Chrysostome sur Héb. I 2000

HOMÉLIE 20

2000
SI NOUS PÉCHONS VOLONTAIREMENT APRÈS AVOIR REÇU LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ, IL N'Y A DÉSORMAIS PLUS D'HOSTIE POUR NOS PÉCHÉS ; IL NE NOUS RESTE QUE L'ATTENTE EFFROYABLE DU JUGEMENT ET D'UN FEU ARDENT QUI DOIT DÉVORER LES ENNEMIS DE DIEU. (
He 10,27-32)

Analyse.

1. Après les motifs d'honneur, les raisons de crainte. Toutefois saint Paul n'enseigne pas l'erreur des Novations et ne proscrit pas la pénitence, mais seulement l'anabaptisme.

2. L'enfer a un véritable et redoutable feu pour les prévaricateurs, et surtout pour les communions indignes. — La vengeance réservée et patiente n'en est que plus à craindre.

3 et 4. La richesse est une lourde chaîne, un préjugé. — Un mot aux femmes luxueuses et avares tout à la fois. — La cupidité est un esclavage comparable à celui des Israélites courbés sous le joug de Pharaon. — Ceux-ci emportèrent l'or d'Egypte ; nous n'emportons que les verges. — La ruine n'est qu'un mot, pour qui conserve l'action de grâces. — Exemple de Job; sortie contre les femmes. — Pourquoi la richesse n'échoit pas à tous. — Malheur à qui la reçoit et n'en est pas meilleur!

2001 1. Tout arbre dont la plantation et la culture auront demandé la main et les sueurs du laboureur, doit rapporter son fruit, sous peine d'être déraciné et jeté au feu. Cette comparaison s'applique aux âmes qui auront reçu la lumière, c'es-tà-dire le baptême. Après avoir été plantés par Jésus-Christ et avoir reçu sa rosée spirituelle, si nous ne donnons aucun fruit, le feu de l'enfer nous attend, avec ses flammes qui ne peuvent s'éteindre. Et c'est pourquoi non content de nous exhorter à pratiquer la charité et à produire les fruits des bonnes oeuvres, par les motifs les plus saints et les plus doux, tels que notre entrée assurée dans le ciel et la voie nouvelle que Jésus-Christ nous y a ouverte, saint Paul recommence à nous y exciter, en faisant appel aussi à des motifs plus terribles et plus redoutables. Il venait d'écrire : Ne délaissez pas nos saintes réunions, comme c'est l'habitude de quelques-uns; mais consolez-vous mutuellement, d'autant plus que vous voyez approcher le grand jour, qui suffit, en effet, à lui seul, pour vous consoler de tout. Maintenant il ajoute « Si nous péchons volontairement après avoir « reçu la connaissance de la vérité», tremblons, car il faut, entendez-le, il nous faut absolument des bonnes pauvres; autrement, « il ne nous reste a plus désormais de victime pour nos péchés ». Comprenez donc. Vous voilà purifié, délivré de vos crimes, monté au rang de fils. Si vous revenez à votre ancien vomissement, il ne vous reste que l'anathème, le feu, et tout ce que rappelle cet arrêt. Car vous n'avez pas une seconde victime.

A ce propos, nous sommes attaqués par l'hérésie qui déclare la pénitence impossible, et par ceux qui diffèrent à recevoir le baptême. Ceux-ci prétendent qu'il y a danger à recevoir le baptême, puisqu'il n'y a point de second pardon; ceux-là déclarent qu'il y a péril à admettre les pécheurs aux saints mystères, puisque le second pardon est impossible. Aux uns comme aux autres, que (536) dirons-nous? Que saint Paul ici ne détruit ni la pénitence, ni l'expiation qui en est l'oeuvre; et qu'il ne prétend ni chasser, ni abattre par le désespoir celui qui est tombé. Paul n'est pas à ce point l'ennemi de notre salut; il ne détruit que l'espoir d'un second baptême. En effet, il ne dit pas : Point de pénitence ! plus de pardon ! mais simplement. Désormais pas de victime, c'est-à-dire, la croix, qu'il appelle victime, ne se dressera pas une seconde fois. Une seule immolation a rendu parfaits à tout jamais ceux qui se sont sanctifiés, à la différence de l'oblation judaïque et des offrandes multipliées. Tel a été le dessein de l'apôtre, quand parlant de notre victime, il a si fort insisté sur cette vérité, qu'elle est une, absolument une; voulant ainsi, non-seulement montrer l'avantage qu'elle a sur les sacrifices judaïques, mais aussi pour rendre plus vigilants les Hébreux convertis, puisqu'ils ne doivent plus attendre une nouvelle victime comme autrefois sous l'ancienne loi.

« Si nous péchons volontairement », dit-il. Voyez-vous comme Dieu est porté à la clémence? Il s'agit de nos péchés volontaires : nos fautes involontaires obtiennent donc le pardon.— «Après avoir reçu la connaissance de la vérité », c’est-à-dire de Jésus-Christ ou de tous ses dogmes, « il ne nous reste plus d'hostie pour nos péchés»; que reste-t-il, au contraire ? « Une attente effroyable du jugement, un feu jaloux qui doit dévorer les ennemis de Dieu ». Ainsi les infidèles n'en seront pas seuls les victimes, mais tous ceux encore qui commettent des actes contraires à la vertu ; ou bien entendez que le même feu qui dévorera les ennemis, consumera aussi les enfants rebelles. Puis, pour nous montrer combien ce feu est dévorant, il lui prête une espèce de vie, en déclarant que c'est un feu jaloux qui doit consumer les ennemis. Pareille à une bête féroce irrite, exaspérée, qui n'a point de repos jusqu'à ce qu'elle ait saisi et dévoré quelqu'un, cette flamme de l'enfer parait obéir à l'aiguillon de la jalousie cruelle, saisit pour ne plus lâcher, ronge et déchire à tout jamais.

Ensuite l'apôtre nous donne la raison de ces menaces redoutables, et nous prouve qu'elles sont l'effet d'une justice inattaquable. Nous croirons, en effet, plus facilement l'existence du châtiment, quand nous en comprendrons le droit et le motif. « Celui qui a violé la loi de Moïse est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins (28) ». Sans miséricorde, remarque-t-il; ainsi en Israël, ni pardon, ni pitié; et pourtant ce n'est que la loi de Moïse; il est l'auteur d'un grand nombre de ses prescriptions. Que veut dire : « La déposition de deux ou trois témoins? » Que si deux ou trois personnes attestent la prévarication, aussitôt elle est punie. Si donc, dans l'Ancien Testament, une violation de la loi de Moïse est châtiée immédiatement par le dernier supplice, combien plus chez nous! Aussi conclut-il : «Combien donc croyez-vous que méritera de plus grands supplices, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour chose vile et profane le sang de l'alliance, et qui aura fait outrage à l'Esprit de la grâce (29) ! »

2002 2. Mais comment un homme foule-t-il aux pieds le Fils de Dieu? C'est quand, admis à participer à ses mystères, il commet, nous dit l'apôtre, un péché grave. Alors n'est-il pas vrai qu'il le foule aux pieds? N'est-il pas vrai qu'il le méprise? Nous foulons aux pieds ainsi ce dont -nous ne faisons aucun cas : ainsi les pécheurs ne tiennent aucun cas de Jésus-Christ, et c'est là le caractère du péché. Quoi! vous êtes devenu le corps de Jésus-Christ, et vous le jetez sous les pieds du démon! — « Il a tenu pour vil et profane le, sang de l'alliance ». Qu'est-ce qu'une chose vile et profane? C'est une chose impure, ou qui n'a rien de plus que la plus vile matière.- « Il a fait outrage à l'Esprit « de grâce »; car ne pas accepter un bienfait, c'est faire outrage au bienfaiteur. Il t'a fait son enfant; tu veux devenir esclave? Il est venu, il a fait en toi son séjour; et tu laisses entrer en ton coeur de coupables pensées? Jésus-Christ a voulu, chez toi, faire sa demeure, avoir une place ; et tu le foules aux pieds par le libertinage ou l'ivrognerie? Ecoutons, écoutons, nous qui participons indignement aux saints mystères; nous qui indignement approchons de la table sainte! « Gardez-vous de donner les choses saintes aux chiens », dit le Seigneur, « de peur qu'ils ne les foulent aux pieds» (Mt 7,6) ; c'est-à-dire de peur qu'ils n'aient pour elles que du mépris et du dégoût. Paul n'a pas seulement répété cette parole; il en a fait retentir une plus redoutable encore, bien capable de terrifier les âmes, et meilleure pour les faire rentrer en elles-mêmes qu'une douce et consolante exhortation. Il montre combien le sang de Jésus-Christ l'emporte sur la loi de Moïse, quel châtiment était infligé aux violateurs de celle-ci, puis il conclut en disant : Jugez vous-mêmes combien plus grande doit être la punition de ceux qui foulent aux pieds le sang de Dieu ! Je vois là une allusion aux sacrilèges commis contre nos saints mystères; et ce qui suit confirme cette interprétation.

« C'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant; car il est écrit : La vengeance m'est réservée et je saurai bien la faire, dit le Seigneur ». Et encore: « Le Seigneur jugera son peuple (30 et 31) ». Nous tomberons, dit-il, dans les mains du Seigneur, et non pas dans les mains des hommes. Oui, cette main divine vous attend, si vous ne faites pénitence. O terreur! ce n'est rien, après tout, que de tomber aux mains des hommes; et quand nous verrons un homme. puni en ce monde, nous dit l'apôtre, ne craignons pas pour lui le présent, tremblons pour son avenir! « Car autant le Seigneur a de miséricorde, autant est grand son courroux, et sa fureur s'appesantira sur les pécheurs ». (Qo 5,7)

Mais l'apôtre nous laisse deviner ici une autre leçon. « La vengeance m'est réservée », dit le Seigneur, « et je saurai la faire! » Cette menace atteint l'ennemi qui vous fait du mal, et non pas vous qui subissez l'injustice. Ceux-ci, au contraire, l'apôtre les console en leur disant, presque en propres termes : Dieu est vivant, il demeure éternellement... Que si ceux-là ne reçoivent pas dès (537) maintenant leur châtiment, plus tard ils le recevront. Ce sont eux qui doivent gémir, ce n'est pas nous. Nous tomberons dans leurs mains; eux, dans la main de Dieu! Ce n'est donc pas la victime qui est à plaindre, c'est l'oppresseur; comme ce n'est pas l'obligé, en définitive, mais le bienfaiteur, qui reçoit le bienfait.

Instruits de ces vérités consolantes, sachons être faciles à supporter le mal et l'injustice autant que prompts à faire du bien aux autres. Nous arriverons à cette disposition, si nous méprisons l'argent et la gloire. L'homme qui se dépouillera de ces peux passions sera, plus que personne, libre et grand, plus riche même que celui qui revêt la pourpre. Ne voyez-vous pas que de mal fait commettre la passion de l'or? Je ne parle pas des maux qu'engendrent l'avarice et la cupidité, mais de ceux qui naissent du seul amour de l'argent même bien acquis. Qu'un homme, par exemple, soit ruiné, il mène désormais une vie plus pénible que tout genre de mort. O homme ! pourquoi ces gémissements? Pourquoi tant de larmes? Est-ce parce que Dieu t'a délivré du triste et inutile souci de garder ton or, ou parce que désormais tu n'es plus assis auprès de ton trésor, dans la crainte et tremblement? Si un étranger t'avait lié à son coffre-fort, te forçant à rester là constamment assis, et à veiller pour lesbiens d'un autre, tu gémirais, tu serais furieux. Et lorsque spontanément tu t'étais chargé toi-même de chaînes si lourdes, maintenant délivré d'une pareille servitude, tu gémis! Nos douleurs ou nos joies ne sont, en vérité, que préjugés, puisque nous gardons nos richesses, comme si elles étaient la propriété d'autrui.

Un mot maintenant aux femmes. Une femme a-t-elle un vêtement tissu d'or? Avec quel soin elle en secoue la poussière, elle le plie, elle l'enveloppe! Dans la crainte de le gâter, elle n'en jouit presque pas. En effet, en attendant, elle meurt ou devient veuve. La crainte qu'elle a de l'user en le portant trop souvent, fait qu'elle s'en prive pour le ménager. — Mais elle le laissera pour une autre. — Rien n'est moins certain; et d'ailleurs en le laissant à une autre, celle-ci en usera de même. — Au reste, si l'on voulait fouiller ce que recèlent nos opulentes maisons, l'on verrait que maints habits précieux, maints objets recherchés sont plus honorés que leurs propriétaires vivants. Loin de s'en servir constamment, en effet, telle femme craint et tremble pour eux, elle en écarte les vers et tout ce qui peut les ronger, elle les dépose pour la plupart dans les parfums et les aromates, elle n'en permet pas même la vue, mais, d'accord avec son mari, elle ne fait que les ranger et les déranger.

2003 3. Saint Paul, dites-moi, n'a-t-il pas eu raison d'appeler l'avarice une idolâtrie? L'honneur, en effet, que les païens rendent à leurs idoles, ces malheureux le rendent à leurs tissus, à leurs bijoux d'or. Jusques à quand remuerons-nous cette fange? Jusques à quand serons-nous attachés à la boue et aux briques? Comme les enfants d'Israël travaillaient pour le roi d'Egypte, ainsi travaillons-nous pour le démon, qui nous maltraite plus cruellement encore que Pharaon les Hébreux. Ne voyez pas ici une hyperbole. Car plus l'âme l'emporte sur le corps, plus il est triste et pénible de la voir maltraiter par l'avarice qui sans cesse la flagelle, l'inquiète, la tourmente.

Gémissons donc et élevons vers Dieu nos regards suppliants! Il nous enverra non pas Moïse, non pas Aaron, mais sa parole, et une componction salutaire. Dès que cette parole sera venue et aura pénétré nos coeurs ; elle nous délivrera d'une cruelle servitude, et nous fera sortir de cette autre Egypte, de cette passion inutile et vainement laborieuse, de cet esclavage sans profit. Au moins les Israélites, sortant d'exil, reçurent de l'or, juste salaire de leurs travaux; mais nous autres, nous sortirons les mains vides, et encore serions-nous heureux si nous n'emportions rien; mais nous emportons avec nous, non les vases d'or et d'argent de l’Egypte, mais ses maux, ses péchés et les supplices dont Dieu les punit.

Apprenons donc à recueillir un vrai profit; apprenons à bien souffrir une injustice : c'est le caractère du chrétien. Méprisons les vêtements d'or, méprisons les richesses, de peur de mépriser notre salut. Méprisons l'argent, oui, et non point notre âme. A elle, en effet, le châtiment; à elle, le supplice un jour. Ces prétendus biens restent sur la terre; notre âme s'en ira ailleurs.

Pourquoi, dites-moi, vous déchirer vous-mêmes et ne pas le sentir? Je parle ici à ces avares, qui sont travaillés du désir de posséder toujours davantage. Mais il est bon de le dire aussi à ceux que les avares exploitent et volent. Supportez, chères victimes, les dommages que les avares vous font subir. Ils se suicident, et ne sauraient vous tuer. Ils vous privent de votre argent; mais ils se privent eux-mêmes de l'amour et du secours de Dieu. Or, dépouillé de cette grâce, possédât-on les richesses du monde entier, on est le plus pauvre de la terre; tandis que le plus pauvre des hommes, s'il jouit de la grâce de Dieu, est certainement le plus riche de tous, puisqu'il peut dire avec le Prophète: « Le Seigneur me conduit, rien ne me manquera jamais ». (
Ps 22,1)

Si vous aviez, dites-moi, un protecteur haut placé et admirable qui vous aimât extrêmement, qui vous portât intérêt; et si d'ailleurs vous saviez qu'il vivra toujours, que vous ne mourrez pas vous-même avant lui, et qu'il vous fera part de tout ce qu'il a, pour en jouir en toute sûreté comme d'un bien qui vous sera propre et personnel, dès lors vous mettriez-vous en peine de rien acquérir? En vous supposant même dépouillé de tout, ne vous croiriez-vous pas plus riche que personne? Pourquoi donc pleurez-vous? — De n'avoir pas d'argent? Mais pensez que, par là même, l'occasion de pécher vous est ôtée. — D'avoir perdu vos biens? Mais vous avez gagné l'amitié de Dieu. — Et comment l'ai-je gagnée, dites-vous? C'est lui-même qui vous dit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas l'injustice » plutôt que de la commettre? Et :« Rendez grâces au ciel de toutes choses » ; et « Bienheureux les pauvres de bon gré! » (1Co 6,7 1Th 5,18 Mt 5,3 Mt 5) Imaginez donc à quelle hauteur vous êtes dans son amitié, si vous mettez ces conseils en pratique.

538

En effet,on ne nous demande qu'une chose: c'est de remercier Dieu en tout et toujours; dès lors, nous aurons tout en abondance. Par exemple, avez-vous perdu dix mille livres d'or? Remerciez Dieu tout aussitôt et vous avez gagné cent mille livres par cette parole d'abnégation et de reconnaissance. Car, dites-moi : à quel moment appelez-vous Job bienheureux? Est-ce quand il est propriétaire de tant de chameaux, de tant de gros et menu bétail? N'est-ce pas plutôt quand il fait entendre cette parole ? « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, son nom soit béni! » (Jb 1,21) Quand le démon nous veut perdre, ce n'est pas en nous enlevant les richesses, il sait qu'elles ne sont rien ; mais il veut par cette ruine nous forcer à prononcer quelque blasphème. Ainsi agissait-il à l'égard du bienheureux Job; son but unique n'était pas de le réduire à la pauvreté, mais de lui arracher un blasphème. Voyez plutôt quel langage il lui tient par l'épouse même du patriarche. Dès que celui-ci est dépouillé de tout : « Prononcez », lui dit-elle, « une parole contre Dieu, et puis mourez ». — Mais, maudit Satan, tu l'as déjà dépouillé de tout! — Je n'ai pas ainsi atteint mon but. J'ai tout fait pour arriver et je n'ai pu parvenir à le priver aussi du secours de Dieu. Voilà ce que je veux; ce que j'ai fait d'ailleurs n'est rien. Si je n'atteins pas mon but ultérieur, non-seulement Job n'aura subi aucun mal, mais son épreuve lui aura servi.

2004 4. Voyez-vous comment le démon sait le prix de cette ruine spirituelle? Aussi emploie-t-il à cette fin le piège même d'une épouse impie. Ecoutez ici, vous tous qui avez des femmes passionnées pour l'argent, lesquelles vous forceraient à blasphémer contre Dieu! Souvenez-vous de Job. Mais plutôt voyons, s'il vous plait, la grande douceur avec laquelle il lui ferme la bouche. « Pourquoi », lui dit-il, « avez-vous parlé comme une femme insensée? » (Jb 2,10) En effet, « les mauvais « discours corrompent les bonnes moeurs ». (1Co 15,33) Toujours, hélas! mais surtout dans le malheur, l'influence des mauvais conseils est grande. Notre âme se sent déjà portée d'elle-même à la colère et au désespoir : combien plus elle y obéit, quand elle rencontre un mauvais conseiller! N'est-elle pas alors poussée au précipice? La femme est un grand bien, comme elle est un grand mal. Remarquez, en effet, comment le démon cherche à faire brèche dans ce mur inexpugnable. La perte de tous ses biens n'a pu l'entamer; cette ruine n'a pas produit contre lui grand effet. Convaincu d'avoir en vain dit à Dieu : « Vous verrez que Job vous maudira en face» (Jb 1,11), le démon arme l'épouse, pour arriver à vaincre. Vous avez ouï ce qu'il en espérait! Mais cet engin de guerre ne lui a pas réussi.

Ainsi, nous-mêmes, si nous supportons tout avec reconnaissance, nous recouvrerons même nos biens; sinon, du moins aurons-nous une plus magnifique récompense, comme il est advenu à ce coeur de diamant, à ce patriarche qui, après une lutte courageuse et victorieuse, a vu le Seigneur lui donner encore la fortune. Job avait prouvé au démon qu'il ne servait pas Dieu par un motif de vil intérêt; le Seigneur, en retour, voulut bien lui rendre plus qu'il n'avait auparavant. C'est en effet ce qui arrive. Quand Dieu voit que nous ne sommes pas attachés aux biens de la vie, il nous les donne; quand il nous voit préférer les biens spirituels. il nous accorde les biens temporels par surcroît, mais jamais ceux-ci d'abord, de peur que nous n'oubliions les biens spirituels. C'est donc par un ménagement de sa providence qu'il nous refuse les biens du corps, afin de nous en séparer même malgré nous.

Mais non, direz-vous; quand je reçois, au contraire, je suis comblé et je rends grâces plus volontiers! — Cela n'est pas, ô homme ; tu n'en es que plus lâche et plus ingrat. — Mais pourquoi Dieu donne-t-il à d'autres? — Etes-vous bien sûr que c'est lui qui donne? — Qui est-ce, si ce n'est lui? — Leur avarice, leur rapacité sait s'enrichir. — Alors comment Dieu permet-il ces crimes? — Comme il tolère le meurtre, les vols, les violences.- Alors que dites-vous de ceux qui, bien que remplis d'iniquités Bans -nombre, reçoivent de leurs ancêtres un riche héritage ? Comment Dieu les en laisse-t-il jouir? — Comme il fait pour les voleurs, les meurtriers et tous les autres malfaiteurs. L'heure n'est pas venue de les juger, mais bien de régler parfaitement votre conduite. Ce que j'ai dit déjà, je le répète. Ils seront d'autant plus sévèrement châtiés, qu'ayant ainsi reçu tous les biens, ils n'en seront pas devenus meilleurs. Car tous les méchants ne seront pas également punis. Ceux qui, couverts des bienfaits de Dieu, demeurent mauvais, seront plus durement châtiés. Mais il n'en sera pas ainsi des hommes qui auront vécu dans la pauvreté. Pour vous convaincre de cette divine justice, écoutez ce que Dieu dit à David: « Ne vous ai-je pas donné tous les biens du roi votre maître?» (2R 12,8) Quand donc vous verrez un jeune homme recevoir sans travail l'héritage paternel et persévérer dans le péché, soyez sûr que son châtiment vient de s'accroître, et son supplice d'augmenter. Ne portons pas envie à de tels misérables, mais rivalisons avec ceux qui savent hériter de la vertu et acquérir les biens de la grâce. « Car, malheur », dit l'Ecriture, « à ceux qui se confient dans leurs richesses!» et: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur ! » (Ps 48,7) De quel côté vous rangez-vous, dites-le-moi? Du côté de ceux qu'elle proclame bienheureux, sans doute? Soyons donc saintement jaloux de ceux-ci et non point des autres,afin d'acquérir,comme les premiers, lesbiens promis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, honneur, empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE 21 RAPPELEZ EN VOTRE MÉMOIRE CE PREMIER TEMPS OÙ, APRÈS AVOIR ÉTÉ ILLUMINÉS PAR LE BAPTÊME, VOUS AVEZ SOUTENU DE GRANDS COMBATS DE SOUFFRANCES, ETC.

2100 (He 10,32-39 He 11,1-3)

Analyse.

1 et 2. Après la terreur, l'encouragement. — Louanges adressées aux Hébreux qui ont souffert pour Jésus-Christ, et se sont associés aux souffrances de ses apôtres. — La souffrance voulue, cherchée, subie avec joie, est un héroïsme véritable : c'est celui des apôtres. — La patience est nécessaire toujours; elle naît comme nécessairement de la foi et de l'espérance. — Magnifique idée de la foi.
3 et 4. La foi est appuyée sur les prophéties du Sauveur; celles qui se sont réalisées ne pouvaient l'être humainement; elles garantissent celles qui concernent le jugement à venir. — La fin des temps est proche. — Celle du monde, dit l'orateur, peut n'être pas loin; mais celle de chacun de nous est proche : notre vie est si courte! Tremblons! Il y va de l'enfer! — Nous jouons trop avec le péché, et surtout avec celui de la détraction. — Vains subterfuges pour couvrir la médisance. — Nous répondrons de nos paroles peu charitables au jugement de Dieu.

2101 1. Quand un grand médecin vient de faire à son malade une incision profonde et d'ajouter à ses douleurs une plaie cuisante, il s'empresse de soulager le membre souffrant et de prodiguer à cette âme troublée les secours et les encouragements; bien loin de vouloir trancher de nouveau dans le vif, l'homme de l'art emploie sur la première plaie les médicaments les plus adoucissants, et tout ce qui peut enlever le sentiment de la douleur. Telle est aussi la méthode de Paul. Il lui a fallu secouer fortement ses chers disciples, et les toucher de componction par le souvenir de l'enfer dont il a parlé; il a dû leur déclarer que le prévaricateur qui aura violé la loi de grâce est certain de périr; et il a démontré cette perte assurée par les lois de Moïse; il a même confirmé son dire par d'autres témoignages, et déclaré qu'il est horrible de tomber dans les mains du Dieu vivant. Maintenant, il craint que leur âme, arrivant au désespoir par l'excès de la crainte, ne reste absorbée dans sa douleur; et il les console par les louanges, il les relève par l'exhortation, il leur présente une sainte rivalité avec eux-mêmes.

« Rappelez-vous », leur dit-il en effet, « ce premier temps où, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats de souffrances (
He 10,32) ». Douce et puissante exhortation que celle qui est tirée de leurs propres oeuvres ! Aussi bien faut-il que celui qui débute dans une entreprise, fasse des progrès par la suite. C'est donc comme s'il disait : Au temps de votre initiation, quand vous n'étiez encore que disciples, vous avez montré une ardeur, une générosité d’âme que vous ne montrez plus au même degré. Cette exhortation, vous le voyez, s'appuie sur leurs propres exemples. Et il ne dit pas : Vous avez soutenu des combats, mais de grands combats. Il n'emploie pas seulement le mot tentations, mais celui de combats qui porte avec lui son éloge et tout un ensemble de magnifiques louanges. Ensuite il repasse une à une leurs victoires, développant son thème, redoublant les éloges. Écoutez : « Ayant été d'une part exposés devant tout le monde aux opprobres et aux mauvais traitements (He 10,33) ». C'est chose grave, en effet, qu'un opprobre; c'est chose capable de percer le coeur et de bouleverser l'âme, et de répandre les ténèbres dans une raison humaine. Entendez à ce sujet le Prophète : « Mes larmes ont été mon pain jour et nuit, tant qu'on m'a dit chaque jour : « Où est votre Dieu ? « Et encore : » Si mon ennemi m'avait outragé, je l'aurais enduré ». (Ps 41,4)(Ps 13) Comme les humains ont surtout la maladie de la vaine gloire, l'opprobre est un piège qui les prend facilement. Et, non content de rappeler les opprobres, l'apôtre témoigne qu'ils ont eu un caractère public de gravité : « Ils ont été donnés en spectacle ». Lorsque quelqu'un se voit poursuivi de malédictions, sa peine est vive, mais elle l'est beaucoup plus quand elles retentissent devant tout le monde. Pour eux qui avaient quitté les rites si imparfaits du judaïsme, pour passer à une religion parfaite, en sacrifiant les traditions de leurs ancêtres, quel chagrin c'était, dites-moi, que de subir les mauvais traitements de leurs compatriotes, sans pouvoir même se défendre ! Bien que vous ayez tant souffert, ajoute-t-il, on ne peut dire que vous ayez fait entendre des plaintes, puisqu'au contraire vous en avez témoigné toute votre joie.

C'est dans le même sens qu'il leur dit. « Et d'autre part, ayant été compagnons de ceux qui ont souffert de pareilles indignités, vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes (He 10,34) », mettant en scène ici les apôtres. Non-seulement, dit-il, vous n'avez point rougi d'être maltraités par ceux de votre nation, mais vous avez été les compagnons d'autres martyrs encore, qui ont enduré les mêmes souffrances que vous. Vous reconnaissez ici dans saint Paul la voix qui console et qui encourage. Il n'a pas dit. Vous subissez avec moi les afflictions, vous partagez mes combats; mais: « Vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes ». Voyez-vous comme il parle de lui-même sans doute, mais, aussi d'autres captifs ? Vous n'avez point considéré ces chaînes comme des chaînes, leur dit-il, et sans vous effrayer, vous êtes demeurés fermes comme de (540) courageux athlètes; et loin d'avoir besoin d'être consolés dans vos tribulations, vous avez su consoler les autres.

« Et vous avez accueilli avec joie le pillage de vos biens ». Dieu ! quelle foi chez eux, pleine, certaine, convaincue ! Saint Paul fait bien voir la cause de leur fermeté, non-seulement pour les exhorter à de nouveaux combats, mais pour les engager à ne pas déchoir de cette foi sublime. Vous avez vu, dit-il, le pillage de vos biens, et vous l'avez supporté ; car vos regards se portaient alors vers les biens invisibles que vous envisagiez déjà comme visibles; preuve d'une foi éminente, que vous avez, d'ailleurs, manifestée par vos oeuvres. — Mais ce pillage était peut-être, de la part de vos ennemis, un acte de pure violence que vous n'auriez pu empêcher? Il n'est donc pas évident que vous ayez subi votre ruine pour le motif de la foi ? — Au contraire, c'était si évidemment pour la foi, que vous pouviez, en abjurant votre religion, conjurer ce pillage. Aussi avez-vous fait bien plus encore que. de consentir à le subir; vous l'avez supporté avec joie, ce qui est une vertu toute apostolique et digne de ces grandes âmes dont la joie éclatait jusque sous les fouets. Car il est dit « qu'ils revinrent joyeux de l'assemblée des juifs, parce qu'ils avaient été trouvés dignes d'être accablés d'outrages pour le nom de Jésus ». (Ac 5,41) Au reste, cette joie dans la souffrance révèle dans un martyr l'espoir d'une récompense, et la conviction que loin d'y perdre, il y gagne certainement. Et ce mot : « Vous avez accueilli », montre une souffrance volontiers acceptée. Et pourquoi l'avez-vous choisie et accueillie ? C'est parce que « vous saviez que vous aviez d'autres biens plus excellents et permanents». — «Permanents », c'est-à-dire fermes et durables, et non pas périssables comme ceux de la terre. Après les avoir ainsi loués, il dit :

2102 2. « Ne perdez donc pas la confiance que vous avez, qui doit être récompensée d'un grand prix (He 10,35) ». Que dites-vous, bienheureux Paul? Vous ne prononcez pas qu'ils ont perdu la confiance, et qu'ils ont à la regagner; loin de leur ôter ainsi l'espoir, vous dites qu'ils l'ont encore, qu'ils ne doivent pas la perdre; et ainsi vous les encouragez. Vous l'avez encore, dit l'apôtre. Pour acquérir de nouveau ce qu'on a perdu, il faut plus de travail; il en faut bien moins pour éviter de perdre ce qu'on possède encore. Aux Galates son langage est tout autre : « Mes petits enfants, pour lesquels je souffre des douleurs de mère, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous ». (Ga 4,19) Il trouvait chez eux plus de paresse et de lâcheté; aussi avaient-ils besoin d'entendre des paroles plus énergiques. Les Hébreux avaient seulement le coeur faible et découragé; leur état réclamait donc un discours de guérison et d'encouragement. Ne perdez donc pas, leur dit-il, votre confiance : ils étaient donc en grande faveur auprès de Dieu. « Parce qu'elle doit être récompensée d'un grand prix ». Qu'est-ce à dire, sinon: nous la recevrons plus tard? Si donc elle est réservée à une vie future, il ne faut pas la demander à celle-ci. Et de peur qu'on ne lui objecte : Mais nous avons tout sacrifié! — Il prévient cette difficulté de leur part en disant équivalemment : Si vous savez que le ciel vous garde des biens tout autrement précieux, ne cherchez plus rien ici-bas. Car la patience vous est nécessaire, non pas que vous deviez combattre encore plus, mais pour que vous restiez dans les mêmes combats, et que vous ne jetiez pas à vos pieds la palme que vous tenez déjà. Vous n'avez qu'un besoin donc : c'est de résister, comme vous l'avez fait jusqu'ici afin qu'arrivés au terme de la carrière, vous receviez la récompense promise.

« Car la patience vous est nécessaire, afin que faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis (He 10,36) ». Votre unique et nécessaire devoir est donc de supporter le délai de Dieu, mais non pas de subir de nouvelles luttes. Déjà, leur dit-il, vous touchez à la couronne, vous avez vaillamment tout subi, combats, chaînes, afflictions ; tous vos biens ont été pillés. Que reste-t-il donc ? Désormais vous ne faites plus qu'attendre l'heure du couronnement ; vous ne supportez plus qu'une peine légère, celle du délai de votre couronne à venir. O magnifique consolation ! Il semble qu'on parle à un athlète qui a renversé et vaincu tous ses antagonistes, et qui ne voit plus se. lever aucun adversaire pour accepter la lutte; n'ayant désormais qu'à recevoir la couronne, il s'irrite du temps que le juge du combat met à venir enfin pour placer le laurier sur son front; impatient, il veut sortir de l'arène et fuir l'amphithéâtre, n'y tenant plus de chaleur et de soif. Que dit donc l'apôtre, dans une circonstance semblable ? « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas (He 10,37) ». Pour prévenir ce cri de leur impatience: Quand donc viendra-t-il? l'apôtre les console par les saintes Ecritures. Déjà, dans un autre passage, il encourage ses disciples, en disant : « Notre salut est plus proche », parce qu'il reste peu de temps à courir. Et il ne parle pas de lui-même, mais d'après les saints Livres. Car, si déjà dans ces temps lointains, on disait : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas » (Rm 13,11), il est évident que le Libérateur est plus voisin encore. L'attendre donc, c'est accroître encore la récompense.

« Or, le juste vivra de la foi. Que s'il se relire, il ne plaira pas à mon coeur (He 10,38) ». Exhortation bien pressante qui leur apprend que même après avoir été jusque-là parfaits dans leur conduite, ils perdraient tout par le ralentissement. « Mais quant à nous, nous ne sommes point les enfants de la révolte, ce qui serait notre ruine; mais nous demeurons fermes dans la foi pour le salut de nos âmes (39) ».

« Or la foi est la substance des choses que l’on doit espérer et une pleine conviction de celles qu'on ne voit point. C'est par la foi que les anciens Pères ont reçu un témoignage si avantageux ». (He 11,1-2) Ciel ! quelle admirable exactitude d'expression! La foi est la « démonstration », dit-il, « des choses qui ne paraissent pas encore » c'est-à-dire, la conviction pleine de l'invisible. La démonstration, d'ordinaire, ne se dit que d'une (541) vérité certaine. La foi est donc une vue de vérités non manifestes encore, et l'invisible qu'elle nous révèle doit être admis avec une persuasion aussi certaine que le visible. Ce que nous voyons, il nous est impossible de ne le pas croire ; or, si l'objet de la foi qui échappe à notre oeil ne nous paraît pas aussi vrai et plus sûr même que le monde visible, nous n'avons pas la foi. Comme les choses que nous espérons paraissent n'avoir pas de corps ni de consistance, la foi donne une substance et un corps à ces objets de l'espérance; ou plutôt, elle ne leur donne pas, elle est elle-même leur essence. Prenons un exemple : La résurrection n'est pas encore arrivée ; elle n'a donc pas encore de substance, elle n'existe pas; mais l'espérance lui crée une subsistance dans notre âme, voilà ce que veut dire : « La substance des choses qu'on doit espérer ». Si donc la foi seule a la démonstration de l'invisible, pourquoi voulez-vous voir celui-ci, et vous exposer à perdre la foi, à compromettre ce principe par lequel vous êtes justes, puisque le « juste vivra de la foi? » Si vous voulez être voyants, vous cessez d'être croyants. Vous avez travaillé et combattu, je me plais à le dire ; mais, attendez! Attendre, c'est la foi; ne cherchez pas tout ici-bas.

2103 3. Ces paroles ont été dites aux Hébreux; mais l'avis qu'elles renferment s'adresse à un grand nombre de ceux qui sont ici rassemblés. A qui surtout? A ceux qui ont le coeur étroit et défaillant, à ceux aussi qui manquent de patience. Les uns et les autres ne peuvent voir la prospérité des méchants, ni leurs adversités à eux-mêmes, sans être accablés de tristesse et d'indignation, appelant sur ceux-là le supplice et la vengeance du ciel, en même temps que fatigués d'attendre leur propre récompense.

« Encore un peu de temps », disait saint Paul, « et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas ». Répétons-le, nous aussi, aux lâches et aux paresseux : la punition arrivera certainement, elle viendra, la résurrection même déjà est à nos portes. — Mais qui le prouve, dira-t-on? — Je ne demanderai pas mes preuves aux prophètes. Je ne parle pas seulement à des chrétiens en ce moment, mais mon auditeur fût-il un gentil, j'ai pleine confiance, j'apporte. des preuves certaines ; je puis le convaincre, lui aussi; et comment? Écoutez-moi.

Jésus-Christ a fait plusieurs prophéties. Si les unes ne se sont pas réalisées, ne croyez pas aux autres; mais si elles se sont accomplies en tous points, pourquoi douteriez-vous de celles qui restent à accomplir? Lorsqu'une partie de ces prophéties se sont accomplies, il serait aussi déraisonnable de ne pas croire aux autres, qu'il le serait d'y croire, si rien ne s'était encore accompli. Au reste, un exemple va rendre la chose évidente : Jésus-Christ a dit que Jérusalem serait prise, et qu'elle le serait avec des circonstances inouïes jusqu'alors, et qu'elle ne serait jamais rebâtie : sa prédiction s'est réalisée. — Il a dit qu'une terrible affliction frapperait le peuple juif : elle est arrivée. — Il a prédit l'extension de son Evangile, pareil d'abord au grain de sénevé : et nous le voyons se propager de plus en plus dans l'univers entier.

Il a prédit que quiconque abandonnerait son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, retrouverait son père et sa mère; et nous voyons ce fait réalisé. — Il a dit à ses disciples : « Vous aurez des tribulations en ce monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde »; c'est-à-dire, personne ne vous vaincra, et l'événement nous l'a prouvé. — Il a dit que les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Église, bien qu'elle doive souffrir persécution, et que personne n'éteindra son Évangile : cette prédiction est vérifiée par l'expérience. — Et quand le Seigneur faisait ces prophéties, elles avaient un caractère incroyable. Pourquoi? C'est que l'on ne pouvait y voir que des paroles, et que lui-même n'apportait pas de preuve de l'avenir qu'il annonçait. Aussi ces prophéties n'en sont que plus dignes de foi aujourd'hui. — Il a dit que la fin viendrait après que l'Évangile aurait été annoncé à toutes les nations. Voici qu'en effet nous touchons à la fin; car la prédication a été faite à la plus grande partie de la terre. (
Lc 19,44 Mc 13,2 Mt 24,14 Mt 14,21 Lc 13,19 Mt 19,29 Mt 16,18 Jn 16,33)

Donc la fin est proche. Tremblons, mes frères. Mais quoi ! vous qui m'entendez, êtes-vous même inquiets de cette fin redoutable? Et pourtant la voici pour vous déjà imminente et présente. La vie s'achève, pour chacun de nous, et de plus en plus, la mort s'avance. Car, dit l'Écriture : « La somme de nos jours l'un dans l'autre est de soixante-dix ans; et pour les mieux partagés, quatre-vingts ans ». Le jour de notre jugement est proche; tremblons encore une fois. « Le frère ne rachète pas le frère : quel homme donc vous rachètera? » Nos regrets seront immenses, dans l'autre vie : « Mais dans la mort, personne ne pourra louer Dieu ! » Aussi est-il dit : « Prévenons sa face, pour le louer » (Ps 89,10 Ps 48,8 Ps 6,6 Ps 94,2), c'est-à-dire devançons son avènement. De ce côté, nos efforts ont leur prix et leur puissance ; ils ne pourront rien dans l’autre monde.

Dites-moi, je vous prie, si l'on nous renfermait pour un temps assez court dans une fournaise embrasée, ne ferions-nous pas tous les sacrifices pour être délivrés, fallût-il donner toute notre fortune, fallût-il subir l'esclavage? Combien d'hommes sous le poids de maladies graves seraient prêts à donner tout pour guérir, si on leur laissait le choix! Si donc une maladie, si peu qu'elle dure, nous ennuie et nous tourmente à ce point, que ferons-nous dans cet autre monde où la pénitence même sera impossible?

Que de maux nous accablent, que nous ne sentons même pas! nous nous mordons les uns les autres, nous nous entre-dévorons par mille injustices, accusations, calomnies, jalousies chagrines de la gloire du prochain. Et voyez quel péché grave! Quand on veut blesser la réputation du prochain, l'on dit : « Un tel ou un tel a dit cela! Que Dieu me pardonne!... Qu'il ne m'examine pas moi-même; je ne suis coupable que d'avoir entendu ». — Mais si vous n'y croyez pas, (542) pourquoi le dites-vous, enfin? Pourquoi le répétez-vous ? Pourquoi à force d'en répandre le bruit, rendez-vous le fait croyable? Pourquoi colporter un mensonge? Vous n'y croyez pas, et vous demandez que Dieu vous épargne son redoutable examen ? Ah ! plutôt, ne dites rien, taisez-vous, et alors seulement soyez rassuré.

2104 4. Je ne sais vraiment comment cette maladie a pu envahir les hommes. Non, nous ne sommes que des comédiens; nous ne savons rien garder dans notre âme. Ecoutez l'avis du Sage : « Avez-vous entendu un bruit fâcheux? qu'il meure dans votre sein; ne craignez pas; votre coeur n'en crèvera point! » Et ailleurs : « L'insensé a entendu une parole; il est en travail pour la redire, comme la femme qui enfante ». (Qo 19,10-11) Nous sommes si prompts à l'accusation, si disposés à condamner! Ah! quand nous n'aurions pas commis d'autre péché, celui-là suffirait pour nous perdre et nous conduire en enfer. Il nous enveloppe, il nous jette dans un réseau inextricable de fautes sans nombre.

Pour mieux l'apprécier, écoutez le Prophète : « Tu t'asseyais pour parler contre ton frère ». (Ps 49,20) — Mais ce n'est pas moi, dites-vous, c'est cet autre. — Non, c'est vous autant que lui. Car si vous n'aviez rien dit, il n'aurait rien appris. Et dût-il même l'apprendre d'ailleurs, au moins ne seriez-vous pas coupable de péché, lorsque votre devoir est de couvrir et de cacher les fautes du prochain. Mais vous, sous prétexte d'aimer la vertu, vous les révélez, et vous êtes moins un accusateur, qu'un hypocrite, un homme en délire, un insensé. Triste habileté ! vous vous couvrez de honte autant que votre victime, et vous ne le sentez même pas !

Or, voyez que de maux découlent d'une seule faute! Vous irritez Dieu, vous désolez votre prochain, vous vous rendez digne de l'éternel supplice. N'entendez-vous pas ce que Paul dit ait sujet des veuves : « Non-seulement elles sont curieuses et veulent tout savoir; mais encore intarissables de la langue et des yeux, elles courent les maisons, et disent ce qui ne convient pas ». (1Tm 5,13) C'est pourquoi, lors même que vous croiriez ce que l'on dit contre votre frère, vous n'avez pas même dans ce cas le droit d'en parler; à plus forte raison, si vous n'y croyez pas.

Ah ! plutôt, étudiez ce qui vous regarde ; tremblez que Dieu ne vous examine. Car ici vous ne pouvez me répondre : Est-ce que Dieu m'examinera pour des bagatelles? — Je le veux, ce sont des riens; mais pourquoi les colportez-vous? Pourquoi grossir le mal? Cette conduite peut nous perdre; et c'est pourquoi Jésus-Christ disait: « Ne jugez pas, pour que vous ne soyez pas jugés ». Mais nous ne tenons pas compte même du divin Maître. La punition du pharisien ne nous corrige pas, et ne nous rend ni plus modestes ni plus réservés. Il disait avec vérité, cet orgueilleux : « Je ne suis pas semblable à ce publicain! » et il le disait sans témoin, et il fut cependant condamné. Si énonçant un fait véritable, et l'énonçant loin de toute oreille étrangère, il fut pourtant condamné; qu'adviendra-t-il à ceux qui vont répétant partout des mensonges, dont ils n'ont aucune preuve, pareils en cela à des femmes frivoles et loquaces? Quel ne sera pas leur châtiment, leur juste punition ?

Mettons désormais une porte et une serrure à notre bouche. Ces riens dangereux engendrent des maux sans nombre; des familles sont bouleversées, des amitiés brisées ; des misères infinies en résultent. O homme! n'examinez point curieusement les affaires de votre prochain. — Mais vous êtes bavard, c'est votre maladie? —Parlez de vos affaires à Dieu ; ce ne sera plus un vice et un danger pour vous, mais un avantage. Racontez-les à vos amis, aux hommes justes, à ceux qui possèdent votre confiance, afin qu'ils prient pour vos péchés. Si vous parlez des faits et gestes du prochain, loin d'y gagner, loin d'en profiter, vous êtes perdu. Si Dieu est notre confident pour tout ce qui vous regarde, vous amasserez une belle récompense. « Je l'ai dit », chantait le Psalmiste: « J'accuserai contre moi-même et à Dieu toutes mes iniquités! Et vous, Seigneur, vous m'avez pardonné l'impiété de mon coeur! » Vous voulez juger? Jugez vos oeuvres. Personne ne vous accusera plus, si vous vous condamnez vous-même; mais on vous accusera, si vous ne vous jugez pas. Oui, l'on vous accusera si vous ne faites pas votre aveu; on vous accusera si vous n'avez pas de repentir. Voyez-vous quelqu'un s'irriter, s'emporter, commettre quelque péché grave et indigne ? Pensez aussitôt à vos propres actions; ainsi vous ne le condamnerez pas sévèrement, et vous vous épargnerez un faix énorme de péchés.

Si nous réglons ainsi notre vie, si nous l'occupons de la sorte, si nous prononçons nous-mêmes notre condamnation, nous ne commettrons peut-être que bien peu de péchés ; tandis que celte douceur, cette réserve nous enrichira d'actions honnêtes et glorieuses, et nous fera jouir de tous les biens promis à ceux qui aiment Dieu. Puissions-nous les conquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père, dans l'unité du Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Héb. I 2000