2009 Caritas in Veritate 44

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44. La conception des droits et des devoirs dans le développement est mise à l’épreuve de manière dramatique par les problématiques liées à la croissance démographique. Il s’agit d’une limite très importante pour le vrai développement, parce qu’elle concerne les valeurs primordiales de la vie et de la famille (110). Considérer l’augmentation de la population comme la cause première du sous-développement est incorrect, même du point de vue économique: il suffit de penser d’une part à l’importante diminution de la mortalité infantile et à l’allongement moyen de la vie qu’on enregistre dans les pays économiquement développés, et d’autre part, aux signes de crises qu’on relève dans les sociétés où l’on enregistre une baisse préoccupante de la natalité. Il demeure évidemment nécessaire de prêter l’attention due à une procréation responsable qui constitue, entre autres, une contribution efficace au développement humain intégral. L’Église, qui a à cœur le véritable développement de l’homme, lui recommande de respecter dans tout son agir la réalité humaine authentique. Cette dimension doit être reconnue, en particulier, en ce qui concerne la sexualité: on ne peut la réduire à un pur fait hédoniste et ludique, de même que l’éducation sexuelle ne peut être réduite à une instruction technique, dans l’unique but de défendre les intéressés d’éventuelles contaminations ou du «risque» de procréation. Cela équivaudrait à appauvrir et à ignorer le sens profond de la sexualité, qui doit au contraire être reconnue et assumée avec responsabilité, tant par l’individu que par la communauté. En effet, la responsabilité interdit aussi bien de considérer la sexualité comme une simple source de plaisir, que de la réguler par des politiques de planification forcée des naissances. Dans ces deux cas, on est en présence de conceptions et de politiques matérialistes, où les personnes finissent par subir différentes formes de violence. À tout cela, on doit opposer, en ce domaine, la compétence primordiale des familles (111) par rapport à celle l’État et à ses politiques contraignantes, ainsi qu’une éducation appropriée des parents.
L’ouverture moralement responsable à la vie est une richesse sociale et économique. De grandes nations ont pu sortir de la misère grâce au grand nombre de leurs habitants et à leurs potentialités. En revanches, des nations, un temps prospères, connaissent à présent une phase d’incertitude et, dans certains cas, de déclin à cause de la dénatalité qui est un problème crucial pour les sociétés de bien-être avancé. La diminution des naissances, parfois au-dessous du fameux «seuil de renouvellement», met aussi en difficulté les systèmes d’assistance sociale, elle en augmente les coûts, réduit le volume de l’épargne et, donc, les ressources financières nécessaires aux investissements, elle réduit la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée, elle restreint la réserve des « cerveaux » utiles pour les besoins de la nation. De plus, dans les familles de petite, et même de toute petite dimension, les relations sociales courent le risque d’être appauvries, et les formes de solidarité traditionnelle de ne plus être garanties. Ce sont des situations symptomatiques d’une faible confiance en l’avenir ainsi que d’une lassitude morale. Continuer à proposer aux nouvelles générations la beauté de la famille et du mariage, la correspondance de ces institutions aux exigences les plus profondes du cœur et de la dignité de la personne devient ainsi une nécessité sociale, et même économique. Dans cette perspective, les États sont appelés à mettre en œuvre des politiques qui promeuvent le caractère central et l’intégrité de la famille, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, cellule première et vitale de la société (112) prenant en compte ses problèmes économiques et fiscaux, dans le respect de sa nature relationnelle.

- Notes: (110)
PP 36 PP 37 - (111) PP 37 - (112) AA 11

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45. Répondre aux exigences morales les plus profondes de la personne a aussi des retombées importantes et bénéfiques sur le plan économique. En effet, pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’éthique dans le domaine économique, financier ou industriel. Des Centres d’études et des parcours de formation de business ethics sont créés. Dans le monde développé, le système des certifications éthiques se répand à la suite du mouvement d’idées né autour de la responsabilité sociale de l’entreprise. Les banques proposent des comptes et des fonds d’investissement appelés «éthiques». Une «finance éthique» se développe surtout à travers le microcrédit et, plus généralement, la microfinance. Ces processus sont appréciables et méritent un large soutien. Leurs effets positifs se font sentir même dans les régions les moins développées de la terre. Toutefois, il est bon d’élaborer aussi un critère valable de discernement, car on note un certain abus de l’adjectif «éthique» qui, employé de manière générique, se prête à désigner des contenus très divers, au point de faire passer sous son couvert des décisions et des choix contraires à la justice et au véritable bien de l’homme.
En fait, cela dépend en grande partie du système moral auquel on se réfère. Sur ce thème, la doctrine sociale de l’Église a une contribution spécifique à apporter, qui se fonde sur la création de l’homme «à l’image de Dieu»
Gn 1,27, principe d’où découle la dignité inviolable de la personne humaine, de même que la valeur transcendante des normes morales naturelles. Une éthique économique qui méconnaîtrait ces deux piliers, risquerait inévitablement de perdre sa signification propre et de se prêter à des manipulations. Plus précisément, elle risquerait de s’adapter aux systèmes économiques et financiers existant, au lieu de corriger leurs dysfonctionnements. Elle finirait également, entre autres, par justifier le financement de projets non éthiques. En outre, il ne faut pas utiliser le mot «éthique» de façon idéologiquement discriminatoire, laissant entendre que les initiatives qui ne seraient pas formellement parées de cette qualification, ne seraient pas éthiques. Il faut œuvrer – et cette observation est ici essentielle! – non seulement pour que naissent des secteurs ou des lignes «éthiques» dans l’économie ou dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute la finance soient éthiques et le soient non à cause d’un étiquetage extérieur, mais à cause du respect d’exigences intrinsèques à leur nature même. La doctrine sociale de l’Église aborde ce sujet avec clarté quand elle rappelle que l’économie, en ses différentes ramifications, est un secteur de l’activité humaine (113).

- Note: (113) PP 14 CA 32

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46. Considérant les thématiques relatives au rapport entre entreprise et éthique, ainsi que l’évolution que le système de production connaît actuellement, il semble que la distinction faite jusqu’ici entre entreprises à but lucratif (profit) et organisations à but non lucratif (non profit) ne soit plus en mesure de rendre pleinement compte de la réalité, ni d’orienter efficacement l’avenir. Au cours de ces dernières décennies, une ample sphère intermédiaire entre ces deux types d’entreprises a surgi. Elle est constituée d’entreprises traditionnelles, – qui cependant souscrivent des pactes d’aide aux pays sous-développés –, de fondations qui sont l’expression d’entreprises individuelles, de groupes d’entreprises ayant des buts d’utilité sociale, du monde varié des acteurs de l’économie dite «civile et de communion». Il ne s’agit pas seulement d’un «troisième secteur», mais d’une nouvelle réalité vaste et complexe, qui touche le privé et le public et qui n’exclut pas le profit mais le considère comme un instrument pour réaliser des objectifs humains et sociaux. Le fait que ces entreprises distribuent ou non leurs bénéfices ou bien qu’elles prennent l’une ou l’autre des formes prévues par les normes juridiques devient secondaire par rapport à leur orientation à concevoir le profit comme un moyen pour parvenir à des objectifs d’humanisation du marché et de la société. Il est souhaitable que ces nouveaux types d’entreprise trouvent également dans tous les pays un cadre juridique et fiscal convenable. Sans rien ôter à l’importance et à l’utilité économique et sociale des formes traditionnelles d’entreprise, elles font évoluer le système vers une plus claire et complète acceptation de leurs devoirs, de la part des agents économiques. Bien plus, la pluralité même des formes institutionnelles de l’entreprise crée un marché plus civique et en même temps plus compétitif.

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47. Le renforcement des diverses typologies d’entreprises et, en particulier, de celles capables de concevoir le profit comme un instrument pour parvenir à des objectifs d’humanisation du marché et des sociétés, doit être poursuivi aussi dans les pays qui sont exclus ou mis en marge des circuits de l’économie mondiale, et où il est très important d’avancer par le biais de projets, fondés sur une subsidiarité conçue et administrée de façon adaptée, qui tendent à affermir les droits tout en prévoyant toujours une prise de responsabilités correspondantes. Dans les interventions en faveur du développement, le principe de la centralité de la personne humaine doit être préservé car elle est le sujet qui, le premier, doit prendre en charge la tâche du développement. L’urgence principale est l’amélioration des conditions de vie des personnes concrètes d’une région donnée, afin qu’elles puissent accomplir ces tâches qu’actuellement leur indigence ne leur permet pas de remplir. La sollicitude ne peut jamais être une attitude abstraite. Les programmes de développement, pour pouvoir être adaptés aux situations particulières, doivent être caractérisés par la flexibilité. Et les personnes qui en bénéficient devraient être directement associées à leur préparation et devenir protagonistes de leur réalisation. Il est aussi nécessaire d’appliquer les critères de la progression et de l’accompagnement – y compris pour le contrôle des résultats –, car il n’existe pas de recettes universellement valables. Cela dépend largement de la gestion concrète des interventions. «Ouvriers de leur propre développement, les peuples en sont les premiers responsables. Mais ils ne le réaliseront pas dans l’isolement» (114). Aujourd’hui, avec la consolidation du processus d’intégration progressive de la planète, cette exhortation de Paul VI est encore plus actuelle. Les dynamiques d’inclusion n’ont rien de mécanique. Les solutions doivent être adaptées à la vie des peuples et des personnes concrètes, sur la base d’une évaluation prévoyante de chaque situation. À côté des macroprojets, les microprojets sont nécessaires et, plus encore, la mobilisation effective de tous les acteurs de la société civile, des personnes juridiques comme des personnes physiques.
La coopération internationale a besoin de personnes qui aient en commun le souci du processus de développement économique et humain, par la solidarité de la présence, de l’accompagnement, de la formation et du respect. De ce point de vue, les Organismes internationaux eux-mêmes devraient s’interroger sur l’efficacité réelle de leurs structures bureaucratiques et administratives, souvent trop coûteuses. Il arrive parfois que celui à qui sont destinées des aides devienne utile à celui qui l’aide et que les pauvres servent de prétexte pour faire subsister des organisations bureaucratiques coûteuses qui réservent à leur propre subsistance des pourcentages trop élevés des ressources qui devraient au contraire être destinées au développement. Dans cette perspective, il serait souhaitable que tous les organismes internationaux et les Organisations non gouvernementales s’engagent à œuvrer dans la pleine transparence, informant leurs donateurs et l’opinion publique du pourcentage des fonds reçus destiné aux programmes de coopération, du véritable contenu de ces programmes, et enfin de la répartition des dépenses de l’institution elle-même.

- Note: (114)
PP 77

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48. Le thème du développement est aussi aujourd’hui fortement lié aux devoirs qu’engendre le rapport de l’homme avec l’environnement naturel. Celui-ci a été donné à tous par Dieu et son usage représente pour nous une responsabilité à l’égard des pauvres, des générations à venir et de l’humanité tout entière. Si la nature, et en premier lieu l’être humain, sont considérés comme le fruit du hasard ou du déterminisme de l’évolution, la conscience de la responsabilité s’atténue dans les esprits. Dans la nature, le croyant reconnaît le merveilleux résultat de l’intervention créatrice de Dieu, dont l’homme peut user pour satisfaire ses besoins légitimes – matériels et immatériels – dans le respect des équilibres propres à la réalité créée. Si cette vision se perd, l’homme finit soit par considérer la nature comme une réalité intouchable, soit, au contraire, par en abuser. Ces deux attitudes ne sont pas conformes à la vision chrétienne de la nature, fruit de la création de Dieu.
La nature est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle nous précède et Dieu nous l’a donnée comme milieu de vie. Elle nous parle du Créateur (cf.
Rm 1,20) et de son amour pour l’humanité. Elle est destinée à être «récapitulée» dans le Christ à la fin des temps (cf. Ep 1,9-10 Col 1,19-20). Elle a donc elle aussi une «vocation» (115). La nature est à notre disposition non pas comme «un tas de choses répandues au hasard» (116), mais au contraire comme un don du Créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques afin que l’homme en tire les orientations nécessaires pour «la garder et la cultiver» Gn 2,15. Toutefois, il faut souligner que considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-même est contraire au véritable développement. Cette position conduit à des attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme: le salut de l’homme ne peut pas dériver de la nature seule, comprise au sens purement naturaliste. Par ailleurs, la position inverse, qui vise à sa technicisation complète, est également à rejeter car le milieu naturel n’est pas seulement un matériau dont nous pouvons disposer à notre guise, mais c’est l’œuvre admirable du Créateur, portant en soi une «grammaire» qui indique une finalité et des critères pour qu’il soit utilisé avec sagesse et non pas exploité de manière arbitraire. Aujourd’hui, de nombreux obstacles au développement proviennent précisément de ces conceptions erronées. Réduire complètement la nature à un ensemble de données de fait finit par être source de violence dans les rapports avec l’environnement et finalement par motiver des actions irrespectueuses envers la nature même de l’homme. Étant constituée non seulement de matière mais aussi d’esprit et, en tant que telle, étant riche de significations et de buts transcendants à atteindre, celle-ci revêt un caractère normatif pour la culture. L’homme interprète et façonne le milieu naturel par la culture qui, à son tour, est orientée par la liberté responsable, soucieuse des principes de la loi morale. Les projets en vue d’un développement humain intégral ne peuvent donc ignorer les générations à venir, mais ils doivent se fonder sur la solidarité et sur la justice intergénérationnelles, en tenant compte de multiples aspects: écologique, juridique, économique, politique, culturel (117).

- Notes: (115) Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6: AAS 82 (1990), 150; DC 89 (1990) p. 10. - (116) Héraclite d’Ephèse (Ephèse 535 av. J-C environ – 475 av. J-C environ), Fragment 22B124, en H. Diels e W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, Weidmann, Berlin 19526. - (117) Cf. Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 451-487.

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49. Aujourd’hui, les questions liées à la protection et à la sauvegarde de l’environnement doivent prendre en juste considération les problématiques énergétiques. L’accaparement des ressources énergétiques non renouvelables par certains États, groupes de pouvoir ou entreprises, constitue, en effet, un grave obstacle au développement des pays pauvres. Ceux-ci n’ont pas les ressources économiques nécessaires pour accéder aux sources énergétiques non renouvelables existantes ni pour financer la recherche de nouvelles sources alternatives. L’accaparement des ressources naturelles qui, dans de nombreux cas, se trouvent précisément dans les pays pauvres, engendre l’exploitation et de fréquents conflits entre nations ou à l’intérieur de celles-ci. Ces conflits se déroulent souvent sur le territoire même de ces pays, entraînant de lourdes conséquences: morts, destructions et autres dommages. La communauté internationale a le devoir impératif de trouver les voies institutionnelles pour réglementer l’exploitation des ressources non renouvelables, en accord avec les pays pauvres, afin de planifier ensemble l’avenir.
Sur ce front aussi, apparaît l’urgente nécessité morale d’une solidarité renouvelée, spécialement dans les relations entre les pays en voie de développement et les pays hautement industrialisés (118). Les sociétés technologiquement avancées peuvent et doivent diminuer leur propre consommation énergétique parce que d’une part, leurs activités manufacturières évoluent et parce que d’autre part, leurs citoyens sont plus sensibles au problème écologique. Ajoutons à cela qu’il est possible d’améliorer aujourd’hui la productivité énergétique et qu’il est possible, en même temps, de faire progresser la recherche d’énergies alternatives. Toutefois, une redistribution planétaire des ressources énergétiques est également nécessaire afin que les pays qui n’en ont pas puissent y accéder. Leur destin ne peut être abandonné aux mains du premier venu ou à la logique du plus fort. Ce sont des problèmes importants qui, pour être affrontés de façon efficace, demandent de la part de tous une prise de conscience responsable des conséquences qui retomberont sur les nouvelles générations, surtout sur les très nombreux jeunes présents au sein des peuples pauvres et qui «demandent leur part active dans la construction d’un monde meilleur» (119).

- Notes: (118) Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 10: loc. cit., 152-153; DC 89 (1990) p. 11. - (119)
PP 65

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50. Cette responsabilité est globale, parce qu’elle ne concerne pas seulement l’énergie, mais toute la création, que nous ne devons pas transmettre aux nouvelles générations appauvrie de ses ressources. Il est juste que l’homme puisse exercer une maîtrise responsable sur la nature pour la protéger, la mettre en valeur et la cultiver selon des formes nouvelles et avec des technologies avancées, afin que la terre puisse accueillir dignement et nourrir la population qui l’habite. Il y a de la place pour tous sur la terre: la famille humaine tout entière doit y trouver les ressources nécessaires pour vivre correctement grâce à la nature elle-même, don de Dieu à ses enfants, et par l’effort de son travail et de sa créativité. Nous devons cependant avoir conscience du grave devoir que nous avons de laisser la terre aux nouvelles générations dans un état tel qu’elles puissent elles aussi l’habiter décemment et continuer à la cultiver. Cela implique de s’engager à prendre ensemble des décisions, «après avoir examiné de façon responsable la route à suivre, en vue de renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement, qui doit être le reflet de l’amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons» (120). Il est souhaitable que la communauté internationale et chaque gouvernement sachent contrecarrer efficacement les modalités d’exploitation de l’environnement qui s’avèrent néfastes. Il est par ailleurs impératif que les autorités compétentes entreprennent tous les efforts nécessaires afin que les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures: la protection de l’environnement, des ressources et du climat demande que tous les responsables internationaux agissent ensemble et démontrent leur résolution à travailler honnêtement, dans le respect de la loi et de la solidarité à l’égard des régions les plus faibles de la planète (121). L’une des plus importantes tâches de l’économie est précisément l’utilisation la plus efficace des ressources, et non leur abus, sans jamais oublier que la notion d’efficacité n’est pas axiologiquement neutre.

- Notes: (120) Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2008, n. 7: AAS 100 (2008), 41; DC 105 (2008) p. 4. - (121) Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105 (2008) pp. 533-537.

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51. La façon dont l’homme traite l’environnement influence les modalités avec lesquelles il se traite lui-même et réciproquement. C’est pourquoi la société actuelle doit réellement reconsidérer son style de vie qui, en de nombreuses régions du monde, est porté à l’hédonisme et au consumérisme, demeurant indifférente aux dommages qui en découlent (122). Un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie « dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune » (123). Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à l’environnement, de même que la détérioration de l’environnement, à son tour, provoque l’insatisfaction dans les relations sociales. À notre époque en particulier, la nature est tellement intégrée dans les dynamiques sociales et culturelles qu’elle ne constitue presque plus une donnée indépendante. La désertification et la baisse de la productivité de certaines régions agricoles sont aussi le fruit de l’appauvrissement et du retard des populations qui y habitent. En stimulant le développement économique et culturel de ces populations, on protège aussi la nature. En outre, combien de ressources naturelles sont dévastées par les guerres! La paix des peuples et entre les peuples permettrait aussi une meilleure sauvegarde de la nature. L’accaparement des ressources, spécialement de l’eau, peut provoquer de graves conflits parmi les populations concernées. Un accord pacifique sur l’utilisation des ressources peut préserver la nature et, en même temps, le bien-être des sociétés intéressées.
L’Église a une responsabilité envers la création et doit la faire valoir publiquement aussi. Ce faisant, elle doit préserver non seulement la terre, l’eau et l’air comme dons de la création appartenant à tous, elle doit aussi surtout protéger l’homme de sa propre destruction. Une sorte d’écologie de l’homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de l’environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine: quand l’«écologie humaine» (124) est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage. De même que les vertus humaines sont connexes, si bien que l’affaiblissement de l’une met en danger les autres, ainsi le système écologique s’appuie sur le respect d’un projet qui concerne aussi bien la saine coexistence dans la société que le bon rapport avec la nature.
Pour préserver la nature, il n’est pas suffisant d’intervenir au moyen d’incitations ou de mesures économiques dissuasives, une éducation appropriée n’y suffit pas non plus. Ce sont là des outils importants, mais le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres. C’est là une grave antinomie de la mentalité et de la praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse l’environnement et détériore la société.

- Notes: (122) Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 13: loc. cit., 154-155; DC 97 (1990) pp. 11-12. - (123)
CA 36 - (124) CA 38; Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n.8: loc. cit., 779; DC 104 (2007) pp. 57-58.

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52. La vérité et l’amour que celle-ci fait entrevoir ne peuvent être fabriqués. Ils peuvent seulement être accueillis. Leur source ultime n’est pas, ni ne peut être, l’homme, mais Dieu, c’est-à-dire Celui qui est Vérité et Amour. Ce principe est très important pour la société et pour le développement, dans la mesure où ni l’une ni l’autre ne peuvent être produits seulement par l’homme. La vocation elle-même des personnes et des peuples au développement ne se fonde pas sur une simple décision humaine, mais elle est inscrite dans un dessein qui nous précède et qui constitue pour chacun de nous un devoir à accueillir librement. Ce qui nous précède et qui nous constitue – l’Amour et la Vérité subsistants – nous indique ce qu’est le bien et en quoi consiste notre bonheur. Il nous montre donc la route qui conduit au véritable développement.

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CHAPITRE V

LA COLLABORATION DE LA FAMILLE HUMAINE

53. Une des pauvretés les plus profondes que l’homme puisse expérimenter est la solitude. Tout bien considéré, les autres formes de pauvreté, y compris les pauvretés matérielles, naissent de l’isolement, du fait de ne pas être aimés ou de la difficulté d’aimer. Les pauvretés sont souvent la conséquence du refus de l’amour de Dieu, d’une fermeture originelle tragique de l’homme en lui-même, qui pense se suffire à lui-même, ou bien considère n’être qu’un simple fait insignifiant et éphémère, un «étranger» dans un univers qui s’est constitué par hasard. L’homme est aliéné quand il est seul ou quand il se détache de la réalité, quand il renonce à penser et à croire en un Fondement (125). L’humanité tout entière est aliénée quand elle met sa confiance en des projets purement humains, en des idéologies et en de fausses utopies (126). De nos jours, l’humanité apparaît beaucoup plus interactive qu’autrefois: cette plus grande proximité doit se transformer en une communion véritable. Le développement des peuples dépend surtout de la reconnaissance du fait que nous formons une seule famille qui collabore dans une communion véritable et qui est constituée de sujets qui ne vivent pas simplement les uns à côté des autres (127).
Paul VI remarquait que «le monde est en malaise faute de pensée» (128). Cette affirmation renferme une constatation, mais surtout un souhait: il faut qu’il y ait un renouveau de la pensée pour mieux comprendre ce qu’implique le fait que nous formons une famille; les échanges entre les peuples de la planète exigent un tel renouveau, afin que l’intégration puisse se réaliser sous le signe de la solidarité (129) plutôt que de la marginalisation. Une telle pensée nous oblige à approfondir de manière critique et sur le plan des valeurs la catégorie de la relation. Un tel effort ne peut être mené par les seules sciences sociales, car il requiert l’apport de savoirs tels que la métaphysique et la théologie, pour comprendre de façon éclairée la dignité transcendante de l’homme.
La créature humaine, qui est de nature spirituelle, se réalise dans les relations interpersonnelles. Plus elle les vit de manière authentique, plus son identité personnelle mûrit également. Ce n’est pas en s’isolant que l’homme se valorise lui-même, mais en se mettant en relation avec les autres et avec Dieu. L’importance de ces relations devient alors fondamentale. Cela vaut aussi pour les peuples. Pour leur développement, une vision métaphysique de la relation entre les personnes est donc très utile. A cet égard, la raison trouve une inspiration et une orientation dans la révélation chrétienne, selon laquelle la communauté des hommes n’absorbe pas en soi la personne, anéantissant son autonomie, comme cela se produit dans les diverses formes de totalitarisme, mais elle la valorise encore davantage car le rapport entre individu et communauté est celui d’un tout vers un autre tout (130). Tout comme la communauté familiale n’abolit pas en elle les personnes qui la composent et comme l’Église elle-même valorise pleinement la ‘créature nouvelle’ (cf. Ga 6,15 2Co 5,17) qui, par le baptême, s’insère dans son Corps vivant, de la même manière l’unité de la famille humaine n’abolit pas en elle les personnes, les peuples et les cultures, mais elle les rend plus transparents les uns aux autres, plus unis dans leurs légitimes diversités.

- Notes: (125) CA 41 - (126) CA 41 - (127) EV 20 - (128) PP 85 - (129) Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1998, n. 3: AAS 90 (1998), 150; DC 95 (1998) pp. 2-3; Id., Discours aux membres de la Fondation Centesimus annus pro Pontefice, 9 mai 1998, n. 2; Oss. Rom. fr. n. 20 (1998) p. 2; Id., Discours aux Autorités et au Corps diplomatique, Vienne, 20 juin 1998, n. 8; DC 95 (1998) p. 689 ; Id., Message au Recteur de l’Université catholique du Sacré-Cœur, 5 mai 2000, n. 6; Insegnamenti di Giovanni Paolo II XXIII, 1 (2000), 759-760. - (130) Selon saint Thomas «ratio partis contrariatur rationi personae» in III 5,3; et aussi «Homo non ordinatur ad communitatem politicam secundum se totum et secundum omnia sua» in I-II 21,4

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54. Le thème du développement coïncide avec celui de l’inclusion relationnelle de toutes les personnes et de tous les peuples dans l’unique communauté de la famille humaine qui se construit dans la solidarité sur la base des valeurs fondamentales de la justice et de la paix. Cette perspective est éclairée de manière décisive par la relation entre les trois Personnes de la Sainte Trinité dans leur unique Substance divine. La Trinité est unité absolue, car les trois Personnes divines sont relationnalité pure. La transparence réciproque entre les Personnes divines est complète et le lien entre l’une et l’autre est total, parce qu’elles constituent une unité et unicité absolue. Dieu veut nous associer nous aussi à cette réalité de communion: «pour qu’ils soient un comme nous sommes un»
Jn 17,22. L’Église est signe et instrument de cette unité (131). Les relations entre les hommes tout au long de l’histoire ne peuvent que tirer avantage de cette référence au divin Modèle. À la lumière de la révélation du mystère de la Trinité, on comprend en particulier que l’ouverture authentique n’implique pas une dispersion centrifuge, mais une compénétration profonde. C’est ce qui apparaît aussi à travers les expériences humaines communes de l’amour et de la vérité. De même que l’amour sacramentel entre les époux les unit spirituellement en «une seule chair» Gn 2,24 Mt 19,5 Ep 5,31 et de deux qu’ils étaient en fait une unité relationnelle réelle, de manière analogue, la vérité unit les esprits entre eux et les fait penser à l’unisson, en les attirant et en les unissant en elle.

- Note: (131) LG 1

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55. La révélation chrétienne de l’unité du genre humain présuppose une interprétation métaphysique de l’humanum où la relation est un élément essentiel. D’autres cultures et d’autres religions enseignent elles aussi la fraternité et la paix, et présentent donc une grande importance pour le développement humain intégral. Il n’est pas rare cependant que des attitudes religieuses ou culturelles ne prennent pas pleinement en compte le principe de l’amour et de la vérité; elles constituent alors un frein au véritable développement humain et même un empêchement. Le monde d’aujourd’hui est pénétré par certaines cultures, dont le fond est religieux, qui n’engagent pas l’homme à la communion, mais l’isolent dans la recherche du bien-être individuel, se limitant à satisfaire ses attentes psychologiques. Une certaine prolifération d’itinéraires religieux suivis par de petits groupes ou même par des personnes individuelles, ainsi que le syncrétisme religieux peuvent être des facteurs de dispersion et de désengagement. La tendance à favoriser un tel syncrétisme est un effet négatif possible du processus de mondialisation (132), lorsqu’il alimente des formes de «religions» qui rendent les personnes étrangères les unes aux autres au lieu de favoriser leur rencontre et qui les éloignent de la réalité. Dans le même temps, subsistent parfois des héritages culturels et religieux qui figent la société en castes sociales immuables, dans des croyances magiques qui ne respectent pas la dignité de la personne, dans des attitudes de sujétion à des forces occultes. Dans de tels contextes, l’amour et la vérité peuvent difficilement s’affirmer, non sans préjudice pour le développement authentique.
C’est pourquoi, s’il est vrai, d’une part, que le développement a besoin des religions et des cultures des différents peuples, il n’en reste pas moins vrai, d’autre part, qu’opérer un discernement approprié est nécessaire. La liberté religieuse ne veut pas dire indifférence religieuse et elle n’implique pas que toutes les religions soient équivalentes (133). Un discernement concernant la contribution que peuvent apporter les cultures et les religions en vue d’édifier la communauté sociale dans le respect du bien commun s’avère nécessaire, en particulier de la part de ceux qui exercent le pouvoir politique. Un tel discernement devra se fonder sur le critère de la charité et de la vérité. Et puisqu’est en jeu le développement des personnes et des peuples, il devra tenir compte de la possibilité d’émancipation et d’intégration dans la perspective d’une communauté humaine vraiment universelle. «Tout l’homme et tous les hommes», c’est un critère qui permet d’évaluer aussi les cultures et les religions. Le Christianisme, religion du «Dieu qui possède un visage humain» (134) porte en lui un tel critère.

- Notes: (132) Cf. Jean-Paul II, Discours à la VIe séance publique des Académies Pontificales, 8 novembre 2001, n. 3; Oss. Rom. fr. n. 47 (2001) p. 6. - (133) Note doctrinale à propos de questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique (24 novembre 2002), n. 8; DC 100 (2003) p. 136. - (134) Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) p. 3-5.

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56. La religion chrétienne et les autres religions ne peuvent apporter leur contribution au développement seulement si Dieu a aussi sa place dans la sphère publique, et cela concerne les dimensions culturelle, sociale, économique et particulièrement politique. La doctrine sociale de l’Église est née pour revendiquer ce «droit de cité» (135) de la religion chrétienne. La négation du droit de professer publiquement sa religion et d’œuvrer pour que les vérités de la foi inspirent aussi la vie publique a des conséquences négatives sur le développement véritable. L’exclusion de la religion du domaine public, comme, par ailleurs, le fondamentalisme religieux, empêchent la rencontre entre les personnes et leur collaboration en vue du progrès de l’humanité. La vie publique s’appauvrit et la politique devient opprimante et agressive. Les droits humains risquent de ne pas être respectés soit parce qu’ils sont privés de leur fondement transcendant soit parce que la liberté personnelle n’est pas reconnue. Dans le laïcisme et dans le fondamentalisme, la possibilité d’un dialogue fécond et d’une collaboration efficace entre la raison et la foi religieuse s’évanouit. La raison a toujours besoin d’être purifiée par la foi, et ceci vaut également pour la raison politique, qui ne doit pas se croire toute puissante. A son tour, la religion a toujours besoin d’être purifiée par la raison afin qu’apparaisse son visage humain authentique. La rupture de ce dialogue a un prix très lourd au regard du développement de l’humanité.

- Note: (135)
CA 5; Benoît XVI, Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) p. 3-5.

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57. Le dialogue fécond entre foi et raison ne peut que rendre plus efficace l’œuvre de la charité dans le champ social et constitue le cadre le plus approprié pour encourager la collaboration fraternelle entre croyants et non croyants dans leur commune intention de travailler pour la justice et pour la paix de l’humanité. Dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes, les Pères du Concile affirmaient: «Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point: tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet» (136). Pour les croyants, le monde n’est le fruit ni du hasard ni de la nécessité, mais celui d’un projet de Dieu. De là naît pour les croyants le devoir d’unir leurs efforts à ceux de tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté appartenant à d’autres religions ou non croyants, afin que notre monde soit effectivement conforme au projet divin: celui de vivre comme une famille sous le regard du Créateur. Le principe de subsidiarité (137), expression de l’inaliénable liberté humaine, est, à cet égard, une manifestation particulière de la charité et un guide éclairant pour la collaboration fraternelle entre croyants et non croyants. La subsidiarité est avant tout une aide à la personne, à travers l’autonomie des corps intermédiaires. Cette aide est proposée lorsque la personne et les acteurs sociaux ne réussissent pas à faire par eux-mêmes ce qui leur incombe et elle implique toujours que l’on ait une visée émancipatrice qui favorise la liberté et la participation en tant que responsabilisation. La subsidiarité respecte la dignité de la personne en qui elle voit un sujet toujours capable de donner quelque chose aux autres. En reconnaissant que la réciprocité fonde la constitution intime de l’être humain, la subsidiarité est l’antidote le plus efficace contre toute forme d’assistance paternaliste. Elle peut rendre compte aussi bien des multiples articulations entre les divers plans et donc de la pluralité des acteurs, que de leur coordination. Il s’agit donc d’un principe particulièrement apte à gouverner la mondialisation et à l’orienter vers un véritable développement humain. Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la «gouvernance» de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux. La mondialisation réclame certainement une autorité, puisqu’est en jeu le problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique (138) pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, pour être concrètement efficace.

- Note: (136)
GS 12 - (137) - (138) PT 74

58
58. Le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité sans la solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin. Cette règle de caractère général doit être prise sérieusement en considération notamment quand il s’agit d’affronter des questions relatives aux aides internationales pour le développement. Malgré l’intention des donateurs, celles-ci peuvent parfois maintenir un peuple dans un état de dépendance et même aller jusqu’à favoriser des situations de domination locale et d’exploitation dans le pays qui reçoit cette aide. Les aides économiques, pour être vraiment telles, ne doivent pas poursuivre des buts secondaires. Elles doivent être accordées en collaboration non seulement avec les gouvernements des pays intéressés, mais aussi avec les acteurs économiques locaux et les acteurs de la société civile qui sont porteurs de culture, y compris les Églises locales. Les programmes d’aide doivent prendre de plus en plus les caractéristiques de programmes intégrés soutenus par la base. Rappelons que la plus grande ressource à mettre en valeur dans les pays qui ont besoin d’aide au développement, est la ressource humaine: c’est là le véritable capital qu’il faut faire grandir afin d’assurer aux pays les plus pauvres un avenir autonome effectif. Il convient aussi de rappeler que, dans le domaine économique, l’aide primordiale dont les pays en voie de développement ont besoin est de permettre et de favoriser l’introduction progressive de leurs produits sur les marchés internationaux, rendant ainsi possible leur pleine participation à la vie économique internationale. Trop souvent, par le passé, les aides n’ont servi qu’à créer des marchés marginaux pour les produits de ces pays. Cela est souvent dû à l’absence d’une véritable demande pour ces produits: il est donc nécessaire d’aider ces pays à améliorer leurs produits et à mieux les adapter à la demande. Il faut souligner encore que nombreux sont ceux qui ont longtemps craint la concurrence des importations de produits, en général agricoles, provenant des pays économiquement pauvres. Il ne faut cependant pas oublier que pour ces pays, la possibilité de commercialiser ces produits signifie souvent assurer leur survie à court et à long terme. Un commerce international juste et équilibré dans le domaine agricole peut être profitable à tous, aussi bien du côté de l’offre que de celui de la demande. C’est pourquoi, il est nécessaire, non seulement, d’orienter ces productions sur le plan commercial, mais aussi d’établir des règles commerciales internationales qui les soutiennent, tout en renforçant le financement des aides au développement pour rendre ces économies plus productives.

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59. La coopération au développement ne doit pas prendre en considération la seule dimension économique; elle doit devenir une grande occasion de rencontre culturelle et humaine. Si les acteurs de la coopération des pays économiquement développés ne prennent pas en compte leur propre identité culturelle, comme cela arrive parfois, ni celle des autres et des valeurs humaines qui y sont liées, ils ne peuvent pas instaurer un dialogue profond avec les citoyens des pays pauvres. Si, à leur tour, ces derniers s’ouvrent, indifféremment et sans discernement, à n’importe quelle proposition culturelle, ils ne sont plus en mesure d’assumer la responsabilité de leur développement authentique (139). Les sociétés technologiquement avancées ne doivent pas confondre leur propre développement technologique avec une soi-disant supériorité culturelle, mais elles doivent redécouvrir en elles-mêmes les vertus, parfois oubliées, qui les ont fait progresser tout au long de leur histoire. Les sociétés en voie de développement doivent rester fidèles à tout ce qui est authentiquement humain dans leurs traditions, en évitant d’y superposer automatiquement les mécanismes de la civilisation technologique mondiale. De multiples et singulières convergences éthiques se trouvent dans toutes les cultures; elles sont l’expression de la même nature humaine, voulue par le Créateur et que la sagesse éthique de l’humanité appelle la loi naturelle (140). Cette loi morale universelle est le fondement solide de tout dialogue culturel, religieux et politique et elle permet au pluralisme multiforme des diverses cultures de ne pas se détacher de la recherche commune du vrai, du bien et de Dieu. L’adhésion à cette loi inscrite dans les cœurs, est donc le présupposé de toute collaboration sociale constructive. Toutes les cultures ont des pesanteurs dont elles doivent se libérer, des ombres auxquelles elles doivent se soustraire. La foi chrétienne, qui s’incarne dans les cultures en les transcendant, peut les aider à grandir dans la convivialité et dans la solidarité universelles au bénéfice du développement communautaire et planétaire.

- Notes: (139)
PP 10 PP 41 - (140) Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de la Commission théologique internationale, 5 octobre 2007; DC 104 (2007) p. 1084-1086 ; Id., Discours au Congrès international sur la loi naturelle, Université pontificale du Latran, 12 février 2007; DC 104 (2007) p. 354-356.

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60. Dans la recherche de solutions à la crise économique actuelle, l’aide au développement des pays pauvres doit être considérée comme un véritable instrument de création de richesse pour tous. Quel projet d’aide peut prévoir une croissance de valeur aussi significative – y compris de l’économie mondiale – comme peut le faire le soutien aux populations qui se trouvent encore à une phase initiale ou peu avancée de leur processus de développement économique ? Dans cette perspective, les États économiquement plus développés feront tout leur possible pour destiner aux aides au développement un pourcentage plus important de leur produit intérieur brut, en respectant les engagements pris dans ce domaine au niveau de la communauté internationale. Ils pourront le faire aussi en révisant leurs politiques intérieures d’assistance et de solidarité sociale, y appliquant le principe de subsidiarité et créant des systèmes de protection sociale mieux intégrés, qui favorisent une participation active des personnes privées et de la société civile. De cette manière, il est même possible d’améliorer les services sociaux et les organismes d’assistance et, en même temps, d’épargner des ressources en éliminant le gaspillage et les indemnités abusives, qui pourraient être destinées à la solidarité internationale. Un système de solidarité sociale plus largement participatif et mieux organisé, moins bureaucratique sans être pour autant moins coordonné, permettrait de valoriser de nombreuses énergies, actuellement en sommeil, et tournerait à l’avantage de la solidarité entre les peuples.
Une possibilité d’aide au développement pourrait résider dans l’application efficace de ce qu’on appelle communément la subsidiarité fiscale, qui permettrait aux citoyens de décider de la destination d’une part de leurs impôts versés à l’État. En ayant soin d’éviter toute dégénération dans le particularisme, cela peut aider à encourager des formes de solidarité sociale à partir des citoyens eux-mêmes, avec des bénéfices évidents sur le plan la solidarité pour le développement.

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61. Une solidarité plus large au niveau international s’exprime avant tout en continuant à promouvoir, même dans des situations de crise économique, un meilleur accès à l’éducation, qui est, par ailleurs, la condition essentielle pour que la coopération internationale elle-même soit efficace. Le terme «éducation» ne renvoie pas seulement à l’instruction ou à la formation professionnelle, toutes deux essentielles pour le développement, mais à la formation complète de la personne. A ce propos, il convient de souligner un aspect problématique: pour éduquer il faut savoir qui est la personne humaine, en connaître la nature. Une vision relativiste de cette nature qui tend à s’affirmer de plus en plus pose de sérieux problèmes pour l’éducation, et en particulier pour l’éducation morale, car elle en compromet l’extension au niveau universel. Si l’on cède à un tel relativisme, tous deviennent plus pauvres et cela n’est pas sans conséquences négatives sur l’efficacité même des aides en faveur des populations démunies, qui n’ont pas que des nécessités économiques ou techniques mais qui ont aussi besoin de voies et de moyens pédagogiques qui puissent soutenir les personnes en vue de leur plein épanouissement humain.
Un exemple de l’importance de ce problème nous est offert par le phénomène du tourisme international (141) qui peut constituer un facteur notable de développement économique et de croissance culturelle, mais qui peut aussi se transformer en occasion d’exploitation et de déchéance morale. La situation actuelle offre des opportunités uniques pour que les aspects économiques du développement, c’est-à-dire les mouvements de fonds et la création au niveau local d’entreprises d’importance significative, arrivent à être associés aux aspects culturels, au nombre desquels l’aspect éducatif figure en premier lieu. Cela se réalise en de nombreux cas, mais en bien d’autres le tourisme international est un facteur contre-éducatif aussi bien pour le touriste que pour les populations locales. Ces dernières sont souvent confrontées à des comportements immoraux ou même pervers, comme c’est le cas du tourisme dit sexuel, pour lequel tant d’êtres humains sont sacrifiés, même à un jeune âge. Il est douloureux de constater que cela se produit souvent avec l’aval des gouvernements locaux, avec le silence de ceux d’où proviennent les touristes et avec la complicité de nombreux opérateurs de ce secteur. Même si l’on n’atteint pas toujours de tels excès, le tourisme international est vécu, bien souvent, dans un esprit de consommation et de manière hédoniste; il est vu comme une évasion, avec des modes d’organisation spécifiques aux pays de provenance, de sorte qu’il ne favorise en rien une rencontre véritable entre personnes et cultures. Il convient alors d’imaginer un tourisme différent, capable de promouvoir une vraie connaissance réciproque, sans enlever les espaces nécessaires au repos et à un sain divertissement: un tourisme de ce type doit être développé, en favorisant des liens plus étroits entre les expériences de coopération internationale et celles d’entreprises pour le développement.

- Note: (141) Cf. Benoît XVI, Discours aux évêques de Thaïlande en visite ad limina, 16 mai 2008; DC 105 (2008) p. 652. Oss. Rom. fr. n. 22 (2008) p. 10.

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62. Le phénomène des migrations est un autre aspect qui mérite attention quand on parle de développement humain intégral. C’est un phénomène qui impressionne en raison du nombre de personnes qu’il concerne, des problématiques sociale, économique, politique, culturelle et religieuse qu’il soulève, et à cause des défis dramatiques qu’il lance aux communautés nationales et à la communauté internationale. Nous pouvons dire que nous nous trouvons face à un phénomène social caractéristique de notre époque, qui requiert une politique de coopération internationale forte et perspicace sur le long terme afin d’être pris en compte de manière adéquate. Une telle politique doit être développée en partant d’une étroite collaboration entre les pays d’origine des migrants et les pays où ils se rendent; elle doit s’accompagner de normes internationales adéquates, capables d’harmoniser les divers ordres législatifs, dans le but de sauvegarder les exigences et les droits des personnes et des familles émigrées et, en même temps, ceux des sociétés où arrivent ces mêmes émigrés. Aucun pays ne peut penser être en mesure de faire face seul aux problèmes migratoires de notre temps. Nous sommes tous témoins du poids de souffrances, de malaise et d’aspirations qui accompagne les flux migratoires. La gestion de ce phénomène est complexe, nous le savons tous; il s’avère toutefois que les travailleurs étrangers, malgré les difficultés liées à leur intégration, apportent par leur travail, une contribution appréciable au développement économique du pays qui les accueille, mais aussi à leur pays d’origine par leurs envois d’argent. Il est évident que ces travailleurs ne doivent pas être considérés comme une marchandise ou simplement comme une force de travail. Ils ne doivent donc pas être traités comme n’importe quel autre facteur de production. Tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toute circonstance (142).

- Note: (142) Cf. Conseil pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, Instruction Erga migrantes caritas Christi, 3 mai 2004: AAS 96 (2004), 762-822; DC 101 (2004) p. 658-692.

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63. En considérant les problèmes du développement, on ne peut omettre de souligner le lien étroit existant entre pauvreté et chômage. Dans de nombreux cas, la pauvreté est le résultat de la violation de la dignité du travail humain, soit parce que les possibilités de travail sont limitées (chômage ou sous-emploi), soit parce qu’on mésestime «les droits qui en proviennent, spécialement le droit au juste salaire, à la sécurité de la personne du travailleur et de sa famille» (143). C’est pourquoi, le 01-05-2000, mon Prédécesseur de vénérée mémoire, Jean-Paul II, lançait un appel à l’occasion du Jubilé des Travailleurs pour «une coalition mondiale en faveur du travail digne» (144), en encourageant la stratégie de l’Organisation Internationale du Travail. De cette manière, il donnait une forte réponse morale à cet objectif auquel aspirent les familles dans tous les pays du monde. Que veut dire le mot «décent» lorsqu’il est appliqué au travail? Il signifie un travail qui, dans chaque société, soit l’expression de la dignité essentielle de tout homme et de toute femme: un travail choisi librement, qui associe efficacement les travailleurs, hommes et femmes, au développement de leur communauté; un travail qui, de cette manière, permette aux travailleurs d’être respectés sans aucune discrimination; un travail qui donne les moyens de pourvoir aux nécessités de la famille et de scolariser les enfants, sans que ceux-ci ne soient eux-mêmes obligés de travailler; un travail qui permette aux travailleurs de s’organiser librement et de faire entendre leur voix; un travail qui laisse un temps suffisant pour retrouver ses propres racines au niveau personnel, familial et spirituel; un travail qui assure aux travailleurs parvenus à l’âge de la retraite des conditions de vie dignes.

- Notes: (143)
LE 8 - (144) Jean-Paul II, Jubilé des Travailleurs, Discours au terme de la concélébration eucharistique; DC 97 (2000) p. 455.

64
64. En réfléchissant sur le thème du travail, il est opportun d’évoquer l’exigence urgente que les organisations syndicales des travailleurs, qui ont toujours été encouragées et soutenues par l’Église, s’ouvrent aux nouvelles perspectives qui émergent dans le domaine du travail. Dépassant les limites propres des syndicats catégoriels, les organisations syndicales sont appelées à affronter les nouveaux problèmes de nos sociétés: je pense, par exemple, à l’ensemble des questions que les spécialistes en sciences sociales repèrent dans les conflits entre individu-travailleur et individu-consommateur. Sans nécessairement épouser la thèse selon laquelle on est passé de la position centrale du travailleur à celle du consommateur, il semble toutefois que cela soit un terrain favorable à des expériences syndicales novatrices. Le contexte d’ensemble dans lequel se déroule le travail requiert lui aussi que les organisations syndicales nationales, qui se limitent surtout à la défense des intérêts de leurs propres adhérents, se tournent vers ceux qui ne le sont pas et, en particulier, vers les travailleurs des pays en voie de développement où les droits sociaux sont souvent violés. La défense de ces travailleurs, promue aussi à travers des initiatives opportunes envers les pays d’origine, permettra aux organisations syndicales de mettre en évidence les authentiques raisons éthiques et culturelles qui leur ont permis, dans des contextes sociaux et de travail différents, d’être un facteur décisif du développement. L’enseignement traditionnel de l’Église reste toujours valable lorsqu’il propose la distinction des rôles et des fonctions du syndicat et de la politique. Cette distinction permettra aux organisations syndicales de déterminer dans la société civile le domaine qui sera le plus approprié à leur action nécessaire pour la défense et la promotion du monde du travail, surtout en faveur des travailleurs exploités et non représentés, dont l’amère condition demeure souvent ignorée par les yeux distraits de la société.

65
65. Il faut enfin que la finance en tant que telle, avec ses structures et ses modalités de fonctionnement nécessairement renouvelées après le mauvais usage qui en a été fait et qui a eu des conséquences néfastes sur l’économie réelle, redevienne un instrument visant à une meilleure production de richesses et au développement. Toute l’économie et toute la finance, et pas seulement quelques-uns de leurs secteurs, doivent, en tant qu’instruments, être utilisés de manière éthique afin de créer les conditions favorables pour le développement de l’homme et des peuples. Il est certainement utile, et, en certaines circonstances, indispensable, de donner vie à des initiatives financières où la dimension humanitaire soit dominante. Mais cela ne doit pas faire oublier que le système financier tout entier doit être orienté vers le soutien d’un développement véritable. Il faut surtout que l’objectif de faire le bien ne soit pas opposé à celui de la capacité effective à produire des biens. Les opérateurs financiers doivent redécouvrir le fondement véritablement éthique de leur activité afin de ne pas faire un usage abusif de ces instruments sophistiqués qui peuvent servir à tromper les épargnants. L’intention droite, la transparence et la recherche de bons résultats sont compatibles et ne doivent jamais être séparés. Si l’amour est intelligent, il sait trouver même les moyens de faire des opérations qui permettent une juste et prévoyante rétribution, comme le montrent, de manière significative, de nombreuses expériences dans le domaine du crédit coopératif.
Une réglementation de ce secteur qui vise à protéger les sujets les plus faibles et à empêcher des spéculations scandaleuses, tout comme l’expérimentation de formes nouvelles de finance destinées à favoriser des projets de développement sont des expériences positives qu’il faut approfondir et encourager, en faisant appel à la responsabilité même de l’épargnant. - L’expérience de la microfinance elle aussi, qui s’enracine dans la réflexion et dans l’action de citoyens humanistes – je pense surtout à la création des Monts de Piété –, doit être renforcée et actualisée, surtout en ces temps où les problèmes financiers peuvent devenir dramatiques pour les couches les plus vulnérables de la population qu’il faut protéger contre les risques du prêt usuraire ou du désespoir. Il faut que les sujets les plus faibles apprennent à se défendre des pratiques usuraires, tout comme il faut que les peuples pauvres apprennent à tirer profit du microcrédit, décourageant de cette manière les formes d’exploitation possibles en ces deux domaines. Puisqu’il existe également de nouvelles formes de pauvreté dans les pays riches, la microfinance peut apporter des aides concrètes pour la création d’initiatives et de secteurs nouveaux en faveur des franges les plus fragiles de la société, même en une période d’appauvrissement possible de l’ensemble de la société.

66
66. L’interconnexion mondiale a fait surgir un nouveau pouvoir politique, celui des consommateurs et de leurs associations. C’est un phénomène sur lequel il faut approfondir la réflexion: il comporte des éléments positifs qu’il convient d’encourager et aussi des excès à éviter. Il est bon que les personnes se rendent compte qu’acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral. Le consommateur a donc une responsabilité sociale précise qui va de pair avec la responsabilité sociale de l’entreprise. Les consommateurs doivent être éduqués en permanence (145) sur le rôle qu’ils jouent chaque jour et qu’ils peuvent exercer dans le respect des principes moraux, sans diminuer la rationalité économique intrinsèque de l’acte d’acheter. Dans ce domaine des achats aussi, surtout en des moments comme ceux que nous vivons où le pouvoir d’achat risque de s’affaiblir et où il faudra consommer de manière plus sobre, il est opportun d’ouvrir d’autres voies, comme par exemple des formes de coopération à l’achat, telles que les coopératives de consommation, créées à partir du XIXe siècle grâce notamment à l’initiative des catholiques. Il est en outre utile de favoriser de nouvelles formes de commercialisation des produits en provenance des régions pauvres de la planète afin d’assurer aux producteurs une rétribution décente, à condition toutefois que le marché soit vraiment transparent, que les producteurs ne reçoivent pas seulement des marges bénéficiaires supérieures mais aussi une meilleure formation, une compétence professionnelle et technologique et qu’enfin des idéologies partisanes ne soient pas associées à de telles expériences d’économie pour le développement. Il est souhaitable que, comme facteur de démocratie économique, les consommateurs aient un rôle plus décisif, à condition qu’ils ne soient pas eux-mêmes manipulés par des associations peu représentatives.

- Note: (145)
CA 36

67
67. Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. On ressent également fortement l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger (146) et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions communes. Cela est d’autant plus nécessaire pour la recherche d’un ordre politique, juridique et économique, susceptible d’accroître et d’orienter la collaboration internationale vers le développement solidaire de tous les peuples. Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du bien commun (147), s’engager pour la promotion d’un authentique développement humain intégral qui s’inspire des valeurs de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous, jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits (148). Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux. En l’absence de ces conditions, le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants. Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation (149) et que soit finalement mis en place un ordre social conforme à l’ordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale, entre le politique et la sphère économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations Unies.

- Notes: (146) Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105 (2008) pp. 533-537. - (147); Conseil pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 441. - (148)
GS 82(149) SRS 43

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