Chrysostome sur Rm



Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/



Tiré de l’édition des OEuvres complètes sous la direction de M. Jeannin, Bar-le-Duc 1864







COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ROMAINS
Tome X p. 189 - 433







PROLOGUE POUR LES HOMÉLIES SUR L'EPITRE AUX ROMAINS

(Voir, pour l'avertissement, tome 1, page 247.)


10 En entendant lire fréquemment les épîtres du bienheureux Paul, deux fois et souvent même trois et quatre fois la semaine, quand nous célébrons la mémoire des saints martyrs, d'une part je jouis de cette trompette spirituelle, je suis transporté et enflammé d'ardeur aux sons de cette voix si chère; il me semble qu'il, est là, que je le vois parler; d'autre part, je souffre et je m'attriste en songeant que non-seulement tous ne connaissent pas ce grand homme comme ils devraient le connaître, mais que quelques-uns mêmes ignorent jusqu'au nombre de ses épîtres; et cela, non par incapacité, mais parce qu'ils ne veulent pas entretenir commerce avec ce bienheureux. Car, nous-même, ce n'est point à la pénétration de notre esprit que nous devons ce que nous en savons, si tant est que nous en sachions quelque chose, mais à l'étude assidue que nous en faisons et à l'extrême affection que nous lui portons. En effet, ceux qui aiment connaissent mieux que les autres l'objet aimé, parce qu'ils en ont souci; comme le Bienheureux l'indique lui-même quand il écrit aux Philippiens : «.Et il est juste que j'aie ce sentiment pour; vous tous, parce que je sens que, soit dans mes liens, soit dans la défense et l’affermissement de l'Évangile, je vous porte dans mon coeur ». (Ph 1,7) Vous n'avez donc besoin que de vous appliquer sérieusement à 1a lecture; car la parole du Christ est vraie : « Cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira ». (Mt 7,7) Mais comme la plupart des membres de cette assemblée ont des enfants à nourrir, une femme à soigner, une maison à entretenir, et par là même ne pourraient s'adonner entièrement à ce travail; au moins attachez-vous à profiter de ce que d'autres ont recueilli, et mettez-y autant d'empressement qu'à amasser de l'argent. Que si nous sommes honteux de vous demander si peu, qu'il vous plaise au moins de nous l'accorder.

En effet, l'ignorance des Écritures est la source de maux innombrables. De là l'affreuse peste des hérésies, delà le relâchement de la conduite, de là les travaux stériles. Car de même que des aveugles ne sauraient marcher droit, ainsi ceux qui ne jouissent pas de la lumière des (188) divines Ecritures, sont condamnés à pécher et à s'égarer souvent, puisqu'ils marchent au milieu des plus éparses ténèbres. Pour éviter ce malheur, ouvrons les yeux à l'éclat des paroles de l'Apôtre ; car la langue de Paul surpasse le soleil en splendeur, et son enseignement brille pardessus tous les autres. Parce qu'il a plus travaillé que les autres, il s'est attiré de grandes grâces du Saint-Esprit, et je le prouverais, non-seulement par ses épîtres, mais encore par ses actes. En effet, s'il s'agissait de parler, chacun lui cédait la place ; aussi les infidèles le prenaient-ils pour Mercure (Ac 14,11), parce que son éloquence était sans rivale. Mais avant d'aborder cette épître, il est nécessaire d'assigner l'époque où elle fut écrite. Elle n'a point précédé toutes les autres, comme beaucoup le pensent; mais elle est la première de celles qui ont été envoyées de Rome, et postérieure à plusieurs des autres, si, ce n'est à toutes : car les deux aux Corinthiens lui sont antérieures. Cela est démontré par les paroles qu'on lit vers la fin: « Maintenant je vais à Jérusalem pour servir les saints. Car la Macédoine et l'Achaïe ont trouvé bon « de faire quelques collectes en faveur des pauvres, des saints qui sont à Jérusalem ». (Rm 15,25) Il écrit encore aux Corinthiens : « Que si la chose mérite que j'y aille, ils viendront avec moi » (1Co 16,4), en parlant de ceux qui devaient porter cet argent. D'où il résulte clairement que quand il écrivait aux Corinthiens, son voyage était encore incertain; tandis qu'il était certain et arrêté, quand il écrivait aux Romains. Or ce point, une fois établi, il est évident que la lettre aux Romains a été écrite après celle aux Corinthiens.

L'épître aux Thessaloniciens me paraît également avoir précédé celle aux Corinthiens. Car c'est après avoir écrit à ceux-là et parlé de l'aumône en ces termes : « Quant à la charité fraternelle, nous n'avons pas besoin de vous en écrite, puisque vous avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres, et c'est aussi ce que vous faites à l'égard de tous les frères » (1Th 4,9-10), qu'il écrit ensuite à ceux-ci, comme le prouvent ces paroles : « Car je connais votre bon vouloir, pour lequel je me glorifie de vous près des Macédoniens, leur disant que l'Achaïe est préparée dès l'année passée, et que votre zèle a provoqué celui du plus grand nombre ». (2Co 9,2) Ce qui prouve qu'il avait d'abord traité ce sujet avec eux. Mais si cette épître aux Romains est postérieure à celle-là, elle est antérieure à toutes celles que l'Apôtre a écrites de Rome ; car il n'était pas encore venu à Rome quand il l'écrivit, comme il l'indique lui-même, en disant : « Car je désire vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle ». (Rm 1,11) Or, c'est de Rome qu'ira écrit aux Philippiens, aussi leur dit-il : « Tous les saints vous saluent, principalement ceux qui sont de la maison de César ». (Ph 4,22) C'est aussi delà qu'ira écrit aux Hébreux, puisqu'il leur dit : « Les frères d'Italie vous saluent tous ». (He 13,24) C'est également de Rome, quand il était dans les fers, qu'il envoie sa lettre à Timothée, et celle-ci me semble la dernière de toutes, comme on le voit par la fin : « Car pour moi je suis comme une victime qui a déjà reçu l'aspersion pour être immolée, et le temps de ma délivrance approche ». (2Tm 4,6) Or, personne n'ignore que c'est là qu'il a fini sa vie. L'épître à Philémon est aussi parmi les dernières; car il l'a écrite dans son extrême vieillesse, ainsi qu'on le voit par ces mots : « Comme le vieux Paul, maintenant prisonnier de Jésus-Christ ». (Phm 9) Or, elle a précédé celle aux Colossiens, ainsi qu'on le voit à la fin de celle-ci, où il dit : « Tychique, que j'ai envoyé avec Onésime, mon serviteur fidèle et bien-aimé, vous racontera tout ». (Col 4,7) Or, cet Onésime, est celui en faveur de qui il a écrit (189) sa lettre à Philémon. Que c'était celui-là, et non quelque autre du même nom, on le voit par cet Archippe dont il invoque l'appui près de Philémon, pour obtenir ce qu'il demande pour Onésime, et dont il excite le zèle en ces termes, dans son épître aux Colossiens : « Dites à Archippe : Voyez le ministère que vous avez reçu dans le Seigneur, afin de le remplir ». (Col 1,7) Il nie semble aussi que l'épître aux Galates est encore antérieure à celle aux Romains. Que si elles ont un autre ordre dans la Bible, il ne faut pas s'en étonner: car quoique les douze prophètes ne se soient point succédé immédiatement dans l'ordre des temps, qu'ils aient même été séparés par de grands intervalles, ils se trouvent cependant dans la Bible à la suite les uns des autres. En effet, Aggée, Zacharie, et d'autres encore, ont prophétisé après Ezéchiel et Daniel; beaucoup ont prophétisé après Jonas, Sophonias et tous les autres, et pourtant ils sont rattachés à tous ceux-là malgré la distance des temps.


20 Que personne ne croie en ceci notre peine inutile, et ne regarde cette question comme oiseuse et de pure curiosité : la date de chaque épître a un grand, intérêt pour le but que nous nous proposons. Car, quand je vois Paul écrire aux Romains et aux Colossiens sur les mêmes objets, mais non de la même manière : à ceux-là avec une grande condescendance, comme quand il leur dit : « Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans disputer sur les opinions car l'un croit qu'il peut manger de tout, et l'autre qui est faible ne mange que des légumes » (Rm 14,1-2); et aux Colossiens, sur le thème sujet, mais avec plus de liberté : « Si donc vous êtes morts avec le Christ aux éléments de ce monde, pourquoi vous laissez-vous imposer des lois comme si vous viviez dans ce premier état du monde? Ne mangez pas, vous dit-on, ne goûtez pas, ne touchez pas. Toutes choses qui périssent par l'usage qu'on en fait, ne sont point en honneur, mais pour le rassasiement de la chair » (Col 2,20-23); quand je vois, dis-je, cette différence, je n'en trouve pas d'autre raison que la diversité même des temps. En effet, au commencement il fallait user de condescendance; dans la suite, cela n'était plus nécessaire. On le voit encore souvent agir de même dans d'autres circonstances. Telle est la conduite que tiennent un médecin et un maître : ni médecin ne traite de la même façon ceux qui commencent à être malades et ceux qui entrent en convalescence; ni le maître n'en use de la même manière avec les petits enfants et ceux qui demandent un enseignement plus avancé. Ainsi Paul écrit sur un ton différent aux uns et aux autres selon le sujet et l'occasion (et il le fait voir en disant aux Corinthiens : « Quant aux choses dont vous m'avez écrit » (1Co 7,1) ; et en déclarant la même chose aux Galates dès le début et tout le long de sa. lettre).

Mais aux Romains, pour quel motif et à quelle occasion leur a-t-il écrit? On le voit leur rendre témoignage qu'ils sont abondamment pourvus en, vertu et en tout genre de connaissance, au point d'être capables de corriger les autres. Pourquoi donc leur a-t-il écrit? Il le dit lui-même : « A cause de la grâce que Dieu m'à donnée pour être le ministre de Jésus-Christ ». (Rm 15,15) C'est ce qui lui fait dire dès le commencement : « Je suis redevable, et (autant qu'il est en moi), je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome ». (Rm 1,14) Et ce qu'il dit d'eux, par exemple, qu'ils sont capables de corriger les autres, ou autres choses semblables, il le dit surtout par minière d'éloge et d'exhortation; néanmoins il était besoin de les corriger aussi par lettres. Comme il n'était point encore venu à Rome, il emploie un double moyen pour les mettre en règle : l'utilité de ses lettres et l'attente de son arrivée.

190

Car telle était cette sainte âme; elle embrassait l'univers entier, elle portait tout le monde avec elle, estimant comme la plus précieuse parenté celle qui est selon Dieu; il les aimait tous comme s'il les eût enfantés; bien plus, jamais amour paternel n'égala le sien. Telle est en effet la grâce de l'Esprit; elle fait sentir des douleurs plus vives que celles de l'enfantement charnel, et manifeste un amour bien plus ardent. On peut le remarquer surtout dans l'âme de Paul : la charité semble lui donner des ailes, il est continuellement en mouvement, il ne s'arrête, il ne se fixe nulle part. Ayant appris que le Christ avait dit : « Pierre; m'aimes-tu ? Pais mes brebis » (Jn 21,15), et avait fixé là le terme extrême de l'amour,. il a donné de cet amour des preuves prodigieuses. Imitons donc son zèle : Si nous ne pouvons convertir l'univers, des villes, des nations entières, qu'au moins chacun règle sa maison, sa femme, ses enfants, ses amis, ses voisins. Et que l'on ne dise pas : Je suis sans expérience et sans instruction.. Personne n'était plus ignorant que Pierre, ni plus expérimenté que Paul. C'est lui-même qui l'avoue, et sans rougir « A la vérité, je suis inhabile pour là parole, mais non pour la science ». (2Co 11,6) Et pourtant cet ignorant et cet inhabile ont vaincu des milliers de philosophes, ont fermé la bouche à une foule de rhéteurs, uniquement. en vertu de leur zèle et de la grâce de Dieu. Quelle excuse aurons-nous donc, nous qui ne pouvons pas même suffire à vingt personnes, qui ne sommes pas même utiles aux membres de notre famille ? Ce sont là d'inutiles objections et de vains prétextes : ce n'est pas le défaut de science ou d'habileté qui empêché d'instruire, mais la paresse et le sommeil de l'indifférence. Secouons donc ce sommeil, exerçons tout notre zèle sur les membres de notre maison, afin qu'après les avoir solidement établis dans la crainte de Dieu, nous jouissions ici-bas d'un repos parfait et que nous méritions les biens innombrables de l'autre vie, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et en qui la gloire soit rendue au Père et en même temps au Saint-Esprit; maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 1: Rm 1,1-7 - PAUL, SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST, APPELÉ A L'APOSTOLAT, CHOISI POUR L'ÉVANGILE DE DIEU,

100 QU'IL AVAIT PROMIS AUPARAVANT PAR DES PROPHÈTES DANS LES SAINTES ÉCRITURES. (Rm 1,1-7)

Analyse.

1. Explication très-intéressante et très-profonde des mots : Paul, serviteur, Jésus-Christ, appelé, apôtre, choisi, Evangile de Dieu.
2. L'Evangile que quelques-uns considèrent comme une nouveauté, a été annoncé et figuré longtemps d'avance, de sorte qu'il est plus ancien que les Gentils. — Saint Paul parle de deux générations de Jésus-Christ en commençant parla génération selon la chair, pourquoi?.. Cinq preuves de la divinité de Jésus-Christ indiquées en passant par l'Apôtre.
Pour faire obéir à la foi... C'est de foi et non de raisonnement que les chrétiens ont besoin. — Toutes les nations. — L'Evangile doit être prêché à toutes les nations de la terre, sinon par Paul et les autres apôtres ses contemporains, du moins par ceux qui leur succéderont dans l'apostolat. — Les Romains, quoique maîtres du monde, n'ont devant l'Evangile aucun privilège.
Que la sanctification vient de la charité. - Que les dignités qui s'achètent à prix d'argent ne sont pas proprement des dignités.

101 1. Moïse a composé cinq livres et n'y a écrit son nom nulle part, non plus que ceux qui ont raconté ce qui s'est passé après lui; il en est de même de Matthieu, de Jean, de Marc et de Luc; mais le bienheureux Paul place toujours le sien en tête de ses lettres. Pourquoi cela ? Parce que ces autres auteurs écrivaient pour des personnes présentes et qu'il leur était inutile de se nommer eux-mêmes ; tandis que Paul, écrivant au loin et sous forme de lettres, devait nécessairement mettre son nom. S'il ne le fait pas dans son Epître aux Hébreux, c'est à dessein et par prudence. Car comme il leur était odieux et qu'il craignait qu'en entendant son nom ils ne se refusassent tout d'abord à l'écouter, il le supprime afin de les attirer. Mais si les prophètes et Salomon ont écrit leurs noms, je vous laisse le soin de chercher pourquoi les uns l'ont fait et les autres non ; car ce n'est point à moi de tout vous apprendre, mais à vous de travailler et de chercher, pour ne pas devenir trop paresseux.

« Paul, serviteur de Jésus-Christ. » (
Rm 1,1) Pourquoi Dieu a-t-il changé son nom, en l'appelant Paul au lieu de Saul? Pour qu'en cela il ne fût point inférieur aux autres apôtres, mais qu'il jouît (192) du même privilège que le chef des disciples et fût plus intimement uni à la famille. Et ce n'est pas sans raison qu'il se nomme serviteur du Christ, car il y a bien des espèces de servitude: l'une découle de la création, comme il est dit: «Toutes choses vous servent » (Ps 118) ; et ailleurs: « Mon serviteur Nabuchodonosor (Jr 25,9) : tout ouvrage étant au service de l'ouvrier ; une autre dérive de la foi, dont Paul dit : « Mais grâces soient rendues à Dieu de ce qu'ayant été esclaves du péché, vous avez obéi du fond du coeur à ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés, et de ce qu'affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice ». (Rm 6,17-18) ; une autre encore tirée de la conduite, de laquelle on lit: « Moïse mon serviteur est mort » (Jb 1,2) ; car bien que tous les Juifs fussent serviteurs de Dieu, Moïse l'était par excellence, à raison de sa conduite. Mais comme Paul était serviteur de Dieu dans tous les sens, il s'en glorifie comme d'une très-haute dignité par ces mots : «Serviteur de Jésus-Christ ». Il prononce les noms de l'incarnation, en remontant de bas en haut; car le nom de Jésus fut apporté du ciel par un ange, le jour où le Sauveur prit naissance dans le sein d'une vierge; et le mot Christ vient de l'onction, qui appartient à la chair. Et de quelle huile, direz-vous, le Christ a-t-il été oint? D'aucune, mais bien de l'Esprit ; or l'Ecriture a coutume d'appeler Christs ceux qui ont reçu cette onction. Car le principal, dans l'onction, c'est l'Esprit ; l'huile n'est que l'accessoire: Mais où appelle-t-on Christs ceux qui n'ont pas été oints avec l'huile ? Dans le passage où il est dit : « Ne touchez point à mes Christs, et ne maltraitez point mes prophètes». (Ps 105,15) Car là il n'était pas question d'onction par l'huile.

« Appelé à l'apostolat ». Partout il se donne le titre d'appelé, pour témoigner sa reconnaissance et faire voir que s'il a trouvé, ce n'est point pour avoir cherché; mais parce qu'il a été appelé et qu'il a obéi. C'est aussi le nom qu'il donne aux fidèles appelés ainsi. Mais les fidèles ont été simplement appelés à la foi ; tandis qu'à lui on a confié autre chose, l'apostolat ; fonction pleine de biens sans nombre qui l'emporte sur toute les grâces et les renferme toutes. Et qu'est-il besoin de dire autre chose, sinon que ce que le Christ a fait lui-même sur la terre, il a chargé les apôtres de le faire après son départ? C'est ce que Paul nous crie lui-même, quand il exalte en ces termes la dignité des apôtres : « Nous faisons les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche » (2Co 5,20), c'est-à-dire, nous remplaçons le Christ.

« Choisi pour l'Evangile de Dieu ». Du même que, dans une maison, chacun est destiné à un emploi différent, ainsi les divers ministères sont distribués dans l'Eglise. Ici il me semble moins désigner son lot particulier, qu'insinuer qu'il y a été appelé depuis longtemps, et d'en-haut. C'est ainsi que Jérémie affirme que Dieu a dit, en parlant de lui : « Avant que tu sortisses du sein de ta mère, je t'ai sanctifié et établi prophète parmi les nations ». (Jr 1,5) Comme Paul écrivait à un peuple fier et orgueilleux, il veut prouver que l'élection vient de Dieu : c'est Dieu qui a appelé, c'est Dieu qui a choisi. Son but est de rendre sa lettre digne de foi et de la faire agréer. « Pour l'Evangile de Dieu ». Matthieu et Marc ne sont donc pas les seuls évangélistes, pas plus qu'il n'est lui-même le seul apôtre ; bien que ce nom lui soit donné par excellence, comme à ceux-là celui d'évangéliste. Il l'appelle Évangile, non-seulement à cause des biens déjà accordés, mais à cause des biens à venir. Et comment dit-il qu'il apporte la bonne nouvelle de Dieu ? Voici en effet ses paroles : « Choisi pour l'Evangile de Dieu ». Or le Père était connu avant les Evangiles. Mais s'il était connu, ce n'était que des Juifs, et pas de tous encore, comme il l'aurait fallu: car ils ne le connaissaient point comme Père, et s'en formaient beaucoup d'idées indignes de lui : aussi le Christ disait-il : « Les vrais adorateurs viendront ; ce sont de tels adorateurs que le Père cherche ». (Jn 4,23) Enfin il s'est manifesté au monde entier avec le Fils : comme le Christ lui-même l'avait prédit, en disant : « Afin qu'ils vous connaissent, vous seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ». (Jn 17,3) Il l'appelle Evangile de Dieu, pour exciter dès l'abord l'attention de l'auditeur. Car il ne vient pas apporter de tristes nouvelles, des injures, des accusations, des reproches, comme le prophète; mais annoncer de bonnes nouvelles, les bonnes nouvelles de Dieu, des trésors infinis de biens permanents et immuables. — « Qu'il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Ecritures » (Rm 1,2). Car il est écrit: « Le Seigneur mettra la parole dans la bouche (193) de ceux qui évangélisent avec beaucoup de force ». (Ps 67) Et encore: « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui évangélisent la paix ! » (Is 52,7)

102 2. Voyez-vous comme le nom et le mode de l'Evangile sont clairement énoncés dans l'Ancien Testament ? Car, dit-il, nous n'évangélisons pas seulement en paroles, mais en action ; vu que ce n'est point une oeuvre humaine, mais divine, mystérieuse, et élevée au-dessus de toute la nature. Et comme on traitait la chose de nouveauté, il démontre qu'elle est plus ancienne que les Grecs et déjà décrite d'avance par les prophètes. Que si elle n'a pas été donnée dès le commencement, la faute en est à ceux qui n'ont pas voulu la recevoir; car ceux qui l'ont voulu, ont entendu. « Abraham votre père », dit le Christ, « a tressailli pour voir mon jour ; il l'a vu et il s'en est réjoui ». (Jn 8,56) Comment donc le Sauveur dit-il ailleurs: «Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu? » (Mt 13,17) C'est-à-dire, voir comme vous voyez et entendez, la chair même, les signes visibles. Mais considérez combien de temps à l'avance cela avait été prédit : car quand Dieu prépare de grandes choses, il les annonce longtemps d'avance, afin de disposer nos oreilles à les accueillir quand elles arriveront. — « Dans les Saintes Ecritures » Rm 1,2). Les prophètes ne parlaient pas seulement, mais ils écrivaient ce qu'ils disaient; non-seulement ils l'écrivaient, mais ils le représentaient en figures, comme Abraham conduisant Isaac, Moïse élevant le serpent, ou étendant les mains contre Amalec, ou immolant l'agneau de la Pâque.

« Touchant son Fils qui lui est né de David selon la chair (Rm 1,3) ». Que faites-vous, Paul ? Après avoir élevé nos esprits, nous avoir fait pressentir des choses sublimes et mystérieuses, avoir parlé d'Evangile et d'Evangile de Dieu, introduit le choeur des prophètes et avoir démontré que tous ont prédit longtemps d'avance ces événements futurs ; après tout cela, dis-je, comment nous ramenez-vous à David ? De grâce, quel est l'homme dont vous parlez, et à qui vous donnez pour père le fils de Jessé ? Comment cela répond-il à ce que vous venez de dire ? — Cela y répond parfaitement; car, nous dit-il, il ne s'agit pas ici d'un pur mortel. Aussi ajoute-t-il : « Selon la chair », insinuant par là qu'il a aussi une génération selon l'Esprit.

Et pourquoi a-t-il commencé par là, et non par le côté le plus élevé ? Parce que Matthieu, Luc et Marc l'ont fait aussi. Car celui qui veut conduire au ciel, doit nécessairement commencer par ce qu'il y a de plus bas pour élever à ce qu'il y a de plus haut : c'est l'ordre suivi par le Verbe incarné. On l'a d'abord vu comme homme sur la terre, puis on a compris le Dieu. Ainsi la manière dont le Maître a réglé son enseignement, est celle que le disciple adopte pour tracer la voie qui conduit au ciel. Il parlera donc d'abord de la génération selon la chair, non parce qu'elle est la première, mais parce qu'il veut élever l'esprit de son auditeur de celle-là à l'autre.

« Qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance selon l'Esprit de sanctification, par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts (Rm 1,4) ». La complication des termes rend ici le sens obscur; aussi devons-nous distinguer. Que dit-il donc ? Nous prêchons Celui qui est né de David : voilà qui est clair. Mais qu'est-ce qui montre que celui-là est aussi le Fils de Dieu qui s'est incarné ? La première preuve est tirée des prophètes; c'est pourquoi il « dit: Qu'il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Ecritures » Rm 1,2). Ce genre de démonstration n'est pas sans valeur. La seconde ressort du mode de génération exprimée par ces mots : « De la race de David selon la chair »Rm 1,3), car cette naissance a été une dérogation à la loi de la nature. La troisième se tire des miracles qu'il a opérés, donnant ainsi une preuve de sa grande puissance, ainsi que l'indique ce mot : « En puissance » (Rm 1,4). La quatrième est tirée de l'Esprit-Saint qu'il a donné à ceux qui croient en lui, et par lequel il les fait tous saints ; ce que veulent dire ces paroles : « Selon l'Esprit de sanctification » (Rm 1,4) car Dieu seul pouvait faire de tels dons. La cinquième est la résurrection du Seigneur : Car le Christ est le premier et le seul qui soit ressuscité par sa propre vertu : signe que le Sauveur lui-même donne comme le plus propre à fermer la bouche aux plus impudents. « Détruisez ce temple »; leur dit-il, « et je le relèverai en trois jours » (Jn 2,19) ; « Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, c'est alors que vous connaîtrez ce que je suis ». (Jn 8,28) Et encore : « Cette génération demande un miracle ; et il ne lui en sera point donné d'autre que celui de Jonas ». (Mt 12,39) Que veut donc dire (194) « Prédestiné? » Rm 1,4) Montré, déclaré, jugé, confessé par le suffrage de tous, par les prophètes, par sa naissance inouïe selon la chair, par la puissance des miracles, par l'Esprit en qui il a donné la sanctification, par la résurrection qui a brisé la puissance de la mort.

« Par qui nous avons reçu la grâce et l'apostolat pour faire obéir à la foi (Rm 1,5) ». Voyez la reconnaissance du serviteur : il ne s'attribue rien, mais renvoie tout au Maître. Or le Seigneur lui-même a donné cet Esprit. Aussi disait-il : « J'ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne les pouvez porter à présent. Mais quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité ». (Jn 16,12) Et encore : « Séparez-moi Paul et Barnabé ». (Ac 13,2) Et Paul nous dit dans l'Epître aux Corinthiens : « A l'un est donné par l'Esprit la parole de sagesse, à un autre la parole de science ». (1Co 12,8) Et encore: « Lui-même distribue tout comme il veut ». (1Co 12,11) Prêchant aux Milésiens, il leur dit : « Dans lequel l'Esprit-Saint vous a établis pasteurs et évêques ». Voyez-vous comme il attribue au Fils ce qui est à l'Esprit, et à l'Esprit ce qui est au Fils? « La grâce et l'apostolat » ; c'est-à-dire, ce n'est pas nous qui avons mérité d'être apôtres. Ce n'est point par nos travaux et nos peines que nous avons obtenu cette dignité ; mais nous avons reçu la grâce, et ce ministère est un don d'en-haut. « Pour faire obéir à la foi » (Rm 1,5).

103 3. Ce n'était donc point là l'oeuvre des apôtres, mais de la grâce qui les prévenait. Les voyages et la prédication étaient bien leur fait, mais la persuasion venait de Dieu qui agissait mieux; comme saint Luc nous le dit: « Il a ouvert leur coeur » (Ac 16,14); et encore : « Ceux à qui il avait été donné d'entendre la parole de Dieu. — « Pour faire obéir » (Rm 1,5). Il ne dit point: Pour chercher, pour démontrer; mais « Pour faire obéir ». Ce qui signifie : Nous n'avons pas été envoyés pour faire des raisonnements, mais pour rendre ce que nous avons reçu. Car quand le Maître prononce quelque chose, les auditeurs n'ont point à scruter et à s'enquérir curieusement, mais seulement à accepter. Les apôtres ont été envoyés pour dire ce qu'ils avaient entendu, et non pour y rien ajouter du leur; et nous, nous n'avons qu'à croire. Et quoi croire? « A son nom » (Ac 3,6) ; non pour nous livrer à des recherches curieuses sur sa substance, mais pour croire à son nom : car c'est ce nom qui opérait les miracles : comme il est écrit : « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche ». (Ac 3,6) Ici il faut la foi, et nous ne pouvons rien comprendre par le raisonnement.

« Toutes les nations parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ» (Rm 1,5-6). Quoi donc ? Paul a-t-il prêché à toutes les nations ? On voit clairement par ce qu'il écrit aux Romains, qu'il est allé de Jérusalem en Illyrie, et de là aux extrémités de la terre. Mais quand il ne serait pas allé partout, sa parole n'en serait pas moins vraie : car il ne parle pas seulement de lui, mais des douze apôtres et de tous ceux qui ont évangélisé après eux. D'ailleurs quand vous prouveriez qu'il parle de lui seul, vous ne pourriez encore le contredire, si vous tenez compte de son ardeur, et si vous considérez qu'il ne cesse de prêcher par toute la terre même après sa mort. Voyez comme il exalte la grâce de l'Evangile, et fait voir qu'il est grand et bien au-dessus de la première, car l'ancien ordre de choses ne regardait qu'un seul peuple, tandis que le nouveau a conquis la terre et la mer ! Voyez encore comme l'âme de Paul est éloignée de toute flatterie ! Il parle aux Romains qui se trouvaient comme placés à la tête de l'univers entier, et pourtant il ne leur accorde pas plus qu'aux autres nations ; bien qu'ils régnassent sur les autres, il ne leur attribue rien de plus dans l'ordre spirituel : nous vous prêchons, leur dit-il, comme à toutes les autres nations; il les met au rang des Scythes et des Thraces; sinon, il eût été inutile de dire : « Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi ». Il fait cela pour détruire leur orgueil, corriger leur vanité, et leur apprendre qu'ils ne sont point au-dessus des autres. Aussi ajoute-t-il: « Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ (Rm 1,6) ». C'est-à-dire, avec lesquelles vous avez été. Il ne dit point : a appelé les autres avec vous, mais vous a appelés avec les autres. Car, si dans le Christ Jésus il n'y a ni esclave ni libre, à plus forte raison ni roi ni particulier : aussi avez-vous été appelés et vous n'êtes point venus de vous-mêmes.

« A tous ceux qui sont à Rome, aux bien-aimés de Dieu, appelés saints, grâce à vous et paix de la part de Dieu notre Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (Rm 1,7). Voyez comme il répète continuellement le mot d'appelé : « Appelé à l'apostolat; parmi lesquelles vous (195) êtes, vous aussi, appelés; à tous ceux qui sont à Rome, aux appelés». Et ce n'est point ici une superfluité, mais il veut leur rappeler le bienfait. Car comme vraisemblablement il y avait, parmi les croyants, des chefs et des consuls, ainsi que des pauvres et de simples particuliers, il efface toute distinction de dignités, en leur donnant le même nom. Que si dans les choses les plus nécessaires, dans l'ordre spirituel, tout est commun aux esclaves et aux hommes libres, l'amour de Dieu, la vocation, l'Evangile, l'adoption, la grâce, la paix, la sanctification et tout le reste : comment ne serait-il pas souverainement déraisonnable d'établir des distinctions temporelles entre ceux que Dieu a réunis et rendus égaux dans des choses plus importantes? Aussi, détruisant dès le début cette funeste maladie, le bienheureux les introduit-il tous dans la source de tous les biens, l'humilité. C'était le moyen de rendre meilleurs les serviteurs, en leur apprenant que leur condition ne leur faisait aucun tort, puisqu'ils possédaient la vraie liberté; cela inspirait aussi la modération aux maîtres, en leur faisant voir que la liberté ne sert à rien, si elle n'est précédée par la foi. Et ce qui vous prouve que Paul n'agit point ici au hasard et sans discernement, mais qu'il sait parfaitement faire la distinction vraie, c'est qu'à ces mots : « A tous ceux qui sont à Rome », il ajoute ceux-ci : « Aux bien-aimés de Dieu ». Excellente distinction en effet et qui nous apprend d'où vient la sanctification.

D'où vient donc la sanctification? de l’amour. Après avoir dit : Aux bien-aimés», il ajoute : « appelés saints » (Rm 1,7), indiquant que là est la source de tous les biens : or, ce nom de saints, il le donne à tous les fidèles. « Grâce à vous et paix ». O salutation pleine de bénédictions sans nombre! C'est celle que le Christ a ordonné à ses apôtres de prononcer d'abord quand ils entrent dans les maisons. C'est pourquoi Paul débute ainsi partout, c'est-à-dire en souhaitant grâce et paix. Car ce n'est pas à une guerre médiocre, mais à une guerre variée, universelle, prolongée que le Christ a mis fin, non par nos travaux, mais par sa grâce. Donc, puisque l'amour nous a donné la grâce, et la grâce la paix, Paul en employant ces mots par forme de salut, demande que ces biens soient durables et permanents, pour empêcher la guerre de se rallumer; et il prie l'Auteur de ces dons de les consolider, en disant: « Grâce à vous et paix par Dieu, notre Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Ici le mot « par » est commun au Père et au Fils et a le même sens que « de la part de ». Il n'a pas dit: Grâce à vous et paix de la part de Dieu le Père, par l'intermédiaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ; mais : « Par le Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ».

O ciel ! que l'amour de Dieu est puissant ! Des ennemis, des hommes déshonorés sont devenus tout à coup des saints et des fils ! car, en nommant Dieu le Père, il indique qu'il y a des enfants, et en parlant d'enfants, il révèle le trésor de tous les biens. Persévérons donc dans une conduite digne d'un si grand bienfait, et conservons la paix et la sainteté. Les autres dignités sont passagères; elles s'évanouissent avec la vie présente et s'achètent à prix d'argent; aussi pourrait-on dire qu'elles ne sont point des dignités, mais des noms de dignités, puisqu'elles ne consistent que dans l'éclat des vêtements et dans les adulations des courtisans. Mais le don de la sanctification et de l'adoption venant de Dieu, ne disparaît point à la mort; c'est même alors qu'il nous fait briller et il nous accompagne jusqu'à la vie éternelle. Car celui qui conserve l'adoption et la sanctification avec fidélité, est beaucoup plus éclatant et plus heureux que celui qui porte le diadème et revêt la pourpre; il possède ici-bas une tranquillité parfaite, entretient les meilleures espérances, n'a aucun sujet d'agitation ni de trouble, mais jouit d'un bonheur perpétuel. Car ce n'est point l'étendue du commandement, ni l'abondance des richesses, ni l'orgueil du pouvoir, ni la vigueur du corps, ni le luxe de la table, ni l'éclat des vêtements, ni rien de mortel, qui donne la joie et la sérénité; mais les oeuvres spirituelles bien faites et une bonne conscience. Celui qui a la conscience pure, fût-il couvert de haillons et en lutte avec la faim, est plus joyeux que ceux qui nagent dans les délices; de même que celui qui a une conscience coupable, possédât-il toutes les richesses, est le plus malheureux des hommes. C'est pourquoi Paul, vivant toujours dans la faim et dans la nudité, flagellé tous les jours, était plus heureux et plus content que les rois d'alors; tandis qu'Achab, assis sur le trône, plongé dans les délices, mais coupable d'un crime, gémissait, était inquiet, avait les traits abattus et avant et après son péché. Si donc nous voulons être (196) heureux, avant tout fuyons le vice, et recherchons la vertu : convaincus qu'il n'y a pas d'autre moyen de parvenir au bonheur, fussions-nous même assis sur le trône. Aussi Paul disait-il : « Les fruits de l'Esprit sont la charité, la joie, la paix ». (Ga 5,22) Entretenons donc ces fruits en nous, afin de posséder la joie ici-bas, et d'obtenir le royaume éternel, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire est au Père en même temps qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Rm