Chrysostome, Virginité 13

Pourquoi les Corinthiens ont-ils écrit à Paul sur la virginité et pourquoi Paul ne leur avait-il pas adressé d'exhortations auparavant

13 Comment donc les Corinthiens en sont-ils venus à poser cette question? Ils ont compris, avec autant de perspicacité que de justesse, qu'il leur fallait atteindre un plus haut degré de vertu, puisqu'ils avaient été gratifiés d'un plus grand don. Il vaut la peine aussi de se demander pourquoi l'apôtre ne leur avait encore jamais proposé ce conseil. S'ils avaient en effet déjà entendu semblables propos, ils ne lui auraient pas écrit de nouveau pour lui reposer la question à ce sujet. En vérité, ici encore, nous pouvons mesurer la profonde sagesse de Paul. Ce n'est pas par hasard ni sans raison qu'il a omis d'exhorter à un si bel état, il attendait qu'ils en eussent les premiers le désir, qu'ils prissent quelque notion de ce problème; s'adressant à des âmes familiarisées avec l'idée de la virginité, il pourrait alors utilement jeter en elles sur ce sujet la semence de ses paroles, les bonnes dispositions de ses auditeurs pour la chose donnant à son exhortation beaucoup plus de chance d'être entendue. Et, par ailleurs, l'apôtre veut montrer la grandeur et la majesté de l'entreprise.

Dans le cas contraire, il n'aurait pas attendu leur généreux mouvement, mais il aurait pris lui-même les devants, sinon sous la forme d'un ordre et d'un précepte, du moins d'une exhortation et d'un conseil. Tandis qu'en refusant d'en prendre l'initiative, il nous a montré clairement que la virginité exige nombre d'efforts épuisants et un rude combat. Et, ici encore, par cette façon de faire, il imite notre Maître à tous. Car le Seigneur n'a parlé de la virginité que lorsque ses disciples l'interrogeaient.

Quand ils ont dit: "Si telle est la condition de l'homme avec la femme, mieux vaut ne pas se marier", il répond: "Il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des Cieux" (
Mt 19,10).

Quand il s'agit en effet d'un bel acte vertueux qui, de ce fait, ne présente pas le caractère obligatoire d'un précepte, il faut attendre les bonnes dispositions de ceux qui vont l'accomplir et, par une autre voie, sans qu'ils s'en doutent, les préparer à le vouloir dans leur esprit et dans leur coeur. Telle fut précisément la conduite du Christ; ce n'est pas en leur parlant de la virginité qu'il leur inspire l'amour de la virginité, Il ne s'entretient que du mariage, leur montre les difficultés de cet état, et n'en dit pas plus long. Méthode si pleine de sagesse que, sans avoir rien entendu sur l'abstention du mariage, les disciples de leur propre chef lui disent: il est bon de ne pas se marier.

C'est pour cela que Paul, à son tour, imitant le Christ, disait: "Quant aux choses que vous m'avez écrites" (1Co 7,1); c'est une façon de se justifier à leurs yeux et de leur dire: je n'osais pas, quant à moi, vous appeler à ce haut sommet de vertu, car il est difficile à atteindre; mais puisque vous m'en avez parlé les premiers dans votre lettre, je n'hésite plus à vous donner ce conseil: il est bon pour un homme de ne pas toucher à la femme. Pourquoi, en effet, alors que les Corinthiens lui avaient écrit sur de nombreux sujets, pourquoi n'a-t-il nulle part ailleurs ajouté cette remarquez? Pour la raison que je viens de dire, tout simplement; pour éviter que son exhortation ne fût mal accueillie, il leur remet en mémoire les lettres qu'ils lui avaient adressées. Et même alors, aucune véhémence dans cette exhortation, et cela malgré la belle occasion qui s'offre à lui; au contraire, il procède avec une extrême réserve, imitant encore sur ce point le Christ. Car le Sauveur, quand il en a terminé sur le sujet de la virginité, ajoute: "Que celui qui peut comprendre comprenne" (Mt 19,12). Et l'apôtre, que dit-il? "Quant aux choses que vous m'avez écrites, il est bon pour l'homme de ne pas toucher à la femme."

Objection de ceux qui rejettent la virginité et réfutation.

14 1. On objectera peut-être: mais s'il est bon de ne pas toucher à la femme, pourquoi le mariage s'est-il introduit dans la vie? Quel sera le rôle de la femme désormais, si elle n'est utile ni au mariage, ni à la procréation des enfants? Qu'est-ce qui empêchera la destruction totale du genre humain, puisque chaque jour la mort en fait sa pâture et sa victime, et qu'avec ce raisonnement il n'est pas possible de remplacer les êtres qui disparaissent? Supposons en effet que nous mettions tous notre zèle à pratiquer cette vertu et que nous n'ayons pas de rapport avec une femme, tout disparaîtra: villes, maisons, champs, métiers, êtres vivants, plantes. Ainsi, quand le général est tué, c'est inévitablement la débandade dans son armée; de même, si le roi de tout ce qui est sur la terre, si l'homme (cf. Gn 1,26) vient à disparaître par l'extinction du mariage, rien de ce qui reste ne pourra conserver la même sécurité et le même ordre, de sorte que ce beau conseil remplira le monde de calamités infinies.

2. Pour moi, si ce langage était tenu par nos adversaires et des incroyants, j'en ferais peu de cas. Mais en fait, dans le nombre de ceux qui passent pour appartenir à l'Église, bien des gens s'expriment de la sorte; ils refusent, par faiblesse de volonté, les efforts qu'exige la virginité, ils la dénigrent, la déclarent inutile pour dissimuler leur propre nonchalance et donner l'impression d'avoir esquivé ces combats non par couardise, mais par une juste appréciation des raisons. Aussi, sans plus nous occuper de nos adversaires "car l'homme psychique ne reçoit pas les choses de l'esprit, pour lui elles sont ineptie" (1Co 2,14) - à ces gens qui prétendent être des nôtres, nous apprendrons deux choses: d'abord la virginité, loin d'être superflue, est tout à fait utile et nécessaire; ensuite, une telle mise en accusation de la virginité ne peut rester impunie, elle attirera sur les détracteurs autant de périls que la virginité assurera de récompenses et d'éloges à ceux qui la pratiquent.

3. En effet, lorsque la totalité de notre univers eut été créée et que tout eut été mis en place pour notre repos et notre service, Dieu façonna l'homme pour qui il avait fait le monde (cf. Gn 1,3-25). Façonné par Dieu, l'homme vécut dans le paradis et il n'était nullement question de mariage. Il eut besoin d'une aide et elle lui fut donnée: même alors le mariage ne semblait pas nécessaire. De fait, on n'en voyait pas trace, ils s'en passaient tous deux, vivant dans le séjour du Paradis comme dans le ciel et jouissant de la familiarité divine. Désir de l'union charnelle, conception, douleurs, parturition, toutes formes de corruption étaient absentes de leur âme. Comme un ruisseau transparent coulant d'une source limpide, leur vie s'écoulait en ce lieu, parée des ornements de la virginité.

Et la terre entière alors était vide d'habitants: c'est ce que redoutent aujourd'hui ces gens pleins de sollicitude pour le monde, toujours prêts à s'inquiéter des affaires d'autrui mais ne supportant pas d'accorder même une pensée aux leurs; ils redoutent que le genre humain tout entier ne vienne un jour à disparaître, mais ils traitent chacun leur âme en étrangère, ils la négligent, et cela quand pour cette âme ils auront à rendre des comptes sévères, même à cause d'insignifiantes peccadilles, mais, pour la diminution du genre humain, pas l'ombre d'une raison à fournir.

Il n'y avait alors ni cités, ni métiers, ni maisons; c'est encore là pour vous un souci peu ordinaire: non, tout cela n'existait pas alors et pourtant rien ne venait entraver ni entamer cette existence bienheureuse et de beaucoup supérieure à la nôtre. Mais quand ils eurent désobéi à Dieu et qu'ils furent devenus terre et cendre (Gn 18,27), ils perdirent avec cette existence bienheureuse la beauté de la virginité qui, en même temps que Dieu, les a laissés et s'en est allée. Tant qu'ils étaient insensibles aux séductions du diable et qu'ils révéraient leur Maître, la virginité aussi les accompagnait, plus riche ornement pour eux que pour les rois le diadème et les vêtements d'or (cf. Jb 29,14). Mais lorsque, tombés dans l'esclavage, ils eurent dépouillé ce vêtement royal et déposé leur parure céleste, quand ils furent sujets à la corruption de la mort, à la malédiction, à la souffrance, aux peines de la vie, c'est alors qu'avec ce cortège survint le mariage, ce vêtement mortel et servile.

6. Car "l'homme marié, dit Paul, s'inquiète des choses du monde" (1Co 7,33). Vois-tu quelle fut l'origine du mariage? Pourquoi il parut nécessaire, il est la conséquence de la désobéissance, de la malédiction, de la mort. Où est la mort, là est le mariage; ôtez l'un, l'autre disparaît. Tandis que la virginité n'a pas cette escorte: elle est chose toujours utile, toujours belle, toujours bienheureuse, avant la mort, après la mort, avant le mariage, après le mariage. De quel mariage, s'il te plaît, est né Adam? A quel enfantement douloureux Eve doit-elle la vie? Tu ne saurais répondre. Pourquoi cette crainte, cette peur sans raison que la fin du mariage n'amène aussi la fin de la race humaine? Des millions d'anges sont au service de Dieu, des milliers de milliers d'archanges se tiennent à ses côtés (cf. Is 6,2) et aucun d'eux ne doit la vie à la génération, aucun ne la doit à la parturition, aux douleurs, à la conception. N'eût-il pas été beaucoup plus facile à Dieu de créer des hommes en dehors du mariage? Tout comme il a créé, aussi, nos premiers parents, d'où descend toute l'humanité.

Ce n'est pas le mariage qui accroîtra le genre humain.

15 Et aujourd'hui même ce n'est pas à la vertu du mariage qu'est due la croissance de notre race, mais à la parole du Seigneur qui a déclaré au commencement: "Croissez et multipliez et remplissez la terre" (Gn 1,28). En quoi, s'il te plaît, cette institution a-t-elle aidé Abraham à avoir des enfants? N'est-ce pas après tant d'années de mariage qu'il finit par exprimer cette plainte: "Seigneur, que me donneras-tu? Je m'en vais sans enfants" (Gn 15,2). De même qu'alors Dieu a voulu que des corps épuisés fussent le principe et la racine de tant de myriades d'êtres, de même au commencement, si Adam et Eve avaient obéi à ses ordres et maîtrisé leur désir de l'arbre interdit, il n'aurait pas été en peine d'un moyen pour propager la race humaine. Car le mariage, sans la Volonté de Dieu, ne pourra multiplier les hommes sur la terre, pas plus que la virginité, si Dieu veut les multiplier, n'en pourra affecter le nombre. Mais il l'a voulu ainsi, dit l'Écriture, à cause de nous et de notre désobéissance (cf. Gn 3,14-17).

2. Pourquoi en effet le mariage n'est-il pas apparu avant la faute? Pourquoi n'y avait-il pas de relations sexuelles dans le paradis? Pourquoi n'y avait-il pas les douleurs de l'enfantement avant la malédiction? Parce que ces choses, alors, étaient superflues et ne devinrent nécessaires que plus tard, à cause de notre infirmité - elles, et tout le reste: cités, métiers, vêtements, avec toute la multitude de nos besoins. Traînant à sa suite toute cette cohorte, la mort l'a introduite ici-bas avec elle. Aussi, je t'en prie, ce qui n'est qu'une concession à ta faiblesse, ne le préfère pas à la virginité - ou plutôt, ne le place même pas à égalité. En procédant d'après ce raisonnement, tu iras prétendre qu'il vaut mieux avoir deux femmes que de se contenter d'une - puisque c'était même chose permise dans la loi de Moïse; et tu préféreras aussi, en ce cas, la richesse à la pauvreté volontaire, les plaisirs à la vie de continence et la vengeance à la généreuse patience devant l'injure.

Le mariage est une condescendance.

16 Mais c'est toi maintenant qui dénigres tout cela, m'objecte-t-on. Je ne le dénigre nullement. C'est Dieu qui l'a permis et tout a eu son utilité à son heure. Mais je prétends que c'est peu de chose, vertu d'enfants, plutôt que d'hommes. Et c'est pourquoi le Christ, voulant nous rendre notre perfection, nous a ordonné de nous en dépouiller comme de vêtements d'enfants qui ne peuvent vêtir l'homme parfait, ni convenir à la force de l'âge qui réalise la plénitude du Christ (Ep 4,13), et Il nous a ordonné d'en vêtir de plus appropriés et de plus parfaits que ceux-là; il n'était pas en contradiction mais en parfait accord avec lui-même.

Car si ces nouvelles prescriptions sont supérieures aux anciennes, du moins le but du législateur n'a-t-il pas changé. Quel est-il? Retrancher le péché de notre âme et la conduire à la vertu parfaite. Si donc il avait cherché, non pas à nous imposer des obligations supérieures aux précédentes, mais à laisser les choses éternellement dans le même état sans jamais délivrer l'homme de sa médiocrité, c'est alors qu'il eût été en pleine contradiction avec lui-même. Si au commencement en effet, quand le genre humain se trouvait encore dans sa petite enfance, Dieu avait fait une règle de ce mode de vie rigoureux, nous ne serions jamais parvenus à cette juste mesure et tout notre salut aurait été compromis par cette démesure. De même, après une si longue période d'apprentissage sous l'ancienne loi, quand les temps nous appelaient à cette céleste philosophie, si Dieu nous avait laissés attachés à la terre, nous n'aurions tiré aucun profit sérieux de sa Condescendance, puisque cette vie de perfection qu'avait en vue sa Condescendance n'aurait jamais été notre partage.

Sur la divine condescendance.

17 Aujourd'hui, il en est de nous comme des petits oiseaux: lorsque leur mère les a nourris, elle les pousse au bord du nid. Si elle les voit faibles et chancelants, ayant encore besoin de rester à l'intérieur, elle les y laisse quelques jours de plus, non pour qu'ils demeurent dans le nid toute leur existence, mais pour que leurs ailes soient bien assurées, qu'ils acquièrent toute leur vigueur et qu'ils puissent ainsi désormais déployer leur vol en toute sécurité. De même notre divin Maître, dès le commencement, nous attirait vers le ciel, nous montrait la voie qui y conduit, n'ignorant pas ou plutôt sachant parfaitement - que nous serions encore incapables d'un tel vol, mais voulant nous montrer que notre chute avait pour cause non sa Volonté, mais notre faiblesse. Et, cette leçon donnée, Il laisse désormais l'espèce humaine croître dans le nid de ce bas monde et du mariage, pendant un long temps.

Puis, lorsque, au bout de ce long temps, les ailes de la vertu nous ont poussé, doucement alors et peu à peu, il est venu nous faire sortir de ce gîte terrestre, en nous apprenant à voler plus haut. Sans doute ceux qui sont encore un peu nonchalants ou plongés dans un lourd sommeil se plaisent encore à rester dans le nid, attachés qu'ils sont aux choses du monde. Mais les vrais généreux, les amoureux de la lumière quittent le nid avec une parfaite aisance, volent vers les hauteurs et touchent aux cieux, ayant tout abandonné ici-bas, mariage, fortune, soucis et tout ce qui, d'ordinaire, nous attire vers la terre.

Cependant, n'allons pas croire que cette permission du mariage, accordée au commencement, soit pour la suite des temps une obligation qui nous empêche de nous abstenir du mariage. Car il veut que nous y renoncions: prête l'oreille à ces paroles: "Que celui qui peut comprendre, comprenne (
Mt 19,12)." Qu'il n'ait pas donné cet ordre au commencement, rien d'étonnant. Un médecin, par exemple, ne prescrit pas à ses malades toutes ses ordonnances à la fois, ni au même moment; quand ils sont pris par la fièvre, il leur défend la nourriture solide, mais quand la fièvre les a quittés et la faiblesse physique qui s'ensuivait, il leur supprime désormais les aliments désagréables pour rétablir leur régime habituel. De même que les éléments qui sont en conflit entre eux à l'intérieur du corps, par excès ou par défaut, provoquent la maladie, de même pour l'âme le dérèglement des passions ruine sa santé. Aussi devons-nous posséder juste au moment opportun l'ordonnance appropriée aux passions en cause; faute de ces deux conditions, la loi par elle-même serait impuissante à corriger le désordre de l'âme. Il en est donc comme pour les médicaments dont la vertu ne peut à elle seule guérir une blessure, car ce que les remèdes sont aux blessures, les lois le sont aux péchés.

Or toi, que fais-tu? Quand le médecin souvent pour la même blessure a recours tantôt au bistouri, tantôt au feu, tantôt n'utilise ni l'un ni l'autre, tu ne l'importunes pas de questions indiscrètes, et encore combien de fois son traitement est-il inefficace ! Mais Dieu, toi qui n'es qu'un homme, Dieu qui ne commet jamais d'erreur, qui dirige toutes choses d'une manière digne de sa Sagesse infinie, vous osez, vous qui n'êtes qu'un homme, l'appeler à votre tribunal; vous lui demandez raison de ses préceptes; vous refusez de marcher dans la voie de sa Sagesse. N'est-ce pas de la dernière démence ?

Il a dit: "Croissez et multipliez", parce que les temps l'exigeaient, les temps où la nature humaine était en folie, incapable de contenir la virulence des passions, et qu'elle n'avait pas d'autre port où se réfugier au milieu de cette tempête.

5. Alors, que devait-il ordonner aux hommes de vivre dans la continence et la virginité? Mais cela n'eût fait que rendre la chute plus grave et la flamme du désir plus violente. Voyez les enfants qui n'ont besoin que de lait: supprimez-leur cette nourriture et forcez-les à prendre à la place celle qui convient à l'homme, rien n'y fera, ils mourront très vite; tant il est mauvais d'agir à contretemps (cf. 1Co 3,2). C'est pour cette raison que la virginité n'a pas été donnée dès le commencement - ou plutôt si, la virginité est apparue dès le commencement et antérieurement au mariage, mais c'est pour la raison indiquée que le mariage s'est introduit, plus tard, et qu'il fut considéré comme une chose nécessaire, alors que, si Adam était resté dans l'obéissance, il n'en aurait pas eu besoin. Mais alors, m'objectez-vous, comment seraient nés tant de millions d'hommes? Et moi, je renouvelle ma question, puisque cette crainte continue à te bouleverser si fort: comment Adam, comment Eve sont-ils nés, alors qu'ils ne disposaient pas du mariage? Mais quoi, toute l'humanité devait-elle naître de cette façon? De cette manière ou d'une autre, je n'en sais rien. Le point qui nous intéresse pour l'instant est que Dieu n'avait pas besoin du mariage pour multiplier les hommes sur la terre.

Ce n'est pas la virginité qui diminue le genre humain, mais le péché.

18 Ce n'est pas la virginité qui peut causer l'extinction du genre humain, mais le péché et les unions dénaturées, comme le prouve bien l'extermination qui eut lieu, au temps de Noé, des hommes, des bêtes, en un mot de tout ce qui respirait sur la terre (cf. Gn 6,7). Si les fils de Dieu avaient alors résisté à ce désir dénaturé et s'ils avaient honoré la virginité, s'ils n'avaient pas jeté des regards coupables sur les filles de l'homme (cf. Gn 6,2), une telle catastrophe ne les aurait pas frappés. Qu'on ne s'imagine pas que je rends le mariage responsable de leur anéantissement, ce n'est pas ce que je prétends ici, je veux dire que la ruine et la destruction du genre humain sont imputables non à la virginité, mais au péché.

Autrefois le mariage avait deux causes, il n'en a qu'une à présent.

19 Ainsi, le mariage a certes été donné en vue de la procréation, mais beaucoup plus encore pour apaiser le feu du désir inhérent à notre nature. Paul l'atteste quand il dit: "Pour éviter la fornication, que chacun ait sa femme" (1Co 7,2). Il ne dit pas: pour faire des enfants. Et quand il invite (mari et femme) à reprendre la vie commune, ce n'est pas pour qu'ils aient nombreuse descendance, mais pourquoi? "Pour que Satan ne vous tente pas" (1Co 7,5), dit-il. Et un peu plus loin, il ne dit pas: "S'ils désirent des enfants", mais: "S'ils ne peuvent être continents, qu'ils se marient (1Co 7,9)." Au commencement en effet, je le disais, le mariage avait ce double motif, mais plus tard, une fois peuplés la terre, la mer et le monde entier, il ne resta plus qu'une seule raison: la suppression de la débauche et du dévergondage. Car pour ceux qui maintenant encore se vautrent dans ces passions, recherchent la vie des pourceaux et la perdition dans les lupanars, l'utilité du mariage est considérable: il les délivre de cette impureté, de cette tyrannie et leur assure la protection de la chasteté et de la sainteté. Mais en voilà assez: jusques à quand poursuivre un combat contre des ombres. Car vous qui me faites ces objections, vous savez aussi bien que moi l'excellence de la virginité et tout ce que vous avez dit n'est que faux-fuyants, prétextes pour jeter un voile sur l'incontinence.

N'y aurait-il aucun danger à faire fi de la virginité, une telle attitude n'est pas néanmoins sans risques.

20 Et même s'il n'y avait aucun danger à tenir ce langage, vous devriez néanmoins aujourd'hui mettre un terme à la calomnie. Car celui qui, en présence des belles choses, exprime sa désapprobation, entre autres préjudices donne publiquement un témoignage sérieux de sa propre malice en émettant ce jugement aussi dépravé et peu fondé. En sorte que, même en l'absence d'autre motif, la seule crainte de vous voir gratifier d'une aussi méchante réputation devrait vous retenir la langue; réfléchissez: le spectateur qui applaudit les grands champions, même s'il ne peut obtenir des résultats identiques, pourra bénéficier du moins de l'indulgence générale; mais celui qui, sans y participer, dénigrerait en outre des exploits dignes de nombreuses couronnes, serait justiciable de la réprobation universelle, comme ennemi et adversaire du mérite et il serait plus misérable que les déments. Car les fous ne savent pas ce qu'ils font, ils n'endurent pas volontairement leur sort; c'est pourquoi, quand ils outragent les puissants du jour, loin de les châtier, leurs victimes même en ont pitié; mais quiconque oserait, en connaissance de cause, commettre ce qu'ils font, eux, par ignorance, serait à juste titre condamné à l'unanimité comme ennemi de la nature humaine.

Le danger est grand pour ceux qui font fi de la virginité.

21 Il faudrait donc, comme je le disais, même si pareille accusation ne présentait aucun danger, nous en abstenir au moins pour les raisons exprimées plus haut. Mais en fait, la chose comporte un grave danger; ce n'est pas seulement "Celui qui s'assied et parle contre son frère et diffame le fils de sa mère" (Ps 49,20 cf. Mt 5,22) qui sera puni, mais aussi l'homme qui entreprend de calomnier des oeuvres belles aux yeux de Dieu. Écoute plutôt ce que dit un autre prophète traitant précisément ce sujet: "Malheur à celui qui appelle le mal bien et le bien mal, qui fait des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui fait ce qui est doux amer et ce qui est amer doux" (Is 5,20). Quoi de plus agréable que la virginité, de plus beau, de plus lumineux. Elle lance en effet des éclats plus étincelants que les rayons du soleil, nous détourne de toutes les choses de la terre et nous dispose à contempler sans ciller (cf. Jn 1,18), avec des yeux purs, le soleil de la justice. Voilà ce qu'Isaïe proclamait à l'adresse de ceux qui portent en eux des jugements dépravés.

2. Écoute encore ce que dit un autre prophète à l'adresse des gens qui profèrent contre autrui ces paroles pestiférées; il commence par la même exclamation: "Malheur à celui qui fait boire son prochain en lui versant du poison." (Ha 2,15 LXX). Le mot "malheur" n'est pas une simple façon de parler, mais une menace qui annonce pour nous un supplice indicible et impitoyable; car c'est à propos de ceux qui ne peuvent plus détourner de leur tête le châtiment imminent que cette expression est employée dans les Écritures.

3. Et un autre prophète a dit encore, en s'en prenant aux Juifs: "Vous avez fait boire du vin aux hommes consacrés" (Am 2,12). Si faire boire du vin aux Naziréens entraîne un tel supplice, quel châtiment méritera celui qui verse le poison dans les âmes des simples ?

Si, pour écorner à peine l'observance de la loi, on subit un châtiment inexorable, à quelle sanction doit-il s'attendre, celui qui met en pièces intégralement la sainteté elle-même? "Celui qui scandalisera un de ces petits, nous est-il dit, mieux vaudrait pour lui qu'on lui suspendît une meule à âne autour du cou et qu'on le précipitât dans la mer" (Mt 18,6). Que diront alors ceux qui par les propos en question scandalisent non un seul de ces petits, mais un grand nombre? Si traiter son frère d'insensé doit conduire tout droit au feu de la géhenne, l'homme qui calomnie cette règle de vie égale à celle des anges, quelle colère va-t-il attirer sur sa tête.

4. Un jour, Myriam, soeur de Moïse, parla contre son frère (Nb 12,1, non comme vous le faites à présent de la virginité, mais en termes beaucoup moins graves et plus modérés. Loin de se moquer de Moïse et de railler la vertu de ce bienheureux, elle avait pour lui une vive admiration; elle lui dit seulement qu'elle aussi jouissait des mêmes privilèges que lui (cf. Nb 12,2). Et cependant elle attira sur elle la Colère de Dieu au point que même les prières ferventes de celui qu'on jugeait offensé ne purent rien obtenir en sa faveur, mais que le châtiment de Myriam se prolongea bien au delà de ce qu'il attendait.

La destruction des enfants du temps d'Elisée a été utile.

22 Pourquoi parler de Myriam? Ces enfants qui jouaient aux portes de Bethléem, pour avoir dit simplement à Élisée: Monte, chauve, (2R 2,23) excitèrent la colère de Dieu, au point qu'Il lâcha, au moment même où ils parlaient, des ours sur leur groupe - ils étaient quarante-deux - et tous jusqu'au dernier furent mis en pièces par ces animaux.

Ni leur jeunesse, ni leur nombre, ni le fait qu'ils plaisantaient ne protégèrent ces jeunes gens, et c'était tout à fait mérité. Car si les hommes qui se chargent de si grandes entreprises devaient servir de cible aux enfants et aux hommes, quelle âme moins bien trempée choisira de se charger d'entreprises payées de rires et de moqueries? Quel chrétien ordinaire mettra son zèle à promouvoir la vertu, s'il la voit ainsi tournée en ridicule ?

Aujourd'hui en effet, alors que le monde entier admire la virginité, non seulement ceux qui la pratiquent, mais ceux qui sont déchus de cet état, si beaucoup d'hommes hésitent cependant et reculent à la pensée de ces efforts épuisants qu'elle exige, qui donc consentirait sans peine à l'embrasser si, loin d'être un objet d'admiration, on la voyait en butte aux calomnies universelles. Les hommes assez forts, qui déjà se sont transportés dans les cieux, n'ont pas besoin de l'encouragement de la multitude, il leur suffit, pour tout encouragement, de la louange de Dieu; mais les êtres plus faibles, qui viennent juste d'être introduits dans cet état de vie, trouvent dans l'opinion publique un puissant adjuvant, jusqu'à ce qu'une instruction complète leur permette peu à peu de se passer de cette assistance.

Et ce n'est pas seulement à cause de ces faibles, mais aussi pour le salut des contempteurs de la virginité que de tels événements se produisent: ils ne pourront ainsi s'avancer plus loin dans la voie du mal en se fondant sur l'impunité de leurs premières fautes.

Mais, au moment où je prononce ces mots, me revient aussi en mémoire l'histoire d'Élie. Le sort que les ours firent subir aux enfants à cause d'Élisée, ce sort fut infligé, à cause de son maître Élie, par le feu du ciel, à deux troupes de cinquante hommes ainsi qu'à leurs chefs. Ces hommes, avec une grande insolence, étaient venus trouver Élie et, interpellant le juste, lui avaient intimé l'ordre de descendre vers eux; au lieu de cela le feu du ciel fondit sur eux et les dévora tous, comme les bêtes sauvages l'avaient fait des enfants (2R 1,9).

4. Réfléchissez à cela, vous tous, les ennemis de la virginité, placez une porte et une barre à votre bouche (Si 22,25 Ps 140,3), de peur que vous aussi vous ne vous mettiez à dire, au jour du Jugement, en portant vos regards sur ceux que la virginité rend là-haut resplendissants de lumière: "Voilà donc ceux qui autrefois étaient l'objet de nos moqueries et le but de nos outrages." Insensés ! Nous regardions leur vie comme une folie et leur fin comme une honte. Comment ont-ils été comptés parmi les fils de Dieu? Comment partagent-ils le sort des saints? Nous avons donc erré, loin du chemin de vérité et la lumière de la justice n'a pas brillé pour nous (cf. Sg 5,4). Mais à quoi bon ces mots, puisque le repentir aura perdu, alors, dans ces circonstances, toute son efficacité ?

Pourquoi les mêmes fautes n'attirent pas les mêmes châtiments.

23 Mais l'un de vous dira peut-être: personne donc, après ces temps-là n'a insulté de saints personnages. Beaucoup l'ont fait et en plusieurs points de la terre. Pourquoi n'ont-ils pas subi le même châtiment? Ils l'ont subi et nous en connaissons un bon nombre. Si quelques-uns y ont échappé, ils ne l'éviteront pas toujours. Comme le dit en effet le bienheureux Paul: "Il est des gens dont les fautes sont manifestes, même avant le Jugement, mais pour d'autres aussi elles ne se découvrent qu'après" (1Tm 5,24). De même que les législateurs ont laissé consignées par écrit les punitions frappant les coupables, de même aussi notre Seigneur Jésus Christ, en châtiant un ou deux pécheurs, grave pour ainsi dire avec des lettres sur une stèle de bronze leurs supplices et, par l'exemple de leur malheur, s'adresse à tous les hommes; même si pour le présent, leur dit-il, des coupables échappent au supplice qui, ailleurs, sanctionne la même faute, dans le temps à venir, plus rigoureux sera leur châtiment.

Les pécheurs, même s'ils demeurent impunis, ne doivent pas pour autant éprouver de l'assurance, mais plutôt en ressentir de la crainte

24 Aussi, lorsque des péchés extrêmement graves ne nous attirent aucun dommage, n'y puisons pas de l'assurance, mais plutôt un sujet de crainte. Car si nous ne sommes pas jugés par Dieu ici-bas, nous serons condamnés là-haut avec le monde. Et là encore ce n'est pas moi qui l'affirme, mais le Christ qui parle par la bouche de Paul, s'adressant à ceux qui prennent part aux sacrements sans en être dignes, il dit: "C'est pour cela que beaucoup parmi vous sont débiles et malades, et qu'un bon nombre sont endormis dans la mort. Si nous nous discernions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés; mais quand nous sommes jugés, nous sommes corrigés par le Seigneur afin de n'être pas condamnés avec ce monde" (1Co 11,30-32).

Il est des hommes qui n'ont besoin de sanction qu'ici-bas, lorsque leurs péchés restent dans des limites raisonnables et qu'après le châtiment ils ne retombent plus dans leurs premières fautes, en imitant le chien qui retourne à son vomissement (2P 2,22). Il en est aussi dont la méchanceté dépasse à ce point les bornes qu'ils en sont punis dans ce monde et dans l'autre; d'autres encore ne subiront que là-haut le châtiment, car ils ont commis les plus graves des fautes et ne sont point jugés dignes d'être frappés avec les hommes. "Ils ne seront point frappés avec les hommes, dit le prophète, car ils sont réservés à partager le châtiment des démons" (Ps 72,5). "Allez-vous-en loin de Moi, dit le Seigneur, dans les ténèbres extérieures qui ont été préparées pour le diable et pour ses anges" (cf. Mt 8,12 Mt 25,41).

2. Beaucoup ont ravi le sacerdoce à prix d'argent sans que personne le leur reprochât, sans entendre les paroles que Simon (le Magicien) entendit alors de la bouche de Pierre (Ac 8,20). Mais ils n'ont pas pour autant échappé au châtiment; au contraire, ils en subiront un bien plus sévère que celui qu'ils auraient dû affronter en ce monde, parce que l'exemple même ne les a pas instruits. Beaucoup ont égalé l'audace de Coré (cf. Nb 16,1) et n'ont pas eu le sort de Coré (cf. Nb 16,31), mais ils le subiront plus tard et leur peine sera plus grave. Beaucoup ont imité l'impiété du Pharaon (cf. Ex 14,28) et n'ont pas été submergés comme lui, mais l'océan de la géhenne les attend. Ceux-là non plus qui traitent leurs frères d'insensés n'ont pas encore été punis: c'est dans l'autre monde que le châtiment leur est réservé.

3. Aussi, ne croyez pas que les sentences de Dieu ne sont que des mots. C'est pour cela qu'il en a mis quelques-unes à exécution - par exemple dans le cas de Sapphire (Ac 5,1-11), de son mari, dans le cas de Charmi (cf Jos 7,18), d'Aaron (cf. Nb 12,1-8) et de tant d'autres -: pour que ceux qui ne croiraient pas à sa parole y ajoutent foi, confondus par les faits, cessant désormais de se leurrer eux-mêmes et de s'imaginer à l'abri du châtiment; c'est aussi pour qu'ils apprennent que la Bonté de Dieu consiste à donner aux pécheurs un délai et non à accorder l'impunité totale à l'obstination dans la faute.

4. Il nous serait possible, bien sûr, de montrer plus longuement encore quel feu se préparent ceux qui méprisent la beauté de la virginité. Mais pour les hommes raisonnables j'en ai assez dit; quant aux incorrigibles et aux insensés, même de plus longs discours ne pourront les détourner de leur folie. Aussi terminerons-nous ici cette partie de notre traité, que nous allons adresser désormais tout entier aux hommes raisonnables, reprenant une fois de plus le mot du bienheureux Paul: "Quant aux choses que vous m'avez écrites, dit-il, il est bon pour l'homme de ne pas toucher à la femme." (1Co 7,1) Que rougissent de honte maintenant tout à la fois ceux qui dénigrent le mariage et ceux qui l'exaltent plus qu'il ne le mérite, car à tous deux le bienheureux Paul impose silence par ces paroles et aussi par celles qui suivent.


Chrysostome, Virginité 13