Aristote de Anima 203

Chapitre 3

203 Que l’âme soit donc une certaine réalisation et la forme de ce qui possède la puissance d’avoir une nature déterminée, cela est évident d’après ce que nous venons de voir. Les facultés de l’âme dont nous venons de parler appartiennent toutes à certains êtres vivants comme nous l’avons dit. Elles sont les facultés ce qui permettent la nourriture, l’appétit, la sensation, le mouvement local, la réflexion.

Les plantes ne possèdent que la faculté nutritive. D’autres vivants possèdent celle-ci [414b] et de plus, la faculté sensitive ; et, s’ils possèdent la faculté sensitive, ils possèdent aussi la faculté désirante, car sont du désir l’appétit, le courage et la volonté ; or les animaux possèdent, tous, au moins l’un des sens, savoir le toucher, et là où il y a sensation, il y a aussi plaisir et douleur, et ce qui cause le plaisir et la douleur et les êtres qui possèdent ces états ont aussi l’appétit, car l’appétit est le désir de l’agréable. De plus, tous les animaux ont la sensation de la nourriture, car le toucher est le sens de la nourriture. En effet, des choses sèches, humides, chaudes et froides constituent exclusivement la nourriture de tous les animaux (et ces qualités sont perçues par le toucher, tandis que les autres sensibles ne le sont pas, sauf par accident), car le son, la couleur, ni l’odeur ne contribuent en rien à la nourriture ; quant à la saveur, elle est l’une des qualités tangibles. Or la faim et la soif sont appétit, la faim, du sec et du chaud, la soif, du froid et de l’humide ; et la saveur est en quelque sorte un assaisonnement de ces qualités. Nous aurons à éclaircir ces points dans la suite. Pour l’instant, qu’il nous suffise de dire qu’à ceux des animaux qui possèdent le toucher, le désir appartient également.

Quant à savoir s’ils possèdent la représentation, la question est douteuse et elle sera à examiner plus tard. A certains animaux appartient en outre la faculté de locomotion, d’autres ont encore la faculté noétique et l’intellect par exemple l’homme et tout autre être vivant, s’il en existe, qui soit d’une nature semblable ou supérieure.

Il est donc évident que s’il y a une notion commune de l’âme, ce ne peut être que de la même façon qu’il y en a une de la figure ; car, dans ce dernier cas, il n’y a pas de figure en dehors du triangle et des figures qui lui sont consécutives, et, dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas d’âme non plus en dehors des âmes que nous avons énumérées. Cependant les figures elles-mêmes pourraient être dominées par une notion commune qui s’applique rait à toutes ; mais, par contre, elle ne conviendrait proprement à aucune. De même pour les âmes que nous avons énumérées. Aussi est-il ridicule de rechercher, par-dessus ces choses et par-dessus d’autres, une définition commune, qui ne sera la définition propre d’aucune réalité, et de ne pas, laissant de côté une telle définition, s’attacher au propre et à l’espèce indivisible. Et le cas de l’âme est tout à fait semblable à celui des figures : toujours, en effet, l’antérieur est contenu en puissance dans ce qui lui est consécutif, aussi bien pour les figures que pour les êtres animés : par exemple, dans le quadrilatère est contenu le triangle, et dans l’âme sensitive, la nutritive. Par conséquent, pour chaque classe d’êtres, il faut rechercher quelle espèce d’âme lui appartient, quelle est, par exemple, l’âme de la plante, et celle de l’homme ou celle de l’animal. Mais par quelle raison expliquer une consécution de ce genre dans les âmes : c’est ce qu’il faudra examiner. [415a]Sans l’âme nutritive, en effet, il n’y a pas d’âme sensitive, tandis que, chez les plantes, l’âme nutritive existe séparément de l’âme sensitive. De même encore, sans le toucher, aucun autre sens n’existe, tandis que le toucher existe sans les autres sens, car beaucoup d’animaux ne possèdent ni la vue, ni l’ouïe, ni la sensation de l’odeur. De plus, parmi les êtres sentants, les uns possèdent la faculté de locomotion, et les autres ne l’ont pas. En dernier lieu, certains animaux, et c’est le petit nombre, possèdent le raisonnement et la pensée, car ceux des êtres corruptibles qui sont doués du raisonnement ont aussi les autres facultés, tandis que ceux qui possèdent l’une quelconque de ces dernières ne possèdent pas tous le raisonnement : au contraire, certains n’ont même pas la représentation, d’autres vivent seulement par elle. Quant à ce qui concerne l’intelligence spéculative, c’est une autre question.


Chapitre 4

204 Ainsi donc, parler de chacune de ces espèces d’âmes en particulier est évidemment aussi la façon la mieux appropriée de parler de l’âme. Quand on se propose de faire porter son examen sur les différentes facultés, il est indispensable de saisir d’abord l’essence de chacune d’elles, et de ne rechercher qu’ensuite, de cette façon, les propriétés dérivées et les autres. Mais s’il faut définir ce qu’est chacune de ces facultés, par exemple ce qu’est la faculté intellectuelle, ou la faculté sensitive, ou la faculté nutritive, auparavant encore il faut établir ce qu’est l’acte de penser et ce qu’est l’acte de sentir, puisque les actes et les opérations sont logiquement antérieurs aux puissances. Et, s’il en est ainsi, comme il faut encore, avant ces actes, avoir étudié leurs opposés, c’est de ces derniers que, toujours pour la même raison, nous devrons d’abord traiter : et par opposés, j’entends la nourriture, le sensible et l’intelligible.

C’est donc de la nourriture et de la génération que nous devons d’abord parler. En effet, l’âme nutritive appartient aussi aux êtres animés autres que l’homme, elle est la première et la plus commune des facultés de l’âme, et c’est par elle que la vie appartient à tous les êtres.

Ses fonctions sont la génération et l’usage de la nourriture. Car la plus naturelle des fonctions pour tout être vivant qui est achevé et qui n’est pas incomplet ou dont la génération n’est pas spontanée, c’est de créer un autre être semblable à lui, l’animal un animal, et la plante une plante, de façon à participer à l’éternel et au divin, dans la mesure du possible. Car tel est l’objet du désir de tous les êtres, la fin de leur naturelle activité. Or le terme « fin » est pris en un double sens : c’est, d’une part, le but lui-même, et, d’autre part, l’être pour qui ce but est une fin. Puis donc qu’il est impossible pour l’individu de participer à l’éternel et au divin d’une façon continue, par le fait qu’aucun être corruptible ne peut demeurer le même et numériquement un, c’est seulement dans la mesure où il peut y avoir part que chaque être y participe, l’un plus, l’autre moins ; et il demeure ainsi non pas lui-même, mais semblable à lui-même, non pas numériquement un, mais spécifiquement un.

L’âme est cause et principe du corps vivant. Ces termes, « cause » et « principe », se prennent en plusieurs acceptions, mais l’âme est pareillement cause selon les trois modes que nous avons déterminés ; elle est, en effet, l’origine du mouvement elle est la fin, et c’est aussi comme la substance formelle des corps animés que l’âme est cause.

Qu’elle soit cause comme substance formelle, c’est évident, car la cause de l’être est, pour toutes choses, la substance formelle : or c’est la vie qui, chez tous les êtres vivants, constitue être, et la cause et le principe de leur vie, c’est l’âme. De plus, la forme de l’être en puissance, c’est la réalisation. Il est manifeste que, comme fin aussi, l’âme est cause.

De même, en effet, que l’intellect agit en vue d’une chose, c’est ainsi qu’agit la nature, et cette chose est sa fin. Or une fin de ce genre chez les animaux, c’est l’âme, et cela est conforme à la nature, car tous les corps naturels vivants sont de simples instruments de l’âme, aussi bien ceux des plantes que ceux des animaux : c’est donc que l’âme est bien leur fin. On sait que le terme « fin » est pris en un double sens d’une part, le but lui-même, et, d’autre part, l’être pour qui ce but est une fin.

Mais, en outre, le principe premier du mouvement local, c’est aussi l’âme ; seulement, tous les êtres vivants ne possèdent par cette faculté. L’altération et l’accroissement sont encore dus à l’âme : en effet, la sensation semble bien être une c altération, et nul être n’est capable de sentir s’il n’a l’âme en partage. Il en est de même en ce qui concerne l’accroissement et le décroissement, car rien ne décroît, ni ne croît naturellement qui ne soit nourri, et rien n’est nourri qui n’ait la vie en partage.

Il y a un sujet dans lequel Empédocle ne s’est pas exprimé comme il convient : c’est quand il a ajouté que l’accroissement se produit, chez les plantes, vers le bas par le développement de la racine, [416a] parce que la terre se porte naturellement dans cette direction, et vers le haut, parce que le feu se porte de même dans cette direction opposée. En effet, Empédocle n’entend pas avec exactitude le haut et le bas : en fait, le haut et le bas ne sont pas les mêmes pour chaque être que pour l’Univers mais ce qu’est la tête aux animaux, les racines le sont aux plantes, s’il est vrai qu’il faille juger de la différence et de l’identité des organes par leurs fonctions. De plus dans ce système qu’est-ce qui assure l’union du feu et de la terre se portant dans des directions contraires ? Ils se sépareront, en effet, s’il n’existe pas quelque principe pour les en empêcher. Mais si ce principe existe, c’est lui qui est l’âme et la cause de l’accroissement et de la nourriture. Certains philosophes pensent, de leur côté, que la nature du feu est, au sens absolu, la cause de la nourriture et de l’accroissement ; car il apparaît, en fait, que c’est le seul des corps ou des éléments qui se nourrisse et s’accroisse, et, dès lors, l’on serait tenté de supposer que, tant chez les plantes que chez les animaux, le feu est la cause opérative. Mais s’il est, en un sens, une cause adjuvante il n’est pourtant pas une cause proprement dite : c’est plutôt l’âme qui joue ce rôle. En effet, l’accroissement du feu se fait à l’infini, aussi longtemps qu’il y a du combustible ; par contre, pour tous les êtres dont la constitution est naturelle, il existe une limite et une proportion de la grandeur comme de l’accroissement : or ces déterminations relèvent de l’âme mais non du feu, et de la forme plutôt que de la matière.

La même faculté de l’âme étant à la fois nutritive et génératrice, c’est de la nourriture qu’il est nécessaire de traiter d’abord, car la faculté en question se définit par rapport aux autres au moyen de cette fonction.

On pense d’ordinaire que le contraire est la nourriture du contraire ; non pas que tout contraire soit la nourriture de tout contraire : il faut pour cela des contraires qui ont non seulement une génération réciproque, mais encore un accroissement réciproque. (Car beaucoup de choses s’engendrent réciproquement, mais toutes ne sont pas des quantités : c’est ainsi que le sain provient du malade.) Il apparaît aussi que même ces derniers contraires ne sont pas réciproquement aliment de la même façon : l’eau, par exemple, est aliment du feu, tandis que le feu n’alimente pas l’eau.

C’est donc surtout des corps simples, semble-t-il, qu’on peut dire que l’un des deux contraires est aliment, et l’autre alimenté. Mais cette théorie soulève une difficulté. Certains philosophes soutiennent, en effet, que le semblable est nourri, aussi bien qu’accru, par le semblable ; les autres, ainsi que nous l’avons dit admettent universellement que le contraire est alimenté par le contraire, attendu, selon eux, que le semblable ne peut subir sous l’action du semblable, tandis que la nourriture est changée et digérée, et que le changement a lieu, dans tous les cas, vers l’opposé ou l’intermédiaire. De plus, l’aliment est en quelque sorte affecté par celui qui s’en nourrit, [416b] de même que ce n’est pas le charpentier qui subit sous l’action de la matière, mais bien cette dernière sous l’action du charpentier, le charpentier, lui, passant seulement à l’activité, en partant de l’inaction.

Mais qu’entend-on par aliment ? Est-ce ce qui s’ajoute à l’être nourri, en dernier lieu, ou en premier lieu ? Cela fait une différence. Si les deux sont des aliments, mais l’un non digéré, et l’autre digéré, dans l’un et l’autre sens on pourra parler d’aliment : car, en tant que la nourriture est non digéré, le contraire est nourri par le contraire, mais, en tant que la nourriture est digéré, le semblable est nourri par le semblable. Par conséquent, il est clair qu’en un certain sens, ces philosophes ont, les uns et les autres, à la fois, tort et raison.

Mais puisque nul être ne se nourrit s’il n’a la vie en partage, ce qui est nourri ce sera le corps animé, en tant qu’animé, de sorte que la nourriture aussi est relative à l’être animé, et cela non par accident. Mais l’essence de la nourriture est autre que celle de l’accroissant. En effet, en tant que l’animé est une quantité, la nourriture est un accroissant, mais en tant que l’animé est individu et substance, la nourriture est une nourriture. Car la nourriture conserve la substance de l’animé, qui continue d’exister aussi long temps qu’il se nourrit. De plus, la nourriture est l’agent de la génération : génération non pas de l’être nourri lui-même, mais d’un être semblable à l’être nourri : déjà, en effet, la substance de l’être nourri existe, et d’ailleurs aucun être ne s’engendre lui-même, mais il assure seulement sa conservation. Il en résulte qu’un tel principe de l’âme est une faculté capable de conserver l’être, en tant que tel, qui la possède, et la nourriture ne fait que procurer à cette faculté son activité. Aussi l’être privé de nourriture n’est-il plus capable de vivre.

Comme il y a donc trois facteurs pour la nourriture, savoir l’être qui est nourri, ce par quoi il se nourrit et ce qui le nourrit : d’une part, ce qui le nourrit, c’est l’âme première d’autre part l’être nourri, c’est le corps qui possède cette âme, enfin ce par quoi il est nourri, c’est la nourriture. Et puisqu’il est juste de dénommer toute chose d’après sa fin, et que la fin est ici d’engendrer un être semblable à soi, l’âme première sera l’âme génératrice d’un être semblable à celui qui la possède.

L’expression « ce par quoi l’être se nourrit » est prise en un double sens, qui est aussi celui de « ce par quoi l’on gouverne », autre expression qui signifie à la fois la main et le gouvernail, l’une étant motrice et mue, et l’autre, mû seulement. Nous pouvons ici appliquer cette analogie en nous rappelant que tout aliment doit pouvoir être digéré, et que c’est le chaud qui opère la digestion : c’est pourquoi tout animé possède de la chaleur.

Tel est donc, schématiquement, ce que nous avions à dire de la nourriture. Nous aurons des éclaircissements à donner plus tard à son sujet, dans les ouvrages qui lui seront consacrés.


Chapitre 5

205 Ces points une fois définis, parlons, en général, de toute sensation. La sensation résulte d’un mouvement subi et d’une passion, ainsi que nous l’avons remarqué car, dans l’opinion courante, elle est une sorte d’altération. Certains philosophes disent aussi que le semblable subit sous l’action du semblable ; en quel sens cela est possible ou impossible, c’est ce que nous avons [417a] expliqué dans notre discussion générale de l’action et de la passion. Mais voici une difficulté : pourquoi, des organes sensoriels eux-mêmes n’y a-t-il pas sensation, et pourquoi, sans les sensibles extérieurs, les sens ne produisent-ils pas de sensation, alors qu’ils contiennent pourtant le feu, la terre et les autres éléments, lesquels sont objets de sensation soit en eux-mêmes, soit dans leurs accidents ? C’est donc évidemment que la faculté sensitive n’existe pas en acte, mais en puissance seulement. Aussi en est-il comme du combustible, qui ne brûle pas de lui-même sans le comburant : car il se brûlerait lui-même, et le feu en réalisation n’aurait nullement besoin d’exister. Et puisque nous prenons le terme « sentir » en un double sens (car nous disons que l’être qui a la puissance d’entendre et de voir, entend et voit, même s’il lui arrive d’être endormi, et nous le disons également de l’être qui entend et voit déjà en acte), c’est en un double sens qu’on doit aussi parler de la sensation : il y a la sensation en puissance et la sensation en acte. De même encore pour le sensible, il y a ce qui est en puissance et ce qui est en acte.

Exprimons-nous donc d’abord comme s’il y avait identité entre subir et être mû, d’une part, et agir, d’autre part, car le mouvement est un certain acte, quoique imparfait, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs. Or toutes choses subissent et sont mues sous l’action d’un agent, et d’un agent en acte. D’où, en un sens, le semblable subit sous l’action du semblable, mais, en un autre sens, c’est sous l’action du dissemblable, comme nous l’avons expliqué. Car ce qui subit, c’est le dissemblable, mais une fois qu’il a subi, il est semblable.

Mais il faut encore poser des distinctions en ce qui concerne puissance et réalisation, car, dans la présente discussion, c’est sans préciser que nous venons d’en parler. En un sens, en effet, un être est savant à la façon dont nous dirions qu’un homme est savant, parce que l’homme rentre dans la classe des êtres qui sont savants et possèdent la science ; mais, en un autre sens, nous appelons savant celui qui a déjà la science de la grammaire. Or chacun d’eux n’est pas en puissance de la même manière, mais le premier est en puissance parce que son genre et sa matière sont d’une nature de telle sorte, et l’autre, parce que, à volonté, il est capable d’exercer sa science, si aucun obstacle extérieur ne l’en empêche. Enfin celui qui exerce déjà sa science est un savant en réalisation, et il sait, au sens propre, que cette chose-ci est la lettre A.

Les deux premiers sont donc, l’un et l’autre, savants en puissance ; seulement l’un actualise sa puissance après avoir subi une altération causée par l’étude, et avoir passé, à plusieurs reprises, d’un état contraire, à son opposé tandis que l’autre actualise sa puissance, en passant, d’une manière différente, de la simple possession du sens [417b] ou de la grammaire, sans l’exercice, à leur exercice même : Le terme « subir » n’est pas davantage un terme simple : en un sens, c’est une certaine corruption sous l’action du contraire, tandis que, en un autre sens, c’est plutôt la conservation de l’être en puissance par l’être en réalisation dont la ressemblance avec lui est du même ordre que la relation de la puissance à la réalisation

En effet, c’est par l’exercice de la science que devient savant en acte l’être qui possède la science et ce passage ou bien n’est pas du tout une altération (car c’est un progrès en lui-même et vers son réalisation), ou bien est un autre genre d’altération. Aussi n’est-il pas exact de dire que le pensant, quand il pense, subit une altération, pas plus que l’architecte quand il construit. Donc, l’agent qui fait passer à la réalisation ce qui est en puissance, dans le cas de l’être intelligent et pensant, mérite de recevoir non pas le nom d’enseignement, mais un autre nom. Quant à l’être qui, partant de la pure puissance, apprend et reçoit la science de la part de l’être en réalisation et capable d’enseigner, il faut dire ou bien qu’il n’en subit pas plus que le précédent, comme on vient de le dire de celui-ci, ou bien qu’il existe deux sortes d’altération : l’une est un changement vers les dispositions privatives, et l’autre vers les états positifs et la nature même du sujet. Pour l’être sensitif, le premier changement se produit sous l’action du générateur : une fois engendré, il possède dès lors la sensation, à la façon d’une science. La sensation en acte, elle, correspond à l’exercice de la science, avec cette différence toutefois que, pour la première, les agents producteurs de l’acte sont extérieurs : ce sont, par exemple, le visible et le sonore, aussi bien que les sensibles restants. La raison de cette différence est que ce sont des choses individuelles dont il y a sensation en acte, tandis que la science porte sur les universaux ; et ces derniers sont, en un sens dans l’âme elle-même. C’est pourquoi penser dépend du sujet lui-même, à sa volonté, tandis que sentir ne dépend pas de lui : la présence du sensible est alors nécessaire. Il en est de même en ce qui concerne les disciplines qui ont les sensibles pour objet, et ce, pour la même raison, savoir que les sensibles font partie des choses individuelles et de choses extérieures.

Mais l’occasion d’éclaircir ces points s’offrira encore plus tard. Pour l’instant, qu’il nous suffise d’avoir établi la distinction suivante : que l’expression « être en puissance » n’est pas simple ; mais, tantôt, c’est au sens où nous dirions que l’enfant est, en puissance, chef d’armée, et, tantôt, au sens où nous le dirions de l’adulte : or c’est en ce dernier sens qu’il faut l’entendre de la faculté sensitive. Mais puis que ces puissances différentes n’ont pas reçu de qualifications [418a] distinctes, et que, d’ailleurs, nous a avons déterminé, à leur sujet, qu’elles sont autres et la façon dont elles sont autres, nous sommes bien obligé de nous servir de "subir" et de « être altéré » comme de termes propres. Or la faculté sensitive est, en puissance, telle que le sensible est déjà en réalisation, ainsi que nous l’avons dit elle subit donc en tant qu n’est pas semblable, mais, quand elle a subi, elle est devenue semblable au sensible et elle est telle que lui.


Chapitre 6

206 Dans l’étude de chaque sens, il faut traiter d’abord des sensibles. « Le sensible » désigne trois espèces d’objets : deux de ces espèces sont, disons-nous, perceptibles par soi, tandis que la troisième l’est par accident. Des deux premières espèces, l’une est le sensible propre à chaque sens, et l’autre, le sensible commun à tous.

J’entends par sensible propre celui qui ne peut être senti par un autre sens et au sujet duquel il est impossible de se tromper : par exemple, la vue est sens de la couleur, l’ouïe, du son, et le goût, de la saveur. Le toucher, lui, a pour objet plusieurs différences. Mais chaque sens, du moins, juge de ses sensibles propres et ne se trompe pas sur le fait même de la couleur ou du son, mais seulement sur la nature et le lieu de l’objet coloré, ou sur la nature et le lieu de l’objet sonore. Tels sont donc les sensibles qu’on dit être propres à chaque sens.

Les sensibles communs sont le mouvement, le repos, le nombre, la figure, la grandeur ; car les sensibles de ce genre ne sont propres à aucun sens, mais sont communs à tous. C’est ainsi qu’un mouvement déterminé est sensible tant au toucher qu’à la vue.

On dit qu’il y a sensible par accident si, par exemple, on sent le blanc comme étant le fils de Diarès. C’est par accident, en effet, que l’on sent ce dernier, parce qu’au blanc est accidentellement uni l’objet senti. C’est pourquoi aussi, le sujet sentant ne subit aucune passion de la part de ce sensible en tant que tel. De plus, des deux espèces de sensibles par soi, ce sont les sensibles propres qui sont des sensibles proprement dits, et c’est à eux qu’est adaptée naturellement la substance de chaque sens.


Chapitre 7

207 L’objet de la vue, c’est le visible. Or le visible est, en premier lieu, la couleur, et, en second lieu, une espèce d’objet qu’il est possible de décrire par le discours, mais qui, en fait, n’a pas de nom ce que nous disons là deviendra clair surtout par la suite.

Le visible, en effet, est couleur et la couleur, c’est ce qui est à la surface du visible par soi et quand je dis « par soi », j’entends non pas ce qui est visible par son essence, mais ce qui est visible parce qu’il contient en lui-même la cause de sa visibilité, Toute couleur a en elle le pouvoir [418b] de mettre en mouvement la transparence en acte : c’est ce qui constitue sa nature. C’est pourquoi la couleur n’est pas visible sans le secours de la lumière, et c’est seulement dans la lumière que la couleur de tout objet est perçue. Aussi est-ce de la lumière qu’il faut d’abord expliquer la nature.

Il y a donc de la transparence. Et par transparence, j’entends ce qui, bien que visible, n’est pas visible par soi, à. proprement parler, mais à l’aide d’une couleur étrangère : tels sont l’air, l’eau et un grand nombre de corps solides. Car ce n’est ni en tant qu’eau, ni en tant qu’air qu’ils sont transparences, mais parce que, dans l’un comme dans l’autre élément, se trouve contenue une même nature, laquelle est aussi présente dans le corps éternel situé dans la région supérieure de l’Univers. La lumière est l’acte de cette substance, de la transparence en tant que transparence, et là où la transparence est présent seulement en puissance, là aussi existe l’obscurité. La lumière, elle, est comme la couleur de la transparence, quand la transparence est réalisé sous l’action du feu ou de quelque chose qui ressemble au corps situé dans la région supérieure, car à cette dernière substance appartient aussi un attribut qui est un et identique avec celui du feu.

Nous venons ainsi d’indiquer la nature de la transparence et celle de la lumière : à savoir, que la lumière n’est ni du feu, ni, en général, un corps, ni une émanation d’aucun corps (car, même ainsi, elle serait une sorte de corps), mais qu’elle est, en réalité, la présence du feu ou de quelque chose de ce genre, dans la transparence : car il n’est pas possible que deux corps coexistent dans le même lieu. On admet généralement d’ailleurs que la lumière est le contraire de l’obscurité. Mais, en réalité, l’obscurité est la privation, dans la transparence, d’une disposition de cette nature ; il en résulte évidemment que la lumière est la présence de cette disposition. Et ce n’est pas à bon droit qu’Empédocle (ou tout autre, s’il en fut, qui a professé la même opinion) prétend que la lumière se transporte et s’étend, à un moment donné, entre la Terre et ce qui l’environne, mais que nous ne nous en apercevons pas. Cette doctrine, en effet, contredit non seulement l’évidence de la raison, mais encore les faits : sans doute, pour une courte distance, ce mouvement pourrait nous échapper, mais que, de l’Orient à l’Occident, il passe inaperçu, c’est vraiment trop demander.

Le réceptacle de la couleur doit être l’incolore, comme celui du son, le silencieux. Or l’incolore comprend, d’une part, la transparence, et, d’autre part, l’invisible ou ce qui est faiblement visible, comme paraît bien être l’obscur. Cette dernière qualité est celle de la transparence, non pas quand il est transparence en réalisation, mais quand il l’est en puissance ; car c’est la même nature qui tantôt est obscurité, et tantôt lumière.

[419a] Mais tout ce qui est visible ne l’est pas dans la lumière : c’est seulement vrai de la couleur propre de chaque corps. Certaines choses, en effet, ne sont pas visibles dans la lumière, mais c’est dans l’obscurité seulement qu’elles produisent une sensation : telles sont les choses qui apparaissent en feu et brillantes (elles ne sont pas désignées par un terme commun), telles que l’agaric, la corne, les têtes de poisson, les écailles et les yeux ; seulement, d’aucune de ces choses on ne sent la couleur propre.

Quant à la raison pour laquelle ces objets sont perçus dans l’obscurité, c’est une autre question. Pour l’instant, ce qui est tout au moins évident c’est que ce qui est vu à la lumière, c’est la couleur. Et c’est aussi pourquoi la couleur n’est pas perçue sans le secours de la lumière.

En effet, ce qui fait d’elle une couleur, c’est, pour elle, disions-nous, le fait d’être capable de mouvoir la transparence en acte ; et la réalisation de la transparence est la lumière. La preuve de ce que nous venons de dire résulte avec évidence de ce qui suit : si on place l’objet coloré sur l’organe même de la vue, on ne le verra pas ; en fait, la couleur meut la transparence, par exemple l’air, et celui-ci, qui est continu meut à son tour l’organe sensoriel. Démocrite a tort, en effet, de penser que, si l’espace intermédiaire devenait vide, on pourrait voir nettement même une fourmi qui se trouverait dans le Ciel. C’est là une chose impossible. C’est seulement, en effet, quand le sensitif subit une certaine modification que la vision se produit. Or, que ce soit la couleur elle-même, qui étant l’objet d’une vision immédiate j, produise cette modification, voilà qui est inadmissible. Reste donc qu’elle ne puisse le faire que par un intermédiaire : l’existence d’un intermédiaire en résulte ainsi nécessairement. Mais si cet espace intermédiaire devenait vide, bien loin qu’on put voir avec netteté, on ne verrait absolument rien.

Nous avons donc expliqué pour quelle raison la couleur doit être vue dans la lumière. Quant au feu, il est visible à la fois dans l’obscurité et dans la lumière : et il en doit être nécessairement ainsi, puisque c’est grâce à lui que la transparence en puissance devient transparence en acte.

Le raisonnement est encore le même pour le son et l’odeur aucun d’eux, en effet, ne produit de sensation par le contact avec l’organe sensoriel lui-même ; mais sous l’action du son et de l’odeur, l’intermédiaire est mû, et il meut lui-même à son tour les organes sensoriels respectifs. Si, par contre, c’est sur l’organe sensoriel lui-même qu’on place l’objet sonore ou l’objet odorant, aucune sensation ne se produira. Pour le toucher et le goût, il en est de même, en dépit des apparences. Quelle est la raison de cette différence apparente, c’est ce que nous montrerons plus loin. L’intermédiaire des sons est l’air, celui des odeurs n’a pas de nom. Il y a, en effet, une propriété commune à l’air et à l’eau, et cette propriété, qui réside également dans l’un et dans l’autre, est à l’objet odorant dans la même relation que la transparence à la couleur. Car il apparaît, en fait, que les animaux qui vivent dans l’eau, eux aussi, [419b] possèdent la sensation de l’odeur ; mais l’homme et les animaux terrestres doués de la respiration sont incapables d’éprouver de sensations olfactives sans respirer. La raison de ces faits sera aussi expliquée plus tard.


Chapitre 8

208 Maintenant, pour commencer, établissons des distinctions au sujet du son et de l’ouïe. Le son se dit en un double sens : il y a le son en acte et le son en puissance. Pour certaines choses, en effet, nous disons qu’elles n’ont pas de son par exemple l’éponge, la laine ; pour d’autres, qu’elles possèdent le son : c’est le cas de l’airain et, en général, de tous les corps durs et lisses, parce qu’ils ont la puissance d’émettre des sons, c’est-à-dire de rendre, dans le milieu qui est intermédiaire entre l’objet sonore et l’organe de l’ouïe, un son en acte.

La production du son est toujours la réaction d’une chose à une autre, dans un certain milieu. C’est pourquoi aussi, il est impossible que d’un unique objet provienne un son, car la distinction entre le corps frappant et le corps frappé a pour con séquence que ce qui résonne ne résonne que lorsqu’il est en rapport avec quelque chose. De plus, le choc n’a pas lieu sans un mouvement de translation.

Mais, comme nous l’avons dit ce n’est pas le choc de deux corps pris au hasard qui constitue le son. La laine, en effet, ne rend aucun son si on la frappe, au contraire de ce qui se passe pour l’airain et pour tous les corps lisses et creux : l’airain, c’est parce qu’il est lisse, tandis que les corps creux produisent, par répercussion, une série de chocs à la suite du premier, l’air qui a été mis en mouvement étant dans l’impossibilité de s’échapper.

De plus le son est entendu dans l’air et aussi dans l’eau, quoique moins distinctement. Toutefois la condition déterminante du son n’est ni l’air, ni l’eau : ce qu’il faut, c’est que se produise un choc de solides l’un contre l’autre et contre l’air. Cette dernière condition est remplie, quand l’air, une fois frappé résiste et ne se disperse pas. De là vient qu’il doit être frappé rapidement et fortement pour résonner. Le mouvement du corps frappant, en effet, doit prévenir la dispersion de l’air, comme si l’on frappait un tas ou une rangée de grains de sable se mouvant avec rapidité.

L’écho se produit quand l’air, maintenu en une seule masse par une cavité qui le limite et l’empêche de se disperser, renvoie l’air comme une balle. Il semble que l’écho se produit toujours, mais qu’il n’est pas toujours distinct, car il se passe pour le son ce qui se passe pour la lumière : en effet, la lumière est toujours réfléchie (sinon la lumière ne se diffuserait pas partout, mais l’obscurité régnerait en dehors des lieux éclairés par le Soleil), mais elle n’est pas toujours réfléchie d’une façon aussi parfaite que par l’eau, l’airain ou tout autre corps poli, de manière à produire dans tous les cas une ombre, caractère par lequel nous définissons communément la lumière.

On dit avec raison que le vide est la cause déterminante de l’audition, car, dans l’opinion commune, le vide c’est l’air, lequel est bien la cause efficiente de l’audition, quand il est mû comme une masse continue et une, Mais, en raison de sin inconsistance, [420a] il ne rend aucun son, à moins que le corps frappé ne a soit lisse : l’air devient alors un, grâce en même temps à la nature de la surface ; car la surface du poli est une.

Est donc sonore le corps capable de mettre en mouvement une masse d’air, laquelle est une par continuité jusqu’à l’organe de l’ouïe. Il existe une masse d’air qui est dans une union naturelle avec l’organe de l’ouïe. Et par le fait que cet organe se trouve dans l’air si l’air extérieur est mis en mouvement, l’air intérieur de l’oreille est mû lui aussi. De là vient que l’animal n’entend pas en tous les points de son corps, et que l’air non plus ne le pénètre pas partout. Car ce n’est même pas en tous ses points que la partie du corps elle-même qui doit se mouvoir et émettre un son, renferme de l’air.

Ainsi donc, en lui-même, l’air est silencieux parce qu’il s’émiette facilement ; mais quand il est empêché de s’émietter, son mouvement est un son. Quant à l’air qui réside dans les oreilles, il y a été emprisonné pour y être immobile, de façon à perce voir avec exactitude toutes les différences du mouvement. C’est pour cela aussi que nous entendons même dans l’eau, parce que non seulement elle ne pénètre pas dans l’air qui est en union naturelle avec l’oreille, mais elle ne peut même pas entrer dans l’oreille, à cause des spirales. Et quand cela vient à se produire, on n’entend pas, pas plus d’ailleurs que dans le cas où la membrane auditive est endommagée, comme cela se passe pour la vue quand l’enveloppe de la pupille est malade. Mais nous avons un signe pour reconnaître si l’on entend ou non : c’est que l’oreille saine résonne perpétuellement comme une corne car l’air emprisonné dans les oreilles se meut perpétuellement d’un mouvement propre. Pourtant le son reste quelque chose d’étranger et n’est pas propre à l’oreille même. Et c’est pour cela qu’on dit communément que nous entendons par le moyen du vide et de ce qui résonne : c’est que nous entendons, en effet, par l’organe qui contient de l’air, et un air délimité.

Est-ce le corps frappé ou le corps frappant qui émet le son ? N’est-ce pas plutôt l’un et l’autre, quoique d’une manière différente ? En effet, le son est un mouvement, de ce qui peut être mû de la même façon que ces balles qui rebondissent dès surfaces polies quand on les lance avec force. Ainsi, comme nous l’avons indiqué ce n’est pas que tout corps émette un son quand il est frappé ou frappant : il n’y aura pas de son, par exemple, si une aiguille frappe une aiguille. Ce qu’il faut, c’est que le corps frappé soit plan, de telle sorte que l’air, rebondisse et vibre en une seule masse.

Les différences des corps sonores se manifestent dans le son en acte. De même, en effet, que, sans le secours de la lumière, on ne voit pas les couleurs, de même, sans le secours du son, on ne saisit pas l’aigu et le grave, termes qui dérivent, par métaphore, des objets tangibles. Car l’aigu meut le sens en peu de temps et plus durablement, et le grave, lentement et plus passagèrement. Il n’en faut cependant pas conclure que l’aigu est le rapide, et le grave le lent, mais c’est seulement tantôt grâce à la rapidité, tantôt grâce à la lenteur que se réalise un mouvement de cette sorte. Et il semble [420b] y avoir une certaine analogie avec ce qu’est, pour le toucher, l’aigu et l’obtus. Car l’aigu fait en quelque sorte une piqûre, et l’obtus une poussée, par le fait que l’un meut en peu de temps, et l’autre lentement, de sorte que c’est seulement par voie de conséquence que l’un est rapide, et l’autre lent.

En ce qui concerne le son, restons-en là. La voix elle, est un certain son de l’être animé. Aucun des êtres inanimés, en effet, ne possède la voix ; c’est seulement par analogie que certains sont dits avoir une voix : tel est le cas de la flûte, de la lyre et de tous les autres êtres inanimés qui ont registre, son musical et langage. Ils semblent, en effet, doués de voix, parce que la voix possède aussi ces caractères.

Mais, en outre, un, grand nombre d’animaux n’ont pas de voix, par exemple ceux qui n’ont pas de sang, ni, même parmi ceux qui ont du sang, les poissons. Et cela est rationnel, s’il est vrai que le son est un certain mouvement de l’air. Quant aux poissons qui, dit-on, possèdent la voix comme ceux de l’Achéloüs, en réalité ils émettent seulement des sons par leurs branchies ou par quelque autre organe de ce genre. Or la voix est le son rendu par un animal, mais non pas au moyen de n’importe quelle partie de son corps. Mais puisque toute chose sonore émet des sons, par le choc de quelque chose contre quelque chose et en quelque chose, qui est l’air, il est rationnel que seuls possèdent la voix les êtres qui reçoivent l’air en eux.

En effet, la nature se sert de l’air respiré en vue de deux fins, comme elle se sert de la langue à la fois en vue du goût et en vue du langage articulé : de ces deux dernières fonctions, le goût est nécessaire à la vie (c’est pour quoi d’ailleurs il appartient à un plus grand nombre d’animaux), alors que l’expression de la pensée n’est qu’en vue du bien-être il en est de même dans le cas du souffle, dont la nature se sert, d’une part, comme d’une condition nécessaire à la vie (la cause en sera indiquée ailleurs), pour régulariser la chaleur intérieure, et, d’autre part, pour produire la voix et réaliser ainsi le bien-être. L’organe de la respiration est le larynx e, et cette partie du corps n’existe elle-même qu’en vue du poumon ; car c’est dans ce dernier organe que les animaux pédestres entretiennent une plus grande quantité de chaleur que les autres. La région qui environne le coeur est aussi la première à avoir besoin de la respiration. C’est pourquoi il est nécessaire que l’air pénètre à l’intérieur de l’être qui respire. La voix est ainsi le choc de l’air respiré contre ce qu’on appelle la trachée-artère, et ce choc est produit par l’âme qui réside dans ces parties du corps.

En effet, ainsi que nous l’avons dit tout son émis par l’animal n’est pas voix (car on peut encore faire du bruit avec la langue, ou même en toussant) ; ce qu’il faut, c’est que le corps qui frappe soit animé et que quelque représentation accompagne son action. Car la voix est assurément un son pourvu de signification, et elle n’est pas uniquement le bruit de l’air respiré, comme la toux : [421b] en fait, elle est un choc, produit au moyen de cet air, de l’air contenu dans la trachée-artère, a contre la trachée elle-même. Et la preuve, c’est que nous ne pouvons parler ni pendant l’inspiration, ni pendant l’expiration, mais seulement quand nous retenons notre respiration : car les mouvements se font avec l’air ainsi retenu. On voit clairement aussi pourquoi les poissons sont aphones : c’est qu’ils ne possèdent pas de larynx, et ils ne possèdent pas cette partie du corps parce qu’ils ne reçoivent pas l’air en eux, ni ne respirent. Quant à savoir pour quelle raison, c’est une autre question.



Aristote de Anima 203