Chrysostome sur Héb. I 1600

HOMÉLIE 16 - AUSSI EST-IL LE MÉDIATEUR D'UN NOUVEAU TESTAMENT, AFIN QUE SA MORT INTERVENANT POUR LE RACHAT DES INIQUITÉS

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QUI SE COMMETTAIENT SOUS LE PREMIER TESTAMENT, CEUX QUI SONT APPELÉS DE DIEU REÇOIVENT L'HÉRITAGE QU'IL LEUR A PROMIS. (
He 9,15-23)

Analyse.

1 et 2. Le nouveau Testament est un testament vrai : ses dispositions, ses lois, ses témoins ; mort du testateur qui le rend définitif. — La mort sanglante de notre testateur figurée par les hosties sanglantes immolées au moment où Dieu consacra le premier Testament. — Magnifique témoignage de la présence réelle. — Preuve du secret chez les premiers initiés ou premiers chrétiens. — La vertu des anciens sacrifices sanglants venait du sang de Jésus-Christ.
3 et 4. La vertu fera de notre coeur un vrai ciel : magnifique comparaison. — Exemples des saints arrivés, dès cette vie, à la hauteur des cieux et plus haut même encore. — Les funambules et bien d'autres, dont la profession est rude et dangereuse, devraient nous faire rougir. — Toujours vouloir et prouver notre volonté en mettant la main à l'oeuvre : Dieu nous aidera.

1601 1. Vraisemblablement un certain nombre des plus faibles convertis, étonnés de la mort même de Jésus-Christ, n'avaient pas eu foi en sa promesse. Paul, pour donner à leurs idées une réfutation sans réplique, cite un exemple emprunté aux coutumes les plus communes de la vie. Quel est cet exemple? Le motif même, dit-il, qui doit vous donner confiance et joie, c'est que précisément un testament n'est pas certain, ni valide, ni d'effet définitif pendant la vie, mais bien après la mort du testateur. Voilà pourquoi il avance que Jésus « est médiateur d'un nouveau Testament» (He 9,15). Un testament se fait aux approches de la mort ; son essence est de reconnaître certains héritiers et de déshériter d'autres personnes. Ainsi en est-il ici quant aux héritiers. « Je veux », a dit Jésus-Christ, « qu'ils soient où je suis moi-même ». (Jn 17,24) Et quant aux déshérités, écoutez son arrêt : « Je ne prie pas pour tous, mais pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi ». (Jn 17,20) De plus, un testament énonce les dispositions du testateur, et impose aux légataires certaines dispositions, aussi ; ils ont à recevoir telle chose, et à faire telle autre chose. Ainsi, dans ce même cas, Jésus après avoir fait des promesses sans nombre énonce certains devoirs qu'il exige en retour, quand il dit : « Je vous donne un commandement nouveau». (Jn 17,13) En troisième lieu, le testament doit avoir des témoins. Ecoutez ses paroles à cet endroit : « C'est moi qui rends témoignage de moi-même; mais mon Père qui m'a envoyé me rend aussi témoignage ». Et ailleurs, parlant de l'Esprit consolateur : « C'est lui », dit-il, « qui me rendra témoignage ». (Jn 8,18 Jn 15,26) Et il envoya ses apôtres en disant : « Soyez mes témoins devant Dieu ».

« Il est », dit-il, « médiateur de la nouvelle alliance » (He 9,15). Quel est le droit du médiateur? Il n'a pas en son pouvoir l'objet pour lequel il s'interpose. Autre est cet objet, autre le médiateur. Ainsi l'entremetteur d'un mariage n'est pas le fiancé, mais celui qui aide le fiancé à trouver une épouse. De même, au cas présent, le Fils fut à la fois notre médiateur et celui du Père. Le Père ne voulait pas nous laisser son héritage infini; irrité contre nous, il nous gardait comme à des ennemis sa rude et légitime sévérité. Jésus, intercédant entre lui et nous, a fléchi son coeur. Et voyez comme il a rempli ce rôle d'intermédiaire. Il porta et reporta les paroles échangées du ciel à la terre, transmit à Dieu l'exposé de nos besoins, s'offrit même à subir la mort. Oui, nous avions péché, nous devions mourir; mais il mourut pour nous, et nous rendit dignes de paraître sur le testament. Et ce qui établit définitivement cet acte testamentaire, c'est que désormais il ne concerne plus des indignes. Car, dès le commencement, en père affectueux, Dieu nous avait fait un testament : mais devenus indignes, nous n'avions plus à figurer au testament, mais au supplice. Pourquoi, dès lors, dit saint Paul aux Juifs, pourquoi vous glorifier de la loi? Le péché nous a réduits à une si triste condition que désormais le salut nous était impossible, si Notre-Seigneur n'avait pour nous subi la mort; la loi faible et nulle, aurait été absolument impuissante.

Non content de confirmer ses assertions par la coutume universelle, l'apôtre l'appuie sur les circonstances qui consacrèrent l'antique Testament: Cette preuve est tout à fait choisie pour eux. On lui aurait dit: Mais personne alors ne mourut pour l'établir; où fut donc le principe de sa solidité, de sa stabilité ? Il répond : La consécration de l'antique alliance fut toute semblable. — Comment? C'est qu'on y versa le sang, comme le sang coule chez nous. Et ne vous étonnez pas si ce n'était pas alors le sang du Messie : Cette alliance ancienne n'était qu'une figure. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : « C'est pourquoi le premier Testament lui-même ne fut consacré qu'avec le sang (He 9,18) ». Consacré, qu'est-ce à dire? Comprenez établi, confirmé, ratifié. Il fallut donc, dit-il, qu'on vît alors la figure et d'un testament et d'une mort. Autrement, expliquez-moi pour quelle raison le livre du Testament reçoit une aspersion sanglante ? Car voici le texte de l'histoire sainte

1602 2. « Moïse ayant lu devant tout le peuple toutes les ordonnances de la loi, prit du sang des veaux et des boucs avec de l'eau, de la laine teinte en écarlate et de l'hysope et en jeta sur (523) le livre même et sur tout le peuple, en disant : C'est le sang du testament et de l'alliance que Dieu a faite en votre faveur (He 9,19-20) ». Pour quelle raison, dites-moi, se fait cette aspersion et du livre, et du peuple, sinon parce qu'un sang précieux était figuré ainsi, bien des siècles à l'avance? Pourquoi l'hysope ? Parce que son feuillage épais et spongieux retenait mieux le sang. Pourquoi l'eau? Pour montrer cette purification qui se fait aussi par l'eau. Pourquoi la laine? Pour mieux absorber aussi le sang. Il montre ici que le sang et l'eau étaient la même chose : et en effet le baptême est le symbole de sa passion.

« Il jeta encore du sang sur le tabernacle et sur tous les vases qui servaient au culte. Selon la loi, enfin, presque tout se purifie avec le sang, et les péchés ne sont pas remis sans effusion de sang (He 9,21-22) ». Pourquoi le mot « presque ? » Pourquoi ce correctif ? Parce que la purification d'alors n'était point parfaite, non plus que la rémission des péchés; la justification était incomplète et pour une partie très peu considérable. Chez nous, au contraire, écoutez : « C'est le sang de la nouvelle alliance, qui est répandu pour vous pour la rémission des péchés ». (Mt 26,28) Le livre aujourd'hui est l'âme des chrétiens que Dieu purifie ; les fidèles sont les livres de la nouvelle alliance. Quels sont les vases servant au culte? Eux encore. Et le tabernacle? Eux toujours. Car « j'habiterai en eux », dit-il, « et je marcherai en eux ». Mais on ne les aspergeait ni avec la laine ni avec l'hysope? Pourquoi ? Parce que leur purification n'était plus corporelle, mais spirituelle; le sang même était spirituel ici. Comment? Parce qu'il ne coula pas des veines d'animaux sans raison, mais d'un corps préparé par le Saint-Esprit. Voilà le sang dont Jésus-Christ, et non plus Moïse, nous arrosa par la parole déjà rapportée : « C'est le sang de la nouvelle alliance pour la rémission des péchés ». Cette parole tenant lieu de l'hysope imprégnée de sang, nous a tous arrosés. Jadis le corps était purifié extérieurement, ce n'était qu'une purification matérielle. Mais ici la purification toute spirituelle pénètre l'âme et n'est pas une simple aspersion, c'est une source vive qui jaillit dans nos âmes : Ceux qui sont initiés aux saints mystères me comprennent. Moïse ne répandait l'aspersion que sur la surface, et après l'aspersion il fallait se laver de nouveau : on ne pouvait garder longtemps cette rosée de sang. Dans nos âmes il n'en va pas ainsi : le sang se mêle à leur nature ; il les rend fortes et chastes; il y produit une beauté que le langage humain ne peut expliquer.

L'apôtre démontre encore que la mort du Sauveur n'a pas seulement une vertu confirmative, mais une vertu purificative. La mort, en effet, qui paraissait une exécration, surtout celle qu'on subissait sur une croix, cette mort nous a purifiés, dit-il, et par une purification inappréciable, et pour des faits bien autrement graves. Si les sacrifices antiques ont précédé, c'est en vue de ce sang; ainsi s'explique l'immolation des agneaux, et tout ce qui s'est fait enfin.

« Il était donc nécessaire que ce qui n'était que figure des choses célestes, fût purifié par le sang des animaux; mais que les choses célestes elles-mêmes le fussent par des victimes plus excellentes que n'ont été les premières (He 9,23) ». Quelles sont ces figures des choses célestes ? Quelles sont les choses que l'apôtre nomme maintenant célestes ? Entend-il par là le ciel, les anges? Non, il désigne ainsi ce que nous avons. Nos saints mystères sont donc dans le ciel, ils sont célestes, bien qu'ils se célèbrent sur la terre. Car les anges, bien que sur terre, sont appelés anges du ciel, et les chérubins sont célestes, bien qu'ayant apparu sur la terre. Apparu, que dis-je? Ils vivent sur la terre, comme dans le paradis; mais cette circonstance ne fait rien ; ils sont célestes par nature. « Et notre conversation à nous-mêmes est dans les cieux » (Ph 3,20), bien que nous habitions ici-bas. — Ainsi, « les choses célestes mêmes ». C'est la sagesse que nous pratiquons, nous qui sommes appelés là-haut. — « Par des victimes », ajoute-t-il, « meilleures que les premières ». Qui dit « meilleur », suppose la comparaison de supériorité avec « bon ». Ainsi alors déjà il y avait des institutions bonnes et des copies de ce qui est au ciel; et les copies mêmes n'étaient pas un mal, car autrement vous déclarez mauvais les originaux eux-mêmes.

1603 3. Si donc nous sommes tout célestes, si nous sommes montés à cette haute nature, tremblons, et ne faisons plus de cette terre notre demeure. Car dès qu'on le veut sincèrement aujourd'hui, on peut n'être plus sur la terre. Pour y être et n'y pas être à la fois, nous avons un moyen sûr, une méthode certaine. Par exemple : on dit que Dieu est dans le ciel ; comment ? Est-ce parce qu'il y est renfermé comme dans un lieu ? Arrière cette idée; mais sans que la terre soit déserte et privée de sa sublime présence, il garde une amitié, une familiarité, une union plus intime avec ses anges. Si donc nous sommes proches de Dieu, nous habitons le ciel. Eh ! que me fait en effet le ciel même, quand je contemple le Seigneur du ciel, quand moi-même je serai devenu le ciel? Or, dit Jésus-Christ, « nous viendrons, mon Père et moi, et nous ferons en lui notre demeure ».

Ah! faisons de notre âme un ciel ! Le ciel, de sa nature, est si beau, si joyeux, que l'orage même ne peut l'assombrir; son aspect ne change pas en réalité ; les nuages amoncelés ne font que le cacher. Le ciel possède le soleil ; nous avons, nous aussi, le Soleil de justice.

J'ai dit qu'il nous est permis de devenir autant de cieux ; et je vois même que nous pouvons surpasser le ciel en beauté, en éclat. Et comment ? Dès que nous posséderons le Dieu du ciel. Le ciel, dans toutes ses parties, est put, sans tache ; ni la saison mauvaise, ni la nuit ne peuvent l'altérer. Pour éviter aussi de tristes vicissitudes, veillons à ne subir aucune atteinte des afflictions qui nous frappent ou des démons qui nous attaquent : restons purs et sans tache. Le ciel est élevé ; il est loin de la terre ; imitons cette perfection, séparons-nous de la terre, élevons-nous à cette hauteur; et comment ainsi quitter la terre? Par les pensées célestes. Le ciel est au-dessus des pluies (524) et des orages ; rien ne le captive. Nous pouvons y si nous voulons, arriver là; et comme il semble souffrir de ces tempêtes, tout en restant en effet impassible, ainsi sachons ne point pâtir, alors même que nous paraissons souffrants. En effet, dans la mauvaise saison, le vulgaire, ignorant la beauté inaltérable de ce dôme céleste, s'imagine qu'il subit des changements; les philosophes au contraire savent qu'il n'en a point souffert; ainsi la patience peut nous rendre immuables jusque dans les souffrances. Plusieurs nous croiront changés et supposeront que la douleur nous a touchés au coeur; mais les sages sauront qu'elle n'a pu nous frapper.

Encore une fois, devenons un ciel : montons à cette hauteur, et de là nous verrons les hommes tout pareils à de pauvres fourmis; et nous jugerons ainsi les pauvres comme les riches, les grands, l'empereur même; nous ne distinguerons plus ni souverain, ni sujet; nous ne saurons plus ce que c'est que l'or ou l'argent, la soie ou la pourpre. Assis à cette hauteur, nous verrons tout comme des moucherons; pour nous, plus de tumulte, de révolution, de clameur.

Mais comment, direz-vous, comment peut s'élever si haut un mortel qui habite ce bas monde ? Je laisse les paroles pour vous répondre par les faits, et vous montrer des hommes qui ont su arriver à cette sublime élévation. Qui sont-ils? Paul et ses disciples, qui même en habitant la terre, conversaient dans le ciel. Dans le ciel, que dis-je? Plus haut que le ciel, dans un autre ciel que celui-ci ; jusqu'à Dieu même ils montaient, ils arrivaient! « Qui nous séparera », s'écrie-t-il, « de l'amour de Jésus-Christ? Sera-ce la tribulation ou l'angoisse, la faim ou la persécution, la nudité, le danger, le glaive ? » (
Rm 8,35) Et ailleurs : « Nous ne contemplons point désormais les choses visibles, mais les invisibles ». (2Co 4,18) Remarquez-vous qu'il n'avait plus de regard pour les choses d'ici-bas? Et pour vous prouver qu'il était plus élevé que les cieux, je vous citerai sa parole: « Je suis certain en effet que la mort ni la vie, les choses présentes ni les futures, la hauteur ni la profondeur, qu'aucune créature enfin ne pourra nous séparer de l'amour de Jésus-Christ ».

1604 4. Voyez-vous comment sa pensée s'élevant au-dessus de tout, le rendait supérieur, non-seulement à toute créature, non-seulement à ce ciel visible, mais à tous les cieux qui peuvent exister? Avez-vous compris cette élévation d'âme? Avez-vous vu quel homme admirable était devenu ce faiseur de tentes, quand il l'a voulu, lui qui avait passé toute sa vie dans les rues et les places publiques? Non, non; avec une ferme volonté rien ne peut arrêter notre vol sublime. Car si nous apprenons parfaitement, si nous pouvons exercer certaines professions dont les résultats étonnent et surpassent le vulgaire, bien plus est-il possible d'atteindre à une perfection qui demande moins de travail. Quoi de plus difficile, de plus pénible, par exemple, dites-moi, que de marcher sur une corde tendue, comme on le ferait sur un sol uni ; et, tout en se promenant dans le vide, de s'habiller et de se déshabiller comme si on était assis sur son lit? Ces expériences ne nous semblent-elles pas tellement effrayantes, que loin de vouloir les regarder, nous tremblons, nous avons le frisson rien qu'à les apercevoir? Dites-moi encore, quoi de plus pénible et de plus difficile que de se placer une perche en équilibre sur le front, et de porter sur la pointe un misérable enfant qui fait mille évolutions dangereuses pour l'amusement du public ? Quoi de plus pénible et de plus difficile que de jouer à la paume sur des épées dressées? Est-il rien de dangereux comme de fouiller en plongeant le fond des mers? Vous me citeriez vous-mêmes mille autres professions périlleuses.

Or, la vertu est plus aisée que tout cela, quand même une sainte ambition nous porterait à monter jusqu'au ciel. Ici, il ne s'agit que de vouloir, et tout s'ensuit. Il n'est pas permis de dire : Je ne saurais ! Ce serait accuser votre créateur; car s'il nous a faits trop faibles, et qu'il nous commande cependant, l'accusation retombe sur lui. Comment donc, direz-vous, tant d'hommes ne peuvent-ils pas arriver? C'est qu'ils ne veulent pas. Et pourquoi ne veulent-ils pas? C'est lâcheté: s'ils voulaient, certainement ils pourraient. Paul n'a-t-il pas dit : « Je veux que tout homme soit comme moi-même? » (
1Co 7,7) II savait, en effet, que tous peuvent être comme lui: si la chose était impossible, il n'aurait pas écrit cette parole.

Voulez-vous devenir vertueux? Avant tout, commencez. Car, dites-moi, dans toute profession, dès qu'on veut savoir, suffit-il de vouloir, sans mettre la main à l'oeuvre ? Par exemple, quelqu'un veut devenir pilote; il ne dit pas : Je le veux; c'est insuffisant, en effet; aussi, il commence. Veut-on devenir marchand? On ne dit pas seulement: Je veux; on entreprend le commerce. Veut-on voyager au loin? On ne dit pas seulement: Je veux; on se met en route. En toutes choses enfin, vouloir ne suffit pas; agir est nécessaire. Et quand vous voulez monter au ciel, vous vous contentez de dire : Je le veux!

On m'objectera que je disais tout à l'heure: Il suffit de vouloir ! Oui, de vouloir avec des actes, de commencer la grande affaire et les saints travaux. Car nous avons un Dieu qui nous seconde et nous aide. Seulement, prenons notre parti, mettons-nous à l'oeuvre comme à une chose sérieuse, soyons diligents, soyons appliqués et attentifs, et le reste se fera. Que si nous dormons, si nous attendons en plein sommeil que le ciel s'ouvre, quand donc pourrons-nous saisir ce sublime héritage ? De la volonté, donc, je vous en prie, de la volonté! Pourquoi toujours traiter uniquement les affaires de cette vie que nous quitterons demain? Ah! plutôt, faisons choix de la vertu, qui nous suffira pour les siècles sans fin, où nous serons à tout jamais, où nous jouirons de biens impérissables ! Puissions-nous les gagner tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.




HOMÉLIE 17 - CAR JÉSUS-CHIST N'EST POINT ENTRÉ DANS CE SANCTUAIRE FAIT DE MAIN D'HOMME, QUI N'ÉTAIT QUE LA FIGURE DU VÉRITABLE,

1700
MAIS IL EST ENTRÉ DANS LE CIEL MÊME, AFIN DE SE PRÉSENTER MAINTENANT POUR NOUS DEVANT LA FACE DE DIEU. (
He 9,24-10,7)

Analyse.

Gloire du premier et du second temple juif. — Le ciel est le temple des chrétiens, et leur pontife y entre couvert de son propre sang. — Cette entrée, ce sang, ce temple, cette oblation unique et suffisante, marquent assez la prééminence de Jésus-Christ et de son Testament.
Il nous a délivrés de la mort, simple sommeil, en attendant la résurrection. — Il est mort pour tous les hommes, et pour les anges mêmes, dit l'orateur.
Un seul sacrifice est désormais suffisant : la multiplicité des victimes chez les Juifs prouve leur impuissance. — Pourquoi la messe quotidienne cependant. — Admirable doctrine dont le concile de Trente n'est que l'écho.
4 et 5. Le nombre des communions n'en fait pas le mérite, mais bien la préparation. — Celle de la sainte quarantaine ne suffit pas, surtout si la communion est suivie de rechutes. — La sainteté est nécessaire. — Voix du diacre, voix du prêtre qui nous crie : Les choses saintes sont pour les saints. — La sainteté consiste surtout à voir juste et à bien vivre. — Longue et belle métaphore tirée de l'oeil humain.

1701 1. Un grand sujet d'orgueil pour les juifs, c'était leur temple et leur tabernacle. « Le temple du Seigneur», répétaient-ils, «le temple du Seigneur ». (Jr 7,5) Et, en effet, jamais au monde ne fut construit temple pareil, au point de vue de la dépense et de la beauté; sous tout rapport, enfin. Dieu qui l'avait fait bâtir, avait voulu qu'on le construisit avec beaucoup de magnificence, parce que son peuple se laissait éprendre et attirer par les splendeurs matérielles. Les parois intérieures étaient donc revêtues de lames d'or, et si vous voulez savoir d'autres détails, consultez le second livre des Rois ou le prophète Ezéchiel, vous verrez quelle énorme quantité d'or y fut dépensée. Le second temple fut encore plus magnifique en beauté et sous bien d'autres rapports. Il n'était pas seulement splendide et vénérable ; il était encore inique, et ses splendeurs attiraient à lui le monde entier. On s'y rendait des confins de la terre habitée, de Babylone comme de l'Éthiopie. Saint Luc fait allusion à ce concours dans les Actes : « Il y avait», dit-il, « à Jérusalem des Parthes, des Mèdes, des Elamites, de ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l'Égypte et la contrée de Lybie qui est autour de Cyrène ». — (Ac 2,5) Ainsi de toute la terre, on s'y était rendu; et le nom du temple était connu au loin. Que va faire saint Paul? Il va raisonner ici, comme il a fait à propos des sacrifices. Comme en face de ces immolations antiques il a placé la mort de Jésus-Christ, ainsi va-t-il au temple ancien opposer le ciel tout entier. Et non content de cette différence matérielle, il ajoutera que le prêtre de la nouvelle alliance s'est bien plus approché de Dieu. « Jésus-Christ», dit-il, « n'est pas entré dans un sanctuaire fait de main d'homme, mais dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu ».

Il déclare que Notre-Seigneur s'est présenté devant la face de Dieu; il grandit ainsi la sacerdoce nouveau, non-seulement à raison du ciel où il est, mais aussi pour cette entrée sublime du pontife, qui lui fait contempler non par symbole seulement, mais en face DIEU lui-même. Comprenez-vous maintenant que tout ce qu'il a dit d'humble au sujet de Jésus, il l'a dit par condescendance pour nous? Serez-vous encore étonnés que le divin Sauveur intercède, puisque l'apôtre vous montre en lui le Pontife? « Non cependant qu'il s'offre souvent lui-même, comme ce grand prêtre qui entre dans le Saint des Saints tous les ans, en se couvrant du sang d'une victime étrangère (25) » ; car Jésus n'est pas entré dans un sanctuaire fait de main d'homme, qui n'était que la figure du véritable. Ainsi celui d'à présent est véritable; l'autre n'était que figuratif. Le temple était construit sur le modèle du ciel des cieux.

Mais que dit l'apôtre? Quoi? S'il n'était pas entré au ciel, il n'aurait pas eu la claire vision de Celui qui est partout et emplit tout? Vous voyez que c'est de Jésus-Christ comme homme que parle l’apôtre. Il dit que « pour nous » il s'est présenté devant la face de Dieu. Qu'est-ce à dire, pour nous? Il est monté, nous dit-il, avec un sacrifice capable d'apaiser le Père. — Mais pourquoi, dites-moi ? Était-il ennemi lui-même? — Les anges l'étaient, mais non pas lui; car pour ce qui regarde les anges, écoutez l'oracle de saint Paul : « Jésus a pacifié tout ce qui était sur la terre et tout ce qui était au ciel ». (Col 1,20) Il a donc raison de dire que Jésus est entré dans le ciel, afin de se présenter pour nous devant la face de Dieu. Il s'y présente, en effet, mais pour nous.

« Et il n'y est pas ainsi entré pour s'offrir lui-même souvent, comme le grand prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en se couvrant d'un sang étranger ». Vous voyez comme les différences sont nombreuses. Une fois, lui; l'autre, souvent; l'un entre avec son propre sang, l'autre avec un sang étranger. Grandes différences. — Jésus est donc à la fois sacrifice, prêtre et victime. (526) S'il n'était pas tout cela, s'il devait offrir plusieurs sacrifices, il faudrait qu'il fût plusieurs fois crucifié : «Autrement », dit-il, « il aurait fallu qu'il eût souffert plus d'une fois depuis la création du monde (26) ».

Mais voici une parole profonde et mystérieuse : « Au lieu », dit-il, « qu'il n'a souffert qu'une fois vers la fin des siècles ». Pourquoi : « Vers la fin « des siècles?» Après de nombreux péchés commis dans le monde. Si tout s'était passé dès le commencement, personne ne l'aurait cru; et son incarnation avec tous ses dévouements devenaient inutiles; Jésus-Christ, en effet, n'aurait pu convenablement mourir deux fois. Mais après un long règne du péché, il convenait qu'il se montrât. C'est, au reste, ce qu'il dit ailleurs : «Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rm 5,20) « Et maintenant une seule fois vers la fin des siècles, il a souffert pour abolir le péché en s'offrant lui-même pour victime ».

1702 2. « Et comme il est arrêté que tous les hommes meurent une fois, et qu'ensuite ils soient jugés... (He 9,27) ». Après avoir prouvé que Jésus-Christ n'avait pas besoin de subir la mort plus d'une fois, saint Paul nous apprend pourquoi il dut mourir une fois. Il est établi, dit-il, pour tous les hommes de mourir une fois, voilà donc pourquoi il est mort une fois pour tous les hommes. Mais, dès lors, comment? Est-ce que nous ne subissons plus la mort dont il s'agit ici? Sans doute, oui, nous la subissons, mais non pour y demeurer; et déjà ce n'est plus mourir. Car la tyrannie de la mort, sa terrible réalité existe tout entière quand le mort n'a plus pouvoir de revenir à la vie. Que s'il revit après le coup fatal, et surtout s'il retrouve une vie meilleure, non ce n'est plus une mort, c'est un sommeil. Or, comme nous étions condamnés à rester toujours captifs sous cette main de la mort, le Sauveur est mort précisément pour nous délivrer.

«Ainsi Jésus-Christ a été offert une seule fois (He 9,28)». Par qui, offert? Far lui-même, ce qui montre en lui non-seulement le prêtre, mais encore la victime et le sacrifice. Ensuite l'apôtre nous donne la raison de cette oblation: « Offert une fois », dit-il, « pour effacer les péchés de plusieurs». Pourquoi de plusieurs et non pas de tous? Parce que tous n'ont pas cru. Il est mort pour les sauver tous; il a fait, en ceci, tout son devoir. Cette mort divine équivalait à la mort de tous les hommes; mais elle n'a ni éteint, ni levé les péchés de tous les hommes, parce qu'eux-mêmes s'y sont refusés. Mais qu'est-ce que « lever les péchés? » Cette expression rappelle notre prière à l'offertoire, alors que présentant nos péchés, nous disons : «Que nous a ayons péché volontairement ou involontaire« ment, Seigneur, pardonnez-nous ». Ainsi les lever, c'est nous en souvenir, et en implorer aussitôt le pardon. C'est exactement ce qui s'est fait par Notre-Seigneur. Et quand l'a-t-il fait? Ecoutez sa réponse : « Pour eux, je me sanctifie moi-même ». (Jn 17,19) Il a enlevé aux hommes leurs péchés et les a offerts à son Père, non pour requérir contre eux, mais pour les leur remettre ; « Et la seconde fois il apparaîtra sans péché pour le salut de ceux qui l'attendent sans péché ». Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire qu'il ne viendra plus pour effacer nos péchés, pour anéantir nos iniquités, pour mourir de nouveau. Car s'il est mort, ce n'est pas qu'il dût ce tribut à la nature, ce n'est pas non plus qu'il eût péché. «Il apparaîtra », comment? Comme vengeur, pouvait-il dire; mais laissant cette parole, il en prononce une bienheureuse et bien douce: « Il apparaîtra sans péché, pour le salut de ceux qui l'attendent », pour que désormais ils n'aient plus besoin de sacrifices; pour les sauver enfin, mais d'après leurs oeuvres.

« Car la loi n'ayant que l'ombre même des biens à venir et non l'image même des choses réelles», c'est-à-dire qu'elle n'en avait pas la vérité. Car jusqu'à ce qu'on pose les couleurs sur un tableau, ce n'est qu'une ébauche ; mais quand le dessin a disparu sous la couleur, c'est un portrait. La loi, c'était quelque chose de pareil. Reprenons :

« Car la loi n'ayant que l'ombre des biens à venir et non la vérité même des choses (entendez le vrai sacrifice, la vraie rémission des péchés), malgré les mêmes victimes qu'on ne cesse d'offrir, elle ne peut rendre justes et parfaits ceux qui s'approchent de l'autel. Autrement on aurait cessé de les offrir, parce que ceux qui lui rendent ce culte n'auraient plus senti leur conscience chargée de péchés, en ayant été une fois purifiés. Et cependant on y fait mention de nouveau tous les ans des péchés. Car il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte le péché. C'est pourquoi le Fils de Dieu entrant dans le monde, dit: Vous n'avez pas voulu d'hostie ni d'oblation; mais vous m'avez formé un corps. Vous n'avez point agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché. Alors j'ai dit: Me voici; il est écrit de moi à la tête du livre: Je viens, mon Dieu, pour faire votre volonté. Après avoir dit : Vous n'avez point voulu et vous n'avez point agréé les hosties, les oblations, les holocaustes et les sacrifices pour le péché, qui sont toutes choses qui s'offrent selon la loi; il ajoute ensuite : Me voici, je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté. Il abolit ces premiers sacrifices, pour établir le second ». (He 10,1-9.) Vous voyez quelle abondance de preuves. Notre victime est unique, dit-il; les vôtres nombreuses; et leur grand nombre même prouve leur impuissance.

1703 3. En effet, dites-moi, à quoi bon plusieurs victimes, quand une seule suffît? Leur nombre et leur offrande perpétuelle montrent que ceux qui les offrent ne sont pas purifiés. Quand un médicament est fort, capable de rendre la santé et de guérir entièrement la maladie, il suffit de le prescrire une fois pour qu'il opère tout son effet. Et si, prescrit une fois, il a opéré parfaitement, sa force est démontrée par cela seul qu'on ne l'ordonnera plus; son action est évidente, par cela même qu'on n'y fait plus appel. Au contraire, s'il faut le répéter toujours, c'est qu'évidemment il est sans vertu; car le propre d'un spécifique, c'est d'être prescrit une fois et non pas souvent. Appliquez ici cette comparaison. Pourquoi enfin faut-il toujours (527) les mêmes victimes? S'ils étaient délivrés de tous leurs péchés, pourquoi offrir chaque jour de nouveaux sacrifices? En effet, il était établi qu'on sacrifierait pour le peuple entier tous les jours, chaque soir et même pendant la journée. Cette pratique accusait les péchés des juifs et ne les remettait pas; elle avouait leur faiblesse et ne manifestait pas sa vertu. Une première immolation avait été impuissante : on en offrait une seconde; celle-ci ne produisait rien elle-même, il en fallait une troisième; c'était donc une déclaration sans réplique de leurs péchés. Le sacrifice était une preuve du péché, le sacrifice sans cesse réitéré était un aveu de l'impuissance du sacrifice.

En Jésus-Christ, le contraire a lieu. Il a été offert une fois, et à perpétuité ce sacrifice suffit. Aussi l'apôtre, avec raison, appelle les offrandes antiques des « copies » : elles n'ont, de leur modèle, que la figure, et non pas la vertu. C'est ainsi que les portraits ont l'image du modèle, sans en avoir la vertu. L'original et la figure ont quelque chose de commun: ils ont la même apparence, mais non la même force. Ainsi en va-t-il du ciel comparé au tabernacle; il y a similitude entre eux, sainteté de part et d'autre : mais la vertu et le reste ne sont plus les mêmes.

Comment entendre que le Seigneur, par son sacrifice, est apparu pour la ruine du péché ? Qu'est-ce que cette ruine ? C'est une sorte d'exclusion avec mépris; le péché n'a plus de pouvoir, il est ruiné, disgracié. Comment encore ? Il avait droit à réclamer notre châtiment, et il ne l'a pas obtenu ; en cela, il est exclu avec violence. Lui qui attendait l'heure de nous évincer tous et de nous détruire, a été lui-même supprimé et anéanti. — Jésus est apparu par son sacrifice, c'est-à-dire, il s'est montré lui-même, il s'est approché de Dieu. Quant aux prêtres des juifs, n'allez pas croire qu'en répétant souvent leur immolation dans une même année, ils le fissent au hasard, et non pas à cause de l'impuissance de leurs sacrifices. Si ce n'était par impuissance, pour quel autre motif agir ainsi ? Quand une plaie est guérie, il n'est plus besoin d'appliquer les médicaments. C'est pourquoi, dit saint Paul, Dieu a ordonné qu'on ne cessât d'offrir par impuissance même de guérir, pour rappeler sans cesse aux juifs la mémoire de leurs péchés.

Mais quoi ? Est-ce que nous n'offrons pas aussi tous les jours? Sans doute, nous offrons ainsi; mais nous ne faisons que rappeler la mémoire de la mort de Jésus-Christ, car il n'y a qu'une hostie et non pas plusieurs. Pourquoi une seulement et non pas plusieurs ? Parce qu'elle n'a été offerte qu'une seule fois, comme il n'y avait qu'un seul sacrifice offert dans le Saint des Saints : or ce sacrifice était la figure du nôtre, de celui que nous continuons d'offrir. Car nous offrons toujours le même, et non pas aujourd'hui un agneau, demain un autre; non, mais toujours le même. Pour cette raison, notre sacrifice est unique. En effet, de ce qu'on l'offre en plusieurs endroits, s'ensuit-il qu'il y ait plusieurs Jésus-Christ ? Non, certes, mais un seul et même Jésus-Christ partout, qui est tout entier ici, et tout entier là, un seul et même corps. Comme donc, bien qu'offert en plusieurs lieux, il est un seul corps et non pas plusieurs corps, ainsi n'avons-nous non plus qu'un seul sacrifice. C'est notre Pontife qui a offert cette victime, qui nous purifie. Et nous offrons maintenant aussi celle qui fut alors présentée et qui ne peut s'épuiser jamais. Et nous le faisons maintenant en souvenir de ce qui se fit alors : « Faites ceci en mémoire de moi », dit-il. Ce n'est pas à chaque fois une immolation différente, comme le grand prêtre d'alors, c'est la même que nous faisons; ou plutôt d'un seul sacrifice nous faisons perpétuellement mémoire.

1704 4. Mais, puisque j'ai rappelé ce grand sacrifice, il faut que je vous en parle un peu, à vous qui êtes initiés aux mystères; je dis un peu, parce que je serai court; je devrais dire grandement, à cause de l'importance et de l'utilité de ce sujet, car ce n'est pas moi qui parle, mais le Saint-Esprit. Que dirai-je donc ? Plusieurs, en toute une année, ne participent qu'une fois à ce sacrifice; d'autres, deux fois; d'autres, souvent. Je m'adresse donc à tous les chrétiens, non-seulement à ceux qui sont ici, mais encore à ceux qui demeurent dans le désert; car les solitaires n'y prennent part qu'une fois l'an, souvent même à peine une fois en deux ans. Mais, après tout, qui sont ceux que nous approuverons le plus de ceux qui communient une fois, de ceux qui communient souvent, ou de ceux qui communient rarement? Pas plus les uns que les autres; mais ceux-là seuls qui s'y présentent avec une conscience pure, avec la pureté du coeur, avec une vie à l'abri de tout reproche. Présentez-vous ces garanties? venez toujours! Ne les offrez-vous point? ne venez pas même une fois. Pourquoi? parce que vous y recevriez votre jugement, votre condamnation, votre supplice. N'en soyez pas étonnés : car ainsi qu'un aliment nourrissant de sa nature, mais qui tombe dans un corps rempli déjà d'autres aliments mauvais ou d'humeurs malignes, achève de tout perdre et de tout gâter, et occasionne une maladie ; ainsi agissent nos augustes mystères.

Quoi ! vous jouissez d'une table spirituelle, d'une table royale, et de nouveau votre bouche se souille de fange? Vous parfumez vos lèvres pour les remplir bientôt d'ordure? Dites-moi, lorsqu'au terme d'une longue année vous participez à la communion, pensez-vous que quarante jours vous suffisent pour purifier les péchés de toute cette période? Et même encore, à peine une semaine se sera-t-elle écoulée après votre communion, que vous vous livrerez à vos anciens excès! Or, si après quarante jours à peine de convalescence d'une longue maladie, vous vous permettiez sans mesure tous les aliments qui engendrent les maladies, ne perdriez-vous pas votre peine et vos efforts passés? Car si les forces naturelles subissent elles-mêmes des altérations, combien plus celles de nos résolutions et de notre libre arbitre! Par exemple, la vue est une faculté naturelle; nous avons naturellement les yeux sains, mais souvent une indisposition blesse chez nous ce précieux organe. Si donc ces facultés physiques peuvent (528) s'altérer, combien plus facilement celles qui dépendent de notre liberté! Vous accordez quarante jours, peut-être même moins, à la santé de votre âme, et vous croyez avoir apaisé votre Dieu ! O homme! vous moquez-vous enfin?

Je parle ainsi, non pour vous éloigner de cet unique et annuel accomplissement d'un devoir, mais parce que je voudrais que tous nous pussions le remplir assidûment. Au reste, je ne suis que l'écho de ce cri du diacre qui tout à l'heure appellera les saints, et qui par cette parole semblera sonder les dispositions de chacun, afin que personne n'approche sans préparation. De même que dans un troupeau où la plupart même des brebis sont saines, s'il s'en trouve qui soient malades, il faut qu'on les sépare des brebis saines, ainsi en est-il dans l'Eglise; parmi nos ouailles, les unes sont saines, les autres malades, et la voix du ministre de l'autel partout retentissante, les sépare; et cette voix terrible est l'écho de celle du prêtre qui appelle et attire exclusivement les saints. En effet, il est impossible à l'homme de connaître la conscience de son prochain : « Car », dit l'apôtre, « qui parmi les hommes connaît les secrets de l'homme, sinon la conscience humaine, parce qu'elle est dans l'homme? » (
1Co 2,11) C'est pourquoi la voix terrible retentit au moment où s'est achevé le sacrifice, afin que personne ne s'approche avec irréflexion et témérité de la grande source des grâces.

Dans un troupeau (car rien ne nous empêche d'exploiter encore cet exemple), dans un troupeau, nous démêlons, pour les enfermer à part, les animaux malades; nous les retenons dans les ténèbres, nous leur donnons une nourriture spéciale; nous ne leur permettons ni de respirer l'air frais, ni de se nourrir de l'herbe pure, ni de sortir pour aller boire aux fontaines. Eh bien ! cette voix du sanctuaire est aussi comme une chaîne. Vous ne pouvez dire : J'ignorais, je ne savais pas que la chose eût des conséquences dangereuses. C'est contre cette ignorance surtout que Paul a tonné. Vous direz peut-être : Je ne l'ai pas lu. Cela vous accuse, loin de vous excuser. Vous venez tous les jours à l'Eglise et vous ignorez un point de cette importance !


1705 5. Au reste, pour que vous ne puissiez vous couvrir d'un tel prétexte, le prêtre debout en un lieu éminent, et levant la main, comme le héraut de Dieu, crie à haute voix et d'un ton terrible; vous l'entendez au milieu d'un silence redoutable appeler d'une voix forte les uns, et repousser les autres : c'est le prêtre, il ne fait pas seulement le geste de la main, mais ses lèvres s'expriment plus clairement, plus nettement qu'une main menaçante. Cette voix pénétrant dans nos oreilles, est comme un bras puissant qui expulse les uns et les chasse dehors, tandis qu'il fait entrer et placer les autres. Dites-moi, je vous prie, aux jeux olympiques, n'avez-vous pas vu se lever le héraut, criant à haute et intelligible voix : Est-il quelqu'un qui accuse tel candidat d'être un vil esclave, un voleur, un libertin ? Or, ces combats n'ont rien pour l'esprit, le coeur ni les moeurs; tout y représente le corps et la force physique. Si donc pour ces exercices purement corporels, on fait une enquête si sérieuse des habitudes et de la conduite, bien plus est-elle requise quand il s'agit entièrement d'un combat de l'âme. Voici donc parmi nous aussi un héraut debout, prêt déjà, non pas à nous prendre et à nous conduire en nous tenant par la tête, mais à nous tenir tous ensemble par notre conscience; le voici qui ne fait pas appel à des accusateurs contre nous, mais qui nous oblige à nous accuser nous-mêmes. Il ne demande pas : Est-il quelqu'un pour accuser cet homme? Mais, écoutez; est-il quelqu'un qui s'accuse lui-même? Car lorsqu'il dit : Les choses saintes sont pour les saints, il dit quelque chose d'équivalent : Arrière celui qui n'est pas saint! Il faut,-dit-il, non-seulement être pur de. péchés, mais être saint. La délivrance et- le pardon des fautes ne suffisent pas pour sanctifier; il faut encore là présence de l'Esprit-Saint, et l'abondance des bonnes oeuvres. Je vous veux, ajoute-t-il, non-seulement exempts de souillures, mais déjà splendides de beauté et de blancheur. Car si le roi de Babylone, en choisissant les jeunes gens de la captivité, s'arrêta sur les mieux faits de corps et les plus beaux de visage, bien plus faut-il que les convives de cette table du souverain Roi, brillent par la beauté de leur âme, que l'or éclate sur eux, que leurs vêtements soient irréprochables, leur chaussure royale et toute leur physionomie spirituelle pleine de grâce, qu'ils aient parure d'or et ceinture de vérité. Qu'il approche le chrétien ainsi disposé, qu'il trempe ses lèvres au royal breuvage !

Mais s'il en est un, couvert de haillons, souillé d'ordure, et qu'il veuille avec ce honteux appareil approcher du banquet royal, imaginez quel supplice et quels remords l'attendent, puisque quarante jours ne suffisent pas à laver les péchés commis pendant une longue période de temps. Car si l'enfer ne suffit pas, bien qu'il soit éternel, (il n'est éternel, en effet, que parce qu'il est insuffisant), bien moins doit-on se contenter de ce temps si court de la sainte quarantaine. Ainsi faite, notre pénitence n'est point valide, mais impuissante.

Le divin Roi demande surtout de saints eunuques. Par eunuques j'entends ceux qui ont le coeur pur, sans souillure, sans tache, ceux dont l'âme est élevée ; je leur demande surtout un oeil du coeur, doux et pacifique, un oeil pénétrant et vif, sévère et attentif, et non pas somnolent et paresseux; un oeil libre et franc, mais non point hardi ni présomptueux; un oeil vigilant et fort, ennemi de la tristesse exagérée autant que d'une gaieté folle et dissipée. L'oeil de notre coeur avec toutes ses vertus, sera notre oeuvre; si nous voulons, nous pouvons nous former un regard très beau et très-pénétrant. Evitons d'exposer cet organe de la vue à la fumée et à la poussière, image trop vraie de toutes les choses humaines; nourrissons-le d'air pur et vif; dressons-le à contempler les hauteurs et les sommets sublimes, à plonger dans les milieux calmes, purs, réjouissants: bientôt nous l'aurons à la fois guéri et fortifié, en le baignant dans ces perspectives enchanteresses - 529

Ainsi, avez-vous aperçu des richesses mal acquises et excessives? Ne levez pas les yeux de ce côté : votre organe y trouverait boue et fumée, vapeur malsaine et ténèbres, angoisses cuisantes et ennuis suffocants. Avez-vous vu au contraire un homme juste, content de ce qu'il a, très large à pardonner, sans souci ni inquiétude des biens présents? Fixez, élevez sur lui votre regard; votre cil n'en deviendra que plus beau et plus clair, si vous le repaissez non de la vue des fleurs, mais plutôt de celle de la vertu, du désintéressement, de la modération, de la justice, de toutes les saintes habitudes. Car rien ne trouble l'oeil, autant que la mauvaise conscience. « Mon coeur s'est troublé de colère », dit le Prophète; rien ne répand en effet de plus épaisses ténèbres. Epargnez-lui cette triste épreuve, et vous le rendrez joyeux, vif et fort, et capable de se nourrir toujours de saintes espérances.

Que Dieu nous donne à tous d'acquérir cet oeil parfait et de régler ainsi toutes les opérations de notre âme selon la volonté de Jésus-Christ, afin que devenus dignes du chef sublime qui nous commande, nous partions un jour pour son saint rendez-vous. Car il dit : où je suis, je veux qu'ils soient aussi avec moi, et qu'ils aient la vision de ma gloire. (
Jn 17,24) Puisse-t-il nous être donné de la gagner en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Héb. I 1600