Cantique spirituel "B" - 2003 39

NOTE POUR LE COUPLET SUIVANT



1. Mais, pour autant que l'âme en cet état de mariage spirituel dont nous traitons ici ne manque pas de savoir quelque chose du cela, car pour être transformée en Dieu, il passe en elle quelque chose de cela, elle ne veut pas manquer de dire quelque chose de cela dont elle sent déjà en elle des gages et des traces, parce que, comme il est dit dans le prophète Job, qui pourra retenir la parole qu'il a conçue en lui, sans la dire ? (Jb 4,2). Et ainsi, dans le couplet suivant, elle s'emploie à dire quelque chose de cette fruition dont elle jouira dans la vision béatifique, expliquant, autant qu'il est possible, ce que sera et comment sera cela qui sera là-bas.


COUPLET 39 £[A38]



Le souffle de l'air,

le chant de la douce philomèle,

le bocage et son enchantement

en la nuit sereine,

avec la flamme qui consume

et ne donne pas de peine.



EXPLICATION



2. Dans ce couplet l'âme dit et explique cela que, dit-elle, l'Époux doit lui donner en cette transformation béatifique, l'expliquant avec cinq termes: le premier elle dit que c'est la spiration de l'Esprit Saint de Dieu vers elle et d'elle vers Dieu ; le deuxième, la jubilation pour Dieu dans la fruition de Dieu ; le troisième, la connaissance des créatures et de leur ordonnance ; le quatrième, la pure et claire contemplation de l'essence divine ; le cinquième, la transformation totale en l'immense amour de Dieu. Donc, elle dit le vers :


Le souffle de l'air.




3. Ce souffle de l'air est, dit l'âme, une aptitude que Dieu lui donnera alors en la communication de l'Esprit Saint, qui, à la manière d'un souffle, avec sa divine spiration élève l'âme très haut et l'informe et la rend capable pour qu'elle spire en Dieu la même spi-ration d'amour que le Père spire dans le Fils et le Fils dans le Père, qui est l'Esprit Saint lui-même, qui spire l'âme dans le Père et le Fils en ladite transformation, pour l'unir avec lui. Car ce ne serait pas une véritable et totale transformation si l'âme ne se transformait pas dans les trois personnes de la Très Sainte Trinité, en un degré évident et manifeste. Et cette spiration de l'Esprit Saint en l'âme grâce à laquelle Dieu la transforme en soi lui est à elle une délectation si élevée, si délicate et si profonde qu'il n'y a pas de langue mortelle pour le dire, ni l'entendement humain en tant que tel ne peut saisir quelque chose de cela; car même de ce qui en cette transformation temporelle passe à l'occasion de cette communication en l'âme, on ne peut parler, car l'âme, unie et transformée en Dieu, spire en Dieu vers Dieu, la même spiration divine que Dieu - étant elle transformée en Lui - spire en lui-même vers elle.

4. Et dans la transformation que l'âme a en cette vie passe cette même spiration de Dieu à l'âme et de l'âme à Dieu avec beaucoup de fréquence, avec une délectation d'amour très élevée dans l'âme, bien qu'en un degré non évident ni manifeste, comme en l'autre vie. Car je comprends que c'est ce qu'a voulu peut-être signifier saint Paul quand il dit : Pour autant que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé en vos coeurs l'esprit de son Fils, clamant vers le Père (Ga 4,6) ; ce qui est dans les bienheureux de l'autre vie et dans les parfaits de celle-ci dans les manières susdites. Et il n'y a pas à tenir pour impossible que l'âme puisse une chose si élevée qu'elle spire en Dieu comme Dieu spire en elle par mode participé, car étant donné que Dieu lui fait la faveur de l'unir en la Très Sainte Trinité, en quoi l'âme se fait déiforme et Dieu par participation, quelle incroyable chose est-ce qu'elle opère elle aussi son oeuvre d'entendement, de connaissance et d'amour, ou, pour mieux dire, qu'elle la trouve accomplie en la Trinité ensemble avec elle comme la Trinité même, mais par mode communiqué et participé, Dieu l'opérant en l'âme même ? Car cela est être transformé dans les trois Personnes en puissance et sagesse et amour, et en cela l'âme est semblable à Dieu, et afin qu'elle puisse arriver à cela Dieu la créa à son image et ressemblance (Gn 1,26).

5. Et comment cela se fait il n'y a ni savoir ni pouvoir pour le dire, sinon de donner à entendre comment le Fils de Dieu nous éleva à ce haut état et nous mérita cette sublime situation de pouvoir être fils de Dieu, comme dit saint Jean (Jn 1,12), et ainsi il le demanda au Père par le même saint Jean, disant : Père, je veux que ceux que tu m'as donnés, où je suis eux aussi soient avec moi, afin qu'ils voient la clarté que tu m'as donnée (Jn 17,24); à savoir, qu'ils fassent par leur participation en nous la même oeuvre que moi par nature, qui est de spirer l'Esprit Saint. Et il dit plus : Je ne prie pas, Père, seulement pour ceux qui sont présents, mais aussi pour ceux qui croiront en moi grâce à leur enseignement; que tous soient une même chose, de la manière que toi, Père, tu es en moi et moi en toi, ainsi qu'ils soient en nous une seule même chose. Et moi la clarté que tu m'as donnée je la leur ai donnée, pour qu'ils soient une seule même chose, comme nous sommes une seule même chose, moi en eux et toi en moi ; pour qu'ils soient parfaits en un, pour que le monde connaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimés, comme moi tu m'as aimé (Jn 17,20-23), ce qui se fait en leur communiquant le même amour qu'au Fils, bien que non par nature comme au Fils, mais, comme nous avons dit, par unité et transformation d'amour. Comme il ne faut pas non plus entendre ici que le Fils veut dire au Père que les saints soient une seule chose essentiellement et naturellement comme le sont le Père et le Fils, mais qu'ils le soient par union d'amour, comme le Père et le Fils sont en unité d'amour.

6. Ainsi les âmes possèdent par participation ces mêmes biens que Lui par nature ; par là elles sont véritablement dieux par participation, les égaux et les compagnons de Dieu. Ainsi saint Pierre dit : Grâce et paix soient accomplies et parfaites en vous en la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ notre Seigneur, de la manière que nous sont données toutes les choses de sa divine vertu pour la vie et la piété, par la connaissance de celui qui nous appela avec sa propre gloire et sa vertu, par lequel il nous donna de très grandes et très précieuses promesses, afin que par ces choses nous soyons faits compagnons de la divine nature (2P 1,2-4). Jusque-là les paroles de saint Pierre, en lesquelles il donne clairement à entendre que l'âme participera à Dieu même, ce qui sera en opérant en lui et en sa compagnie l'oeuvre de la Très Sainte Trinité, de la manière que nous avons dite, en raison de l'union substantielle et de l'amour entre l'âme et Dieu. Bien que cela s'accomplisse parfaitement en l'autre vie, néanmoins en celle-ci, quand on est parvenu à cet état parfait comme nous disons que l'âme est ici parvenue, on en obtient un grand vestige et une saveur, à la façon que nous disons, quoique (comme nous avons dit) cela ne se puisse dire.

7. Ô âmes créées pour ces grandeurs et appelées pour elles ! que faites-vous ? à quoi vous amusez-vous ? Vos prétentions sont bassesses et vos possessions misères. Ô misérable aveuglement des yeux de votre âme, puisque pour tant de lumière vous êtes aveugles et pour tant de grands appels sourds, ne voyant pas, tant que vous cherchez les grandeurs et les gloires, vous restez misérables et faibles, rendus ignorants et indignes de tant de biens ! Suit le second que l'âme dit pour donner à entendre ce quelque chose, à savoir:


le chant de la douce philomèle.




8. Ce qui naît en l'âme de ce souffle de l'air est la douce voix de son Aimé vers elle, en laquelle elle lui chante sa jubilation savoureuse; et l'un et l'autre elle appelle ici chant de philomèle48; parce que, comme le chant de philomèle, qui est celui du rossignol, s'entend au printemps, passés désormais les froids, les pluies et intempéries de l'hiver, et fait une mélodie pour l'ouïe, et une récréation pour l'esprit, de même en cette actuelle communication et transformation d'amour qu'a désormais l'épouse en cette vie, désormais à l'abri et libre de toutes les perturbations et variations temporelles, et dénuée et purgée des imperfections, des peines et nuages tant du sens que de l'esprit, elle sent un nouveau printemps en liberté et amplitude et allégresse d'esprit, en lequel elle goûte la douce voix de l'Époux, qui est sa douce philomèle ; avec cette voix renouvelant et rafraîchissant la substance de son âme, comme une âme désormais bien disposée pour cheminer vers la vie éternelle, elle l'appelle douce et savoureuse, entendant la douce voix qui dit : Lève-toi, hâte-toi, mon amie, ma colombe, ma belle, et viens; car l'hiver est déjà passé, la pluie est déjà partie très loin ; les fleurs ont paru en notre terre ; le temps de tailler est arrivé, et la voix de la tourterelle s'entend en notre terre (Ct 2,10-12).

48 Philomèle, nom du rossignol dans la mythologie.



9. En cette voix de l'Époux qui parle en l'intime de l'âme, l'épouse sent la fin des maux et le commencement des biens, en ce rafraîchissement et protection et sentiment savoureux, elle aussi, comme une douce philomèle, donne sa voix avec un nouveau chant de jubilation pour Dieu, ensemble avec Dieu, qui la pousse à cela. Et pour cela Il lui donne sa voix à elle, afin qu'unie elle la donne jointe avec Lui à Dieu; car c'est la prétention et le désir de Lui que l'âme entonne sa voix spirituelle en jubilation vers Dieu, selon aussi que l'Époux lui-même le demande à elle dans les Cantiques, en disant: Lève-toi, hâte-toi, mon amie, et viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille, montre-moi ton visage, que sonne ta voix à mes oreilles (Ct 2,13-14). Les oreilles de Dieu signifient ici les désirs que Dieu a que l'âme lui donne cette voix de jubilation parfaite. Cette voix, pour qu'elle soit parfaite, l'Époux demande qu'elle la donne et la fasse sonner dans les cavernes de la pierre, soit, dans la transformation aux mystères de Christ dont nous avons parlé. Et, comme en cette union l'âme jubile et loue Dieu avec Dieu même, comme nous disions de l'amour, c'est une louange très parfaite et agréable à Dieu, car, cette âme étant en cette perfection, elle fait les oeuvres très parfaites, et ainsi, cette voix de jubilation est douce pour Dieu et douce pour l'âme. Pour cela l'Époux dit: Ta voix est douce (Ct 2,14); à savoir, non seulement pour toi, mais aussi pour moi, car ne faisant qu'un avec moi, tu donnes ta voix de douce philomèle à l'unisson, pour moi avec moi.

10. Tel est le chant qui s'élève en l'âme en la transformation qu'elle a en cette vie, dont la saveur est au-dessus de tout éloge. Mais, pour autant qu'il n'est pas aussi parfait que le chant nouveau de la vie glorieuse, l'âme attirée par ce qu'elle éprouve ici, pressentant par la hauteur de ce chant l'excellence de celui qu'elle chantera dans la gloire, dont la supériorité est plus grande sans comparaison, elle en fait mémoire49, et dit que ce quelque chose qu'il lui donnera sera le chant de la douce philomèle. Et elle dit aussitôt:

49 Elle fait mémoire de ce qu'elle chantera dans la gloire. Rappelons que la mémoire chez Augustin et chez Jean de la Croix est la faculté de l'esprit en tant qu'il domine le temps : passé, présent et futur.


le bocage et son enchantement.



11. C'est la troisième chose que, dit l'âme, doit lui donner l'Époux. Par le bocage, pour autant qu'il porte en soi beaucoup de plantes et d'animaux, elle entend ici Dieu en tant qu'il crée et donne l'être à toutes les créatures, qui en Lui ont leur vie et leur racine, ce qui signifie Dieu lui montrant et se donnant à connaître à elle en tant que Créateur. Par l' enchantement de ce bocage, l'âme demande aussi à l'Époux maintenant pour ce temps-là, elle demande la grâce et la sagesse et la beauté que de Dieu possède non seulement chacune des créatures terrestres comme célestes, mais aussi celle qu'elles ont entre elles en leur sage correspondance, ordonnance, grâce et accord des unes aux autres, des inférieures entre elles comme aussi des supérieures entre elles, et entre les supérieures et les inférieures50, ce qui est une chose qui fait à l'âme un grand enchantement et plaisir de la connaître. Suit le quatrième, et c'est:

50 Leibniz reprendra l'idée, c'est l'harmonie universelle.


en la nuit sereine.




12. Cette nuit est la contemplation en laquelle l'âme désire voir ces choses. Elle l'appelle nuit, car la contemplation est obscure ; c'est pour cela qu'on l'appelle d'un autre nom Théologie Mystique, qui veut dire sagesse de Dieu secrète et cachée, en laquelle sans bruit de paroles et sans l'aide de quelque sens corporel ni spirituel, comme en silence et quiétude, à l'insu de tout le sensitif et naturel, Dieu enseigne en totale cachette et très secrètement l'âme sans qu'elle sache comment; ce que quelques spirituels appellent entendre sans entendre, car ceci ne se fait pas dans l'entendement que les philosophes appellent actif, dont l'opération se situe dans les formes et fantaisies et préhensions des puissances corporelles, mais se fait dans l'entendement en tant que possible et passif, qui, sans recevoir ces formes, etc., seulement passivement reçoit l'intelligence substantielle dénuée d'image, laquelle lui est donnée sans aucune opération ni participation actives de sa part.

13. C'est pourquoi elle appelle cette contemplation nuit, par laquelle en cette vie l'âme connaît, grâce à la transformation où elle se trouve désormais, d'une façon sublime ce divin bocage et son enchantement. Mais, pour si haute que soit cette connaissance, elle est encore nuit obscure en comparaison de la béatifique qu'elle réclame là; et pour cela elle dit, demandant une claire contemplation, que cette jouissance du bocage et de son enchantement et des autres choses qu'elle a dites ici soient dans la nuit désormais sereine, c'est-à-dire, en la contemplation désormais claire et béatifique, de manière qu'elle cesse alors d'être nuit en la contemplation obscure ici-bas, et se transforme en une contemplation de vue claire et sereine de Dieu là-bas ; et ainsi, dire en la nuit sereine, c'est dire en contemplation désormais claire et sereine de la vue de Dieu. Aussi David dit de cette nuit de contemplation: La nuit sera mon illumination en mes délices (Ps 138,11); c'est comme s'il disait: Quand sera en mes délices la vue essentielle de Dieu, alors la nuit de contemplation sera transformée en jour et lumière pour mon entendement. Suit le cinquième:


avec la flamme qui consume

et ne donne pas de peine.




14. Par la flamme elle entend ici l'amour de l'Esprit Saint. Consumer signifie ici achever et perfectionner, et l'âme dit que toutes les choses qu'elle a dites en ce couplet l'Aimé doit les lui donner et elle les posséder avec un amour consommé51 et parfait, toutes absorbées et elle-même avec elles en amour parfait et qui ne donne pas de peine. Ce qu'elle dit pour donner à entendre la perfection entière de cet amour, car, pour qu'il le soit, il doit avoir ces deux propriétés, à savoir: qu'il consume et transforme l'âme en Dieu et que l'inflammation et la transformation de cette flamme n'entraîne pas de peine en l'âme. Ce qui ne peut exister que dans l'état béatifique, où désormais cette flamme est amour suave car dans la transformation de l'âme en elle il y a conformité et satisfaction béatifique des deux parties, et pour autant elle ne cause pas de peine de variation en plus ou en moins, comme elle faisait avant que l'âme n'arrive à la capacité de ce parfait amour ; parce que, y étant arrivée, cette âme est en un amour si conforme et si suave avec Dieu, que même si Dieu est un feu consumant, comme le dit Moïse (Dt 4,24), il ne l'est plus mais il perfectionne et restaure. Ce n'est plus comme la transformation que cette âme avait en cette vie, qui, bien qu'elle fût parfaite et consommée en amour, elle devait encore consumer et dépouiller quelque chose, à la manière du feu sur le charbon, qui, bien qu'il soit transformé et conforme à lui sans cette fumée qu'il faisait avant qu'il le transforme en soi, car alors même, si le feu le consommait en lui, il le consumait et le réduisait en cendres ; ce qui arrive à l'âme qui en cette vie est transformée en perfection d'amour, qui, malgré la conformité, souffre encore quelque manière de peine et d'ennui : d'abord par la transformation béatifique qui toujours fait défaut dans l'esprit ; ensuite, par le détriment que souffre le sens faible et corruptible à cause de la force et de la hauteur de tant d'amour, car toute chose excellente est détriment et peine pour la faiblesse naturelle, car selon cet écrit, corpus quod corrumpitur, aggravat animam52 (Sg 9,15). Mais en cette vie béatifique elle ne sentira aucun détriment ni aucune peine, bien que sa compréhension soit très profonde, et son amour sans mesure, car à l'un Dieu donnera l'habileté et à l'autre la force, Dieu consommant son entendement avec sa sagesse et sa volonté avec son amour.

51 Jeu de mots : consumer pour la flamme ; consommé pour l'amour parfait.
52 Le corps qui se corrompt appesantit l'âme.


15. Et parce que l'épouse a demandé dans les couplets précédents et dans celui que nous expliquons d'immenses communications et connaissances de Dieu, qui nécessitent un amour très fort et très élevé pour aimer selon leur grandeur et leur hauteur, elle demande ici qu'elles soient toutes en cet amour consommé, accompli et fort.


COUPLET 40 £[A39]

Car personne ne regardait...
Aminadab non plus ne se montrait ;
et le siège s'apaisait,
et la cavalerie
à la vue des eaux redescendait.



EXPLICATION ET NOTE

1. Donc, l'épouse connaissant ici que désormais l'appétit de sa volonté est détaché de toutes les choses et appuyé à son Dieu avec un amour très étroit, et que la partie sensitive de l'âme avec toutes ses forces, puissances et appétits, est conforme avec l'esprit, ses rébellions étant désormais terminées et dominées ; et que le démon, grâce à un exercice varié et vaste et une lutte spirituelle, est désormais vaincu et rejeté bien loin ; et que son âme est unie et transformée avec une abondance de richesses et de dons célestes ; et que, selon cela, elle est bien disposée et préparée et forte, appuyée sur son Époux, afin de monter par le désert de la mort, abondante en délices (Ct 8,5) vers les sièges et les trônes glorieux de son Époux; avec désir que l'Époux conclue enfin cette affaire, elle lui présente pour l'inciter davantage à cela, toutes ces choses en ce dernier couplet, où elle dit cinq choses : la première, que son âme est désormais détachée et étrangère de toutes les choses ; la deuxième, que désormais le démon est vaincu et en fuite; la troisième, que les passions sont désormais soumises et les appétits naturels mortifiés ; la quatrième et la cinquième, que la partie sensitive et inférieure est désormais réformée et purifiée, et qu'elle est conforme à la partie spirituelle, de manière que non seulement elle ne gêne pas pour recevoir des biens spirituels, mais plutôt qu'elle s'adaptera à eux, car même maintenant elle participe à eux selon sa capacité. Elle dit donc:


Car personne ne regardait.




2. Ce qui est comme si elle disait: Mon âme est désormais dénuée, détachée, seule et étrangère à toutes les choses créées d'en haut et d'en bas, et entrée si profondément avec toi dans le recueillement intérieur, que, hors de vue aucune d'entre elles n'atteint plus l'intime jouissance qu'en toi je possède, à savoir, à mouvoir mon âme à jouir de leur douceur, ni à être dégoûtée et ennuyée de leur misère et bassesse ; car, étant si loin d'elles et en une profonde délectation avec toi, hors de vue, aucune d'elles ne peut l'atteindre. Et non seulement cela, mais


Aminadab non plus ne se montrait.




3. Cet Aminadab dans l'Écriture divine (Ct 6,11) signifie le démon (en parlant spirituellement), ennemi de l'âme ; il la combattait et la perturbait toujours avec l'innombrable ressource de son artillerie, pour qu'elle n'entrât pas en cette forteresse et cachette du recueillement intérieur avec l'Époux, où, étant désormais établie, elle est si favorisée, si forte, si victorieuse avec les vertus qu'elle possède alors et avec la faveur de l'embrassement de Dieu, que le démon non seulement n'ose pas approcher, mais avec grande frayeur il fuit très loin et n'ose pas paraître ; et parce qu'aussi, par l'exercice des vertus et en raison de l'état parfait où elle se trouve désormais, l'âme l'a fait désormais fuir, et vaincu il ne paraît plus devant elle; et ainsi Aminadab non plus ne se montrait n'ayant aucun droit pour m'empêcher ce bien auquel je prétends.


Et le siège s'apaisait.




4. Par ce siège l'âme entend ici les passions et les appétits de l'âme, qui, lorsqu'ils ne sont pas vaincus et tempérés, l'encerclent tout autour, la combattent d'un côté et de l'autre, ce pourquoi elle les appelle siège. Il est aussi, dit-elle, désormais apaisé, c'est-à-dire, les passions ordonnées selon la raison et les appétits mortifiés ; et puisqu'il en est ainsi, qu'il ne manque pas de lui communiquer les faveurs qu'elle lui a demandées, puisque lesdits assiégeants ne peuvent plus l'empêcher. Elle dit cela parce que, jusqu'à ce que l'âme tienne ses quatre passions ordonnées à Dieu et tienne les appétits mortifiés et purifiés, elle n'est pas capable de voir Dieu. Suit:


et la cavalerie

à la vue des eaux redescendait.




5. Par les eaux s'entendent ici les biens et les délices spirituels dont l'âme jouit en cet état en son intimité avec Dieu. Par la cavalerie elle entend ici les sens corporels de la partie sensitive, tant intérieurs qu'extérieurs, car ils portent en eux les formes et figures de leurs objets. En cet état, dit l'épouse, ils descendent à la vue des eaux spirituelles, car en cet état de mariage spirituel la partie sensitive et inférieure de l'âme est alors purifiée de telle manière et en quelque sorte spiritualisée, qu'avec ses puissances sensitives et ses forces naturelles elle se recueille pour participer et jouir à sa manière des grandeurs spirituelles que Dieu communique à l'âme en l'intime de l'esprit, selon ce que donna à entendre David quand il dit : Mon coeur et ma chair se réjouirent en Dieu vivant (Ps 83,3).

6. Et il faut noter que l'épouse ne dit pas ici que la cavalerie descendait pour goûter les eaux, mais à la vue des eaux; car cette partie sensitive avec ses puissances n'ont pas capacité pour goûter essentiellement et de façon appropriée les biens spirituels, non seulement en cette vie, mais même en l'autre, mais par un certain rejaillissement de l'esprit elles en reçoivent sensitivement récréation et délectation ; par cette délectation ces sens et puissances corporels sont attirés au recueillement intérieur où l'âme boit les eaux des biens spirituels ; ce qui est plutôt descendre à la vue de ces eaux que les boire et les goûter comme elles sont. Et l'âme dit ici qu'elle descendait, et ne dit pas qu'elles allaient, ni n'use d'autre terme, pour donner à entendre qu'en cette communication de la partie sensitive à la spirituelle, quand on goûte ladite boisson des eaux spirituelles, elles descendent de leurs opérations naturelles, les abandonnant, pour le recueillement spirituel.

7. Toutes ces perfections et dispositions l'épouse les présente à son Aimé le Fils de Dieu, avec le désir d'être par Lui transférée du mariage spirituel où Dieu a voulu qu'elle parvienne en cette Église militante, au glorieux mariage de la triomphante, auquel daigne y conduire tous ceux qui invoquent son nom le très doux Jésus, Époux des âmes fidèles. Auquel est honneur et gloire, ensemble avec le Père et l'Esprit Saint, dans les siècles des siècles. Amen.

Cantique spirituel "B" - 2003 39