Chrysostome sur Jean 24

HOMÉLIE XXIV. PENDANT QU'IL ÉTAIT DANS JÉRUSALEM A LA FETE DE PAQUES, PLUSIEURS CRURENT EN SON NOM. (2,23-3,14)

Jn 2,23-25 Jn 3,1-13

ANALYSE.

1. Tous ceux que la doctrine a attachés à Jésus-Christ ont été plus fermes et plus constants que ceux que les prodiges avaient attirés. - Pourquoi il ne se fait plus de miracles.
2. Nicodème, faiblesse et imperfection, de sa foi; condescendance de Jésus-Christ.
3. Ne chercher pas à approfondir avec trop de curiosité les saints mystères. - La curiosité égare de la foi. - Lorsqu'on ne soumet pas sa raison à la foi, on tombe dans mille absurdités. - La raison humaine qui n'est. pas éclairée d'en-haut ne produit que des ténèbres. - Les richesses sont des épines qui nous déchirent.


1. Entre ces hommes «qui voyaient alors les «miracles» de Jésus-Christ, les uns demeuraient dans leurs erreurs, les autres embrassaient la vérité; mais plusieurs d'entre eux ne l'ont gardée que peu de temps, et sont retombés ensuite. Jésus-Christ nous les a fait connaître dans la comparaison qu'il en a faite avec les semences qui ne jettent pas de profondes racines et qui, tombant sur une terre sans profondeur, sèchent aussitôt (Mt 13,3) C'est d'eux aussi que parle en cet endroit l'évangéliste, quand il dit: «Pendant qu'il était dans Jérusalem à la fête de Pâques, plusieurs crurent en son nom, voyant les miracles qu'il faisait, mais Jésus ne se fiait point à eux (24)». Les disciples, qui, touchés non-seulement de ses miracles, mais encore de sa doctrine, étaient venus à lui, et l'avaient suivi, furent plus fermes; car les prodiges attiraient les plus grossiers, mais les prophéties et la doctrine engageaient ceux qui avaient de la raison et du jugement. Tous ceux donc que la doctrine lui a attachés ont été plus fermes et plus constants que ceux que les prodiges avaient attirés, et ce sont ceux-là que Jésus-Christ a déclarés bienheureux par ces paroles: «Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru». (Jn 20,29) Mais que les autres n'étaient pas de vrais disciples, ce qui suit le prouve: «Jésus ne se fiait point à eux». Pourquoi? Parce qu'il connaissait tout. «Et qu'il n'avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d'aucun homme; car il connaissait par lui-même ce qu'il y avait dans l'homme (25)», c'est-à-dire, pénétrant au fond de leurs coeurs et dans leurs pensées, il n'écoutait pas leurs paroles, et sachant que leur ferveur n'était que pour un temps, il ne se fiait point à eux, comme à de parfaits disciples: il ne leur confiait pas toute sa doctrine comme à des personnes qui auraient fermement embrassé sa foi.

Or, de connaître le coeur des hommes, cela n'appartient qu'à Celui «qui a formé le coeur de chacun d'eux» (Ps 32,15), savoir, de Dieu seul; car «vous seul», dit l'Ecriture, «vous connaissez les murs». (Ac 1,24) Il n'avait pas besoin de témoins pour connaître les pensées et les mouvements de coeur qu'il avait formés: c'est pourquoi il ne se fiait pas aux premières marques de foi qu'ils donnaient. Souvent les hommes, qui ne connaissent ni le présent, ni l'avenir, disent sans crainte et confient tout à des fourbes, qui viennent [212] malignement les écouter, pour se retirer et les quitter peu après: Jésus-Christ ne fait pas de même, connaissant parfaitement tout ce que ces hommes avaient de plus secret et de plus caché dans leurs coeurs. Tels sont aujourd'hui plusieurs, qui véritablement ont le nom de fidèles, mais qui sont inconstants et volages. Voilà pourquoi Jésus-Christ ne se fie point à eux, mais leur cache beaucoup de choses. Comme en effet nous ne nous fions pas à toute sorte d'amis, mais seulement aux vrais; de même Dieu ne se fie pas indifféremment à tous. Ecoutez plutôt ce que Jésus-Christ dit à ses disciples: «Je ne vous appelle plus serviteurs, car vous êtes mes amis». Comment? pourquoi? «Parce que je vous ai fait savoir. «tout ce que j'ai appris de mon Père». (Jn 15,15) C'est pour cette raison qu'il refusait aux Juifs les miracles qu'ils demandaient il savait qu'ils ne les demandaient que pour le tenter.

Est-ce maintenant, comme autrefois, tenter Dieu, que de lui demander des miracles? Car il y a aujourd'hui des gens qui font la question suivante: Pourquoi maintenant encore Dieu ne fait-il pas des miracles? Si vous êtes fidèles, comme vous devez l'être; si vous aimez Jésus-Christ, comme il est juste de l'aimer, vous n'avez pas besoin de miracles les miracles sont pour les infidèles. Pourquoi donc, direz-vous, n'en a-t-on pas donné aux Juifs? Sûrement on leur en a donné! mais, quelquefois ils ont été repoussés, lorsqu'ils en demandaient, parce qu'ils ne les demandaient pas pour se guérir de leur aveuglement et de leur incrédulité, mais pour s'y fortifier davantage et devenir plus méchants.

«Or, il y avait un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, sénateur des Juifs (2), qui vint la nuit trouver. Jésus». Cet homme semble défendre Jésus-Christ au milieu de la prédication de l'Evangile, car il dit: «Notre loi ne condamne personne sans l'avoir ouï auparavant». (Jn 7,51) Les Juifs se fâchent contre lui et lui répondent avec indignation: «Lisez avec soin les Ecritures, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée». (Jn 7,52) De même, après que Jésus-Christ eut été crucifié, il eut un grand soin de la sépulture du corps de Notre-Seigneur. «Nicodème», dit l'évangéliste, ce qui était venu trouver Jésus, durant la «nuit, y vint aussi avec environ cent livres d'une composition de myrrhe et d'aloès». (Jn 19,39) Dès lors cet homme était bien affectionné pour Jésus-christ: mais néanmoins, non pas autant qu'il était juste, ni avec l'esprit qu'il fallait; une certaine faiblesse juive le dominait encore. C'est pourquoi il vint de nuit; car il n'aurait pas osé venir de jour. Mais Dieu, plein de bonté et de miséricorde, ne le rejeta point, ne lui fit aucun reproche et ne le priva pas de sa doctrine. Il lui parla au contraire avec beaucoup de douceur, il lui découvrit sa. sublime doctrine, à la vérité d'une manière enveloppée, mais toutefois il la lui découvrit: car il était beaucoup plus excusable que ceux qui faisaient la même chose avec une maligne disposition. En effet, ceux-ci sont tout à fait indignes d'excuse; celui-là était à la vérité blâmable, mais point tant que les autres. Pourquoi donc l'évangéliste ne l'a-t-il pas marqué? D'abord il a dit ailleurs que plusieurs des sénateurs mêmes avaient cru en Jésus-Christ; mais qu'à cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître publiquement, de crainte d'être chassés de la synagogue. Mais ici il a tout dit, tout fait connaître par ces mots: il est venu durant la nuit. Que dit donc Nicodème? «Maître, nous savons que vous êtes, venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur; car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu, n'est avec lui (3)».

2. Nicodème rampe encore à terre, il a encore de Jésus-Christ des sentiments tout humains, il parle de lui comme d'un prophète, les miracles qu'il a vus n'ont point élevé son esprit et ne lui ont rien inspiré de grand. «Nous savons», dit-il, «que vous êtes un docteur envoyé de Dieu .» Pourquoi donc venez-vous de nuit secrètement trouver celui qui dit des choses divines et qui est envoyé de Dieu? Pourquoi ne l'abordez-vous pas avec confiance? «Mais Jésus-Christ ne lui dit pas même cela,, il ne lui fait aucune réprimande: «Car il ne brisera point le roseau cassé», dit l'Ecriture, «et il n'éteindra point la mèche qui fume encore: il ne disputera point, il ne criera point». (Is 42,3 Mt 12,19-20) Et en un autre endroit: «Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde». (Jn 12,47)

Personne ne saurait faire les miracles que «vous faites, si Dieu n'est avec lui». Cet homme parle encore selon, l'opinion des [213] hérétiques: il dit que Jésus-Christ est mû par un autre, et qu'il a besoin du secours d'autrui pour faire ce qu'il fait. Que répond donc Jésus-Christ? Voyez sa grande douceur. Il n'a point dit: Je n'ai besoin du secours de personne, et je fuis tout par ma puissance et avec autorité: car je suis le vrai Fils de Dieu et j'ai le même pouvoir que mon Père. Il ne s'est pas expliqué alors sur ce point par condescendance pour la faiblesse de son auditeur: ce que je dis souvent, je vous le répéterai ici: pendant longtemps, Jésus-Christ s'est moins attaché à révéler sa dignité qu'à persuader qu'il ne faisait rien contre la volonté de son Père. Voilà pourquoi souvent dans ses discours il se rabaisse: mais il n'en est pas de même quand il agit. Ainsi, opère-t-il des miracles, il parle avec autorité, disant: «Je le veux, soyez guéri (Mc 1,41): Ma fille, levez-vous, je vous le commande (Mc 5,41): Etendez votre main (Mc 3,5): Vos péchés vous sont remis (Mt 9,5): Tais-toi; calme-toi (Mc 4,39): Emportez votre lit, et vous en allez en votre maison (Lc 5,24); «Esprit impur, sors de cet homme (Mc 5,8): Qu'il vous soit fait selon que vous demandez (Mt 8,13): Si quelqu'un vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin (Mt 21,3): Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (Lc 23,43): Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: vous ne tuerez point; mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère sans raison contre son frère, méritera d'être condamné par le jugement (Mt 5,21-22): Suivez-moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes». (Mt 4,19) Et partout nous voyons sa grande autorité. Car personne ne pouvait trouver à redire à ses oeuvres: et en quoi l'aurait-on pu? Encore si l'effet n'avait pas suivi sa parole, quelqu'un aurait pu dire que ces ordres étaient vains et présomptueux; mais comme ils avaient leur prompt accomplissement, là vérité du miracle forçait les Juifs malgré eux-mêmes à garder le silence. Mais en ce qui regarde les paroles, leur impudence aurait pu les porter à les accuser de hauteur et de vanité.

Maintenant donc Jésus-Christ parlant à Nicodème, ne lui dit ouvertement rien de grand, rien de sublime; mais par des paraboles et des figures il le ramène et le tire des bas sentiments qu'il avait conçus de lui, lui faisant connaître qu'il se suffisait à lui-même pour opérer des miracles; car son Père l'a engendré parfait, se suffisant à soi-même et n'ayant aucune imperfection. Mais de quelle manière Jésus-Christ établit-il cette vérité? Nicodème a dit: «Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur, et que personne ne saurait faire les miracles que vous faites si Dieu n'était avec lui». En quoi il crut avoir dit de Jésus-Christ quelque chose de grand. Que fit donc Jésus-Christ? Il lui fit voir qu'il était encore bien éloigné de la vérité, qu'il n'en avait pas la moindre idée, et que lui et tout autre qui parlait de la sorte, et qui avait une pareille opinion du Fils unique, errait hors du royaume de Dieu et n'approchait pas encore de la véritable connaissance. Que dit-il? «En vérité, en vérité, je vous dis que personne ne peut voir le royaume de Dieu s'il ne renaît de nouveau»; c'est-à-dire, si vous ne renaissez d'en haut et si vous ne recevez pas la véritable connaissance des mystères, vous errez au dehors et vous êtes éloigné du royaume de Dieu. Mais il ne le dit pas clairement, et afin que ce qu'il disait lui cause moins de peine et d'inquiétude, il lui parle d'une manière enveloppée; il dit en général. «si on ne renaît», comme s'il disait: Si vous, ou quelqu'autre que ce soit, vous avez de moi de tels sentiments, vous êtes tous hors du royaume. Si ce n'était pas dans cet esprit que Jésus-Christ a dit ces choses, sa réponse ne conviendrait point au sujet. Au reste, si les Juifs l'avaient ouïe, ils se seraient retirés et en auraient ri. Mais Nicodème, même en cela, montre un sincère désir de s'instruire: Souvent Jésus-Christ parle d'une manière couverte, et c'est pour rendre ses auditeurs plus prompts à l'interroger et plus attentifs. En effet, ce qui est clair et d'une facile intelligence n'attire pas l'attention de l'auditeur et se, perd aisément de la mémoire; mais l'attention et la curiosité se réveillent quand on dit quelque chose d'obscur, et aussi on le retient mieux et plus longtemps.

Voici ce que signifient ces paroles de Jésus-Christ: Si vous ne renaissez d'en-haut, si vous ne recevez le Saint-Esprit par le baptême de la régénération, vous ne pouvez véritablement me connaître: l'opinion que vous avez de moi n'est point spirituelle, elle est charnelle. Jésus-Christ ne s'est pas servi de ces termes, de peur [214] d'intimider Nicodème, qui avait parlé selon son esprit et sa capacité; mais, après avoir gagné sa confiance, il l'élève à une plus grande connaissance, en disant: «Si on ne renaît d'en-haut»: ce mot, «d'en-haut», les uns l'entendent du ciel; d'autres disent qu'il signifie «de nouveau»: Celui, dit-il, qui ne renaît pas de cette manière, ne peut point voir le royaume de Dieu, c'est-à-dire, Jésus-Christ lui-même; par là il faisait connaître qu'il n'était pas seulement ce que l'on voyait au dehors, mais que, pour le voir, il fallait avoir d'autres yeux.

Nicodème ayant ouï cela, dit: «Comment peut naître un homme qui est déjà vieux? (4)» Quoi! vous l'appelez maître, vous dites qu'il est venu de la part de Dieu; et à celui que vous reconnaissez pour votre maître, vous faites une réponse qui peut l'embarrasser et le jeter dans un grand trouble! En effet, cette parole: «Comment», exprime le doute d'une âme peu croyante et encore attachée à la terre. Sara rit en disant: «Comment», et ce rire marquait son doute et sa défiance, et plusieurs autres, pour avoir fait une pareille demande, se sont égarés de la foi.

3. C'est ainsi que les hérétiques, faisant de semblables demandes, s'obstinent dans leurs hérésies. Les uns disent: COMMENT s'est-il incarné? d'autres: COMMENT est-il né? Par où ils soumettent l'immense substance à leurs faibles lumières. Nous donc, fuyons une curiosité si mal placée. Ceux qui agitent ces sortes de questions ne sauront jamais comment ces choses se sont faites et perdront la vraie foi. Voilà pourquoi Nicodème, dans son doute, cherche et demandé: COMMENT. Il a compris que ce que disait Jésus-Christ le regarde; il en est tout troublé; couvert de ténèbres, il s'arrête et ne sait où aller. Il a cru venir trouver un homme, et il entend une doctrine trop grande et trop élevée pour qu'elle puisse venir d'un homme, une doctrine que jamais personne n'a entendue: véritablement Jésus-Christ élève son esprit aux sublimes paroles qu'il lui a fait entendre, mais Nicodème retombe dans les ténèbres et ne peut en sortir: il ne peut se fixer, il est emporté de toutes parts, souvent il s'écarte de la foi. C'est pourquoi il persiste à tenter l'impossible, afin d'engager Jésus-Christ à lui enseigner plus clairement sa doctrine. «Un homme», dit-il, «peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère pour naître encore?»

Considérez, mes frères; quels propos ridicules on profère, quand, dans les choses spirituelles, on se livre à ses propres pensées; et comment on semble débiter des rêveries dignes d'une personne ivre, lorsque, contre la volonté de Dieu, on veut trop curieusement sonder sa parole, et ne pas soumettre sa raison à la foi. Nicodème entend parler de naissance, et il ne comprend pas que c'est d'une naissance spirituelle qu'on parle; mais il tourne sa pensée sur la méprisable génération de la chair, et veut rattacher un mystère si grand et si sublime à l'ordre de la nature. Delà ces doutes, ces questions ridicules; c'est ce qui fait dire à saint Paul: «L'homme animal n'est point capable dès choses qui sont de l'Esprit de Dieu». (1Co 2,14) Mais toutefois Nicodème garde le respect qu'il doit à Jésus-Christ: il ne rit pas de ce qu'il a entendu: il le regarde comme impossible, il se tait. Deux choses pouvaient paraître douteuses: cette nouvelle naissance et le royaume. Car ces noms de royaume et de renaissance étaient encore inconnus parmi les Juifs; mais il s'arrête principalement à la première de ces choses: voilà ce qui agite son esprit et le tourmente le plus.

Instruits de ces vérités, mes chers frères, ne raisonnons pas sur les choses divines, ne les comparons pas aux productions de la nature, et ne les soumettons pas à des lois nécessaires; mais, confiants aux paroles de l'Ecriture, croyons pieusement à tout ce qu'elle nous enseigne. Celui qui sonde avec trop de curiosité ne gagne rien, et outre qu'il ne trouvera point ce qu'il cherche, il sera de plus très-rigoureusement puni. Vous dit-on que le Père a engendré? Croyez ce qu'on vous dit; ne cherchez point à connaître COMMENT: vous ne le savez pas; que ce ne soit point une raison pour vous de refuser de croire à cette génération; c'est en quoi il y aurait une extrême méchanceté. Si Nicodème, ayant ouï parler de génération, non de l'ineffable génération, mais de la renaissance qu'opère la grâce; si, dis-je, Nicodème, pour n'avoir pas élevé son esprit, n'avoir rien pensé de grand, n'avoir conçu que des idées basses, humaines et toutes terrestres, s'est précipité dans le doute et dans les ténèbres, ceux qui sondent et examinent curieusement cette redoutable et si respectable génération, qui surpasse notre raison et toutes nos pensées, quel supplice ne mériteront-ils pas? Rien ne produit de plus épaisses ténèbres [215] que la raison humaine, qui ne s'entretient que de choses terrestres et n'est point éclairée d'en-haut. Car elle est toute offusquée par la fange terrestre de ses pensées. C'est pourquoi nous avons besoin de ces sources d'eau qui tombent du ciel, afin qu'après avoir lavé la boue dont notre âme est souillée, ce qui y restera de pur s'élève en haut et aille se mêler avec la divine doctrine. Or, cela arrive. lorsque nous avons soin d'embellir notre âme et de vivre dans la pureté et dans la sainteté. Car notre âme peut se couvrir de ténèbres; oui, elle le peut, non-seulement par une curiosité mal placée, mais encore par la mauvaise vie. Voilà pourquoi saint Paul disait aux Corinthiens: «Je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas capables; et à présent même vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes «encore charnels, puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes». (1Co 3,2) Le saint apôtre dit encore, dans l'épître aux Hébreux, et souvent ailleurs, que c'est là la source et la cause des mauvaises doctrines qui s'élèvent et se répandent dans l'Église. L'âme qui s'est adonnée à ses passions ne peut rien voir de grand, rien penser de noble et d'élevé; étant offusquée par une espèce de chassie, elle demeure ensevelie dans de profondes ténèbres.

Purifions donc notre âme, éclairons-la de la lumière que répand la connaissance de Dieu, de peur que la semence ne tombe parmi les épines. Vous savez quelle est l'abondance de ces épines, quoique nous n'en parlions point. Vous avez souvent entendu Jésus-Christ appeler du nom d'épines (Mt 13,22), les inquiétudes de ce siècle et l'illusion des richesses. Et certes, c'est avec raison: comme les épines sont stériles, les richesses le sont aussi; comme celles-là déchirent ceux qui en approchent, de même celles-ci déchirent l'âme, et comme le feu les consume facilement, et que les vignerons ne peuvent les souffrir, le feu de même consumera les biens de ce monde, de même le vigneron les rejettera; et encore, comme les bêtes dangereuses, telles que les vipères et les scorpions, se cachent dans les épines, elles se cachent aussi dans les trompeuses richesses. C'est pourquoi mettons le feu du Saint-Esprit dans ces épines, et préparons notre champ, arrachons-en toutes les mauvaises plantes, afin qu'il soit net à l'arrivée du vigneron; arrosons-le ensuite des eaux spirituelles. Plantons-y le fertile olivier, cet arbre si beau, si agréable, qui est vert en tout temps, qui éclaire, qui nourrit, qui est bon à la santé. L'aumône renferme en soi toutes ces qualités, elle est comme un sceau qui garantit la possession de nos biens. La mort même ne sèche point cet arbre, mais il demeure ferme, et ne meurt jamais; toujours éclairant l'âme, entretenant ses forces, les conservant dans toute leur vigueur», il la rend plus robuste. Si nous le possédons toujours, cet arbre, nous pourrons avec confiance nous présenter à l'époux, et entrer dans la chambre nuptiale; fasse le ciel que nous y entrions tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il. - 216 -



25

HOMÉLIE XXV. JÉSUS LUI RÉPONDIT: EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS DIS QUE SI UN HOMME NE RENAÎT DE L'EAU ET DE L'ESPRIT, IL NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. (VERSET 5)

Jn 3,5

ANALYSE.

1. Saint Chrysostome prêchait deux fois la semaine. - Nicodème n'entend, pas les paroles du Sauveur parce qu'il vent raisonner humainement dans les choses spirituelles. - Si un homme ne naît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux.
2. et 3. Croire ce qu'on ne voit point. - Dans la première création, le Créateur s'est servi de la terre pour créer l'homme. - Dans la seconde, le Saint-Esprit se sert de l'eau. - Le premier homme a été créé avec une âme vivante; et le second est rempli de l'Esprit vivifiant. - Le premier homme avait besoin d'un aide; le second, recevant la grâce du Saint-Esprit, n'a pas besoin d'un autre aide. - Belle description de ce que Dieu a fait pour le premier homme, et de ce qu'il fait pour le second. Nous attendons une autre vie beaucoup meilleure. - Se soumettre à la parole de Dieu, elle est plus certaine que la vue. - C'est elle qui a tout produit, elle mérite que nous la croyions. - L'eau est nécessaire au baptême, pourquoi? - Cérémonies du baptême. - Les grands mystères que Jésus-Christ a opérés pour nous, et qu'il nous a confiés, doivent nous porter à mener une vie qui en soit digne. - Les catéchumènes sont hors du corps des fidèles. - Contre les catéchumènes qui diffèrent jusqu'à la mort de recevoir le baptême. - Prêter son argent à Jésus-Christ, pour obtenir la rémission de ses péchés. - Donner les petits biens qu'on a pour en acheter de très-grands.


1. Les petits enfants vont tous les jours à l'école trouver leur maître, recevoir la leçon et la réciter, et ne cessent jamais de faire le même exercice, ou plutôt souvent au jour ils joignent la nuit. Et vous les obligez de faire tout cela pour des biens fragiles et passagers; mais nous ne demandons pas de vous, qui êtes dans un âge plus fort et plus mûr, ce que vous exigez de vos enfants. Nous ne vous demandons pas de venir tous les jours au sermon, mais nous vous exhortons seulement d'y assister deux fois la semaine, et d'y être attentifs, et encore, afin d'adoucir votre peine et votre travail, ce n'est que pour une petite partie du jour. Voilà pourquoi nous prenons et nous expliquons peu à peu les paroles de l'Ecriture, afin que vous ayez plus de facilité à les comprendre, à les placer dans les réservoirs de votre mémoire, et à les retenir dans votre esprit, pour les rapporter aux autres avec beaucoup de soin et d'exactitude, si vous n'êtes pas extrêmement négligents et plus paresseux que de petits enfants.

Reprenons donc la suite des paroles de notre évangile. Nicodème était tombé dans de basses idées, il avilissait ce qu'avait dit Jésus-Christ, l'entendant d'une naissance charnelle, et il disait qu'il est impossible qu'un homme qui est déjà vieux pût naître une seconde fois. Jésus-Christ explique plus clairement comment se doit faire cette renaissance, véritablement en des termes difficiles à comprendre pour celui qui l'avait interrogé avec un esprit charnel et tout terrestre, mais qui toutefois pouvaient le relever et le tirer des bas sentiments qu'il avait conçus. En effet, que dit le divin Sauveur? «Je vous dis en vérité que si un homme ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu»; c'est-à-dire: vous pensez que ce que je dis est impossible; et moi, je le dis tout à fait possible, et même si nécessaire que sans cela personne ne peut être sauvé; car les choses nécessaires, Dieu les a rendues tout à fait faciles. Et certes la naissance terrestre, qui est selon la chair, vient de la poussière; c'est pourquoi les portes du ciel lui sont fermées: Qu'est-ce en effet qu'a de commun la terre avec le ciel? mais la naissance qu'opère le Saint-Esprit nous ouvre facilement les portes célestes.

Ecoutez ceci, vous tous qui n'avez pas encore reçu le baptême: Soyez saisis de frayeur, [217] gémissez: la menace que vous venez d'entendre fait trembler, cette sentence est terrible. «Celui», dit Jésus-Christ, «qui n'est pas né de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume des cieux», parce qu'il porte un vêtement de mort, c'est-à-dire de malédiction et de corruption: il n'a pas encore reçu le symbole du Seigneur (1). il est un étranger et un ennemi. Il n'a pas le signe royal: «Si un homme», dit-il, «ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux».

1. Le symbole du Seigneur, c'est-à-dire, la foi, la grâce.

Mais Nicodème ne l'a pas pris en, ce sens. Sur quoi je dis qu'il n'est rien de pire que de se livrer aux raisonnements humains dans les choses spirituelles! Voilà ce qui a empêché cet homme de s'élever à quelque chose de grand et de sublime. Nous sommes appelés fidèles, afin que, méprisant la faiblesse des raisonnements humains, nous nous élevions à la sublimité de la foi, et que nous confiions notre trésor et nos biens à cette doctrine. Si Nicodème l'avait fait, cette régénération ne lui aurait pas paru impossible. Que dit donc Jésus-Christ? Pour le tirer de ce sentiment bas et rampant, et pour montrer qu'il parle d'une autre génération, il dit: «Si un homme ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux». Or, il parle ainsi pour l'amener à la foi par cette menace, pour le convaincre qu'il ne doit pas croire que ce soit là une chose impossible, et pour le tirer de la pensée d'une génération charnelle. Je parle, dit-il, d'une autre naissance, ô Nicodème! pourquoi, ce que je dis, l'abaissez-vous jusqu'à terre? Pourquoi, ce qui est au-dessus de la nature, le soumettez-vous aux lois de la nature? cette naissance surpasse la naissance ordinaire, elle n'a rien de commun avec nous. L'autre est également appelée naissance; mais ces deux naissances n'ont rien de commun entr'elles que le nom, elles diffèrent dans la chose. Eloignez de votre esprit l'idée des générations ordinaires: j'introduis dans le monde une autre sorte de naissance. Je veux que les hommes soient engendrés d'une autre manière; j'apporte un autre mode de création. J'ai formé l'homme de la terre et de l'eau, cette figure de terre et d'eau n'a rien produit de bon; le vase a pris une mauvaise forme. Je ne veux plus me servir de terre et d'eau, mais de l'eau et de l'Esprit.

Que si quelqu'un me fait cette question Comment de l'eau peut-il se faire quelque chose? Je lui en ferai une autre, et je lui dirai: comment de la terre s'est-il pu faire quelque chose? comment la génération a-t-elle pu être si multiple, les productions si diverses, quand la matière qui a été employée était d'une seule espèce? D'où se sont formés les os, les nerfs, les artères, les veines? D'où se sont formés les membranes, les vaisseaux organisés, les cartilages, les tuniques, le foie, la rate, le coeur? D'où s'est formée la peau, le sang, la pituite, la bile? D'où viennent tant d'opérations? d'où se produisent tant de différentes couleurs? car ces choses ne naissent pas de!a terre ou de la boue. Comment la terre ensemencée pousse-t-elle là semence au dehors, et la chair corrompt-elle ce qu'elle reçoit? comment la terre nourrit-elle ce qu'on jette dans son sein; et la chair au contraire est-elle nourrie de ce qu'elle reçoit, loin de le nourrir? Donnons un exemple: la terre ayant reçu de l'eau en a fait du vin, et la chair change en eau le vin qu'elle reçoit. D'où sait-on donc que c'est la terre qui produit ces choses, puisque dans ces productions, comme j'ai dit, la terre produit un effet tout contraire? Je ne puis le concevoir par le raisonnement, je ne le conçois donc, et je ne le sais que par la foi seulement; or, si les choses mêmes qui se font tous les jours, qui se passent sous nos yeux, sous nos sens, et que nous touchons et manions de nos mains, ont besoin de la foi, à combien plus forte raison des choses mystérieuses et spirituelles en auront-elles besoin? car comme la terre, tout inanimée et immobile qu'elle est, a reçu de Dieu, par le commandement qu'il lui en fait, la vertu de produire des choses si admirables et si merveilleuses, de même de l'Esprit et de l'eau joints ensemble s'opèrent facilement tous ces prodiges et ces miracles, qui surpassent la raison.

2. Ne refusez donc pas de croire ce que vous ne voyez pas. Vous ne voyez point l'âme, et néanmoins vous croyez qu'il y a une âme, et une âme distincte du corps. Mais Jésus-Christ n'emploie pas cet exemple pour instruire Nicodème, il se sert d'un autre. Il ne lui propose pas celui-ci, qui est incorporel et insensible, savoir: l'exemple de l'âme, parce que Nicodème était encore trop grossier. Il lui présente donc un autre exemple, emprunté à une chose qui certainement n'a pas la grossièreté des [218] corps, ni aussi la spiritualité des êtres incorporels, c'est-à-dire, l'impétuosité et l'agilité des vents. D'abord il commence par l'eau, qui est plus subtile et plus légère que la terre, et plus épaisse que le vent. Comme dans la création la terre servit de matière et que le Créateur fit tout le reste, maintenant de même, l'eau sert de matière, et la grâce du Saint-Esprit fait tout le reste: alors l'homme reçut «l'âme et la vie» (Gn 2,7); maintenant il est rempli de l'Esprit vivifiant». (1Co 15,45) Mais il y a une grande différence entre l'une et l'autre chose; car l'âme ne donne pas la vie, mais l'Esprit, non-seulement vit par lui-même, mais encore il communique la vie aux autres. C'est ainsi que les apôtres ont rendu la vie aux morts. Autrefois l'homme ne fut formé qu'après la création du monde, maintenant, au contraire, le nouvel homme est créé avant la nouvelle création. Car il est régénéré le premier, et ensuite le monde est transformé. Et comme au commencement le Créateur a créé le premier homme tout entier, maintenant de même le Saint-Esprit crée le second homme tout entier. Alors Dieu dit: «Faisons-lui un aide semblable à lui» (Gn 2,18); mais ici il ne dit rien de semblable. En effet, celui qui a reçu la grâce du Saint-Esprit, de quelle autre aide peut-il avoir besoin? Celui qui demeure dans le corps de Jésus-Christ, de quel secours ensuite aura-t-il besoin? Alors Dieu fit l'homme à son image, maintenant il se l'est uni à lui-même. Alors il lui commanda de dominer sur tous les poissons et sur tous les animaux, maintenant il a élevé nos prémices au-dessus des cieux. Alors il nous, donna le paradis pour l'habiter, maintenant il nous a ouvert les portes du ciel. Alors l'homme fut formé le sixième jour, parce qu'auparavant il fallait finir la création du monde, maintenant il est formé le premier jour, et dès le commencement, et avec la lumière. Par où tout le monde voit que tout ce qui s'est, fait dans la seconde création regarde une meilleure vie et une vie qui ne finira jamais.

La première formation est donc terrestre, et c'est celle d'Adam; après vient celle de la femme, qui fut formée d'une des côtes d'Adam, et ensuite celle d'Abel, qui est né d'Adam. Et toutefois nous rie pouvons connaître aucune de ces générations, ni les expliquer par nos paroles, quoiqu'elles soient charnelles et terrestres. Comment donc pourrons-nous rendre raison de la génération spirituelle qu'opère le baptême et qui est beaucoup plus excellente et plus sublime? Comment pouvons-nous espérer de concevoir une naissance si étonnante? Les anges s'y sont trouvés présents, mais personne ne pourra expliquer la manière dont se fait par le baptême cette admirable génération. Les anges y ont assisté sans y coopérer, sans y rien faire, seulement ils ont vu ce qui s'y est fait. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit fait tout.

Soumettons-nous donc à la parole de Dieu, qui est plus certaine que la vue même. Car souvent les yeux se trompent, tandis que la parole de Dieu est infaillible. Soumettons-nous donc à cette divine parole; car la parole qui a créé ce qui n'était point, mérite bien qu'on la croie lorsqu'elle parle de la nature des choses qu'elle a produites. Que dit-elle donc? Qu'il se fait une régénération dans le baptême. Que si quelqu'un vous dit: Comment cela? Fermez-lui la bouche par la parole de Jésus-Christ qui est une sorte de preuve et une démonstration évidente; mais si quelqu'un demande pourquoi on prend de l'eau, demandons-lui nous-mêmes à notre tour pourquoi la terre a été premièrement créée pour la formation de l'homme. En effet, personne n'ignore que Dieu pouvait former l'homme sans prendre de la terre. C'est pourquoi ne cherchez pas avec trop de curiosité à en savoir davantage. Or que l'eau soit nécessaire, apprenez-le par cet exemple: Le Saint-Esprit étant un jour descendu avant l'eau du baptême, l'apôtre ne s'arrêta point à cela; mais pour montrer que l'eau était nécessaire et non pas superflue, voici ce qu'il dit, écoutez-le: «Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui «ont déjà reçu le Saint-Esprit comme nous?» (Ac 10,44-47)

1. «Le Père, le Fils, et le Saint-Esprit» FAIT TOUT, pour «font tout». Saint Chrysostome, comme l'observe Savillus, dit: FAIT TOUT, pour marquer, et mieux exprimer l'unité de substance des trois personnes.

Pourquoi donc l'eau est-elle nécessaire au baptême? Je vais vous l'expliquer pour vous découvrir un mystère caché, car il y a plusieurs autres mystères cachés dans ce sacrement. Aujourd'hui, parmi ce grand nombre; je vous en découvrirai un. Quel est-il? Dans le baptême, on célèbre des symboles divins, on représente la sépulture, la passion, la résurrection, la vie de Jésus-Christ, et ces choses se font toutes à la fois. Notre tête étant plongée dans l'eau comme dans un 219 tombeau, le vieil homme est enseveli et entièrement noyé; quand nous sortons ensuite de cette eau, le nouvel homme ressuscite (1). Comme il nous est facile de nous plonger dans cette eau et d'en sortir ensuite, il est de même facile à Dieu d'ensevelir le vieil homme et d'en former un nouveau. Cette immersion se fait par trois fois, pour nous apprendre que- c'est la vertu du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, qui opère toutes ces choses. Mais pour vous persuader que ce n'est pas par conjecture que nous disons ceci, écoutez ce que dit saint Paul «Nous avons été ensevelis avec lui», avec Jésus-Christ, «par le baptême, pour mourir» au péché (Rm 6,4); et ensuite: «Notre vieil homme a été crucifié avec lui» (Rm 6,6); et encore: «Nous sommes entrés avec lui, par la ressemblance de sa mort». (Rm 6,5) Or, non-seulement le baptême est appelé une croix, mais la: croix aussi est appelée un baptême: «Vous serez baptisés»:, dit Jésus-Christ, «du baptême dont je dois être baptisé» (Mc 10,39); et ailleurs: «Je dois être baptisé d'un baptême que vous ne connaissez pas (2)». Car comme il nous est facile d'être baptisés et de sortir de l'eau, de même, Jésus-Christ étant mort, est ressuscité lorsqu'il l'a voulu, ou plutôt beaucoup plus facilement encore que nous ne sortons de l'eau, quoique par une sage et mystérieuse dispensation, il soit demeuré trois jours dans le tombeau.

1. Le saint Docteur fait allusion à la manière de baptiser de son temps par trois immersions. On plongeait l'homme entièrement dans l'eau, et cette action représentait assez bien un pomme qui descend dans le tombeau, et qui disparaît aux yeux des hommes, etc.
2. Je n'ai point trouvé ce passage. C'est toujours me juste allusion aux paroles de Jésus-Christ.

3. Ayant donc reçu la grâce de participer à de si grands mystères, menons une vie qui soit digne d'un don si singulier; que toute notre conduite soit parfaitement bien réglée; mais vous, qui n'en avez pas encore été jugés dignes, faites tous vos efforts pour le devenir, afin que nous ne soyons tous qu'un seul corps, afin que nous soyons tous frères. Tant que nous sommes ainsi séparés, celui qui est séparé, fût-il notre père, ou notre fils, ou notre frère, quel qu'il soit enfin, il n'est point encore véritablement notre parent, puisqu'il n'a point de part à l'alliance qui vient d'en-haut. En effet, quelle utilité peut-il revenir d'une union de boue, si l'on n'est point spirituellement unis? Quel gain retirera-t-on d'une parenté terrestre, étant étrangers à l'égard du ciel?

Le catéchumène est un étranger à l'égard d'un fidèle: il n'a ni le même chef, ni le même père, ni la même cité, ni la même nourriture, ni le même vêtement, ni la même table; mais tout est séparé. Tout ce que possède celui-là est sur la terre: tout ce que possède celui-ci est dans le ciel; Jésus-Christ est le roi de celui-ci, l'autre a pour rois le péché et le diable; Jésus-Christ fait les délices de l'un; la corruption, de l'autre. L'ouvrage des vers est le vêtement de celui-là; le vêtement de celui-ci, c'est le Seigneur des anges. Le ciel est la cité de l'un, la terre l'est de l'autre. Puis donc qu'il n'y a rien de commun entre nous, en quoi, je vous prie, communiquerons-nous? Mais, direz-vous, nous avons tous une même naissance, nous sortons tous du sein d'une même terre? Je vous répondrai: mais cela ne suffit pas pour faire une véritable et légitime alliance. Travaillons donc à devenir citoyens de la cité du ciel. Jusques à quand demeurerons-nous dans notre exil, nous qui devrions faire tous nos efforts pour rentrer dans notre ancienne patrie? La perte que nous risquons de faire n'est ni légère, ni de vil prix. Le Seigneur veuille bien nous en préserver! mais si une mort imprévue venait à nous enlever de ce monde, avant d'avoir reçu le baptême, fussions-nous chargés de mille biens, de toute sorte de bonnes oeuvres, nous n'aurions pour partage que l'enfer, et un ver venimeux; qu'un feu qui ne s'éteint point, et des liens indissolubles.

Mais, à Dieu ne plaise qu'aucun de mes auditeurs tombe dans ce lieu de supplices! Nous l'éviterons si, après avoir été initiés aux saints mystères, nous mettons au fondement de l'édifice du salut notre or, notre argent et nos pierres précieuses. C'est ainsi qu'en l'autre monde nous pourrons nous trouver riches, si nous n'avons pas laissé ici notre argent, et si nous l'avons envoyé là-haut, par les mains des pauvres, au trésor inviolable, si nous l'avons prêté à Jésus-Christ. Nous avons contracté de grandes dettes envers ce trésor, non en argent, mais par nos péchés. Prêtons donc notre argent à Jésus-Christ, afin d'obtenir la rémission de nos péchés; c'est lui qui est notre juge. Ne le méprisons pas ici lorsqu'il a faim, afin que là il nous nourrisse: ici habillons-le, afin que là il ne nous laisse pas nus, en nous privatif de sa protection. Si nous lui donnons à boire ici, nous ne dirons pas avec le riche: «Envoyez Lazare, afin qu'il trempe le bout de son doigt [220] dans l'eau pour me rafraîchir la langue qui est toute en feu». (Lc 16,24) Si ici nous le recevons chez nous, là il nous préparera plusieurs demeures. Si nous allons le visiter, lorsqu'il est en prison, il nous délivrera, lui aussi, des liens. Si nous exerçons l'hospitalité envers lui, il ne souffrira pas que nous restions étrangers au royaume des cieux; mais il nous fera citoyens de la cité d'en-haut. Si nous allons le voir quand il est malade, il nous guérira sur-le-champ de nos infirmités. Ainsi donc, puisqu'il suffit de donner peu pour recevoir beaucoup, donnons quoi que ce soit, afin d'être amplement rémunérés; pendant que nous en avons encore le temps, semons pour moissonner un jour. Lorsque l'hiver sera arrivé, lorsque la mer ne sera plus navigable, il ne sera plus alors en notre pouvoir de commercer.

Et quand aurons-nous l'hiver? lorsque le grand jour, le jour plein de lumière sera arrivé. Alors nous ne naviguerons plus sur cette grande et vaste mer de la vie présente. Maintenant c'est le temps de semer, alors ce sera le temps de faire la moisson et d'amasser. Si l'on ne sème pas pendant les semailles, et si, au temps de la moisson, on sème, outre qu'on ne récolte rien, on se rend ridicule. Si c'est le temps de semer, il ne faut donc pas chercher maintenant à recueillir, mais il faut semer. En conséquence, répandons pour amasser ensuite; ne nous attachons pas maintenant à recueillir, de peur que noirs ne perdions notre moisson: le temps présent, comme j'ai dit, nous appelle à semer et à répandre, et non lias à amasser ni à faire des provisions. C'est pourquoi ne perdons pas l'occasion, mais jetons copieusement la semence, et n'épargnons rien de ce qui est chez nous, afin de recouvrer tout avec usure, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit la gloire, au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Jean 24