Chrysostome sur Jean 76

HOMÉLIE LXXVI. JE SUIS LA VRAIE VIGNE, VOUS ÊTES LES BRANCHES, ET MON PÈRE EST LE VIGNERON. (CHAP. 15, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 10).

Jn 15,1-10

ANALYSE.

1. Combien les disciples ont été timides et craintifs avant la mort de Jésus-Christ. - Parabole de la vigne et du vigneron, laquelle démontre, encore une fois de plus, la parfaite égalité du Père et du Fils.
2. Le Sauveur dit beaucoup de choses en se plaçant au point de vue de ses auditeurs.
3. L'amour est quelque chose de grand; il est invincible; ses avantages. - Ce que Jésus-Christ a fait pour nous: excellents témoignages de son amour. - Contre la rapine et l'avarice. - Maux que produisent les richesses et l'avarice. - Jésus-Christ nous a rachetés et nous servons les richesses. - Qui sont ceux qui rient des pauvres: les brutes, les insensés. - Comment on atteint à la perfection de la vertu. - Eloge de la pauvreté.


1. L'ignorance rend l'âme timide et lâche, la doctrine des choses du ciel lui donne de la force et de l'élévation: une âme qu'on laisse privée de soins est craintive, non par sa nature, mais par la disposition de sa volonté. Quand je vois un homme, tantôt courageux, tantôt timide, je dis: ce n'est point là un vice de nature, ce qui est naturel n'est point sujet au changement; de même, lorsque je vois des gens aujourd'hui craintifs, et demain hardis, je porte le même jugement, et je rejette tout sur la volonté. Ainsi les disciples, avant d'avoir appris ce qu'ils devaient savoir, avant d'avoir reçu le don du Saint-Esprit, étaient extrêmement timides; mais après ils furent plus courageux que des lions. Pierre lui-même, que les seules menaces d'une servante avaient été capables d'effrayer, exposé dans la suite à mille périls, chargé de coups de fouets, attaché à une croix la tête en bas, ne garde point le silence; et comme si ç'eût été en songe qu'il souffrait tous ces tourments, il parle avec toute sorte de liberté et d'assurance, mais non pas avant la croix, avant la mort du divin Sauveur.

Voilà pourquoi Jésus-Christ disait: «Levez-vous, sortons d'ici». (Jn 14,31) Pour quelle raison, je vous prie? Ignorait-il l'heure à laquelle Judas devait venir? Craignait-il qu'en arrivant il ne se saisît aussitôt de ses disciples, et que ses ennemis, qui l'épiaient pour le prendre, ne se jetassent sur eux, avant qu'ils eussent prêché et répandu dans le monde l'excellente doctrine qu'il leur avait enseignée? Loin de nous cette pensée tout à fait indigne de sa Majesté. S'il ne craignait rien de tout cela, pourquoi les fait-il sortir de ce lieu, et les mène-t-il, seulement après avoir fini son discours, au jardin que Judas connaissait? Et, quoique Judas fût venu en personne, ne pouvait-il pas aveugler les soldats, comme il l'avait déjà fait en son absence? Pourquoi sort-il donc? C'était pour donner à ses disciples un peu de temps pour respirer. Il était bien vraisemblable qu'étant dans un lieu ouvert à tout le monde, ils devaient trembler de peur et de frayeur, tant à cause de l'heure qu'à cause du lieu. La nuit était déjà avancée et fort obscure, et ils ne pouvaient guère être attentifs aux paroles de leur Maître, ayant [481] continuellement présents à l'esprit ceux qui allaient venir pour les enlever, et de plus, le discours qu'il leur tenait ne leur faisait prévoir que des maux et des souffrances: «Je n'ai plus qu'un peu de temps à être avec vous», leur disait-il, «et le prince de ce monde va venir».

Toutes ces choses et ces paroles les jetant donc dans le trouble et dans l'effroi, comme s'ils allaient être pris sur-le-champ, leur Maître les conduisit en un autre lieu afin que, se croyant alors en sûreté, ils l'écoutassent avec plus d'assurance et de liberté d'esprit, car ils devaient entendre une grande et sublime doctrine. Voilà pourquoi il dit: «Levez-vous, sortons d'ici». Il ajoute ensuite: «Je suis la vigne, vous êtes les branches» Jn 15,1. Que veut nous faire entendre le Sauveur par cette parabole? Que celui qui n'écoute point sa parole ne peut vivre, et que c'est par sa vertu et par sa puissance que s'opéreront les miracles et les prodiges qui doivent arriver. «Mon Père est le vigneron». Quoi donc? Le Fils a besoin du secours de son Père? A Dieu ne plaise! ce n'est point là ce qu'insinue cette parabole.

Remarquez, mes frères, avec quelle exactitude Jésus-Christ l'explique. Il ne dit pas que le vigneron a soin de la racine, mais des branches; il ne fait point mention de la racine; c'est pour apprendre à ses disciples que, séparés de lui, et sans sa vertu et son assistance, ils ne peuvent rien faire, et qu'ils doivent se joindre et s'unir à lui par la foi, de même que la branche est jointe, et unie à la vigne: «Le Père retranchera toutes les branches qui ne portent point de fruit en moi (Jn 15,2)». Jésus-Christ parle ici de la vie, et déclare que nul ne peut demeurer en lui sans les oeuvres. «Et il émondera toutes celles qui portent du fruit»; en d'autres termes, il en aura grand soin.

Cependant la racine a besoin d'être cultivée avant les branches: le vigneron doit bêcher tout autour, et la découvrir un peu. Mais le Sauveur ne dit rien ici de la racine, il ne parle que des branches; faisant voir que s'il se suffit à lui-même, ses disciples, de quelque vertu qu'ils soient doués, ont besoin que le vigneron prenne d'eux un grand soin. C'est pour cette raison qu'il dit: il émonde la branche qui porte du fruit. Celle qui n'en porte point ne peut même plus rester attachée à la vigne. Mais la branche qui porte du fruit, il la rend plus féconde. Ce qui doit s'entendre des afflictions qui devaient bientôt leur arriver. Ce mot: «Il l'émondera», signifie: il taillera la branche pour la rendre plus fertile. Il montre donc que les tentations raffermiront les disciples.

Ensuite, de peur qu'ils ne lui demandent de qui il parle, et aussi pour ne pas les jeter de nouveau dans le trouble et dans l'inquiétude, il dit: «Vous êtes déjà purs, à cause des instructions que je vous ai données (Jn 15,3)». Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ fait connaître que c'est lui qui prend soin des branches? C'est moi, dit-il, qui vous ai émondés, quoiqu'il ait auparavant déclaré que le Père a fait la même chose. Mais la raison pour laquelle Jésus-Christ parle de la sorte, c'est qu'il n'y a aucune différence entre le Père et le Fils. Il faut ici, leur insinue-t-il, que vous apportiez vos soins.

Ensuite, pour leur faire connaître qu'il les a émondés, sans avoir eu besoin de leur ministère, et seulement en vue de leur avancement, il ajoute: «Comme la branche ne saurait porter du fruit d'elle-même, de même aussi celui qui ne demeure pas en moi n'en saurait porter» Jn 15,4. De peur que la crainte n'éloigne ses disciples, le Sauveur fortifie leur âme que la frayeur a affaiblie, et il se l'attache étroitement; il la relève par les bonnes espérances qu'il leur donne. Car, dit-il, la racine demeure, mais il dépend des branches d'être retranchées, ou laissées sur la tige. Poursuivant ensuite son discours à la fois par des choses consolantes et par des choses tristes, il commence par exiger notre concours: «Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruit (Jn 15,5)». Ne voyez-vous pas que le Fils ne contribue pas moins que le Père au soin et au salut des disciples? Le Père émonde, le Fils est la vigne qui contient les branches. Or, demeurer attaché à la racine, c'est ce qui fait que les branches portent du fruit. La branche qui n'est point émondée, demeurant attachée à la racine, porte du fruit, encore qu'elle n'en produise pas autant qu'elle devrait: mais celle qui n'y demeure pas ne porte aucun fruit. D'ailleurs on a fait voir qu'il appartient également au Fils d'émonder, et au Père, qui a engendré la racine, de faire qu'on y reste attaché. (482)

2. Vous le remarquez sans doute, mes frères, tout est commun, émonder comme jouir de la vertu de la racine. C'est sûrement une grande perte et un grand malheur de ne pouvoir rien faire, de ne pouvoir porter aucun fruit; mais la peine ne se termine point ici, elle va plus loin. «Il sera», dit-il, «jeté dehors», il ne sera plus cultivé, «et il séchera (Jn 15,6)», c'est-à-dire, s'il a tiré quelque fruit de la racine, il le perd; s'il en a reçu quelque grâce, quelques biens, il en est dépouillé, et par là il est privé de tout secours et de la vie. Et quelle sera la fin de tout cela? «Il sera jeté au feu». Mais il n'en est pas de même de celui qui demeure étroitement attaché au cep de la vigne.

Le Sauveur nous apprend ensuite ce que c'est que demeurer, et dit: «Si mes paroles demeurent en vous (Jn 15,7)». Vous le voyez bien maintenant, mes chers frères, que j'ai eu raison de dire que Jésus-Christ demande le témoignage des oeuvres. Car, ayant dit: Tout ce que vous demanderez, je le ferai (Jn 14,13-15), il a ajouté: «Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé». (Jn 15,7) Jésus-Christ disait ces choses pour apprendre à ses disciples que ceux qui lui dressaient des embûches seraient jetés au feu, et qu'eux au contraire porteraient du fruit. Ainsi, ayant fait passer dans les autres la crainte qui était en eux, et leur ayant fait connaître qu'ils seraient invincibles, il dit: «C'est la gloire de mon Père que vous rapportiez beaucoup de fruits, et que vous deveniez mes disciples (Jn 15,8)». Par là ce que dit le Sauveur se montre visiblement digne de foi; si porter du fruit c'est une chose qui tourne à la gloire du Père, le Père ne négligera point sa gloire, «et vous deviendrez mes disciples». Remarquez bien, mes frères, que celui qui porte du fruit est disciple de Jésus-Christ. Que signifie cela: «C'est la gloire de mon Père?» Le voici: Mon Père a de la joie lorsque vous demeurez en moi, lorsque vous portez du fruit.

«Comme mon Père m'a aimé, je vous ai aussi aimés (Jn 15,9)». Ici enfin Jésus-Christ parle d'une manière plus humaine. Comme cette parole est adressée à des hommes, elle a une vertu et une force toute particulière. Celui qui a bien voulu mourir pour ses serviteurs et pour ses ennemis et ses persécuteurs, qui leur a fait la grâce de les élever à de si grands honneurs, à une si haute dignité, qui les a menés au ciel, quel excès d'amour n'a-t-il pas montré en faisant toutes ces choses? Puis donc que je vous aime si fort, ayez une pleine confiance; puis donc que c'est la gloire de mon Père que vous rapportiez du fruit, ne craignez aucun mal. Ensuite, de peur de les rendre lâches et paresseux, il les excite de nouveau et se les attache plus étroitement; voyez bien de quelle manière, c'est en leur disant: «Demeurez dans mon amour», cela est en votre pouvoir. Mais comment demeurerez-vous dans mon amour? C'est: «Si vous gardez mes commandements comme j'ai moi-même gardé les commandements de mon Père (Jn 15,10)». Le Sauveur continue encore à parler humainement: étant le législateur, il ne devait nullement être soumis aux lois. Vous le voyez ici, mes frères, ce que je vous répète à tout moment, que le Sauveur parle en ces termes, pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Il dit bien des choses en se plaçant à leur point de vue; et toutes ses paroles tendent à leur faire connaître qu'ils sont en sûreté, et qu'ils renverseront et fouleront aux pieds leurs ennemis; et encore, que tout ce qu'ils ont, ils le tiennent du Fils, et que, s'ils mènent une vie pure et sainte, nul ne pourra les vaincre ni leur résister.

Mais observez, mes frères, avec quelle autorité Jésus-Christ parle à ses disciples. Il n'a point dit: Demeurez dans l'amour de mon Père, mais dans mon amour. Ensuite, de peur qu'ils ne disent: maintenant que vous nous avez attiré la haine de tout le monde, vous vous en allez et vous nous laissez, il leur montre qu'il ne les laisse point, et qu'au contraire il s'attachera aussi étroitement à eux, s'ils le veulent véritablement, que la branche est attachée au cep de la vigne. De peur encore que trop de confiance ne les rende nonchalants, il leur dit que s'ils sont lâches et paresseux, les grâces qu'ils auront reçues ne sont point inamissibles. Et aussi pour ne se pas rapporter tout à lui-même et les exposer par là à une plus grande chute, il dit: «C'est la gloire de mon Père». Partout il leur fait connaître et son amour pour eux et celui de son Père. Les oeuvres des Juifs n'étaient donc point la gloire de son Père, mais celles qu'ils devaient faire par sa grâce.

Mais encore, de peur qu'ils ne vinssent à [483] dire: Nous avons perdu notre patrimoine, nous sommes abandonnés, dépouillés et privés de tout, il leur dit: Jetez vos regards sur moi, voyez: mon Père m'aime, et néanmoins je souffre maintenant tous ces maux et tous ces outrages; ce n'est donc pas que je ne vous aime, si présentement je vous laisse; car moi-même, que mes ennemis me fassent mourir, je ne le prends pas pour une marque que mon Père ne m'aime point; vous donc aussi, vous ne devez pas vous troubler. Si vous demeurez dans mon amour, tous les maux de la vie présente ne pourront nullement vous nuire, en ce qui concerne l'amour.

3. Puis donc que l'amour est quelque chose de grand et d'invincible: puisqu'il n'est pas un vain mot, montrons notre amour, faisons le paraître par nos oeuvres. Jésus-Christ nous a réconciliés avec lui, lorsque nous étions ses ennemis: maintenant nous sommes ses amis, demeurons dans son amour: il a commencé le premier à nous aimer, aimons-le du moins après qu'il nous a tant aimés. Il ne nous aime pas pour son propre intérêt, il n'a besoin de rien, aimons-le au moins pour notre utilité et notre avantage. Lorsque nous étions ses ennemis, il nous a prévenus de son amour, aimons du moins cet ami qui nous donne tant de témoignages de sa tendresse. Mais, hélas! nous faisons tout le contraire! par nos rapines et par notre avarice, tous les jours nous sommes cause que Dieu est blasphémé.

Mais peut-être quelqu'un dira: quoi! Tous les jours vous prêchez sur l'avarice. Hé, plût à Dieu que je puisse aussi prêcher contre elle toutes les nuits! Plût à Dieu qu'il me fût permis de vous suivre et quand vous allez dans les places publiques, et quand vous vous mettez à table! Plût à Dieu que vos femmes, que vos amis, que vos enfants, que vos serviteurs, que vos laboureurs, que vos voisins, que même ce pavé, ces pierres pussent tous rompre le silence, si notre mal pouvait recevoir de là quelque soulagement! Cette maladie s'est répandue dans tout le monde, et elle possède le coeur de tous les hommes: tant est grande la tyrannie des richesses!

Jésus-Christ nous a rachetés, et nous servons les richesses: c'est d'un autre maître que nous proclamons la suprématie, c'est à un autre maître que nous obéissons, soigneusement attentifs à tout ce qu'il nous commande: notre origine, les droits de la nature, de l'amitié, les lois, nous négligeons tout pour ce maître, et nous sacrifions tout à lui. Personne ne regarde le ciel, nul ne pense aux biens à venir. Mais, hélas! le temps viendra que ces paroles et nos regrets seront inutiles; car l'Ecriture dit: «Qui est celui qui vous louera dans l'enfer?» (Ps 6,5) L'or est désirable, il nous procure de grandes délices et nous attire des honneurs, mais non point comme le ciel. Le riche, plusieurs le haïssent et l'ont en horreur: mais l'homme qui est orné de la vertu, tous l'honorent et le respectent,

Mais, direz-vous, on rit du pauvre, on le méprise, même vertueux; mais ce n'est pas parmi les hommes que cela arrive, c'est parmi les brutes qui sont privées de raison; c'est pourquoi il ne faut nullement s'en soucier. Si des ânes braient, si des geais croassent, lorsque tous les sages nous louent et nous applaudissent, nous ne perdrons point de vue un tel public pour nous inquiéter des cris de ces animaux. Or, tous ceux qui admirent et recherchent les biens de la vie présente, sont pires que des geais, pires que des ânes. Si un des rois d'ici-bas faisait votre éloge, sûrement vous ne vous mettriez point en peine de ce que dirait la multitude du peuple, encore qu'on rie de vous. Et lorsque le Maître de l'univers vous loue, vous recherchez encore les louanges des escargots et des moucherons. Car tels sont ces hommes, si vous les comparez avec Dieu, out plutôt ils sont encore plus vils et plus méprisables.

Jusques à quand demeurerons-nous couchés dans la boue? Jusques à quand rechercherons-nous les éloges et les applaudissements des fainéants et des hommes sensuels? Il est de leur ressort de se connaître en joueurs, en ivrognes, en goinfres: mais de la vertu et du vice ils n'en ont même pas la moindre connaissance; c'est aussi de quoi ils ne sont nullement capables de juger. Et certes, si quelqu'un vous raillait de ne savoir point tracer des rigoles, vous ne vous en offenseriez pas, ou plutôt vous le railleriez à votre tour de vous avoir reproché une pareille ignorance, et cependant lorsque vous voulez exercer la vertu, vous prenez pour arbitres et pour juges ces sortes de gens qui n'en ont aucune idée? Voilà pourquoi nous n'atteignons point à la perfection de cet art. En effet, nous ne consultons pas les personnes habiles; mais les ignorants, qui jugent de la vertu non selon les [484] règles de l'art, mais selon leur propre ignorance.

C'est pourquoi, je vous en conjure, mes chers frères, méprisons la multitude, ou plutôt ne désirons point les louanges, ne recherchons ni l'argent ni les richesses: et ne regardons point la pauvreté comme un mal. La pauvreté est une grande maîtresse qui nous rend prudents et patients, qui nous élève à la plus haute et à la plus sublime philosophie. Lazare a vécu dans la pauvreté, et il a été récompensé d'une couronne: Jacob ne désirait que d'avoir du pain: Joseph s'est trouvé dans une même indigence; il s'est vu non-seulement esclave, mais encore prisonnier; et c'est pour cela que nous lui donnons de plus grands éloges. Oui, nous n'admirons point tant Joseph dispensateur des blés de l'Égypte, que Joseph renfermé dans une prison: nous n'admirons point tant Joseph, couronné d'un diadème, que Joseph chargé de chaînes: nous ne l'admirons point tant lorsqu'il est assis sur le trône, que lorsqu'on lui dressait des embûches et qu'on le vendait.

Considérant donc toutes ces choses, et les couronnes qui sont préparées à ces combats, ne louons ni les richesses, ni les honneurs, ni les dignités, ni les délices, ni la puissance; louons au contraire la pauvreté, les chaînes, les liens, et les travaux et les afflictions que l'on souffre pour la vertu. Celles-là finissent par le tumulte et le trouble, et se terminent à cette vie; mais celles-ci nous procurent le royaume des cieux et les biens célestes, que «l'oeil n'a point vus, et l'oreille n'a point entendus (1Co 2,9): fasse le ciel que nous les obtenions tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.



77

HOMÉLIE LXXVII. JE VOUS DIS CES CHOSES, AFIN QUE MA JOIE DEMEURE EN VOUS, ET QUE VOTRE JOIE SOIT PLEINE ET PARFAITE.

- LE COMMANDEMENT QUE JE VOUS DONNE, EST DE VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES, COMME JE VOUS AI AIMÉS. (VERS. 11,12, JUSQU'AU VERS. 4 DU CHAP. XVI)

Jn 15,11-27 Jn 16,1-4

ANALYSE.

1. On peut séparer l'amour de Dieu de l'amour du prochain.
2. Jésus-Christ console ses apôtres.
3. Dernière consolation: promesse du Saint-Esprit que le Fils envoie comme le Père.
4 et 5. Divers sujets de consolation dans les souffrances et les afflictions. - Dans les souffrances, penser plus aux couronnes qu'aux peines, au ciel qu'au temps. - Dans les aumônes, dans les autres bonnes oeuvres, ne penser point tant à la semence qu'à la moisson. - La vertu est pénible, faire attention au bien qu'elle procure. - Ceux qui sont forts aiment la vertu pour elle-même, les faibles envisagent les récompenses. - Recommandation de l'aumône: combien de raisons et de motifs nous engagent à la faire. - Si l'on ne donne rien aux pauvres, du moins ne les point injurier ni maltraiter: point de repos en cette vie, pour en jouir en l'antre. - Retrancher le superflu. - Se contenter du nécessaire. - Répandre ses richesses sur les pauvres. - D'où vient l'inhumanité envers les pauvres? - De ce qu'on amasse par avarice.


1. Toutes les bonnes oeuvres obtiennent leur récompense après leur plein accomplissement: si elles restent en chemin, tout fait naufrage. Et comme un vaisseau chargé de toutes sortes de marchandises, qui n'arrive point au port, mais que les flots engloutissent [485] en pleine mer, ne retire aucun profit de sa longue navigation, si ce n'est un manieur proportionné aux épreuves qu'il a bravées; de même aussi les âmes, qui, avant d'arriver au but, s'arrêtent au milieu de la carrière, et succombent dans les combats, perdent la couronne et périssent misérablement. C'est pourquoi saint Paul déclare que ce sont ceux qui auront couru jusqu'à la fin (Rm 2,7) et persévéré dans les bonnes oeuvres, qui obtiendront la gloire, l'honneur et la paix. Et c'est là aussi ce qu'insinue maintenant Jésus-Christ à ses disciples. Comme ils s'étaient d'abord réjouis d'avoir été choisis, et qu'ensuite tout ce qu'il leur avait annoncé de triste sur sa passion, sur sa mort, avait interrompu et troublé leur joie, le Sauveur, après leur avoir tenu de longs discours, pleins de consolation, ajoute encore: «Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie demeure en vous, et que votre joie soit pleine et parfaite». C'est-à-dire: Ne vous séparez pas de moi, et ne vous arrêtez point dans votre course: vous vous êtes réjouis en moi, et vous vous êtes extrêmement réjouis; mais la tristesse s'est mêlée dans votre joie, et l'a interrompue. Je chasse cette tristesse, afin que votre joie arrive à terme; je la chasse, en vous faisant voir que les souffrances et les afflictions de cette vie ne méritent pas que vous vous attristiez, et que vous devez plutôt vous en réjouir. Je vous ai vus dans le trouble, et je ne vous ai pas négligés, et je ne vous ai point dit: Pourquoi n'avez-vous pas plus de fermeté et de courage? mais, au contraire, je vous ai dit tout ce qui était le plus capable de vous consoler. C'est ainsi que je vous veux toujours garder dans mon amour. Vous m'avez entendu parler du royaume, vous vous en êtes réjouis. Je vous ai donc dit ces choses afin que votre joie soit pleine et parfaite.

«Le commandement que je vous donne est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés». Vous le voyez, mes frères, l'amour de Dieu est mêlé et confondu dans celui du prochain: ces deux amours sont liés ensemble, comme avec une chaîne. Voilà pourquoi le Sauveur en fait quelquefois deux préceptes, et quelquefois il n'en fait qu'un seul; car ces deux amours sont inséparables. On ne peut avoir l'un sans l'autre. Voilà pourquoi tantôt il dit: «Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements». (Mt 22,40) Tantôt «Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent» (Mt 7,12); c'est là en quoi consistent toute la loi et les prophètes, «et ainsi l'amour est l'accomplissement de la loi». (Rm 13,10)

Jésus-Christ le déclare ici de même; car si «demeurer» renferme l'amour, si l'amour renferme l'observance des commandements, et si le commandement est de nous aimer les uns les autres, c'est par cet amour mutuel que nous avons les uns pour les autres, que nous demeurons en Dieu. Le Sauveur ne nous donne pas seulement le commandement de l'amour, mais il nous en prescrit aussi la mesure, en disant: «Comme je vous ai aimés». Il fait connaître encore à ses disciples que ce n'est point par haine qu'il se sépare d'eux, mais par amour. C'est donc pour cela que vous deviez m'admirer davantage, et plutôt vous réjouir que vous affliger. Je meurs pour vous. Jésus-Christ ne le dit pas ouvertement, mais il l'indique, lorsqu'il fait ci-dessus la description du bon pasteur; et ici en donnant ses instructions, en montrant la grandeur et la puissance de l'amour, en déclarant et faisant connaître ce qu'il est. Mais pourquoi le Sauveur relève-t-il partout l'amour? Parce que l'amour est la marque des disciples; parce que l'amour forme et entretient la vertu. C'est pour cette raison que saint Paul, lui qui était un véritable disciple de Jésus-Christ, lui qui avait éprouvé et senti en lui-même les effets de l'amour, en dit tant de grandes choses, et le proclame «l'accomplissement de la loi».

«Vous êtes mes amis (Jn 15,14). Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître: mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait savoir tout ce que j'ai appris de mon Père (Jn 15,15)». Pourquoi dit-il donc: «J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter présentement?» (Jn 16,12) Quand le Sauveur dit: «Tout ce que j'ai appris», il ne veut dire autre chose, sinon qu'il ne dit rien de contraire à son Père, mais uniquement ce qu'il a appris de lui. Or, comme c'est un très-grand témoignage d'amitié que de confier à quelqu'un ses secrets, il dit à ses disciples: J'ai bien voulu vous faire aussi cette grâce, et vous donner cette marque de mon amour: mais quand il dit: «Tout», entendez ce qu'ils devaient savoir. - 486

Ensuite il leur découvre une chose qui n'est point une légère, ni une commune marque d'amitié: Laquelle? La voici: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (Jn 15,16)». C'est moi qui ai ardemment recherché votre amitié. Et je ne me suis point contenté de cela, mais: «Je vous ai établis», c'est-à-dire, je vous ai plantés. Le Seigneur continue encore la métaphore de la parabole de la vigne, «afin que vous marchiez»; c'est-à-dire, afin que vous vous étendiez, «et que vous rapportiez du fruit, et que votre fruit demeure» toujours. Que si votre fruit demeure, à plus forte raison demeurerez-vous vous-mêmes. Non-seulement, dit-il, je vous ai aimés, mais je vous ai aussi comblés de toutes sortes de biens, en étendant et multipliant vos branches dans tout le monde.

7702 2. Remarquez-vous, mes frères, en combien de manières le Sauveur déclare son amour à ses disciples: il le déclare en leur découvrant ses secrets et ses mystères. Il le déclare en les prévenant de son amour et de son affection, en les choisissant le premier; il le déclare par les bienfaits dont il les comble, et par tout ce qu'il a souffert pour eux. Par là il leur fait connaître qu'il demeurera toujours avec eux, afin qu'ils portent du fruit; car pour en porter, ils ont besoin de son secours. «Afin que mon Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom». Mais c'est à celui à qui on demande de faire porter le fruit, et ce que l'on demande au Père, pourquoi le Fils le fait-il? Pour vous apprendre que le Fils n'est ni moins grand, ni moins puissant que le Père.

«Je vous ai dit ces choses, afin que vous vous aimiez les uns les autres (
Jn 15,17)»; c'est-à-dire, ce n'est pas pour vous en faire un reproche que je vous dis que je donne ma vie pour vous; que je vous dis que je vous ai prévenus, que je vous ai choisis les premiers; mais c'est pour vous engager à m'aimer. Ensuite, comme d'être rejetés de bien des gens, d'avoir à souffrir d'eux et des injures et des outrages, c'était une chose très-dure et insupportable, capable même d'abattre l'âme la plus grande et la plus courageuse, le Sauveur les a prévenus, et les a préparés à supporter courageusement ces insultes et ces affronts; il les y a préparés en gagnant leur coeur et leur affection, et de plus en leur montrant et leur faisant connaître que ces choses, comme toutes celles dont il leur avait déjà parlé auparavant, ne se faisaient que pour eux, pour leur utilité et leur avantage. Car comme il leur a dit que non-seulement il ne faut point s'attrister, mais qu'il faut même se réjouir de ce qu'il va à son Père, puisque ce n'était pas pour les laisser qu'il y allait, mais parce qu'il les aimait beaucoup: de même il leur fait voir maintenant ici qu'ils doivent se réjouir, et ne point s'affliger. Et voyez de quelle manière il le prouve. Il n'a point dit: Je sais qu'il est fâcheux d'avoir tant à souffrir; mais souffrez ces choses pour l'amour de moi; mais considérez que c'est pour moi que vous souffrez.

Ce n'était point encore là une suffisante consolation, c'est pourquoi Jésus-Christ, sans s'y arrêter, en propose une autre; laquelle? Souffrir de la sorte, ce sera une preuve et un témoignage certain de votre première vertu, et, au contraire, ce serait pour vous un sujet de douleur et d'affliction, non que le monde vous haït maintenant, mais qu'il dût vous aimer; ce que le Sauveur leur fait entendre en disant: «Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui» Jn 15,18. Si donc vous étiez aimés, vous feriez penser que vous êtes méchants. Après, voyant que ces paroles n'avaient rien avancé, il poursuit encore, et dit: «Le serviteur n'est pas plus grand que son Maître: s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (Jn 15,20)». Par là, le Sauveur montre expressément qu'ils seront ses imitateurs. Car tant que Jésus-Christ a été dans la chair, on l'a persécuté et outragé; mais après qu'il est monté au ciel, on s'est tourné contre ses disciples, et on les a maltraités. Et encore: comme ils se troublaient, parce qu'étant en petit nombre, ils auraient à combattre contre une si grande multitude de peuple, le Sauveur leur relève le coeur et les encourage, en disant que d'être haïs du monde, ce doit être pour eux un très-grand sujet de joie; par là, dit-il, vous aurez part à mes souffrances. Vous ne devez donc pas vous troubler, puisque vous n'êtes pas plus grands que moi, comme je l'ai dit: «Le serviteur e n'est pas plus grand que son Maître». D'où il naît un troisième sujet de consolation, c'est que lorsqu'on vous déshonore et qu'on vous outrage, on outrage et on déshonore aussi mon Père.

«Ils vous feront tous ces mauvais [487] traitements», dit-il, «à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent point celui qui m'a envoyé (Jn 15,21)»; c'est-à-dire, ils traitent aussi mon Père outrageusement. De plus, faisant voir qu'ils sont indignes de tout pardon, il leur donne un autre sujet de consolation par ces paroles: «Si je n'étais point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point le péché (Jn 15,22)» qu'ils ont, leur montrant qu'ils le maltraiteront, lui et ses disciples. Pourquoi nous avez-vous donc attiré tous ces mauvais traitements? Est-ce pour n'avoir pas prévu ces haines et ces guerres? c'est pour cela qu'il ajoute: «Celui qui me hait, hait aussi mon Père (Jn 15,23)». Par ces paroles, Jésus-Christ prédit a ses persécuteurs les terribles supplices auxquels ils seront condamnés. Comme en toute occasion ils prétextaient l'amour et la gloire du Père, et alléguaient que c'était à cause de lui qu'ils persécutaient Jésus-Christ, le Sauveur a dit ces choses pour leur ôter toute excuse. Car, dit-il, ils n'ont point d'excuse. Je leur ai donné mes instructions, je leur ai enseigné ma doctrine, que j'ai confirmée par mes oeuvres, selon la loi de Moïse, qui ordonne d'écouter celui qui fait et qui dit, et de lui obéir lorsque ses paroles les mènent à la piété, et sont appuyées de grands miracles; non, dit-il, de miracles communs et ordinaires, mais de miracles inouïs; et de ceux-là, ils en ont eux-mêmes rendu témoignage, en disant: «On n'a jamais rien vu de semblable dans Israël» (Mt 9,33); et: «Depuis que le monde est, on n'a jamais ouï que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né»; et encore la résurrection de Lazare et tant d'autres prodiges, et la manière aussi dont ils ont été opérés, en sorte que tout est certainement nouveau et étonnant.

Mais pourquoi nous persécutent-ils, et vous et nous? «Parce que vous n'êtes pas du monde; si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui». (Jn 7,7) Premièrement, Jésus-Christ leur rappelle les paroles qu'il avait dites à ses frères, mais alors d'une manière véritablement plus couverte, de peur de les offenser, et maintenant, au contraire, il leur parle ouvertement et il leur découvre tout. Et d'où paraît-il que c'est là le sujet pour lequel ils nous haïssent? Cela est évident par ce qu'ils m'ont fait à moi-même. Car, soit dans mes paroles, soit dans mes oeuvres, qu'ont-ils trouvé à reprendre pour ne pas me recevoir? Et comme on pouvait s'étonner de ce refus, il en donne aussi la raison, savoir: leur méchanceté. Mais cela ne lui suffit pas, il apporte encore le témoignage du prophète, faisant voir qu'il l'avait prédit depuis longtemps par ces paroles: «Ils m'ont haï sans aucun sujet». (Ps 39,22 Ps 68,5 Ps 5,25)

Saint Paul le déclare de même. Comme plusieurs s'étonnaient de ce que les Juifs ne croyaient point, il cite les prophètes qui l'avaient prédit auparavant, et qui révèlent la cause de leur incrédulité; à savoir: leur malice et leur arrogance. Mais quoi? Ils n'ont point gardé votre parole, ils ne garderont donc pas la nôtre; ils vous ont persécuté, ils vous persécuteront donc aussi; s'ils ont vu des miracles, tels que nul autre n'en a fait de semblables, s'ils ont ouï des paroles qu'on n'avait point encore entendues et n'en ont point profité, s'ils ont haï votre Père et vous aussi, pourquoi nous exposez-vous au milieu d'eux? Comment pourront-ils nous juger dignes de foi? Qui de nos compatriotes nous écoutera?

7703 3. Voyez, mes frères, la consolation que le divin Sauveur donne à ses disciples, de peur que ces pensées ne les agitent et ne les troublent. «Mais», leur dit-il, «lorsque le Consolateur, l'Esprit de vérité, qui procède du Père, que je vous enverrai de la part de mon Père, sera venu, il rendra témoignage de moi (Jn 15,26). Et vous en rendrez aussi témoignage, parce que vous êtes dès le commencement avec moi (Jn 15,27)». Ce Consolateur sera digne de foi; il est l'Esprit de vérité. C'est pourquoi Jésus-Christ ne l'a point appelé le Saint-Esprit, mais l'Esprit de vérité. Ce mot: «Qui procède du Père», montre qu'il connaît exactement toutes choses, ce que Jésus-Christ dit aussi de lui-même: «Je sais d'où je viens et où je vais»: passage où il parle aussi de la vérité. «Que je vous enverrai»; vous le voyez: le Père n'envoie pas seul, mais le Fils envoie aussi. Vous-mêmes vous serez dignes de foi, vous qui avez toujours été élevés avec moi, et qui avez appris de moi, et non des autres: les apôtres s'appuient là-dessus, lorsqu'ils disent: «Nous qui avons mangé et bu avec lui». (Ac 10,41) Et le Saint-Esprit rend aussi témoignage lui-même, que ces choses n'ont point été dites par complaisance ou par flatterie.

«Je vous ai dit ces choses afin que vous ne [489] soyez point scandalisés» Jn 16,1. A savoir, lorsque vous trouverez bien des incrédules, et que vous aurez à essuyer de grands travaux et de grandes afflictions. «Ils vous chasseront de la synagogue (2)». Car les Juifs avaient déjà arrêté entre eux que, si quelqu'un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait chassé de la synagogue (1). (Jn 9,22) «Et le temps vient que quiconque vous fera mourir, croira faire une chose agréable à Dieu». Ils machinent votre mort, comme s'ils faisaient une oeuvre pieuse et agréable à Dieu. Ensuite, le divin Sauveur console encore ses disciples par ces paroles: «Ils vous traiteront de la sorte, parce qu'ils ne connaissent ni» mon «Père, ni moi (3)». C'est un assez grand sujet de consolation pour vous que de souffrir ces choses pour mon Père et pour moi. Ici Jésus-Christ rappelle encore à leur mémoire cette béatitude, dont il leur avait parlé au commencement: «Vous êtes heureux, lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu'ils vous persécuteront, et qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans les cieux». (Mt 7,12)

1. Chassé de la synagogue: C'est ce que nous appelons excommunié.

«Je vous ai dit ces choses, afin que, lorsque ce temps-là sera venu, vous vous en souveniez (Jn 16,4)», et que vous regardiez tout le reste, d'après cela, comme digne de foi. Car vous ne pourrez point dire que je vous aie annoncé ces choses par flatterie, ou par adulation, ni aussi que mes paroles soient fausses et trompeuses. En effet, celui qui aurait le dessein de vous tromper ne vous annoncerait pas ce qui est capable de vous détourner de lui. C'est pourquoi je vous ai prédit ces choses afin que, lorsqu'elles arriveront, vous n'en soyiez point surpris, ni troublés, et encore pour une autre raison, à savoir, afin que vous ne disiez point que je n'ai pas prévu qu'elles devaient arriver. Souvenez-vous donc que je vous les ai dites. Car les Juifs alléguaient toujours de mauvaises raisons et de méchants prétextes, pour les persécuter et les chasser comme des impies et des scélérats; mais les disciples ne s'en troublaient point, parce qu'ils avaient appris qu'il n'arrivait rien qui n'eût été prédit, et qu'ils savaient pourquoi ils étaient maltraités: ce qui était très-capable d'élever leur esprit et de les rendre fermes et courageux. Voilà pourquoi Jésus-Christ répète souvent ces paroles: ils ne m'ont point connu, et ils vous traiteront de la sorte à cause de moi, à cause de mon nom, à cause de mon Père, et j'ai été persécuté et maltraité le premier; et encore: ils me haïssent, ils me maltraitent sans aucun sujet.

7704 4. Faisons aussi nous-mêmes, mes frères, de sérieuses réflexions sur ces vérités dans les afflictions qui nous arrivent, lorsque les méchants nous persécutent et nous maltraitent. Jetons les yeux sur notre chef, sur l'auteur et le consommateur de notre foi (He 12,2); considérons que ce sont les méchants qui nous font souffrir; considérons que c'est pour la vertu, que c'est pour Jésus-Christ que nous souffrons: pesons ces choses, et tout nous paraîtra aisé et supportable. Que si lorsqu'on souffre pour ceux que l'on aime, on s'en glorifie; lorsque c'est pour Dieu que l'on souffre, doit-on sentir encore ses maux et ses souffrances? Si une chose ignominieuse, telle que la croix, Jésus-Christ l'appelait pour l'amour de nous, une gloire: à combien plus forte raison devons-nous être nous-mêmes dans ces sentiments et ces dispositions! Et si nous pouvons ainsi mépriser les tourments, nous pouvons, à plus forte raison, mépriser les richesses et l'avarice. Donc, quand il nous arrive de grandes afflictions, il ne faut pas seulement regarder les peines et les travaux, mais il faut encore envisager les couronnes et les récompenses.

Comme les marchands ne pensent pas seulement aux mers qu'ils ont à traverser, mais encore au gain et au profit qui leur en doit revenir, nous devons de même penser au ciel et à l'accès qui nous sera donné auprès de Dieu. Que s'il vous paraît doux de s'enrichir par des rapines, souvenez-vous que Jésus-Christ vous le défend, et incontinent cela vous deviendra désagréable et amer. Et encore, si vous avez de la peine à faire part de vos biens aux pauvres, ne pensez pas seulement à ce qu'il vous en coûte, mais oubliez la semence et tournez toutes vos pensées vers la moisson. S'il vous paraît difficile de vous abstenir d'aimer la femme d'autrui, envisagez la couronne que vous procurera ce combat, et vous remporterez facilement la victoire. Car si la crainte des hommes vous peut retenir, et vous détourner des mauvaises actions, à [489] combien plus forte raison l'amour de Jésus-Christ doit-il avoir cet empire sur vous?

La vertu est pénible; il faut en déguiser l'aspect sous la grandeur des récompenses qui lui sont promises: les gens de bien, sans aucun autre motif, l'aiment pour elle-même; ils l'honorent par cette seule raison qu'ils la trouvent belle et agréable; ils l'exercent et la pratiquent pour l'amour de Dieu, et non pour l'amour de la récompense; ils regardent la continence comme une grande vertu, non par la crainte du supplice, mais par le précepte que Dieu en a fait: mais, si l'on est faible, qu'on se représente aussi les récompenses.

Usons-en de même à l'égard de l'aumône, ayons compassion de nos compatriotes, ayons pitié de nos frères, ne les laissons pas mourir de faim. Ne serait-il pas honteux d'être commodément assis à table au milieu des ris et des délices, tandis qu'au coin de cette rue, d'autres personnes se lamentent et jettent des cris; de ne courir pas promptement au secours de celui qui gémit et qui pleure, et, au contraire, de ne le pouvoir souffrir et l'appeler fourbe et imposteur? O homme, que dites-vous? Trompe-t-on pour un pain? Oui, direz-vous. Voilà donc pourquoi le pauvre vous doit plus toucher de compassion, voilà pourquoi vous devez plus vous bâter de le tirer de sa misère. Mais si vous ne lui voulez rien donner, du moins ne l'outragez pas: si vous ne le voulez pas retirer du naufrage, ne l'y poussez point, et ne l'enfoncez pas dans le précipice. Lorsqu'il se présente à vous, et que vous le rejetez, pensez en vous-même à ce que vous voulez demander à Dieu, à ce que vous désirez obtenir de lui: «On se servira envers vous», dit le Seigneur, «de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres». (Mt 7,2) Examinez de quelle manière le pauvre se retire après votre refus; il s'en va humilié, la tête baissée, les yeux trempés de larmes, portant en même temps et la plaie de sa pauvreté, et la plaie que votre outrage vient de lui faire. Si mendier vous semble une malédiction; ne rien recevoir après en avoir subi la honte, être renvoyé avec des injures, considérez quelle affreuse tempête cela doit exciter dans son âme.

Jusques à quand serons-nous semblables aux bêtes féroces? jusques à quand notre avarice nous fera-t-elle oublier la nature? Bien des gens gémissent de nous voir si durs et si impitoyables: mais je veux aujourd'hui vous prêcher la miséricorde, et non-seulement aujourd'hui, mais toujours. Pensez à ce redoutable jour auquel nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ. Lorsque nous demanderons miséricorde, et que Jésus-Christ, ayant fait avancer les pauvres au milieu, nous parlera de la sorte: Pour un pain ou pour une obole, vous avez excité une très-grande tempête dans le coeur de ceux-ci, que répondrons-nous? quelle sera notre excuse? Car le Seigneur nous doit amener les pauvres au milieu et nous les présenter; c'est ce que nous apprennent ses propres paroles; écoutez-le: «Autant de fois que vous avez manqué de rendre ces assistances à l'un de ceux-ci, vous avez manqué à me les rendre à moi-même». (Mt 25,45) Les pauvres alors ne nous diront pas un seul mot, mais Dieu nous fera lui-même les reproches pour eux.

Le riche vit Lazare, et si Lazare ne lui dit rien, Abraham parla pour lui. Il en arrivera de même à l'égard des pauvres que nous méprisons maintenant: nous ne les verrons pas nous tendre la main, ni vêtus de sales et misérables habits; nous les verrons dans le repos et dans la gloire; mais nous, nous prendrons leurs habits et leur figure. Et plût à Dieu que nous ne prissions que la figure et l'habit; et que, ce qui est pire et bien plus terrible, nous ne fussions pas jetés dans le lieu des supplices! Le riche, dans le lieu où il était, ne demandait pas de se rassasier des miettes, mais il était dans. le feu et dans les rigoureux tourments; et cette voix se fit entendre à lui: «Vous avez reçu vos biens dans votre vie, et Lazare n'y a eu que du mal». (Lc 16,25)

N'estimons donc pas les richesses comme quelque chose de grand. Elles serviront à nous conduire au supplice, si nous ne sommes pas attentifs sur nous-mêmes; mais, au contraire, si nous le sommes, la pauvreté sera pour nous un accroissement de repos et de délices; car elle efface nos péchés, si nous la souffrons avec actions de grâces, et savons nous procurer un grand crédit auprès de Dieu.

7705 5. Ne cherchons pas à jouir du repos sur la terre, afin que nous en jouissions dans le ciel; combattons courageusement pour la vertu; retranchons tout ce qu'il y a chez nous de superflu et d'inutile; contentons-nous du nécessaire, et répandons nos biens dans le sein des [490] pauvres. Jésus-Christ lui-même nous promet le ciel pour récompense, et nous ne lui donnons même pas du pain; sur quoi nous excuserons-nous? Il fait lever son soleil sur vous, il met à votre service toute la création (Mt 5,45); et vous, vous ne lui donnez pas seulement un habit; et vous, vous ne lui donnez pas le moindre logement dans votre maison? Et que dis-je, son soleil et les créatures? Il vous a donné son corps et son sang précieux, et vous ne lui donnez même pas un verre d'eau; peut-être cela vous est-il arrivé une fois? mais ce n'est point là exercer la miséricorde; si, tant que vous avez de quoi donner, vous ne donnez pas, vous n'accomplissez pas tout le devoir de miséricorde. Les vierges, qui avaient des lampes, avaient aussi de l'huile; mais ce qu'elles en avaient n'était pas suffisant. Quand même vous donneriez du vôtre, vous ne devriez pas être si avare, mais comme vous ne donnez que ce qui appartient au Seigneur, pourquoi êtes-vous si tenace?

Voulez-vous que je vous découvre d'où vient une si grande inhumanité? Ceux qui amassent par avarice sont durs et paresseux à donner l'aumône, celui qui a appris à s'enrichir de la sorte ne sait ce que c'est que la répandre. Comment, en effet, celui qui est prêt aux rapines pourrait-il se résoudre à donner? Celui qui ravit le bien d'autrui, comment donnerait-il du sien à un autre? Un chien qui s'est accoutumé à vivre de carnage, ne peut plus garder le troupeau; c'est pourquoi les bergers tuent ces sortes de chiens. Abstenons-nous donc d'une pareille nourriture, si nous ne voulons pas qu'on nous tue de même. Et sachons que c'est vivre de carnage que de faire mourir les autres de faim.

Ne voyez-vous pas, mes frères, que Dieu nous adonné toutes choses en commun? S'il a permis qu'il y eût des pauvres, il l'a permis pour l'amour des riches, afin qu'ils pussent effacer leurs péchés par l'aumône. Mais vous êtes en cela même cruel et inhumain; d'où il paraît évidemment que, si votre pouvoir était plus grand et plus étendu, vous commettriez une infinité de meurtres, et vous prive. riez tous les hommes de la lumière et de là vie. Voilà pourquoi Dieu a prescrit des bornes à votre cupidité. Que si ce que je vous dis maintenant, vous pique et vous offense, je dois bien plus m'offenser moi-même de voir toutes ces choses. Jusques à quand serez-vous riche, et celui-ci sera-t-il pauvre? Jusqu'au soir: après, tout prendra une nouvelle face, tant la vie est courte. Déjà on est à la porte; tout va arriver, encore une petite heure. A quoi bon ces greniers, cette abondante provision de toutes choses; de quoi vous servira cette foule d'esclaves, de valets, d'officiers? pourquoi ne vous faites-vous pas plutôt mille témoins de vos aumônes? Votre trésor est muet, et il vous attirera bien des voleurs. Mais le trésor qui est répandu sur les pauvres monte jusqu'à Dieu, il rend la vie douce et agréable, il vous obtiendra la rémission de tous vos péchés, et vous couvrira de gloire devant Dieu, et d'honneur devant les hommes. Pourquoi vous privez-vous donc de si grands biens? en donnant vous vous faites plus de bien à vous-même qu'aux pauvres. Vous leur donnez les biens périssables de cette vie, mais vous vous procurez la gloire future et la confiance. Dieu veuille que nous l'obtenions tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire et l'empire appartiennent dans tous les siècles! Ainsi soit-il.

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HOMÉLIE LXXVIII. JE NE VOUS AI PAS DIT CES CHOSES DÈS LE COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS;


Chrysostome sur Jean 76