Dominum et vivific. FR 58

4. L'Esprit Saint vient affermir l'"homme intérieur"

58 Le mystère de la Résurrection et de la Pentecôte est annoncé et vécu par l'Eglise, qui reçoit et continue le témoignage des Apôtres sur la Résurrection de Jésus Christ. Elle est le témoin permanent de cette victoire sur la mort, qui a révélé la puissance de l'Esprit Saint et qui a déterminé sa nouvelle venue, sa nouvelle présence dans les hommes et dans le monde. En effet, à la Résurrection du Christ, l'Esprit Saint-Paraclet s'est révélé surtout comme celui qui donne la vie: "Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous"(247). Au nom de la Résurrection du Christ, l'Eglise annonce la vie qui s'est manifestée au-delà des limites de la mort, la vie qui est plus forte que la mort. En même temps, elle annonce Celui qui donne cette vie: l'Esprit qui fait vivre; elle l'annonce et elle coopère avec lui pour donner la vie. En effet, "bien que le corps soit déjà mort en raison du péché, l'Esprit est vie en raison de la justice"(248) obtenue par le Christ crucifié et ressuscité. Et au nom de la Résurrection du Christ, l'Eglise sert la vie qui provient de Dieu lui-même, en étroite union avec l'Esprit, et humblement à son service.
Par ce service, justement, l'homme devient de façon toujours nouvelle la "route de l'Eglise": je l'ai déjà dit dans l'encyclique sur le Christ Rédempteur(249) et je le redis aujourd'hui dans celle sur l'Esprit Saint. Unie à l'Esprit, l'Eglise est consciente, plus que quiconque, de la réalité de l'homme intérieur, des traits de l'homme les plus profonds et les plus essentiels, parce que spirituels et incorruptibles. A ce niveau, l'Esprit implante en lui la "racine de l'immortalité"(250), d'ou jaillit la vie nouvelle, c'est-à-dire la vie de l'homme en Dieu, qui, comme fruit du don salvifique que Dieu fait de lui-même dans l'Esprit Saint, ne peut se développer et se consolider que par l'action de l'Esprit. C'est pourquoi l'Apôtre s'adresse à Dieu en faveur des croyants, auxquels il déclare: "Je fléchis les genoux en présence du Père... Qu'il daigne... vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l'homme intérieur"(251).
Sous l'influence de l'Esprit Saint, cet homme intérieur, c'est-à-dire "spirituel", mûrit et devient plus fort. Grâce à cette communication divine, l'esprit humain qui "connaît ce qui concerne l'homme" rencontre "l'Esprit qui sonde tout jusqu'aux profondeurs de Dieu"(252). Dans cet Esprit, qui est le Don éternel, le Dieu un et trine s'ouvre à l'homme, à l'esprit humain. Le souffle caché de l'Esprit divin fait que l'esprit humain s'ouvre à son tour en face de Dieu qui s'ouvre à lui pour le sauver et le sanctifier. Par le don de la grâce efficace qui vient de l'Esprit, l'homme entre dans "une vie nouvelle", il est introduit dans la réalité surnaturelle de la vie divine elle-même et il devient "une demeure de l'Esprit Saint", un "temple vivant de Dieu"(253).
Par l'Esprit Saint, en effet, le Père et le Fils viennent vers lui et établissent une demeure chez lui(254). Dans la communion de grâce avec la Trinité s'élargit "l'espace vital" de l'homme, élevé au niveau surnaturel de la vie divine. L'homme vit en Dieu et de Dieu: il vit "selon l'Esprit" et "désire ce qui est spirituel".

247
Rm 8,11
248 Rm 8,10
249 Cf. Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979) RH 14: AAS 71 (1979), pp. 284-285
250 Cf. Sg 15,3
251 Cf. Ep 3,14-16
252 Cf. 1Co 2,10-11
253 Cf Rm 8,9 1Co 6,19
254 Cf. Jn 14,23 S. IRÉNÉE, Adversus haereses, V, 6, 1: SC 153, PP. 72-80; S. HILAIRE, De Trinitate, VIII, 19. 21: PL 10, 250. 252, S. AMBROISE, De Spiritu Sancto, I, 6, 8: PL 16, 752-753; S. AUGUSTIN, Enarr. in XLIX, 2: CCL 38, 575-576; S. CYRILLE D ALEXANDRIE, In Ioannis Evangelium lib. I; II: PG 73, 154-158, 246; lib. IX: PG 74, 262; S. ATHANASE, Oratio III contra Arianos, 24: PG 26, 374-375; Epist. ad ad Serapionem, 24: PG 26, 586-587; DIDYME D ALEXANDRIE, De Trinitate, II, 6-7: PG 39, 523-530; S. JEAN-CHRYSOSTOME, In epist. ad Romanos homilia XIII, 8: PG 60, 519; S. THOMAS D'AQUIN, Somme théol., I 43,1 I 43,3 I 43,4 I 43,5 I 43,6.



59 Grâce à la relation d'intimité avec Dieu dans l'Esprit Saint, l'homme se comprend également lui-même d'une façon nouvelle, il comprend sa propre humanité. L'image, la ressemblance de Dieu qu'est l'homme depuis le commencement est ainsi pleinement réalisée(255). Cette vérité intime de l'être humain doit être continuellement redécouverte à la lumière du Christ qui est le modèle du rapport avec Dieu, et en lui doit être également redécouverte la raison pour laquelle l'homme "ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même" en union avec les autres hommes, comme l'écrit le Concile Vatican II, justement en raison de la ressemblance avec Dieu qui "montre bien que l'homme ... (est) l'unique créature que Dieu a voulue pour elle-même" dans sa dignité de personne, mais aussi dans son ouverture à l'intégration et à la communion avec les autres(256). La connaissance effective et la réalisation plénière de cette vérité de l'être adviennent seulement par l'Esprit Saint. L'homme apprend cette vérité de Jésus Christ, et il la met en oeuvre dans sa propre vie, par l'Esprit que lui-même nous a donné.
Sur ce chemin - sur le chemin d'une telle maturation intérieure qui comporte la pleine découverte du sens de l'humanité -, Dieu se rend intime à l'homme, il pénètre toujours plus à fond dans tout le monde humain. Dieu un et trine, qui "existe" en lui-même comme réalité transcendante du Don interpersonnel, en se communiquant dans l'Esprit Saint comme Don à l'homme, transforme le monde humain de l'intérieur, dans les coeurs et dans les consciences. Sur ce chemin, le monde, rendu participant du Don divin, devient, comme l'enseigne le Concile, "toujours plus humain, toujours plus profondément humain"(257), tandis qu'en lui, à travers les coeurs et les consciences des hommes, se développe le Règne dans lequel Dieu sera définitivement "tout en tous"(258), comme Don et Amour. Don et Amour: telle est l'éternelle puissance du Dieu un et trine qui s'ouvre lui-même à l'homme et au monde dans l'Esprit Saint.
Dans la perspective de l'An 2000 après la naissance du Christ, il s'agit de parvenir à ce qu'un nombre toujours plus grand d'hommes "puissent se trouver pleinement à travers le don désintéressé d'eux-mêmes". Il s'agit de parvenir à la réalisation en notre monde, sous l'action de l'Esprit-Paraclet, d'un processus de vraie maturation dans l'humanité, dans la vie individuelle comme dans la vie communautaire: c'est à ce propos que Jésus lui-même, "quand il prie le Père pour que "tous soient un..., comme nous sommes un" (
Jn 17,21-22) , ... nous suggère qu'il y a une certaine ressemblance entre l'union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l'amour"(259). Le Concile redit cette vérité sur l'homme, et l'Eglise voit en elle une indication particulièrement forte et déterminante de ses tâches apostoliques. Si, en effet, l'homme est la route de l'Eglise, cette route pase à travers tout le mystère du Christ, modèle divin de l'homme. Sur cette route, l'Esprit Saint, en affermissant en chacun de nous "l'homme intérieur", fait que l'homme, toujours plus, "se trouve pleinement à travers le don désintéressé de lui-même". On peut dire que, dans ces paroles de la Constitution pastorale du Concile, est résumée toute l'anthropologie chrétienne, la théorie et la pratique fondées sur l'Evangile, ou l'homme découvre en lui-même son appartenance au Christ et, en lui, son élévation à la dignité de fils de Dieu; il comprend mieux aussi sa dignité d'homme, précisément parce qu'il est le sujet de la présence de Dieu qui se rapproche de lui, le sujet de la bienveillance divine, dans laquelle se trouvent la perspective et même la racine de la glorification définitive. Alors on peut vraiment redire que "la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu"(260): l'homme, en vivant une vie divine, est la gloire de Dieu; l'Esprit Saint est le dispensateur caché de cette vie et de cette gloire. Selon Basile le Grand, "simple par son essence, mais se manifestant par des actions variées, ... il se donne en partage, mais garde son intégrité; ... présent à chacun de ceux qui peuvent le recevoir comme si celui-ci était unique, il répand sur tous la grâce en plénitude"(261).

255 Cf. Gn 1,26-27 S. THOMAS D'AQUIN, Somme théol., I 93,4 I 93,5 I 93,8.
256 Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 24 cf. GS 25.
257 Cf ibid., GS 38 GS 40
258 Cf. 1Co 15,28
259 Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 24
260 Cf. S. IRÉNÉE, Adversus haereses, IV, 20, 7: SC 100/2, P. 648
261 S. BASILE, De Spiritu Sancto, IX, 22: PG 32, 110.




60 Lorsque, sous l'influence du Paraclet, les hommes découvrent cette dimension divine de leur être et de leur vie, comme personnes ou comme communautés, ils sont en mesure de se libérer des divers déterminismes qui résultent principalement des fondements matérialistes de la pensée, de la praxis et de ses méthodes. A notre époque, ces éléments ont réussi à pénétrer jusqu'au coeur de l'homme, dans le sanctuaire de la conscience ou sans cesse l'Esprit Saint fait entrer la lumière et la force de la nouvelle vie selon la "liberté des enfants de Dieu". La maturité de l'homme dans cette vie est entravée par les conditionnements et par les pressions qu'exercent sur lui les structures et les mécanismes dominants dans les divers secteurs de la société. On peut dire que, dans bien des cas, les facteurs sociaux, loin de favoriser le développement et l'expansion de l'esprit humain, finissent par l'arracher à la vérité authentique de son être et de sa vie - sur laquelle veille l'Esprit Saint - et par le soumettre au "Prince de ce monde".
Le grand Jubilé de l'An 2000 contient donc un message de libération par l'action de l'Esprit: seul celui-ci peut aider les personnes et les communautés à se libérer des déterminismes anciens et nouveaux, en les guidant par la "loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus"(262), en agissant dans la plénitude de la vraie liberté de l'homme ainsi découverte. En effet, comme l'écrit saint Paul, là "ou est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté"(263). Cette révélation de la liberté et donc de la véritable dignité de l'homme acquiert une particulière éloquence pour les chrétiens et pour l'Eglise persécutés, soit dans les temps anciens soit actuellement, car les témoins de la Vérité divine deviennent alors une preuve vivante de l'action de l'Esprit de vérité, présent dans le coeur et dans la conscience des fidèles, et il n'est pas rare qu'ils signent de leur martyre l'exaltation suprême de la dignité humaine.
C'est aussi dans les conditions ordinaires de la société que les chrétiens, témoins de l'authentique dignité de l'homme, par leur obéissance à l'Esprit Saint, contribuent de bien des manières au "renouvellement de la face de la terre": ils collaborent avec leurs frères pour réaliser et mettre en valeur tout ce qui est bon, noble et beau dans le progrès actuel de la civilisation, de la culture, de la science, de la technique et des autres secteurs de la pensée et de l'activité humaine(264). Ils le font comme disciples du Christ qui, selon les mots du Concile, "constitué Seigneur par sa Résurrection ... agit désormais dans le coeur des hommes par la puissance de son Esprit; il n'y suscite pas seulement le désir du siècle à venir, mais par là même anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière"(265). Ainsi, ils affirment davantage encore la grandeur de l'homme fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, grandeur que le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu met en pleine lumière, car, dans la "plénitude du temps", il est entré dans l'histoire par l'Esprit Saint et il s'est manifesté homme véritable, lui qui est le premier-né de toute créature, lui "par qui tout existe et par qui nous sommes"(266).

262
Rm 8,2
263 2Co 3,17
264 Cf. CONC. CUM. VAT. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 53-59
265 Ibid., GS 38
266 1Co 8,6



5. L'Eglise, sacrement de l'union intime avec Dieu

61 A l'approche de la conclusion du deuxième millénaire qui doit rappeler à tous et en quelque sorte réactualiser l'avènement du Verbe dans la "plénitude du temps", l'Eglise désire encore une fois saisir l'essence même de sa constitution divine et humaine et de la mission qui la fait participer à la mission messianique du Christ, selon l'enseignement et le projet, toujours valables, du Concile Vatican II. Dans la même ligne, nous pouvons remonter jusqu'au Cénacle, ou Jésus Christ révèle l'Esprit Saint comme Paraclet, comme Esprit de vérité, et parle de son "départ" par la Croix comme condition nécessaire de la "venue" de l'Esprit: "C'est votre intérêt que je parte; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous; mais si je pars, je vous l'enverrai"(267). Nous avons vu que cette annonce a connu sa première réalisation dès le soir de Pâques et ensuite durant la célébration de la Pentecôte à Jérusalem; depuis lors, elle s'accomplit par l'Eglise dans l'histoire de l'humanité.
A la lumière de cette annonce, ce que Jésus dit de sa nouvelle "venue", toujours durant la dernière Cène, prend tout son sens. Il est en effet significatif que, dans le même discours d'adieu, il annonce non seulement son "départ", mais aussi sa nouvelle "venue". Il dit précisément: "Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous"(268). Et au moment de la séparation définitive avant de monter au ciel, il redira encore plus explicitement: "Et voici que je suis avec vous", et je le suis, "pour toujours jusqu'à la fin du monde"(269). La nouvelle "venue" du Christ, sa "venue" continuelle, pour être avec les Apôtres et avec l'Eglise, sa parole: "Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde", ne changent certes pas le fait de son "départ". A la suite de ce "départ", après la conclusion de l'activité messianique du Christ sur la terre, sa nouvelle "venue" a lieu dans le cadre de l'envoi de l'Esprit Saint qui a été annoncé, et, pour ainsi dire, elle s'inscrit à l'intérieur de la mission même de l'Esprit. Et pourtant, elle s'accomplit par l'oeuvre de l'Esprit Saint, grâce auquel le Christ, qui s'en est allé, vient maintenant et toujours de façon nouvelle. La nouvelle "venue" du Christ par l'oeuvre de l'Esprit Saint, sa présence et son action constantes dans la vie spirituelle s'actualisent dans la réalité sacramentelle. En elle, le Christ, qui, dans son humanité visible, s'en est allé, vient, est présent et agit d'une manière si intime dans l'Eglise qu'il en fait son Corps. C'est ainsi que l'Eglise vit, oeuvre et croît "jusqu'à la fin du monde". Tout cela se réalise par l'Esprit Saint.

267
Jn 16,7
268 Jn 14,18
269 Mt 28,20



62 L'expression sacramentelle la plus complète du "départ" du Christ par le mystère de la Croix et de la Résurrection est l'Eucharistie.
En elle, sa venue et sa présence salvifiques se réalisent chaque fois sacramentellement: dans le Sacrifice et dans la Communion. C'est là une oeuvre de l'Esprit Saint, dans le cadre de sa mission(270). Par l'Eucharistie, l'Esprit Saint "fortifie l'homme intérieur", comme le dit la Lettre aux Ephésiens(271). Par l'Eucharistie, les personnes et les communautés, sous l'action du Paraclet-Consolateur, apprennent à découvrir le sens divin de la vie humaine, rappelé par le Concile, sens selon lequel Jésus Christ "révèle pleinement l'homme à l'homme", en suggérant "une certaine ressemblance entre l'union des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l'amour"(272). Une telle union s'exprime et se réalise d'une façon particulière par l'Eucharistie ou l'homme, participant au sacrifice de la Croix que cette célébration rend présent, apprend à "se trouver ... par le don ... de lui-même"(273), dans la communion avec Dieu et avec les autres hommes, ses frères.
C'est pour cela que les premiers chrétiens, dès les jours qui ont suivi la descente de l'Esprit Saint, "se montraient assidus ... à la fraction du pain et aux prières", formant ainsi une communauté unie par l'enseignement des Apôtres(274). De cette façon, ils "reconnaissaient" que leur Seigneur ressuscité et déjà monté au ciel revenait au milieu d'eux dans la communauté eucharistique de l'Eglise et grâce à elle. Depuis son origine, l'Eglise, guidée par l'Esprit Saint, s'est exprimée et s'est affermie par l'Eucharistie. Il en a toujours été ainsi, dans toutes les générations chrétiennes, jusqu'à notre temps, jusqu'à cette veille de l'achèvement du second millénaire chrétien. Certes, nous devons, hélas, constater que ce millénaire, désormais écoulé, a été celui des grandes séparations entre les chrétiens. Tous ceux qui croient dans le Christ devront donc, à l'exemple des Apôtres, consacrer tous leurs efforts à accorder leur pensée et leur action à la volonté de l'Esprit Saint, "principe de l'unité de l'Eglise"(275), afin que tous ceux qui ont été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul corps se retrouvent en frères unis dans la célébration de la même Eucharistie, "sacrement de l'amour, signe de l'unité, lien de la charité"(276).

270 C'est ce qu'exprime l'" épiclèse " avant la consécration: " Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit; qu'elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur " (Prière eucharistique II).
271 Cf.
Ep 3,16
272 Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 24
273 Ibid.
274 Cf. Ac 2,42
275 CONC. CUM. VAT. II, Décret sur l'oecuménisme Unitatis redintegratio, n. 2.
276 S. AUGUSTIN, In Iohannis Evangelium Tractatus XXVI, 13: CCL 36, 266. Cf. CONC. CUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, SC 47



63 La présence eucharistique du Christ - son "je suis avec vous" de portée sacramentelle - permet à l'Eglise de découvrir toujours plus profondément son propre mystère, comme l'atteste toute l'ecclésiologie du Concile Vatican II: pour celui-ci, "l'Eglise (est), dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain"(277). Comme sacrement, l'Eglise se développe à partir du mystère pascal du "départ" du Christ, en vivant sa "venue" toujours nouvelle par l'Esprit Saint qui accomplit sa mission même de Paraclet, Esprit de vérité. C'est précisément là le mystère essentiel de l'Eglise, tel que le proclame le Concile.
Si, en vertu de la création, Dieu est celui en qui tous "nous avons la vie, le mouvement et l'être"(278), pour sa part la puissance de la Rédemption continue et se développe dans l'histoire de l'homme et du monde comme en un double "mouvement" dont la source se trouve dans le Père éternel. D'un côté, c'est le mouvement de la mission du Fils, qui est venu dans le monde en naissant de la Vierge Marie par l'Esprit Saint; et, de l'autre, c'est aussi le mouvement de la mission de l'Esprit Saint, qui a été révélé définitivement par le Christ. A cause du "départ" du Fils, l'Esprit Saint est venu et vient continuellement comme Paraclet et Esprit de vérité. Dans le cadre de sa mission, en quelque sorte dans l'intimité de la présence invisible de l'Esprit, le Fils, qui "s'en était allé" dans le mystère pascal, "vient" et est continuellement présent dans le mystère de l'Eglise; tantôt il reste caché, tantôt il se manifeste dans son histoire, sans cesser d'en conduire le cours. Tout cela advient sous forme sacramentelle, par l'action de l'Esprit Saint qui, puisant dans les richesses de la Rédemption du Christ, sans cesse donne la vie. En prenant une conscience toujours plus vive de ce mystère, l'Eglise saisit mieux son identité, surtout sacramentelle.
Cela se réalise aussi parce que, par la volonté de son Seigneur, au moyen des divers sacrements, l'Eglise assure son ministère de salut. Chaque fois que le ministère des sacrements est accompli, il porte en soi le mystère du "départ" du Christ par la Croix et la Résurrection, en vertu duquel l'Esprit Saint vient. Il vient et il agit: "Il donne la vie". Les sacrements, en effet, signifient la grâce et ils confèrent la grâce: ils expriment la vie et ils donnent la vie. L'Eglise est la dispensatrice visible des signes sacrés, tandis que l'Esprit Saint agit en eux comme le dispensateur invisible de la vie qu'ils signifient. En union avec l'Esprit Saint, le Christ Jésus y est présent et il y agit.

277 Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium,
LG 1
278 Ac 17,28



64 Si l'Eglise est le sacrement de l'union intime avec Dieu, elle l'est en Jésus Christ, en qui cette union s'accomplit comme réalité salvifique. Elle l'est en Jésus Christ, par l'action de l'Esprit Saint. La plénitude de la réalité salvifique, qu'est le Christ dans l'histoire, se communique sous le mode sacramentel par la puissance de l'Esprit-Paraclet. En ce sens l'Esprit Saint est "l'autre Paraclet" ou le nouveau Paraclet, car, par son action, la Bonne Nouvelle pénètre dans les consciences et dans les coeurs humains et se diffuse dans l'histoire. En tout cela, l'Esprit donne la vie.
Lorsque nous employons le mot "sacrement" mis en rapport avec l'Eglise, nous devons tenir compte de ce que, dans le texte conciliaire, la sacramentalité de l'Eglise apparait distincte de celle qui est, au sens précis du terme, propre aux sacrements. Nous lisons en effet: "L'Eglise (est) ... en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu". Mais ce qui compte et ce qui ressort du sens analogique dans lequel le mot est employé dans les deux cas, c'est le rapport de l'Eglise avec la puissance de l'Esprit Saint, celui qui seul donne la vie: l'Eglise est le signe et l'instrument de la présence et de l'action de l'Esprit vivifiant.
Vatican II ajoute que l'Eglise est "le sacrement ... de l'unité de tout le genre humain". Il s'agit évidemment, pour le genre humain - lui-même différencié de multiples façons -, de l'unité qu'il tient de Dieu et qu'il a en Dieu. Elle s'enracine dans le mystère de la création et elle acquiert une dimension nouvelle dans le mystère de la Rédemption, en vue du salut universel. Puisque Dieu "veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité"(279), la Rédemption concerne tous les hommes et, d'une certaine façon, toute la création. Dans cette même dimension universelle de la Rédemption, l'Esprit Saint agit en vertu du "départ" du Christ. C'est pourquoi l'Eglise, enracinée par son propre mystère dans l'économie trinitaire du salut, se comprend elle-même à juste titre comme le "sacrement de l'unité de tout le genre humain". Elle a conscience de l'être par la puissance de l'Esprit Saint dont elle est signe et instrument dans la réalisation du plan salvifique de Dieu.
Ainsi se réalise la "condescendance" de l'Amour infini de la Trinité par lequel Dieu, Esprit invisible, se rend proche du monde visible. Dieu un et trine se communique à l'homme dans l'Esprit Saint depuis le commencement, grâce à son "image et ressemblance". Sous l'action du même Esprit, l'homme et, par son entremise, le monde créé, racheté par le Christ, avancent vers leur destinée définitive en Dieu. L'Eglise est "le sacrement, c'est-à-dire le signe et l'instrument" du rapprochement des deux pôles de la création et de la Rédemption, Dieu et l'homme. Elle oeuvre pour rétablir et renforcer l'unité du genre humain à ses racines mêmes, dans le rapport de communion entre l'homme et Dieu, son Créateur, son Seigneur et son Rédempteur. Il y a là une vérité, fondée sur l'enseignement du Concile, que nous pouvons méditer, expliquer et appliquer dans toute l'ampleur de son sens, en cette période de passage du deuxième au troisième millénaire chrétien. Et il nous est bon de prendre une conscience toujours plus vive du fait que, à l'intérieur de l'action accomplie par l'Eglise dans l'histoire du salut, inscrite dans l'histoire de l'humanité, l'Esprit Saint est présent et agissant, lui qui anime par le souffle de la vie divine le pèlerinage terrestre de l'homme et fait converger toute la création, toute l'histoire, jusqu'à son terme ultime, dans l'océan infini de Dieu.

279
1Tm 2,4



6. L'Esprit et l'Epouse disent: "Viens!"

65 La manière la plus simple et la plus commune dont l'Esprit Saint, le souffle de la vie divine, s'exprime et entre dans l'expérience, c'est la prière. Il est beau et salutaire de penser que, partout ou l'on prie dans le monde, l'Esprit Saint, souffle vital de la prière, est présent. Il est beau et salutaire de reconnaître que, si la prière est répandue dans tout l'univers, hier, aujourd'hui et demain, la présence et l'action de l'Esprit Saint sont tout autant répandus, car l'Esprit "inspire" la prière au coeur de l'homme, dans la diversité illimitée des situations et des conditions favorables ou contraires à la vie spirituelle et religieuse. Maintes fois, sous l'action de l'Esprit Saint, la prière monte du coeur de l'homme malgré les interdictions et les persécutions, et même malgré les proclamations officielles affirmant le caractère areligieux ou franchement athée de la vie publique. La prière demeure toujours la voix de tous ceux qui apparemment n'ont pas de voix, et dans cette voix résonne toujours la "violente clameur" attribuée au Christ par la Lettre aux Hébreux(280). La prière est aussi la révélation de cet abîme qu'est le coeur de l'homme, une profondeur qui vient de Dieu et que Dieu seul peut combler, précisément par l'Esprit Saint. Nous lisons dans Luc: "Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient!"(281).
L'Esprit Saint est le Don qui vient dans le coeur de l'homme en même temps que la prière. Dans la prière, il se manifeste avant tout et par-dessus tout comme le Don qui "vient au secours de notre faiblesse". C'est l'admirable pensée développée par saint Paul dans la Lettre aux Romains, lorsqu'il écrit: "Nous ne savons pas que demander pour prier comme il faut; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements inexprimables"(282). Ainsi non seulement l'Esprit Saint nous amène à prier, mais il nous guide "de l'intérieur" dans la prière, compensant notre insuffisance, remédiant à notre incapacité de prier; il est présent dans notre prière et il lui donne une dimension divine(283). "Celui qui sonde les coeurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu"(284). La prière, grâce à l'Esprit Saint, devient l'expression toujours plus mûre de l'homme nouveau qui, par elle, participe à la vie divine.
Notre époque difficile a particulièrement besoin de la prière. Si au cours de l'histoire, hier comme aujourd'hui, des hommes et des femmes en grand nombre ont témoigné de l'importance de la prière en se consacrant à la louange de Dieu et à la vie d'oraison surtout dans les monastères, avec un grand profit pour l'Eglise, il y a aussi, depuis quelques années, un nombre croissant de personnes qui, dans des mouvements ou des groupes toujours plus développés, mettent la prière au premier plan et y cherchent le renouveau de la vie spirituelle. C'est là un fait significatif et réconfortant, puisque cette expérience apporte une contribution réelle à la reprise de la prière parmi les fidèles, aidés à mieux considérer l'Esprit Saint comme celui qui suscite dans les coeurs une profonde aspiration à la sainteté.
Beaucoup de personnes et beaucoup de communautés prennent davantage conscience de ce que, malgré tout le progrès vertigineux de la civilisation technico-scientifique, et quels que soient les conquêtes effectives et les objectifs réalisés, l'homme est menacé, l'humanité est menacée. Face à ce péril, et plus encore en éprouvant de l'inquiétude devant une réelle décadence spirituelle de l'homme, des individus et des communautés entières, comme guidés par un sens intérieur de la foi, cherchent la force capable de relever l'homme, de le sauver de lui-même, de ses erreurs et de ses illusions, qui souvent rendent nocives ses propres conquêtes. Et ainsi ils découvrent la prière, dans laquelle se manifeste l'"Esprit qui vient au secours de notre faiblesse". C'est ainsi que les temps que nous vivons rapprochent de l'Esprit Saint de nombreuses personnes qui reviennent à la prière. Et je suis sûr que toutes trouveront dans l'enseignement de la présente Encyclique une nourriture pour leur vie intérieure et qu'elles sauront, sous l'action de l'Esprit, affermir leur engagement dans la prière en plein accord avec l'Eglise et avec son Magistère.

66 Au milieu des problèmes, des déceptions et des espoirs, des abandons et des retours que connaît notre époque, l'Eglise demeure fidèle au mystère de sa naissance. Si c'est un fait historique que l'Eglise est sortie du Cénacle le jour de la Pentecôte, on peut dire qu'en un sens elle ne l'a jamais quitté. Spirituellement, l'événement de la Pentecôte n'appartient pas seulement au passé: l'Eglise est toujours au Cénacle, qui reste présent dans son coeur. L'Eglise persévère dans la prière, comme les Apôtres, avec Marie, Mère du Christ, et avec ceux qui, à Jérusalem, constituaient le premier noyau de la communauté chrétienne et attendaient en priant la venue de l'Esprit Saint.
L'Eglise persévère dans la prière avec Marie. Cette union de l'Eglise en prière avec la Mère du Christ fait partie du mystère de l'Eglise depuis son origine: nous voyons Marie présente en ce mystère comme elle est présente dans le mystère de son Fils. Le Concile le dit: "La bienheureuse Vierge..., enveloppée par l'Esprit Saint..., engendra le Fils, dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères (cf.
Rm 8,29) , c'est-à-dire parmi les croyants, à la naissance et à l'éducation desquels elle apporte la coopération de son amour maternel"; elle se trouve, "de par les grâces et les fonctions singulières qui sont les siennes..., en intime union avec l'Eglise: de l'Eglise (elle) est le modèle..."(285). "En contemplant la sainteté mystérieuse de la Vierge et en imitant sa charité..., l'Eglise devient à son tour une Mère" et, "imitant la Mère de son Seigneur, elle conserve par la vertu du Saint-Esprit, dans leur pureté virginale, une foi intègre, une ferme espérance, une charité sincére... Elle est aussi vierge, ayant donné à son Epoux sa foi"(286).
On comprend ainsi le sens profond du motif pour lequel, en union avec la Vierge-Mère, l'Eglise, comme l'Epouse, se tourne continuellement vers son divin Epoux, ainsi que l'attestent les paroles de l'Apocalypse citées par le Concile: "L'Esprit et l'Epouse disent au Seigneur Jésus: Viens!"(287). La prière de l'Eglise est cette invocation incessante dans laquelle "l'Esprit lui-même intercède pour nous"; en un sens, lui-même prononce la prière avec l'Eglise et dans l'Eglise. L'Esprit, en effet, est donné à l'Eglise afin que, par sa puissance, toute la communauté du Peuple de Dieu, dans sa diversité et ses multiples manifestations, persévère dans l'Espérance, "car notre salut est objet d'espérance"(288). C'est l'espérance eschatologique, l'espérance de l'accomplissement définitif en Dieu, l'espérance du Règne éternel, qui se réalise dans la participation à la vie trinitaire. L'Esprit Saint, donné aux Apôtres comme Paraclet, est le gardien et l'animateur de cette espérance dans le coeur de l'Eglise.
Dans la perspective du troisième millénaire après le Christ, tandis que "l'Esprit et l'Epouse disent au Seigneur Jésus: Viens!", cette prière est chargée, comme toujours, d'une portée eschatologique destinée à donner aussi sa plénitude de sens à la célébration du grand Jubilé. C'est une prière tournée vers le salut à venir, auquel l'Esprit Saint ouvre les coeurs par son action au cours de toute l'histoire de l'homme sur la terre. En même temps, cependant, cette prière s'oriente vers une étape précise de l'histoire marquée par l'An 2000, dans laquelle est mise en relief la "plénitude du temps". L'Eglise désire se préparer à ce Jubilé dans l'Esprit Saint, de même que c'est l'Esprit Saint qui prépara la Vierge de Nazareth, en laquelle le Verbe s'est fait chair.

280 Cf. He 5,7
281 Lc 11,13
282 Rm 8,26
283 Cf ORIGENE De oratione, 2: PG 11, 419-423.
284 Rm 8,27
285 Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 63
286 Ibid., LG 64
287 Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 4 cf. Ap 22,17
288 Cf . Rm 8,24




Dominum et vivific. FR 58