Chrysostome - Galates





COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX GALATES

Tome X p. 571 - 631


AVERTISSEMENT

POUR LE COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX GALATES.

Saint Chrysostome n'a pas mis à ce Commentaire le même soin qu'aux autres. Dans les autres, les matières sont divisées en Homélies; de telle sorte que chaque discours se termine par une exhortation morale souvent égal,; en étendue à la partie explicative du texte. Pour l'Epître aux Galates, il en est autrement. Saint Chrysostome ne fait qu'expliquer les versets les uns après les autres, sans interruption depuis le commencement de l'épître jusqu'à la fin. Il se rencontre bien çà et là quelques passages ayant trait à la morale, mais toujours comme digression et jamais comme conclusion et péroraison d'Homélie. Il n'est pas rare qu'il s'adresse au peuple. Je serais donc porté à croire que ce Commentaire fut composé soit pour être lu ou récité tel qu'il est devant le peuple ; soit pour être ensuite divisé par parties destinées à être présentées chacune avec addition de l'exhortation morale accoutumée. Mais nous sommes réduits sur ce point à de simples conjectures.

Ce Commentaire fut composé à Antioche, puisque saint Chrysostome rappelle à ses auditeurs ses Homélies sur les changements de noms, Homélies certainement prononcées dans cette ville.

Les données manquent pour déterminer l'année où ce Commentaire fut écrit.

Ce que nous venons de dire, que saint Chrysostome n'avait pas mis à ce Commentaire le même soin qu'aux autres, doit seulement s'entendre en ce sens qu'il ne l'a pas divisé en Homélies, et nullement en ce sens que l'explication du texte y serait traitée avec quelque négligence. A ce dernier point de vue, le Commentaire sur l'Epître aux Galates est un des meilleurs de saint Chrysostome. Il renferme plusieurs excellentes réfutations des hérétiques d'alors : Anoméens, Marcionites et Manichéens; des réprimandes à l'adresse de beaucoup d'habitants d'Antioche qui suivaient certains rites judaïques; de sévères corrections pour d'autres qui pratiquaient sur eux-mêmes, conseillés par le manichéisme, certaines mutilations contre nature.


CHAPITRE 1: PAUL,APÔTRE, NON DE LA PART DES HOMMES, NI PAR DES HOMMES, MAIS PAR JÉSUS-CHRIST, ...

ET DIEU SON PÈRE QUI L'A RESSUSCITÉ D'ENTRE LES MORTS, ET TOUS LES FRÈRES QUI SONT AVEC MOI, AUX ÉGLISES DE GALATIE : QUE LA GRACE ET LA PAIX VOUS SOIENT DONNÉES PAR DIEU NOTRE PÈRE ET PAR NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. (Ga 1,1-3)

100 Ga 1

Analyse.

Ce qui a porté saint Paul à écrire cette épître.
Paul a été appelé par Jésus-Christ lui-même. — Que le Fils et le Saint-Esprit ont la même puissance.
Solution d'une objection des Anoméens abusant de ce passage où il est dit que le Père a ressuscité le Fils, pour soutenir que le Fils est inférieur au Père.
Que la vie présente n'est pas mauvaise par elle-même, contre les Manichéens.
Continuer d'observer la loi de Moise après. l'avènement de la grâce, c'est offenser le Père comme le Fils.
Nécessité de résister vigoureusement à ceux qui tentent d'altérer la doctrine de l'Evangile.
Contre les chrétiens judaïsants et superstitieux.

-11. C'est de Jésus-Christ lui-même que Paul a reçu immédiatement la doctrine qu'il prêche. — Comment l'aurait-il reçue des hommes, puisque ni avant ni après sa conversion, il n'a eu de rapports familiers avec les chrétiens, que ce n'a été que trois ans après qu'il s'est rendu pour fort peu de temps auprès de Pierre et de Jacques, qu'ensuite il est allé en Syrie et en Cilicie et qu'il est resté personnellement inconnu aux chrétiens.

101 1. Cet exorde respire le courroux et la fierté, et non pas seulement l'exorde, mais encore toute l'épître, pour ainsi dire. Parler toujours avec douceur à ceux que l'on instruit, quand il est besoin de leur parler avec rudesse, serait le fait non d'un maître, mais d'un corrupteur et d'un ennemi. C'est pour cela que le Seigneur, qui se montrait si doux quand il conversait avec ses disciples, leur parlait quelquefois sévèrement, et employait tour à tour l'éloge ou le blâme. Il avait dit à Pierre : « Tu es heureux, Simon, fils de Jean » (Mt 16,17) ; il lui avait annoncé que ce serait sur sa "-confession qu'il poserait les fondements de son Eglise, et peu d'instants après avoir prononcé ces paroles, il s'écrie : « Retire-toi de moi, Satan, tu m'es à scandale ». (Mt 16,23) Et une autre fois : « Etes-vous encore sans intelligence », leur dit-il. (Mt 15,16) On peut juger de 1a crainte qu'il avait (573) su leur inspirer d'après ce que nous raconte Jean : comme ils le voyaient s'entretenir avec la samaritaine, ils lui rappelèrent bien qu'il était temps de prendre de la nourriture, mais aucun d'eux n'osa lui dire : « Qu'avez-vous à causer », ou bien : « Que cherchez-vous dans sa compagnie? » (Jn 4,27) Paul le savait, et comme il suivait pas à pas les traces du Maître, il variait son langage suivant les besoins de ses disciples, tantôt brûlant et tranchant dans le vif, tantôt employant des remèdes plus doux. Aux Corinthiens, il disait : « Que voulez-vous? que je vienne à vous avec la verge, ou avec l'amour et avec l'esprit de douceur? » (1Co 4,21) Aux Galates : « O Galates insensés ! » (Ga 3,1) Et ce reproche, il le leur adresse, non pas une, mais deux fois. Vers la fin de l'épître, il revient à la charge : « Qu'on ne me cause plus de nouvelles peines ». (Ga 6,6) Puis il leur parle avec douceur, comme lorsqu'il dit : « Mes petits enfants, vous que j'enfante de nouveau » (Ga 4,19) ; et bien d'autres fois encore, il tient un pareil langage. Que cette épître respire la colère, tout le prouve et l'on s'en aperçoit à la première lecture.

Il faut dire pourquoi il était irrité contre ses disciples. Ce n'était pas pour peu de choses ni pour un mince motif, autrement il ne se serait pas laissé aller à un tel emportement. S'irriter pour des riens est le fait d'un homme à esprit étroit, d'un homme dur et tracassier, de même que c'est le fait d'un homme indolent et apathique, de se laisser abattre à la vue de graves désordres. Il n'en était pas ainsi de Paul. Quelle était donc la faute qui excitait son indignation? Une grande, et bien grande faute, qui les rendait tous étrangers au Christ, comme il leur dit dans la suite de sa lettre : « Voici que moi, Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien » ; puis il dit encore : « Vous tous, qui cherchez votre justification dans la loi, vous êtes exclus de la grâce ». (Ga 5,2-4) Que veut-il dire par là?. Car il faut éclaircir et développer ses paroles. Ceux des Juifs qui avaient la foi, mais qui étaient en même temps attachés au judaïsme, et à qui la vanité tournait la tête, voulurent se poser en docteurs et se rendirent chez les Galates pour leur enseigner qu'ils devaient se faire circoncire, observer le sabbat et les cérémonies du premier jour de chaque mois, qu'ils devaient enfin ne pas écouter Paul qui supprimait tout cela. Pierre, Jacques et Jean, disaient-ils, n'empêchent point d'observer ces coutumes, et ce sont les premiers parmi les apôtres, ils ont été disciples du Christ. Il est vrai qu'ils ne s'opposaient point à cela ; mais s'ils toléraient ces pratiques, ce n'était point qu'ils en fissent un dogme, c'était pour condescendre à la faiblesse des Juifs convertis.

Quant à Paul, qui prêchait les gentils; il n'avait pas besoin de montrer la même condescendance, quand il se trouva en Judée, il fut aussi tolérant que les autres. Mais ces trompeurs se gardaient bien de dire les motifs de cette condescendance de Paul et des autres apôtres, et ils trompaient les simples en disant qu'ils ne devaient pas écouter Paul, car lui ne datait que d'hier et d'aujourd'hui, les autres, Pierre et ses compagnons, étaient ses anciens; lui, était le disciple des apôtres, eux, étaient les disciples du Christ; lui était seul, eux étaient beaucoup, et ils étaient les colonnes de l'Eglise. Et cet homme, ajoutaient-ils, est un hypocrite, car il est reconnu que lui, qui supprime la circoncision, l'a maintenue ailleurs. A vous, il prêche une chose, aux autres, une autre.

Quand donc Paul s'aperçut que le feu avait atteint tous les Galates, quand il vit qu'un violent incendie allait consumer l'Eglise de Galatie, que la maison qu'il avait fondée était ébranlée, et qu'elle était sur le point de s'écrouler, il fut en proie à un juste ressentiment, en proie aussi au désespoir, comme le prouvent ces paroles : « J'aurais voulu me trouver maintenant avec vous, et vous entretenir de vive voix » (Ga 4,20) ; et il leur écrivit cette épître, où il répond à tous les chefs d'accusation accumulés contre lui. Tout d'abord il répond directement aux insinuations de ses adversaires qui, pour miner son influence, disaient que les autres apôtres étaient les disciples du Christ, et que lui était le disciple des apôtres. Et c'est pour cela qu'il commence en ces termes : « Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par des hommes ». Car ces trompeurs disaient, comme je vous l'ai déjà fait remarquer, qu'il était le dernier des apôtres, et qu'il avait été instruit par eux. Pierre, Jacques et Jean, sont venus avant lui, disaient-ils, ce sont les premiers parmi les disciples, ils ont reçu les dogmes de Jésus-Christ, c'est à eux qu'il faut obéir, et non à lui, or ils ne (574) sont pas opposés à la pratique de la circoncision, et à l'observation de la loi.

102 2. En prononçant ces paroles et d'autres semblables, en rabaissant celui-ci, pour vanter ceux-là, ils avaient en vue, non de faire l'éloge des apôtres, mais de tromper les Galates, et ils leur conseillaient mal à propos d'observer la loi. Il est donc naturel qu'il ait commencé ainsi. Comme ils détruisaient le prestige de son enseignement, en prétendant qu'il le tenait des hommes, tandis que Pierre tenait le sien du Christ il répond directement dès le début, à cette obligation, en disant qu'il est apôtre, non de la part des hommes, ni par des hommes (Ga 1,1). Ananias l'avait baptisé (Ac 9,17), mais ne l'avait pas retiré de l'erreur, ni conduit à la foi c'était Jésus-Christ lui-même qui, du haut du ciel, lui avait adressé miraculeusement la parole et l'avait pris dans ses filets. Quant à Pierre et à son frère, quant à Jean et au frère de Jean, Jésus les avait appelés à lui, en se promenant sur le bord de la mer (Mt 4); il appela Paul, après qu'il fut remonté aux cieux. Et de même que, sans avoir besoin d'être appelés deux fois, ils laissèrent là leurs filets et tout le reste, et se mirent à le suivre; de même Paul, dès le premier appel, arriva à la perfection apostolique : il se fit baptiser, déclara une guerre sans trêve aux Juifs, et par là, dépassa les autres apôtres : «J'ai pris plus de peine qu'eux » (1Co 15,10), dit-il. Mais en attendant, il n'insiste pas là-dessus, et se contente d'être leur égal. Son but était, non de prouver qu'il leur était supérieur, mais d'ôter tout fondement à l'erreur des Galates.

Ces mots : « Non de la part des hommes » (Ga 1,1), convenaient à tous ceux qui prêchaient l'Evangile, car cette prédication avait son origine et sa racine dans le ciel : ceux-ci « Non par des hommes » (Ga 1,1) convenaient aux seuls apôtres ; car Jésus les avait appelés à lui non par l'intermédiaire d'autres hommes, mais par lui-même. Pourquoi Paul, au lieu de faire mention de sa vocation et de dire: « Paul appelé non de la part des hommes », a-t-il parlé de sa qualité d'apôtre? Précisément, parce que c'était là-dessus que roulait toute la discussion. On disait que son droit d'enseigner il le tenait des hommes, des apôtres, et qu'il devait suivre leur direction. Or, la preuve qu'il n'avait pas reçu son ministère de la main des hommes, saint Luc la donne, lui qui a dit : « Or, pendant qu'ils s'acquittaient des fonctions de leur ministère devant le Seigneur, et qu'ils jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit: Séparez-moi Saül et Barnabé ». (Ac 13,2) Ce qui prouve bien que la puissance du Fils et de l’Esprit n'est qu'une seule et même puissance. Car, après avoir été envoyé par l'Esprit, il dit qu'il a été envoyé par le Christ. Et il le prouve encore ailleurs, quand il rapporte à l'Esprit ce que Dieu a fait. Car, s'entretenant avec les prêtres de Milet (1) : « Veillez sur vous-mêmes », disait-il, « et sur le troupeau à la tête duquel vous a mis l'Esprit-Saint en qualité de pasteurs et d'évêques ». (Ac 20,28) Et cependant il dit dans une autre épître : « Ceux que Dieu a mis dans son Eglise, d'abord comme apôtres, en second lieu comme prophètes, puis comme pasteurs et comme maîtres chargés d'enseigner ». (1Co 12,28) C'est ainsi que dans son langage il ne fait pas de distinction entre Dieu et le Saint-Esprit, attribuant à l'un ce que l'autre a fait, et réciproquement. D'ailleurs il ferme aussi la bouche aux hérétiques quand il dit « Par Jésus-Christ et Dieu son Père » (Ga 1,1). Comme ils prétendent que cette expression s'applique au Fils parce qu'elle témoigne d'une dignité inférieure, voyez ce qu'il fait : il s'en sert en parlant du Père, et nous enseigne à ne pas nous établir en législateurs de leur nature ineffable, et à ne pas mesurer la divinité du Père et celle du Fils. Car, après avoir dit: « Par Jésus-Christ », il ajoute : «Et par Dieu son père » (Ga 1,1). Car, si après avoir fait mention seulement du Père, il avait ajouté ces mots « par lesquels », peut-être en auraient-ils tiré parti et dit qu'il rapportait ces mots « par lequel » au Père, parce qu'il lui attribuait les oeuvres du Fils. Mais maintenant, en faisant mention en même temps du Père et du Fils, et en se servant de la même expression pour l'un et l'autre, il ne laisse plus de place à une telle interprétation. S'il agit ainsi, ce n'est pas pour attribuer au Père ce qui appartient au Fils, mais c'est pour montrer que cette expression n'admet entre eux aucune distinction de substance.

1. Et Ephèse. (Ac 20,17)

Que diraient donc à ce propos ceux qui soupçonnent, d'après la formule du baptême : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qu'il y a entre eux une certaine gradation descendante? Si le Fils est inférieur (575) au Père parce que son nom vient après celui du Père, que diront-ils en voyant que dans ce passage l'apôtre commence par le Fils pour arriver au Père? Mais ne prononçons point de blasphème. Il ne faut pas que notre ardeur à réfuter ces gens-là nous fasse sortir de la vérité. Il faut au contraire, fussent-ils mille et mille fois plus fous, que nous nous enfermions scrupuleusement dans les limites de la piété. De même que nous ne dirons pas, nous, que le Fils est plus grand que le Père, parce que Paul a parlé en premier lieu du Fils (car ce serait le dernier degré de la folie, et le comble de l'impiété), de même il ne faut pas croire que dans cette formule du baptême, le Fils soit inférieur au Père.

« Qui l'a ressuscité d'entre les morts » (Ga 1,1). Que faites-vous, Paul? Vous voulez ramener des judaïsants à la foi, et vous ne leur montrez rien de grand et d'imposant, comme lorsque vous disiez dans votre épître aux Philippiens que « Ayant la forme et la nature de Dieu, il n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu » (Ph 2,6), comme lorsque vous vous écriiez en écrivant aux Hébreux : « Il est la splendeur de sa gloire, et le caractère de sa substance » (He 1,3), comme lorsque le fils du tonnerre disait tout d'abord à haute voix : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn 1,1), comme lorsque Jésus en personne disait devant les Juifs à plusieurs reprises qu'il pouvait les mêmes choses que son Père, et qu'il avait la même puissance. Vous ne dites rien de cela, vous laissez toutes ces choses de côté pour ne parler que de l'incarnation, de la croix et de la mort du Sauveur? Oui, répond-il. S'il avait à parler devant des hommes qui n'ont pas idée de la grandeur du Christ, il ferait bien de traiter ces points-là; mais puisqu'ils se séparent de nous parce qu'ils ont peur d'être punis s'ils s'écartent de la loi, il fait mention de ce fait, qui suffit à prouver la non-nécessité de la loi, je veux parler du bienfait que nous avons tous reçu de la croix et de la résurrection. Dire que au commencement était le Verbe; et qu'il se trouvait dans la forme de Dieu, en faire l'égal de Dieu, et avancer d'autres choses semblables eût été bon pour démontrer la divinité du Verbe; mais ce n'était pas ce dont alors il s'agissait. Mais en disant que « Le Père l'a ressuscité d'entre les morts » (Ga 1,1), Paul rappelle le bienfait capital que nous avons reçu du Christ : ce qui ne contribuait pas peu à lui faire atteindre le but qu'il se proposait. Car la plupart des hommes ont coutume de ne pas prêter autant d'attention au langage de ceux qui célèbrent la grandeur de Dieu, qu'au langage de ceux qui montrent les bienfaits que Dieu leur a accordés. Aussi a-t-il négligé tout cela pour ne parler que des bienfaits dont nous avons été l'objet.

103 3. Mais ici les hérétiques nous assaillent encore et disent : Voici que le Père ressuscite le Fils. Par l'effet de la maladie dont ils ont été une fois atteints, ils se refusent à entendre les plus sublimes de nos dogmes; et quand ils rencontrent des expressions humbles et ordinaires, employées soit à cause de la chair, soit pour honorer Dieu, soit dans un autre but, ils les recueillent et les examinent séparément, et se font du tort à eux-mêmes, car je ne saurais dire qu'ils en font à l'Ecriture. Je voudrais bien leur demander pourquoi ils disent cela. Ont-ils l'intention de prouver que le Fils est faible, et qu'il n'a pas la force de ressusciter un seul corps? Et cependant la foi en lui et même dans les ombres de ceux qui croyaient en lui a fait ressusciter des morts. (Ac 5,15) Quoi, ces hommes qui croyaient en lui, et qui étaient mortels, ont pu rendre des morts à la vie rien que par l'effet de l'ombre que projetaient leurs corps de boue, et par le contact des vêtements qui enveloppaient ces mêmes corps, et lui, n'a pas eu la force de se ressusciter lui-même? Quelle évidente folie, quel excès de démence ! Ne l'as-tu pas entendu dire : « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours » (Jn 2,19) ? et une autre fois : « J'ai le pouvoir de déposer mon âme, et j'ai le pouvoir de la reprendre? » (Jn 10,18) Pourquoi donc est-il dit que son Père l'a ressuscité? Pour attribuer au Père les oeuvres du Fils, afin d'honorer le Père et de ménager la faiblesse des auditeurs.

« Et tous les frères qui sont avec moi » (Ga 1,2). Pourquoi n'en fait-il pas mention dans ses autres épîtres? Ou bien il n'y met que son nom, ou bien il y joint celui de deux ou de trois de ses compagnons. Ici il fait figurer tout un groupe de fidèles, c'est pourquoi il n'en désigne aucun par son nom. Pourquoi donc fait-il cela? On l'accusait d'être seul à prêcher ce qu'il prêchait, et d'introduire des nouveautés dans le dogme. Voulant faire tomber ces soupçons, et (576) montrer que ses idées ont beaucoup de partisans, il réunit les frères en un seul groupe, et prouve que ce qu'il écrit, il l'écrit en conformité de sentiment avec eux. « Aux Églises de Galatie » (Ga 1,2). Ce n'était pas une seule ville, ni deux, ni trois, mais toute la nation des Galates qui était consumée par ce fléau de l'erreur. Voyez encore ici une preuve de sa profonde indignation. Il n'a pas dit : A nos bien-aimés, ni à nos saints de Galatie; mais « Aux Églises de Galatie » (Ga 1,2). C'était bien là le langage d'un homme dont le coeur est ulcéré, d'un homme qui témoigne son affliction, que de s'adresser à eux sans employer de termes d'amitié ou de politesse, de les désigner seulement par un nom collectif, et de ne pas dire : « Aux Églises de Dieu », mais tout simplement : « Aux Églises de Galatie ». D'ailleurs il est pressé dès le début de les arrêter dans leur tentative de séparation : c'est pour cela qu'il les comprend tous sous ce nom d'Église, afin de les faire rentrer en eux-mêmes et de les réunir en un seul corps. Car ceux qui sont divisés en plusieurs partis ne sauraient être désignés par ce nom-là. Ce nom d'Église est synonyme d'accord et de bonne intelligence.

Que la grâce et la paix vous soient données par la bonté de Dieu le Père, et par Notre-Seigneur Jésus-Christ » (Ga 1,3). Dans toutes ses épîtres, il met cette formule nécessaire, à plus forte raison dans cette épître qu'il adresse aux Galates. C'est parce qu'ils étaient en danger de perdre la grâce, qu'il leur souhaite de pouvoir l'acquérir de nouveau. C'est parce qu'ils s'étaient mis en guerre avec Dieu, qu'il prie Dieu de ramener la paix parmi eux.

« Par la bonté de Dieu le Père » (Ga 1,3). — Voilà encore qui nous permet de confondre les hérétiques. Ils prétendent que Jean, qui a dit au commencement de ses Evangiles : « Et le Verbe était Dieu », a mis le mot Dieu sans article pour marquer que la divinité du Fils était inférieure (1), et ils font encore observer que Paul, en disant que le Fils avait la forme de Dieu, n'a pas voulu parler du Père, puisqu'il a employé le mot Dieu sans le faire précéder de l'article. Que diront-ils donc maintenant? Car Paul ne dit pas : Apo tou Theou mais Apo Theou Patris. S'il donne à Dieu, dans ce passage, la qualification de Père, ce n'est pas pour flatter les Galates ; loin de là, il les reprend

1 C'est l'argument d'Eusèbe de Césarée. Contra Marcellum, 16, 17.

vivement en leur rappelant la cause par laquelle ils sont devenus les fils de Dieu. Cet honneur, ils le doivent non pas à la loi, mais au baptême qui les a régénérés. Aussi partout, même dès le début, répand-il les preuves de la bienfaisance de Dieu. Ses paroles peuvent se traduire ainsi : Vous qui étiez esclaves, ennemis, étrangers, comment se peut-il que vous appeliez tout à coup Dieu votre Père? Est-ce à la loi que vous devez cette parenté? Pourquoi donc, laissez-vous celui qui vous a tant rapprochés de Dieu, et courez-vous encore au pédagogue? Non-seulement en ce qui concerne le Père, mais aussi en ce qui concerne le Fils, les noms dont on les désigne suffisaient à rappeler aux Galates la bienfaisance dont ils étaient l'objet. Le nom de Jésus-Christ, si nous l'examinons avec soin, retrace à notre esprit tous ses bienfaits. Car Jésus, dit l'Écriture, sera ainsi appelé : « Parce qu'il sauvera lui-même son peuple de ses propres péchés » (Mt 1,21) ; et le nom du Christ rappelle l'onction qu'il reçut du Saint-Esprit : « (Et par Notre Seigneur Jésus-Christ) qui s'est donné lui-même pour nos péchés (Ga 1,4) ».

104 4. Vous voyez que Jésus n'a pas exécuté des ordres avec l'obéissance forcée d'un esclave, et qu'il n'a pas été livré par un autre que par lui. Il s'est donné lui-même : ainsi donc, quand vous entendrez Jean dire, que le Père a donné son Fils unique pour nous, n'allez pas rabaisser à cause de cela la majesté du Fils unique, rejetez toute comparaison avec ce qui se passe parmi les hommes. Si on dit que le Père l'a donné, on le dit non pour vous faire croire qu'il s'agisse d'une mission imposée à un esclave, mais pour que vous compreniez que cette résolution plaisait aussi au Père, et c'est ce que Paul démontre dans ce même passage quand il dit : « Selon la volonté de Dieu notre-Père » (Ga 1,4). Il n'a pas dit : « Selon le commandement », mais : « Selon la volonté » (Ga 1,4). En effet, comme le Père et le Fils n'ont qu'une seule et même volonté, ce que le Fils voulait, le Père le voulait aussi. — « Pour nos péchés » (Ga 1,4). Nous nous étions, dit-il, plongés nous-mêmes dans une infinité de maux, et nous méritions les plus terribles châtiments. La loi, bien loin de nous tirer du danger, ne faisait que nous condamner en faisant ressortir nos fautes avec plus d'évidence, elle ne pouvait ni nous délivrer, ni faire cesser la colère de Dieu ; tandis que le Fils de Dieu (577) a rendu possible ce qui était impossible, en effaçant nos péchés, en faisant des amis de ceux qui étaient des ennemis, en nous accordant mille autres faveurs. Puis Paul ajoute «Afin de nous retirer de ce siècle pervers » (Ga 1,4). Voilà que d'autres hérétiques s'emparent de cette expression, s'en servent pour calomnier la vie d'ici-bas, et s'appuient sur le témoignage de saint Paul. Voyez-vous, disent-ils, il a dit que le siècle présent est pervers. — Et qu'est-ce qu'un siècle, dis-moi? Un intervalle de temps qui se compose de jours et d'heures. Quoi donc? Un intervalle de jours est pervers, pervers aussi le cours du soleil? Mais personne, même l'homme le plus insensé, n'oserait tenir un tel langage. — Mais, dit-on, ce n'est pas le temps lui-même qu'il traite de pervers, c'est la vie d'ici-bas? - Bien certainement les paroles de Paul n'ont pas ce sens-là, et puis tu ne te renfermes pas dans les paroles mêmes qui servent de texte à ton accusation, mais tu t'y fraies une route pour faire passer ton interprétation. Tu voudras bien m'accorder, à moi aussi, le droit d'interpréter ce passage, d'autant plus que mon explication sera pieuse et raisonnable. Que pourrions-nous donc dire? que ce qui est mal ne saurait être cause de ce qui est bien ; or, ces couronnes et ces récompenses infinies de la vie future, nous les devrons à la vie d'ici-bas. Et précisément ce bienheureux Paul lui-même fait de cette vie le plus grand éloge quand il dit « Que si je demeure plus longtemps dans ce corps mortel, je tirerai du fruit de mon travail; et ainsi je ne sais que choisir ». (Ph 1,22) Ainsi il se propose le choix à lui-même ou de vivre ici-bas, ou de cesser de vivre et d'être avec le Christ; et il préfère la vie d'ici-bas. Si le siècle était pervers, Paul n'aurait pas dit de lui (1) ce qu'il en a dit, et jamais un homme, quel que fût son zèle, n'aurait pu arriver à la vertu par le moyen d'un tel siècle. Car on ne peut arriver au bien par le mal, à la chasteté par la prostitution, à la bienveillance par la haine. Lorsque Paul, en parlant des pensées qui nous viennent de la chair (Rm 8,7), dit que la chair n'est pas soumise à la loi de Dieu, et qu'il le ne peut pas l'être, c'est comme s'il disait que le vice, restant ce qu'il est, ne peut être la vertu. Ainsi donc, quand vous entendrez ces mots :

1 Les éditions donnent peri e autou, se rapportant à Paul, je préférerais peri autou, se rapportant à aion ou bios.

« Siècle pervers » (Ga 1,4), songez aux actions mauvaises, aux mauvaises pensées. Ce n'est pas pour nous tuer, pour nous arracher de la vie d'ici-bas que le Christ est venu, mais il nous laisse au milieu du monde pour nous préparer à devenir dignes de la vie du ciel. C'est pourquoi il disait en s'entretenant avec son Père : « Et pour eux ils sont dans le monde, et moi je vais à vous » (Jn 17,11); et une autre fois : « Je ne vous demande pas de les retrancher du monde, mais je vous demande de les préserver du mal », c'est-à-dire du vice. — Si cette interprétation ne te convient pas, et si tu persistes à dire que la vie d'ici-bas est mauvaise, ne fais pas dès lors de reproches à ceux qui s'en débarrassent. De même qu'on doit à celui qui se retire du vice non le blâme, mais des couronnes; de même celui qui met fin violemment à ses jours, soit par la corde, soit par tout autre moyen, ne devrait pas être blâmé selon vous. Cependant Dieu châtie ces malheureux plus sévèrement que les homicides, et tous nous les avons en horreur, non sans raison. S'il n'est pas bien de tuer ses semblables, il l'est beaucoup moins encore de se tuer soi-même. Si la vie d'ici-bas était essentiellement mauvaise, il faudrait couronner les meurtriers, parce qu'ils nous débarrassent du mal. Mais sans avoir recours à ces raisonnements, servons-nous de leurs propres paroles pour les confondre. Puisqu'ils prétendent que le soleil est Dieu, et qu'ils en disent autant de la lune à qui ils donnent le second rang, puisqu'ils les adorent comme étant la cause de beaucoup de biens, ils se mettent en contradiction avec eux-mêmes. En effet, ces astres ainsi que les autres ne servent pas à autre chose qu'à notre vie d'ici-bas, cette vie qu'ils prétendent mauvaise; leurs rayons nourrissent nos corps, les éclairent, et font arriver les fruits à maturité. Comment donc se fait-il que vos dieux s'astreignent à de telles fonctions pour soutenir cette vie mauvaise ? Mais non, les astres ne sont pas des dieux, fi donc ! Ce sont des ouvrages de Dieu, faits par lui pour nos besoins, et le monde n'est pas pervers. Mais, diras-tu, les assassins, les adultères, les violateurs de tombeaux? — Cela n'a aucun rapport à la vie d'ici-bas. Ces crimes sont le résultat non de la vie de la chair, mais des mauvaises pensées. Car s'ils étaient l'effet de la vie d'ici-bas, s'ils en faisaient fatalement et essentiellement partie, nul n'en serait à (578) l'abri, nul ne serait pur. Remarque donc qu'on ne peut échapper aux besoins qui sont particuliers à la vie de la chair. Or, quels sont ces besoins? Les voici : il nous faut manger, boire, dormir, grandir, avoir faim, avoir soif, naître et mourir, sans parler des autres nécessités du même genre. Nul ne saurait s'en dispenser, ni pécheur, ni juste, ni roi, ni simple particulier; tous nous sommes soumis à la loi de nature. De même si faire le mal était un résultat fatal et naturel de la vie, on ne pourrait pas plus échapper à cette nécessité qu'on n'échappe aux autres. Ne m'objectez pas qu'ils sont rares ceux qui font bien. Car tu ne trouveras jamais que quelqu'un se soit mis au-dessus des nécessités naturelles. Et de la sorte, tant qu'on trouvera un seul homme pratiquant la vertu, mon raisonnement sera inattaquable. Quel est ton langage, ô malheureux! Elle est perverse, cette vie d'ici-bas, dans laquelle nous avons connu Dieu, dans laquelle nous méditons les biens à venir, dans laquelle, devenus anges d'hommes que nous étions, nous nous mêlons au choeur des célestes vertus? Et quelle autre preuve chercherons-nous que votre opinion est mauvaise et erronée?

105 5. Pourquoi donc, objectes-tu, Paul dit-il « Ce siècle pervers (Ga 1,4)? » Il suit l'usage le plus général. Car nous aussi nous avons coutume de dire: Je ne suis pas content de ma journée, et en parlant ainsi nous critiquons non pas le temps lui-même, mais nos propres actions, ou les circonstances. C'est ainsi que Paul critiquant les mauvaises pensées, s'est servi de cette expression si usitée, et qu'il montre que le Christ nous a délivrés de nos premiers péchés et qu'il nous a garanti la vie future. C'est ce que signifient ces paroles : « Qui s'est donné lui-même pour nos péchés » (Ga 1,4); et celles-ci qui viennent après : « Afin de nous retirer de ce siècle pervers » (Ga 1,4), marquent la garantie pour l'avenir. La loi était sans force même pour un seul de ces deux cas, tandis que la grâce est puissante pour tous les deux à la fois.

« Selon la volonté de Dieu notre Père » (Ga 1,4). Comme les Galates croyaient désobéir à Dieu, qui avait donné la loi, et n'osaient abandonner l'Ancien Testament pour le Nouveau, l'apôtre fait aussi tomber cette préoccupation en leur disant que le Père approuvait ces choses. Il n'a pas dit simplement: « De Dieu le Père », mais: « De Dieu notre père » (Ga 1,4) Il insiste continuellement là-dessus afin de les faire rentrer en eux-mêmes, en leur montrant que le Christ a fait en sorte que celui qui est son Père fût le nôtre. « A qui soit gloire dans tous les siècles des siècles. Amen » (Ga 1,5). Voilà encore qui est nouveau chez Paul, et qui ne lui est pas habituel. Ce mot « Amen » (Ga 1,5), nous ne le trouvons nulle part au commencement et au début de ses épîtres, mais seulement vers la fin. Cette fois il a adopté cet exorde, parce qu'il veut montrer que ces paroles sont un acte complet d'accusation contre les Galates, et qu'il a dit tout ce qu'il avait à dire. Quand la culpabilité est évidente il n'est pas besoin, pour la confondre, d'un grand attirail de preuves. Il rappelle la croix, et la résurrection, la rémission des péchés, la garantie qui nous a été donnée pour l'avenir, les décrets du Père, les desseins du Fils, la grâce, la paix, tous les biens que nous lui devons, et il termine par des actions de grâces. Et ce n'est pas seulement pour aboutir à des actions de grâces qu'il a fait cela, c'est aussi pour frapper très-vivement ses auditeurs au spectacle de tant de bienfaits, et devant cette grâce infinie, et pour qu'ils se disent à eux-mêmes : Qu'étions-nous pour que Dieu nous accordât ses faveurs coup sur coup et si promptement ? Ne pouvant les représenter par le langage, il a terminé brusquement par les actions de grâces : non que ses paroles soient à la hauteur de celui qu'il célèbre, mais il glorifie le Seigneur autant qu'il le peut et il appelle ses bénédictions sur toute la terre. C'est pourquoi il met ensuite plus d'âpreté dans son langage, comme si le souvenir des bienfaits de Dieu augmentait l'ardeur de son zèle. Car après avoir dit : « A qui soit gloire dans tous les siècles des siècles. Amen », il reprend avec plus de force en ces termes : « Je m'étonne que vous vous détachiez sitôt de celui qui vous a appelés à la grâce de Jésus-Christ, et que vous passiez ainsi à un autre Evangile (Ga 1,6) ».

Comme ils s'imaginaient plaire à Dieu en observant la loi, de même que les Juifs en persécutant le Christ, il leur prouve tout d'abord qu'en agissant ainsi ils irritent non-seulement le Christ, mais encore son Père. Par votre conduite, leur dit-il, vous vous séparez à la fois et du Christ et du Père. De même que l'Ancien Testament appartient non seulement au Père, mais aussi au Fils; de même la grâce appartient non-seulement au Fils, mais (579) aussi au Père, et tout entre eux est commun « Car tout ce qu'a mon Père est à moi ». (Jn 16,15) Il leur dit donc qu'ils se sont séparés même du Père, puis il leur adresse deux reproches : pourquoi s'en sont-ils séparés? pourquoi l'ont-ils fait si vite? Et certes, s'ils avaient agi autrement, s'ils ne s'en étaient séparés qu'après un long temps, ils mériteraient des reproches : mais ici il s'agit d'une oeuvre de séduction. Il mérite le blâme celui qui apostasie après un long temps, mais celui qui succombe au premier choc, et dès les premières escarmouches... Quelle preuve de faiblesse. C'est aussi ce qu'il leur reproche, quand il dit: Quoi donc, vos séducteurs n'ont pas même besoin d'attendre, il leur suffit de faire un pas pour vous changer tous entièrement et s'emparer de vous ! Quelle excuse aurez-vous ? Si une pareille conduite à l'égard de ceux qui ont de l'affection pour nous est blâmable, et si celui qui abandonne ses premiers, ses bons amis, mérite d'être condamné, à quel châtiment est exposé, songez-y, celui qui s'esquive quand Dieu l'appelle. Quand Paul dit : « Je m'étonne » (Ga 1,6), il ne parle pas ainsi seulement pour les faire rentrer en eux-mêmes, eux qui, après de tels bienfaits, après un pardon si complet de leurs péchés et une si grande indulgence, sont allés comme des transfuges se soumettre au joug de l'esclavage : il veut encore leur faire savoir quelle grande et quelle bonne opinion il avait d'eux. Car s'il les avait regardés comme des hommes ordinaires et faciles à tromper, il n'aurait pas été surpris de ce qui était arrivé ; mais comme vous êtes de braves gens, dit-il, et que vous avez passé par beaucoup d'épreuves, cela m'étonne de vous. Il suffisait de cette réflexion pour les reconquérir à la foi, et pour les ramener à leurs premières croyances. C'est aussi ce qu'il leur fait comprendre, vers le milieu de son épître, quand il dit : « C'est donc en vain que vous avez subi tant d'épreuves, si toutefois c'est en vain ! »

« Que vous vous détachiez si tôt... » (Ga 1,6); il n'a pas dit : « Que vous vous soyez détachés », mais « Que vous vous détachiez» (Ga 1,6). C'est comme s'il disait : Je ne crois pas encore, je ne pense pas que la séduction soit consommée. On sent encore ici la préoccupation d'un homme qui veut gagner les coeurs qu'il a perdus. Et cette préoccupation, il la laisse éclater encore plus, quand il dit : « Pour moi j'ai confiance en vous, je suis convaincu que vous n'aurez pas d'autres sentiments ». (Ga 5,10) « Je m'étonne que vous vous détachiez de Celui qui vous a appelés à la grâce du Christ » (Ga 1,6). Cet appel, c'est Dieu qui le fait, mais c'est le Fils qui en est cause : c'est lui qui nous a réconciliés avec son Père et qui est l'auteur du bienfait, car nous n'avons pas été sauvés par nos oeuvres de justice. Bien plus, les oeuvres de l'un sont les oeuvres de l'autre, « Car ce qui est à moi est à vous », dit le Christ, « et ce qui est à vous est à moi ». (Jn 17,10) Il n'a pas dit : Vous vous détachez de l'Evangile, mais : « De Celui qui vous a appelés, de Dieu ». Il s'est servi des termes les plus propres à effrayer, à frapper les Galates. Ceux qui voulaient les séduire, ne s'y prenaient pas brusquement; mais peu à peu ils les écartaient du fond des choses, tout en ayant l'air de respecter les noms. C'est ainsi que le diable s'y prend pour nous décevoir, il se garde bien de laisser voir ses piéges. S'ils avaient dit aux Galates : Renier le Christ, ceux-ci auraient pensé qu'ils avaient affaire à des séducteurs dangereux, et se seraient tenus sur leurs gardes. Mais comme ils leur permettaient, en attendant, de demeurer dans la foi, et qu'ils abritaient leur tentative de séduction sous le nom de l'Evangile, ils sapaient en toute sécurité l'édifice de la religion. Les mots dont ils se servaient, servaient à cacher, comme derrière un voile, leur travail souterrain.

106 6. Comme ils donnaient à leurs fausses doctrines le nom d'Evangile, Paul les attaque sur l'emploi qu'ils faisaient de ce mot, et il le déclare sans détour : « Pour passer à un autre Evangile ; non pas qu'il yen ait un autre... (Ga 1,7) ». Réflexion très-juste, car il n'y en a point d'autre. Cependant il est arrivé que ce passage a produit sur les partisans de Marcion le même effet que des mets sains sur ceux qui sont malades. Marcion s'en est emparé et s'est écrié : Voici que Paul a dit, qu'il n'y a pas un autre Evangile. Ni lui ni ses disciples n'admettent tous les évangélistes : ils n'en reconnaissent qu'un seul, encore l'ont-ils mutilé et bouleversé pour lui faire dire ce qui leur convenait. — Que veut donc dire ce même Paul par ces paroles : « Selon mon Evangile, et « selon la doctrine de Jésus-Christ? » (Rm 16,25) De semblables arguments méritent bien qu'on en rie, cependant tout ridicules (580) qu'ils sont, il est nécessaire de les réfuter à cause de ceux qui se laissent duper facilement. Que dirons-nous donc? Nous dirons que, quand bien même des milliers d'hommes auraient composé des Evangiles, ces nombreux Evangiles n'en formeraient qu'un seul, s'ils contenaient les mêmes choses. La multitude des évangélistes ne saurait empêcher l'unité de l'Evangile. Au contraire, si c'était un seul écrivain qui eût pris la plume mais qui eût écrit des choses contradictoires, son oeuvre serait dépourvue d'unité. L'unité ou la non-unité se juge non d'après le nombre des auteurs, mais d'après l'identité ou la diversité des choses. C'est à cela qu'on reconnaît clairement que les quatre Evangiles ne sont qu'un seul Evangile. Puisque tous les quatre disent les mêmes choses, il ne faut pas que la diversité d'auteurs nous y fasse voir une diversité d'Evangiles; au contraire leur unité doit résulter pour nous de leur concordance. Ici Paul n'a point en vue le nombre des personnes, mais la diversité des choses. Si l'Evangile de saint Mathieu est autre que celui de saint Luc et pour le sens et pour l'orthodoxie, ils font bien de s'appuyer sur cette parole de Paul mais si ces Evangiles n'en forment qu'un, qu'ils cessent de déraisonner, qu'ils ne feignent plus d'ignorer ce qui est évident même pour des petits enfants.

« Mais il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent renverser l'Evangile du Christ » (Ga 1,7). C'est-à-dire, tant que votre esprit restera sain, tant que votre vue restera nette et ne se troublera pas, tant que vous ne vous imaginerez pas que vous voyez ce qui n'est point, vous ne reconnaîtrez pas d'autre Evangile. Quand nos yeux sont troublés, ils voient autre chose que ce qui existe ; il en est de même de notre esprit, il éprouve les mêmes désordres quand il a été troublé et désorganisé par des raisonnements pernicieux. C'est ainsi que l'imagination des fous prend une chose pour une autre. Mais la folie de l'erreur religieuse est plus dangereuse que celle-là : elle exerce sa funeste influence non pas dans le domaine des sens, mais dans le domaine de l'esprit; elle trouble, non pas la prunelle des yeux de notre corps, mais les yeux de notre intelligence. — «Et qui veulent renverser l'Evangile du Christ » (Ga 1,7). Ces hommes n'imposaient aux Galates qu'une ou deux coutumes nouvelles, la circoncision et l'observation du sabbat; mais Paul veut montrer qu'une légère atteinte compromet l'ensemble de la foi; et il dit qu'ils renversent l'Evangile. De même que celui qui, dans une pièce de monnaie rogne quelque chose de l'effigie du prince, lui enlève toute valeur, de même celui qui détruit seulement une petite partie de la foi orthodoxe, la compromet tout entière, car ce premier changement en amène d'autres de plus en plus pernicieux.

Où sont-ils donc ceux qui nous accusent d'humeur querelleuse, parce que nous ne sommes pas d'accord avec les hérétiques? Où sont-ils maintenant ceux qui disent qu'entre nos adversaires et nous il n'y a point de différence de doctrine, mais que toute la lutte provient de notre esprit de domination? Qu'ils écoutent les propres paroles de Paul : d'après lui, celui qui veut introduire le plus mince changement dans l'Evangile, le renverse. Or ce n'est pas un mince changement que celui qui est proposé par nos adversaires. N'est-ce rien, en effet, que de dire avec eux que le Fils de Dieu n'est qu'une créature? N'as-tu pas appris dans l'Ancien Testament, qu'un homme ayant ramassé du bois un jour de sabbat, fut puni du dernier supplice pour avoir violé un des commandements de Dieu, et certes ce n'était pas le plus important? et qu'Osée, ayant soutenu l'arche qui allait se renverser, mourut sur-le-champ, parce qu'il avait empiété sur des fonctions qui n'étaient pas les siennes? Quoi ! le fait de n'avoir pas observé le sabbat et d'avoir porté la main sur l'arche qui allait tomber a tellement excité l'indignation de Dieu, qu'il a jugé indignes de tout pardon ceux qui s'en étaient rendus coupables, et celui qui a porté la main sur des dogmes sacrés et redoutables, celui-là pourra se justifier et obtenir son pardon? Non, non. Et voilà précisément la cause de tous ces maux, notre apathie devant ces innovations si petites qu'elles soient. C'est ainsi que des désordres plus grands se sont glissés à la suite de ceux qui étaient moindres et qu'on n'avait pas réprimés. Et de même que ceux qui négligent les lésions du corps humain y font germer la fièvre, la gangrène et la mort, de même ceux qui négligent de porter remède aux troubles de l'âme quand ils ont encore peu de gravité, sont cause que la désorganisation devient plus profonde. Un tel, dira-t-on, n'a pas observé rigoureusement le jeûne, ce n'est pas grave; un autre, ferme du reste dans (581) l'orthodoxie, s'est plié aux circonstances et n'a pas dit ce qu'il pensait, cela non plus n'est pas bien grave. Un autre, dans un moment de colère, a menacé de renier la vraie foi, mais il n'y a pas encore là de quoi le punir; c'est la colère, l'impatience qui l'ont fait pécher. Et combien d'autres péchés du même genre ne trouverait-on pas qui se glissent dans les églises? Et voilà ce qui nous attire les railleries des Juifs et des gentils, quand ils voient l'Eglise partagée en mille et mille sectes. Si tout d'abord ceux qui entreprennent d'échapper aux liens sacrés de la religion, et d'ébranler tant soit peu ses dogmes, recevaient le châtiment qu'ils méritent, la peste qui nous désole aujourd'hui ne se serait pas produite, et les Eglises ne seraient pas assaillies par une aussi violente tempête. Voilà pourquoi l'apôtre dit que la circoncision est le renversement de l'Eglise.

107 7. Aujourd'hui beaucoup parmi nous jeûnent le même jour que les Juifs, et observent le sabbat comme eux : et nous sommes assez généreux, ou plutôt assez faibles pour tolérer de telles pratiques. Et pourquoi parlé-je des Juifs? Il y en a même parmi les nôtres qui ont emprunté aux païens bon nombre de leurs coutumes, qui pratiquent les enchantements, - qui croient aux augures, aux présages, qui observent superstitieusement les jours, qui tirent l'horoscope des enfants, et qui leur mettent sur la tête, pour leur malheur, au moment où ils viennent au monde, ces petits billets où chaque lettre est une impiété, leur enseignant ainsi, dès leur début dans la vie, à reculer devant les épreuves qu'impose la conquête de la vertu, et les remettant, autant que cela dépend d'eux, à l'aveugle tyrannie du destin. Si le Christ ne sert de rien à ceux qui sont circoncis, en quoi la foi pourra-t-elle contribuer au salut de ceux qui seront cause de tant de malheurs? Cependant la circoncision avait été imposée par Dieu; mais comme l'observation intempestive de cette pratique contrariait le développement du christianisme, Paul a fait tous ses efforts pour la supprimer. Ensuite, Paul s'est donné tant de mal pour combattre les coutumes des Juifs parce qu'on les observait mal à propos, et nous ne retrancherons rien à celles des gentils? Quelle excuse aurons-nous à donner? Aussi notre Eglise est-elle dans le trouble et dans la confusion, et ceux qui devraient recevoir les enseignements des maîtres de la doctrine, pleins de présomption ont changé les rôles, ont tout bouleversé. Et si parmi leurs supérieurs quelqu'un veut les reprendre un peu, ils les traitent avec le dernier mépris, et nous devons nous en prendre à nous-mêmes qui les avons mal élevés. Cependant, quand même leurs supérieurs seraient plus corrompus qu'ils ne le sont, quand même ils auraient toutes sortes de vices, même dans ce cas il ne devrait pas être permis au disciple de faire fi de leurs avertissements. Si l'on a pu dire des docteurs des Juifs, que par cela même qu'ils étaient assis sur la chaire de Moïse (Mt 23,2), ils avaient droit à se faire écouter de leurs disciples, quand même leur conduite serait telle qu'on dût recommander à ceux-ci de ne pas la prendre pour modèle, et de ne pas l'imiter, de quel pardon seront-ils dignes ceux qui conspuent et foulent aux pieds les chefs de l'Eglise dont la vie, grâce à Dieu, est ce qu'elle doit être? S'il nous est interdit de nous juger les uns les autres, combien plus de juger les maîtres qui nous instruisent.

« Mais quand même je vous annoncerais moi-même, ou quand un ange du ciel vous annoncerait un Evangile différent de celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème (Ga 1,8) ». Voyez la prudence de l'apôtre. Pour qu'on ne dise pas que c'est par pure vanité qu'il vante les dogmes que lui-même a prêchés, il appelle l'anathème sur sa propre tête. Les Galates se retranchaient derrière les grands noms de Jacques et de Jean, voilà pourquoi il parle des anges: Ne m'opposez plus Jacques, ni Jean, leur dit-il, quand même ce serait un des premiers parmi les anges du ciel qui tenterait de dénaturer ces dogmes, qu'il soit anathème. Et ce n'est point par hasard qu'il a dit « du ciel » (Ga 1,8). Les prêtres étaient appelés des anges : « Les lèvres du prêtre garderont la science, et l'on cherchera la loi de sa bouche, parce qu'il est un ange du Seigneur tout-puissant». (Ml 2,7) Pour qu'on ne croie pas que par ce nom d'anges il désigne ces prêtres, l'apôtre ajoute ces mots « du ciel », en faisant allusion aux puissances d'en-haut. Il n'a pas dit: S'ils enseignent le contraire, ou s'ils renversent ma doctrine, mais : Quand même leur Evangile ne différerait qu'à peine du mien, quand même ils ne s'attaqueraient qu'aux parties les moins importantes, qu'ils soient anathèmes.

« Comme je l'ai dit auparavant, et comme je le dis encore (Ga 1,9) ». Afin qu'on ne s'imagine (582) pas que c'est la colère ou l'exagération qui dicte ses paroles, ou qu'il cède à un entraînement passager, il revient sur le même sujet. Celui que la colère emporte parle au risque d'avoir à se repentir bientôt: celui qui revient sur ce qu'il a dit pour y insister encore, montre qu'il a parlé ainsi en connaissance de cause, et qu'il ne s'est décidé à prendre la parole qu'après mûre réflexion. Abraham, à la prière qui lui était faite d'envoyer Lazare parmi les hommes, répondit : « Ils ont Moïse et les prophètes : s'ils ne les écoutent pas, ils n'écouteront pas davantage les morts s'ils ressuscitent». (Lc 16,29) Le Christ nous représente Abraham tenant ce langage, pour nous faire comprendre qu'il veut qu'on ait plus de confiance dans les Ecritures que dans le témoignage des morts qui ressuscitent. Paul (quand je parle de Paul, je parle aussi du Christ, car c'est lui qui inspirait Paul) met les Ecritures au-dessus de la parole des anges mêmes descendus du ciel : et certes il a raison. Les anges, tout grands qu'ils sont, ne sont que les serviteurs et les ministres de Dieu, tandis que les Ecritures nous viennent toutes non des serviteurs de Dieu, mais du Maître de l'univers, de Dieu lui-même. Aussi Paul dit-il : Si quelqu'un vous enseigne un Evangile différent de celui que je vous ai enseigné. Et il n'a pas dit : Si un tel ou un tel. Son langage est un modèle d'habileté et de tact. Qu'avait-il besoin ensuite de nommer personne lui qui avait poussé si loin l'hyperbole qu'il avait tout embrassé dans sa menace d'anathème, et le ciel et la terre. En n'épargnant ni les évangélistes ni les anges, il n'exceptait aucune dignité; en ne s'épargnant pas lui-même, il comprenait tout ce qui pouvait le toucher de plus près. Ne me dites pas : « Tes compagnons d'apostolat, tes amis tiennent ce langage », car je ne demande pas de pitié pour moi, s'il m'arrive d'en faire autant. Si Paul parle ainsi, ce n'est pas qu'il condamne les apôtres, ou que ceux-ci faussent le dogme évangélique, loin de nous une pareille supposition. C'est dans le cas, dit-il, où, soit eux, soit moi, nous prêcherions une telle doctrine. Il veut montrer que l'autorité des personnes n'est rien, quand il s'agit de la vérité.

« Car enfin, est-ce des hommes ou de Dieu que je désire maintenant d'être approuvé? ou ai-je pour but de plaire aux hommes? Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ (Ga 1,10) ». Si je vous trompais, dit-il, quand je vous tiens ce langage, pourrais-je échapper à ce Dieu qui connaît nos secrètes pensées, et auquel je me suis toujours efforcé de plaire? Voyez-vous cette fierté de l'apôtre? Voyez-vous cette sublimité évangélique ? C'est aussi ce qu'il disait aux Corinthiens, quand il leur écrivait: «Nous ne vous présentons pas notre apologie, mais nous vous donnons occasion de vous glorifier à notre sujet » (2Co 5,12) ; et une autre fois : «Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit ». (1Co 4,3) Comme il est obligé lui, le maître, de se justifier devant ses disciples, il se soumet à cette épreuve, et s'en indigne, non par un sot orgueil, loin de là, mais parce qu'elle révèle toute la faiblesse d'esprit de ceux qui s'étaient laissé égarer, et le peu de solidité de leur foi. Voilà pourquoi il leur a adressé ces paroles qui peuvent se traduire ainsi : Est-ce que j'ai affaire à vous? Est-ce que des hommes vont me soumettre à leurs jugements? Nous n'avons affaire qu'à Dieu, et nous réglons toutes nos actions en vue du compte que nous aurons à lui rendre là-haut, et nous ne sommes pas tombé si bas que nous songions à corrompre le dogme, nous qui devons un jour avoir à répondre de notre enseignement devant le Maître souverain.

108 8. C'est ainsi qu'il leur parla, se justifiant en même temps qu'il résistait à leurs prétentions. Car il convenait à des disciples non de juger, mais de croire leur maître. Mais puisque les rôles sont changés, leur dit-il, et que vous vous êtes établis en tribunal, apprenez que je n'ai pas besoin de parler longuement pour me justifier devant vous, et que toutes mes actions ont Dieu pour but, et que c'est son approbation que je cherche pour la manière dont j'enseigne ses dogmes. Celui qui veut persuader les hommes emploie souvent des moyens détournés, il a recours à la tromperie et au mensonge pour s'emparer de l'esprit de ses auditeurs; mais celui qui cherche à persuader Dieu et qui s'efforce de lui plaire, doit avoir l'âme simple et pure : on ne peut tromper Pieu. Il est donc bien évident, ajoute-t-il, que nous aussi, quand nous écrivons cela, nous ne sommes poussé ni par le désir de dominer, ni par le désir d'avoir des disciples, ni par le désir de nous faire une réputation parmi vous : ce n'est point aux hommes que (583) nous cherchons à plaire, mais à Dieu. Si je voulais plaire aux hommes, je serais encore Juif, je serais encore un des persécuteurs de l'Église. Puisque j'ai laissé de côté ma nation tout entière, mes proches, mes amis, mes parents, et ma grande réputation, pour m'exposer chaque jour aux persécutions, à la haine, aux inimitiés, à la mort, il est évident que ce que je vous dis maintenant je ne le dis pas pour me rendre célèbre parmi les hommes. Il parle ainsi, parce qu'il va leur raconter sa vie passée et sa brusque conversion, et qu'il va leur montrer par des preuves décisives que cette conversion a été sincère, or il craint qu'ils ne s'imaginent qu'il n'agit ainsi que pour se justifier, et il ne veut pas qu'ils en tirent vanité. Aussi a-t-il ajouté : « Car enfin est-ce des hommes que je désire être approuvé ? » (Ga 1,10) Il sait, selon que l'occasion l'exige, reprendre et corriger ses disciples par de hautes et grandes paroles. Cependant il aurait pu choisir un autre ordre de preuves pour démontrer la pureté de sa doctrine, il aurait pu rappeler ses miracles, ses dangers, ses emprisonnements, la mort qu'il bravait tous les jours, combien de fois il avait enduré la faim et la soif, et sa nudité, et tant d'autres épreuves : mais comme il était alors question non des faux, mais des vrais apôtres, et que ceux-ci avaient partagé ses périls, il va prendre ses arguments autre part. Quand il combattait les faux apôtres, il se mettait en parallèle avec eux, leur opposait sa fermeté dans les dangers, et disait: «Sont-ils ministres de Jésus-Christ? Quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis encore plus qu'eux. J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups, plus enduré de prisons. Je me suis souvent vu tout près de la mort. (2Co 2,23)

Maintenant il rappelle son premier genre de vie, et dit: « Je vous déclare donc, mes frères, que l'Évangile que je vous ai prêché n'a rien de l'homme ; parce que je ne l'ai point reçu ni appris d'aucun homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. (Ga 1,11-12) ». Voyez quelle insistance il met à prouver qu'il est le disciple du Christ, que nul homme ne lui a servi d'intermédiaire, mais que Jésus en personne a daigné lui révéler la science tout entière. Et à ceux qui ne croient pas, quelle preuve pourrais-tu donner que c'est Dieu qui t'a révélé par lui-même, et sans intermédiaire, tous ces mystères ineffables? — Ma vie passée, répond-i1 : car sans l'intervention, sans la révélation divine; je ne me serais pas converti si promptement. Un effet; quand on instruit des hommes d'une opinion contraire et qui ont toute l'ardeur, tout le feu de la conviction, il faut beaucoup de temps et d'habileté pour les persuader. Or, lui qui s'est transformé si subitement, qui est devenu tout .:à coup parfaitement sage à l'instant même où sa folie était à son comble, n'est-il pas évident qu'il doit à la vite et aux enseignements de Dieu lui-même; d'avoir pu si vite et si pleinement venir à résipiscence? Voilà pourquoi il se trouve forcé de raconter sa première vie, et pourquoi il les prend à témoin de ce qui s'est passé. Que le fils unique dé Dieu ait daigné m'appeler lui-même du haut des cieux, vous, vous n'en savez rien ; et comment le pourriez-vous savoir, puis que vous n'y étiez pas? Mais que j'aie été un persécuteur, vous le savez fort bien, et vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de la violence que je montrais alors, quoiqu'il y ait loin de la Palestine à la Galatie. Et,ceci prouve encore combien elle était brande et intolérable pour tous, puisque le bruit en a été porté si loin. Aussi dit-il encore : « Car vous avez entendu dire de quelle manière j'ai vécu autrefois dans le judaïsme : avec quel excès de fureur je persécutais l'Église de Dieu et la ravageais (Ga 1,13) ». Vous voyez comme il ne craint pas de tout rapporter et sans ménager ses expressions. Il ne se contentait pas de persécuter, il persécutait avec une violence excessive, et non-seulement il persécutait, mais encore il ravageait, c'est-à-dire, il tâchait d'éteindre, de renverser, de détruite, d'effacer l'Église : voilà ce que fait un homme qui ravage. — « Je me signalais dans le judaïsme au-dessus de plusieurs de ma nation et de mon âge, et j'avais un zèle démesuré pour les traditions de mes pères (Ga 1,14) ».


109 Pour qu'on ne croie pas que c'était la colère qui le faisait agir ainsi, il montre que toute sa conduite était inspirée par le zèle et que, s'il n'avait pas la connaissance, il n'était persécuteur ni par amour de la vaine gloire, ni par désir de vengeance, mais « qu'il avait un zèle démesuré pour les traditions de ses pères ». Voici le sens de ses paroles : Si j'ai combattu l'Église, je l'ai fait non comme un (584) homme ordinaire, mais par un zèle divin, ce zèle portait à faux, mais ce n'en était pas moins du zèle. Et aujourd'hui que je cours pour l'Evangile et que je connais la vérité, je n'agirais comme je le fais que par vanité? Si à l'époque de mes erreurs une telle passion n'avait pas de prise sur moi, si mon zèle pour Dieu m'entraînait seul à ces excès, combien plus, maintenant que je connais la vérité, ne mériterais-je pas d'être à l'abri de ce soupçon? Dès que j'ai eu embrassé les dogmes de l'Eglise, je me suis immédiatement dépouillé de tout ce qui pouvait m'attacher au judaïsme, et j'ai montré dès lors encore plus de zèle qu'autrefois, ce qui est la preuve que ma conversion a été sincère et que j'étais plein de zèle pour Dieu. Si cela n'était pas, à quel autre motif, dites-moi, pourrait-on attribuer un tel changement, à quoi attribuer la résolution que j'ai prise alors de quitter les honneurs pour l'injure, l'impunité pour le danger, la sécurité pour la misère? Non, je n'eus pas d'autre mobile que l'amour de la vérité.

« Mais lorsqu'il a plu à Dieu, qui m'a choisi particulièrement dès le ventre de ma mère, et qui m'a appelé par sa grâce, de révéler son fils en moi, afin que je le prêchasse parmi les nations, je l'ai fait aussitôt, sans prendre conseil de la chair et du sang (
Ga 1,15-16) ». Voyez pourquoi il s'attache à prouver que même au temps de son erreur la Providence exerçait sur lui son action mystérieuse. Si dès le ventre de sa mère il était réservé pour devenir un apôtre et pour être appelé à en remplir les fonctions, et s'il ne fut appelé qu'assez tard, obéissant aussitôt qu'il fut appelé, il est bien évident que Dieu avait quelque dessein secret pour avoir attendu jusque-là. Quel était donc ce dessein? Sans doute il vous tarde d'apprendre de moi pourquoi Dieu ne l'appela pas au nombre de ses douze apôtres. Mais pour ne point m'écarter du sujet qui me presse, et ne point prolonger cet entretien, je vous en prie au nom de l'affection que vous me portez, ne cherchez pas à tout apprendre de moi, cherchez au contraire en vous-mêmes, et priez Dieu de vous révéler la vérité. Nous vous avons parlé à ce sujet, lorsque nous avons raconté son changement de nom, et pourquoi Dieu l'appela Paul au lieu de Saul. Si vous avez oublié mes paroles, lisez le livre où elles ont été recueillies, et vous saurez tout. En attendant, reprenons la suite du discours, et voyons com. ment il s'y prend encore pour montrer qu'il n'y avait rien d'ordinaire dans ce qui lui est arrivé, mais que c'était Dieu qui faisait tout, qui réglait tout avec une singulière prévoyance. « Et qui m'a appelé par sa grâce ». Dieu l'a appelé à cause de ses mérites, selon ce qu'il dit à Ananie : « Cet homme est un instrument que j'ai choisi pour porter mon nom devant les gentils et devant les rois ». (Ac 9,15) C'est-à-dire, il est capable de me servir et de faire de grandes choses. Telle est la raison que Dieu donne du choix qu'il a fait de lui; mais lui-même, en toute circonstance, rapporte tout à la grâce et à l'ineffable bonté de Dieu, et il s'exprime en ces termes : « Mais j'ai reçu miséricorde, afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fit éclater son extrême patience, et que j'en devinsse comme a un modèle et un exemple à ceux qui croiront en lui pour acquérir la vie éternelle». (1Tm 1,16)

Avez-vous remarqué son extrême humilité? J'ai reçu miséricorde, dit-il, pour que nul ne désespère, en voyant que le plus méchant des hommes a été l'objet de la clémence divine. C'est ce qu'il veut nous faire entendre par ces mots : « Afin que Jésus-Christ fît éclater en moi son extrême patience, et que j'en devinsse comme un modèle et un exemple à ceux qui croiront en lui. Lorsqu'il lui a plu de me révéler son Fils ». Ailleurs le Christ dit : « Nul ne connaît le Fils, si ce n'est le Père, et nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils voudra le révéler». (Lc 10,22) Vous voyez que le Père révèle le Fils, et que le Fils révèle le Père. Il en est de même pour leur glorification, le Fils glorifie le Père, et le Père glorifie le Fils : « Glorifiez-moi, dit-il, afin que je vous glorifie ». (Jn 17,1) II a dit une autre fois : c De même « que je vous ai glorifié ». Pourquoi Paul n'a-t-il pas dit : Révéler son Fils à moi, mais « En moi? » Il voulait montrer que ce ne sont pas seulement des paroles qui lui ont enseigné les choses de la foi, mais qu'il fut entièrement pénétré par l'Esprit, quand la lumière de la révélation se fit dans son âme; il voulait montrer aussi que le Christ était en lui et s'entretenait avec lui. « Afin que je prêche son évangile parmi les gentils». Non-seulement Dieu lui donna la foi, mais encore il le choisit. Dieu s'est révélé à moi non pas seulement pour que (585) je le visse, mais pour que je le fisse connaître aux autres hommes. Et il n'a pas dit simplement: « Aux autres hommes », mais bien : « Afin que je prêche son évangile parmi les gentils». C'est ici qu'il commence à toucher le point principal de sa justification, et il le tire de la personne de ses disciples. En effet, il n'était point également obligé de prêcher aux Juifs et aux gentils. « Aussitôt je ne pris conseil ni de la chair, ni du sang» (Ga 1,16). Ici il fait allusion aux apôtres en les désignant par les attributs de la nature humaine. Que dans ces paroles il ait compris tous les autres hommes, nous ne le nierons pas non plus.

« Et je n'allai pas à Jérusalem auprès de ceux qui avaient été faits apôtres avant moi (Ga 1,17) ». A les regarder isolément, ces paroles semblent pleines d'orgueil et bien éloignées de la simplicité apostolique. Ne prendre conseil que de soi-même et ne pas consulter les autres semble être le fait d'un homme inintelligent et orgueilleux. « J'ai vu un homme qui s'estimait sage, mais il faut plus espérer de l'insensé que de lui ». (Pr 15,12) Et l'Ecriture dit encore : « Malheur à ceux qui se croient sages et qui se croient instruits ». (Is 6,21) Paul lui-même a dit: « Ne soyez pas sages à vos propres yeux». (Rm 12,16)


110 Un homme, je ne dis pas du caractère de Paul, mais un homme quelconque pourrait-il après avoir appris et enseigné ces belles maximes de modestie, les violer si ouvertement? Je le répète, ses expressions, à les considérer toutes seules, peuvent exciter de la surprise chez quelques-uns de ceux qui les écoutent et les mettre dans l'embarras. Mais si nous tenons compte du motif qui les lui dictait, tous nous n'aurons plus pour lui que de l'admiration et des applaudissements. Faisons donc ainsi : il ne faut ni examiner ses paroles toutes seules, car cela nous entraînerait dans bien des erreurs, ni passer à la pierre de touche chacune de ses expressions, il faut au contraire nous rendre compte de la pensée de celui qui écrit. Dans nos entretiens avec les autres hommes, si nous n'agissions pas ainsi, et si nous ne recherchions pas l'intention de celui qui parle, nous nous exposerions à bien des haines, ce ne serait partout que désordre. Et cela n'est pas vrai seulement du langage, mais aussi des actions, car, si pour les apprécier nous ne suivons pas la même règle, tout est complètement bouleversé. Les médecins coupent et brisent quelquefois les os des malades, les brigands font la même chose; qui cependant serait assez aveugle pour ne pas distinguer le médecin du brigand? Les assassins et les martyrs éprouvent les mêmes souffrances quand on les met à la torture, mais quelle distance entre eux. Si nous ne suivions pas cette règle, nous ne saurions point faire cette distinction. Nous dirions que Hélie était un assassin, nous en dirions autant de Samuel et de Phinée, et nous accuserions Abraham d'avoir voulu tuer son fils, si nous devions n'examiner que leurs actions toutes seules sans tenir compte de l'intention.

Examinons donc les intentions de Paul quand il écrivait ce passage : voyons quel était son but, quels étaient en un mot ses rapports avec les apôtres, et nous saurons quelle était sa pensée quand il tenait ce langage. Ce n'est ni pour les rabaisser, ni pour se vanter lui-même qu'il parle ainsi, dans ce passage et dans les précédents. Comment l'aurait-il fait, puisqu'il se soumettait à l'anathème tout le premier? Il n'avait en vue que de sauvegarder en tout et pour tout l'intégrité de l'Evangile. Comme les ennemis de l'Eglise disaient qu'on devait se conformer aux prescriptions des apôtres qui n'interdisaient pas ces coutumes, plutôt qu'à celles de Paul qui les interdisait, et comme ils partaient de là pour faire pénétrer petit à petit l'erreur des Juifs parmi les Galates, Paul se voit forcé de leur résister avec fermeté, non pas qu'il voulût médire des apôtres, mais il voulait confondre la sotte présomption de ceux qui se vantaient hors de propos. C'est pour cela qu'il dit : « Je ne pris conseil ni de la chair ni du sang » (
Ga 1,16). C'eût été en effet le comble de la folie d'aller consulter les hommes après avoir reçu ses instructions de Dieu lui-même. Il est naturel que celui qui a été instruit par les hommes, retourne auprès des hommes pour leur demander conseil; mais lui, qui avait eu l'honneur d'entendre cette voix divine et bienheureuse, qui avait été entièrement instruit par celui-là même qui possède le trésor de la sagesse, quel besoin pourrait-il avoir désormais de consulter les autres hommes? Il serait juste qu'un tel homme instruisît ses semblables au lieu d'être instruit par eux. Ce n'était donc pas un ridicule orgueil qui le faisait parler ainsi, mais le désir de montrer la haute valeur de sa prédication. « Je n'allai pas, dit-il, auprès de ceux qui (586) avaient été faits apôtres avant moi ». Comme ses adversaires répétaient sur tous les tons que ceux-ci étaient ses anciens, qu'ils avaient été appelés avant lui; je ne suis pas allé auprès d'eux, répond-il. S'il avait dû se mettre en communication avec eux, celui qui lui avait révélé sa doctrine lui en aurait aussi donné l’ordre.

Pourquoi donc n'alla-t-il pas à Jérusalem? Et certes il y alla, et ce ne fut pas simplement pour y aller, mais ce fut aussi pour y apprendre quelque chose de la bouche des apôtres. — Quand fit-il ce voyage? Il le fit à l'époque où l'Eglise d'Antioche, cette Eglise qui, dès les premiers jours montra tant de zèle, débattait la question dont nous nous occupons maintenant, la question de savoir s'il fallait astreindre les païens convertis à la pratique de la circoncision, ou s'il ne fallait les soumettre à aucune exigence de cette sorte. C'est alors que ce même Paul, accompagné de Silas, se rendit en personne à Jérusalem. Comment se fait-il donc qu'il dise : Je n'y suis point allé, et je n'ai pris conseil de personne? c'est d'abord parce qu'il ne fit pas ce voyage de lui-même, mais par délégation : en second lieu, parce qu'il y allait non pour s'instruire mais pour persuader. Pour lui, dès le commencement,il s'en tint à cette opinion, qui fut après cela sanctionnée par les apôtres, qu'il ne fallait pas exiger la circoncision. Comme en attendant on ne croyait pas devoir s'en rapporter à lui, et qu'on avait les yeux tournés vers ceux de Jérusalem, il se rendit dans cette ville, non pour y apprendre personnellement quelque chose de plus, mais pour convaincre ceux qui étaient d'un avis contraire au sien que les apôtres de Jérusalem étaient d'accord avec lui sur ce point. Dès l'abord il avait jeté une telle vue d'ensemble sur ce qu'il était nécessaire de décider, et il avait si peu besoin d'un maître qui l'instruisit, que ces décisions, prises plus tard par les apôtres après mainte délibération, il les prévit avant toute délibération et les garda en lui-même inébranlablement, grâce à la lumière qui lui était venue d'en-haut. C'est aussi ce qu'indiquait saint Luc, quand il disait que Paul s'entretint longuement avec eux sur ce sujet, même avant d'aller à Jérusalem. (Ac 15,2) Comme les chrétiens ses frères croyaient avoir besoin de nouvelles instructions à ce sujet, Paul se rendit à Jérusalem pour eux, non pour lui. S'il dit : Je n'y suis pas allé, c'est pour dire et qu'il n'y est point allé avant d'entreprendre ses prédications, et que, lorsqu'il y est allé, il n'y est pas allé pour s'instruire. Telle est la double signification de ses paroles : « Aussitôt je ne pris conseil ni de la chair ni du sang ». Il ne se contente pas de dire : Je ne pris pas conseil, il ajoute « Aussitôt ». Si donc après cela il est allé à Jérusalem, ce n'a pas été pour ajouter à sa doctrine. « Mais je me transportai en Arabie ». Voyez quelle effervescence de zèle : il entreprend de cultiver les pays qui n'avaient pas encore été cultivés et qui étaient encore à l'état sauvage. S'il était resté avec les apôtres, comme il n'avait plus rien à apprendre, la prédication eût été entravée. Il fallait que partout ils transmissent la parole de Dieu. C'est pourquoi le bienheureux Paul, enflammé par, le Saint-Esprit, entreprit tout d'abord d'instruire les peuples étrangers et barbares, et embrassa une carrière pleine de fatigues et de dangers.


111 Contemplez son humilité : Après avoir dit: « Je me transportai en Arabie », il ajoute « Et je retournai à Damas ». Pas un mot de ses succès, ni du nombre, ni de la qualité de ceux qu'il catéchisa, et pourtant, au moment où il recevait le baptême, il montrait tant de zèle qu'il déconcerta les Juifs, et les remplit d'une si violente colère qu'ils s'unirent aux gentils pour lui tendre des embûches et pour essayer de le tuer : ce qui ne serait pas arrivé, s'il n'avait augmenté le nombre des croyants. Battus par les armés de la prédication, ils ne s'occupèrent plus que de le faire périr, et c'est là la meilleure preuve du triomphe de Paul. Mais le Christ ne permit pas qu'il fût tué, il le conservait pour qu'il prêchât son Evangile. Cependant Paul ne parle nullement de ces succès, De même tout ce qu'il dit, il le dit, non par amour-propre, non pour qu'on le croie supérieur aux apôtres, ni par ressentiment centre ceux qui cherchent à le rabaisser, mais parce qu'il craint que cela ne nuise à l'effet de ses prédications. En effet il se traite lui-même d'avorton, déclare qu'il est le premier parmi les pécheurs, le dernier parmi les apôtres, et qu'il est indigne de porter un si beau titre (1Co 15,8 1Co 15,9 1Tm 1,15); et celui qui s'exprimait ainsi était celui qui avait enduré le plus de peines et de travaux. N'est-ce pas une preuve éclatante de son esprit d'humilité? Un homme qui a conscience de son peu de (587) mérite et qui en convient humblement, n'est pas un homme modeste, mais. un homme qui a du bon sens ; mais celui qui après tant de triomphes tient un tel langage, celui-là sait ce que c'est que la modestie. « Et je revins à Damas», dit-il. Cependant à combien de tribulations ne devait-il pas s'attendre en y retournant? On raconte que celui qui gouvernait cette ville pour le roi Arétas l'avait entourée de sentinelles afin de prendre le bienheureux Paul dans ses filets : preuve évidente de la haine et de l'acharnement que les Juifs mettaient à le poursuivre. Mais dans la conjoncture présente il ne dit pas un mot de cela, et même au lieu de faire mention de son retour à Damas, il l'aurait tu, si les circonstances ne lui avaient paru exiger ce détail. De même, quand il dit dans ce même passage qu'il alla en Arabie et qu'il en revint, il n'ajoute pas encore le récit des résultats que produisit sa mission.

« Ensuite, après un intervalle de trois ans, j'allais à Jérusalem pour visiter Pierre (Ga 1,18)». Quoi de plus modeste que cette âme? Après tant et de si beaux triomphes, sans avoir besoin de Pierre, sans avoir besoin de sa parole, et quoiqu'il fût son égal (pour ne rien dire de plus), il va le voir comme étant son supérieur et son ancien. La cause de sa démarche est seulement le désir de faire visite à Pierre. Voyez-vous comme il rend aux apôtres les honneurs qui leur sont dus, et que, bien loin de se regarder comme supérieur à eux, il ne se considère même pas comme leur égal? Cette visite même en est une preuve évidente. Aujourd'hui beaucoup parmi nos frères quittent la ville pour aller rendre visite à de saints personnages; il en était de même de Paul; il était poussé par un désir semblable quand il se rendait auprès de Pierre, ou plutôt il y était poussé par une humilité bien plus sincère. Ceux qui vont aujourd'hui consulter les saints, le font pour leur utilité, tandis que le bienheureux Paul en agissant ainsi n'avait en vue ni de s'instruire, ni de s'éclairer, mais seulement de voir Pierre et de lui rendre hommage par sa présence. Car « J'allais visiter Pierre », dit-il. Il n'a pas dit : J'allais voir Pierre, mais : J'allais visiter Pierre; ce qui se dit des villes grandes célèbres que l'on veut connaître: tant c'était pour lui une chose de grande importance que de jouir seulement de la vue de cet apôtre. Et ses démarches même prouvent avec évidence qu'il pensait ainsi. Quand il vint à Jérusalem, après avoir converti beaucoup de gentils, après avoir fait plus qu'aucun des autres, avoir ramené au bien la Pamphylie, la Lycaonie, la nation des Ciliciens, et tous ceux qui habitaient cette partie de la terre, et les avoir conquis à Jésus-Christ, il se présente d'abord devant Jacques avec une singulière humilité, comme devant un homme plus grand et plus respectable que lui. Ensuite il écoute ses conseils avec déférence, quoiqu'ils fussent en contradiction avec sa conduite présente. «Vous voyez, mon frère», lui dit Jacques, « combien de milliers de Juifs ont cru. Mais rasez-vous la tête et purifiez-vous ». (Ac 21) Et Paul se rasa la tête, et il se soumit à toutes les pratiques des Juifs. Toutes les fois que les intérêts de l'Evangile n'étaient pas en jeu, c'était le plus humble des hommes ; mais quand on abusait de son humilité pour faire mal, il savait renoncer à une modestie intempestive, car ce n'aurait plus été là être humble, mais gâter et corrompre l'esprit de ses disciples. « Et je restai quinze jours auprès de lui». Faire ce voyage à cause de Pierre était déjà la marque d'une grande déférence, mais rester pendant tant de jours à ses côtés témoignait d'une amitié, d'une affection bien vives.

« Je ne vis point d'autres apôtres, si ce n'est Jacques, le frère du Seigneur (Ga 1,19) ». Voyez comme il réservait pour Pierre la principale part de son amitié, car c'était à cause de lui qu'il avait fait ce voyage, à cause de lui qu'il était resté. Je ne cesse de revenir là-dessus, et je crois devoir y insister afin que vous n'alliez pas le suspecter quand vous entendrez ce qu'il semble avoir dit contre Pierre. C'est par précaution qu'il donne ici ces détails afin que, lorsqu'il dira : « Je résistai en face à Pierre », on ne croie pas qu'il agissait ainsi par haine ou par esprit de contradiction, lui qui avait pour cet apôtre une estime et une affection singulières, car il le déclare lui-même, il n'alla voir que lui parmi tous les apôtres. « Je ne vis point d'autres apôtres, si ce n'est Jacques ». — « Je le vis », dit-il, je n'appris rien de lui. Mais voyez avec quel respect il le nomme ! Il ne dit point simplement Jacques, il ajoute encore l'auguste qualification de frère du Seigneur : tellement il était étranger à tout sentiment de jalousie... S'il l'avait voulu, il aurait pu le désigner d'une (588) autre manière en l'appelant : Fils de Cléophas, comme a fait l'évangéliste. (Jn 19,25) Loin de là, comme il pensait avoir droit aux mêmes honneurs que les apôtres, il parle avec un grand respect de celui-ci, afin d'augmenter d'autant son propre prestige. Il se garda bien de le désigner de la manière que je viens de dire : comment l'appela-t-il donc? Il l'appela « Le frère du Seigneur ». Et cependant Jacques n'était pas même selon la chair le frère du Seigneur, mais il passait pour tel dans la croyance des hommes : néanmoins cela ne détourna pas Paul de lui donner ce titre glorieux. Dans beaucoup de circonstances il donna aussi d'autres preuves de sa loyauté à l'égard de tous les apôtres, et il le fit comme il devait le faire.

« Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens pas dans tout ce que je vous écris (Ga 1,20) ». Voyez-vous comme en toutes choses brille du même éclat l'humilité de cette âme sainte? Il présente sa défense avec autant de chaleur que s'il comparaissait devant un tribunal, et que s'il avait à rendre compte de sa conduite. — « J'allai ensuite dans la Syrie et dans la Cilicie (Ga 1,21) », après avoir vu Pierre. Il revient à son sujet, au point en litige, sans parler de la Judée, et parce qu'il avait mission de prêcher les gentils, et parce qu'il n'aurait pas voulu bâtir sur les fondements que d'autres avaient posés. Aussi ne les alla-t-il pas voir même en passant, et ce qui suit en est la preuve. « Car », dit-il, « les Eglises de Judée qui croyaient en Jésus-Christ ne me connaissaient pas de visage. Ils avaient seulement ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait, annonce maintenant la foi qu'il s'efforçait alors de détruire (22, 23) ». Quoi de plus modeste que cette âme? Lorsqu'il rapportait les événements qui témoignaient le plus contre lui, par exemple ses persécutions contre l'Eglise, et ses violences, il les exagérait singulièrement et étalait sa conduite passée : mais les faits qui seraient à son éloge, il les passe. Il pouvait, s'il l'eût voulu, raconter tous ses triomphes ; il n'en dit pas un mot, en une parole il franchit cet immense océan et se contente de dire : « J'allai en Syrie et en Cilicie », puis: « Ils avaient seulement ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait, annonce maintenant la foi qu'il s'efforçait alors de détruire », après quoi il n'ajoute plus rien. Dans quelle intention s'exprime-t-il ainsi : « Les Eglises de Judée ne me connaissaient pas de visage? » Afin que vous sachiez bien qu'il était si éloigné de leur prêcher la circoncision, qu'il ne leur était pas connu même de vue. « Et ils rendaient grâces à Dieu de ce qu'il avait fait à mon sujet (Ga 1,24) ». Remarquez encore ici comme il reste fidèle à la règle d'humilité qu'il s'est imposée. Car il n'a pas dit : Ils m'admiraient, ils me louaient, ils étaient étonnés. Non, mais il a montré que tout cela était un effet de la grâce, en disant : « Et ils rendaient grâces à Dieu de ce qu'il avait fait à mon sujet ».



Chrysostome - Galates