Chrysostome sur Héb. I







COMMENTAIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME SUR L'ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX HÉBREUX, PUBLIÉ APRÈS SA MORT, D'APRÈS SES NOTES, PAR CONSTANTIN, PRÊTRE D'ANTIOCHE.

Tome XI p. 451-599



ARGUMENT

100 Analyse.

Pourquoi Paul, étant juif, n'a-t-il pas été envoyé vers les juifs. — Pourquoi, à quelle époque et à quelle occasion a-t-il écrit une épître aux Hébreux?

Le bienheureux Paul écrit aux Romains: « Tant que je serai l'apôtre des gentils, j'honorerai mon ministère, en lâchant d'exciter de l'émulation dans ceux qui me sont unis selon la chair », (
Rm 11,13-14) ; et ailleurs il dit encore: « Celui qui a agi efficacement dans Pierre, pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi agi efficacement en moi pour me rendre l'apôtre des gentils ». (Ga 2,8) Donc il était l'apôtre des gentils, ce qui résulte des Actes des apôtres où Dieu lui dit : « Va, je vais t'envoyer bien loin chez les gentils ». (Ac 22,21) Qu'avait-il de commun avec les Hébreux? Pourquoi cette épître qu'il leur adresse, lui surtout qui leur inspirait une haine évidemment prouvée par plusieurs passages ? Écoutez ce que lui dit Jacques : « Tu vois, frère, combien de milliers de juifs ont cru, eh bien ! ils ont tous entendu dire que tu leur prêches l'apostasie de la loi » ( 21, 20; 21) : et bien des questions lui furent souvent adressées à ce sujet.

Pourquoi donc, dira quelqu'un, versé comme il était dans la loi, en disciple élevé aux pieds de Gamaliel, pourquoi transporté comme il était du zèle de cette loi, et capable par conséquent de confondre ses adversaires, n'a-t-il pas été envoyé par Dieu aux juifs? C'est que toutes ces qualités étaient précisément autant de titres à leur antipathie. Cette antipathie, Dieu la connaissait d'avance ; il savait que Paul ne serait pas accueilli par les juifs. Il lui dit donc : « Va trouver les gentils, car les juifs ne recevront pas le témoignage que tu leur rendras de moi ». (Ac 22,18) Il répondit : « Seigneur, ils savent eux-mêmes que c'était moi qui mettais en prison et, qui faisais fouetter dans les synagogues ceux qui croyaient en vous, et que lorsqu'on répandait le sang de votre martyr Étienne, j'étais présent, je consentais à sa mort et je gardais les vêtements de ceux qui le lapidaient ». (Ac 19,20) Il veut montrer et prouver par là qu'on ne croira pas à sa parole. Car il en est ainsi : une nation se voit-elle abandonnée par un homme infime et de nulle valeur,. cet abandon ne lui fait pas grand'peine. Mais si le transfuge est un homme distingué et brûlant de zèle qui partageait autrefois ses idées, cet abandon est pour la nation entière un chagrin, un tourment, c'est une atteinte gravé portée à ses dogmes. Il y avait encore une chose qui pouvait rendre les juifs incrédules. Pierre et les autres avaient vécu avec le Christ; ils avaient été témoins de ses prodiges et de ses miracles; mais, pour Paul, rien de tout cela n'avait eu lieu. C'était un transfuge qui, (452) après avoir été avec les juifs, était tout à coup passé dans notre camp, ce qui avait donné beaucoup de force à notre doctrine. Les autres pouvaient passer pour des témoins complaisants qui rendaient témoignage à un maître bien-aimé qu'ils regrettaient; mais lorsque Paul témoignait de la résurrection de Jésus-Christ, il était évident qu'il n'écoutait que la voix de la vérité. Aussi voyez-les à l'oeuvre : ils le détestent du fond du coeur; ils excitent contre lui la sédition, ils font tout pour le perdre. Mais, si les juifs incrédules avaient leurs raisons pour lui être hostiles, pourquoi les croyants ne l'aimaient-ils pas ? C'est qu'il était obligé de prêcher aux gentils la religion chrétienne dans toute sa pureté, et, si parfois il se trouvait en Judée, il ne faisait nulle attention au pays où il était. Pierre et ses compagnons prêchaient à Jérusalem, où le zèle de la loi était dans toute sa ferveur; ils devaient donc permettre l'observation de la loi mais Paul usait d'une grande liberté. Il y avait plus de gentils que de juifs en dehors de. Jérusalem. Ce qui les détachait de la loi, ce qui les portait à s'en affranchir, c'est que Paul prêchait le pur christianisme. De là ces avis adressés à Paul, pour l'engager à respecter la multitude : « Tu vois, mon frère, combien de milliers de juifs ont cru; eh bien ! ils te haïssent, parce qu'ils ont oui dire que tu prêches aux juifs d'apostasier leur loi ».

Pourquoi donc écrit-il aux juifs, puisqu'il n'est pas chargé de les instruire? Où leur écrit-il? A Jérusalem et en Palestine, sel6n moi. Mais comment leur écrit-il ? Comme il baptisait sans en avoir reçu l'ordre. Il dit, en effet (1Co 1,17), qu'il n'a pas reçu mission de baptiser; non que cela lui fût interdit, mais c'était un surcroît à son oeuvre. Et pourquoi n'écrivait-il pas à ceux pour lesquels il eût voulu être anathème? (Rm 9,3) C'est ce qui lui faisait dire . « Vous savez que notre frère Timothée est en liberté, et, s'il vient bientôt, je viendrai vous voir avec lui ». (He 13,23) A cette époque, il n'était pas encore prisonnier. Après deux ans de détention à Rome, il sortit enfin de prison. Puis il partit pour l'Espagne, se rendit ensuite en Judée et vit les Juifs. Ce fut alors qu'il revint à Rome, où il fut mis à mort sous Néron. Cette épître est postérieure à celle à Timothée, où il est dit : «Je suis comme une victime que l'on va immoler » ; et la première fois que j'ai défendu ma cause, nul ne m'a assisté. (2Tm 4) Car il a eu bien des luttes à soutenir. Ainsi il écrit aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus les imitateurs des églises de la Judée ». (1Th 2,14) Et s'adressant aux juifs eux-mêmes, il leur dit : « C'est avec joie que vous avez accepté le pillage de vos biens ». (He 10,34) Voyez comme il a combattu. Ah ! s'ils traitaient ainsi les apôtres, non-seulement en Judée, mais partout où ils les rencontraient, comment auraient-ils traité le reste des fidèles? Aussi voyez quelle est pour ces fidèles la sollicitude de Paul, lorsqu'il dit : « Je vais prêter mon ministère aux saints de Jérusalem » (Rm 15,25), lorsqu'il exhorte les Corinthiens à la bienfaisance, en disant que les Macédoniens ont déjà contribué (2Co 1,3), en ajoutant que, s'il le faut, il partira, lorsqu'il dit : « Ils nous recommandèrent seulement de nous souvenir des pauvres, de que j'ai eu aussi grand soin de faire ». C'est la même sollicitude qui le guide (Ga 2,10) ; c'est elle encore qui lui dicte ces paroles : « Il nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, en signe d'union, pour que nous prêchions l'Evangile aux gentils, et eux aux circoncis ». (Ga 2,9) Il ne parle pas ainsi des pauvres qui étaient là. Mais il veut nous faire participer à l'oeuvre de la bienfaisance qui a ces pauvres pour objet. Il n'en est pas, en effet, de la charité comme de la prédication. Nous n'avons pas chargé les uns de faire la charité aux juifs, les autres de la faire aux gentils. Vous voyez cette sollicitude de Paul, qui s'exerce en tous lieux, et c'était justice. Dans les autres pays où les juifs vivaient pêle-mêle avec les gentils, les choses ne se passaient pas comme en Judée. La Judée avait conservé une apparence de liberté; les Juifs étaient encore autonomes, et n'étaient pas pleinement soumis aux Romains. Quoi d'étonnant s'ils s'arrogeaient le pouvoir le plus tyrannique ? Si dans les villes appartenant aux gentils, comme à Corinthe, ils frappaient le chef de la synagogue, sous les yeux même du proconsul siégeant à son tribunal, que ne devaient-ils pas faire en Judée ?


Vous voyez comme dans ces villes, les juifs traînent les apôtres devant les magistrats, en réclamant contre eux l'assistance des gentils. Chez eux, ils n'agissent pas ainsi, ils convoquent un conseil et punissent ceux qu'il leur plaît. C'est ainsi qu'ils ont fait périr Etienne, c'est ainsi qu'ils ont fait subir aux apôtres le supplice du fouet, sans consulter les magistrats; c'est ainsi qu'ils auraient fait périr Paul, sans l'intervention d'un. tribun. Quand ils se livraient à de pareils excès, l'autorité des pontifes subsistait encore, le temple était debout; ils avaient conservé leur culte et leurs sacrifices. Voyez Paul au tribunal du grand prêtre. « Je ne savais pas que c'était le grand prêtre », dit-il (Ac 23,5) ; et cela se passait devant un magistrat romain, tant les Juifs prenaient de licence 1 Voyez quel était à cette époque le malheur des fidèles qui habitaient Jérusalem et le reste de la Judée ! Quoi d'étonnant alors, si l'homme qui voulait être anathème pour les incrédules, et qui s'inquiétait si fort des nouveaux convertis, si l'homme qui consentait à partir au besoin, pour leur venir en aide, daigne leur écrire pour les consoler et pour relever leur courage ? Leurs forces et leurs coeurs succombaient sous le poids de leurs tribulations. C'est ce que montre évidemment la fin de cette épître,: « Relevez donc », leur dit saint Paul, «vos mains languissantes et vos genoux affaiblis ». (He 12,12) Et il dit aussi : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas» ; et plus bas : « Si vous n'êtes point châtiés, quand tous les autres l'ont été, vous êtes donc des bâtards et non des fils légitimes ». (He 10,37) En leur qualité de juifs, ils avaient appris de leurs frères qu'ils devaient s'attendre à rencontrer sous leurs pas lesbiens et les maux, et que la vie était ainsi faite. Maintenant tout leur était contraire. Les biens n'étaient pour eux que des (453) espérances qui devaient se réaliser après leur mort; les maux, ils les touchaient du doigt, et l'excès de leurs souffrances était bien capable de les abattre.

Voilà pourquoi Paul s'étend sur ce chapitre. Mais nous développerons ce sujet en son lieu; pour le moment nous nous bornerons à montrer qu'il devait nécessairement écrire à des hommes dont le sort lui causait tant d'inquiétude. Quoiqu'il ne leur ait pas été envoyé pour les motifs que nous connaissons, rien ne l'empêchait de leur écrire. C'est à leur abattement qu'il fait allusion par ces mots : « Relevez vos mains languissantes, vos genoux qui fléchissent, et marchez dans la droite voie » ; et il leur dit en outre : « Dieu n'est pas injuste pour oublier vos oeuvres et votre charité ». (He 22,12-13 He 6,10) Car l'âme ébranlée par des tentations fréquentes, est sujette à sortir du giron de la foi. De là ces exhortations de Paul qui cherche à les raffermir et à les garantir de l'incrédulité. Voilà pourquoi, dans cette épître surtout, il s'étend sur le chapitre de la foi, et leur montre enfin par de nombreux exemples, que leurs pères aussi n'ont pas vu se réaliser ces promesses d'un bonheur immédiat: Puis, afin que dans leur malheur ils ne se crussent point tout à fait abandonnés de Dieu, il les instruit de deux manières. Il les engage d'abord à supporter toutes les tribulations avec courage, ensuite à espérer une palme assurée ; car Dieu ne laissera pas sans récompense Abel et les justes qui lui ont succédé. Puis il leur offre trois sortes de consolations : c'est la passion du Christ qu'il leur offre pour exemple ; le serviteur ne doit pas être mieux traité que le maître; ce sont les prit que Dieu propose à ceux qui croient en lui : c'est enfin la nature même des tribulations auxquelles ils sont en proie. Pour affermir leurs coeurs, il invoque non-seulement l'avenir qui aurait pu ne pas faire assez d'impression sur eux, mais le passé et l'histoire des malheurs de leurs pères. Et c'est ainsi ce que fait le Christ, lorsqu'il déclare que l'esclave n'est pas plus grand que le maître, lorsqu'il affirme qu'il y a plus d'une place auprès de son père, lorsqu'il ne cesse de crier : Malheur aux incrédules !

L'apôtre fait souvent mention e l'Ancien et du Nouveau Testament, parce qu'il remarquait que c'était là un puissant moyen pour les faire croire à la résurrection. Pour que la passion de Notre-Seigneur ne jette aucun doute sur sa résurrection, il entasse autour de ce dogme. les témoignages des prophètes, et apprend à ses auditeurs que c'est notre religion et non celle des juifs qu'il faut vénérer. C'est que le temple était encore debout avec ses sacrifices, et voilà ce qui lui fait dire : « Sortons du camp, en portant l'ignominie de sa croix ». (He 13,13) Ici des contradicteurs pouvaient lui dire : Si tout cela est ombre et symbole, pourquoi toutes ces ombres ne passent-elles pas, pourquoi ne s'effacent-elles pas aux rayons de la vérité qui se lève ? Pourquoi l'ancien état de choses est-il toujours florissant? Il leur fait donc entendre que ce qui n'est point encore arrivé, arrivera en temps et lieu. Il leur fait voir enfin qu'autrefois déjà, et pendant longtemps, ils avaient persévéré dans la' foi, au milieu des tribulations. Depuis le temps qu'on vous instruit, leur dit-il, vous devriez déjà être maîtres. — Que nul d'entre vous ne laisse pénétrer dans son coeur le poison de l'infidélité. — « Vous vous êtes rendus les imitateurs de ceux qui, par leur foi et parleur patience, sont devenus les héritiers des promesses ». (He 5,12 He 3,12 He 6,12)


HOMÉLIE PREMIÈRE

101
DIEU AYANT PARLÉ AUTREFOIS A NOS PÈRES EN DIVERS TEMPS ET EN DIVERSES MANIÈRES PAR LES PROPHÈTES, NOUS A ENFIN PARLÉ, EN CES DERNIERS JOURS, PAR SON PROPRE FILS, QU'IL A FAIT HÉRITIER DE TOUTES CHOSES, ET PAR QUI IL A MÊME CRÉÉ LES SIÈCLES. (
He 1,1-2)

Analyse.

1. Eloge de saint Paul. — Il est plus grand que les prophètes. — Grandeur du Fils de Dieu.
2. Paul réfute les ariens. — Degrés de la grandeur du Christ.
Exhortation à la vertu. — Ce qu'on fait à son prochain, on le fait à Dieu.


La médisance, l'envie, l'avarice, la colère retombent sur ceux qui s'en rendent coupables. — Peines de l'enfer. — Exhortation à l'aumône. — Explication de ces paroles de l'Evangile : Facite vobis amicos ex mamona iniquitatis.

102 1. Qui, partout où abonde les péchés, on voit surabonder la grâce. (Rm 5,20) C'est ce que fait entendre le bienheureux Paul, eh commençant son épître aux Hébreux. Naturellement, les tortures, les persécutions auxquelles ils avaient été en butte de la part des méchants, devaient les rabaisser à leurs propres yeux, au-dessous des autres. Paul leur montre donc que ces persécuteurs mêmes leur ont fait obtenir une grâce surabondante. Au début même de son discours, il éveille l'attention de ses auditeurs, auxquels il dit : « Dieu ayant parlé autrefois à nos pères en divers temps et en diverses manières par les prophètes, nous a enfin parlé, en ces derniers jours, par son propre Fils ».

Pourquoi Paul ne s'est-il pas comparé aux (454) prophètes? II les surpassait de toute la grandeur de sa mission. Mais il n'en fait rien et pourquoi? C'est qu'il ne voulait pas se glorifier; c'est que ses auditeurs n'étaient point parfaits; c'est qu'il voulait les relever davantage à leurs propres yeux, et leur montrer leur supériorité : C’est comme s'il disait : Quelle faveur si grande Dieu a-t-il fait à nos pères, en leur envoyant les prophètes? Il nous a envoyé à nous son Fils unique. Ces belles paroles : « En divers temps et en diverses manières », montrent que les prophètes eux-mêmes n'ont pas vu Dieu, tandis que le Fils de Dieu l'a vu. « J'ai », dit le Très-Haut, « multiplié les visions, et entre les mains des prophètes j'ai pris diverses figures». (Os 12,10) Nous avons donc sur nos pères deux avantages : Dieu leur a envoyé les prophètes tandis qu'il nous a envoyé son Fils ; les prophètes n'ont pas vu Dieu, et le Fils de Dieu l'a vu. Cette vérité, il ne l'expose pas tout d'abord; il la prouve par ce qui suit, en disant, à propos de l'humanité : « Dieu a-t-il jamais dit à quelqu'un de ses anges : « Tu es mon fils? » et « Assieds-toi à ma droite (5, 13)?» Voyez ici l'habileté de l'orateur. Il commence par citer les prophètes, pour montrer notre supériorité. Puis, quand il a bien établi ce fait qui doit être tenu pour constant, il déclare que Dieu a parlé à nos pères, par la bouche des prophètes, et à nous, par la bouche de son Fils unique ; et s'il leur a parlé par la bouche des anges (car les anges aussi se sont entretenus avec les juifs), notre supériorité est encore ici la même. Nous avons eu affaire au maître; ils n'ont eu affaire qu'aux serviteurs. Car les anges, aussi bien que les prophètes, sont les serviteurs de Dieu.

C'est avec raison qu'il dit : « Dans ces derniers temps ». De telles paroles les relèvent et les consolent dans leur accablement. Et ailleurs : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude » (Ph 4,6) ; puis encore : « Maintenant notre salut est plus proche que, lorsque, nous avons cru ». C'est encore ainsi, qu'il procède en repassage. Que dit-il donc? Il dit que l'athlète qui s'est consumé, qui s'est épuisé dans la lutte, dès qu'il apprend la fin du combat, commence à respirer, envoyant arriver le terme de ses fatigues, et le commencement du repos.

« En ces derniers jours, il nous a parlé en son Fils ».Voici cette parole qui revient. « Par » son Fils, répète-t-il, pour confondre ceux qui veulent que cela s'applique à l'Esprit-Saint. Ici, « en » signifie « par », comme vous voyez. Ces mots, « dans ces derniers temps », ont encore un autre sens. Lequel? Le voici. Il y avait. longtemps que nous devions être châtiés, que les grâces nous avaient abandonnés, que nous avions perdu tout espoir de salut, que nous nous attendions à voir fondre sur nous de toutes parts un déluge de maux. C'est alors que Dieu nous a donné davantage. Mais voyez les précautions oratoires de Paul. Il ne dit pas : Le Christ a parlé, quoique le Christ eut parlé en effet. Mais ses auditeurs étaient faibles d'esprit, et ne pouvaient encore entendre ce qui se rapportait au Christ. Il leur dit donc ; « Il nous a parlé en son Fils ». Que dis-tu là, Paul?. Dieu nous a parlé par son Fils! Oui sans doute.

Mais où donc est la supériorité? Car tu as démontré que l'Ancien et le Nouveau Testament sont d'un seul et même auteur; la supériorité de celui-ci n'est donc pas grande. Voilà pourquoi il poursuit, et il s'explique en ces termes : « Et il nous a parlé en son Fils». Voyez comme Paul se met en cause et sur la même ligné que ses disciples, en disant : Il « nous » a parlé. Pourtant ce n'est pas à lui qu'il a parlé, c'est aux apôtres, et par eux, à beaucoup d'autres. Mais il les relève à leurs propres yeux, et leur montré qu'à eux aussi il leur a parlé. Et en même temps ce sont les juifs qu'il attaque; car presque tous ces hommes; auxquels les prophètes ont parlé, étaient de grands coupables et des monstres. Et ce n'est pas encore d'eux qu'il parle, mais il parle des bienfaits de Dieu à leur égard. Voilà pourquoi il ajoute: « Qu'il a institué son héritier universel ». Il parle ici de la chair: et c'est ainsi que David a dit: « Demande, et je le donnerai les nations pour héritage ». Car ce n'est plus Jacob qui est la part de Dieu ; ce n'est plus seulement Israël qui est son lot, mais l'univers est . à lui. Que veulent dire ces mots : « Qu'il a insti« tué son héritier?» Ces mots veulent dire qu'il l'a fait maître et Seigneur de toutes choses. C'est aussi ce que dit Pierre dans les Actes. « Dieu l’a fait Seigneur et Christ ». (Ac 2,36) Ce nom « d'héritier,» a deux significations : il désigne le propre Fils, le véritable Fils de Dieu. Il veut dire aussi que son titre de maître ne peut lui être arraché. « Héritier universel », c'est-à-dire du monde entier. Puis il revient à ce qu'il a dit d'abord : Par lequel il a fait aussi les siècles.

103 2. Où sont ceux qui disent: Il était quand il n'était pas? Avançant ensuite par degrés, Paul s'élève bien plus haut : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance, et qu'il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté (3). Etant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur (4) ». O qu'elle, est grande cette sagesse de l'apôtre! Mais que dis-je? Ce n'est pas la sagesse de Paul, c'est celle du Saint-Esprit qu'il faut admirer ici. — Ce n'est pas de son propre fonds qu'il a tiré ces paroles; il n'aurait pas trouvé par lui-même une telle sagesse. Où donc aurait-il appris ce langage ? Serait-ce dans son atelier, au milieu de ses peaux, et son couteau à la main ? Ah ! c'était une inspiration divine qu'un semblable langage. De telles pensées ne pouvaient éclore dans cette intelligence grossière et,simple qui ne dépassait pas celle des gens du peuple. Et pouvait-il en être autrement chez un homme dont les facultés étaient concentrées sur son commerce de peaux? C'était donc la grâce de l'Esprit-Saint qui opérait en lui, cette grâce qui choisit, pour montrer sa puissance, les instruments qu'il lui plaît. Voulez-vous amener un enfant jusqu'à une hauteur dont la cime touche au ciel même, vous le conduisez doucement et peu à peu par les pentes inférieures, puis, quand vous l'avez fait monter, vous lui dites de regarder en bas ; le voyez-vous saisi de vertige, troublé, comme si ses yeux étaient couverts d'un (455) brouillard, vous le prenez, vous le reconduisez plus bas, et vous lui donnez le temps de respirer, puis, quand il a repris ses sens, vous le faites alternativement remonter et descendre. Cette méthode, le bienheureux Paul l'a appliquée aux Hébreux, et partout, après l'avoir apprise de son Maître. Oui, telle est sa méthode : tantôt il élève, tantôt il abaisse les âmes de ses auditeurs, sans jamais leur permettre de rester longtemps dans le même état. Voyez comme il s'y prend dans,ce passage, et combien de degrés il leur fait d'abord gravir. Puis, quand il les a fait monter jusqu'au sommet de la piété, avant qu'un vertige ténébreux ne les saisisse, comme il les fait redescendre, comme il les laisse respirer, en leur disant : « Il nous a parlé en son Fils » ; et plus bas : « En son Fils qu'il a institué son héritier universel ». Quand on comprend cette filiation, on reconnaît que c'est le plus beau de tous les titres, et, quel qu'il soit, on reconnaît que ce titre vient d'en-haut.

Voyez comme il commence par placer ses auditeurs à un degré inférieur, par ces mois: « Qu'il a fait héritier de toutes choses?» Car cette expression « qu'il a fait héritier » n'a rien de bien relevé. Puis il les fait monter plus haut, quand il leur dit : « Par qui il a même créé les siècles ». Enfin il les fait monter encore et jusqu'à une hauteur au-dessus de laquelle il n'y a plus rien, dans ce passage : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Oui : c'est jusqu'aux régions de la lumière matérielle, jusqu'aux régions mêmes de la splendeur qu'il les a fait monter. Mais avant qu'un brouillard couvre leur vue, voyez comme il les fait doucement redescendre, en leur disant : « Comme il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite, de la souveraine Majesté ». Il ne s'est pas contenté de dire : « Il est assis au plus haut du ciel » ; il a ajouté : « Après la purification de nos péchés ». Voilà le mystère de l'Incarnation, ce mystère, d'humilité. Il s'élève ensuite en disant : « Il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté ». Puis il prend un langage plus humble et il ajoute:«Étant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur ». Paul parle ici de ce qui se rapporte à la chair. Par ce mot: Son père l'a « fait» plus grand que les anges; l'apôtre ne parle point de sa filiation spirituelle ; car sous ce rapport, il n'a pas été fait ni créé, mais engendré. Il parle de sa filiation charnelle; car sous ce rapport, il a été fait et créé.

Mais pour le moment il n'est pas question de son essence. Jean avait dit : « Celui qui vient « après moi m'a été préféré, parce qu'il était avant moi ». C'est comme s'il avait dit : Il est plus honoré, plus glorieux que moi. De même ici Paul dit à son tour : « Etant aussi élevé au-dessus des anges », c'est-à-dire, leur étant aussi supérieur en vertu et en gloire, que le,nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur. Paul, remarquez-le bien, parle ici, de la chair, car ce nom de Dieu-Verbe; il l'a toujours possédé; ce n'est pas là un héritage qui lui est survenu avec le temps, et il n'est pas devenu meilleur que les anges, à dater du jour où il nous a purifiés de nos péchés, mais il leur a toujours été supérieur et incomparablement supérieur. Paul parle ici au point de vue de la chair. C'est ainsi qu'en parlant de l'homme, nous le rabaissons et nous l'élevons tour à tour. Quand nous disons. L'homme n'est rien, l'homme est terre, l'homme est poussière, nous prenons l'homme entier par son plus bas côté. Quand nous disons au contraire: L'homme est immortel et doué: de raison, il a quelque chose de céleste, nous prenons l'homme entier par son côté le plus noble. Il en est de même du Christ : tantôt c'est ce qu'il y a d'inférieur, tantôt c'est ce qu'il y a de supérieur en sa personne que Paul considère, pour établir le dogme de l'Incarnation et pour montrer en même temps sa nature immortelle.

104 3. Puis donc que le Christ nous a purifiés de nos péchés, restons purs et immaculés; cette beauté qu'il nous adonnée, cet éclat, gardons-nous d'en ternir la pureté : point de tache, point de ride, rien qui y ressemble! Les taches et les rides, ce sont les fautes même légères; ce sont les médisances, les injures, les mensonges. Mais que dise? Ce ne sont pas là des fautes légères; ce sont au, contraire des fautes graves et tellement graves qu'elles nous font perdre le royaume des cieux. Et voici comment : celui qui traite son frère d'insensé, encourt, est-il dit, le supplice de la géhenne. Or si telle est la peine qu'entraîne une injure qui semble si légère, et qui a l'air d'un jeu d'enfant, celui qui traite son frère d'homme sans moeurs, de misérable envieux; et qui l'accable d'outrages, à quel châtiment ne s'expose-t-il pas? Quoi de plus affreux que sa situation? Mais laissez-moi poursuivre, je vous prie. Si ce qu'on fait à la plus infime créature, c'est à Dieu qu'on le fait, si ce qu'on ne fait pas à la plus infime créature, c'est à Dieu qu'on ne le fait pas, n'est-on pas louable ou blâmable, comme si cette créature était Dieu lui-même? Ouf, c'est offenser Dieu que d'offenser son frère; c'est honorer Dieu que d'honorer son frère.

105 4. Apprenons donc à notre langue à parler, comme il faut que notre langue, est-il dit, s'abstienne de dire le mal. Nous ne l'avons pas reçue de Dieu pour en faire un instrument d'accusation, d'insulte et de calomnie. Nous devons nous en servir, pour chanter les louanges de Dieu, pour en faire l'instrument de la, grâce, pour édifier notre prochain, pour lui être utile. Vous avez médit de quelqu'un? Eh bien! qu'avez-vous gagné à vous faire tort ainsi à vous-même, à passer pour un médisant? Le mal, en effet, le mal ne s'arrête pas à celui qui en est victime; il remonte jusqu'à son auteur. L'envieux, par exemple, en croyant faire tomber les autres dans ses piéges, est le premier à recueillir le fruit de son injustice; il se dessèche, il se flétrit, et se rend odieux à tout le monde. L'avare dépouille les autres de leur argent, mais il se prive lui-même de toute affection; que dis-je ? il s'attire les malédictions de tout le monde. Or bonne renommée vaut bien mieux que richesse. L'une n'est pas facile à ôter; l'autre est facile à perdre. Il y a plus. N'ayez pas de fortune, on ne vous fait pas un crime de votre indigence; mais si vous n'avez (456) une bonne réputation, vous voilà en butte au blâme, à la risée, à la haine générale; vous voilà en guerre avec la société. L'homme irascible se punit en se déchirant lui-même avant de châtier celui qui est l'objet de sa colère. Peut-être même est-il réduit à se retirer, après s'être acquis la réputation d'un scélérat et d'un homme abominable, tandis qu'il rend plus intéressante la personne qu'il a attaquée. Quand l'objet de vos médisances, loin de vous rendre la pareille, vous loue et vous admire, c'est son éloge qu'il fait et non pas le vôtre. Car, je l'ai dit plus haut, si la médisance frappe d'abord son auteur, le bien profite d'abord à celui qui le fait. Oui, le bien et le mal que vous faites, commencent, et c'est justice, par tomber sur vous. L'eau salée, aussi bien que l'eau douce, remplit les vases dans lesquels on la puise, sans que sa source diminue; il en est de même du vice ou de la vertu : ils font le bonheur ou la perte de celui dont ils émanent. Voilà la vérité.

Quelle parole pourrait décrire les peines ou les récompenses qui nous sont réservées dans l'autre vie? La parole ici est impuissante. Les récompenses dépassent toute idée et à plus forte raison, toute expression. Les peines ont des noms que nous sommes accoutumés à leur donner. Il y a, dit-on, pour les coupables, du feu, des ténèbres et un ver toujours dévorant, mais il n'y a pas seulement les peines énumérées ci-dessus; il y a des châtiments bien plus terribles encore. Voulez-vous me comprendre? vous devez tout d'abord faire la réflexion suivante. Dites-moi : S'il y a du feu, comment y a-t-il des ténèbres? Voyez-vous combien ce feu est plus terrible que le nôtre; c'est un feu qui ne s'éteint pas. Aussi l'appelle-t-on le feu éternel. Pensons donc quel malheur c'est de brûler sans cesse, d'âtre plongé dans les ténèbres, de se répandre en gémissements, et de grincer des dents sans qu'on vous écoute. Si un homme bien élevé, jeté dans un cachot, trouve que l'odeur fétide de la prison, les ténèbres et la société des hommes de sang à elles seules, sont plus cruelles que la mort la plus affreuse, qu'est-ce donc, songez-y bien, de brûler toujours en compagnie des assassins qui ont infesté la terre, de briller sans rien voir, sans être vu de personne, en se croyant seul au milieu de toute cette foule de coupables? Au milieu de ces ténèbres profondes, ne pouvant apercevoir ceux qui seront près de lui, chacun de nous croira être seul à souffrir. Si les ténèbres suffisent pour troubler nos âmes oppressées, que sera-ce, dites-moi, lorsqu'à l'horreur des ténèbres se joindra l'horreur des tourments? C'est pourquoi, je vous en conjure, réfléchissez sans cesse à ces mystères de l'autre vie, et supportez l'ennui que peuvent vous causer mes paroles, polir n'avoir pas à supporter des supplices qui ne sont que trop réels. Car tout ce que je vous dis là s'accomplira de point en point. De tous ceux qui auront mérité d'être punis, pas un seul n'échappera au châtiment. Personne, ni père, ni mère, ni frère, ne pourra obtenir leur grâce, quelque puissante que soit sa parole, quelque grand que soit son crédit auprès de Dieu. « Le frère ne rachète pas; l'homme rachètera-t-il? » C'est Dieu qui donne à chacun selon ses oeuvres; ce sont nos oeuvres qui feront notre salut ou notre perte.

« Faites-vous des amis avec l'argent de l'injustice » : c'est l'ordre du Seigneur, et nous devons obéir; que le superflu de nos richesses soit versé dans le sein de l'indigence ; faisons l'aumône, tandis que nous le pouvons : c'est se faire des amis avec de l'argent: laissons tomber nos richesses entre les mains des pauvres, pour que ce feu tombe et s'éteigne, pour que nous paraissions là-haut avec confiance. Ce ne sont pas ceux qui nous accueillent, ce sont nos oeuvres que nous trouverons là-haut pour nous défendre : que nos amis soient incapables de nous sauver, c'est ce que nous apprend ce qui vient ensuite. Pourquoi en effet le Christ n'a-t-il pas dit: Faites-vous des amis, pour qu'ils vous reçoivent dans lés demeures éternelles? Pourquoi nous a-t-il indiqué en outre le moyen de nous en faire? Ces mots avec « l'argent de l'iniquité » prouvent que ce sont nos richesses qui doivent nous faire des amis. Nous voyons par là que l'amitié à elle seule ne pourra nous défendre, si nous ne faisons provision de bonnes . oeuvres, si la justice ne préside. pas à l'emploi de ces richesses, injustement amassées. Ce que nous disons de l'aumône, doit s'appliquer non-seulement aux riches, mais aux pauvres. Celui-là même qui vit d'aumône doit prendre pour lui nos paroles. Car il n'y a pas, non il n'y a pas de pauvre, quelque pauvre qu'il soit, qui ne possède deux petites pièces d'argent. Le pauvre qui prend sur le peu qu'il a pour donner peu de chose, peut être supérieur au riche qui donne plus que lui. témoin la veuve. Car ce n'est pas à l'importance de la somme, mais au moyen et à la bonne volonté de celui qui donne que se mesure l'aumône. Ce qu'il faut toujours avoir, c'est la bonne volonté; ce qu'il faut toujours avoir, c'est l'amour de Dieu. Que ce mobile nous fasse toujours agir, et quelque modeste que soit notre avoir, quelque modeste que soit notre aumône, Dieu ne se détournera pas de nous, et notre offrande sera reçue de lui, comme si elle était riche et magnifique : c'est la bonne volonté, ce n'est pas le don qu'il regarde; et si notre bonne volonté lui parait grande, le souverain Juge nous accordé son suffrage et nous fait participer aux biens éternels. Puissent-ils devenir notre partage à tous, par sa grâce et sa miséricorde!



Chrysostome sur Héb. I