Chrysostome - Galates 400

CHAPITRE 4: JE DIS DE PLUS : TANT QUE L'HÉRITIER EST ENCORE ENFANT, IL N'EST POINT DIFFÉRENT D'UN SERVITEUR,

400 Ga 4
QUOIQU'IL SOIT LE MAÎTRE DE TOUT ; MAIS IL EST SOUS LA PUISSANCE DES TUTEURS ET DES CURATEURS, JUSQU'AU TEMPS MARQUÉ PAR SON PÈRE. AINSI, LORSQUE NOUS ÉTIONS ENCORE ENFANTS, NOUS ÉTIONS ENCORE ASSUJETTIS AUX ÉLÉMENTS DE CE MONDE. (Ga 4,1-3)

Analyse.
1. Juifs en tutelle sous la loi, libres par la foi. — Galates entraînés dans le judaïsme.
2. Leur première affection pour Paul. — Douceur de l'apôtre.
3 et 4. Sa tendresse pour ses disciples. — Agar et Sara, figures des deux alliances.

401 1. L'enfant dont il est question ici n'est pas tel par son âge, mais par ses goûts. Paul nous fait comprendre aussi que Dieu voulait dès le début nous accorder les biens dont il nous a gratifiés plus tard; mais comme nous étions encore trop enfants, il nous a laissés sous la dépendance des éléments de ce monde, c'est-à-dire qu'il nous a fait observer les néoménies (1) et le sabbat. Or, la succession de ces jours-là est subordonnée au cours de la lune et du soleil. Si donc on vous ramène à la loi, c'est absolument comme si une fois arrivés à l'âge d'homme on vous faisait revenir à l'enfance. Voyez-vous où conduit l'observation des jours

1 Renouvellement de chaque mois.

marqués par la loi ? Elle fait du Seigneur, du maître, du roi de toutes choses un simple serviteur. « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils formé d'une femme et assujetti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, et pour que nous pussions réclamer notre adoption (
Ga 4,4-5)». Paul indique ici deux causes et deux résultats de l'incarnation : elle nous a délivrés des maux, elle nous a procuré des biens, entreprise que nul, excepté Jésus, ne pouvait faire réussir. Quels sont donc ces biens qu'elle nous a procurés? Elle nous a sauvés de la malédiction de la loi, et nous a rendus enfants adoptifs. « Pour racheter », dit-il, « ceux qui étaient sous la loi, et pour que nous (610) pussions réclamer notre adoption ». Il a raison de dire: « Pour que nous pussions réclamer», c'est bien la preuve que cette adoption nous était due. Car dès le début, ainsi que Paul nous l'a fait remarquer plus d'une fois, Dieu avait fait à Abraham en leur faveur des promesses qui se sont réalisées. Et à quoi reconnaître, dira-t-on, que nous sommes devenus les enfants de Dieu? A une chose, dit-il, c'est que nous avons été revêtus de Jésus-Christ le vrai Fils de Dieu. Il en donne une seconde preuve, c'est que nous avons reçu l'Esprit d'adoption.

« Et parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Abba, mon père. Aucun de vous n'est donc point maintenant serviteur, mais enfant. Que s'il est enfant, il est aussi héritier de Dieu par Jésus-Christ (Ga 4,6-7) ». Car nous ne pourrions l'appeler notre Père, s'il ne nous avait d'abord reconnus pour ses fils. Si donc par l'effet de la grâce nous avons cessé d'être esclaves pour devenir libres, d'être enfants pour devenir hommes faits, d'être étrangers à Dieu pour devenir ses héritiers et ses enfants, ne serait-il pas absurde, ne serait-ce pas le comble de l'ingratitude que de l'abandonner et de revenir sur nos pas ? « Autrefois, lorsque vous ne connaissiez point Dieu, vous étiez assujettis à ceux qui n'étaient point véritablement dieux. Mais après que vous avez connu Dieu, ou plutôt que vous-avez été connus de lui, comment vous tournez-vous vers ces observations légales, défectueuses et impuissantes, auxquelles vous voulez vous assujettir par une nouvelle servitude (Ga 4,8-9) ». Ici Paul s'adresse à ceux d'entre les gentils qui s'étaient convertis à la foi, et leur dit que c'est une espèce d'idolâtrie que de s'assujettir à observer les jours, et que cette coutume les expose maintenant à des châtiments plus terribles. Il dit: Des éléments qui ne sont point véritablement des dieux, afin de leur faire partager son opinion, et de les mettre dans une perplexité plus grande. Voici le sens de ses paroles : Vous étiez alors dans les ténèbres, vous viviez dans l'erreur, et vous rampiez à terre; aujourd'hui que vous connaissez Dieu, ou plutôt que vous êtes connus de lui, ne vous exposerez-vous pas à un plus grand et plus terrible châtiment, en retombant dans votre ancienne maladie malgré les soins dont vous avez été comblés? Si vous avez trouvé Dieu, ce n'est pas à vos efforts que vous le devez ; mais c'est lui-même qui vous a retirés de l'erreur où vous croupissiez. Il dit de la loi qu'elle est défectueuse et impuissante, parce qu'elle n'a aucune influence pour nous procurer les biens dont il est question.

« Vous observez les jours et les mois, les saisons et les années (Ga 4,10) ». D'après ce passage, il est évident que les faux apôtres ne leur prêchaient pas seulement l'observation de la circoncision, mais encore celle des fêtes et des néoménies. « J'appréhende pour vous, que je n'aie peut-être travaillé en vain parmi vous (Ga 4,11)». Voyez-vous cette bonté apostolique? Les Galates étaient assaillis par la tempête, il tremble, il craint pour eux. De là cette expression si bien faite pour les ramener à de meilleurs sentiments : « J'ai peut-être travaillé en vain parmi vous », c'est-à-dire, ne me faites pas perdre le fruit de tant de sueurs. En disant «J'appréhende », et en ajoutant ces mots : « Que peut-être », il excite leur inquiétude et fait naître en même temps chez eux une meilleure espérance. Car il n'a pas dit : « J'ai travaillé en vain », mais : « Peut-être ai-je travaillé en vain». Vous n'avez pas encore, leur dit-il, fait complètement naufrage, mais je prévois que la tempête qui gronde sur vous amènera ce résultat. Aussi, je crains, mais je ne désespère pas : car il dépend de vous que tout aille bien, et que vous retrouviez le beau temps d'autrefois. Ensuite, tendant pour ainsi dire la main à ces naufragés, il leur dit : « Soyez comme moi, parce que j'ai été comme vous (Ga 4,12) ». Il s'adresse à ceux qui appartenaient à la nation juive. Il se met en avant, afin de les décider par son exemple à renoncer à leurs anciens errements. Si vous n'aviez personne d'autre pour vous servir d'exemple, il vous suffirait, pour vous raffermir dans votre conversion, de jeter les yeux sur moi seul. Regardez-moi donc, car moi aussi j'ai eu les mêmes sentiments que vous, et j'ai été un chaud partisan de la loi, et cependant plus tard je n'ai pas craint de l'abandonner, pour me ranger sous le drapeau de la foi. Et vous le savez bien, avec quelle ardeur je me cramponnais au judaïsme, et avec quel empressement plus grand encore je l'ai quitté ensuite. Ce raisonnement, il a bien fait de ne le présenter qu'après les autres. Car la plupart, des hommes, même quand ils ont trouvé toutes sortes de bonnes raisons pour se décider, (611) prennent plus volontiers leur parti quand ils voient un homme de leur race leur donner l'exemple. « Je vous en prie, mes frères, vous ne m'avez jamais offensé en aucune chose. Remarquez comme il emploie encore, en s'adressant à eux, les épithètes les plus honorables, ce qui était en même temps un moyen de leur rappeler la grâce dont ils avaient été l'objet. Après leur avoir fait de vifs reproches, et avoir examiné leur conduite à tous les points de vue, et leur avoir prouvé qu'ils avaient violé la loi, après leur avoir infligé toutes sortes de critiques, il les épargne, il panse leurs blessures, il leur parle avec plus de douceur. De même que de continuels ménagements détruisent l'effet des bons conseils, de même une critique toujours acerbe finit par révolter celui auquel elle s'adresse. Aussi, en toute circonstance, est-il bien de ne jamais dépasser la mesure. Voyez-vous comme il s'excuse auprès d'eux de leur avoir ainsi parlé; il leur montre que son langage lui a été inspiré non pas seulement par son indignation, mais aussi par son affection pour eux. Il leur avait fait de profondes incisions, il apaise leur douleur par le baume de sa parole. En montrant que ni la haine, ni la rancune ne lui ont dicté son langage, il leur rappelle l'amour qu'il leur avait témoigné, et se fait pardonner ses critiques tout en s'attirant leur admiration.

402 2. Voilà pourquoi il dit : « Je vous en prie, mes frères, vous ne m'avez jamais offensé en aucune chose. Vous savez que lorsque je vous ai annoncé premièrement l'Evangile, ç'a été parmi les persécutions et les afflictions de la chair; et que vous ne m'avez point méprisé, ni rejeté à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair (Ga 4,13-14) ». Mais l'important n'est pas encore de n'avoir fait de tort à personne, car le premier venu ne voudrait pas nuire à qui ne lui a rien fait, et ne voudrait pas gratuitement et inutilement lui causer quelque chagrin. Mais vous, non contents de ne me faire aucun tort, vous m'avez témoigné une grande, une inépuisable bienveillance; et il n'était pas possible qu'après avoir eu tant à me louer de vous, l'idée pût me venir de vous parler avec malveillance. Ce n'est donc point par haine que je me suis exprimé de la sorte; par conséquent ce ne peut être que par esprit d'affection et de dévouement. « Je vous en prie, vous ne m'avez jamais offensé en aucune chose. D'un autre côté, vous savez que lorsque je vous ai prêché l'Evangile, ç'a été parmi les afflictions de la chair ».

Rien de plus compatissant que cette âme sacrée, rien de plus doux, rien de plus affectueux. Ces premières paroles étaient donc l'effet non d'une colère irréfléchie, ou d'un mouvement passionné de l'âme, mais d'une affection profonde. Que dis-je? vous ne m'avez offensé en rien. Vous m'avez montré un empressement ardent et sincère. « Vous savez que lorsque je vous ai annoncé premièrement l'Evangile, ça été parmi les persécutions et les afflictions de la chair, et que vous ne m'avez point méprisé, ni rejeté à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair ». Quel est le sens de ces paroles? J'étais pourchassé, dit-il, j'étais frappé du fouet, je m'exposais à mille morts, tandis que je vous prêchais l'Evangile, et même en cet état je n'étais point pour vous un objet de mépris. Car c'est ce que signifient ces expressions : « Vous ne m'avez point méprisé ni rejeté à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair ». Voyez-vous comme l'Esprit-Saint l'inspire? Tout en se justifiant, il éveille chez eux le remords, en leur rappelant tout ce qu'il a souffert à cause d'eux. Mais cependant rien de tout cela ne vous a scandalisés, dit-il, et vous n'avez méprisé ni les souffrances, ni les persécutions que j'endurais ; car c'est de cela qu'il veut parler quand il rappelle ses épreuves et les afflictions de sa chair. « Mais vous m'avez reçu comme un ange de Dieu ». N'est-il donc pas étrange que vous m'ayez accueilli comme un ange de Dieu, quand j'étais pourchassé et persécuté, et que vous refusiez de m'accueillir quand je viens vous rappeler vos devoirs?

« Où est donc le temps où vous vous estimiez si heureux? car je puis vous rendre ce témoignage, que vous étiez prêts alors, s'il eût été possible, à vous arracher les yeux pour me les donner. Suis-je donc devenu votre ennemi parce que je vous ai dit la vérité (Ga 4,15-16) ? » Il laisse échapper ici son embarras et sa stupeur, et veut savoir d'eux-mêmes les causes de leur changement. Qui vous a séduits, leur dit-il, et vous a persuadés d'avoir d'autres sentiments envers moi? N'êtes-vous plus ceux qui m'entouraient de soins assidus, et qui m'aimaient plus que la prunelle de leurs yeux? Qu'est-il donc (612) arrivé? D'où vient cette haine ? d'où viennent ces soupçons? De ce que je vous ai dit la vérité? C'est précisément pour cela que vous devriez m'honorer et me chérir davantage, au lieu que je vous suis devenu odieux maintenant, parce que je vous parle franchement. Pour moi, leur dit-il, je ne vois pas d'autre cause à votre changement que la franchise de mon langage. Et voyez avec quelle humilité il se justifie. Car il se fonde, non sur ce qu'il a fait pour eux, mais sur ce qu'ils ont fait pour lui, afin de leur prouver qu'il est impossible qu'il leur ait parlé dans un esprit de malveillance. Il ne leur a pas dit : Comment croire que celui qui s'est exposé pour vous aux coups de fouet, aux persécutions et à la souffrance, vienne maintenant conspirer votre perte? Non, il leur rappelle leur belle conduite dont ils avaient droit d'être fiers, et il conclut en disant : Comment croire que celui qui a été traité par vous avec tant d'égards, et que vous avez reçu comme un ange, veuille vous payer d'ingratitude ?

« Ils s'attachent fortement à vous; mais ce n'est pas d'une bonne affection, puisqu'ils veulent vous séparer de nous, afin que vous vous attachiez fortement à eux (Ga 4,17) ». En effet, l'émulation est un bon sentiment quand elle nous fait rivaliser de vertu avec un autre homme; c'est un mauvais sentiment, quand elle cherche à écarter de la vertu celui qui fait bien. Et c'est là le but qu'ils recherchent maintenant : vous avez la pleine connaissance du vrai, ils veulent vous la faire perdre, pour vous ramener à leur doctrine bâtarde et mutilée, et pourquoi? Uniquement pour se poser en docteurs de la loi, et pour vous rabaisser au rang de disciples, vous qui maintenant leur êtes supérieurs. C'est ce qu'il leur faisait entendre par ces paroles : « Afin que vous vous attachiez fortement à eux ». Quant à moi, leur dit-il, je veux tout au contraire vous rendre meilleurs qu'eux, et faire de vous le modèle des hommes les plus parfaits. Et c'est ce qui eut lieu quand j'étais avec vous. Aussi ajoute-t-il : « Il est beau d'être zélés dans le bien, en tout temps, et non pas seulement quand je suis parmi vous (Ga 4,18) ». Par là il donne à entendre que c'est son absence qui est cause de tout, et que, pour être vraiment heureux, les disciples doivent rester fidèles à leurs devoirs, non-seulement en présence du maître, mais encore en son absence. Mais comme ceux-ci n'en étaient pas encore venus à ce point de perfection, il fait tous ses efforts pour les y amener.

« Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé dans vous (Ga 4,19) ». Voyez ses craintes, voyez son trouble. « Mes frères, je vous en supplie. — Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement». Ne dirait-on pas une mère craintive, empressée autour de ses petits enfants? « Jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé dans vous ». Voilà bien les entrailles d'un père. Voilà bien la douleur et l'abattement qui conviennent à un apôtre. Avez-vous entendu ce cri plus déchirant que celui de la mère pour son nourrisson ? Vous avez, dit-il, dégradé l'image de Dieu, détruit votre parenté avec lui, changé votre forme qui s'était modelée sur la sienne : il vous faut passer par un nouvel enfantement, par une nouvelle création. Et pourtant je vous appelle toujours mes enfants, pauvres êtres chétifs et avortés ! Mais il se garde bien de leur parler ainsi. Bien au contraire, il les épargne et ne veut pas continuer de les frapper, pour ne pas ajouter blessure sur blessure. Il fait comme les médecins habiles qui, lorsqu'ils ont à traiter des malades dont le mal doit durer longtemps, se gardent bien d'être toujours à leur prescrire des remèdes, et qui ont soin de leur accorder quelques moments de répit, pour ne pas les abattre et les épuiser tout à fait. Cet enfantement moral était plus douloureux que l'enfantement physique, plus douloureux en proportion même de l'affection qu'il leur portait, et de la faute qu'ils avaient commise.

403 3. Ce que j'ai toujours dit et dirai toujours, c'est que le plus petit manquement aux lois de Dieu trouble entièrement et détruit la forme des choses. « Je voudrais être présent maintenant parmi vous, et vous faire entendre ma voix (Ga 4,20) ». Remarquez comme son zèle l'emporte et ne lui permet pas de taire ses secrets sentiments. Tel est l'homme vraiment dévoué : les paroles ne lui suffisent pas, il veut encore être présent. « Afin de vous faire entendre ma voix », dit-il. C'est-à-dire afin d'échanger nos gémissements, afin d'exciter vos larmes et vos cris de douleur. Ce n'était pas par le moyen d'une lettre qu'il pouvait leur faire voir ses larmes et leur faire (613) entendre ses gémissements : aussi brûle-t-il du désir de les aller voir en personne: « Parce que je suis dans la perplexité en songeant à vous ». Je ne sais ni que vous dire, ni quel raisonnement vous faire. Comment se fait-il qu'après vous être élevés au plus haut des cieux, et par les dangers que vous avez affrontés pour la foi, et par les miracles que vous avez opérés, comment se fait-il que vous soyez tombés tout d'un coup à un tel degré d'avilissement, que vous vous soyez astreints à observer le sabbat et la circoncision, et que vous vous soyez mis à la remorque des judaïsants? C'est pour cela qu'il leur disait au début: « Je m'étonne que vous ayez changé si vite » (Ga 1,6), et qu'il dit maintenant: « Je suis dans la perplexité en songeant à vous». C'est comme s'il s'exprimait ainsi : Que vous dire? de quoi vous entretenir? que penser? Je suis dans la perplexité, et je me vois forcé d'avoir recours aux gémissements. Les prophètes en font autant, eux aussi, quand ils sont dans l'embarras. C'est encore là un moyen qui n'est pas peu efficace pour plaire à ses auditeurs, que de gémir sur eux et de ne pas se contenter de leur donner des conseils. Dans son entretien avec les Milésiens, il prononçait les mêmes paroles: « Pendant trois ans je n'ai cessé de vous avertir avec larmes » (Ac 20,31) : expression semblable à celle dont il se sert maintenant : « Je voudrais vous faire entendre ma voix ». Nous sommes abattus par les malheurs qui ont fondu sur nous contre toute attente, et il ne nous reste plus qu'à verser des larmes. Ainsi donc, après les avoir gourmandés et les avoir confondus, et leur avoir parlé derechef avec douceur, il gémit sur leur sort, et dans ses plaintes il y a non-seulement de quoi les effrayer, mais aussi de quoi flatter leur amour-propre. Il ne montre ni l'âpreté d'un homme qui fait des reproches, ni l'indulgence de celui qui cherche à plaire, mais il en fait un mélange qui donne à sa parole une force singulière de persuasion. Après avoir gémi sur eux, avoir provoqué leur attendrissement et augmenté leur sympathie, il reprend la discussion, et pose un argument plus considérable, à savoir que la loi ne veut pas qu'on l'observe. D'abord il avait fait intervenir l'exemple d'Abraham, maintenant c'est la loi elle-même qu'il fait intervenir, la loi recommandant qu'on cesse de l'observer et qu'on se retire d'elle. Argument plus puissant que les autres. Ainsi donc, leur dit-il, si vous voulez vous conformer à la loi, abandonnez-la, telle est sa volonté. Mais il ne leur parle pas ainsi, il arrive au même but par un autre moyen, et en prenant ses preuves dans l'histoire.

« Dites-moi, je vous prie, vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous point ce que dit la loi (Ga 4,21)? » Il a eu raison de dire « Vous qui voulez », car ce qui avait donné naissance à cette discussion, ce n'était point l'esprit de tradition, mais l'esprit de dispute qui s'était manifesté hors de propos chez les faux apôtres. Par la loi il désigne ici le livre de la création (la Genèse), ce qu'il fait souvent en appelant de ce nom l'Ancien Testament tout entier. « Car il est écrit qu'Abraham a eu deux fils, l'un de la servante, et l'autre de la femme libre (Ga 4,22) ». Il en revient encore à Abraham, non pour se répéter, mais parce que, le nom de ce patriarche produisant beaucoup d'effet sur les Juifs, il veut montrer qu'il contenait en lui le germe et la première image de ce qui devait se passer alors. Il leur avait d'abord prouvé qu'ils étaient enfants d'Abraham, mais comme il n'y avait pas égalité de condition entre les enfants de ce patriarche, et qu'on faisait la distinction du fils de la femme libre, et du fils de la femme esclave, il va leur prouver désormais qu'ils ne sont pas seulement ses enfants, mais qu'ils le sont tous au même titre, qu'ils soient d'origine libre ou non. Telle est la puissance de la foi.

« Mais celui qui naquit de la servante, naquit selon la chair; et celui qui naquit de la femme libre, naquit en vertu de la promesse de Dieu (Ga 4,23) ». Que veut-il faire entendre par ces mots. «Selon la chair? » Après avoir dit que la foi nous rattache à Abraham, et comme il semblait incroyable à ceux qui l'écoutaient, qu'il pût dire que ceux qui n'étaient pas issus d'Abraham, que ceux-là étaient ses enfants, il leur prouve que ce fait si étrange date de bien plus loin. Car Isaac, qui n'était pas né dans les conditions naturelles et ordinaires du mariage, qui en réalité ne devait pas l'existence à l'oeuvre de la chair, était pourtant fils, et fils légitime d'Abraham, quoique né d'un corps mort à la vie des sens et d'un sein épuisé par la vieillesse. Car ce n'est point la chair, ce n'est point la puissance procréatrice de ses parents qui causèrent sa naissance : le sein qui le porta était infertile et par suite de la vieillesse et par (614) suite d'une infirmité naturelle. Celui qui procréa Isaac, c'est le Verbe de Dieu. Il n'en fut pas ainsi du fils de l'esclave : celui-là était bien le produit des lois de la nature, le produit des relations que crée le mariage. Et cependant, de ces deux enfants, c'est celui qui n'était pas né selon la chair qui l'emportait sur l'autre. Que cette idée, que vous n'êtes pas enfants d'Abraham selon la chair, ne vous trouble donc pas, car c'est à cause de cela, c'est précisément parce que vous n'êtes pas ses enfants selon la chair, que vous lui êtes unis de plus près. Le fait d'être ses descendants selon la chair est une tache plutôt qu'un honneur, car la naissance, qui ne procède pas de la chair, est plus merveilleuse et montre encore plus l'action du Saint-Esprit, et la preuve se voit dans la destinée différente de ces deux enfants nés dans les temps anciens. En effet, Ismaël était né selon la chair, et pourtant il était esclave : ce n'était pas tout, car il fut aussi chassé de la maison paternelle, tandis qu'Isaac, parce qu'il était né par suite de la promesse, et en sa qualité de fils et d'homme libre, était le maître de tout le patrimoine.

« Tout ceci est une allégorie (Ga 4,24) ». Il force le sens du mot quand il appelle allégorie ce qui est une figure. Ce qu'il veut dire, le voici : Cette histoire n'a pas seulement la signification qu'on lui reconnaît tout d'abord, elle en a encore une autre, et c'est pour cela qu'il dit que c'est une allégorie. Qu'y a-t-il donc dans cette seconde signification? Pas autre chose que ce qui se passe aujourd'hui sous nos yeux. « Car ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, qui a été établie sur le mont Sina, et qui n'engendre que des esclaves, est figurée par Agar ». — « Ces deux femmes », quelles femmes? Les mères de ces deux enfants, Sara et Agar. «Quelles sont ces deux alliances? » Les deux lois. Comme des noms de femmes figurent dans cette histoire, il les laisse subsister pour désigner leur. race, et ces noms lui servent à indiquer la filiation des événements. Comment ces noms peuvent-ils lui servir à cet usage (Ga 4,25) ? «Agar en effet, dit-il, est le mont Sina en Arabie ». On disait qu'Agar était esclave : c'est aussi le nom du mont Sina dans la langue de ce pays.

404 4. Ainsi donc, tous ceux qui sont issus de l'ancienne alliance sont nécessairement esclaves. Car cette montagne, où fut donnée l'ancienne alliance, et qui porte le même nom que la femme esclave, contient aussi Jérusalem. Car tel est le sens de ces paroles : « Le Sina correspond à la Jérusalem actuelle », c'est-à-dire, qu'il l'avoisine, qu'il la touche. « Elle est esclave avec ses enfants ». Que résulte-t-il de là? Que non-seulement Agar était esclave, et engendrait des esclaves, mais qu'il en était de même de celle-ci, c'est-à-dire de l'ancienne alliance, dont la femme esclave est le type. Or, Jérusalem est voisine de la montagne qui porte le même nom que l'esclave, montagne sur laquelle l'ancienne alliance a été formée. Où donc se retrouve le type de Sara? « Au lieu que la Jérusalem d'en-haut est vraiment libre (Ga 4,26) ». Par conséquent ceux qui sont issus d'elle ne sont pas esclaves. La figure de la Jérusalem terrestre était Agar, et la preuve, c'est que cette montagne portait le même nom, et la figure de la Jérusalem céleste est Sara. Cependant il ne lui suffit pas dé signaler ces figures, il cite encore le témoignage d'Isaïe à l'appui de ses paroles : car après avoir dit: La Jérusalem céleste est notre mère, en désignant ainsi l'Eglise, il nous fait voir que le prophète est d'accord avec lui. « Car il est écrit : Réjouissez-vous, stérile, qui n'enfantiez point; poussez des cris de joie, vous qui ne deveniez point mère; parce que celle qui était délaissée a plus d'enfants que celle qui a un mari ». (Ga 4,27; cf. Is 54,1) Quelle est donc cette veuve, cette femme délaissée jusqu'alors? N'est-il pas évident que c'est l'Eglise des gentils, quand elle était privée de la connaissance de Dieu? Quelle est cette femme qui avait un mari? N'est-il pas évident que c'est la synagogue? Cependant celle qui était, stérile l'a emporté sur l'autre par le nombre de ses enfants. La première ne comprenait qu'une seule nation, tandis que les enfants de l'Eglise pullulent en grâce chez les barbares, sur la terre, sur la mer, sur le globe tout entier. Voyez-vous comme Sara, par ce qui lui est arrivé, le prophète, parce qu'il nous a dit, nous ont peint à l'avance ce qui devait avoir lieu? Rendez-vous compte de tout : Isaïe avait parié de la femme stérile, et l'avait représentée comme devenant extrêmement féconde. Nous voyons le type de cet événement dans Sara, qui, après avoir été stérile, est devenue la mère d'une race très-nombreuse. Cela ne suffit- pas à Paul, il cherche aussi minutieusement comment la femme stérile est devenue mère, afin de trouver ainsi (615) le moyen d'adapter la figure à la réalité. C'est pourquoi il ajoute: «Nous sommes donc, mes frères, les enfants de la promesse, figurée dans Isaac (Ga 4,28) ».

Non-seulement l'Église a été stérile, comme Sara, non-seulement elle est devenue très féconde, comme elle, mais encore elle a engendré de la même manière que Sara. De même que ce ne fut point la nature, mais la promesse de Dieu qui la rendit mère [car celui qui a dit : « J'arriverai dans cet instant, et Sara aura un fils » (Gn 18,10), celui-là, en pénétrant dans son sein, a formé le fils qu'elle a enfanté], de même la nature n'a été pour rien dans l'acte de notre génération, mais ce sont les paroles que Dieu prononce par la bouche du prêtre, ces paroles que savent les fidèles; ce sont elles qui, au moment de son immersion dans les eaux sacrées, forment et engendrent celui qui est baptisé, comme s'il était dans le sein de sa mère. Or, si nous sommes les fils de. la femme stérile, nous sommes libres. Est-ce là de la liberté ? dira-t-on. Ne voyons-nous pas les Juifs emprisonner et fouetter ceux qui croient? et ceux qui passent pour libres, ne les voyons-nous pas persécutés? C'était en effet ce qui se passait à cette époque, où les fidèles étaient en butte aux persécutions. Mais que cela même ne vous trouble pas, dit-il, car nous retrouvons l'image de ces événements dans ce qui concerne Isaac, qui, quoique libre, était persécuté par l'esclave Ismaël. Aussi ajoute-t-il ces paroles. « Et comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’Esprit, il en arrive de même encore aujourd'hui : Mais que, dit l'Ecriture ? Chassez la servante et son fils : car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre (Ga 4,29-30) ».

Quoi donc? Toute notre consolation consiste à savoir que les hommes libres sont persécutés par les esclaves? Non, dit-il; je ne m'en tiens pas là, écoutez encore ce qui suit, et vous y trouverez de quoi vous consoler et vous raffermir contre les persécutions. Ce qui suit, ce sont ces mots : « Chassez la servante et son fils : car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre ». Avez-vous vu quel a été le prix de cette tyrannie éphémère, de cette arrogance intempestive? L'enfant persécuteur est exclu de l'héritage paternel, le voilà forcé de s'exiler et d'errer en compagnie de sa mère. Examinez, je vous prie, combien est habile le langage de Paul. En effet, il ne s'est pas contenté de dire : Il a été chassé parce qu'il avait. persécuté, mais aussi afin qu'il ne pût hériter. Car ce n'était pas pour le punir de cette persécution passagère que Dieu lui infligeait ce châtiment (cela eût été Peu de chose en effet, et n'eût pas, produit les conséquences que Paul faisait ressortir), mais il ne permit pas qu'il eût part aux avantages destinés au fils de la promesse, montrant par là que ces événements étaient préparés d'avance, indépendamment de la persécution subie par Isaac, et que ce qui leur avait donné naissance, ce n'était point cette persécution, mais la volonté de Dieu. Il n'a. pas dit : Le fils d'Abraham ne sera pas héritier, mais : « Le fils de la servante »; le désignant ainsi par le côté le moins noble de son origine. Mais Sara était stérile : l'Église des gentils l'était aussi. Voyez-vous comme la figure est reproduite trait pour trait par les événements qui ont suivi ? De même que Sara passa toutes les premières années de sa vie sans pouvoir enfanter, de même l'Église des gentils n'enfante que quand les temps sont accomplis. C'est la malédiction que faisaient entendre les prophètes quand ils disaient . « Réjouissez-vous, stérile, qui n'enfantiez point; poussez des cris de joie, vous qui deveniez point mère; parce que celle qui était délaissée a plus d'enfants que celle qui a un mari ». C'est l'Église qu'ils désignaient. Elle ne connaissait pas Dieu, mais une fois qu'elle l'eut connu, elle surpassa en fécondité la féconde synagogue.

« Ainsi, mes frères, nous ne sommes point les enfants de la servante, mais de la femme libre (Ga 4,31) ». S'il entre dans tous ces détails et s'il y insiste, c'est qu'il veut nous prouver que ce qui est arrivé n'est pas de date récente, mais remonte bien plus haut et était préparé depuis des siècles. Comment donc ne serait-il pas absurde que nous, qui étions tenus en réserve depuis tant de siècles, et qui jouissons de la liberté, nous allions de gaîté de coeur nous replacer sous le joug de l'esclavage? A ces raisons il eu ajoute une autre qui devait déterminer les Galates à rester fidèles aux dogmes qu'il leur avait enseignés.



CHAPITRE 5 - APPUYEZ-VOUS, LEUR DIT-IL,SUR LA LIBERTÉ QUE VOUS A DONNÉE JÉSUS-CHRIST EN VOUS RACHETANT.

500 Ga 5 p. 616

Analyse

1 et 2. Qui s'appuie sur la loi est déchu de la grâce. — C'est la foi qui nous sauve.
3. Contre ceux qui se mutilaient.
4 et 5. Contre les Manichéens.
6. La loi consiste dans l'amour.

501 1. Croyez-vous vous remettre en liberté, parce que vous courez de vous-même à l'ancienne servitude? Mais est-ce Jésus qui vous a rachetés, et un autre qui a payé le prix de votre: rançon? Voyez-vous tous les arguments qu'il emploie pour les arracher à l'erreur des Juifs? Il leur prouve en premier lieu que c'est le comble de la folie de vouloir redevenir esclave, quand on est sorti de l'esclavage pour recouvrer la liberté; en second lieu, qu'ils se montreront ingrats envers leur bienfaiteur, en méprisant celui qui les a affranchis, en accordant leurs préférences à celui qui les a réduits en servitude ; en troisième lieu, que cela est impossible. Car la loi a perdu son empire sur nous, depuis qu'on nous en a affranchis. En leur disant de « S'y tenir appuyés », il fait allusion à la tempête qui est venue les assaillir. « Et ne vous mettez point de nouveau sous le « joug de la servitude ». Par ce mot de « Joug », il veut leur faire sentir le poids de la servitude, et par cet autre mot : « De nouveau », il leur fait entendre qu'ils ne sont plus dans leur bon sens. Car si vous n'aviez jamais senti le poids de la servitude, vous ne mériteriez pas tous ces reproches; mais, puisque vous savez par expérience combien pèse ce joug, comment pourriez-vous compter qu'on vous pardonne ?

« Voici que, moi, Paul, je vous dis : Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien (
Ga 5,2) ». Quelle menace? Et il est probable qu'il enveloppait dans l'anathème : les messagers du faux Evangile. Mais comment a-t-il pu dire que Jésus-Christ ne leur servirait de rien? Paul ne prend pas la peine de s'expliquer, il affirme, pensant que désormais la dignité de sa personne et l'autorité de sa parole valent tous les raisonnements. C'est pour cela qu'il débute par dire : « Voici que, moi, Paul, je vous dis », assurance qui prouve qu'il est sûr de son fait. Nous, qui vous parlons, nous allons, autant qu'il nous sera possible, achever d'expliquer ses paroles. Comment Jésus-Christ ne servira-t-il de rien à celui qui se fait circoncire? Celui qui se fait circoncire, se fait circoncire parce qu'il craint la loi, celui qui craint la loi, ne croit pas à l'efficacité de la grâce; celui qui ne croit pas à l'efficacité de la grâce, ne tire aucun profit de la grâce à laquelle il ne croit pas. Reprenons notre raisonnement à up autre point de vue celui qui se fait circoncire, se soumet à l'empire de la loi : or, en s'y soumettant, et en la négligeant dans ses points essentiels, pour ne s'y conformer que dans des choses de moindre importance, il se place de nouveau sous le coup de la malédiction ; or, en s'exposant à la malédiction, et en renonçant à la liberté qu'il tenait de la fui, comment pourra-t-il être sauvé? Car, pour me servir d'une image un peu étrange, l'homme qui agit ainsi ne croit ni au Christ, ni à la loi; il se tient entre deux, pour profiter des avantagea qu'il voit de chaque côté; aussi arrive-t-il à ne recueillir aucun profit ni d'un côté ni de l'autre. Après avoir (617) dit: « Le Christ ne vous servira de rien », il en donne la preuve d'une manière brève et énigmatique. « D'un autre côté », dit-il, « je déclare à tout homme qui se fera circoncire, qu'il est obligé de garder toute la loi (Ga 5,3) ».

Pour qu'on n'aille pas croire que c'est l'animosité qui le fait parler : Je vous dis, non-seulement à vous, s'écrie-t-il, mais encore à tout homme qui se fait circoncire, qu'il est obligé d'observer toute la loi ; car les règlements dont elle se compose forment un seul corps. Et de même que celui qui s'est engagé par contrat à devenir esclave au lieu d'homme libre qu'il était, n'est plus maître de ses actions, mais doit se conformer à tous les règlements de l'esclavage; de même, quand il s'agit de la loi, dès que vous observez quelqu'une de ses moindres prescriptions, et que vous vous êtes replacé sous son joug, vous devez subir sa domination dans toutes ses conséquences. C'est aussi ce qui se passe pour la transmission des héritages : celui qui n'en touche rien est débarrassé de toutes les charges qui peuvent peser sur la succession du mort, tandis que s'il en touche une petite partie, quand même il ne recevrait pas l'héritage entier, il est, par le fait même d'en avoir sa part, solidaire avec les autres pour le tout. Voilà ce qui a lieu également pour la loi, non pas seulement pour les raisons que je viens d'exposer, mais pour d'autres, car les règlements dont se compose la loi forment un seul corps. Prenons un exemple : La circoncision ne peut aller sans le sacrifice de rigueur et sans l'observation des jours; le sacrifice exige un jour et un lieu déterminés, — le lieu, des purifications de mille sortes, — les purifications, certaines opérations de différents genres. Car il n'est permis à celui qui n'est pas purifié, ni de sacrifier, ni d'approcher des sanctuaires, ni d'accomplir aucune des cérémonies analogues. C'est ainsi que les rites s'accumulent et qu'il faut, pour observer une seule de ses prescriptions, passer en revue la loi tout entière. Si donc vous vous êtes fait circoncire, mais que ce ne soit pas le huitième jour, ou, si c'est le huitième jour, mais que vous n'ayez pas fait de sacrifice, ou, si vous avez fait le sacrifice, mais que ce n'ait pas été dans le lieu déterminé pour cela, ou, s'il a été fait dans le lieu déterminé, mais pas de la manière que le veut la loi, ou, si ç'a été de la manière indiquée par la loi, mais sans que vous-même fussiez purifié, ou, si vous étiez purifié, mais non d'après les formalités de rigueur, tout ce que vous aurez fait est vain et sans résultat. Voilà pourquoi Paul dit « Il est tenu d'observer la loi tout entière ». Si la loi doit régner, observez-la, non en partie, mais toute.

« Vous qui voulez être justifiés par la loi, vous n'avez plus de part à Jésus-Christ, vous êtes déchus de la grâce (Ga 5,4) ». Après avoir donné ses preuves, il prononce désormais ses décisions, et sa décision est qu'ils sont exposés au danger le plus terrible. Puisque celui qui se réfugie sous l'égide de la loi, ne peut être sauvé par elle, et s'exclut de la grâce, à quoi est-il destiné, sinon à un châtiment d'autant plus inévitable que l'une sera sans force pour le protéger, et que l'autre le repoussera loin d'elle !

502 2. Il augmente ainsi leurs craintes, porte le trouble dans leurs pensées, et leur montre dans toute son horreur le naufrage qui les attend, puis il leur ouvre tout aussitôt le port de la grâce : ce qu'il fait en toute circonstance, pour faciliter et assurer davantage le salut de ceux qui l'écoutent. C'est pourquoi il ajoute : « Mais pour nous, c'est en vertu de la foi que nous espérons recevoir du Saint-Esprit nos moyens de justification (Ga 5,5) ». Nous n'avons besoin, dit-il, d'aucune des prescriptions de la loi, car la foi suffit à nous procurer le Saint-Esprit, et par lui notre justification, et mille autres biens précieux. « Car en Jésus-Christ ni la circoncision, ni l'incirconcision ne servent de rien, mais la foi qui est animée par l'amour (Ga 5,6)». Voyez comme il parle maintenant avec plus de liberté : Celui qui s'est revêtu du Christ, n'a plus souci de ces inutilités, dit-il. Et pourtant il disait que la circoncision est nuisible; comment se fait-il donc qu'il la présente maintenant comme indifférente? Elle est indifférente pour ceux qui s'y sont déjà soumis avant de s'être convertis à la foi, mais non pour ceux qui se font circoncire après avoir connu la foi. Voyez comme il la rejette en même temps que l'incirconcision. Car ce qui fait une différence entr'elles, c'est la foi. Si on dressait une liste d'athlètes et que les uns eussent le nez aquilin, d'autres camus, que les uns fussent basanés et que les autres eussent la peau blanche, ces détails ne feraient rien pour la valeur de chacun d'eux; mais, ce dont il faudrait se préoccuper, ce serait de savoir s'ils sont forts et s'ils connaissent leur (618) métier: de même pour celui qui se fait inscrire sur le registre de la nouvelle alliance qu'il ait ou n'ait point ces marques physiques, il n'y gagne pas plus qu'il n'y perd. Quel est le sens de ces mots : « La foi animée par l'amour? » En leur parlant ainsi il leur porte un coup bien sensible, car il leur montre que c'est parce que l'amour du Christ n'était pas enraciné dans leur coeur, que le mal a pu s'y introduire; car ce que l'on exigeait d'eux ce n'était pas seulement d'avoir la foi, mais d'avoir aussi l'amour. C'est comme s'il leur disait : Si vous aviez aimé le Christ comme vous le deviez, vous n'auriez pas passé comme des transfuges du côté de la servitude, vous n'auriez pas renié celui qui vous a rachetés, vous n'auriez pas insulté celui qui vous a mis en liberté. Du même coup il désigne ceux qui avaient comploté leur perte, en montrant qu'eux aussi, s'ils les avaient aimés, n'auraient pas osé agir de la sorte. Il veut de plus les ramener dans le droit chemin par cette parole : « Vous couriez si bien; qui vous arrête brusquement (Ga 5,7) ? » Ce ne sont pas là les paroles d'un homme qui interroge, mais d'un homme qui ne sait comment s'expliquer ce qui est arrivé, et qui en est désespéré. Comment une si belle course a-t-elle pu s'interrompre? Qui a été assez puissant pour cela? Vous qui étiez au-dessus de tous les hommes et occupiez le rang de docteurs de la foi, vous n'êtes plus même au rang des disciples. Que s'est-il passé ? Qui a été assez fort pour faire cela? Ces exclamations sont bien celles d'un homme qui se plaint et qui gémit; c'est comme un écho de ses premières paroles : « Quel oeil jaloux a détruit votre bonheur? » (Ga 3,1) — « Ce sentiment dont vous vous êtes laissé persuader ne vient pas de celui qui vous a appelés (Ga 5,8) ». Ce n'était pas pour vous exposer aux tempêtes qu'il vous avait appelés, et s'il vous avait donné une loi, ce n'était pas pour que vous suivissiez celle des Juifs. Ensuite, pour qu'on ne lui dise pas : Pourquoi tant grossir et tant exagérer cette affaire? Nous n'avons observé qu'une seule des prescriptions de la loi, et tu fais tant de bruit ?.Ecoutez comme il les effraie en leur signalant, non les conséquences immédiates, mais les conséquences futures : « Un peu de levain aigrit toute la pâte (Ga 5,9) ». C'est ainsi, dit-il, que ce petit manquement, s'il n'y est pas porté remède, vous engagera entièrement dans le judaïsme, de la même manière que le levain agit sur la pâte.

« Je crois et j'espère de la bonté du Seigneur, que vous n'aurez point à l'avenir d'autres sentiments que les miens (Ga 5,10) ». Il n'a pas dit : J'espère que vous n'avez pas, mais j'espère que vous n'aurez point à l'avenir d'autres sentiments, c'est-à-dire que vous vous corrigerez. :D'où le savez-vous, ô Paul? Il n'a pas dit : Je sais, mais: Je crois. J'ai confiance en Dieu, dit-il, et j'invoque son intervention en toute assurance, pour qu'il vous rende meilleurs. Il n'a pas dit simplement : « Je crois et j'espère », il a ajouté : « De la bonté de Dieu ». En toute circonstance il mêle le blâme à l'éloge. C'est comme s'il disait: Je connais mes disciples, je sais que vous vous corrigerez. Je l'espère fermement, parce que le Seigneur ne laisse périr personne, pas même le premier venu, et parce que vous pouvez par vous-mêmes revenir à votre premier état. En même temps, il les exhorte à faire eux-mêmes des efforts, parce qu'il n'est pas possible d'obtenir les faveurs de Dieu, sans y mettre du sien. « Celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu'il soit ». Il emploie deux moyens pour les retenir : les encouragements pour eux, et les malédictions pour les faux apôtres, ou plutôt la prédiction des malheurs qui doivent les frapper. Voyez comme il évite de prononcer le nom de ceux qui avaient conspiré contre ses disciples, afin de ne pas augmenter leur confusion. Voici le sens de ses paroles: Parce que vous n'aurez plus d'autres sentiments que les miens, ce n'est pas une raison pour que ceux qui ont été la cause de votre erreur échappent au châtiment. Ils seront punis, car il ne convient pas que le zèle des uns soit la sauvegarde de la méchanceté des autres. Il en est ainsi, pour qu'ils n'entreprennent plus rien contre les autres hommes. Il n'a pas dit simplement: ceux qui troublent, mais il a parlé d'une manière plus générale : « Quel qu'il soit ».

« Et pour moi, mes frères, si je prêche encore la circoncision, pourquoi est-ce que je souffre tant de persécutions (Ga 5,11) ? » Comme on l'accusait de judaïser encore sur bien des points, et de ne pas prêcher sincèrement l'Evangile, voyez comme il se justifie pleinement, en les prenant eux-mêmes à témoin. Car vous savez, vous aussi, leur dit-il, que pour me persécuter on prétexte que je (619) recommande de s'écarter de la loi : or si je prêche la circoncision, pourquoi suis-je persécuté? car ceux qui sont Juifs d'origine n'ont pas d'autre reproche à m'adresser. Et si je leur permettais de garder la foi tout en observant les coutumes de leurs pères, je n'aurais eu rien à démêler ni avec ceux qui ont la foi, ni avec ceux qui ne l'ont pas, puisque je n'aurais ébranlé aucune de leurs règles de conduite.

503 3. Quoi donc? n'a-t-il pas prêché la circoncision? n'a-t-il pas circoncis Timothée? (Ac 16) Oui, il l'a circoncis. Comment donc dit-il : « Je ne prêche pas la circoncision? » Et en cela même voyez son exactitude et sa véracité. Il n'a pas dit. Je ne pratique pas la circoncision, mais je ne la prêche pas, c'est-à-dire je ne recommande pas d'y croire. N'allez pas vous y soumettre pour raffermir vos croyances. J'ai circoncis, mais je n'ai pas prêché la circoncision. « Le scandale de la croix est donc anéanti? » C'est-à-dire, il n'y a plus rien qui vous arrête ou vous retienne, si ce que vous dites est vrai. Ce n'était pas tant la croix qui était un scandale pour les Juifs, que le fait de déclarer qu'il ne fallait passe conformer aux coutumes qu'ils tenaient de leurs pères. Quand ils amenèrent Etienne devant le tribunal, ils ne dirent pas : Cet homme adore le crucifié, mais « cet homme parle contre la « loi et contre le lieu saint ». (Ac 6,13) Et à Jésus ils reprochaient de détruire la loi. C'est pourquoi Paul leur dit : Si je vous accorde la circoncision, il n'y a pas de débat entre vous et moi : il n'y a plus de haine contre la croix et contre la prédication évangélique. D'un autre côté, s'ils cherchent chaque jour à nous faire périr, comment se fait-il qu'ils nous reprochent cela? J'ai été en butte. à leurs attaques, parce que j'ai introduit un incirconcis dans le temple. Il faut donc que je sois bien insensé, si je permets la circoncision, de m'exposer ainsi inutilement et de gaîté de coeur à tant de persécutions, et faire supporter un tel scandale à la croix ? Remarquez bien en effet que nos ennemis ne nous font la guerre que pour une chose: pour la circoncision. Etais-je donc insensé au point de braver les souffrances et de scandaliser les autres pour une chose de nulle importance ? Il parle du scandale de la croix, parce que la doctrine, dont la croix est le symbole, ordonnait, et c'était là ce qui scandalisait le plus les Juifs, de renoncer aux coutumes de leurs pères. « Plût à Dieu que ceux qui ont causé votre ruine fussent exterminés (Ga 5,12) ! » Remarquez avec quelle amertume il parle de ceux qui les ont séduits. Au début il attaquait ceux qui s'étaient laissé séduire, en les traitant, jusqu'à deux fois, d'insensés : après les avoir remis en bonne voie, il s'attaque désormais à leurs séducteurs. Nous devons profiter de cette circonstance pour nous rendre compte, de son habileté : il parle aux Galates et les, traite comme ses enfants, comme des hommes qui peuvent profiter de ses conseils et se corriger, tandis qu'il frappe sans ménagement. leurs séducteurs, comme des gens qui lui sont étrangers et dont la maladie est incurable ; soit qu'il dise: « Chacun portera sa peine, quel qu'il soit »; soit qu'il les maudisse en ces termes : « Plût à Dieu que ceux qui ont causé votre ruine fussent exterminés ! » Il a eu raison de dire : « Ceux qui ont causé votre ruine ». Car les faux apôtres les avaient dépossédés de leur patrie, de leur liberté, de leur céleste parenté, pour les forcer à en chercher une autre tout à fait étrangère; ils les avaient chassés de la Jérusalem céleste et indépendante, pour les obliger à errer comme des captifs et des hommes sans patrie. C'est pourquoi il les maudit. Voici le sens de ses paroles : Je ne m'intéresse nullement à ces gens-là : « Quand vous avez averti l'hérétique une ou deux fois, ne vous occupez plus de lui ». (Tt 3,10) S'ils y tiennent tant, qu'ils ne se fassent pas seulement circoncire, mais qu'on les coupe entièrement s'ils le veulent.

Où sont-ils donc ceux qui osent se mutiler eux-mêmes, qui attirent la malédiction sur eux, qui calomnient l'oeuvre du Créateur, et qui adoptent les erreurs des Manichéens? Ceux -ci prétendent que le corps est notre ennemi et composé d'une fange malsaine et corrompue : et les autres, par leur conduite, donnent une raison d'être à ces tristes doctrines, puisqu'ils se privent de leur virilité comme d'une chose ennemie et pernicieuse. D'après ce principe, il faudrait bien plus encore se priver de la vue, car c'est par elle que le désir pénètre dans l'âme. Mais le vrai, le, seul coupable, c'est la volonté corrompue et non les yeux ou quelque autre partie du corps. Si vous n'admettez point cela, pourquoi votre langue, à cause de ses blasphèmes, (620) vos mains, qui vous servent à dérober, vos pieds, qui vous portent au mal, en un mot tout votre corps ne tomberait-il pas sous le fer? En effet, votre ouïe, doucement flattée, a étendu sa molle influence sur votre âme, et vos narines, en sentant des odeurs délicates, ont charmé vôtre intelligence et l'ont précipitée à la recherche les plaisirs. Eh bien, retranchons tout, et nos oreilles, et nos mains, et nos narines. Mais c'est là le dernier degré de l'aberration, c'est une monstrueuse folie inspirée par Satan. Il fallait se contenter de régler les mouvements désordonnés de l'âme; mais le génie du mal, toujours avide de sang, vous a fait croire que l'artiste s'est trompé et qu'il fallait briser l'instrument qu'il avait façonné. Mais quand le corps est trop bien nourri, disent-ils, comment empêcher que les désirs n'y prennent feu ? Mais remarquez encore une fois que c'est la faute de l'âme : si la chair est trop bien nourrie, cela ne dépend pas de la chair, mais de l'âme. Si elle voulait affaiblir la chair, elle en aurait tous les moyens. Tandis que vous, vous agissez d'une manière absurde, vous faites comme un homme qui, en voyant un autre qui allume un feu, y met du bois, et incendie sa maison, ne dirait rien à celui qui a allumé le feu, mais adresserait des reproches au feu lui-même, parce qu'il a reçu beaucoup de bois et s'est élevé à une grande hauteur. Ces reproches reviennent de droit non pas au feu, mais à celui qui l'a allumé. Car le feu nous a été donné pour cuire nos aliments, pour nous éclairer et pour nous rendre d'autres services, et non pour brûler les maisons. De même les appétits charnels nous ont été donnés pour perpétuer les familles ainsi que la race humaine, et non pour nous pousser à l'adultère, à la fréquentation des mauvais lieux et à la débauche pour faire de nous des pères de famille et non des adultères : pour vivre légitimement avec une femme, et non pour la corrompre, contrairement à la loi : pour déposer dans son sein ces germes de fécondité, et non pour vicier ceux que son époux y a laissés. L'adultère n'est pas le résultat des appétits charnels, mais bien de l'incontinence, car le désir nous fait rechercher simplement le commerce des femmes, mais non pas de cette manière.

504 4. Ce n'est point sans intention que nous avons parlé ainsi: c'est une première lutte, une première escarmouche contre ceux qui prétendent que la création de Dieu est mauvaise, et qui négligent les faiblesses de l'âme pour s'emporter, comme des foux furieux, contre le corps, et calomnier la chair. A ce sujet l'apôtre Paul prononce ensuite d'autres paroles, non pour accuser la chair, mais les suggestions du diable.

« Car vous êtes appelés, mes frères, à un état de liberté; ayez soin seulement que cette liberté ne vous serve pas d'occasion pour vivre selon la chair (
Ga 5,13) ». A partir d'ici il semble ne vouloir parler que de la morale; il y a dans cette épître quelque chose de particulier et qu'on ne retrouve dans aucune autre du même apôtre. Il partage toutes ses épîtres en deux parties: la première consacrée à l'explication du dogme, la dernière à des conseils sur la vie que doivent mener les fidèles; tandis que maintenant, après avoir eu occasion de parler de la morale, il revient de nouveau à l'explication du dogme. Ces deux choses se tiennent, quand on veut réfuter les Manichéens. Que signifient ces mots : « Ayez soin seulement que cette liberté ne vous serve pas d'occasion pour vivre selon la chair? » JésusChrist, dit-il, nous a délivrés du joug de l'esclavage, il nous a rendu la pleine liberté de nos actions, non pour que nous en abusions, mais pour que nous puissions mériter une plus belle récompense, en nous conformant aux préceptes d'une philosophie plus belle. Comme il lui est arrivé en maintes circonstances de dire que la loi est le joug de l'esclavage, et que la grâce est ce qui nous a délivrés de la malédiction, il ne veut pas qu'on aille croire que, s'il nous recommande de renoncer à la loi, c'est pour nous permettre de vivre sans loi aucune, et il rectifie cette opinion erronée en disant : Ce n'est pas un corps de doctrines contraires à toute loi, mais une philosophie supérieure aux lois, car les liens dont nous chargeait la loi sont brisés. Et si je vous parle ainsi, ce n'est pas pour vous abaisser, mais pour vous élever. L'habitué de mauvais lieux, et l'homme qui garde sa virginité, sortent tous deux des limites de la loi, mais non pour le même motif: l'un s'abaisse vers ce qui est plus vil, l'autre s'élève vers ce qui est plus beau : l'un dépasse, l'autre surpasse la loi. Voici donc le sens des paroles de Paul : Le Christ vous a débarrassés du joug, non pour vous laisser bondir et ruer, mais pour que vous marchiez en bon ordre, sans y être (621) contraints par le joug. Ensuite il nous montre de quelle manière nous devons nous y prendre pour qu'il en soit ainsi. Comment cela? Assujettissez-vous les uns aux autres », dit-il, « par « une charité spirituelle ». Ici encore, il fait entendre que l'amour des querelles, la discorde, le désir de commander et l'outre-cuidance ont été les causes de leur erreur : car le père de l'hérésie, c'est le désir de commander. En leur disant : « Assujettissez-vous les uns aux autres », il leur a fait voir que ce malheur est venu de l'orgueil et de l'outre-cuidance; aussi leur présente-t-il le remède qui convient le mieux. Comme ils n'étaient plus d'accord parce qu'ils voulaient dominer les uns les autres, il leur dit : « Assujettissez-vous les uns aux autres » ; c'est le moyen de retrouver le bon accord. Il n'indique pas nettement leur faute, mais il indique nettement le remède, afin que par lui ils comprennent ce qu'ils ont fait : c'est comme si, au lieu de dire à un débauché qu'il vit dans la débauche, on lui recommandait d'être toujours chaste. Celui qui aime son prochain, comme il le doit, ne refuse pas de s'assujettir à lui avec plus d'humilité que le plus humble esclave. De même que le feu, quand on l'approche de la cire, la ramollit facilement, de même l'ardeur de la charité dissout tout orgueil et toute arrogance plus rapidement que le feu. Aussi ne leur a-t-il pas dit simplement : « Aimez-vous les uns les autres », mais : « Assujettissez-vous les uns aux autres », montrant par là jusqu'où ils doivent pousser l'esprit de charité. Après les avoir débarrassés du joug de la loi, non pour donner libre carrière à leurs instincts de désordre, il met à la place un autre joug, celui de la charité, joug plus puissant, mais bien plus léger et bien plus doux que le premier. Ensuite il fait connaître les heureuses conséquences qui résultent de la pratique de cette vertu.

« Car toute la loi est renfermée dans ce seul précepte : Vous aimerez votre prochain comme vous-même (Ga 5,14) ». (Mt 22,39 Lv 19,18) Comme ils ne cessaient de lui citer la loi : Si vous tenez tant à vous y conformer, leur dit-il, ne pratiquez pas la circoncision, car ce n'est point par la circoncision, mais par la charité qu'on s'y conforme. Voyez comme il n'oublie pas l'objet de sa principale préoccupation : il y revient sans cesse, même quand il traite une question de morale. — « Que si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres (Ga 5,15) ». Il n'emploie pas le ton affirmatif, de peur de les indisposer, mais il sait bien que c'est ce qui est arrivé en réalité, quoiqu'il en parle d'un air de doute. Il n'a pas dit : Puisque vous vous mordez les uns les autres, ni prononcé le reste de la phrase avec ce ton d'affirmation. Il. n'affirme pas non plus quand il dit : « Prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres ». C'est la réflexion d'un homme qui a peur et qui n'est pas rassuré, mais non d'un homme qui prononce une condamnation. Il parle aussi avec une certaine emphase. Car il n'a pas dit seulement : « Vous vous mordez », ce qui est l'indice d'une grande colère; mais il a ajouté : « Vous vous dévorez les uns les autres », ce qui est la preuve que la perversité s'était enracinée dans leur coeur. Celui qui mord satisfait un moment sa colère, mais celui qui dévore est arrivé aux dernières limites de la fureur et de la bestialité. Par ces expressions de « mordre » et de « dévorer », il ne fait pas allusion aux blessures du corps, mais à d'autres qui sont bien plus dangereuses; car celles que reçoit la chair de l'homme sont moins cruelles que celles que son âme reçoit. Le dommage éprouvé par l'âme est d'autant plus grand qu'elle-même l'emporte davantage sur le corps. « Prenez garde, dit-il, que vous ne vous consumiez les uns les autres ». Comme c'est précisément à ce résultat de se consumer eux-mêmes, tout en cherchant à consumer les autres, qu'arrivent les hommes qui commettent des injustices et qui complotent contre leur prochain, il leur dit Prenez garde que le mal que vous voulez faire ne retombe sur vous-mêmes. La discorde et la guerre percent et détruisent, et ceux qui en sont l'objet, et ceux qui en sont les auteurs; elles les rongent mieux que la teigne ne ronge les étoffes. « Je vous le dis donc: Marchez dans le chemin de l'Esprit, et vous n'accomplirez point les désirs de la chair (16) ».

505 5. Voici qu'il nous indique une autre route par laquelle il nous est facile d'arriver à la vertu, et qui nous mène heureusement aux résultats qu'il signale : une route qui livre passage à la charité, et qui des deux côtés est étroitement resserrée par la charité. Rien, en effet, rien ne nous donne l'esprit de charité, comme d'être animés du Saint-Esprit, et rien (622) n'engage autant le Saint-Esprit à séjourner en nous, que la force de la charité. C'est pour cela qu'il dit : « Marchez dans le chemin du Saint-Esprit, et vous n'accomplirez point les désirs de la chair ». Après leur avoir dit ce qui causait leur maladie, il leur dit aussi quel est le remède qui leur rendra la santé. Or, quel est ce remède, et quelle est la puissance qui nous procurera les biens dont il vient de parler, si ce n'est une vie conforme aux volontés de l'Esprit? Aussi dit-il : «Marchez dans le chemin de l'Esprit; et n'accomplissez pas les désirs de la chair. Car la chair a des désirs contraires à ceux de l'Esprit, et l'Esprit en a de contraires à ceux de la chair, et ils sont opposés l'un à l'autre; de sorte que vous ne faites pas les choses que vous voudriez (Ga 5,17) ». Quelques personnes s'appuient sur ce passage pour reprocher à l'apôtre d'avoir divisé l'homme en deux parties, en le représentant comme composé de deux essences contraires, et en montrant que le corps est en lutte avec l'âme. Mais cela n'est pas, non, cela n'est pas : dans ce passage il parle de la chair et non du corps, car s'il faisait allusion au corps, comment expliquer ce qui suit immédiatement : « Car la chair a des désirs contraires à ceux de l'Esprit? » Et certes ce mot de « chair », se dit non de ce qui met en mouvement, mais de ce qui est mis en mouvement; non de ce qui fait l'action, mais de ce qui la reçoit : comment donc la chair peut-elle avoir des désirs? Ce n'est pas elle qui en a, mais bien l'âme. En effet, il est dit autre part : « Mon âme est désireuse » (Ps 83,2); et : « Que désire ton âme, et je le ferai » (1R 20,4) ; et «. Ne marche pas suivant le désir de ton âme » (Qo 18,30); et ailleurs encore : « Tel est le désir de mon âme ». (Ps 41,2) Comment donc se fait-il que Paul dise : « La chair a des désirs contraires à ceux de l'Esprit? » Il a coutume d'appeler chair, non la nature du corps, mais nos mauvais désirs, comme lorsqu'il dit: « Vous, vous n'êtes pas dans la chair, mais vous êtes dans l'Esprit » (Rm 8,9) ; et une autre fois : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu ». Quoi donc? faut-il supprimer la chair? Et lui-même qui parlait ainsi, n'était-il pas enveloppé de chair? De pareilles doctrines sont une inspiration non de la chair, mais du diable, « car il a été homicide dès le commencement ». (Jn 8,44) .

Que signifient donc ces paroles? Par ce mot de chair, il veut parler ici de nos instincts grossiers, licencieux et déréglés. Or, ceci n'est pas une accusation à l'adresse du corps, mais une plainte contre l'âme sans énergie : la chair n'est qu'un instrument, et nul ne hait ou ne déteste un instrument, mais bien celui qui s'en sert pour faire le mal. Ce n'est pas le fer, mais le meurtrier que nous haïssons et que nous punissons. Mais cela même, dira-t-on, est une parole d'accusation dirigée contre le corps, que de comprendre les péchés de l'âme sous le nom de la chair. Quant à moi, je reconnais que la chair est inférieure à l'âme, et que cependant elle a, elle aussi, sa beauté. Ce qui est moins beau est beau encore, tandis que ce qui est mal n'est pas seulement inférieur, mais encore contraire à ce qui est beau. Si vous pouvez me prouver que le vice est le produit du corps, accusez la chair : si vous la calomniez à cause de l'usage que Paul a fait de son nom, vous devez aussi calomnier l'âme. En effet, il traite d'homme «animal » celui qui est privé de la connaissance de la vérité (1Co 2,14), et il appelle « Esprits de malice », la troupe des démons. (Ep 6,12) L'Ecriture se sert aussi du nom de la chair pour désigner des mystères, et pour désigner l'Eglise dans son ensemble, quand elle dit qu'elle est le corps de Jésus-Christ. (Col 1,18) Si vous voulez vous représenter les services que rend la chair, supposez les sens éteints, et vous verrez l'âme veuve de toute connaissance, et incapable de savoir aucune des choses qu'elle sait. Si la puissance du Dieu créateur se révèle à notre esprit parce que nous voyons de ses oeuvres, comment pourrions-nous la voir sans nos yeux? Si la foi vient de ce que nous entendons, comment entendrions-nous sans oreilles ? Nos prédications et nos visites auprès des fidèles sont l’oeuvre de notre langue et de nos pieds. « Et comment les prédicateurs leur prêcheront-ils, s'ils ne sont envoyés ! » (Rm 10,15) Si nous écrivons, c'est grâce à nos mains. Voyez-vous que d'avantages nous procure le ministère de la chair? Si Paul dit : « La chair a des désirs contraires à ceux de l'Esprit », c'est qu'il parle de deux pensées qui se font opposition : du vice et de la vertu, et non de l'âme et du corps. Si l'âme et le corps étaient opposés, l'un tendrait à supprimer l'autre, comme l'eau le feu, la lumière l'ombre. Mais si l'âme prend soin du corps, et s'occupe beaucoup de lui, et qu'elle supporte mille maux plutôt que de le laisser, et qu'elle résiste quand on veut l'en séparer; si le corps lui prête son ministère, et lui procure une foule de connaissances, et s'il a été organisé de manière à exécuter toutes les actions qu'elle veut voir accomplies, comment pourraient-ils être contraires l'un à l'autre, se combattre l'un l'autre? Je vois qu'en réalité loin d'être contraires, ils sont parfaitement d'accord et se protègent réciproquement. Ainsi donc ce n'est point à leur antagonisme qu'il fait allusion, mais à celui des bonnes et des mauvaises pensées. Vouloir et ne pas vouloir, est le propre de l'âme. C'est pourquoi il a dit Ces deux choses sont opposées entr'elles. Il veut que nous ne permettions pas à notre âme de suivre ses mauvais désirs. C'est un cri qu'il a poussé comme un pédagogue ou un professeur qui cherche à effrayer ses disciples. « Que si vous êtes poussés par l'Esprit, vous n'êtes point sous la loi (Ga 5,18) ».

1 Anima, psuke, âme. - 623

506 6. Sur quoi appuie-t-il ce qu'il avance? Sur un raisonnement clair et très-concluant. Celui qui possède l'Esprit, autant qu'il le doit, éteint, grâce à lui, tous ses mauvais désirs; celui qui en est délivré, n'a pas besoin du secours de la loi, car il s'est élevé bien au-dessus des promesses qu'elle nous fait. En effet, celui qui ne se met pas en colère, en quoi a-t-il besoin de s'entendre citer cette formule : « Tu ne tueras point ! » Celui qui ne regarde pas avec des yeux impudiques, qu'a-t-il besoin qu'on lui recommande de ne pas commettre l'adultère? Qui parle des fruits du vice à celui qui en a extirpé la racine de son coeur ? La racine du meurtre c'est la colère, et de l'adultère, c'est la vaine curiosité des yeux. C'est pour cela qu'il dit : « Si vous êtes poussés par l'Esprit, vous n'êtes point sous la loi » (Ga 5,18). Il me semble que dans ce passage il fait un grand et merveilleux éloge de la loi. Si la loi a suppléé l'Esprit, autant qu'il était en elle, avant la venue de l'Esprit, ce n'est certes pas une raison pour rester toujours sous sa férule. Alors il était naturel que nous fussions sous la loi, afin de châtier nos désirs par la crainte, puisque l'Esprit ne s'était pas encore manifesté : mais aujourd'hui, que nous avons reçu la grâce qui ne nous défend pas seulement d'écouter nos désirs, mais qui les arrête dans leur développement, et les fait servir à de plus nobles usages, quel besoin avons-nous de la loi? Celui qui voit par lui-même quelle est la meilleure conduite à tenir, quel besoin a-t-il d'un pédagogue ? On se passe de -son professeur de littérature, quand on est devenu philosophe. Pourquoi donc vous ravaler vous-mêmes, vous qui vous êtes d'abord soumis à la direction de l'Esprit, et qui maintenant vous tenez accroupis sous le joug de la loi?

« Or il est aisé de connaître les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, la dissolution, l'idolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les dissensions, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies, les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches, et autres choses semblables, dont je vous déclare, comme je vous l'ai déjà dit, que ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu (Ga 5,19-21) ». Maintenant, vous qui accusiez votre chair, et qui pensiez qu'en parlant ainsi de la chair, Paul la considère comme notre adversaire, comme notre ennemie (supposons avec vous que l'adultère et la fornication soient du fait de la chair), dites-moi comment les inimitiés les dissensions, les jalousies, les animosités, les hérésies et les empoisonnements (car ces crimes sont le fait d'une âme corrompue, ainsi que les autres du reste), dites-moi comment la responsabilité en peut être attribuée à la chair ? Voyez-vous comme il veut parler ici non de la chair, mais de nos instincts bas et grossiers? C'est pour cela qu'il fait entendre des paroles de menace : « Ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu ». Si ces crimes étaient le résultat d'une nature mauvaise et non d'une âme pervertie, ce n'est pas « Ceux qui commettent, mais ceux qui subissent ces crimes », qu'il eût dû dire. Pourquoi sont-ils exclus dit royaume céleste? Les couronnes, pas plus que les châtiments, ne sont dus aux actes naturels, mais à ceux qui procèdent d'une mauvaise pensée. Voilà pourquoi Paul nous a jeté cette menace.

« Les fruits de l'Esprit, au contraire, sont la charité, la joie, la paix (Ga 5,22) ». Il n'a pas dit: Les oeuvres, mais : « Les fruits de l'Esprit». — L'âme est donc une chimère? Il ne parle que de la chair et de l'Esprit; où donc est l'âme? Est-ce qu'il parle d'êtres sans âme? (624) Puisqu'il rapporte ce qui est mal à la chair, et ce qui est bien à l'Esprit, c'est que pour lui l'âme n'existe pas? — Nullement; car c'est l'âme qui maîtrise les passions, c'est elle que cela regarde. Elle a devant elle le bien et le mal : si elle se sert du corps comme elle le doit, elle accomplit l'oeuvre de l'Esprit; si elle s'écarte de l'Esprit et se livre à ses mauvais désirs, elle se rend elle-même plus grossière et plus vile. Voyez-vous comme tout prouve que maintenant il ne parle pas en réalité de la chair, mais des pensées mauvaises ou non. « Pourquoi dit-il : Les fruits de l'Esprit? » Parce que les mauvaises oeuvres viennent de nous seuls, et c'est pour cela qu'il les appelle des oeuvres, tandis que les bonnes n'exigent pas seulement un effort de notre volonté, mais aussi la bienveillante intervention de Dieu. Ensuite, au moment de s'expliquer là-dessus, il expose en ces termes l'origine des biens : « La charité, la joie, la paix, la patience, l'humanité, la bonté, la persévérance, la douceur, la foi, la modestie, la continence. Il n'y a point de loi contre ceux qui vivent de la sorte (Ga 5,23) ». Quelle recommandation faire à celui qui a en lui tous les moyens de se bien conduire, qui a, pour lui enseigner la sagesse, le meilleur des maîtres, la charité? De même que les chevaux qui sont dociles vont d'eux-mêmes comme ils doivent aller, et n'ont pas besoin du fouet, de même l'âme qui pratique la vertu par l'effet de l'Esprit, n'a pas besoin des remontrances de la loi. Par ces paroles, il a prononcé encore, et d'une manière vraiment admirable, la déchéance de la loi, en déclarant, non pas qu'elle était sans valeur, mais qu'elle est inférieure aux nouvelles doctrines que nous tenons de l'Esprit.

« Or, ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés (Ga 5,24) ». Afin qu'on ne dise pas : Quel est l'homme qui est tel? il désigne par leurs oeuvres ceux qu'il a en vue, en donnant encore une fois le nom de chair aux mauvaises actions. Ils n'ont pas supprimé la chair, autrement comment vivraient-ils? Mais ce qui est crucifié est mort et incapable d'agir. Paul nous fait le tableau de la vraie sagesse, car les désirs, quelque importuns qu'ils soient, grondent en vain. Puis donc que l'Esprit a tant de puissance, vivons avec lui, ayons assez de lui. C'est aussi le conseil que nous donne Paul quand il dit : « Vivons donc dans l'Esprit, et conduisons-nous par l'Esprit (Ga 5,25) », en nous conformant à ses ordres. Car tel est le sens de ces mots : « Conduisons-nous » (Ga 5,25), c'est-à-dire, contentons-nous de la puissante intervention de l'Esprit, et ne recherchons pas en outre celle de la loi. Ensuite, montrant que ceux qui introduisaient la circoncision, le faisaient par ambition, il dit : « Ne nous laissons point aller à la vaine gloire, nous piquant les uns les autres, et étant envieux les uns des autres (Ga 5,26) ». Car l'envie naît de la vaine gloire, et de l'envie naissent des maux innombrables.



Chrysostome - Galates 400