Christifideles laici FR 13

Temples vivants de l'Esprit Saint

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A l'aide d'une autre image, celle d'un édifice, l'apôtre Pierre définit les baptisés comme des "pierre vivantes" fondées sur le Christ, qui est Lui la "pierre angulaire"; et ils sont destinés à la "construction d'un édifice spirituel" (
1P 2,5 cf. suiv.). Cette image nous introduit à un autre aspect de la nouveauté du baptême que le Concile Vatican II présente en ces termes: "Les baptisés, en effet, par la régénération et l'onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle"(18).

18- LG 10.


L'Esprit Saint "oint" le baptisé, Il imprime sur lui un sceau indélébile (cf.2Co 1,21-22), et Il le constitue temple spirituel, c'est-à-dire qu'Il le remplit de la sainte présence de Dieu grâce à l'union et à la conformité avec Jésus-Christ.

Fort de cette "onction" spirituelle, le chrétien peut, à sa manière, répéter les paroles de Jésus: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'Il m'a consacré par l'onction; Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers leur libération et aux aveugles le retour de la vue, remettre en liberté les opprimés et proclamer une année de grâce du Seigneur" (Lc 4,18-19 cf.Is 61,1-2). Ainsi, par l'effusion du Baptême et de la Confirmation, le baptisé participe à la mission même du Christ Jésus, le Messie Sauveur.


Participants a la fonction sacerdotale,

prophétique et royale

de Jésus-Christ


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S'adressant aux baptisés comme à des "enfants qui viennent de naître", l'apôtre Pierre écrit: "Approchez-vous de Lui: Il est la pierre vivante, que les hommes ont éliminée, mais que Dieu a choisie parce qu'il en connaît la valeur. Vous aussi, soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus... Oui, c'est vous qui êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu; vous êtes donc chargés d'annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière..." (
1P 2,4-5 1P 2,9).

C'est là un nouvel aspect de la grâce et de la dignité du baptême: les fidèles laïcs participent, pour leur part, à la triple fonction de Jésus-Christ: sacerdotale, prophétique et royale. C'est un aspect qui, certes, n'a jamais été négligé par la tradition vivante de l'Eglise, comme on le voit, par exemple, dans l'explication du Psaume 26 que nous présente Saint Augustin: "David reçut l'onction royale. En ce temps-là, il n'y avait à la recevoir que le roi et le prêtre. Ces deux personnes préfiguraient le futur roi-prêtre unique, le Christ (le mot "Christ" vient de "chrisma", qui signifie "onction"). Et notre chef n'a pas été seul à recevoir l'onction, mais nous aussi, qui sommes son corps, nous l'avons reçue avec Lui... Voilà pourquoi l'onction est donnée à tous les chrétiens, alors que dans l'Ancien Testament elle n'était le fait que de deux personnes seulement. Que nous soyons le corps du Christ, cela ressort clairement du fait que nous avons tous reçu l'onction et qu'en Lui nous sommes oints (christi) et Christ, parce que, d'une certaine manière, la tête et le corps forment le Christ dans son intégrité"(19).

19- S. Augustin, Enarr. in Ps 36, II,2; CCL 38,154 et ss.


Dans le sillage du Concile Vatican II(20), dès le début de mon service pastoral, j'ai tenu à exalter la dignité sacerdotale, prophétique et royale de tout le Peuple de Dieu: "Celui qui est né de la Vierge Marie disais-je le fils du charpentier, à ce qu'on croyait, le Fils du Dieu vivant, comme le proclamait Pierre, est venu pour faire de nous tous "un royaume de prêtres". Le Concile Vatican II nous a rappelé le mystère de ce pouvoir et aussi le fait que la mission du Christ, Prêtre, Prophète-Maître, Roi, se poursuit dans l'Eglise. Tous, le Peuple de Dieu tout entier, participent à cette triple mission"(21).

20- LG 10
21- Jean Paul II, Homélie au commencement de son ministère de Pasteur Surpême de l'Eglise (22 octobre 1978): AAS 70 (1978), 946.


Par cette Exhortation, nous voulons inviter encore une fois les fidèles laïcs à relire, à méditer et à assimiler avec intelligence et amour l'enseignement si fécond et si riche du Concile qui touche à leur participation à la triple fonction du Christ(22). Voici à présent une brève synthèse des éléments essentiels de cet enseignement.

22- Cf. Le rappel de cet enseignement dans l'Instrumentum laboris, "la vocation et la mission des laïcs dans l'Eglise et dans le monde vingt ans après le Concile Vatican II", 25.


Les fidèles laïcs participent à l'office sacerdotal, par lequel Jésus s'est offert Lui-même sur la Croix et continue encore à s'offrir dans la célébration de l'Eucharistie à la gloire du Père pour le salut de l'humanité. Incorporés à Jésus-Christ, les baptisés sont unis à Lui et à son sacrifice par l'offrande d'eux-mêmes et de toutes leurs activités (cf. Rm 12,1-2). Parlant des fidèles laïcs, le Concile déclare: "Toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d'esprit et de corps, s'ils sont vécus dans l'Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu'elles soient patiemment supportées, tout cela devient offrandes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ (cf. 1P 2,5) ; et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l'oblation du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C'est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la sainteté de leur vie un culte d'adoration"(23).

23- LG 34


La participation à l'office prophétique du Christ "qui proclame, par le témoignage de sa vie et la vertu de sa parole, le royaume du Père"(24), habilite et engage les fidèles laïcs à recevoir l'Evangile dans la foi, et à l'annoncer par la parole et par les actes, sans hésiter à dénoncer courageusement le mal. Unis au Christ, "le grand prophète" (Lc 7,16), et constitués dans l'Esprit "témoins" du Christ ressuscité, les fidèles laïcs sont rendus participants autant au sens de la foi surnaturelle de l'Eglise qui "ne peut se tromper dans la foi"(25) qu'à la grâce de la parole (cf.Ac 2,17-18 Ap 19,10) ; ils sont au surplus appelés à faire briller la nouveauté et la force de l'Evangile dans leur vie quotidienne, familiale et sociale, comme aussi à exprimer, avec patience et courage, dans les difficultés de l'époque présente leur espérance de la gloire "même à travers les structures de la vie du siècle"(26).

24- LG 35
25- LG 12
26- LG 35


Par leur appartenance au Christ, Seigneur et Roi de l'Univers, les fidèles laïcs participent à son office royal, et sont appelés par Lui au service du Royaume de Dieu et à sa diffusion dans l'histoire. Ils vivent la royauté chrétienne tout d'abord par le combat spirituel qu'ils mènent pour détruire en eux le règne du péché (cf.Rm 6,12) et ensuite par le don d'eux-mêmes pour servir, dans la charité et dans la justice, Jésus Lui-même, présent en tous ses frères, surtout dans les plus petits (cf. Mt 25,40).

Mais les fidèles laïcs sont appelés en particulier à redonner à la création toute sa valeur originelle. En liant la création au bien véritable de l'homme par une activité soutenue par la vie de la grâce, ils participent à l'exercice du pouvoir par lequel Jésus Ressuscité attire à Lui toutes les choses et les soumet, en même temps qu'Il se soumet Lui-même, au Père, de sorte que Dieu soit tout en tous (cf.Jn 12,32 1Co 15,28).

La participation des laïcs à la triple fonction de Jésus Prêtre, Prophète et Roi, trouve d'abord sa racine dans l'onction du Baptême, puis son développement dans la Confirmation et son achèvement et son soutien dans l'Eucharistie. C'est une participation qui est donnée, il est vrai, à chaque fidèle laïc, mais en tant qu'ils forment l'unique Corps du Christ: en effet, Jésus enrichit de ses dons l'Eglise elle-même parce que l'Eglise est son Corps et son Epouse. Ainsi c'est en tant que membre de l'Eglise que chacun participe à la triple fonction du Christ, comme l'enseigne clairement l'apôtre Pierre; il appelle, en effet, les baptisés "la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu" ( 1P 2,9). Et c'est justement parce qu'elle découle de la communion ecclésiale, que cette participation des fidèles laïcs à la triple fonction du Christ exige d'être vécue et réalisée dans la communion et pour la croissance de cette communion même. Saint Augustin écrit: "De même que nous nous appelons tous chrétiens (christiani) en raison de l'onction (chrisma) mystique, de même nous nous appelons tous prêtres, parce que nous sommes membres de l'unique Prêtre"(27).

27- S. Augustin, De Civitate Dei, XX,10 : CCL 48,720.


Les fidèles laïcs et le caractère séculier

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La nouveauté chrétienne est le fondement et le titre de l'égalité de tous ceux qui sont les baptisés dans le Christ, de tous les membres du Peuple de Dieu: "Commune est la dignité des membres du fait de leur régénération dans le Christ; commune la grâce d'adoption filiale; commune la vocation à la perfection; il n'y a qu'un salut, une espérance, une charité sans division"(28). En vertu de cette dignité baptismale commune, le fidèle laïc est co-responsable, avec tous les ministres ordonnés et avec les religieux et les religieuses, de la mission de l'Eglise.

28-
LG 32


Mais cette dignité baptismale commune revêt chez le fidèle laïc une modalité qui le distingue, sans toutefois l'en séparer, du prêtre, du religieux, de la religieuse. Le Concile Vatican II a indiqué que cette modalité se trouve dans le caractère séculier: "Le caractère séculier est le caractère propre et particulier des laïcs"(29).

29- LG 31


Pour saisir de façon complète, adaptée et spécifique, la condition ecclésiale du fidèle laïc, il faut approfondir la portée théologique du caractère séculier, à la lumière du dessein salvifique de Dieu et du mystère de l'Eglise.

Comme l'affirme Paul VI, l'Eglise "a une authentique dimension séculière, inhérente à sa nature intime et à sa mission, dont la racine plonge dans le mystère du Verbe Incarné, et qui s'est réalisée sous des formes diverses pour ses membres"(30).

30- Paul VI, Discours aux supérieurs et membres des instituts séculiers (2 février 1972): AAS 64(1972), 208.


L'Eglise, en effet, vit dans ce monde, même si elle n'est pas de ce monde (cf.Jn 17,16), et elle est envoyée pour continuer l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ; cette oeuvre, "qui concerne essentiellement le salut des hommes, embrasse aussi le renouvellement de tout l'ordre temporel"(31).

31- AA 5


Il est certain que tous les membres de l'Eglise participent à sa dimension séculière; mais cela de façons diverses. En particulier la participation des fidèles laïcs a une modalité de réalisation et de fonction, qui, selon le Concile, leur est "propre et particulière": c'est cette modalité que l'on désigne du nom de "caractère séculier"(32).

32- LG 31


Dans le concret, le Concile parle de la condition des fidèles laïcs en la désignant, avant tout, comme le lieu ou leur est adressé l'appel de Dieu: "C'est là qu'ils sont appelés"(33). Il s'agit ici d'un "lieu" présenté en termes dynamiques: les fidèles laïcs "vivent au milieu du siècle, c'est-à-dire engagés dans tous les divers devoirs et travaux du monde, dans les conditions ordinaires de la vie familiale et sociale dont leur existence est comme tissée"(34). Ce sont des personnes qui vivent une vie normale dans le monde, étudient, travaillent, créent des rapports amicaux, sociaux, professionnels, culturels. Le Concile ne considère pas simplement leur condition comme un cadre extérieur et un environnement, mais bien comme une réalité destinée à trouver en Jésus-Christ la plénitude de son sens(35). Il va même jusqu'à affirmer que "le Verbe Incarné en personne a voulu entrer dans le jeu de cette solidarité... Il a sanctifié les liens humains, notamment ceux de la famille, source de la vie sociale. Il s'est volontairement soumis aux lois de sa patrie. Il a voulu mener la vie même d'un artisan de son temps et de sa région"(36).

33- LG 31
34- LG 31
35- LG 48
36- GS 32


Le "monde" devient ainsi le milieu et le moyen de la vocation chrétienne des fidèles laïcs, parce qu'il est lui-même destiné à glorifier Dieu le Père dans le Christ. Le Concile peut dès lors indiquer le sens propre et particulier de l'appel de Dieu qui s'adresse aux fidèles laïcs. Ils ne sont pas invités à abandonner la position qu'ils occupent dans le monde. Le baptême, en effet, ne les retire pas du monde (comme le souligne l'apôtre Paul: "Que chacun, mes frères, reste devant Dieu dans la condition ou il se trouvait quand il a été appelé" ( 1Co 7,24) ); mais il leur confie une vocation qui concerne justement leur situation dans le monde: les fidèles laïcs, en effet, sont "appelés par Dieu à travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l'esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d espérance et de charité"(37). Ainsi, l'être et l'agir dans le monde sont pour les fidèles laïcs une réalité non seulement anthropologique et sociologique, mais encore et spécifiquement théologique et ecclésiale. Dans leur situation au milieu du monde, en effet, Dieu manifeste son dessein et leur communique leur vocation particulière de "chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu"(38).

37- LG 31
38- LG 31


C'est précisément dans cette optique que les Pères du Synode ont déclaré: "Le caractère séculier du fidèle laïc n'est donc pas à définir seulement dans un sens sociologique, mais surtout en un sens théologique. Le caractère séculier doit s'entendre à la lumière de l'acte créateur et rédempteur de Dieu, qui a confié le monde aux hommes et aux femmes, pour qu'ils participent à l'oeuvre de la création, qu'ils libèrent la création elle-même de l'influence du péché et qu'ils se sanctifient dans le mariage ou dans le célibat, dans la famille, dans la profession et dans les différentes activités sociales"(39).

39- Proposition 4.


La condition ecclésiale des fidèles laïcs est définie dans sa racine à partir de la nouveauté chrétienne et caractérisée par son caractère séculier (40).

40- "Membres à part entière du Peuple de Dieu et du Corps mystique, participant par le moyen du Baptême à la triple fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, les laïcs expriment et mettent en valeur les richesses de cette dignité en vivant dans le monde. Ce qui pour les hommes qui appartiennent au ministère ordonné peut constituer une tâche supplémentaire ou exceptionnelle, est à considérer comme une mission typique pour les laïcs. Leur vocation propre consiste 'à chercher des choses temporelles, qu'ils ordonnent selon Dieu' (LG 31)" (Jean Paul II;, Angelus (15 mars 1987); Insegnamenti, X,1 (1987).


Les images évangéliques du sel, de la lumière et du levain, bien qu'elles s'adressent indistinctement à tous les disciples de Jésus, s'appliquent de façon toute spéciale aux fidèles laïcs. Ce sont des images merveilleusement significatives, parce qu'elles traduisent non seulement l'insertion profonde et la participation totale des fidèles laïcs sur la terre, dans le monde, dans la communauté humaine, mais surtout la nouveauté et l'originalité d'une insertion et d'une participation destinées à la diffusion de l'Evangile qui sauve.


Appelés a la sainteté

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La dignité des fidèles laïcs se révèle à nous dans sa plénitude si nous examinons la vocation première et fondamentale que le Père offre en Jésus-Christ par l'intermédiaire de l'Esprit à chacun d'eux: la vocation à la sainteté, c'est-à-dire à la perfection de la charité. Le saint est le témoignage le plus éclatant de la dignité conférée au disciple du Christ.

Sur la vocation universelle à la sainteté, le Concile Vatican II s'est exprimé en termes lumineux. On peut affirmer que c'est l'orientation principale qui a été fixée pour les fils et les filles de l'Eglise, par ce Concile voulu pour le renouvellement évangélique de la vie chrétienne(41). Cette orientation n'est pas une simple exhortation morale, mais une exigence incontournable du mystère de l'Eglise: l'Eglise est la Vigne choisie, par le moyen de laquelle les sarments vivent et grandissent de la sève même du Christ, sainte et sanctifiante; elle est le Corps mystique dont les membres participent à la même vie de sainteté que la tête, qui est le Christ; elle est l'Epouse aimée du Seigneur Jésus, qui s'est livré pour la sanctifier (cf.
Ep 5,25 cf. suiv.). L'Esprit Saint qui sanctifia la nature humaine de Jésus dans le sein virginal de Marie (cf.Lc 1,35) est le même Esprit qui demeure et opère dans l'Eglise pour lui communiquer la sainteté du Fils de Dieu fait homme.

41- Voir en particulier le chapitre V sur l'Eglise LG 39-42, qui traite de la vocation universelle à la sainteté dans l'Eglise".


Il est aujourd'hui plus urgent que jamais que tous les chrétiens reprennent le chemin du renouveau évangélique, recevant avec générosité l'invitation de l'Apôtre à "être saints dans toute la conduite" (1P 1,15). Le Synode extraordinaire de 1985, vingt ans après la clôture du Concile, a fort à propos insisté sur cette urgence: "Etant donné que l'Eglise dans le Christ est mystère, elle doit être considérée comme un signe et un instrument de sainteté. Les saints et les saintes ont toujours été source et origine de renouvellement dans les moments les plus difficiles de l'histoire de l'Eglise. Aujourd'hui nous avons un besoin très grand de saints; nous devons en demander au Seigneur avec insistance"(42).

42- IIème Ass. Gén. Extr. Synode des Evêques (1985), Ecclesia sub Verbo Dei mysteria Christi celebrans pro salute mundi. Relatio finalis, II,A,4.


Tous, dans l'Eglise, précisément parce qu'ils sont ses membres, reçoivent et donc partagent la vocation commune à la sainteté. De plein droit, et sans aucune différence avec les autres membres de l'Eglise, les fidèles laïcs sont appelés à la sainteté: "L'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s'adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang"(43); "Tous les fidèles du Christ sont donc invités et obligés à poursuivre la sainteté et la perfection de leur état"(44).

43- LG 40
44- LG 42. Ces affirmations du Concile, solennelles et parfaitement claires, nous redisent une vérité fondamentale de la foi chrétienne. Ainsi par exemple, Pie XI, dans l'encyclique Castri connubii, adressée aux époux chrétiens, écrit: "Tous peuvent et doivent, de quelque condition qu'ils soient, quel que soit l'état de vie qu'ils ont choisi, imiter le modèle parfait de toute sainteté, proposé par Dieu aux hommes, qui est notre Seigneur Jésus-Christ; et avec l'aide de Dieu, ils peuvent et doivent parvenir au sommet de la perfection chrétienne, comme nous le prouvent les exemples de tant de saints" : AAS 22 (1930), 548.


La vocation à la sainteté plonge ses racines dans le Baptême et elle est réactivée par les autres sacrements; principalement par l'Eucharistie: revêtus de Jésus-Christ et abreuvés de son Esprit, les chrétiens sont "saints", et sont, de ce fait, habilités et engagés à manifester la sainteté de leur être dans la sainteté de tout leur agir. L'apôtre Paul ne se lasse pas d'engager tous les chrétiens à vivre "comme il convient à des saints" (Ep 5,3).

La vie selon l'Esprit, dont le fruit est la sanctification ( Rm 6,22 cf. Ga 5,22), suscite en tous les baptisés et en chacun d'eux le désir et l'exigence de suivre et d'imiter Jésus-Christ, en accueillant ses Béatitudes, en écoutant et méditant la parole de Dieu, en participant de façon consciente et active à la vie liturgique et sacramentelle de l'Eglise, en s'adonnant à la prière individuelle, familiale et communautaire, en s'ouvrant à la faim et à la soif de justice, en pratiquant le commandement de l'amour dans toutes les circonstances de la vie et dans le service auprès de leurs frères, spécialement de ceux qui sont humbles, pauvres et souffrants.


Se sanctifier dans le monde

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La vocation des fidèles laïcs à la sainteté exige que la vie selon l'Esprit s'exprime de façon particulière dans leur insertion dans les réalités temporelles et dans leur participation aux activités terrestres. C'est encore l'Apôtre qui nous y engage: "Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus-Christ, en offrant par Lui votre action de grâce à Dieu le Père" (
Col 3,17). Appliquant les paroles de l'Apôtre aux fidèles laïcs, le Concile affirme de façon très ferme: "Ni le soin de leur famille, ni les affaires temporelles ne doivent être étrangers à leur spiritualité"(45). Après eux, les Pères du Synode ont déclaré: "L'unité de la vie des fidèles laïcs est d'une importance extrême: ils doivent, en effet, se sanctifier dans la vie ordinaire, professionnelle et sociale. Afin qu'ils puissent répondre à leur vocation, les fidèles laïcs doivent donc considérer leur vie quotidienne comme une occasion d'union à Dieu et d'accomplissement de sa volonté, comme aussi de service envers les autres hommes, en les portant jusqu'à la communion avec Dieu dans le Christ"(46).

45- AA 4
46- Propositio 5.


La vocation à la sainteté doit être perçue et vécue par les fidèles laïcs, moins sous un aspect d'obligation exigeante et incontournable, que comme un signe lumineux de l'amour infini du Père qui les a régénérés à sa vie de sainteté. Une pareille vocation, dans ces conditions, doit se définir comme un élément essentiel et indissociable de la nouvelle vie baptismale, et par conséquent comme un élément constitutif de leur dignité. En même temps, la vocation à la sainteté est intimement liée à la mission et à la responsabilité qui sont confiées aux fidèles laïcs dans l'Eglise et dans le monde. En effet, la sainteté vécue, tout en provenant de la participation à la vie de sainteté de l'Eglise, représente aussi par elle-même une première et fondamentale contribution à l'édification de l'Eglise en tant que "Communion des Saints". Devant les yeux éclairés par la foi s'ouvre un spectacle merveilleux: celui de tant de fidèles laïcs, hommes et femmes, qui, précisément dans leur vie et leur activité de chaque jour, souvent inaperçus ou parfois incompris, méconnus des grands de la terre mais regardés avec amour par le Père, sont des ouvriers qui travaillent inlassablement dans la Vigne du Seigneur, des artisans humbles et grands à la fois assurément par la puissance de la grâce de Dieu de la croissance du Royaume de Dieu au cours de l'histoire.

La sainteté est ensuite, il faut le reconnaître, une base essentielle et une condition absolument irremplaçable pour l'accomplissement de la mission de salut de l'Eglise. C'est la sainteté de l'Eglise qui est la source secrète et la mesure infaillible de son activité apostolique et de son élan missionnaire. C'est seulement dans la mesure ou l'Eglise, Epouse du Christ, se laisse aimer de Lui, et L'aime en retour, qu'elle devient Mère féconde dans l'Esprit.

Revenons à l'image biblique: la naissance et l'expansion des sarments dépendent de leur insertion dans la vigne: "De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s'il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire" (Jn 15,4-5).

Tout naturellement il faut rappeler ici la proclamation solennelle de fidèles laïcs, hommes et femmes, au rang de bienheureux et de saints, qui a été faite durant le temps du Synode. Le peuple de Dieu tout entier, les fidèles laïcs en particulier, peut trouver en eux de nouveaux modèles de sainteté et de nouveaux témoins de vertus héroïques, pratiquées dans des conditions communes et ordinaires de la vie. Comme l'ont affirmé les Pères du Synode: "Les Eglises locales et surtout celles qu'on appelle les jeunes Eglises doivent discerner attentivement parmi leurs propres membres les hommes et les femmes qui ont donné dans de telles conditions (les conditions quotidiennes du monde et de l'état conjugal) le témoignage de la sainteté et qui peuvent servir d'exemple aux autres, afin que, si le cas se présente, ils soient proposés pour la béatification et la canonisation"(47).

47- Propositio 8.


Au terme de ces réflexions, destinées à définir la condition ecclésiale du fidèle laïc, nous revient à la mémoire la célèbre interpellation de Saint Léon le Grand: "Reconnais, ô Chrétien, ta dignité"(48). C'est ce que dit aussi Saint Maxime, évêque de Turin, en s'adressant à ceux qui avaient reçu le baptême: "Considérez l'honneur qui vous est fait dans ce mystère!"(49). Tous les baptisés sont invités à écouter une fois encore les paroles de Saint Augustin: "Réjouissons-nous et remercions: nous sommes devenus non seulement des chrétiens, mais le Christ... Soyez dans la stupeur et la joie: nous sommes devenus Christ!"(50).

48- S. Léon le Grand, Sermon XXI: S Ch. 22Bis, 72.
49- S. Maxime, Traité III du Baptême; PL 57,779.
50- S. Augustin, Traité sur l'Evang. de S. Jn 21,8 : PL 35,1568.


La dignité de chrétien, source de l'égalité de tous les membres de l'Eglise, garantit et promeut l'esprit de communion et de fraternité, et, en même temps, elle devient la source secrète et puissante du dynamisme apostolique et missionnaire des fidèles laïcs. C'est une dignité exigeante, la dignité des ouvriers appelés par le Seigneur à travailler à sa vigne: "A tous les laïcs lisons-nous dans les Actes du Concile incombe la noble charge de travailler à ce que le dessein divin de salut parvienne de plus en plus à tous les hommes de tous les temps et de toute la terre"(51).

51- LG 33



CHAPITRE II

TOUS SARMENTS DE L'UNIQUE VIGNE


La participation des fidèles

laïcs à la vie de l'Eglise-Communion


Le mystère de l'Eglise-Communion

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Ecoutons de nouveau les paroles de Jésus: "Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron... Demeurez en moi, comme moi en vous" (
Jn 15,1-4).

Par ces simples paroles nous est révélée la communion mystérieuse qui lie en une parfaite unité le Seigneur et ses disciples, le Christ et les baptisés: une communion vivante et vivifiante, par laquelle les chrétiens ne s'appartiennent pas à eux-mêmes, mais sont la propriété du Christ, comme les sarments unis à la vigne.

La communion des chrétiens avec Jésus a pour modèle, source et fin la communion même du Fils avec le Père dans le don de l'Esprit Saint: unis au Fils dans le lien d'amour de l'Esprit, les chrétiens sont unis au Père.

Jésus continue: "Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments" (Jn 15,5). De la communion des chrétiens avec le Christ découle la communion des chrétiens entre eux; tous sont les sarments de la Vigne unique, qui est le Christ. En cette communion fraternelle le Seigneur Jésus présente le reflet merveilleux et la participation mystérieuse à la vie intime d'amour du Père, du Fils et de l'Esprit Saint. Pour cette communion, Jésus prie: "Que tous, ils soient un, comme Toi, Père, Tu es en moi, et moi en Toi. Qu'ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que Tu m'as envoyé" (Jn 17,21).

Cette communion est le mystère même de l'Eglise, comme le rappelle le Concile Vatican II, par le mot bien connu de Saint Cyprien: "L'Eglise universelle apparaît comme "un peuple qui tire son unité de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit Saint""(52). Ce mystère de l'Eglise-Communion nous est rappelé au début de la célébration eucharistique, quand le prêtre nous accueille par le salut de l'apôtre Paul: "Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion de l'Esprit Saint soient avec vous tous" ( 2Co 13,13).

52- LG 4


Après avoir dessiné la "figure" des fidèles laïcs en exprimant leur dignité, il nous faut à présent réfléchir sur leur mission et leur responsabilité dans l'Eglise et dans le monde: mais cela ne peut se comprendre valablement que dans le contexte vivant de l'Eglise-Communion.


Le Concile et l'ecclésiologie de communion

19

Telle est effectivement l'idée centrale que l'Eglise a remise en lumière pour se définir elle-même dans le Concile Vatican II, comme nous l'a rappelé le Synode extraordinaire de 1985, qui s'est tenu vingt ans après le Concile: "L'ecclésiologie de communion est l'idée centrale et fondamentale des documents du Concile. La koinonia -communion, fondée sur la Sainte Ecriture, est mise à l'honneur dans l'Eglise primitive, et dans les Eglises orientales jusqu'à nos jours. Voilà pourquoi le Concile Vatican II a travaillé intensément afin que l'Eglise soit plus clairement conçue comme une communion et que ce concept soit traduit concrètement dans la vie. Que signifie donc ce mot complexe de "communion"? Il s'agit fondamentalement de la communion avec Dieu par l'intermédiaire de Jésus-Christ, dans l'Esprit Saint. Cette communion s'obtient par la parole de Dieu et par les sacrements. Le Baptême est la porte et le fondement de la communion dans l'Eglise. L'Eucharistie est la source et le sommet de toute la vie chrétienne (cf.
LG 11). La communion au Corps eucharistique du Christ signifie et produit, en d'autres termes édifie, l'intime communion de tous les fidèles dans le Corps du Christ qui est l'Eglise (1Co 10,16) "(53).

53- II Ass. Gen. Extr. Synode des Evêques (1985), Ecclesia sub Verbo Dei mysteria Christi celebrans pro salute mundi. Relatio Finalis, II, C,1.


Au lendemain du Concile, Paul VI s'adressait aux fidèles en ces termes: "L'Eglise est une communion. Que signifie ici ce mot communion? Je vous renvoie au passage du catéchisme qui parle de la communion des Saints. Eglise veut dire communion des Saints. Et communion des Saints signifie une double participation vitale: l'incorporation des chrétiens à la vie du Christ, et la circulation de la même charité dans toute la communauté des fidèles, en ce monde et en l'autre. Union au Christ et dans le Christ; et union entre les chrétiens dans l'Eglise"(54).

54- Paul VI, Allocution du mercredi (8 juin 1966): Insegnamenti, IV (1966), 794.


Les images bibliques, par lesquelles le Concile a voulu nous introduire à la contemplation du mystère de l'Eglise, mettent en lumière la réalité de l'Eglise-Communion dans son indivisible dimension de communion des chrétiens avec le Christ et de communion des chrétiens entre eux. Ces images sont celles de la bergerie, du troupeau, de la vigne, de l'édifice spirituel, de la cité sainte (55). C'est surtout l'image du corps, présentée par l'apôtre Paul, dont la doctrine toujours vivante et attirante anime de nombreuses pages du Concile (56). S'inspirant de toute l'histoire du salut, le Concile présente aussi l'Eglise comme Peuple de Dieu: "Le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel; Il a voulu au contraire faire d'eux un peuple qui Le connaîtrait selon la vérité et Le servirait dans la sainteté" (57). Dès les premières lignes, la Constitution Lumen gentium résume admirablement cette doctrine: "L'Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain"(58).

55- LG 6
56- LG 7 et ss
57- LG 9
58- LG 1


La réalité de l'Eglise-Communion est, dès lors, partie intégrante, bien mieux, elle représente le contenu central du "Mystère", c'est-à-dire du dessein divin du salut de l'humanité. Voilà pourquoi la communion ecclésiale ne peut se traduire parfaitement si on n'y voit qu'une réalité simplement sociologique et psychologique. L'Eglise-Communion est le peuple "nouveau", le peuple "messianique", le peuple qui "a pour chef le Christ... La condition de ce peuple, c'est la dignité et la liberté des enfants de Dieu... Sa loi c'est le commandement nouveau d'aimer comme le Christ Lui-même nous a aimés... Sa destinée enfin, c'est le Royaume de Dieu... et ce peuple est constitué par le Christ en une communion de vie, de charité et de vérité"(59). Les liens qui unissent les membres du nouveau Peuple entre eux et d'abord avec le Christ ne sont Pas ceux de la "chair" et du "sang", mais bien ceux de l'esprit, plus précisément ceux de l'Esprit Saint, que reçoivent tous les baptisés (cf.Jl 3,1).

59- LG 9


En effet cet Esprit qui de toute éternité est le lien de la Trinité, une et indivise, cet Esprit qui "dans la plénitude des temps" (Ga 4,4) unit indissolublement la chair humaine au Fils de Dieu, ce même Esprit est au cours des générations chrétiennes la source ininterrompue et inépuisable de la communion dans l'Eglise et de l'Eglise.



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