Chrysostome sur Jean 854

854 4. Et comme le temps les pressait (Jésus étant mort vers la neuvième heure (1)), Joseph ensuite ayant été chez Pilate, de là lui et Nicodème étant allés détacher et prendre le corps, il y a toute apparence que le soir approchait; et alors, la fête commençant, il n'était point permis de travailler: comme donc le temps les pressait, ils déposèrent le corps dans le tombeau le plus proche. Et il arriva, par une disposition de la divine Providence, que ce corps fut déposé dans un sépulcre tout neuf, où personne n'avait encore été mis, afin qu'on ne crût pas que c'était un autre mort enseveli avec lui qui était ressuscité: et afin que les disciples pussent facilement y aller et assister à l'événement, ce lieu étant proche de la ville: et encore, afin que non-seulement les disciples de Jésus, mais aussi ses ennemis fussent témoins de sa résurrection. En effet, la précaution qu'avaient prise les Juifs de s'assurer du sépulcre, d'en sceller la pierre et d'y mettre des soldats pour le garder (Mt 27,66), était un témoignage bien sûr que Jésus y était enseveli. Jésus-Christ n'eut pas moins de soin que sa sépulture fût publiquement reconnue que sa résurrection. Les disciples aussi s'attachent fortement à établir et à confirmer cette vérité, que Jésus était véritablement mort; car dans la suite des temps la résurrection devait être suffisamment prouvée. Mais si l'on eût pu répandre des doutes et des ténèbres sur la mort, et même si elle n'eût été tout à fait certaine et évidente, les preuves de la résurrection auraient été obscurcies. Ce n'est donc pas pour ces raisons seulement que le corps fut enseveli dans ce lieu voisin de la ville, mais encore afin que le bruit, que les disciples l'avaient furtivement enlevé, se montrât absolument faux.

1 C'est-à-dire, sur les trois heures après midi.

«Le premier jour de la semaine», c'est-à-dire le dimanche, «au premier point du jour et dès le matin, Marie Madeleine vint au sépulcre, et elle vit que la pierre avait été ôtée du sépulcre». (Jn 20,1) Jésus-Christ était ressuscité, et la pierre et les sceaux étaient là exposés aux yeux du public. Et comme il fallait que les autres aussi fussent persuadés de la résurrection, le sépulcre fut ouvert, et par là on reconnut ce qui venait d'arriver. La vue de ce sépulcre ainsi ouvert toucha Marie, qui aimait si ardemment son Maître: le jour du sabbat étant passé, elle n'eut point de repos qu'elle n'eût été au sépulcre, et elle y vint au point du jour, pour recevoir quelque consolation du lieu: et l'ayant vu, et la pierre renversée, elle n'entra point, elle ne regarda point dedans, mais brûlant d'amour, elle courut vers les disciples, parce qu'elle avait un très grand désir d'apprendre au plus tôt ce qu'était devenu le corps. Sa course et ses paroles le marquaient et le déclaraient hautement.

«On a enlevé mon Maître, et je ne sais où on l'a mis». Ne voyez-vous pas que Marie n'avait point encore une claire connaissance de la résurrection, et qu'elle pensait qu'on avait transporté le corps de son Maître? n'entendez-vous pas aussi avec quelle ingénuité elle raconte aux disciples ce qu'elle vient de voir? Mais l'historien n'a pas manqué de lui donner toutes les louanges qu'elle méritait, et n'a pas cru se déshonorer en faisant connaître que c'était d'elle, qui avait été de nuit au sépulcre, qu'ils avaient appris les premières nouvelles de la résurrection: ainsi se montre et éclate en tout son amour pour la vérité. Marie étant donc venue et ayant rapporté ces choses, les disciples courent aussitôt au sépulcre, et ils voient les linceuls qui y étaient, comme une marque et un témoignage de la résurrection (Jn 20,3-6). Si l'on eût emporté le corps, on ne l'aurait pas dépouillé auparavant; et si on l'avait dérobé, on ne se serait pas donné le soin ni la peine d'ôter le linceul, de le plier et de le mettre en un endroit, mais on l'aurait emporté comme il était. C'est pourquoi l'évangéliste n'a tant d'empressement et de soin de marquer que le corps avait été enseveli avec beaucoup de myrrhe, substance qui colle et attache le linge au corps comme le plomb, qu'afin qu'ayant appris que les linceuls étaient pliés en un lieu, à part, vous n'écoutiez pas ceux qui disent qu'on avait enlevé le corps par fraude. Un voleur n'aurait pas été assez fou pour employer tant de temps à une chose inutile. Pour quelle raison aurait-il laissé les linceuls? Comment se serait-il arrêté à les détacher du corps, sans qu'on s'en fût aperçu? Il fallait pour cela bien du temps, et s'il eût ainsi tardé, il n'aurait guère pu manquer d'être pris sur le fait.

Mais pourquoi les linceuls étaient-ils là séparément, et le suaire plié en un lieu à part? Pour vous montrer que cela ne s'était pas fait [539] à la hâte et tumultueusement, puisque les linceuls et le suaire étaient séparés et pliés à part: en un mot, cela s'est fait ainsi, afin que les disciples crussent la résurrection. C'est pourquoi Jésus-Christ leur apparut ensuite, comme étant déjà persuadés de la résurrection par ce qu'ils avaient vu.

Considérez ici, je vous prie, mes frères, combien l'évangéliste est éloigné du faste et de la vanité: examinez le soin qu'il a de certifier que Pierre fit une exacte recherche. Etant arrivé le premier au sépulcre et ayant vu les linceuls qui y étaient, il ne chercha rien de plus, et il se retira. Mais Pierre, qui était vif et bouillant, entra dans le sépulcre, examina tout avec attention, et fit une nouvelle découverte; alors il appela Jean, afin qu'il vînt aussi voir. Jean étant donc entré après Pierre, vit de même les linges qui avaient servi à ensevelir le corps, séparés et pliés en un lieu à part. Or, ces linges ainsi séparés, pliés et mis en un lieu à part, prouvent visiblement que celui qui les avait rangés de cette manière n'était ni pressé ni troublé, mais qu'il était tranquille et attentif à ce qu'il faisait.

5. Vous l'avez entendu, mes frères: le Seigneur est ressuscité nu; gardez-vous donc de ces folles dépenses qu'on fait aux enterrements. A quoi sert une vaine et folle dépense, dommageable aux parents du mort, sans être d'aucun avantage au mort lui-même; ou plutôt qui, si l'on veut avouer la vérité, est très-ruineuse pour ceux-là et très-dommageable pour ceux-ci. Souvent la magnificence, la somptuosité avec laquelle on ensevelit les morts, a été cause que les voleurs les ayant déterrés et dépouillés, les ont laissés nus et sans sépulture: mais, ô vaine gloire! tu portes ta tyrannie jusques sur les deuils et les enterrements, et quelle folie n'inspires-tu pas? Plusieurs, en effet, pour empêcher ce malheur, découpent et déchirent de très-belles et très-précieuses toiles, et, après les avoir remplies de beaucoup d'aromates, ils les enterrent, afin que de cette manière elles soient inutiles aux voleurs. N'est-ce pas là l'action d'un furieux et d'un insensé; faire éclater son faste et sa vanité, et en détruire aussitôt la matière? Oui, disent-ils, c'est l'expédient que nous avons trouvé, afin que nos morts soient en sûreté, et que ce que nous leur donnons leur demeure. Quoi donc! Si les voleurs n'emportent pas ces draps, les teignes et les vers ne les mangeront-ils pas? Et si les vers et les teignes les épargnent, le temps et la pourriture ne les détruiront-ils pas?

Mais supposons que ni les vers, ni les teignes, ni le temps, ni aucun autre accident ne détruise ces choses, qu'on ne touche point au corps, et que tout se conserve dans sa fraîcheur, sa solidité, sa finesse, les morts en seront-ils plus avancés et plus riches? Le corps ressuscitera nu, ces dépouilles resteront dans le sépulcre, et ne nous serviront de rien pour rendre notre compte. Pourquoi donc, direz-vous, a-t-on enseveli le corps de Jésus-Christ dans ces linceuls pleins de précieux aromates? Ah! gardez-vous de mêler les choses saintes avec les choses profanes: gardez-vous de confondre ce qu'on a fait pour le Seigneur avec ce que l'on fait pour des hommes: témoin les parfums répandus par la femme débauchée sur les pieds sacrés du Sauveur. S'il en faut parler, nous dirons d'abord que ceux qui ont fait ces choses n'avaient point encore de connaissance de la résurrection; c'est pourquoi l'évangéliste dit: «Selon que les Juifs ont accoutumé d'ensevelir». (Jn 19,41) Ceux qui honoraient ainsi Jésus-Christ n'étaient pas de ses douze disciples, mais de ceux qui ne l'honoraient qu'à moitié: ce n'est pas de cette sorte que les douze apôtres l'ont honoré, mais en souffrant la mort pour lui, en s'exposant pour lui à mille périls et à mille morts. L'honneur que lui ont rendu ceux dont je parle, était véritablement un honneur, mais de beaucoup inférieur à celui-ci. De plus, comme j'ai dit, nous parlons maintenant des hommes, et c'est du Seigneur qu'il s'agissait alors.

Mais afin que vous sachiez qu'il ne se souciait pas de ces choses, écoutez ce qu'il dit «Vous m'avez vu avoir faim, et vous m'avez donné à manger: avoir soif, et vous m'avez donné à boire: nu, et vous m'avez revêtu». (Mt 25,35-37) Jamais il n'a dit: vous m'avez vu mort, et vous m'avez enseveli. Je ne vous dis pas ceci pour vous détourner de rendre aux morts les devoirs de la sépulture. A Dieu ne plaise! mais afin que vous proscriviez le luxe et les dépenses fastueuses et mal placées.

Ce sont là, direz-vous, des témoignages de notre douleur, de notre affection pour le mort. Non, ne vous y trompez pas, mes frères; non, ce n'est point là de l'affection pour le mort, [540] mais de la vanité. Vous voulez lui marquer votre compassion? Je vais vous montrer des funérailles d'une autre espèce, et vous apprendre comment vous le couvrirez de vêtements qui le rendront illustre: de vêtements que ni les vers, ni le temps ne consumeront point, et que les voleurs n'emporteront point. Quels sont-ils? C'est le manteau de l'aumône; ce manteau ressuscitera avec lui: l'aumône demeure imprimée comme un sceau. Ils brilleront par leurs vêtements, ceux à qui, en ce jour redoutable, on dira: «J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger». Ce sont là les vêtements qui rendent célèbres et illustres ceux qui en sont revêtus: ce sont là les vêtements qui nous mettent en sûreté. Ceux que l'on fait maintenant sont une vaine et folle dépense, qui ne sert qu'à nourrir les teignes et les vers.

Encore une fois, je ne dis point ces choses pour empêcher les funérailles, mais seulement je veux que vous n'excédiez point les bornes, que vous vous contentiez de couvrir le corps et de ne point le mettre nu en terre. S'il est prescrit à ceux mêmes qui vivent d'avoir uniquement de quoi se couvrir, c'est la même chose, à plus forte raison, pour les morts. En effet, un mort n'a pas tant de besoin de vêtements qu'un homme qui vit et qui respire. Lorsque nous vivons, les habits nous sont nécessaires, tant pour le froid que pour la pudeur: les morts, exempts de ces nécessités, demandent seulement que leur corps ne soit pas mis nu dans la terre: sans compter qu'ils sont déjà très-bien couverts par la terre elle-même, linceul parfaitement approprié à leur nature. Si donc, ici-bas même, où nous sommes sujets à tant de besoins et de nécessités, il ne faut rien rechercher de superflu; à bien plus forte raison, là où il n'y en a point autant, la vanité et le faste sont-ils blâmables et hors de propos.

6. Mais, direz-vous, si on le voit, si on le sait, on rira, on se moquera de nous. Certes, il ne faut point tant se soucier de ces ris, que de l'extrême folie des rieurs. Et croyez-moi, il se trouvera plutôt bien des gens qui nous admireront, et qui loueront notre philosophie et notre vertu. Ce n'est point là ce qui est digne de risée, mais c'est ce que nous faisons: nos excès, nos pleurs, nos gémissements, s'ensevelir avec les morts, voilà ce qui est digne des ris et du supplice. Mais philosopher, mais se conduire par la raison et dans le deuil et dans la manière de vêtir les morts, c'est sûrement ce qui nous procurera des couronnes et des louanges. Tous nous applaudiront, tous admireront la vertu de Jésus-Christ, et diront: Ah! combien est grand le pouvoir de Jésus-Christ! Il a persuadé à ceux qui doivent nécessairement mourir que la mort n'est point une mort voilà pourquoi ils n'agissent point comme créatures périssables, mais comme s'ils envoyaient les leurs les précéder dans un meilleur séjour. Il leur a persuadé que ce corps corruptible et terrestre sera revêtu de l'incorruptibilité, parure bien plus précieuse que les habits d'or et de soie. Et c'est pour cela qu'ils ne s'attachent pas à faire de si pompeuses funérailles, regardant une bonne vie comme le plus somptueux des enterrements.

Voilà ce qu'ils diront, s'ils nous voient philosopher de la sorte et nous conduire avec sagesse: mais s'ils nous voient tristes et abattus, s'ils apprennent que nous menons autour du corps une troupe de pleureuses, ils se riront de nous, ils nous diffameront, ils nous diront des injures, et ils blâmeront la vaine et superflue dépense que nous faisons. Car c'est là sur quoi tous s'écrient et nous font des reproches, et certes ils ont raison. En effet, où peut être notre excuse, quand nous parons un corps que la pourriture et les vers vont consumer, et qu'au contraire nous négligeons, nous méprisons Jésus-Christ qui a soif, qui est nu dans ces rues, et sans logement? Cessons donc de nous donner ces soins et ces peines superflues: ensevelissons les morts, mais de manière que, et dans eux et dans nous, cela tourne à la gloire de Dieu. Répandons pour eux de grandes aumônes, munissons-les de bonnes provisions pour leur voyage. Si la mémoire des grands hommes qui sont morts est utile et avantageuse à ceux qui vivent (car le Seigneur dit: «Je protégerai cette ville à cause de moi et de mon serviteur David») (2R 19,34), à plus forte raison l'aumône attirera-t-elle ces avantages et cette protection aux morts. En effet, l'aumône, oui, l'aumône ressuscite les morts: c'est elle qui a ressuscité Dorcas (Ac 9,36 Ac 9,39), lorsque les veuves, entourant saint Pierre, lui montrèrent les habits que ses mains leur avaient faits.

Lors donc que quelqu'un est près de mourir, que son plus proche parent prenne soin de ses funérailles; qu'il conseille au mourant [541] de laisser quelque chose aux pauvres; qu'il l'envoie dans l'autre monde avec ces vêtements, qu'il l'engage à constituer Jésus-Christ son héritier. Si les rois, en instituant des héritiers, créent à leur famille une forte garantie; celui qui laisse Jésus-Christ héritier avec ses enfants, quelle bienveillance n'attire-t-il pas, et sur lui-même, et sur toute sa famille? Telles sont les belles funérailles: voilà celles qui sont profitables et aux vivants et aux morts. Si nous avons de pareilles funérailles, nous sortirons du tombeau, au jour de la résurrection, tout brillants et couverts de gloire. Mais si, ayant soin de notre corps, nous négligeons noire âme, nous aurons beaucoup à souffrir dans l'autre monde, et nous nous attirerons de grandes risées et de grandes moqueries. Ce n'est pas une petite infamie que de sortir de ce monde dénué de vertu: un corps privé de la sépulture et jeté par terre n'est pas si déshonoré que l'est une âme qui n'est point parée de vertu.

Revêtons-nous donc de la vertu, couvrons-nous de ce manteau. Si, par malheur, nous l'avons négligée durant notre vie, soyons sages du moins à la mort, et ayons grand soin de nous faire des amis et des protecteurs par nos aumônes. Forts de ces secours réciproques, puissions-nous comparaître au divin Tribunal avec cette pleine confiance que je vous souhaite, mes frères, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, l'empire, l'honneur, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.


HOMÉLIE LXXXVI. CES DISCIPLES S'EN RETOURNÈRENT DONC CHEZ EUX. - MAIS MARIE SE TINT DEHORS, PLEURANT PRÈS DU SÉPULCRE. (VERS. 10, 11, JUSQU'AU VERS. 23)

86
Jn 20,10-23

ANALYSE.

1. Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
2. Marie l'annonce aux apôtres. - Pourquoi Jésus-Christ apparut sur le soir à ses disciples.
3. La grâce du Saint-Esprit est ineffable.
4. Faire tout son possible et ne rien épargner pour avoir avec soi le Saint-Esprit, et conserver sa grâce. - Grandeur de la dignité et de la charge des prêtres; les honorer, les révérer, les assister. - C'est se nuire à soi-même que de les outrager et offenser.

l. Les femmes sont naturellement tendres et portées à la compassion. Je dis cela afin que vous ne vous étonniez pas de voir Marie fondre en larmes devant le sépulcre, et Pierre ne point pleurer, car l'évangéliste dit: «Les Disciples s'en retournèrent ensuite chez eux, mais Marie se tint dehors, pleurant près du sépulcre». Elle était d'un sexe faible, et elle n'avait pas encore une claire connaissance de la résurrection. De même aussi les disciples n'étaient pas encore bien persuadés de cette vérité; ayant vu les linceuls, ils crurent et ils s'en retournèrent chez eux frappés d'étonnement. Et pourquoi ne s'en allèrent-ils pas aussitôt en Galilée, comme il leur avait été ordonné avant la passion? peut-être ils attendaient les autres. Et de plus, ils étaient fort incertains et fort embarrassé.

(542) Les disciples s'en retournèrent donc chez eux, et Marie demeura auprès du sépulcre: la seule vue du tombeau la consolait, comme je l'ai dit. Vous voyez de même qu'elle se baissait pour regarder dedans, et que de voir seulement le lieu où avait été le corps, c'était pour elle un surcroît de consolation; c'est pourquoi son ardeur et son zèle furent bien récompensés. Elle eut l'avantage de voir la première ce que les disciples ne virent point, de voir deux anges vêtus de blanc assis au lieu où avait été le corps de Jésus, l'un à la tête et l'autre aux pieds; la seule vue de ce vêtement lui inspirait de la joie et du plaisir. Et comme cette femme n'avait pas l'intelligence assez élevée pour tirer des linceuls et du suaire la preuve de la résurrection, le Seigneur fit quelque chose de plus, il lui fit voir des anges assis, vêtus d'habits de fête et de réjouissance, pour la consoler et l'encourager par ce spectacle.

Ces anges ne lui parlent point de la résurrection, mais elle est peu à peu amenée à la connaissance de cette vérité. Elle vit un vêtement brillant, elle entendit une voix consolante; et que dit cette voix? «Femme, pourquoi pleurez-vous (Jn 20,13)?» Toutes ces circonstances furent pour elle comme une porte ouverte, par où elle en vint insensiblement à parler de la résurrection. La posture même de ces anges assis la portait à les interroger, car ils paraissaient savoir ce qui s'était passé. Voilà pourquoi ils n'étaient point assis ensemble, mais à quelque distance l'un de l'autre. Et comme il n'était pas croyable qu'elle les eût osé interroger la première, les anges la prévinrent et l'invitèrent à s'entretenir avec eux et par leur interrogation et par leur attitude. Que répondit donc Marie? Elle dit avec autant d'ardeur que d'amour: «Ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis». Marie, que dites-vous? Vous ne savez rien encore de la résurrection; vous vous imaginez qu'on a pris le corps, qu'on l'a caché? Ne voyez-vous pas bien, mes frères, que cette femme n'était point encore initiée à ce dogme sublime?

«Ayant dit cela, elle se retourna (Jn 20,14)». Quelle est la suite de tout cela? Marie parle avec les anges, elle n'en a rien appris encore, et incontinent elle se retourne. Pour moi, il me semble que comme elle prononçait ces paroles Jésus-Christ apparut tout à coup derrière elle, que les anges eurent quelque frayeur, et qu'ayant reconnu le Seigneur ils marquèrent aussitôt, et par leur regard et par leur mouvement, qu'ils le voyaient, ce qui fit que Marie se tourna. Le Seigneur apparut donc visiblement aux anges, mais il ne se montra pas de même à cette femme, de peur de l'effrayer dans cette première vision. Il ne se fit voir que sous un habit fort vil et fort commun; ce qui le prouve, c'est qu'elle le prit pour un jardinier. Au reste, il n'était pas à propos d'élever tout à coup à la sublime connaissance de la résurrection une femme qui avait l'esprit et des sentiments si bas et si grossiers; il fallait l'y amener peu à peu. Jésus-Christ l'interrogea donc de nouveau, et lui dit: «Femme, pourquoi pleurez-vous? Qui cherchez-vous (Jn 20,15)?» Cela lui montra que Jésus-Christ savait qu'elle voulait l'interroger, et l'engagea à le faire. Comprenant cela, Marie ne nomma plus Jésus; mais comme si cet homme eût connu celui dont elle s'informait, elle répondit: «Si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai». Marie dit encore: «Où vous l'avez mis, si vous l'avez enlevé», comme si Jésus était entre les morts. Mais voici ce qu'elle veut dire: Si par la crainte que vous avez des Juifs vous l'avez ôté d'ici, dites-le-moi et je l'emporterai.

Cette femme a une grande affection et un grand amour, mais elle n'a encore rien de grand dans l'esprit; c'est pourquoi Jésus se fait connaître à elle, non au visage, mais au son de la voix. Comme quelquefois il se faisait connaître aux Juifs, et quelquefois aussi il ne se faisait point connaître, quoique présent à leurs yeux; de même, quand il parlait, il dépendait de lui de se rendre reconnaissable. Ainsi lorsqu'il a dit aux Juifs: «Qui cherchez-vous?» il ne s'est fait connaître ni au visage ni à la voix, que lorsqu'il l'a bien voulu; et c'est ce qu'il fait encore ici, où il se contente d'appeler Marie par son nom, lui reprochant les sentiments qu'elle a de sa personne, et la reprenant de le croire mort, lui qui est vivant. Mais comment dit-elle «s'étant tournée (Jn 20,16)»; car c'est à elle que Jésus parlait? Je pense que lorsqu'elle disait: «Où l'avez-vous mis?» elle s'était tournée vers les anges pour leur demander le sujet de leur frayeur; qu'ensuite Jésus l'appelant, elle se tourna vers lui, et qu'il se fit reconnaître d'elle au son de la voix. [543] Car c'est lorsqu'il l'appela «Marie» qu'elle le reconnut. Ainsi elle le reconnut, non au visage, mais à la voix.

Mais, direz-vous, d'où paraît-il que les anges aient eu de la frayeur, et que ce soit pour cela que Marie se tourna vers eux? Vous aurez ici la même raison pour dire: par où voit-on que Marie toucha Jésus et se jeta à ses pieds? Mais si l'une de ces choses résulte évidemment de ces paroles de Jésus: «Ne me touchez pas (Jn 20,17)»; de même, ce que rapporte l'évangéliste, qu'elle se tourna, prouve clairement l'autre.

2. Pourquoi Jésus dit-il: «Ne me touchez pas?» Quelques-uns répondent que Marie demandait la grâce spirituelle, «le don du Saint-Esprit», parce qu'elle lui avait entendu dire à ses disciples: «Si je m'en vais à mon Père, je le prierai, et il vous donnera un autre Consolateur». (Jn 14,16) Et comment Marie, qui n'était point avec les disciples, aurait-elle pu entendre ces mots? Mais de plus, c'est là une pure imagination qui est fort éloignée du vrai sens de ces paroles. Comment demanderait-elle cette grâce, Jésus n'étant pas encore allé à son Père? Que faut-il donc répondre? Je crois que Marie voulait encore demeurer avec Jésus comme auparavant, et que dans sa joie elle n'atteignait point à la hauteur de la vérité, quoique Jésus fût, selon la chair, dans un état beaucoup plus parfait. Le Seigneur corrige donc son erreur et réprime cet excès d'assurance; et, en effet, on ne voit pas qu'il ait conversé sur ce ton avec ses disciples eux-mêmes: il élève son esprit afin qu'elle approche de lui avec plus de respect et de vénération.

Si donc Jésus avait dit: N'approchez pas de moi comme auparavant, les choses ne sont plus dans le même état, et je ne dois pas converser de la même manière avec vous dans la suite; cette réponse aurait paru vaine et fastueuse. Mais celle-ci: «Je ne suis pas encore monté vers mon Père (Jn 20,17)»; quoique plus douce, signifie la même chose, car en disant: «Je ne suis pas encore monté», il déclare qu'il se hâte d'y monter et que c'est ce qu'il prétend faire incessamment; or il ne fallait pas regarder du même oeil qu'auparavant celui qui allait monter au ciel et qui ne devait plus demeurer avec les hommes. Ce qui suit fait voir qu'en effet c'est là le vrai sens de ces paroles: «Allez, ne vous arrêtez pas à me toucher, dites à mes frères que je vais monter vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu». Cependant il n'allait pas sitôt y monter, mais seulement après quarante jours. Pourquoi lui parle-t-il donc de la sorte? C'est pour élever son esprit et lui donner la certitude qu'il devait monter au ciel. Et ces mots: «Vers mon Père et votre Père; vers mon Dieu et votre Dieu», regardent l'incarnation: comme quand il dit monter, c'est de sa chair qu'il le dit. Et Jésus parle ainsi à Marie, parce qu'elle n'avait pas encore de lui des sentiments dignes de sa majesté. Dieu est-il donc le Père de Jésus d'une manière, et notre Père d'une autre manière? Sûrement. S'il est d'une autre manière le Dieu des justes, qu'il ne l'est du reste des hommes, à plus forte raison est-il le Dieu du Fils d'une manière, et d'une autre notre Dieu. Ainsi quand il a dit: «Dites à mes frères», de peur qu'ils ne concluent de là à quelque égalité, il met une différence; car Jésus-Christ doit s'asseoir sur le trône de son Père, et eux doivent se tenir debout devant ce trône. C'est pourquoi, encore que, selon sa substance charnelle, il soit devenu notre frère, il est pourtant bien différent de nous en dignité, et on ne peut même exprimer la grandeur de cette différence.

«Marie vint donc dire aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur et qu'il lui avait dit ces choses (Jn 20,18)»: Tant est grand le bien que produit l'assiduité et la persévérance! Mais pourquoi les disciples ne s'affligèrent-ils pas en apprenant que leur Maître s'en irait bientôt et ne dirent-ils pas les mêmes choses qu'ils avaient dites auparavant? Alors ils s'attristaient et ils pleuraient parce qu'il allait mourir; maintenant qu'ils apprennent qu'il est ressuscité, de quoi s'affligeraient-ils? Marie annonça aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur; elle leur rapporta ses paroles qui étaient bien propres à les consoler. Mais comme il était à présumer que les disciples, entendant ce rapport, ou ne croyaient point cette femme, ou, s'ils la croyaient, verraient avec peine que Jésus ne les eût pas honorés de sa vision, après la promesse qu'il leur avait faite de se faire voir à eux en Galilée (Mt 28,10); de peur donc que, repassant ces choses dans leur esprit, ils ne tombassent dans la tristesse et dans l'affliction, le divin Sauveur ne laisse même pas passer le jour: mais, par la nouvelle de la résurrection et par le récit de cette femme, [545] ayant allumé dans leur coeur le désir de le voir, lorsqu'ils brûlaient de ce désir, que la crainte des Juifs augmentait encore, alors il leur apparut sur le soir et d'une manière merveilleuse et admirable (Jn 20,19).

Et pourquoi leur apparut-il sur le soir? Parce qu'il était apparent qu'alors leur crainte avait redoublé et qu'ils étaient dans une terrible frayeur. Mais ce qui est étonnant, c'est qu'ils ne l'aient pas pris pour un fantôme; car il entra, les portes étant fermées et tout à coup; mais sûrement Marie les avait prévenus et leur avait inspiré une grande foi; de plus, il se montra à eux avec un visage brillant et plein de douceur. Il ne vint pas de jour, afin qu'ils fussent tous assemblés; car ils étaient dans un grand étonnement et dans un grand effroi. Il ne frappa point à la porte, mais tout à coup il parut au milieu d'eux et il leur montra son flanc et ses mains, et en même temps il calma par sa voix les pensées tumultueuses qui les agitaient, leur disant: «La paix soit avec vous (Jn 20,19)», c'est-à-dire: Ne vous troublez point; et il leur rappelle ces paroles qu'il leur avait dites avant d'aller à la croix: «Je vous laisse la paix» (Jn 14,27); et encore: «Ayez la paix en moi, vous aurez à souffrir bien des afflictions dans le monde». (Jn 16,33)

«Les disciples eurent donc une grande joie de voir le Seigneur (Jn 20,20)». Ne remarquez-vous pas, mes frères, que le Seigneur confirme sa parole par ses oeuvres? Car ce qu'il a prédit à ses disciples avant d'aller à la croix, avant sa mort: «Je vous verrai de nouveau, et votre coeur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie» (Jn 16,22), il le réalise maintenant. Au reste, toutes ces choses servirent beaucoup à leur inspirer une foi ferme et constante. Comme les Juifs leur devaient faire une guerre implacable, le Sauveur leur répète souvent: «La paix soit avec vous», leur donnant par là une consolation proportionnée à la guerre et aux combats qu'ils auraient à soutenir.

3. Telle est la première parole que le Seigneur a dite à ses disciples après sa résurrection. Voilà pourquoi saint Paul fait ce souhait aux fidèles dans ses épîtres: «Que Dieu notre Père et Jésus-Christ Notre-Seigneur, vous donnent la grâce et la paix». Mais aux femmes, Jésus-Christ leur promet la joie, parce qu'elles étaient plongées dans la tristesse, et aussi elles ont eu les premières la joie et la consolation de le voir. C'est donc à propos et avec raison que le divin Sauveur annonce la paix aux hommes, parce qu'on leur devait déclarer la guerre; et la joie aux femmes, parce qu'elles étaient dans la douleur et dans la tristesse; et qu'ayant dissipé tout sujet de tristesse, il fait connaître les fruits de la croix, à savoir: la paix. Après donc qu'il a levé tous les obstacles, remporté son éclatante victoire, et tout consommé, il dit: «Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie aussi de même (Jn 20,21)». N'ayez aucun doute, ni sur ce qui s'est passé, ni sur le caractère de celui qui vous envoie. Ici, il relève leur coeur et leur courage et leur inspire une grande confiance, afin qu'ils se portent courageusement à entreprendre son oeuvre; il ne prie plus son Père, mais il leur donne de sa propre autorité la vertu et la puissance d'agir. Car «il souffla sur eux, et leur dit: Recevez le Saint-Esprit (Jn 20,22). Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez». De même qu'un roi qui envoie ses lieutenants et ses généraux, leur donne le pouvoir d'emprisonner et d'élargir les criminels, ainsi Jésus-Christ, envoyant ses apôtres, leur donne la même autorité et la même puissance.

Comment donc Jésus-Christ, après avoir dit: «Si je ne m'en vais point, le Saint-Esprit ne «viendra point à vous» (Jn 16,7), maintenant donne-t-il le Saint-Esprit? Quelques-uns répondent qu'il n'avait point donné le Saint-Esprit, et que, soufflant sur eux, il les avait seulement préparés à le recevoir. Si l'apparition d'un ange frappa Daniel et le fit tomber le visage contre terre (), que ne serait-il pas arrivé aux apôtres, recevant un don si ineffable sans que le Sauveur les y eût auparavant préparés, eux qui n'étaient encore que des disciples? C'est pourquoi il n'a point dit: Vous avez reçu, mais: «Recevez le Saint-Esprit». Néanmoins ce ne serait pas une erreur de dire qu'ils reçurent alors une certaine puissance spirituelle et une grâce; une grâce, non assez puissante, à la vérité, pour ressusciter les morts et opérer des miracles; mais capable de remettre les péchés; car il y a des différences entre les dons du Saint-Esprit, c'est pourquoi le Seigneur ajoute: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez», leur faisant connaître la nature [545] du don qu'il leur communique. Mais après quarante jours ils reçurent la puissance de faire des miracles. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit: «Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui descendra sur vous, et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem et dans la Judée (Ac 1,8)». Ce témoignage, ils l'ont rendu par les miracles, car la grâce du Saint-Esprit est ineffable, et ses dons sont de plusieurs sortes.

La sagesse de Dieu en a ainsi disposé pour vous apprendre que les dons du Père, du. Fils et du Saint-Esprit, sont un seul et même don, et leur puissance une seule et même puissance. Les choses qui paraissent être propres au Père, et lui appartenir uniquement, appartiennent également au Fils et au Saint-Esprit. (Jn 6,44) Comment donc personne ne vient au Fils si le Père ne l'attire? Mais cette puissance se montre aussi dans le Fils, car il dit: «Je suis la voie. Personne ne vient au Père que par moi». (Jn 14,6) Observez qu'il en est de même pour le Saint-Esprit. L'apôtre dit: «Nul ne peut confesser que «Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit». Et encore, le don que Dieu a, fait à l'Eglise de ses apôtres, l'Ecriture l'attribue tantôt au Père, tantôt au Fils, tantôt au Saint-Esprit; nous voyons aussi dans ces livres saints qu'il y a diversité de dons spirituels du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

4. Faisons donc tous nos efforts, et n'omettons rien pour avoir avec nous le Saint-Esprit et honorons infiniment ceux qu'il a chargés de son opération, car la dignité des prêtres est grande. «Les péchés seront remis», dit Jésus-Christ, «à ceux à qui vous les remettrez»; c'est pourquoi saint Paul disait: «Obéissez et soyez soumis à vos pasteurs, et portez-leur un très grand honneur et un très-grand respect». (He 13,17) Vous n'avez soin que de vous-mêmes, et si vous vous conduisez bien, vous n'avez point à rendre compte pour les autres. biais un prêtre, mais un pasteur, s'il se contente de bien vivre lui-même, s'il n'a pas en même temps un grand soin de vous et de tous ceux qui lui sont confiés, il ira en enfer avec les méchants; souvent il périt, non pour ses propres fautes et ses propres péchés, mais pour ceux d'autrui, s'il n'a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les corriger. Voyant donc à quels périls sont exposés vos pasteurs, ayez pour eux une affection tendre et respectueuse; saint Paul vous fait connaître ce que vous leur devez, en disant: «Ils veillent pour le bien de vos âmes», et ils ne veillent pas simplement, mais comme en devant rendre compte», c'est pourquoi on doit beaucoup les honorer et les respecter.

Que si vous vous joignez à ceux qui les insultent et les outragent, c'est à vous-même que vous ferez tort en même temps. Tant que le pilote est tranquille et dans la joie, les matelots et tout l'équipage sont en sûreté, mais si, par leurs injures et leurs mauvais traitements, ils lui rendent la vie dure et misérable, s'ils l'empêchent de veiller et d'exercer son art, il ira même malgré lui les jeter sur des écueils; ainsi vos pasteurs, si vous leur rendez l'honneur que vous leur devez, pourront, en veillant sur eux-mêmes, veiller aussi à votre garde et à votre salut; mais si vous les accablez d'ennuis, si vous les empêchez d'agir, vous vous exposerez à périr avec eux dans les flots, encore qu'ils soient actifs et vigilants.

Ecoutez ce que Jésus-Christ dit aux Juifs, et donnez-y toute votre attention. «Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites donc tout ce qu'ils vous disent de faire». (Mt 23,2-3) Maintenant il ne faut point dire: Les prêtres sont assis dans la chaire de Moïse; nous devons dire: ils sont assis dans la chaire de Jésus-Christ, car ils ont reçu sa doctrine. C'est pourquoi saint Paul dit: «Nous remplissons donc la charge d'ambassadeurs pour Jésus-Christ, et c'est Jésus-Christ même qui vous exhorte par notre bouche». (2Co 5,20) Ne voyez-vous pas que tous sont soumis aux puissances séculières et aux magistrats, et souvent ceux mêmes qui les surpassent en naissance, en probité et en prudence? La soumission qu'on a pour le prince qui les a établis et leur a confié son autorité, fait que l'on ne pense point à toutes ces choses, et que l'on ne considère que sa volonté, quel que soit celui qu'il a élevé à la magistrature. Nous qui avons une si grande crainte de celui qu'un homme a établi en autorité, quand c'est Dieu qui établit, quand c'est lui qui commande, nous ne craignons pas de mépriser, d'insulter, de couvrir de mille opprobres celui qu'il a choisi; nous à qui il est défendu de juger nos frères, nous aiguisons nos langues contre les prêtres. Et de quel pardon serons-nous dignes, nous qui, ne voyant pas une poutre dans notre oeil, cherchons [546] durement et sévèrement à découvrir une paille dans l'oeil d'autrui? Ignorez-vous que, lorsque vous jugez de la sorte, vous vous préparez un jugement plus rigoureux?

Je ne dis pas ceci, mes frères, pour excuser les méchants prêtres, ni pour approuver ceux qui exercent indignement leur ministère; loin de là, je les plains, je gémis sur leur sort, mais encore qu'ils soient méchants et indignes de leur caractère, il n'est point permis à ceux qui sont sous leur conduite, et surtout au peuple et aux simples de les juger. Quelque infâme que soit leur vie, si vous êtes attentifs à vos devoirs, vous ne recevrez aucun préjudice dans ce qui est du ministère que Dieu leur a confié. (Nb 22,28) Si le Seigneur a fait parler une ânesse, s'il a donné des bénédictions spirituelles par les mains d'un devin; si, par la bouche d'un animal et par la langue impure de Balaam, il a opéré un miracle en faveur des Juifs qui étaient méchants; à plus forte raison pour vous, dont la vie et les moeurs sont bonnes et bien réglées, quand bien même les prêtres seraient méchants et très-corrompus, accomplira-t-il toute son oeuvre, et enverra-t-il son Saint-Esprit? Non, ce n'est point l'âme pure qui attire et fait descendre le Saint-Esprit par sa propre pureté, mais c'est la grâce qui opère tout (1). «Car tout est pour vous», dit l'apôtre, «soit Paul, soit Apollon, soit Céphas». (1Co 3,22) Et en effet, tout ce que le prêtre a en son pouvoir est un don qui n'appartient qu'à Dieu seul, et quelque grande et élevée que soit la sagesse de l'homme, elle sera et paraîtra toujours au-dessous de la grâce.

1. Ces paroles du saint Docteur paraissent d'abord un peu obscures, mais la suite les éclaircit. On doit les entendre des ministres, et de la vertu, et de l'efficace des sacrements de Jésus-Christ. Nos sacrements ne requièrent que les dispositions de celui qui les reçoit; ils opèrent par eux-mêmes et indépendamment de la pureté et de l'intention du ministre.


Enfin, je dis ceci, mes frères, non pour vous autoriser à mener une vie lâche et paresseuse, mais afin que, s'il se trouve que quelques-uns de vos prélats négligent leurs devoirs, vous ne vous en prévaliez pas pour faire votre propre malheur. Et que dis-je, les prélats ou les prêtres? Non, ni un ange, ni un archange ne peuvent rien contre les dons et les grâces de Dieu; le Père et le Fils et le Saint-Esprit fait tout (1); le prêtre, le ministre prête seulement sa langue et sa main. Il n'aurait pas été juste que dans ce qui concerne les gages de notre salut (2), la méchanceté d'autrui pût nuire à ceux qui ont embrassé la foi. Pesons et considérons bien toutes ces vérités; craignons Dieu, respectons ses prêtres, rendons-leur toutes sortes d'hommages, afin que nos bonnes Oeuvres et l'honneur et le respect que nous leur aurons porté, nous fassent obtenir de Dieu une grande récompense, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire; l'empire, l'honneur, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi-soit-il.

1. Fait tout, au lieu de font tout. Cette expression est grande et très-remarquable: elle montre parfaitement bien l'unité de substance, de puissance, de vertu et d'autorité; car ces trois sont une même chose, comme l'Ecriture nous l'enseigne si formellement. (Jn 10,30 Jn 17,22 1Jn 5,7)
2. Dans les symboles de notre salut, c'est-à-dire, dans les signes, dans l'administration des sacrements.

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Chrysostome sur Jean 854