Chrysostome sur Mt 2

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HOMÉLIE II

ANALYSE

1. Description du royaume du ciel. Pourquoi David est mentionné le premier dans la généalogie du Christ.
2. Le Christ est le lien qui unit les deux Testaments et les deux natures divine et humaine.
3. L’Ancien Testament contient la figure, le Nouveau, la vérité. - Gloire de David. - Question touchant la généalogie du Christ.
4. Pourquoi saint Matthieu décrit-il la généalogie de Joseph et non celle de Marie?
5 et 6. Exhortation à écouter et à pratiquer la parole de Dieu. - Qu’il est nécessaire à tout le monde de lire l’Ecriture sainte.



1. Je crois que vous vous souvenez, mes Frères, de la prière que je vous fis hier, de vous recueillir dans un respectueux silence et dans la paix du coeur et de l’esprit, pour écouter la parole de Dieu. Comme nous allons franchir aujourd’hui le seuil sacré du temple où réside le Verbe divin, je suis obligé de vous renouveler cet avis. Car, si autrefois, lorsque les Juifs furent à la veille d’approcher de la montagne de Sinaï, de ce feu, de cette fumée, de ces ténèbres et de ces tourbillons, ou plutôt à la veille de regarder de loin un rayon de la gloire de Dieu, et d’entendre à distance quelques mots de sa bouche; si, dis-je, on leur commanda de se séparer de leurs femmes durant trois jours, et de laver leurs vêtements; s’ils étaient, ainsi que Moïse lui-même, dans la crainte et le tremblement, il est bien plus raisonnable que, sur le point d’entendre des paroles si saintes et non pas de regarder de loin une montagne ardente, mais d’entrer dans le ciel même, vous témoigniez une disposition plus parfaite, que vous laviez non les vêtements du corps mais ceux de l’âme, et que vous vous sépariez de tout le commerce de la vie du monde.

Vous ne verrez point ici de fumée, ni de tourbillons, ni de ténèbres, mais le Roi même assis sur son trône, dans une gloire ineffable, accompagné de ses anges et de ses archanges, et de la troupe des saints, joints au nombre infini de ces bienheureux esprits. Telle est la sainte cité, elle contient, dit saint Paul, «l’Eglise des premiers-nés, les esprits des justes, les troupes des anges, et le sang dont l’aspersion a réconcilié toutes choses.» (He 12,20) Car le ciel a reçu ce qui était sur la terre, la terre a reçu ce qui était dans le ciel, et ainsi s’est faite cette paix des hommes et des anges qui avait été souhaitée durant tant de siècles.

Le trophée qui brille dans cette cité sainte est la croix, les dépouilles qui y sont attachées sont notre nature même, dont Jésus-Christ a fait sa proie et sa conquête, comme vous le verrez dans la suite de l’Evangile. Si vous voulez me suivre avec un profond silence, j’espère vous faire voir la mort terrassée et détruite, le péché crucifié, et les monuments illustres de la victoire que Jésus-Christ a remportée dans cette guerre. Vous verrez le tyran enchaîné, une multitude de captifs qui suivent leur libérateur, et la forteresse où le démon s’était renfermé depuis tant de siècles, et d’où il faisait ses sorties sur les hommes, forcée en un moment et renversée par terre. Vous verrez la caverne même et les antres profonds de ce prince des ténèbres, qui ont été découverts à nos yeux, parce que notre Roi vainqueur a bien voulu y descendre lui-même en personne et y faire luire l’éclat de sa gloire.

Ne craignez point que ce récit vous soit ennuyeux. Si, lorsque quelqu’un vous raconte les guerres et les victoires des hommes, bien loin d’en concevoir de l’ennui, vous perdez même le manger et le boire pour les écouter, combien trouverez-vous plus de goût aux choses beaucoup plus admirables dont nous devons vous parler? Considérez ce que c’est que de voir un Dieu qui vient du ciel, et qui descend du plus haut de son trône sur la terre et jusqu’au fond des enfers, pour en combattre le prince; de voir le démon lutter contre un (14) Dieu qui s’est caché sous la forme de l’homme, et ce qu’on ne peut assez admirer, la mort détruite parla mort, la malédiction abolie par la malédiction, et la tyrannie du démon renversée par tes mêmes armes dont il s’était servi pour l’établir.

Sortons donc de notre assoupissement et réveillons-nous. Je vois déjà les portes ouvertes. Entrons avec une modestie respectueuse et une sainte frayeur. Mais quelles sont ces portes?

Quoi, dites-vous? Vous promettez de parler du Fils unique de Dieu, et vous nous parlez du fils de David, un homme qui vivait il y a plusieurs siècles, et vous l’appelez le père et l’aïeul de Jésus-Christ? Mais attendez un peu, ne désirez pas savoir tout d’un coup toutes choses, apprenez peu à peu et par degrés. Souvenez- vous que vous n’êtes qu’à la porte et encore dans le vestibule. Pourquoi vous hâtez-vous de pénétrer jusque dans le fond du sanctuaire lorsque vous n’avez pas encore bien considéré ce qui est au dehors?

Ce n’est pas la naissance divine du Sauveur que je vais vous expliquer maintenant, ni même dans la suite. Je sais qu’elle est incompréhensible et ineffable. Le prophète Isaïe l’a dit avant moi. Car, après avoir prédit la passion du Sauveur, et l’extrême charité qu’il a eue pour tous les hommes, et admiré de quel comble de gloire il était descendu dans le dernier abaissement, il s’écrie: « Qui pourra dire quelle est sa génération?» (Is 53,8)

Ce n’est donc point de cette première naissance que je parle ici; c’est sa naissance terrestre prouvée par une infinité de témoins, dont je tâcherai de vous dire ce que la grâce du Saint-Esprit aura daigné m’en apprendre.

Il n’est pas même possible d’expliquer celle-ci bien clairement, parce qu’elle est elle-même pu mystère grand et redoutable. Ne la considérez donc pas comme peu importante lorsqu’on vous en parle, mais au contraire soutenez votre attention, et tremblez lorsque vous entendez dire qu’un Dieu est venu sur la terre. C’est une merveille si étonnante et tellement inouïe, que les anges en choeur en ont rendu gloire à Dieu au nom de toute la terre, par leurs acclamations et par leurs louanges. Les prophètes mêmes se sont longtemps auparavant écriés avec une profonde admiration «Enfin il a été vu, sur la terre, et il a conversé parmi les hommes!» (Ba 3,38) Car c’est un étrange prodige que ce Dieu ineffable, incompréhensible, égal en tout à son Père, soit venu à nous en passant par le sein d’une vierge, et qu’il se soit rabaissé jusqu’à naître d’une femme; qu’il ait bien voulu avoir David et Abraham pour ses ancêtres, et non seulement David et Abraham, mais ce qui est encore plus étonnant, des femmes semblables à celles dont nous vous avons déjà parlé.

Lors donc que vous entendez de si grandes choses, élevez votre esprit et ne concevez rien de bas, que votre admiration redouble en voyant le vrai et unique Fils du Père, souffrir d’être appelé fils de David, pour vous rendre enfant de Dieu, et ne refuser pas d’avoir pour père son esclave, afin que vous qui étiez esclave ayez Dieu pour père. Voyez combien cet Evangile, c’est-à-dire, cette bonne nouvelle qu’on nous annonce est admirable dès l’entrée.

Si vous doutez de la gloire qui vous est promise, soyez-en persuadé par l’humiliation de Jésus-Christ. Car la raison de l’homme a bien plus de peine à comprendre qu’un Dieu soit devenu homme, qu’à s’expliquer qu’un homme puisse devenir enfant de Dieu. Lors donc que vous entendez dire que le Fils de Dieu est aussi fils de David et d’Abraham, ne doutez plus que vous, qui êtes enfant d’Adam, vous ne soyez aussi enfant de Dieu. Car ce serait en vain qu’un Dieu se fût abaissé si profondément, si ce n’avait été pour relever l’homme. Il est né selon la chair afin que vous renaissiez selon l’esprit. Il est né d’une femme, afin que vous cessiez d’être le fils d’une femme.

C’est pourquoi il est né en deux manières différentes, dont l’une est semblable à notre naissance, et l’autre est infiniment élevée au-dessus de nous: car il a cela de commun avec nous, qu’il est né d’une femme, mais ce qu’il a de particulier c’est: «Qu’il n’est point né du sang, ni de la volonté de l’homme ou de la chair (Jn 1,13),» mais du Saint-Esprit, et que sa naissance en ce point était la figure de cette renaissance divine, qu’il nous devait donner par la grâce du Saint-Esprit. On peut dire la même chose de tous ses autres mystères. Son baptême avait quelque chose de l’Ancien Testament et du Nouveau.; de l’Ancien, en ce qu’il l’a reçu d’un prophète; du Nouveau, en ce qu’il reçut visiblement le Saint-Esprit. Jésus-Christ, en s’incarnant, a fait comme une personne qui, voyant deux hommes se battre, les prendrait tous deux par la main et les réconcilierait ensemble. Ainsi, en venant au monde, il a réuni la nature humaine avec la nature divine; la grandeur de Dieu avec la bassesse de l’homme; et la loi ancienne avec la nouvelle.

Vous voyez donc, dès l’entrée, quel est l’éclat de cette ville sainte; et, comme le Roi y paraît d’abord revêtu de notre chair, ainsi qu’un prince au milieu de son armée. Souvent un roi dans le combat ne porte point les marques de sa dignité et de sa puissance. Il quitte la pourpre et le diadème, et s’habille comme l’un de ses soldats. Mais les rois de la terre se déguisent de la sorte de peur d’attirer sur eux, en se faisant connaître, tous les efforts de leurs ennemis, au lieu que le nôtre l’a fait pour ne pas mettre d’abord tous ses ennemis en fuite, et ne pas épouvanter ses amis. Il était venu, non pour nous effrayer, mais pour nous sauver. C’est pourquoi, dès le commencement de l’Evangile, il est appelé Jésus; et ce mot qui est hébreu et non grec, signifie «Sauveur,» parce que, dit l’Evangile, «il sauvera son peuple.» (Mt 1,21)

3. Considérez comme l’écrivain sacré élève nos esprits, et comment, en ne nous disant que des choses communes, il nous découvre des merveilles qui dépassent toutes nos espérances. Car ces deux noms du Fils de Dieu, celui de Jésus et celui de Christ étaient tous deux connus de tous les Juifs Dieu prévoyant que les mystères qu’il devait accomplir seraient incroyables, a voulu qu’il y eût même des anciennes figures de ce nom divin, pour prévenir ainsi tous les troubles que la nouveauté cause d’ordinaire. Car Josué qui succéda à Moïse, et qui fit entrer le peuple dans la terre promise, s’appelait aussi Jésus. Vous voyez la figure, comprenez-en maintenant la vérité. Jésus a fait autrefois entrer les Juifs dans la terre promise: Jésus nous fait entrer dans le ciel et dans la jouissance des biens éternels. Le premier fait cette merveille après la mort de Moïse; le second la fait après la fin de la loi de Moïse; le premier a été le chef du peuple de Dieu; le second en a été le Roi et le Souverain.

Mais de peur qu’en entendant ce nom de Jésus, vous n’hésitiez entre lui et ses homonymes, l’évangéliste ajoute aussitôt le surnom de Christ: «De Jésus-Christ fils de David.» Josué n’était pas de la tribu de, David, mais d’une autre.

Vous me demanderez peut-être pourquoi saint Matthieu appelle son livre «le livre de la génération de Jésus-Christ,» Mt 1,1 puisqu’il ne contient pas seulement sa naissance, mais encore toute la suite de sa vie. C’est parce que la naissance de Jésus-Christ est le principe, et comme la racine de tous ses autres mystères, et l’unique source de tous nos biens. Et comme Moïse a appelé son livre le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu’il y parle aussi de beaucoup d’autres choses, de même l’évangéliste nomme son livre du mystère qui est la source et le principe de tous les autres. Car c’était une chose bien pleine d’étonnement, et qui surpassait l’espérance et l’attente de tous les hommes qu’un Dieu se fît homme; mais après une si grande merveille, tout le reste suit naturellement de ce principe.

Mais pourquoi ne le nomme-t-il pas d’abord «fils d’Abraham,» et ensuite, «fils de David?» Ce n’est pas, comme disent quelques-uns, pour remonter du dernier au premier, puisqu’il l’aurait fait dans tout le reste comme saint Luc, ce qu’il ne fait pas néanmoins. Pourquoi donc nomme-t-il d’abord David? Parce que le nom de David, prince illustre, et beaucoup moins ancien qu’Abraham, était alors dans toutes les bouches. Quoique Dieu leur eût fait à tous deux la même promesse, néanmoins la longue suite du temps faisait que l’on ne se souvenait plus de l’une, et qu’on ne parlait que de l’autre, comme plus nouvelle et plus récente. Les Juifs disent eux-mêmes dans l’Evangile: «Ne savons-nous pas que le Christ doit venir de la race de David, et de la ville de Bethléem où était David?» (Jn 7,42) Nul d’entre eux ne l’appelait fils d’Abraham, et tous l’appelaient fils de David. Je le répète, on se souvenait beaucoup plus de David, et parce qu’il était moins ancien, et parce qu’il avait été roi.

C’est pourquoi ils appelaient de son nom les rois qu’ils voulaient le plus honorer. Dieu même use de cette manière de parler. Ezéchiel et les autres prophètes disent que «David s’élèvera et qu’il régnera.» (Ez 37,24) ce qu’il ne disait pas de David qui était mort, mais des antres rois qui devaient être les imitateurs de sa piété. Dieu dit encore à Ezéchias: «Je protégerai cette ville, à cause de moi, et à cause de David mon serviteur.» (2R 19,34) Il promet aussi à Salomon, «que de son vivant il ne détruirait (16) pas son royaume, à cause de son serviteur David.» (1R 2,34) Ce roi était dans une grande gloire devant Dieu et devant les hommes. C’est pourquoi l’Evangéliste commence d’abord par lui, et il passe aussitôt au plus ancien de ses pères; croyant qu’il était superflu, au moins à l’égard des Juifs, de remonter encore plus haut dans le dénombrement de ses ancêtres, parce que ces deux-là étaient les plus illustres de tous, l’un parce qu’il était roi et prophète, et l’autre parce qu’il était prophète et patriarche.

Mais comment peut-on prouver, me direz-vous, que Jésus-Christ descende de la race de David? Car s’il n’est pas né d’un homme mais seulement d’une vierge dont on ne rapporte point la généalogie, comment saurons-nous qu’il soit de la race de ce roi? Voici donc deux difficultés qui se présentent: l’une pourquoi l’on ne rapporte point la généalogie de la Vierge, et l’autre pourquoi on rapporte celle de saint Joseph, entièrement étranger à la naissance du Sauveur. Il semble que la première de ces généalogies était seule nécessaire, et que la seconde était inutile.

Que répondrons-nous donc à cela? Comment montrerons-nous que la Vierge descendait de David? Comment le prouverons-nous? Ecoutez ce que Dieu dit à l’ange Gabriel: «Allez, lui dit-il, à une vierge fiancée à un homme qu’on nomme Joseph, qui est de la maison et de la famille de David.» (Lc 1,27) Que voulez-vous de plus clair, puisque Joseph était de la maison et de la famille de David, il est démontré que la Vierge en était aussi? Car il était défendu par la loi de chercher une femme hors de sa tribu, et d’en épouser une qui n’en fût pas.

Le patriarche Jacob avait prédit que Jésus-Christ naîtrait de la tribu de Juda, lorsqu’il dit: «Les princes ne cesseront point dans la «tribu de Juda et les chefs sortiront toujours de sa chair jusqu’à ce que Celui qui a été destiné de Dieu soit venu, et il sera l’attente des nations.» (Gn 44,10) Cette prophétie nous assure d’abord que Jésus-Christ est sorti de la tribu de Juda, mais elle ne montre pas qu’il soit de celle de David. Est-ce que toute la tribu de Juda n’était composée que de la famille de David? n’en avait-il pas beaucoup d’autres? Beaucoup au contraire étaient de la tribu de Juda sans être de la race de David. Mais pour vous empêcher de vous arrêter à cette pensée, l’Evangéliste dit formellement, que Joseph était «de la maison et de la famille de David.» (Lc 1,27)

Si vous voulez encore d’autres preuves, nous en avons une très constante. Il n’était pas permis pour se marier, de sortir, non seulement de sa tribu, mais même de sa famille et de sa parenté. Ainsi que ces paroles «de la famille et de la maison de David,» s’entendent ou de la Vierge ou de Joseph, on n’en peut tirer que la même conséquence. Car si Joseph était de la maison et de la famille de David, il n’a pris certainement une femme que de la famille d’où il était descendu.

Mais si Joseph, dites-vous, a violé l’ordonnance de la loi? L’Evangéliste prévient cette objection, lorsqu’il dit «qu’il était juste (Mt 1,19)», afin qu’en reconnaissant sa vertu, on ne l’accusât point de violation de la loi. Comment un homme qui était si charitable et si modéré qu’il ne voulut pas même penser à faire punir la Vierge, quoique toutes les apparences semblassent l’y forcer, comment, dis-je, un homme si vertueux aurait-il pu violer la loi pour satisfaire sa passion? Comment un homme dont la vertu allait au delà même de la loi, comme on le voit par le dessein qu’il prit de quitter sa femme en secret, eût-il pu se résoudre à pécher ouvertement contre la loi, sans y être contraint par aucune nécessité?

Il est donc évident par ces preuves que la Vierge était de la race de David. Voyons maintenant pourquoi l’Evangéliste ne rapporte point sa généalogie, mais seulement celle de Joseph.

C’est parce que ce n’était point l’ordinaire parmi les Juifs de tirer la généalogie du côté des femmes. Ainsi pour garder cette coutume, et pour ne point troubler les esprits par aucune nouveauté, il ne parle point des parents de la Vierge; mais il se contente, pour nous la faire connaître, de nous rapporter la généalogie de Joseph. Si donc il eût rapporté la généalogie de la Vierge, il n’aurait pas gardé l’ordre commun, et s’il n’eût point rapporté celle de saint Joseph, nous n’aurions point su de quelle tribu était la Vierge. C’est pourquoi, afin que nous connussions qui était Marie et d’où elle descendait, et que la coutume des Juifs fût gardée, l’Evangéliste décrit la généalogie de Joseph l’époux de la Vierge, et montre qu’il était de la famille de David. Il s’ensuivait que la Vierge en était aussi, puisque indubitablement un homme si juste, comme j’ai déjà dit, (17) n’aurait point voulu épouser une femme d’une autre tribu que de la sienne.

Nous pourrions encore rapporter une autre raison plus mystérieuse, pour montrer pourquoi on n’a rien dit de la généalogie de la Vierge, mais ce n’est pas ici le lieu de la dire, parce qu’il y a trop longtemps que nous sommes sur ce sujet.

Il vaut mieux terminer ce discours, et retenir avec soin ces points que nous avons tâché d’expliquer: Pourquoi l’Evangéliste parle d’abord de David; pourquoi il appelle ce livre le livre de la génération du Sauveur; pourquoi il lui donne le nom de Jésus, et de Jésus-Christ; ce que cette naissance a de commun ou de différent avec la nôtre; comment on fait voir que Marie était de la race de David, et enfin pourquoi on rapporte la généalogie de Joseph, et non celle de la Vierge.

Si vous avez soin de vous souvenir de ces choses, vous nous donnerez du courage pour continuer; mais si vous êtes indifférents, et que vous laissiez tout échapper de votre mémoire, votre froideur nous rendra plus froid et plus lent dans toute la suite. Car un laboureur ne se porte pas aisément à cultiver une terre où il voit que ce qu’il sème se perd et ne lève point. C’est pourquoi je vous conjure de faire croître cette semence, puisque ce soin vous produira de grands biens pour le salut de vos âmes. Ce saint exercice vous rendra agréables à Jésus-Christ, et en méditant les paroles sorties de sa bouche, vous apprendrez à purifier la vôtre de toutes les paroles déshonnêtes et injurieuses. Nous deviendrons ainsi terribles aux démons lorsqu’ils verront notre langue armée de ces paroles de feu: nous nous attirerons une plus grande grâce de Dieu, et cette lecture assidue rendra les yeux de notre coeur plus vifs et plus éclairés.

Dieu nous a donné des yeux, une bouche et des oreilles, afin que nous les consacrions à son service, afin que nous ne parlions que de lui, que nous n’agissions que pour lui, que nous ne chantions que ses louanges, que nous lui rendions de continuelles actions de grâces, et que par ces saints exercices nous purifiions le fond de nos coeurs. Car, comme la pureté de l’air rend le corps sain, ainsi la sainteté de ces occupations rend l’âme plus sainte et plus pure.

5. Ne voyez-vous pas que les yeux nous pleurent dans un lieu plein de fumée, et qu’aussitôt que nous passons au grand air, que nous considérons la beauté des campagnes, les fleurs des prés et les eaux courantes, ils reprennent leur première vigueur? Il en est ainsi de l’oeil de l’âme. S’il se plaît dans les Ecritures comme dans un pré spirituel, il deviendra plus sain, plus pur, et plus pénétrant; mais s’il se laisse obscurcir par la fumée des choses du siècle, il se trouvera réduit à pleurer et en ce monde et en l’autre. Car tout ce qui est en ce monde est semblable à la fumée; ce qui fait dire à David: «Mes jours se sont évanouis comme la fumée.» (Ps 101,12) Il l’entendait de la brièveté et de l’instabilité de la vie; mais je crois qu’on peut dire encore que les choses du monde nous aveuglent comme la fumée; et qu’elles nous enveloppent par des liens semblables aux toiles d’araignées.

Car il n’y a rien qui blesse et qui trouble plus les yeux de l’âme que cet embarras des soins et des affaires du monde, et cette multiplicité de désirs et de passions, qui sont comme le bois qui produit ensuite cette fumée. Et comme le feu fume beaucoup lorsqu’il s’attache à une matière humide; ainsi lorsqu’un désir ardent entre dans une âme qui est comme humide par son relâchement et par sa paresse, il faut nécessairement qu’il y excite une effroyable fumée. C’est pourquoi nous avons besoin de la rosée du Saint-Esprit, et de ce souffle bienheureux, afin d’éteindre ce feu des passions, de dissiper cette fumée, et de rendre notre coeur plus libre et plus dégagé. Car il est impossible qu’une âme appesantie de tant de soins puisse s’élever en haut pour voler au ciel. Nous devons nous dégager de tout, pour pouvoir courir dans la voie de Dieu. Et nous ne le pourrons faire à moins que d’être soulevés sur les ailes du Saint-Esprit.

S’il faut donc que notre âme soit non-seulement déchargée des soins du siècle, mais qu’elle soit encore soutenue de la grâce de Dieu pour nous élever en-haut, comment le pourrons-nous faire, puisque, bien loin d’avoir cette disposition, nous nous engageons tous les jours dans une autre toute contraire, et qu’au lieu de voler au ciel, nous nous laissons charger de ce poids insupportable, dont le démon nous accable, et par lequel il nous entraîne toujours en bas? Car si on voulait peser tous nos discours dans une juste balance, je ne crois pas que, pour mille talents qu’on trouverait d’entretiens tout séculiers, on pût trouver je (18) ne dis pas pour cent deniers, mais pour dix oboles de paroles vraiment chrétiennes et spirituelles.

N’est-ce pas une chose honteuse et ridicule, tandis que nous ne nous servons de nos domestiques, quand nous en avons, que pour des affaires qui sont pour la plupart nécessaires, d’employer notre bouche à des choses où nous rougirions d’employer le dernier de nos serviteurs, c’est-à-dire, toutes vaines et superflues? Et plût à Dieu même qu’elles ne fussent que superflues, et non mauvaises et dangereuses! Si nos paroles nous étaient utiles, il est certain qu’elles seraient aussi agréables à Dieu; mais nous disons au contraire tout ce que le démon nous inspire: des railleries et des bons mots, des imprécations et des injures, des jurements, des mensonges, des parjures; des cris de colère et des futilités, des contes de vieilles femmes, des questions oiseuses et sans intérêt, voilà ce qui sort continuellement de notre bouche.

Quel est celui de vous tous qui m’écoutez maintenant, qui pourrait me dire par coeur ou un psaume ou quelque autre partie de l’Ecriture, si je le lui demandais? Il ne s’en trouverait pas un seul. Et ce qui est encore plus à déplorer, c’est que, étant si indifférents pour les choses saintes, vous êtes tout de feu pour les choses du diable. Car si l’on vous priait au contraire de dire quelqu’une de ces chansons infâmes, quelques-uns de ces vers lascifs et honteux, il s’en trouverait plusieurs qui les auraient appris avec soin, et qui les réciteraient avec plaisir.

Mais comment excuse-t-on de si grands excès? Je ne suis pas religieux ni solitaire, dit-on, j’ai une femme et des enfants, et j’ai le soin d’un ménage. Telle est en effet la grande plaie de notre temps, on croit que la lecture de l’Ecriture n’est bonne que pour les religieux, au lieu que les gens du monde en ont encore plus besoin qu’eux. Car ceux qui sont au milieu du combat, et qui reçoivent tous les jours de nouvelles plaies, ont plus besoin de remèdes que les autres. C’est un grand mal de ne pas lire les livres qui contiennent la parole de Dieu, mais il y a quelque chose de pire encore, c’est de se persuader que cette lecture est inutile. Une telle pensée ne peut venir que du démon.

N’entendez-vous point ce que dit saint Paul: « Que tout ce qui est écrit, est écrit pour notre instruction? » (Rm 15,4) Si l’on voulait vous faire toucher l’Evangile avec des mains malpropres, vous ne voudriez jamais le faire, et cependant vous ne croyez pas qu’il soit nécessaire de savoir ce qu’il enseigne. C’est là la cause du dérèglement général que l’on voit aujourd’hui parmi les hommes.

Si vous voulez éprouver combien la lecture de l’Ecriture sainte est utile, examinez-vous vous-mêmes. Voyez dans quelle disposition vous êtes, ou lorsque vous écoutez des psaumes, ou lorsque vous entendez ces chansons diaboliques; lorsque vous êtes à l’église, ou lorsque vous êtes au théâtre; et vous serez surpris de voir combien votre âme étant la même, est néanmoins différente d’elle-même dans ces rencontres. C’est pourquoi saint Paul disait: «Les mauvais entretiens corrompent «les bonnes moeurs.» (1Co 15,33) Nous avons continuellement besoin des cantiques du Saint-Esprit. Chanter les louanges de Dieu est le plus beau privilège de l’homme, rien ne le distingue autant des bêtes qui ont cependant sur lui de nombreux avantages. C’est là, la nourriture de l’âme; c’est là son ornement; c’est là son assurance; au contraire la négligence de la parole de Dieu lui cause la faim et la-mort: «Je leur enverrai, » dit Dieu, « non la famine du pain ni la soif de l’eau, mais la famine de la parole de Dieu.» (Am 8,11)

Qu’y a-t-il de plus déplorable que d’attirer volontairement sur vous un malheur dont Dieu menace les hommes comme d’un très grand supplice, et de réduire vous-même votre âme à une faim cruelle qui la met dans une extrême langueur? Car c’est par la parole que l’âme se perd ou qu’elle se sauve. Un mot l’enflamme de colère, et un mot l’apaise; une parole déshonnête la jette dans une passion brutale, et une parole modeste et grave la rend chaste et pure. Si donc la parole d’un homme produit de si grands effets, comment pouvez-vous mépriser la parole de Dieu même? Et si l’exhortation d’un homme est si puissante, combien celle de l’Esprit-Saint le sera-t-elle davantage?

Une parole de l’Ecriture excite souvent dans l’âme une flamme plus vive que le feu, et la rend capable des actions les plus belles. C’est ainsi qu’autrefois saint Paul abaissa l’orgueil des Corinthiens, qui se glorifiaient d’une chose dont ils eussent dû rougir, et qu’ils devaient étouffer dans un éternel silence. Mais lorsque (19) cet apôtre leur eût écrit, voyez quel changement ses paroles firent en eux, comme il leur en rend témoignage lui-même: «Voyez, en effet» dit-il, «ce qu’a produit en vous cette tristesse selon Dieu que vous avez ressentie: quelle sollicitude, quel soin de vous justifier, quelle indignation, quelle crainte, quel désir, quel zèle, quelle ardeur pour punir le crime !» (2Co 7,11).

C’est ainsi que vous réglerez vos serviteurs, vos enfants, vos femmes et vos amis, et que vous forcerez vos ennemis mêmes à vous aimer. C’est par ces paroles saintes, que tant de grands hommes si chéris de Dieu, se sont avancés dans la vertu. David après son péché écouta la parole du Prophète, et il embrassa aussitôt cette pénitence, qui est devenue le modèle de tous les pénitents. C’est par ces paroles saintes, que les apôtres sont devenus ce qu’ils ont été, et qu’ils ont attiré à eux toute la terre.

Mais que sert, dites-vous, d’entendre la parole de Dieu, lorsqu’on ne la pratique pas? On ne laisse pas d’en retirer même alors une utilité très-considérable. Car on s’accusera soi-même, on soupirera, on gémira, et on se mettra enfin en état de faire ce qu’on nous apprend. Mais lorsqu’on ne comprend pas même le mal qu’on fait, comment peut-on s’en retirer ou s’en repentir?

Ne négligeons donc point d’entendre l’Ecriture sainte. C’est le démon qui nous inspire ce dégoût, parce qu’il ne peut souffrir que nous approchions de ce trésor, de peur qu’il ne nous en demeure des perles et des diamants qui nous enrichissent. C’est pourquoi il nous persuade qu’il nous est inutile d’entendre la parole de Dieu, afin qu’il n’ait pas le regret de nous la voir mettre en pratique après que nous l’aurons entendue. Reconnaissons donc cet artifice si dangereux, et fortifions-nous de toutes parts contre ces attaques; afin que couverts de cette armure spirituelle, nous soyons invulnérables à notre ennemi, et que l’ayant vaincu et portant les marques de notre victoire, nous jouissions à jamais des biens du ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


3

HOMÉLIE 3 - LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS-CHRIST, FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM. (CHAP. 1,V. 1, JUSQU’AU VERSET 16)

Mt 1,1-16

ANALYSE

1. Pourquoi c’est la généalogie de Joseph et non celle de Marie qui se trouve ici décrite ?
2. Pourquoi nommer Thamar dans une généalogie du Fils de Dieu? Qu’il ne faut pas rougir de ses ancêtres.
3. et 4. Pourquoi Zara et Pharès sont-ils nommés tous les deux dans la généalogie du Christ? L’iniquité des parents ne nuit pas aux enfants qui ont de la piété, et réciproquement.
5. Exhortation il faut sanctifier toutes les bonnes oeuvres par l’humilité.



1. J’avais raison de le dire, ces paroles divines ont une admirable profondeur, puisque après tout ce que nous avons déjà dit, nous n’avons pas encore achevé d’expliquer ce commencement. Achevons donc aujourd’hui ce qui nous en reste.

La question que nous avons à traiter est celle-ci: Pourquoi l’évangéliste donne-t-il la généalogie de Joseph qui est étranger à la naissance du Fils de Dieu? Nous en avons déjà rapporté une raison, mais il faut en ajouter une autre plus mystérieuse et plus cachée. Quelle est donc cette raison? L’Evangéliste ne voulait pas que les Juifs connussent sitôt le secret de cet enfantement divin, et que Jésus-Christ était né d’une vierge. Ne vous troublez pas de l’apparente étrangeté de cette raison elle n’est pas de moi; je vous dis ce que j’ai (20) reçu de nos pères, de ces hommes illustres et admirables. Si Jésus-Christ lui-même a d’abord caché beaucoup de choses, en s’appelant fils de l’homme, en ne déclarant pas nettement partout qu’il était égal à son Père, doit-on s’étonner s’il a voulu céler aussi quelque temps le mystère de sa naissance, par une conduite pleine de sagesse, et pour de très importantes raisons?

Quelles sont, dites-vous, ces raisons si importantes? C’était pour épargner la Vierge, sa mère, et pour la défendre d’un fâcheux soupçon. Si les Juifs eussent su d’abord cette merveille, ils n’auraient pas manqué de l’interpréter malignement, et peut-être auraient-ils lapidé la Vierge après l’avoir condamnée comme adultère: car si leur impudence combattait en Jésus-Christ des actions dont ils avaient vu des exemples dans l’Ancien Testament; s’ils appelaient démoniaque Celui qui chassait les démons; et ennemi de Dieu celui qui faisait des miracles le jour du sabbat, quoique le sabbat eût été souvent violé sans aucun crime, que n’eussent-ils point dit en écoutant cette naissance si miraculeuse, puisqu’ils avaient pour eux l’autorité de tous les siècles passés, où l’on n’avait jamais rien vu de semblable? Si après tant de miracles ils ne laissaient pas de l’appeler fils de Joseph, comment l’auraient-ils cru fils d’une Vierge avant ces miracles? C’est pourquoi l’Evangéliste fait la généalogie de Joseph, où il rapporte qu’il épousa la Vierge. Si Joseph même, quoique si saint et si juste, a besoin de tant de preuves pour croire cette merveille; s’il faut qu’un ange lui parle, qu’il ait des révélations durant la nuit, qu’il soit rassuré par le témoignage des prophètes; comment les Juifs si aveugles, si corrompus, et si déclarés contre Jésus-Christ, eussent-ils pu se rendre à cette vérité? Une merveille si rare et si inouïe dans toute l’antiquité, les aurait jetés sans doute dans un trouble étrange.

Une fois bien persuadé que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, on ne s’étonne plus de sa merveilleuse naissance; mais comment ceux qui l’ont appelé depuis un séducteur et l’ennemi de Dieu, n’eussent-ils pas été scandalisés de cette vérité, et n’en eussent-ils pas conçu quelque soupçon détestable? C’est pourquoi les apôtres ne se hâtent point d’annoncer d’abord cette naissance merveilleuse de Jésus-Christ. Ils établissent fortement sa résurrection, fait qui était plus à la portée des Juifs, parce qu’il y avait eu, autrefois, des exemples de personnes ressuscitées, quoique d’une manière bien différente de la sienne; mais ils ne publient point d’abord que Jésus-Christ est né d’une vierge. Sa mère même n’ose pas en découvrir le secret; et on voit qu’elle dit à Jésus-Christ, lorsqu’elle le trouva dans le temple « Nous vous cherchions, votre père et moi. » (Lc 2,48)

Si les Juifs eussent eu quelque connaissance de ce mystère, jamais ils n’auraient cru que Jésus-Christ était fils de David, et leur incrédulité, sur ce point, aurait eu les plus funestes conséquences. Aussi les anges mêmes ne révèlent point ce secret; ils ne le découvrent qu’à Joseph et à Marie; et lorsqu’ils annoncèrent aux pasteurs la naissance du Sauveur, ils ne leur dirent point de quelle manière elle s’était faite.

Mais d’où vient que l’Evangile, en parlant d’Abraham, dit qu’il a engendré Isaac, et qu’Isaac a engendré Jacob, sans dire un seul mot d’Esaü, son frère, au lieu que parlant de Jacob, il dit expressément qu’il engendra Juda et ses frères?

Quelques-uns disent que c’est parce qu’Esaü et ceux de sa race ont été méchants, mais je ne crois pas que cette raison soit bonne; si elle l’était, pourquoi un peu après nommerait-on des femmes qui ont été fameuses par leur déshonneur? Il semble plutôt que l’Evangéliste a eu dessein de relever la gloire de Jésus-Christ par l’effet d’un contraste, par la petitesse et la vulgarité de ses ancêtres plutôt que par leur gloire; car rien n’est plus glorieux à Celui qui est infiniment grand, que d’avoir bien voulu se rabaisser de la sorte.

Pourquoi donc l’Evangéliste ne dit-il rien d’Esaü et de sa race? C’est parce que les Sarrasins, les Ismaélites, les Arabes, et tous les autres peuples descendus de lui n’avaient rien de commun avec les Israélites. C’est pour ce sujet que saint Matthieu n’en dit rien, pour passer plus vite à ceux qui entraient dans la généalogie de Jésus-Christ, et qui étaient du peuplé juif. Il dit donc: « Jacob engendra Juda et ses frères,» parole qui marque la race des Juifs.

2. «Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar.» Mt 1,3 Que faites-vous saint évangéliste, de rapporter ainsi une histoire, qui nous fait souvenir d’un inceste? - Mais de quoi vous (21) étonnez-vous? vous dira-t-il. Si je ne rapportais la généalogie que d’un simple homme, je pourrais dissimuler quelque chose; mais puisque nous parlons du mystère d’un Dieu incarné, non-seulement nous ne devons pas taire ces choses, mais nous devons même en faire gloire, parce qu’elles relèvent davantage sa bonté et sa puissance, puisqu’il est venu, non pour éviter notre ignominie, mais pour l’effacer. Il en est de sa naissance comme de sa mort; sa mort serait moins admirable sans la croix, qui en a été l’instrument infâme, mais dont l’infamie fait d’autant mieux éclater la bonté de Celui qui n’a pas craint de l’affronter pour l’amour des hommes; de même, ce qu’il faut admirer dans sa naissance, ce n’est pas seulement qu’il ait pris un corps et se soit fait homme, mais encore qu’il ait daigné descendre de parents comme ceux que nous venons de voir sans rougir d’aucun des maux propres à l’humanité.

Il voulait nous déclarer hautement, dès sa naissance, qu’il ne dédaignait point nos bassesses, et nous apprendre en même temps qu’il ne faut point rougir des vices et des défauts de nos parents, mais ne penser, nous-mêmes, qu’à nous rendre vertueux. Car celui qui l’est, ne reçoit aucune tache de l’obscurité ou de l’infamie de sa naissance, quand il serait né d’une mère étrangère, ou d’une femme impudique. Que si le fornicateur, qui s’est converti, n’a plus à rougir de sa première vie, nous rougirons bien moins du désordre de nos parents, lorsque nous effacerons par notre vertu la honte de notre naissance.

Mais Jésus-Christ n’a pas voulu seulement nous donner cette instruction, il a voulu encore réprimer l’orgueil des Juifs: car ce peuple négligeant la vraie noblesse de l’âme, avait sans cesse le nom d’Abraham à la bouche, comme si la vertu de ses pères devait être la justification de ses vices. Jésus-Christ détruit d’abord cette erreur, et il leur apprend à ne se pas appuyer sur la vertu des autres, mais sur la leur propre. Il voulait encore leur représenter que leurs pères avaient été vicieux, et que Juda même, qui était le patriarche dont ils tiraient leur nom, était tombé dans un grand crime, puisque Thamar, qu’on nomme aussitôt, semble s’élever contre lui, et lui reprocher son impudicité. David aussi eut son fils Salomon de cette même femme d’Urie, avec laquelle il avait commis auparavant un adultère.

Si donc, ces grands hommes n’avaient pas toujours accompli la loi de Dieu, leurs descendants, moins bons qu’eux, étaient bien plus éloignés de le faire. Et si personne n’a parfaitement accompli la loi, tous ont donc péché, et la venue de Jésus-Christ était entièrement nécessaire.

C’est aussi dans ce dessein que l’Evangile nomme les douze patriarches, afin d’abattre l’orgueil que les Juifs tiraient de la noblesse de leurs ancêtres: car plusieurs d’entre les patriarches étaient nés de mères esclaves. Cependant la différence des mères ne causa point de différence entre les enfants, et ils furent tous également patriarches et princes de leurs tribus. Cette égalité marquait déjà le privilège de l’Eglise. Car tel est l’avantage des Chrétiens, telle est la noblesse que nous tirons de Dieu même: que l’on soit libre, que l’on soit esclave, on a droit aux mêmes grâces. On ne considère dans cette cité du Christ que la seule bonne volonté et la noblesse de l’âme.

3. Outre ces raisons, il y en a encore une autre. Car ce n’est pas sans sujet, qu’après avoir dit: «Juda engendra Pharès,» l’Evangéliste ajoute aussitôt, « et Zara. » Il paraissait assez inutile, après avoir nommé Pharès d’où Jésus-Christ descendait, de parler encore de Zara. Pourquoi donc le fait-il? En voici la raison. Lorsque Thamar accouchait de ces deux enfants, Zara fit passer le premier sa main dehors, que la sage-femme lia d’un cordon rouge, afin de connaître lequel des deux était l’aîné. Mais Zara retirant aussitôt son bras et s’étant renfermé dans le ventre de sa mère, Pharès en sortit le premier et Zara ensuite. La sage-femme dit à Pharès en voyant ce qui était arrivé: «Pourquoi la haie a-t-elle été coupée à cause de vous?» (Gn 38,29) Considérez-vous les figures et les énigmes de nos mystères? Ce n’est point sans un motif grave que Dieu a fait marquer ces particularités dans l’Ecriture, sans cela il aurait été indigne de la majesté de cette histoire, de rapporter les paroles d’une sage-femme et de particulariser ces circonstances, que l’un passa sa main le premier, quoiqu’il ne soit sorti qu’après son frère.

Que veut donc dire cette énigme? Car tout y est mystérieux, jusqu’au nom-même de cet enfant. Car le mot de « Pharès» veut dire, «séparation et division.» Voyons donc ce qu’un événement si extraordinaire nous marquait (22). Ce n’était point un effet naturel, que cet enfant qui avait passé sa main le premier, la retirât ensuite après qu’on lui eut lié le bras. Cela était contre tout l’ordre de la raison et de la nature. Il pouvait se faire assez naturellement que le premier avait passé sa main, l’autre le prévînt pour sortir; mais qu’il retirât sa main pour laisser passer l’autre, ce n’était plus la loi de la nature, mais celle de Dieu et de sa grâce, qui était présente à ces enfants et qui traçait en eux une image des choses futures.

Ceux qui ont examiné avec le plus de soin cette histoire, ont dit que ces deux enfants figuraient deux peuples, les Juifs et les Gentils. Et afin que nous comprenions que le dernier de ces deux peuples a brillé même avant le premier, l’un de ces deux petits enfants fait sortir sa main sans faire voir tout son corps, et après que son frère est sorti il paraît et se montre tout entier. C’est ce qui est arrivé dans l’un et l’autre des peuples. Car l’Eglise après avoir commencé à briller vers le temps d’Abraham, s’arrêta comme au milieu de sa course pour laisser passer tout le peuple juif et toutes ses cérémonies; et ce nouveau peuple parut ensuite avec toutes ses lois et toutes ses maximes saintes. C’est pour cela que cette sage-femme dit: «Pourquoi la haie a-t-elle été rompue à cause de vous?» la loi est survenue et a comme divisé et entrecoupé ce peuple libre qui l’avait devancée. Car l’Ecriture appelle assez ordinairement la loi du nom de haie: «Vous avez détruit la haie,» dit David, «et tous ceux qui passent par la voie ruinent cette vigne.» (Ps 79,13) Et ailleurs «Il l’a environnée d’une haie.» (Mt 21,33) Et saint Paul dit: « Que Jésus-Christ a rompu la haie et la muraille de séparation.» (Ep 2,14)

4. D’autres néanmoins entendent ces paroles: «Pourquoi la haie a-t-elle été rompue à cause de vous? (Gn 38,29),» du peuple nouveau, parce qu’il est venu après la loi et qu’il l’a détruite. Ainsi vous voyez que ce n’est pas sans grand mystère que l’Evangéliste nous fait souvenir de cette histoire de Juda.

C’est par la même raison qu’il rapporte aussi celle de Ruth et de Raab, dont l’une était étrangère et l’autre une prostituée, afin de nous assurer que Jésus-Christ était descendu du ciel pour nous guérir de tous nos maux. Car il est venu dans le monde pour être le médecin (23) et non le juge des hommes. Comme donc quelques-uns de ces patriarches ont épousé des femmes prostituées, ainsi Jésus-Christ s’est uni à nous et a épousé la nature humaine, qui était prostituée à tous les vices. Les prophètes ont souvent dit que Dieu avait épousé la synagogue, mais elle a toujours été ingrate après un si grand bienfait, au lieu que l’Eglise, une fois délivrée de la corruption de ses pères, s’est attachée ensuite inviolablement à son époux.

Considérez encore dans Ruth la figure de ce qui devait arriver. Elle était étrangère et dans la dernière indigence. Et cependant Booz ne méprisa ni sa bassesse, ni sa pauvreté comme Jésus-Christ a pris l’Eglise quoiqu’étrangère et pauvre pour l’épouser et lui faire part de tous ses biens. Mais comme Ruth n’eût jamais été honorée de cette alliance, si elle n’eût quitté son père, renoncé à son pays et méprisé sa maison, sa race et tous ses parents; l’Eglise de même n’est devenue agréable à son Epoux, qu’après avoir quitté sa première vie et tout le dérèglement de ses pères. C’est pourquoi le Prophète lui dit: «Oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le Roi aimera votre beauté.» (Ps 44,41) C’est ce qu’a fait Ruth et ce qui l’a rendue ensuite comme l’Eglise, la mère des rois. Car c’est de sa race qu’est sorti David.

L’Evangéliste donc pour confondre les Juifs, et pour leur apprendre à ne point s’élever, nomme ici ces femmes impudiques ou étrangères, et il leur fait voir que David même descendait de Ruth et que ce grand roi n’en rougissait point. Ainsi, mes frères, nul homme n’est digne de blâme ou de louange par la vertu ou par le dérèglement de ses pères. Ce n’est point là ce qui peut nous relever ou nous rabaisser. Mais s’il est permis de dire un paradoxe, je soutiens au contraire que celui-là est le plus illustre, qui devient très-vertueux quoique né de pères qui ne l’étaient pas.

Que personne donc ne tire vanité de la gloire de ses ancêtres; mais que chacun jetant les yeux sur la généalogie du Sauveur, étouffe toutes les pensées d’orgueil, et ne se glorifie que de ses seules vertus; ou plutôt qu’il ne s’en glorifie pas même, puisque ce fut ainsi que le pharisien devint pire que le publicain. Si vous voulez que votre vertu soit grande, n’en ayez pas une grande estime, et alors elle sera véritablement grande. Croyez ne rien faire et vous ferez tout. (23)

Car, si lors même qu’étant pécheurs nous sommes justifiés, pourvu que nous nous croyions tels que nous sommes, comme on le voit par l’exemple du publicain; combien serons-nous plus agréables à Dieu, si étant justes, nous croyons être pécheurs? Si l’humilité justifie le pécheur, quoiqu’elle soit en lui plutôt une confession de son indignité qu’une humilité véritable; combien sera-t-elle puissante dans le juste même? Ne perdez point le fruit de vos travaux. Ne rendez point inutiles toutes vos peines; et ne vous exposez point à demeurer sans récompenses, après avoir fait une longue course. Dieu connaît mieux que vous le bien que vous faites. Quand vous ne donneriez qu’un verre d’eau, il ne le méprise pas. Il compte jusqu’à la plus petite aumône, jusqu’à un soupir même. Il reçoit tout; il se souvient de tout; et il vous prépare une grande récompense.

Pourquoi donc comptez-vous si exactement vous-même vos bonnes oeuvres? Pourquoi nous en parlez-vous si souvent? Ignorez-vous que si vous vous louez vous-même, Dieu ne vous louera jamais? Et que si au contraire vous pleurez sur vous-même comme étant digne de compassion, il ne cessera point de publier vos louanges? Il ne veut point diminuer le fruit de vos travaux. Que dis-je, diminuer? Il fait tout, il ménage tout afin de vous couronner pour de très-petites choses, et il cherche par tous les moyens à vous délivrer de l’enfer.

5. C’est pourquoi, quand vous n’auriez commencé qu’à travailler à la dernière heure, il ne laissera pas de vous donner la récompense tout entière, «Quand il n’y aurait rien en vous qui contribuât à votre salut, néanmoins c’est pour moi-même que je vous fais grâce,» dit le Seigneur, « afin que mon nom ne soit point blasphémé. » (Ez 36,22) Vous ne laisseriez échapper qu’un soupir, qu’une larme, il la prend aussitôt, et il s’en sert pour vous guérir.

Ainsi évitons surtout de nous élever dans des sentiments d’orgueil. Protestons que nous sommes des serviteurs inutiles, afin que Dieu nous rende dignes de le servir. Si vous vous croyez un bon serviteur, vous deviendrez inutile quand vous seriez bon; si vous vous croyez mauvais, vous deviendrez bon quand vous seriez inutile. C’est ce qui fait voir la nécessité d’oublier ses bonnes oeuvres.

Mais comment cela se peut-il faire? dites-vous. Comment pouvons-nous ignorer ce que nous savons? Quoi! vous offensez Dieu tout le jour, et après cela vous vous divertissez, vous riez, tant vous savez bien oublier les nombreux péchés que vous commettez, et vous ne pouvez oublier le peu de bien que vous faites? La crainte néanmoins des jugements de Dieu nous devrait bien plus toucher que la complaisance d’une bonne oeuvre. Et néanmoins il arrive tout le contraire. Nous offensons Dieu tous les jours et nous n’y faisons pas la moindre réflexion, et si nous donnons à un pauvre la moindre chose nous sommes prêts à le publier partout. C’est certainement de la folie. C’est dissiper les richesses spirituelles au lieu de les amasser.

L’oubli de nos bonnes oeuvres en est le trésor et la garde la plus assurée. Lorsqu’on porte publiquement de l’or ou des vêtements précieux, on invite les voleurs à chercher les moyens de les voler; mais lorsqu’on les tient cachés dans sa maison, on les y conserve en sûreté. Il en est de même des richesses des vertus. Si nous les retenons toujours dans notre mémoire, d’abord nous irritons Dieu, puis nous armons notre ennemi contre nous, et nous l’invitons à les dérober; mais si elles ne sont connues que de Celui qui doit les connaître, nous les posséderons dans une pleine assurance.

N’exposez donc pas les richesses de vos vertus, de peur qu’on ne vous les ravisse, et qu’il ne vous arrive ce qui arriva au pharisien, qui portait sur ses lèvres le trésor de ses bonnes oeuvres et donna ainsi au démon le moyen de le dérober. Il ne parlait de ses vertus qu’avec actions de grâces et il les rapportait toutes à Dieu, et néanmoins cela ne le sauva point. Car ce n’est pas rendre grâce à Dieu que de rechercher sa propre gloire, que d’insulter aux autres, et de s’élever au-dessus d’eux. Si vous rendez grâces à Dieu, ne pensez qu’à plaire à lui seul; ne cherchez point à être connu des hommes; ne jugez point votre prochain; autrement, votre action de grâces n’est point véritable.

Voulez-vous voir un modèle admirable de la reconnaissance des bienfaits de Dieu? Ecoutez ces trois jeunes hommes au milieu de la fournaise: «Nous avons péché,» disent-ils, «nous avons commis l’iniquité; vous êtes juste, Seigneur, dans tout ce que vous nous avez fait, parce que vous avez fait tomber ces maux sur nous par un effet de votre justice (24). » () Oui, c’est rendre grâces à Dieu que de lui confesser ses péchés, que de reconnaître qu’on est digne de tous les supplices, et qu’on ne souffre jamais autant qu’on devrait. C’est en cela que consiste l’action de grâces.

Prenons donc garde, mes frères, de ne point parler avantageusement de nous, puisque cette vanité nous rend odieux aux hommes, et abominables devant Dieu. Que nos paroles soient d’autant plus humbles que nos actions seront plus grandes; et cette modestie nous attirera l’estime des hommes et la gloire de Dieu même; ou plutôt non-seulement la gloire de Dieu, mais ses récompenses infinies. N’exigez point votre récompense afin que vous méritiez de la recevoir. Reconnaissez que c’est la grâce de Dieu qui vous sauve, et Dieu agira comme s’il était votre débiteur, en récompensant non-seulement vos bonnes oeuvres, mais même cette humble reconnaissance.

Lorsque nous faisons des bonnes oeuvres, Dieu ne nous doit récompense que pour ce que nous faisons; mais lorsque nous croyons n’avoir rien fait, nous nous attirons une récompense encore plus grande que par toutes nos vertus. Car l’humilité seule n’est pas moins considérable que les plus grandes oeuvres, puisqu’elles ne sont grandes qu’avec elle, et que sans elle, elles ne sont rien. Nous-mêmes, quand nous avons des serviteurs, nous ne les estimons jamais davantage que lorsque nous ayant servi avec une pleine volonté, ils croient néanmoins n’avoir rien fait. Si vous voulez donc que le bien que vous faites soit véritablement grand, croyez qu’il n’est rien, et il sera grand.

C’est dans ce sentiment que le centenier disait autrefois: «Je ne suis pas digne, Seigneur, que vous entriez dans ma maison.» (Mt 8,8) C’est par cette humilité qu’il en devint digne, et qu’il mérita d’être préféré par Jésus-Christ à tous les Juifs. Ainsi saint Paul dit: «Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, (1Co 15,9),» et c’est par là qu’il a mérité d’être le premier de tous. Ainsi saint Jean dit: «Je ne suis pas digne de dénouer le cordon de ses souliers» (Lc 3,16), et il mérite par là de devenir l’ami de l’époux, et cette main qu’il ne croyait pas digne de toucher aux sandales du Christ, le Christ voulut qu’il la posât sur sa tête divine elle-même. Ainsi saint Pierre dit: «Retirez-vous de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur (Lc 5,8), » et il devient par là le fondement de l’Eglise.

Car rien ne plaît tant à Dieu que de voir qu’on se met au rang des plus grands pécheurs. C’est là le principe de toute sagesse. Celui qui a le coeur humilié et brisé, ne sera point touché ni de vaine gloire ni d’envie, ni de colère contre son prochain; il ne sera point sujet à quelque autre passion que ce puisse être. Comme lorsqu’un homme a le bras rompu, quelque effort qu’il puisse faire, il ne peut jamais le lever en haut, ainsi lorsque notre coeur sera vraiment contrit et brisé, quelque violence que les passions lui fassent pour le piquer de vanité, il ne pourra jamais s’élever. Que si celui qui pleure une perte temporelle, est alors comme insensible à toutes les passions de l’âme; combien celui qui pleure ses péchés, jouira-t-il plutôt de la paix et de la tranquillité de la vertu?

Mais qui peut, dites-vous, briser son coeur jusqu’à ce point? Ecoutez David en qui cette vertu a brillé de son éclat le plus vif. Voyez jusqu’où allait ce brisement de son coeur! Car après avoir fait autrefois tant d’actions excellentes; lorsqu’il fut chassé de sa maison et de sa ville, et qu’il se trouva même en danger de sa vie, voyant un homme vil et méprisable qui l’insultait, et qui le chargeait d’injures, non seulement il ne lui dit aucune parole fâcheuse, mais il arrêta même un de ses capitaines qui allait le tuer, en lui disant: «Laissez-le dire; car le Seigneur le lui a commandé.» (2S 19,6) Les prêtres lui offraient de l’accompagner partout dans sa fuite avec l’arche, mais il ne le souffrit pas, et il leur répondit: «Reportez l’arche de Dieu dans la ville, et remettez-la dans sa place; et si je trouve grâce auprès du Seigneur, et qu’il me délivre des maux qui m’accablent, je reverrai son tabernacle; mais s’il me dit: Je ne veux point de vous, me voici tout prêt, qu’il me traite comme il lui plaira.» (2S 15,25)

Ne voyons-nous pas aussi le comble de la vertu dans cette modération, dont il usa envers Saül, non une ou deux fois, mais plusieurs? Car il s’était déjà élevé au-dessus de toute la loi ancienne, et il approchait de la perfection de la vie apostolique. C’est pourquoi il agréait tout ce qui lui venait de la part de Dieu, sans demander le pourquoi de rien, sans avoir d’autre souci que d’obéir à la divine volonté et de (25) la suivre en tout. Lorsqu’après avoir fait tant d’actions illustres, il vit son fils Absalon, ce tyran cruel, ce parricide, ce meurtrier de son frère, cet insolent et ce furieux, qui voulait se faire roi au lieu de lui, il ne fut point ébranlé par une si rude épreuve: Si la volonté de Dieu, dit-il, est que je sois chassé, que je sois errant et fugitif, et que mon fils soit en honneur, je le veux de tout mon coeur, et je rends grâces à mon Dieu pour cette foule de maux dont il m’accable.

Il était bien différent de ces hommes téméraires jusqu’à l’effronterie contre la Majesté divine, lesquels, sans posséder la moindre partie des mérites de ce saint roi, s’irritent de la plus petite contrariété qui leur arrive, surtout s’ils voient les autres dans la prospérité, et perdent leurs âmes en éclatant en mille blasphèmes. David au contraire, au milieu des maux, fait voir une douceur, une modération, et une patience admirables; ce qui fait dire à Dieu: «J’ai trouvé David, fils de Jessé, qui est un homme selon mon coeur.» (Ac 22) Imitons nous-mêmes cette disposition de David. Quoi que nous souffrions, souffrons-le avec courage, pour recevoir, avant la récompense qui nous est promise, le fruit de notre humilité, selon la parole de Jésus-Christ: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes.» (Mt 2,26) Pour jouir de ce repos et en ce monde et dans l’autre, ayons soin de graver profondément dans nos coeurs cette humilité sainte, qui est la mère de toutes les vertus. Ainsi nous jouirons d’un calme continuel parmi les tempêtes de cette vie, et nous arriverons enfin à ce port de l’éternité, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (26)



Chrysostome sur Mt 2