Chrysostome sur Mt 89

89

HOMÉLIE LXXXIX

Mt 27,62-66 Mt 28,1-11

«MAIS LE LENDEMAIN, QUI ÉTAIT LE JOUR D’APRÈS CELUI QUI EST APPELÉ LA PRÉPARATION DU SABBAT, LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES PHARISIENS S’ÉTANT ASSEMBLÉS VINRENT TROUVER PILATE, ET LUI DIRENT: SEIGNEUR, NOUS NOUS SOMMES SOUVENUS QUE CET IMPOSTEUR A DIT LORSQU’IL ÉTAIT ENCORE EN VIE: JE RESSUSCITERAI TROIS JOURS APRÈS MA MORT. COMMANDEZ DONC, S’IL VOUS PLAÎT, QUE LE SÉPULCRE SOIT GARDÉ JUSQUES AU TROISIÈME JOUR POUR QUE SES DISCIPLES NE VIENNENT LA NUIT DÉROBER SON CORPS ET NE DISENT: IL EST RESSUSCITÉ D’ENTRE LES MORTS, ET AINSI LA DERNIÈRE ERREUR SERA PIRE QUE LA PREMIÈRE». (CHAP. 27,62, 63, 64, JUSQU’AU V. 11,DU CHAP. 28)

ANALYSE

1 et 2. Résurrection de Jésus-Christ; elle est démontrée vraie.

3 et 4. Les femmes sont les premières à voir Jésus-Christ après sa résurrection. - Contre le luxe et la vanité des femmes. - Que les âmes qui se plaisent à ces puérilités, ne peuvent s’appliquer à rien de grand, et sont toujours dans une bassesse et dans une servitude honteuse. - Qu’on doit particulièrement éviter ces magnifiques habits, lorsqu’on va à l’église, où les chrétiens n’en ont que de l’horreur. - Que la gloire des femmes est leur modestie. - Combien il est rare de voir une femme qui veuille vendre un seul de ses diamants pour nourrir les pauvres.



1. L’erreur et l’imposture tombe toujours d’elle-même, et elle sert enfin malgré elle à établir la vérité. Voyez en effet: il fallait que toute la terre crût que Jésus-Christ avait souffert, qu’il était mort, qu’il avait été enseveli et qu’ensuite il était ressuscité. Or, tout cela s’établit par l’artifice et par la malice de ses propres ennemis. Pesez toutes leurs paroles, et considérez avec étonnement le témoignage qu’elles rendent à la vérité de nos mystères: « Nous nous sommes souvenus, disent-ils, que cet imposteur a dit lorsqu’il était encore en vie, » il n’était donc plus alors en vie, et il était mort: «Je ressusciterai trois jours après ma mort. Commandez donc que le sépulcre soit gardé.» Il était donc dans le sépulcre: «De peur que ses disciples ne viennent la nuit dérober son corps » Puisque le sépulcre du Sauveur est gardé avec tant de soin, n’est-il pas visible qu’il n’y a plus lieu de craindre aucune illusion de la part de ses disciples? Ainsi vos précautions font qu’on ne doit plus douter de la vérité de cette résurrection. Car le sépulcre du Fils de Dieu ayant été scellé et gardé avec tant de vigilance quelle tromperie pourrait-on craindre? Que s’il n’y en a aucune, et que le sépulcre néanmoins se soit trouvé vide, n’est-il pas certain que cela n’a pu se faire que par la résurrection véritable de Celui qui y était enseveli?

Vous voyez comment ils établissent la vérité qu’ils veulent détruire. Mais considérez, je vous prie, la sincérité des évangélistes, et combien ils sont exacts à ne rien cacher de ce que les ennemis de Jésus-Christ disaient de plus honteux et de plus injurieux à sa grandeur, puisqu’ils ne cèlent point qu’ils l’appelaient «séducteur et imposteur. » Cet outrage nous fait voir également la cruauté des Juifs, qui ne pouvaient encore pardonner à un homme mort, et la sincérité des disciples à rapporter fidèlement toutes choses.

Mais il est bon maintenant de rechercher quand est-ce que le Sauveur a dit aux Juifs qu’il ressusciterait trois jours après sa mort.

Nous voyons souvent dans l’Evangile qu’il avait dit à ses apôtres qu’il ressusciterait après trois jours: mais nous n’y voyons point qu’il l’ait dit aux Juifs, autrement que dans l’exemple de Jonas. Ils avaient donc bien compris ce qu’on leur disait; et ce n’était que par un excès de malice, et par une abondance de (79) mauvaise volonté qu’ils se conduisaient, de cette manière. Que leur répond donc Pilate?

«Vous avez des gardes, allez, faites-le garder comme vous l’entendrez (65). Ils s’en allèrent donc; et pour s’assurer du sépulcre, ils en scellèrent la pierre et y mirent des gardes (66) ». Il ne veut pas que ce soit ses soldats qui gardent le sépulcre. Comme il était parfaitement informé de toute cette affaire, il ne s’en veut plus mêler; mais pour se défaire d’eux, il leur dit d’aller garder eux-mêmes le tombeau comme ils l’entendraient, afin qu’ensuite ils ne rejetassent point leurs accusations sur personne. Si les soldats de Pilate eussent gardé ce sépulcre, les Juifs eussent pu dire qu’ils se seraient accordés avec les disciples du Sauveur, et qu’ils leur auraient donné son corps. La fausseté et l’invraisemblance de cette supposition n’eût pas empêché ces imposteurs hardis et sans honte de l’avancer, et ils eussent aisément fait croire que cet accommodement des disciples avec les soldats aurait donné lieu à ce bruit de la résurrection. Mais Pilate les ayant chargés eux-mêmes de ce soin, ils ne pouvaient plus raisonnablement faire retomber cette accusation sur les autres.

Ainsi on ne peut assez admirer comment malgré eux ils travaillent à établir la vérité, puisqu’ils vont eux-mêmes trouver Pilate qu’ils lui demandent eux-mêmes le corps, qu’ils scellent eux-mêmes le sépulcre, y posent eux-mêmes des gardes, et se réduisent eux-mêmes par tant de précautions dans l’impuissance de donner quelque couleur à l’imposture qu’ils ont depuis publiée. Car enfin quand les disciples du Fils de Dieu auraient-ils dérobé son corps? Serait-ce le jour du Sabbat? Mais comment l’auraient-ils pu, puisqu’il n’était pas permis en ce jour d’aller même au sépulcre? Mais quand ils auraient pu transgresser la loi qui leur défendait cela, comment étant aussi intimidés qu’ils l’étaient alors, auraient-ils osé approcher seulement de ce tombeau pour dérober le corps de leur maître? Comment auraient-ils pu faire croire ensuite à tout un peuple qu’il serait véritablement ressuscité ! Qu’auraient-ils dit? qu’auraient-ils fait? quel courage auraient-ils eu en défendant le parti d’un homme qu’ils eussent su être véritablement mort? Quelle récompense en auraient-ils pu attendre? Lorsqu’il était encore vivant entre les mains des Juifs qui l’avaient pris, ils s’enfuyaient tous et ils l’abandonnaient; comment donc auraient-ils pu après sa mort parler si courageusement pour lui, s’ils n’eussent su d’une manière certaine qu’il était ressuscité?

Mais pour montrer qu’ils n’eussent jamais ni pu ni voulu feindre cette résurrection si elle n’eût été véritable, il ne faut que considérer que Jésus-Christ leur avait souvent parlé de sa résurrection; qu’il les en avait souvent assurés; jusque-là même que les Juifs témoignent ici qu’il leur avait dit: «Je ressusciterai dans trois jours ». Si donc il ne fût pas ressuscité véritablement, n’est-il pas clair que ses disciples se voyant trompés par lui, en butte aux attaques de toute une nation, sans refuge, sans patrie à cause de lui, l’auraient nécessairement renoncé, et qu’ils n’auraient jamais voulu travailler à établir dans le monde la gloire d’un homme qui les aurait indignement trompés encore une fois et exposés aux plus affreux dangers?

Il est inutile de s’arrêter davantage à prouver que si la résurrection de Jésus-Christ eût été fausse, il eût été impossible aux apôtres de la feindre. Car sur quoi auraient-ils pu s’appuyer pour établir un mensonge si visible? Auraient-ils tâché de le confirmer par la foi-ce de leurs paroles? Ils étaient tous ignorants; se seraient-ils appuyés sur leurs richesses? ils n’avaient rien; sur leur naissance? ils étaient les derniers du peuple; sur la grandeur de leur ville?ils étaient d’un lieu peu connu; sur leur grand nombre? ils n’étaient que onze, et la peur les avait même dispersés en divers lieux.

Pouvaient-ils se fonder sur les promesses de leur maître? Quelle impression eussent-elles pu faire sur leurs esprits, s’il ne fût pas ressuscité lui-même comme il l’avait si souvent promis? Mais comment au raient-ils pu soutenir la fureur de tout un peuple? Car si leur chef même n’avait pu résister à la voix d’une servante, si tous les autres voyant Jésus-Christ pris et lié se dispersèrent aussitôt, comment auraient-ils pu se persuader qu’ils eussent pu parcourir toute la terre et établir partout la croyance de cette fausse résurrection? Si saint Pierre trembla devant une portière, si tous les autres craignirent si fort le peuple, comment auraient-ils pu témoigner de la fermeté devant les rois, devant les princes, devant les peuples, lorsqu’ils avaient à craindre les tourments, le (80) fer, le feu et mille sortes de morts qu’on leur préparait à tout moment, si la force de Jésus-Christ ressuscité ne les eût soutenus dans ces rencontres? Les Juifs, après tant de miracles de Jésus-Christ, qu’ils avaient vus de leurs yeux, ne laissent pas d’en perdre le souvenir et de crucifier Celui qui les avait faits; et on pourrait croire que lorsque les apôtres leur prêcheraient la résurrection de ce même Jésus-Christ, ils se laisseraient persuader par eux? Qui pourrait avoir cette pensée? Ce n’est donc point de cette manière que toutes ces choses se sont faites. C’est la seule force de Jésus-Christ ressuscité qui a agi dans ses apôtres.

2. Mais considérez la malignité de ces prêtres juifs: «Nous nous sommes souvenus», disent-ils, « que cet imposteur a dit, lorsqu’il était encore en vie: Je ressusciterai dans trois jours ». Si c’est un imposteur qui ne disait que des choses vaines, pourquoi les craignez-vous? pourquoi tremblez-vous? pourquoi témoignez-vous tant d’inquiétude? pourquoi employez-vous tant de ressorts? «Nous craignons», disent-ils, «que ses disciples ne viennent dérober son corps et qu’ils ne trompent ensuite le peuple». Nous venons de faire voir que cela était impossible. Cependant comme la malice des hommes est opiniâtre dans ses desseins, ils ne se rendent point et ils agissent contre toute la lumière de la prudence. Ils commandent qu’on garde exactement le sépulcre jusqu’au troisième jour, sous prétexte de soutenir leur loi contre un imposteur; ils ont surtout si fort à coeur de montrer que Jésus-Christ était un séducteur, qu’ils étendent leur envie et leur malignité contre lui jusqu’après sa mort.

C’est pour cela que le Fils de Dieu se hâte de ressusciter de bonne heure, afin de ne leur point donner lieu de dire qu’il n’avait pas tenu sa parole, et qu’on était venu l’enlever.

Car on ne pouvait trouver à redire qu’il ressuscitât un peu plus tôt qu’il n’avait dit, tandis que le faire un peu plus tard eût donné lieu à beaucoup de soupçons. En effet, si Jésus-Christ ne fût ressuscité lorsque ces soldats environnaient encore son sépulcre pour le garder, et qu’il ne l’eût fait que lorsqu’ils se seraient retirés après le troisième jour, les Juifs auraient eu quelques raisons, sinon fondées, du moins spécieuses à alléguer, pour justifier leur refus de croire à la résurrection. Il se hâta donc de ressusciter pour ôter à ses ennemis jusqu’au moindre prétexte. Car il raflait qu’il ressuscitât, lorsque son sépulcre était encore environné de ses gardes. Il ne devait pas attendre que les trois jours fussent entièrement accomplis, puisque sa résurrection eût pu être trop suspecte. C’est pourquoi il permit que les Juifs prissent toutes les précautions qu’ils voulaient, qu’ils scellassent son tombeau, et qu’ils y missent des gardes. Et lorsqu’ils agissaient de la sorte, ils ne se mettaient guère en peine du jour du sabbat, mais ils n’avaient point d’autre but que de satisfaire leur passion. Ils crurent qu’ils auraient ainsi l’avantage sur le Sauveur par un aveuglement incompréhensible, et par une crainte tout à fait à contre-temps, puisqu’ils témoignaient appréhender un homme mort, à qui ils avaient fait tout ce qu’ils avaient voulu pendant sa vie. Car ne devaient-ils pas, si Jésus-Christ n’était qu’un homme comme les autres, faire alors cesser toutes leurs craintes, et être dans un plein repos pour l’avenir?

Mais enfin Jésus-Christ voulant leur montrer qu’il n’avait rien souffert de leur part que ce qu’il avait bien voulu souffrir, leur fait voir ici qu’avec cette pierre si bien scellée et ces gardes, ils ne pouvaient le retenir. Tout ce qu’ils ont gagné par leurs artifices, c’est qu’ils ont rendu sa résurrection plus célèbre et plus constante; de sorce qu’on ne peut en douter raisonnablement, puisqu’il ressuscita en présence des Juifs mêmes et des soldats.

«Le soir du sabbat, à la première lueur du jour qui suit le sabbat, Marie-Madeleine et l’autre Marie vinrent pour voir le sépulcre. (Chap. 28,1). Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre: car un ange du Seigneur descendit du ciel, et vint renverser la pierre qui était devant la porte du sépulcre et s’assit dessus (2). Son visage était brillant comme un éclair, et ses vêtements blancs comme la neige (3)». L’ange parut aussitôt après la résurrection du Fils de Dieu. Pourquoi parut-il et enleva-t-il la pierre de dessus le sépulcre, sinon à cause de ces femmes qui avaient vu le Sauveur dans le tombeau? Afin donc qu’elles crussent qu’il était véritablement ressuscité, on leur fit voir que le corps n’était plus dans le sépulcre. Voilà pourquoi l’ange ôta la pierre, pourquoi le tremblement de terre eut lieu, c’était afin de les avertir de se lever et de se réveiller. Comme elles étaient (81) venues pour oindre le corps de parfums, et qu’il était encore nuit, il est vraisemblable que quelques-unes d’entre elles pouvaient être assoupies.

«Et les gardes en furent tellement saisis de frayeur, qu’ils devinrent comme morts (4). Mais l’ange s’adressant aux femmes leur dit: Pour vous, ne craignez point; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié (5)». Pourquoi l’ange leur dit-il: «Pour vous, ne craignez point», sinon parce que tout d’abord il voulait les délivrer de la frayeur où elles étaient avant de leur parler de la résurrection? Ce mot, «pour vous autres », est bien honorable pour ces femmes, et montre en même temps que si ceux qui avaient osé commettre un attentat si étrange, ne rentraient en eux-mêmes, ils devaient s’attendre à une horrible vengeance. Car ce n’est pas à vous à craindre, dit-il à ces femmes; c’est à ceux qui ont crucifié le Sauveur. Après les avoir ainsi délivrées de cette frayeur, et par ses paroles, et par la joie qui était peinte sur son visage, dont l’expression était d’accord avec l’heureuse nouvelle qu’il apportait, il continue de leur parler: «Je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié». Il ne rougit point de dire que Jésus-Christ a été crucifié, parce qu’il savait que sa croix était la source de tous nos biens. «Il n’est point ici, il est ressuscité ». Et pour le prouver, il ajoute, « comme il l’avait dit lui-même (6) ». Si vous vous défiez de mes paroles, souvenez-vous de la sienne, et vous me croirez. Et pour leur en donner encore une autre preuve, il leur dit: «Venez voir le lieu où le Seigneur avait été mis». Ainsi l’ange avait détourné la pierre, afin que les femmes fussent convaincues par leurs propres yeux. «Et hâtez-vous d’aller dire à ses disciples qu’il est ressuscité d’entre les morts: Il va devant vous en Galilée, c’est là que vous le verrez: je vous en avertis auparavant (7) ». Il veut qu’elles annoncent ensuite aux autres ce qu’il leur a fait croire avec tant de certitude, Il marque à dessein la «Galilée» comme un lieu paisible éloigné des périls, et où leur foi ne devait être mêlée d’aucune crainte.

« Et sortant aussitôt du sépulcre avec crainte et avec beaucoup de joie, elles coururent pour annoncer ceci aux disciples (8)». Elles sont saisies d’une extrême joie mêlée de crainte, parce qu’elles avaient vu une chose tout à fait étonnante et bien consolante tout ensemble; elles avaient vu ouvert et vide ce même sépulcre, où elles avaient vu peu auparavant ensevelir Jésus-Christ. L’ange les avait fait approcher, afin que cette vue même du tombeau les persuadât que le Sauveur était. véritablement ressuscité. Car elles pouvaient bien s’assurer que le sépulcre étant gardé par tant d’hommes armés, nul n’aurait pu enlever son corps, à moins que lui-même ne l’eût rejoint à son âme en ressuscitant. Ainsi, dans l’admiration où elles se trouvent, elles sont ravies de joie, et elles reçoivent enfin le prix de leur persévérance, ayant été jugées dignes de voir les premières Jésus-Christ ressuscité, et d’annoncer ensuite aux apôtres non-seulement ce que les anges leur avaient dit, mais ce qu’elles avaient vu de leurs propres yeux.

3. «Et comme elles allaient porter cette nouvelle aux disciples, Jésus se présenta devant elles, et leur dit: Salut! Elles s’approchèrent, lui embrassèrent les pieds et l’adorèrent (9) ». Et après s’être ainsi approchées de lui avec ce transport de joie, et avoir, par l’attouchement de ses pieds, connu la vérité de sa résurrection, «elles l’adorèrent ». Mais que leur dit Jésus-Christ?

«Alors Jésus leur dit: Ne craignez point (10)». Il bannit encore toute crainte de leur esprit, afin que cette paix prépare dans leur coeur l’entrée à la foi. « Allez dire à mes frères qu’ils s’en aillent en Galilée, c’est là qu’ils me verront». Considérez encore une fois, mes frères, comment Jésus-Christ se sert de ces femmes, pour annoncer ses mystères à ses disciples. Il veut relever ainsi l’honneur de ce sexe qui était tombé dans le mépris, par l’a chute d’Eve, il anime sa confiance et il le guérit de ses faiblesses.

Je ne doute point, mes frères, qu’il n’y eu ait parmi vous qui souhaiteraient d’avoir été avec ces saintes femmes pour embrasser avec elles les pieds du Sauveur. Mais si ce désir est sincère dans votre coeur, vous pouvez encore aujourd’hui embrasser non-seulement ses pieds ou ses mains, mais même sa tête sacrée, lorsque vous participez à nos redoutables mystères avec une conscience pure et sainte. Car vous le verrez non-seulement ici, mais encore au jour de sa gloire, lorsqu’il viendra accompagné de tous ses anges, si vous êtes charitables envers les pauvres. Il ne vous dira pas seulement ces paroles: «Je vous salue»; mais celles-ci: (82)

«Venez vous que mon Père a bénis, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde».

Devenons donc, mes frères, reconnaissants envers Dieu et charitables envers nos frères. Ayons de l’amour pour toutes sortes de personnes. Et vous, mes soeurs, qui étant chrétiennes, avez tant de soin d’employer l’or et l’argent pour vous parer, considérez ces femmes de notre Evangile, et renoncez enfin à la vanité et à l’avarice. Si vous avez quelque zèle pour imiter ces saintes femmes, vendez ces ornements superflus dont vous êtes inutilement chargées, et revêtez-vous d-e la compassion et de la miséricorde comme d’un vêtement précieux. Dites-moi, je vous prie, quelle utilité vous pouvez tirer de ces pierres de si grand prix, et de ces habits si magnifiques? Vous me dites que l’esprit s’y satisfait, et qu’il trouve du plaisir dans cette magnificence. Mais, hélas! je vous demande quelle utilité vous retirez de vos vanités, et vous ne me dites que les maux qu’elles vous causent. Il n’y a rien de plus déplorable que de se plaire dans ces vains ajustements, d’y trouver de la satisfaction, et de s’y attacher. Cette servitude si basse et si honteuse devient encore plus horrible lorsqu’on y trouve du plaisir.

Comment une femme chrétienne pourra-telle s’appliquer comme elle le doit aux exercices d’une piété solide, et mépriser les folies du siècle, lorsqu’elle trouve de la joie à se parer d’or et de pierreries? N’est-il pas vrai que celui qui trouve son repos dans la prison, ne désirera jamais d’en sortir; et que cette personne qui s’est volontairement liée de ces chaînes, ne pourra, jamais se résoudre à les quitter? Elle sera comme la victime d’une passion si basse, et elle, trouvera tant de dégoût aux oeuvres de piété, qu’elle n’en pourra pas même souffrir le nom.

Je vous demande donc encore: A quoi vous servent tous ces ornements d’un si grand prix et si inutiles? Car si vous me dites que vous y trouvez votre satisfaction, je vous ai déjà fait voir que ce n’est pas là un avantage, mais un très-grand mal. Vous me répondrez peut-être que vous vous faites ainsi admirer de tous ceux qui vous regardent. Mais n’est-ce pas encore là un autre mal, que ces ornements magnifiques soient la pâture de votre orgueil? Puis donc que vous ne pouvez me dire quel avantage vous retirez de ce luxe, permettez que je vous énumère les maux qui vous en reviennent. Premièrement, vous savez vous-mêmes que vous en avez plus d’inquiétude que de plaisir. Et j’ose dire que la plupart de ceux qui vous voient, et particulièrement les esprits les plus stupides, ont plus de satisfaction de toute cette vaine magnificence que vous n’en avez vous-même. Là vôtre est mêlée de chagrin, la leur est toute pure, et vous prenez bien de la peine pour leur donner de quoi contenter leurs yeux. De plus, ces préoccupations de votre vanité vous tiennent l’esprit sans cesse attaché à de basses pensées et vous exposent aux atteintes de l’envie. Les femmes qui demeurent auprès de vous, brûlant du désir d’être aussi parées que vous, s’arment ensuite contre leurs maris, et leur font une guerre furieuse.

N’est-ce pas encore un mal bien considérable que d’être livrée tout entière à des soins si vains et si inquiets; de négliger la beauté de son âme, et l’amour de son salut, de se remplir d’orgueil, de vanité et de folie, d’être comme enivrée de l’amour du siècle, de quitter volontairement ces ailes saintes qui vous élèvent à Dieu, que de se rendre semblable, non pas à l’aigle comme cela devrait être, mais aux chiens et aux pourceaux? Car au lieu de tendre toujours au ciel, vous allez comme ces animaux chercher dans la terre ce qui peut plaire à vos sens, sans craindre de prostituer la dignité de votre âme, et de l’asservir à des choses si basses et si indignes de vous.

Vous me répondrez peut-être encore que, lorsque vous paraissez dans les rues ou dans les assemblées, tout le monde vous regarde et tient les yeux arrêtés sur vous. C’est pour cela-même que vous devriez fuir ces ornements, afin de ne point attirer ainsi sur vous les regards de tous les hommes, et de ne point donner lieu à la médisance. Nul de ceux qui vous regardent ne vous estime autant que vous vous l’imaginez. Tout le monde se rit de vous, comme d’une femme vaine et ambitieuse, qui désire de se faire voir, et qui est toute plongée dans l’amour et dans la vanité du siècle.

Que si, après cela, vous entrez dans nos églises, vous n’y trouverez que des personnes qui auront de l’horreur de ces vains ajustements. Ce ne seront pas seulement les spectateurs de votre luxe qui vous détesteront de la sorte, les prophètes mêmes le feront: Isaïe, (83) celui de tous qui a la plus grande voix, dira de vous dès que vous entrerez ici: «Voici ce que dit le Seigneur aux princesses, filles de Sion: Parce qu’elles ont marché avec pompe, la tête levée, les yeux volages et égarés, qu’elles ont traîné après elles ces longues queues de leurs robes, le Seigneur les dépouillera avec honte de tous ces vains ornements, et la boue succédera aux parfums, et les liens de cordes aux ceintures de perles et de diamants». (Is 3,16)

C’est là, mes très-chères soeurs, la récompense que vous devez attendre de vos vanités. Mais ce n’est point seulement contre les filles de Sion que le Prophète parle. Ces menaces sont contre toutes celles qui les imitent. Saint Paul parle de même qu’Isaïe, lorsqu’il commande à Timothée «d’avertir les femmes de ne se parer ni avec des cheveux frisés, ni avec des ornements d’or ou de perles, ni des habits somptueux». (1Tm 2,9) C’est donc toujours un mal de se parer avec l’or; mais c’est un mal encore bien plus grand, lorsqu’on vient ainsi parée à l’église, et qu’on passe en cet état parmi tant de pauvres. Si vous aviez dessein de soulever tout le monde contre vous, vous n’en pourriez pas trouver un meilleur moyen, que de sacrifier ainsi les biens que vous avez reçus de Dieu à la cruelle satisfaction de votre luxe. Considérez cette troupe de pauvres, parmi lesquels vous passez. Votre magnificence les irrite au milieu de la faim qui les presse et qui les dévore, et leur nudité crie vengeance contre ces vêtements superbes et cet appareil diabolique. Ne vaudrait-il pas mieux donner du pain à ceux qui n’en ont point, que de se percer l’oreille pour y suspendre la nourriture des pauvres et la vie d’une infinité de misérables?

4. Mettez-vous donc votre gloire à être riches, ou à vous parer avec l’or et les diamants? Quand votre bien serait acquis le plus justement qu’il pourrait être, vous seriez néanmoins très-coupables de le prodiguer en ces folies. Mais comme il est souvent le fruit des rapines et de l’injustice, que sera-ce que d’user si mal d’un bien mal acquis? Si vous aimez l’honneur solide, quittez tout ce faste, et le monde vous admirera, votre modestie fera votre gloire et vous comblera de joie. Mais maintenant votre vanité est votre honte, et elle est encore votre supplice. Car outre la perte que cause tout ce luxe, quel désordre est-ce dans une maison, lorsqu’une perle ou une pierre précieuse vient à s’égarer? On maltraite les femmes de service; on tourmente les hommes. On chasse les uns et on emprisonne les autres. On soupçonne, on accuse, on plaide; le mari querelle la femme et la femme le mari, ils se brouillent même avec leurs amis; ils font de la peine à tout le monde, et encore plus à eux-mêmes.

Mais supposons que vous ne perdiez rien, ce qui néanmoins est très-difficile: N’est-ce pas toujours une peine bien grande, que de garder avec tant de soin des meubles si inutiles que ces objets de toilette? Car ils ne servent ni à votre maison ni à votre personne. Ils incommodent l’une et la tiennent dans l’inquiétude, et ils déshonorent l’autre.

Comment pourriez-vous, étant ainsi parée, embrasser et baiser les pieds de Jésus-Christ, comme ces saintes femmes de notre Evangile, puisqu’il a ce faste en horreur? C’est pour cette raison qu’il a voulu naître dans la maison d’un charpentier, et non pas même dans sa maison, mais dans une étable. Comment oseriez-vous donc vous présenter à lui, n’ayant aucun des ornements qui lui sont chers et précieux, mais en ayant d’autres qui lui sont insupportables? Celui qui veut s’approcher de lui, doit se parer non d’or et de perles, mais de vertus.

Car enfin qu’est-ce que cet or que vous aimez tant, sinon un peu de terre qui, mêlée avec de l’eau, serait de la boue? C’est donc cette terre qui est votre idole; c’est de cette boue que vous vous faites un Dieu que vous portez partout, comme s’il était votre félicité et votre gloire. Vous n’épargnez pas même le temple de Dieu, dont la sainteté ne devrait pas être violée par votre luxe. Car l’Eglise n’a pas été bâtie afin que vous y veniez étaler vos vanités. On y doit paraître riche, mais en grâce et en vertu, et non en or et en diamants. Cependant vous vous parez pour y venir, comme si vous alliez au bal, ou comme les comédiennes qui vont paraître sur le théâtre, tant vous avez soin que tout conspire à vous faire regarder, c’est-à-dire, à vous faire moquer de ceux qui vous voient. C’est pourquoi j’ose vous dire que vous êtes ici comme une peste publique, qui tue non les corps mais les âmes. Quand cette sainte assemblée est finie, et que chacun retourne chez soi, on ne s’entretient que de vos vanités et de vos folies. On oublie les (84) instructions importantes que saint Paul ou les prophètes nous y ont données; on ne s’entretient que du prix de vos belles étoffes et de l’éclat de vos pierreries.

C’est l’attachement à ces vanités qui vous rend aujourd’hui si froides à faire l’aumône. Il est bien rare de trouver aujourd’hui une femme qui veuille se résoudre à vendre quelque chaîne d’or ou quelqu’une de ses pierreries pour nourrir un pauvre. Et comment pourraient-elles renoncer au moindre de ces ornements pour en assister les misérables, puisqu’elles aimeraient mieux souffrir elles-mêmes les dernières extrémités que de s’en priver? On en voit de si passionnées pour tous ces ajustements, qu’elles ne les aiment pas moins que leurs propres enfants. Si vous dites que cela n’est pas, témoignez-le donc par vos actions, puisqu’elles m’assurent du contraire de ce que vous dites.

Qui d’entre toutes ces femmes qui sont attachées à ces folies, a donné jamais une perle pour sauver son fils de la mort? Mais que dis-je pour sauver son fils? Quelle est celle qui a donné quelque chose pour se sauver elle-même? On les voit perdre les journées entières pour étudier ces ajustements. Lorsqu’elles ressentent la moindre maladie du corps, elles font tout pour s’en délivrer; et lorsqu’elles ont l’âme percée de plaies, elles ne veulent rien faire pour la guérir. Elles voient périr leurs âmes et leurs enfants, et elles ne s’en mettent point en peine, pourvu qu’elles conservent cet or et cet ornement que le temps gâte peu à peu. Vous donnez mille talents pour être toute vêtue d’or, et les membres de Jésus-Christ n’ont pas même du pain à manger. Dieu, qui est le maître du pauvre comme du riche, a préparé également le ciel à l’un et à l’autre, et il leur fait part à tous deux indifféremment des richesses de sa table spirituelle. Et cependant vous ne voulez pas que le pauvre ait aucune part, ni à votre bien, ni à votre table. Vous êtes esclaves de ce que vous possédez, et vous ne pensez qu’à appesantir vos chaînes.

C’est là la source d’une infinité de maux, de ces jalousies cruelles, et de ces adultères qui déshonorent la fidélité du mariage, lorsqu’au lieu de porter les hommes par votre exemple à l’amour de la chasteté et de la modestie, vous leur apprenez au contraire à aimer toutes ces choses dont se parent les femmes prostituées. C’est là ce qui les fait tomber si facilement. Si vous leur appreniez à mépriser tout ce luxe et à se plaire dans la modestie, dans l’humilité et dans toutes les vertus, ils ne seraient pas si susceptibles de ces passions qui perdent leurs âmes; et vous vous distingueriez ainsi des comédiennes et des femmes débauchées, qui peuvent bien se parer de l’éclat des diamants, mais non de celui des vertus.

Vous donc, ô femme chrétienne, accoutumez votre mari à aimer en vous ce qu’il ne saurait jamais trouver dans ces courtisanes. Et comment l’y accoutumerez-vous, sinon en renonçant vous-même à ces ornements criminels, et eu vous rendant digne de respect et d’amour par votre modestie et votre sagesse? Ainsi le bonheur de votre mariage sera en sûreté, votre mari, dans la joie, et vous, en honneur. Dieu vous bénira, et les hommes vous admireront, et vous passerez de cette vie à celle du ciel, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (85)


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HOMÉLIE XC «APRÈS QU’ELLES FURENT PARTIES, QUELQUES-UNS DES GARDES VINRENT DANS LA VILLE ET RAPPORTÈRENT TOUT CE QUI S’ÉTAIT PASSÉ AUX PRINCES DES PRÊTRES.

CEUX-CI SE RÉUNIRENT AVEC LES ANCIENS ET AYANT TENU CONSEIL, ILS DONNÈRENT UNE GRANDE SOMME D’ARGENT AUX SOLDATS, EN LEUR DISANT: DITES QUE SES DISCIPLES SONT VENUS DURANT LA NUIT LORSQUE VOUS DORMIEZ, ET ONT DÉROBÉ SON CORPS». (CHAP. 28,11,12, 13,JUSQU’A LA FIN)

Mt 28,11-20

ANALYSE

1 et 2. La nouvelle de la résurrection de Jésus-Christ est apportée aux princes des prêtres et aux anciens. - Moyens qu’ils emploient pour tromper encore une fois le peuple. - Dernières paroles de Jésus-Christ à ses apôtres; il les envoie évangéliser le monde.
3 et 4. Combien tout ce que Dieu nous commande est facile à exécuter. - Que c’est cette facilité qui sera cause que nous serons plus châtiés au jour de son jugement. - Que l’avarice corrompt tout. - Du martyre des riches et de la vanité des richesses. - Que le christianisme inspire l’amour de la pauvreté.



1. Ces grands tremblements de terre ne se firent que pour étonner les soldats, afin qu’ils rendissent témoignage de ce qu’ils avaient vu, comme ils le firent en effet. Rien n’était moins suspect que cette sorte de témoignage que les gardes mêmes rendaient à la vérité de la résurrection du Sauveur. Car une partie de ces prodiges se faisaient alors à la vue de toute la terre; et les autres se passent en particulier en présence d’un petit nombre de personnes. Les miracles qui se firent devant tout le monde furent les ténèbres et l’obscurcissement du soleil; les autres plus particuliers furent le tremblement de terre auprès du sépulcre et tout ce qui fut fait ou qui fut dit par les anges.

Lors donc que les gardes furent venus dans la ville, et qu’ils eurent rapporté aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé au sépulcre du Sauveur (grande gloire pour la vérité, puisqu’elle eut pour témoins ses ennemis mêmes), ces prêtres leur donnèrent encore une grande somme d’argent, afin qu’ils publiassent partout que ses disciples étaient venus, et qu’ils avaient dérobé son corps. Mais, aveugles et insensés que vous êtes, comment les disciples ont-ils pu faire ce larcin? Comment osez-vous opposer une opiniâtreté si stupide et si grossière à une vérité si évidente, sans qu’il vous reste le moindre prétexte pour colorer tant soit peu vos mensonges et vos impostures? Car comment les disciples ont-ils pu dérober le corps de leur Maître? Comment serait-il possible que des hommes sans science, sans nom, sans appui, qui étaient alors si frappés de crainte qu’ils n’osaient pas même paraître, eussent jamais pensé à former une entreprise si hardie? Ce tombeau n’était-il pas scellé? N’était-il pas environné des gardes, des soldats et des Juifs, qui se défiaient de cela même, qui n’étaient là que pour empêcher cet accident, qui veillaient avec soin, et qui n’oubliaient rien pour se défendre de cette surprise?

Mais par quel motif ces disciples auraient-ils voulu dérober ce corps? Aurait-ce été afin d’établir par cet artifice la croyance de la résurrection de leur Maître dans toute la terre? Comment ce dessein aurait-il pu tomber dans l’esprit de pauvres gens qui se trouvaient trop heureux de pouvoir vivre dans un lieu secret et de demeurer inconnus à tous les hommes? Comment auraient-ils pu exécuter ce dessein quand ils l’auraient eu, sans être découverts? Quand ils auraient été assez résolus pour mépriser la mort, comment auraient-ils osé entreprendre de forcer tant de gardes et de gens armés? Mais ce qui était arrivé un peu auparavant, nous assure beaucoup plus de leur (86) timidité que de leur hardiesse. Car ils ne virent pas plutôt leur Maître pris qu’ils s’enfuirent tous. Si donc lorsqu’il était encore en vie ils tremblent de peur et l’abandonnent, comment oseront-ils après sa mort attaquer tant de gardes pour se saisir de son corps? Il ne s’agissait pas seulement d’avoir quelque adresse pour ouvrir et pour faire entrer secrètement un homme dans le tombeau. Car l’entrée en était bouchée par une grosse pierre, qui n’aurait pu être remuée que par un grand nombre d’hommes.

Les princes des prêtres avaient donc bien raison de dire «que cette dernière erreur serait pire que la première», et ils le disaient contre eux-mêmes, puisque, au lieu de devenir plus sages après tant de crimes, ils en ajoutaient un qui était le couronnement des autres. Ils ajoutent malice sur malice. Ils ont acheté le sang de Jésus-Christ avec de l’argent. Ils veulent acheter de même avec de l’argent l’imposture qui doit combattre et étouffer s’il se peut la vérité de la résurrection.

Considérez, je vous prie, comment ils tombent partout dans leurs propres piéges. Car s’ils ne s’étaient adressés à Pilate, s’ils n’avaient demandé des gardes, ils auraient pu avec plus de vraisemblance faire courir dans le monde tous ces faux bruits. Mais, après tant de précautions qu’ils ont prises, ils ne le pouvaient plus. Ainsi donc, ils ont eu soin de faire eux-mêmes tout ce qu’il fallait pour se fermer la bouche à eux-mêmes et pour rendre leur imposture sans effet et sans vraisemblance. Car si les plus fidèles et les plus ardents de ses disciples n’ont pas pu même veiller avec lui lorsqu’il les y exhortait et qu’il les reprenait de leur négligence, comment ces mêmes hommes auraient-ils pu être si vigilants et si résolus, après l’avoir vu mourir sur une croix? Que s’ils avaient pu avoir le dessein de dérober ce corps, pourquoi ne le firent-ils pas lorsqu’il n’y avait point encore de gardes auprès du sépulcre, et qu’ils pouvaient le faire sans s’exposer? Car les prêtres ne s’adressèrent à Pilate pour lui demander des gardes que le jour du sabbat, et le sépulcre était demeuré seul toute la nuit précédente.

2. Mais que direz-vous de ces suaires qui étaient pleins de parfums, que saint Pierre vit dans le sépulcre? Si les apôtres avaient dérobé le corps, ne l’auraient-ils pas fait emporter avec tous ces linges, non-seulement par le respect qui les aurait empêchés de le mettre à nu, mais encore par l’appréhension d’être trop longtemps à les défaire et de donner lieu aux soldats de se réveiller; et d’autant plus que ce parfum de myrrhe, dont on avait oint le corps mort, s’attache très fortement aux corps et à toutes les choses où on l’applique. Ainsi les apôtres auraient dû être longtemps à défaire ces linges et à les séparer du saint corps. Il est donc de la plus claire évidence que toute cette fable de l’enlèvement du corps n’a pas la moindre ombre de vraisemblance. De plus, les apôtres ne savaient-ils pas jusqu’où allait la fureur des Juifs et qu’après avoir tué leur Maître ils eussent tourné contre eux toute leur rage? Et enfin que pouvaient-ils gagner à cette feinté, si leur Maître n’avait été véritablement ressuscité?

Les Juifs donc qui avaient concerté entre eux toute cette intrigue et cette imposture, donnèrent une grande somme d’argent aux soldats, afin qu’ils ne les démentissent pas: «Publiez», leur disent-ils, « que ses disciples sont venus durant la nuit comme vous dormiez et ont dérobé son corps ».

« Et si le gouverneur vient à le savoir, nous l’apaiserons et nous vous tirerons de peine (Mt 28,14) ». Ils voulaient donc qu’on répandît ce bruit partout, et ils s’imaginaient qu’ils étoufferaient ainsi la vérité de la résurrection de Jésus-Christ. Mais ils l’autorisent au contraire malgré eux, et ils l’affermissent sans le savoir. Car ce faux bruit qu’ils font courir que les disciples du Sauveur sont venus enlever son corps, est ce qui prouve péremptoirement qu’il est véritablement ressuscité, puisqu’ils déclarent eux-mêmes que son corps ne se trouve plus dans le sépulcre. Car la pierre si bien scellée, la présence des gardes et la timidité des apôtres font assez voir que cet enlèvement n’est qu’une fable, et que la résurrection qu’on veut étouffer est très-constante et très-assurée. Cependant ils ne rougissent de rien, et quoique tant de preuves différentes les convainquent d’imposture, ils ne laissent pas de dire à ces gardes: «Publiez partout que ses disciples sont venus durant la nuit lorsque vous dormiez, et qu’ils ont «enlevé son corps; et si le gouverneur vient à le savoir, nous l’apaiserons et nous vous «tirerons de peine ». Ainsi vous voyez que tous ces hommes étaient des imposteurs et des gens sans conscience, Pilate lui-même, (8) puisqu’il se laissa persuader, les soldats et tous les Juifs. Mais il ne faut pas s’étonner que des soldats se soient laissé gagner par de l’argent, puisqu’un des disciples du Sauveur l’a vendu pour un peu d’argent.

«Les soldats ayant reçu l’argent firent ce qu’on leur avait dit; et ce bruit qu’ils firent courir est commun encore aujourd’hui parmi les Juifs (Mt 28,15) ». J’admire encore ici la sincérité des évangélistes qui ne rougissent point de dire cela, et d’avouer que ce faux bruit a prévalu contre toutes leurs prédications et s’est confirmé de plus en plus par la succession des temps parmi les Juifs.

«Or, les onze disciples s’en allèrent en Galilée sur la montagne où Jésus leur avait commandé de se trouver. Et le voyant ils l’adorèrent. Quelques-uns aussi furent dans le doute (Mt 28,16) ». Il me semble que ce fut ici la dernière apparition de Jésus-Christ qui arriva en Galilée, lorsque Jésus-Christ envoya ses apôtres dans tout l’univers pour convertir et pour baptiser les hommes. Et je vous prie encore d’admirer ici la véracité des évangélistes qui ne cachent rien de tous les défauts que les apôtres firent paraître jusqu’au dernier jour. Mais si quelques-uns étaient dans le doute, cette dernière apparition les rassura et les confirma entièrement.

Que leur dit donc Jésus-Christ, lorsqu’il les vit assemblés? «Et Jésus s’approchant leur dit: Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre (Mt 28,17)». Il leur parle encore en quelque sorte humainement, parce qu’ils n’avaient pas reçu le Saint-Esprit qui devait élever leurs âmes: «Allez donc et instruisez tous les «peuples, les baptisant au nom du Père, du e Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à«observer toutes les choses que je vous ai commandées (Mt 28,18) ». Ce qu’il entend et des maximes de la foi et des règles de la morale. Il ne leur dit pas un seul mot des Juifs, et il ne leur parle point de tout ce que ce peuple venait de faire contre sa personne. Il ne reproche point non plus à saint Pierre son triple renoncement; il ne se plaint point de la fuite et de l’abandonnement des autres. Il leur commande seulement d’aller dans tout le monde, et il leur donne en abrégé toute la doctrine qu’ils doivent prêcher, en baptisant les hommes, en leur disant: «Qu’ils leur apprennent à observer toutes les choses qu’il leur a commandées », et pour rassurer leurs esprits dans la frayeur que ces grands commandements leur pouvaient causer, il ajoute ces paroles: «Et voilà, je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles (Mt 28,19) ». Considérez encore ici, mes frères, la grandeur et la souveraine puissance du Fils de Dieu. Voyez aussi comment, en parlant à ses apôtres, il continue de condescendre à leur faiblesse. Il proteste qu’il sera lui-même toujours non-seulement avec eux, mais encore avec tous ceux qui doivent croire un jour en lui. Les apôtres ne devaient pas vivre jusques à la fin du monde, et c’est visiblement à tous les fidèles qu’il parle, qu’il regarde comme un seul corps. Ne m’objectez donc point, leur dit-il, la difficulté des choses que je vous ordonne, parce que je suis avec vous, et que je vous rendrai tout facile. C’est la parole et la promesse dont il rassurait aussi autrefois ses prophètes, et on voit qu’il dit à Jérémie, qui lui représentait son enfance, à Moïse et à Ezéchiel, qui hésitaient à suivre ses ordres: «Je vous assure que je suis avec vous ».

Mais quelle différence voyons-nous ici entre les apôtres et les prophètes? Les prophètes s’excusent, lorsqu’on ne les envoie prêcher qu’à un seul peuple, et les apôtres ne font point ces difficultés, lorsqu’on les envoie dans tout l’univers. Il leur parle, et il les fait à dessein souvenir de la fin du monde et «de la «consommation des siècles», afin de les attirer à lui, et de les empêcher de considérer seulement les maux qu’ils souffriraient sur la terre, mais de penser encore aux biens du ciel. Il semble qu’il leur dise par cette parole: Les maux dont vous serez affligés se termineront dans cette vie, puisque le monde même verra sa fin; mais les biens dont je vous ferai jouir ensuite seront éternels, comme je vous l’ai déjà souvent promis. Ainsi, après les avoir fortifiés et rassurés par cette promesse, et leur avoir rappelé dans l’esprit ce dernier jour, il les quitte et il se retire dans le ciel. Ce jour est sans doute l’objet des voeux de tous les bons, comme il est le sujet de la crainte et de la terreur de tous les méchants, parce qu’ils y entendront l’arrêt éternel et irrévocable de leur condamnation. Mais ne nous contentons pas, mes frères, de regarder ce jour avec frayeur. Préparons-nous-y pendant que nous en avons le temps, en réglant toute notre vie, et en renonçant à tous nos désordres. Nous le pouvons si nous le voulons. Car si tant de personnes l’ont fait avant la grâce du Sauveur et (88) de l’Evangile, combien plus le peut-on faire après un si grand secours?

3. Et enfin, qu’est-ce que Dieu nous commande de si pénible? Nous ordonne-t-il de couper les montagnes, de voler dans l’air, et de traverser les mers’? Il nous ordonne au contraire des choses si faciles, que nous n’aurons point besoin pour les exécuter d’aucune chose qui soit hors de nous; mais seulement d’une volonté pleine et d’une affection sincère. Qu’avaient les apôtres de tous les biens extérieurs, lorsqu’ils faisaient de si grandes choses? Avaient-ils plus d’un habit? N’avaient-ils pas les pieds nus, lorsqu’ils parcouraient toute la terre, et n’étaient-ils pas en cet état plus forts que tous les hommes et tous les démons?

Qu’y a-t-il de si difficile dans ces préceptes de Jésus-Christ? N’ayez point d’ennemis, ne haïssez personne, ne parlez point mal de votre frère, puisqu’au contraire ce sont les choses opposées à ces préceptes qui sont pénibles et laborieuses. Mais il a commandé aussi, dites-vous, de renoncer à nos biens. Trouvez-vous donc cela fort pénible? Je vous réponds même qu’il ne l’a pas commandé absolument: il ne l’a que conseillé. Mais quand il en aurait fait une loi expresse, est-ce une chose fort difficile de ne se point charger d’un fardeau, de ne le point porter partout avec soi, et de se débarrasser de tous les soins et de toutes les inquiétudes qui l’accompagnent?

Mais, ô détestable enchantement de l’avarice! l’argent aujourd’hui tient lieu de tout. De là vient cette corruption et cette confusion générale qui est dans le monde. Si on dit qu’un homme est heureux, on parle aussitôt de son bien. Si on en pleure un autre comme malheureux, on le plaint tout d’abord de ce qu’il est pauvre. Toutes nos conversations se passent à dire de quelle manière un tel s’est enrichi, et qu’un autre s’est appauvri. Si un homme pense à prendre l’épée ou à se marier, ou à s’engager dans un emploi, il considère d’abord s’il y trouvera son intérêt et s’il pourra s’y enrichir. Puis donc, mes frères, que nous nous trouvons ici assemblés dans le temple de Dieu, tâchons de trouver quelques remèdes pour guérir une maladie si dangereuse.

Ne rougissons-nous point, lorsque nous pensons à la vertu de nos pères, de ces premiers chrétiens, dont il est parlé dans les Actes? Lorsque trois mille eurent été convertis en une seule prédication, et cinq mille en une autre, ils vivaient ensemble, et ils possédaient tout en commun. Quel avantage pouvons-nous véritablement tirer de cette vie passagère, si nous ne nous en servons pour acquérir celle qui ne finira jamais? Jusqu’à quand serez-vous misérables, et n’étoufferez-vous point enfin ce monstre de l’avarice qui vous a dominés jusqu’à cette heure? Jusqu’à quand ne soupirerez-vous point après votre liberté, et ne ferez-vous point cesser tous ces commerces honteux? Si vous étiez devenus les esclaves d’un homme, il n’y aurait rien que vous ne fissiez s’il vous promettait la liberté; et lorsque vous êtes les esclaves de l’avarice, vous ne pensez pas même à vous en délivrer. Et cependant, si l’on pèse ces deux sortes de servitude, la première n’est rien en comparaison de la seconde.

Considérez à quel prix Jésus-Christ vous a rachetés. Il a répandu tout son sang, il a donné sa propre vie: et après cela vous rampez à terre, vous ne respirez que la terre, vous êtes esclaves, et ce qui est encore plus insupportable, vous faites vanité de votre servitude; vous révérez vos chaînes, et vous faites les délices de votre coeur de ce qui devrait être l’objet de votre aversion et de votre haine. Mais puisqu’il ne suffit pas de condamner un vice, si on n’en propose aussi le remède, considérons, je vous prie, d’où vient que vous avez tant d’ardeur pour acquérir de l’argent. N’est-ce pas parce que le bien procure l’honneur et la sécurité? Mais quelle est cette sécurité? Est-ce parce que nous serons assurés de n’avoir jamais faim ni froid, et de ne tomber point dans le mépris? Si donc je vous promets tout cela sans être riche, cesserez-vous d’aimer les richesses? Car si vous trouviez sans avoir de bien tout ce que vous pourriez espérer en en possédant, quel sujet,vous resterait-il d’en rechercher?

Vous me demanderez peut-être comment il pourra se faire que vous ayez ce que vous désirez, sans néanmoins être riche. Et moi je vous demande, au contraire, comment un riche peut avoir cette paix et cette sécurité que vous cherchez. Car il faut nécessairement qu’il flatte les grands et les petits, qu’il dépende d’une infinité de personnes, qu’il s’assujétisse honteusement à ceux dont il a affaire, qu’il soit agité de soins, d’inquiétudes et de soupçons, et qu’il appréhende sans cesse l’oeil des envieux, la langue des médisants et les (89) entreprises des avares. La pauvreté n’est point exposée à toutes ces peines et à tous ces périls. C’est un asile inviolable; c’est un port assuré, c’est l’épreuve de la vertu et de la sagesse, c’est une imitation de la vie des anges.

Ecoutez donc, mes frères, ce que je m’en vais vous dire. Ce n’est point un mal que de n’être pas pauvre, mais c’est un mal que de ne vouloir pas être pauvre. Ne considérez plus la pauvreté comme un mal, et elle ne sera plus un mal pour vous. Car tout le mal qu’on y trouve ne vient pas de ce qu’elle est naturellement, mais de la faiblesse et de l’imagination des hommes lâches, Quand je dis que la pauvreté n’est point un mal, je dis trop peu, et j’ai honte moi-même d’en parler si bassement. Car si vous avancez un peu dans la vertu et dans la sagesse chrétienne, vous trouverez que non-seulement la pauvreté n’est pas un mal, mais qu’elle est la source de tous les biens. Que si quelqu’un vous offrait d’un côté l’empire, les grandes charges, les richesses et toutes les délices du monde, et de l’autre la pauvreté, et qu’il vous obligeât de choisir l’un ou l’autre, je ne doute point que vous ne fussiez prêts à embrasser la pauvreté de tout votre coeur, si vous aviez une fois connu les trésors et les plaisirs célestes qu’elle renferme.

4. Je sais que plusieurs se moquent de moi, en m’entendant parler de la sorte; mais je ne m’en étonne pas: je vous conjure seulement de m’écouter avec patience, et je m’assure que vous serez bientôt de mon sentiment. Je ne puis mieux comparer la pauvreté qu’à une vierge extrêmement modeste et d’une admirable beauté, et l’avarice à quelqu’une de ces femmes monstrueuses comme Scylla, ou bien à l’hydre, ou bien à ces autres monstres qui sont dans les poètes. Ne m’alléguez point ici ceux qui accusent et qui détestent leur pauvreté, mais plutôt ceux qui en l’honorant se sont honorés eux-mêmes. C’est elle qui a toujours été aimée du saint prophète Elie, qui l’a nourri par un corbeau, et qui l’a fait enfin monter dans le ciel dans un char de feu. C’est elle qui a rendu son disciple Elisée non moins illustre que lui. C’est elle qui a fait admirer saint, Jeun-Baptiste de tous les Juifs, et qui a été la gloire de tous les apôtres. Achab, au contraire, Jézabel, Giesi, Judas, Néron et Caïphe, ont été idolâtres des richesses, et leur avarice sera pour jamais leur condamnation et leur honte.

Mais ne relevons pas seulement ceux qui se sont signalés par l’amour de la pauvreté, jetons les yeux sur la pauvreté même, et considérons l’excellente beauté de cette vierge. L’oeil de l’avarice n’est jamais tranquille. Ou l’intempérance l’altère, ou l’envie le trouble, ou la fureur l’agite. Mais l’oeil de la pauvreté est toujours pur, toujours agréable, et toujours paisible; il n’a d’aversion pour personne, il est doux, Il est accessible, il est favorable à tout le monde. L’avarice au contraire est toujours inquiète. Car partout où est l’amour de l’argent, là se trouve aussi la source de la haine et de l’inimitié, des guerres et des querelles. La bouche de l’avarice est pleine d’injures et de médisances; son coeur est rempli d’orgueil et de fiel, et son esprit d’artifices et de fourberies. Au contraire la langue de la pauvreté est toujours chaste et toujours modeste. Elle n’ouvre la bouche que pour rendre à Dieu des actions de grâces, que pour bénir les hommes, et pour leur parler avec une douceur humble, avec une estime respectueuse, avec une complaisance discrète, et avec une affection tendre et charitable. Si vous considérez tout le reste de son corps, vous y verrez une admirable proportion, et vous conclurez que la pauvreté est une vierge d’une pureté admirable et d’une parfaite beauté, et que l’avarice au contraire est un monstre par sa difformité et par sa laideur. Que si après tous ces avantages de la pauvreté, le monde néanmoins en a tant d’aversion, il ne faut pas s’en étonner, puisque les insensés ont la même horreur de toutes les autres vertus.

Mais vous m’objectez que le pauvre tous les jours est outragé par le riche. Et moi je vous réponds que c’est là un des grands avantages de la pauvreté. Car lequel des deux est le plus heureux de celui qui fait une injure ou de, celui qui la souffre? N’est-il pas visible que c’est celui qui la souffre courageusement? C’est donc l’avarice qui porte les hommes à outrager leurs frères, et c’est la pauvreté qui les porte à souffrir chrétiennement ces outrages. Cependant, me direz-vous, on voit le pauvre endurer la faim. Il est vrai; saint Paul l’a soufferte aussi. Il ne trouve point, ajoutez-vous, un lieu de retraite. Avez-vous oublié que Jésus-Christ lui-même n’avait pas non plus où reposer sa tête? Considérez jusqu’où s’élève la gloire de la pauvreté, jusqu’où elle vous fait monter. Elle vous associe à Jésus-Christ, elle vous rend l’imitateur de Dieu même. (90)

Si l’or était une bonne chose, Jésus-Christ en aurait fait avoir à ses disciples qu’il a voulu enrichir du plus excellent de tous les dons. Mais nous voyons au contraire que, bien loin de leur en donner, il leur a défendu d’en avoir. C’est pourquoi nous voyons que saint Pierre, non-seulement ne rougit pas de sa pauvreté, mais qu’il en fait toute sa gloire, lorsqu’il dit hardiment: «Je n’ai ni or ni argent; mais je vous donne ce que j’ai». (Ac 3,4) Qui de vous, mes frères, ne souhaiterait de pouvoir dire une semblable parole? Je crois qu’il n’y en a pas un qui ne le désirât avec ardeur. Jetez donc cet or, renoncez à ces richesses.

Mais quand j’aurai fait cela, me direz-vous, aurai-je la même puissance que saint Pierre? Je vous prie de me dire ce qui a rendu saint Pierre heureux: Est-ce parce qu’il a fait marcher droit un boiteux? Nullement, mais c’est parce qu’en foulant aux pieds tout le monde, il s’est acquis la gloire que Dieu nous promet.

Ne savons-nous pas que plusieurs ont fait aussi bien que lui des miracles, et qu’ils sont néanmoins tombés dans l’enfer; mais que ceux qui ont été comme lui pauvres sur la terre, sont devenus comme lui des rois dans le ciel?

C’est ce que nous apprenons des paroles mêmes de saint Pierre que nous venons de rapporter. Car il dit deux choses: «Je n’ai ni or ni argent; et, au nom de Jésus-Christ, levez-vous et marchez». Laquelle de ces deux choses a rendu cet apôtre si heureux? Est-ce de faire marcher droit un boiteux, ou d’avoir renoncé à tout? Consultons Jésus-Christ, et qu’il soit lui-même notre juge. Il ne commanda point à celui qui lui demandait le moyen d’acquérir la vie éternelle, de faire marcher droit les boiteux, mais il lui dit: «Vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et venez me suivre; et vous aurez un trésor dans les cieux ». Et saint Pierre ne dit pas non plus à Jésus-Christ, quoiqu’il le pût: Nous avons chassé les démons en votre nom, mais: «Nous avons tout quitté, et nous vous avons suivi, quelle récompense donc en aurons-nous»? Et Jésus-Christ ne lui répond pas: Celui qui fera marcher droit les boiteux, mais: «Celui qui à cause de moi et de l’Evangile quittera ses maisons et ses terres, recevra le centuple dans ce monde, et la vie éternelle dans l’autre ».

Imitons donc ce saint apôtre, mes frères, afin que nous ne soyons point confondus au dernier jour, que nous puissions nous tenir avec confiance devant le tribunal du souverain Juge: et que Jésus-Christ «demeure toujours avec nous », comme il est toujours demeuré avec les apôtres, selon la promesse qu’il leur en a fait dans l’Evangile. Il sera assurément avec nous si nous voulons imiter ces saints qui l’ont imité, et prendre leur vie pour le modèle de la nôtre. C’est pour cela que le Sauveur vous donnera des louanges; c’est pour cela qu’il vous récompensera: et il ne vous demandera point compte de ce que vous n’aurez ni redressé les boiteux, ni ressuscité les morts. Ce ne seront point ces miracles, mais ce sera le renoncement à tous les biens de ce monde, qui vous rendra semblable à saint Pierre.

Mais vous me direz que vous ne pouvez pas quitter votre bien. Je n’exige point cela de vous: Je ne vous fais point de violence sur ce point. Tout ce que je vous demande, c’est que vous en fassiez part aux pauvres, que vous le leur donniez peu à peu, et que vous n’en reteniez pour vous que ce qui vous est absolu-ment nécessaire. C’est ainsi que vous jouirez d’une grande paix dans cette vie, et de la gloire dans l’autre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, appartient la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



FIN DU COMMENTAIRE SUR L’EVANGILE DE SAINT MATTHIEU.





Chrysostome sur Mt 89