquez que Paul, admis aux entretiens du gouverneur, ne lui dit rien de ce qu'il fallait dire pour le toucher et le fléchir, mais lui tient des discours qui l'effrayent, qui jettent le trouble dans ses pensées.: « Il. parlait de justice, de chasteté et du jugement à venir; Félix en fut effrayé ». Telle était la force des paroles de Paul, qu'elles épouvantaient le gouverneur. Puis un successeur est donné à celui-ci; il n'en laissa pas moins Paul en prison, ce qu'il ne devait pas, faire, au lieu d'en finir en rendant son jugement. Mais c'est encore pour ménager les Juifs qu'il agit de la sorte. Et ceux-ci y mettaient untel acharnement, qu'ils revinrent à la charge auprès du juge ; jamais ils n'avaient poursuivi ainsi aucun des apôtres; après avoir commencé .à les attaquer, ils se désistaient. La Providence avait permis que Paul s'éloignât de Jérusalem où il avait à lutter contre ces bêtes féroces et voilà qu'ils demandent qu'il y soit amené de nouveau pour y être jugé. Mais ici encore se manifesta l'action de la Providence qui ne permit pas que le gouverneur fît ce qu’on lui demandait, comme on pouvait s'y attendre de la part d'un homme qui, venant à peine de prendre possession de son gouvernement, était naturellement disposé à leur accorder. quelque faveur. Et quand ils furent arrivés; ils eurent l'impudence de renouveler leurs accusations avec plus de force ; et comme ils n'avaient pu le surprendre en faute contre leur loi, ils recoururent à leur ruse accoutumée, et qu'ils avaient déjà employée contre le Christ, et qui était de le représenter comme rebelle à César.

En effet, que Paul ait eu à se justifier d'offenses contré César, c'est ce qui est évident par ces mots que l'écrivain sacré, l'entendant ainsi., ajouté immédiatement : « Deux ans s'étant passés, Félix eut pour successeur Porcins Festus ; et voulant plaire aux Juifs, il laissa Paul en prison (27). Festus, « étant donc arrivé dans la province, trois jours après, monta de Césarée à Jérusalem. Et les princes des prêtres et les premiers d'entre les Juifs vinrent vers lui pour accuser Paul, et demandèrent en, grâce qu'il le fît amener à Jérusalem, préparant des embûches sur le chemin pour l'assassiner. Mais Festus leur répondit que Paul était gardé à Césarée, et que lui-même irait bientôt. Que les principaux d'entre vous, leur dit-il, y viennent avec moi, et s'il y a quelque crime en cet homme, qu'ils l'accusent. Or, après avoir demeuré huit ou dix jours à Jérusalem, il descendit à Césarée; et le lendemain, il s'assit. sur son. tribunal et commanda qu'on amenât Paul. Quand on l'eût amené, les Juifs qui étaient descendus de Jérusalem, l'entourèrent, accusèrent Paul de plusieurs grands crimes dont ils ne pouvaient apporter aucune preuve. Et Paul se défendait, disant: Je n'ai péché en rien contre la loi des Juifs, ni contre le temple, ni contre César. Festus, qui voulait plaire aux Juifs, demanda à Paul: « Voulez-vous aller à Jérusalem, et y être jugé devant moi sur ce dont on vous accuse ». (XXV, 1-9) Voyez de quelle manière Festus cherche à satisfaire les Juifs, le peuple tout entier, et la cité. Une seconde fois Paul l'épouvante, en n'employant à cet effet que des armes honnêtes, écoutez de quelle manière : « Mais Paul dit : Me voici devant le tribunal de César, c'est là qu'il faut que je sois jugé. Je n'ai fait, aucun tort aux Juifs, comme vous le savez vous-même fort bien. Car, si (261) j'ai nui à quelqu'un, ou si j'ai fait quelque chose qui mérite la mort, je ne refuse pas «.de mourir; mais s'il n'y a rien de véritable dans leurs accusations, personne ne peut me livrer entre leurs mains. J'en appelle à César (10, 11) ». Quelqu'un dira peut-être ici : Pourquoi, après avoir entendu ces paroles : « Il faut aussi que tu rendes témoignage de moi à Rome » (
Ac 23,11), Paul agissait dans cette occasion comme s'il n'y croyait pas? Loin de nous une telle pensée ! Tout au contraire, il était plein de foi en ces paroles. C'eût été tenter Dieu que de se prévaloir de cette déclaration pour se précipiter en mille périls, en disant ensuite: Voyons si Dieu pourra me, délivrer. Mais ce n'est pas ainsi que Paul se conduit : il emploie pour sa défense tous les moyens qui sont en lui, et s'en remet à Dieu de j'issue de cette affaire. Et en se justifiant de cette façon, il fait une certaine impression sur l'esprit du gouverneur; car c'est comme. s'il lui disait : Si je suis coupable, c'est à bon droit que vous me livrez à mes ennemis; mais si je suis innocent, pourquoi me livrez-vous à eux? « Personne », dit-il, « ne peut me livrer entre leurs mains ». Il lui inspire une certaine crainte qui l'empêche de le livrer, alors même qu'il y serait enclin, et cet appel à César est pour lui une excuse auprès d'eux. « Alors Festus, ayant délibéré avec le conseil, répondit : Vous en avez appelé à César, vous irez vers César (12) ».
5102 2. Considérez que le gouverneur communique cette affaire à Agrippa, pour que d'autres que lui-même, à savoir : le roi, l'armée et Bérénice en soient informés. Et Paul est ainsi amené à présenter encore une fois sa défense : « Quelques jours après, le roi Agrippa et Bérénice vinrent à Césarée pour saluer Festus. Et comme ils y demeurèrent plusieurs jours, Festus parla de Paul au roi, disant : Il y a un homme que Félix-a laissé prisonnier; et que les princes des prêtres et les anciens des Juifs vinrent accuser devant moi pendant que j'étais à Jérusalem, me demandant sa condamnation. je leur répondis : Ce n'est point la coutume des Romains de condamner à mort un homme avant que l'accusé ait ses accusateurs présents, et qu'on lui ait donné la liberté de se justifier du crime dont on l'accuse. Après donc qu'ils furent arrivés ici, je m'assis, sans différer, et dès le lendemain, sur le tribunal, et j'ordonnai qu'on amenât cet homme. Ses accusateurs ayant paru, ne lui reprochaient aucun des crimes dont je le soupçonnais. « Ils l'accusaient seulement de quelques débats touchant leur superstition, et sur un certain Jésus mort, que Paul assurait être vivant. Et ne sachant comment décider cette question, je lui demandai s'il voulait aller à Jérusalem, et y être jugé sur les points dont on l'accusait: Mais Paul en ayant appelé, et voulant que sa cause fût réservée à la connaissance d'Auguste, j'ai ordonné qu'on le gardât jusqu'à ce que je l'envoie à César. Et Agrippa dit à Festus : Je voudrais moi-même entendre cet homme. — Vous l'entendrez demain, dit Festus (13-22) ».

Considérez ce nouvel exposé de l'accusation des Juifs, tel qu'il est fait, non plus par Paul,mais par le gouverneur. « Les princes des prêtres et les anciens des Juifs », dit-il, « vinrent l'accuser devant moi, me demandant sa condamnation. Je leur répondis... » Voyez ce qu'il répond à leur confusion : « Ce n'est pas la coutume dos Romains de livrer un homme à ceux qui demandant sa mort », c'est-à-dire, qu'il est absolument impossible de vous le livrer, avant de lui avoir permis de rendre compte de sa conduite: Ayant donc suivi cette coutume avant de condamner Paul, il n'a trouvé aucun grief : et voilà pourquoi il est dans la perplexité touchant. cette affaire, comme la suite le montre : « Ne sachant comment décider cette question ». Il ne parle ainsi que pour voiler sa propre faute. Et pendant qu'il cherche à la voiler, Agrippa désire voir Paul. Remarquez que les gouverneurs, tout en ne cessant de repousser la haine des Juifs, sont souvent forcés d'agir contrairement à la justice, et de chercher des prétextes pour ajourner leur décision ; car ce n'était pas sans savoir ce qu'il faisait, que Festus venait d'ajourner sa sentence. Mais Agrippa, non-seulement ne manifeste contre Paul aucun sentiment de répulsion, mais il veut même l'entendre : et il y a lieu de s'étonner qu'il ait aussi vivement désiré voir un.homme qui était à ses yeux un accusé, bien qu'il le fût injustement. Et ceci serait encore une permission de la Providence. Aussi là femme même d'Agrippa entend Paul, comme son mari, et est admise dans l'assemblée. Et non-seulement ils l'entendent, mais encore c'est en grande pompe qu'ils y viennent. dans ce dessein, tant (262) était vif le désir qu'ils en avaient ! Car, à défaut, il n'eût pas cherché à l'entendre, et s'il n'eût pas eu de Paul une haute idée, il n'eût pas admis sa femme à l'entendre avec lui. Et il me semble que, de son côté, celle-ci ne le désirait pas moins vivement. Remarquez aussi de quelle manière Paul s'empresse d'exposer sa doctrine, non-seulement touchant, la foi en la rémission des péchés, mais encore sur les règles de la conduite humaine.

Mais reprenons ce. qui a été dit plus haut : « C'est assez maintenant, allez; je vous appellerai, quand il en sera temps ». Quel aveuglement ! Pendant que Paul lui faisait entendre Fa,parole, il s'attendait à recevoir de lui de l'argent ! Et, chose plus étrange encore; après s'être entretenu avec lui, il ne le mit pas en liberté ; mais comme il était arrivé au terme de son administration, voulant plaire aux Juifs, il laissa Paul en prison, prouvant par là qu'il n'était pas seulement l'esclave de l'argent, mais encore de l’opinion. — Misérable, comment peux-tu chercher à obtenir de l'argent d'un homme qui prêche le mépris de l'argent? Et ce qui montre qu'il n'en reçut pas, c'est qu'il laissa Paul en prison ; il l'eût mis en liberté, s'il en eût reçu. Ainsi, Paul prêchait sur la tempérance, pendant que le gouverneur s'abandonnait à ces vaines espérances de profit, sans toutefois oser lui rien demander; car c'est le propre de la méchanceté d'être lâche et de se métrer de tout. Il se contentait donc d'espérer; et il était tout naturel qu'il cherchât à plaire aux Juifs, ayant été si longtemps gouverneur de leur pays. « Festus », dit notre texte, « étant donc arrivé dans sa province, les princes des prêtres et les premiers d'entre les Juifs vinrent, vers lui pour accuser Paul». Ce fut donc sans retard, et dès- son arrivée, que les prêtres vinrent; et ils n'eussent fait aucune difficulté de se rendre à Césarée, s'il ne les avait prévenus, puisqu'ils se présentent aussitôt qu'il est arrivé. « Et étant descendu à Césarée, il y passe dix jours ». Probablement, à ce que je vois, pour être à la disposition de ceux fui veulent le corrompre. Or Paul. était en prison. « Et ils lui demandaient qu'il le fit amener à Jérusalem. ». Et pourquoi le lui demandaient-ils comme une faveur, s'il était juste qu'il fût puni de mort? Mais Festus lui-même découvrit si nettement les menées des Juifs, qu'il s'écria dans l'assemblée : « Vous tous qui êtes ici présents, vous voyez cet homme contre qui toute la nation juive m'a sollicité ». En effet, par ce mot : « M'a sollicité », il fait clairement allusion à cette faveur qu'ils lui ont demandée. Et on voit que, dès ce moment, ils voulaient le pousser à rendre sa sentence, redoutant l'effet des paroles de Paul. Que craignez-vous? Pourquoi vous hâter ainsi ? En effet, c'est une chose notoire « que Paul est gardé à vue ». Est-ce qu'il pourrait fuir? « Que les principaux d'ente vous », dit-il, « l'accusent ». Voilà de nouveau ses accusateurs présents à Césarée, voilà de nouveau Paul tiré de sa prison. « Et le lendemain s'étant assis sur son tribunal ».
5103 3. Voyez comme, aussitôt arrivé, il s'est assis sur son tribunal, tant ils ont mis d'ardeur à le pousser, à le presser. Et n'ayant pas encore été en rapport avec les Juifs, n'ayant pas encore reçu des preuves de leur déférence, il ne pouvait pas répondre autrement. qu'il l'a fait : mais lorsqu'il fut venu à Jérusalem; lui aussi cherche à leur plaire; seulement, il y met de la ruse, et écoutez comment; car le texte sacré ajoute : « Voulez-vous aller à Jérusalem, et y être jugé devant moi touchant ces choses? » Comme s'il disait : « Je ne vous livre pas à eux, mais je serai moi-même votre juge ». Il dit cela, et le laisse.ainsi maître du parti à prendre, afin de le séduire, pour ainsi dire, par ces ménagements et par ces égards. Car, s'il eût parlé sur le ton du commandement; il eût paru tout à fait inconvenant de vouloir mander à Jérusalem celui qui avait été trouvé innocent à Césarée.

Et Paul se garde bien de dire : «Je ne veux pas », de peur d'irriter le juge encore davantage ; mais il s'exprime de nouveau, comme il l'a fait, en toute liberté, et dit : « Je suis devant.le tribunal de César; c'est là qu'il faut que je sois jugé ». Admirable fierté! Voyez le raisonnement qu'il leur oppose ; c'est comme s'il disait pour sa justification : Ces hommes m'ont déjà fait sortir une fois de leur ville, et ils croient me condamner en montrant que j'ai manqué à César. Eh bien ! C'est par celui même à qui j'ai manqué; que je: veux être jugé. Et il ajoute : « Je n'ai nui en rien aux Juifs, comme vous le savez vous-même mieux que personne». Il touche légèrement par ces mots au désir que ressentait le juge de plaire aux Juifs; puis, arrivant finalement à sa conclusion : « Si j'ai fait quelque chose qui (263) mérite la mort, je ne refuse pas de mourir ». C'est comme s'il disait : Je prononce la sentence contre moi-même. Et ce n'est pas là le discours d'un homme qui se condamne lui-même à la mort, mais d'un homme qui.croit fermement à ses propres paroles. En effet, pour qu'une plaidoirie puisse convaincre et loucher, il faut qu'une noble assurance l'accompagne, « Mais s'il n'y a rien de véritable dans toutes les accusations qu'ils dirigent contre, moi, personne ne peut me livrer entre leurs mains ». Qu'est-ce à dire? Il ne le pourrait pas, quand. même il le voudrait. Il ne dit pas: Je ne mérite pas la mort, ou bien, je ne mérite pas d'être absous. Il se borne à dire : Je suis prêt à être jugé par César, et se souvenant en ce moment du songe qu'il avait eu, il n'en a que plus d'assurance pour en appeler à César. Et il ne dit pas: « Vous ne pouvez pas », mais : « Personne ne peut » ; et il ajoute : « J'en appelle à César », parole qui n'a rien d'offensant pour le gouverneur. « Alors Festus, après en avoir conféré avec l'assemblée, répondit : Vous en avez appelé à César, vous irez devant César ».

Avez-vous remarqué avec quelle faveur il traite les Juifs? En effet, conférer avec les accusateurs, c'est, de la part d'un juge, un acte de faveur ; c'est le propre d'un esprit déjà gagné et séduit, et qui trouble l'ordre rigoureux qui doit présider à un débat judiciaire. Voyez-le ajournant de nouveau son jugement, ct, par suite de cet ajournement, voyez comme Paul trouve, dans les embûches :qu'on lui tend, une occasion nouvelle de prêcher sa doctrine. En effet, la Providence permet qu'il soit amené à Jérusalem, entouré de gardes; et sans que, personne, dans le trajet, l'importune ou lui tende des piéges. Autre chose était d'arriver purement et simplement à Jérusalem, autre chose d'y arriver pour un pareil motif. Son arrivée même fut pour les Juifs une occasion de s'y rassembler de toutes parts. Puis un certain temps se passe pendant son séjour à Jérusalem, afin que vous appreniez que, même quand ils ont tout-le temps nécessaire pour préparer leurs attaques, ses ennemis ne sauraient prévaloir contre luit quand Dieu ne le leur permet pas. « Le roi Agrippa et Bérénice descendirent à Césarée ». Cet Agrippa, qui est aussi appelé Hérode Agrippa, me paraît être un autre que celui qui mit Jacques à mort; il est le quatrième des Hérodes, immédiatement après celui-ci. — Voyez maintenant les ennemis de Paul s'accordant et se concertant entre eux, comme malgré eux. Comme il y avait foule pour assister à cette affaire, Agrippa éprouva aussi le désir d'entendre les débats; et il ne se borne pas à venir les entendre, il y a plus : il se rend en grande pompe dans l'assemblée. Et voyez la manière dont le gouverneur se justifie : «Comme lui-même en a appelé à Auguste, j'ai résolu de lui envoyer cet homme sur le compte duquel je n'ai rien de certain à écrire à l'empereur ». Telle est la décision de Festus, et ainsi se montre au grand jour la cruauté des Juifs. Car en parlant de la sorte, le gouverneur n'est pas suspect. Mais Dieu permet qu'il parle ainsi, pour que les Juifs soient condamnés même par sa bouche; et après que tous les auront ainsi condamnés, alors Dieu lui-même enverra son châtiment. Or, examinez bien : Lysias les a condamnés, Félix les a condamnés, Festus, et ceux-là même qui voulaient leur être agréables, les ont condamnés, Agrippa les a condamnés. Que faut-il de plus? Les pharisiens eux-mêmes les condamnèrent. Et que Festus lui-même les ait condamnés, c'est ce.que vous pouvez entendre de sa bouche. « Ils n'intentaient contre lui aucune accusation touchant les choses dont je m'étais attendu qu'ils l'accuseraient ». Ils ont bien avancé certaines choses, mais ils n'ont rien. prouvé les embûches dressées par eut à Paul, et l'audace même avec laquelle ils l'accusaient, faisaient bien conjecturer qu'ils seraient en état de donner cette preuve ; mais l'examen de l'affaire a fait tomber ces conjectures. « Relativement », dit-il, « à un certain Jésus mort». Cette expression : «Un certain», est ici bien placée dans la bouche d'un homme élevé en dignité, et qui ne s'occupe pas des détails. C'est pour la même raison qu'il ajoute : « Ne sachant donc quelle résolution je devais prendre dans cette affaire ». Effectivement, la recherche de ces sortes de choses dépassait là portée d'esprit d'un tel juge. — Mais si tu es dans l'embarras, pourquoi l'entraînes-tu à Jérusalem ? C'est pourquoi Paul, qui décline son jugement, en appelle à César, en disant Me voici devant le tribunal de César; c'est là qu'il faut que je sois jugé » ; car on l'accusait de rébellion contre César. Entendez-vous cet appel ? Entendez-vous les Juifs formant de nouveaux complots, préparant de nouveaux troubles ?
5104 4. Tout cela fit naître dans le coeur d'Agrippa un vif désir de l'entendre. Et Festus lui accorde cette satisfaction, et la gloire de Paul n'en éclate que davantage. Tel est, ainsi que je l'ai dit, tout l'effet des menées ourdies contre lui. Sans ces menées, aucun magistrat .n'eût daigné l'entendre sur ces choses, aucun ne l'eût entendu avec ce grand calme et ce profond silence. Et, en apparence, Paul ne fait qu'enseigner et se justifier; mais, en réalité, c'est une harangue pleine de dignité qu'il fait entendre. Ne considérons donc pas toujours comme un malheur les mauvais desseins formés contre nous. Tant que nous ne nous dresserons pas des embûches à nous-mêmes, personne ne pourra nous en dresser, ou, pour mieux dire, on nous en dressera; mais, loin de nous faire aucun mat, on nous sera d'une grande utilité, de sorte qu'il dépend de nous d'être maltraité ou de ne pas l'être. Oui, je vous l'atteste, je vous le dis de ma plus grande voix, que je voudrais rendre plus retentissante que la trompette, et je monterais volontiers sur une hauteur pour vous crier : Aucun homme habitant cette terre ne pourra faire de mal à un chrétien ; et que dis-je, aucun homme? Il n'y a ni mauvais génie, ni tyran, ni diable, qui puisse lui. nuire, s'il ne se fait pas du, tort à lui-même ; et quoi qu'en essaye pour nous faire du mal, on l'essayera en vain. Car, comme aucun des hommes qui sont sur la terre ne saurait nuire à un ange, de même aucun homme ne saurait nuire à un homme. Il y a plus : l'homme ne pourra même pas nuire à son semblable tant qu'il restera bon. Ne pouvant donc recevoir aucun dommage, ni faire aucun dommage à autrui, où trouverait-il son égal? Car c'est pour lui un autre avantage qui ne le cède en rien aux deux premiers, de ne pas vouloir nuire à .autrui. L'homme est donc une espèce d'ange : il est semblable à Dieu. En effet, Dieu possède ces perfections, seulement il les a par nature, tandis que l'homme les tient de sa propre volonté. Il ne peut donc ni éprouver quelque dommage, ni en faire éprouver à autrui. Il ne le peut pas, non par impuissance (car l'impuissance est tout le contraire) ; je veux dire qu'il n'en est pas capable. Sa nature est telle, qu'elle ne comporte pi l'un ni l'autre ; car faire du tort à autrui, ne serait qu'une autre espèce de dommage qu'il se ferait à lui-même. Nuire à autrui, se nuire à soi-même, ces deux façons d'agir sont équivalentes, et c'est ainsi qu'il se fait que nos plus grands péchés proviennent du tort que nous nous faisons à nous-mêmes. Ainsi le chrétien ne peut pas éprouver de dommage; par cette raison même qu'il ne peut pas en causer.

Vérifions ensemble, .si vous le voulez bien, en discutant les faits et les prenant par le détail, vérifions la justesse de cette assertion, que, nuire aux autres, c'est se nuire à soi-même. Supposez qu'un homme en offense un autre, qu'il l'outrage, qu'il le vole ; à qui donc cause-t-il du dommage? N'est-ce pas à lui-même premièrement.? Il n'est personne qui ne voie cela clairement. L'offensé en éprouve un préjudice dans ses biens, et l'offenseur dans son âme; son âme est vouée à la perdition et au châtiment. Qu'un homme porte envie à un autre: à qui donc le premier fait-il du tort? Dites-moi, n'est-ce pas à lui-même? Oui, tel est le caractère de l'injustice : elle commence par.causer une infinité de maux à celui qui s'en rend coupable.; elle en fait peu à sa victime; que dis-je? Elle ne se contente pas de ne lui faire que peu de mal, on peut même dire qu'elle lui est utile. Vous faut-il d'autres preuves ? Eh bien, j'ajouterai : Supposons d'un côté (car tout est -là), supposons, un homme qui n'a que peu de bien, ou si vous voulez, qui n'a que le nécessaire pour vivre; et, d'un autre côté, un homme riche qui a tout en abondance, qui a beaucoup de pouvoir. Et supposons, en outre, que celui.ci s'empare du peu de bien possédé par l'autre, qu'il le dépouille, qu'il le livre aux tourments de la faim, et que lui-même vive dans les délices, en faisant servir à ses plaisirs ce qu'il a injustement ravi à l'autre; en agissant ainsi, on .peut dire que non-seulement il ne lui a pas nui, mais encore qu'il lui a été utile. Quant à lui-même, et pour ce qui le, concerne, non seulement il ne s'est procuré aucune utilité, mais il s'est: même causé un grand dommage. Et comment? Dans cette vie les remords le tourmentent, le déchirent chaque jour; et, autour de lui, tout le monde le condamne. A la suite de ces tortures, il entrevoit celles du jugement dernier.

Nous voyons bien, me direz-vous, tout le mal que l'un de ces deux hommes se fait à lui-même, mais dites-nous quelle utilité l'autre retire de tout cela. Je vous réponds : Il y a un grand profit à souffrir et à supporter (265) courageusement ses souffrances : les souffrances sont l'expiation de nos péchés; elles sont la grande école de la vertu, et comme l'apprentissage de la philosophie. Voyons donc lequel des deux est réellement malheureux. S'il est vraiment philosophe, l'un supportera avec courage les épreuves auxquelles il est soumis; l'autre sera nuit et jour dans les terreurs, dans la défiance. Est-ce celui-ci, ou celui-là, qui éprouve un véritable dommage? — Vous nous contez là des fables, dites-vous? Eh quoi ? lorsqu'un homme n'a pas de quoi manger, et que, par suite, il se lamente, il est dans les angoisses, qu'il est forcé de mendier sans que personne lui donne, est-ce qu'il ne perd pas à la fois et son âme et son corps ? — Je vous réponds : C'est vous, au contraire, qui nous débitez des fables, et moi, je vous montre là réalité. Dites-moi : parmi les riches, n'en est-il pas qui sont dans les angoisses ? Et s'il en est ainsi, ne faut-il pas dire que la pauvreté n'est pas la cause de cet état? — Mais, du moins, dites-vous, l'un de ces deux hommes n'éprouve pas les tortures de la faim. — Qu'est-ce à dire? Il n'en sera que plus puni, pour avoir. agi comme il fa fait, malgré ses richesses. Car ni la richesse ne rend l'homme fort, ni la pauvreté ne le rend faible; s'il en était ainsi, aucun de ceux qui vivent dans les richesses ne vivrait malheureux, et aucun de ceux qui vivent dans la pauvreté ne proférerait des imprécations contre lui-même. Mais je vais vous montrer plus clairement encore que c'est réellement de votre côté que sont les fables. Dites-moi : Paul était-il dans la pauvreté, ou dans les richesses? Souffrait-il de la faim, ou non ? Nous pouvons ici l'entendre parler lui-même : « Dans la faim et dans la soif». (
2Co 11,27) Les prophètes souffraient-ils de la faim, ou non? Eux aussi étaient dans les angoisses. — Vous me citez encore Paul, vous me citez encore les prophètes, dites-vous, c'est-à-dire une ou deux douzaines d'hommes. — D'où voulez-vous donc, que je tire mes preuves? — Montrez-nous en quelques-uns, dites-vous, pris sur un grand nombre, qui supportent courageusement toutes ces épreuves. — De tels exemples se produisent rarement, et les bons sont toujours en petit nombre. Mais, si vous le voulez, examinons la chose en elle-même. Voyons lequel des deux éprouve des inquiétudes plus poignantes ; quel est celui des deux pour lequel elles sont plus légères. N'est-il pas vrai que si l'un deux est en souci pour sa nourriture de chaque jour, l'autre, bien que débarrassé de ce souci, est préoccupé d'une infinité d'autres choses? Le riche, il est vrai, ne craint pas d'avoir à souffrir de la faim, mais il a d'autres craintes: souvent il craint pour sa propre vie. Le pauvre n'est pas exempt d'inquiétudes pour sa subsistance ; mais, en compensation, il est exempt de beaucoup d'autres inquiétudes : il vit dans la sécurité, il a l'esprit tranquille, en repos.

5105 5. Au surplus, si commettre une injustice, loin d'être un mal, est un bien, pourquoi en rougissons-nous, pourquoi erg éprouvons-nous de la confusion ? Pourquoi, lorsqu'on nous outrage; montrons-nous de l'indignation et le plus vif déplaisir? — Et s'il n'est pas beau d'être victime de l'injustice, pourquoi en tirons-nous vanité ? pourquoi nous en glorifions-nous ? pourquoi nous en faisons-nous un mérite ? Voulez-vous savoir pourquoi-le second de ces états.vaut mieux que le premier? Considérez ceux qui sont dans l'un, et ceux qui sont dans l'autre. Pourquoi y a-t-il des lois? pourquoi y a-t-il des tribunaux ? pourquoi y a-t-il des châtiments? N'est-ce pas pour les premiers, que l'on traite de cette façon comme des malades? — Mais, dites-vous; il y â. beaucoup de plaisir à faire le mal. — Laissons de côté les considérations tirées de la vie future: n'examinons que l'état présent des choses. Qu'y a-t-il de plus malheureux qu'un homme qui est exposé à de tels soupçons? Qu'y a-t-il de plus fragile? qu'y a-t-il d'e plus chancelant? N'est-il pas constamment comme un homme qui fait naufrage? S'il fait quelque action juste, on ne le croit pas. Ayant égard à ce qu'il est capable de faire, plutôt qu'à ce qu'il a fait, tous le condamnent; il a autant d'accusateurs qu'il compte de concitoyens: l’amitié même lui est interdite, car personne n'est désireux de devenir l'ami d'un homme qui a; une telle réputation; personne n'est jaloux de partager sa -déconsidération. Tous se détournent à son aspect, comme devant une bête féroce, ne voyant en cet homme injuste qu'un fléau, un pervers, un homicide, un ennemi de la nature entière. Si l'homme qui a fait du tort à son semblable tombe entre les mains de la justice, il n'a pas besoin de trouver un accusateur pour que la justice ait son cours, sa propre réputation se levant contre lui pour le (266) condamner, mieux qu'un accusateur, quel qu'il fût, ne pourrait le faire.

Il n'en est pas ainsi de celui qui a été victime d'une injustice : tous sont ses protecteurs; tous compatissent à son malheur; tous lui tendent la main : il est en sûreté. S'il est, beau de commettre, une injustice, et si on peut le faire en toute-sécurité, que quelqu'un ose avouer hautement qu'il est injuste; mais s'il ne l'ose pas, pourquoi poursuit-il comme un bien cette entreprise injuste? Voyons que de maux résulteraient d'une semblable façon d'agir, en ce qui nous concerne personnellement. Dites-moi, si quelqu'une des parties de notre corps, dépassant sa sphère propre, empiétait sur une autre; si, par exemple, la rate, ayant quitté sa place, voulait se mettre à la place d'un autre organe, n'en résulterait-il pas une maladie? — Si les humeurs qui sont en nous envahissaient tout, n'en résulterait-il pas l'hydropisie? Et qu'arriverait-il si la bile, si le sang, quittant les vaisseaux qui leur sont spécialement affectés, se répandaient dans tout le corps? Mais quoi ! si, dans l'âme elle-même, la passion, le désir, et tous les autres éléments dépassent leur sphère propre, ne se perdent-ils pas eux-mêmes? Il en est ainsi de la nourriture : si .nous en prenons plus que nous n'en pouvons digérer, notre corps n'est-il pas immédiatement ravagé par les maladies? D'où viennent les attaques de goutte? D'où viennent les paralysies et l'agitation fébrile ? n'est-ce pas de l'excès dans l’usage des aliments? Supposez encore que l'oeil veuille recevoir plus de lumière qu'il ne peut, ou voir plus que ce qui est dans son horizon : cet excès, loin de lui être utile, lui portera préjudice. Cependant la lumière est bonne en elle-même, et le mal ne vient pour l'oeil que de ce qu'il a méconnu sa portée et sa capacité naturelles. Si les sons d'une voix bruyante viennent tout à coup à blesser l'oreille, l'esprit est comme frappé de stupeur, et lui-même, s'il vient à réfléchir sur les choses qui sont au-dessus de sa portée, est comme saisi et confondu : en tout, ce qui excède la mesure, est. funeste. Et ce qu'on appelle avarice (pleonexia) consiste précisément dans le désir d'avoir plus que ce qui a été fixé. Ainsi, à l'égard des richesses, quand nous voulons nous charger de trop d'argent, nous nourrissons en nous-mêmes, sans nous en apercevoir, une bête féroce; bien que nous possédions beaucoup, nous manquons encore de beaucoup de choses, et nous nous, embarrassons nous-mêmes dans mille soucis, et offrons au démon mille occasions de nous perdre. C'est pourquoi, quand il s'agit des riches, le démon n'a aucune peine à se donner. Leurs richesses mêmes les disposent on ne peut mieux à succomber à ses attaques. Mais tout le contraire a lieu à l'égard de ceux qui vivent dans la pauvreté. Ainsi, certaines situations se perdent d'elles-mêmes. Je vous exhorte donc à vous interdire la convoitise des richesses, afin que nous puissions tous éviter les piéges du malin esprit, et que; nous étant attachés à la vertu, nous puissions obtenir les biens éternels par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Chrysostome sur Actes 5004