Dominum et vivific. FR 19

5. Jésus de Nazareth, "manifesté" dans l'Esprit Saint

19 Même si dans sa propre ville de Nazareth Jesus n'est pas reconnu comme Messie, sa mission messianique dans l'Esprit Saint est cependant révélée au peuple par Jean-Baptiste au commencement de son activité publique. Au bord du Jourdain, Jean, fils de Zacharie et d'Elisabeth, annonce la venue du Messie et administre le baptême de pénitence. Il dit: "Pour moi, je vous baptise avec de l'eau, mais vient le plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales: lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu"(65).
Jean-Baptiste annonce le Messie-Christ non seulement comme celui qui "vient" dans l'Esprit Saint, mais aussi comme celui qui "porte" l'Esprit Saint, comme Jésus le révélera mieux au Cénacle. Jean se fait ici l'écho fidèle des paroles d'Isaïe, qui concernaient l'avenir chez le prophète ancien, tandis que dans son enseignement sur les rives du Jourdain, elles constituent l'introduction immédiate à la réalité messianique nouvelle. Jean n'est pas seulement prophète, il est aussi messager: il est le précurseur du Christ. Ce qu'il annonce se réalise aux yeux de tous. Jésus de Nazareth vient au Jourdain pour recevoir, lui aussi, le baptême de pénitence. En voyant celui qui arrive, Jean proclame: "Voici l'agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde"(66). Il dit cela sous l'inspiration du Saint-Esprit(67) et rend témoignage à l'accomplissement de la prophétie d'Isaïe. En même temps, il proclame la foi en la mission rédemptrice de Jésus de Nazareth. Sur les lèvres de Jean-Baptiste, "Agneau de Dieu" est une expression de la vérité sur le Rédempteur qui n'a pas moins de portée que celle de "Serviteur du Seigneur".
Ainsi, par le témoignage de Jean au Jourdain, Jésus de Nazareth, rejeté par ses compatriotes, se trouve manifesté aux yeux d'Israël comme le Messie, c'est-à-dire "l'Oint" de l'Esprit Saint. Et ce témoignage est confirmé par un autre témoignage supérieur, mentionné par les trois synoptiques. En effet, quand tout le peuple fut baptisé et tandis que Jésus, ayant reçu le baptême, se trouvait en prière, "le ciel s'ouvrit, et l'Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe"(68) et, en même temps, "voici qu'une voix venue des cieux disait: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur""(69).
C'est une théophanie trinitaire, qui est un témoignage rendu à la glorification du Christ à l'occasion de son baptême dans le Jourdain. Non seulement elle confirme le témoignage de Jean-Baptiste, mais elle dévoile une dimension encore plus profonde de la vérité sur Jésus de Nazareth comme Messie. Il est dit: le Messie est le Fils bien-aimé du Père. Son investiture solennelle ne se réduit pas à la mission messianique du "Serviteur du Seigneur". A la lumière de la théophanie du Jourdain, c'est le mystère de la Personne même du Messie qui est exalté. Il est glorifié parce qu'il est Fils de la complaisance divine. La voix d'en haut dit: "Mon Fils".

65
Lc 3,16 cf. Mt 3,11 Mc 1,7-8 Jn 1,33
66 Jn 1,29
67 Cf Jn 1,33-34
68 Lc 3,21-22 cf. Mt 3,16 Mc 1,10
69 Mt 3,17



20 La théophanie du Jourdain n'éclaire que fugitivement le mystère de Jésus de Nazareth dont toute l'activité se déroulera en présence de l'Esprit Saint(70). Ce mystère sera révélé par Jésus lui-même et peu à peu confirmé à travers tout ce qu'il "a fait et enseigné"(71). Dans la ligne de cet enseignement et des signes messianiques que Jésus accomplit avant de parvenir au discours d'adieu du Cénacle, nous rencontrons des événements et des paroles qui représentent des moments particulièrement importants de cette révélation progressive. Ainsi l'évangéliste Luc, qui a déjà présenté Jésus "rempli d'Esprit Saint" et "mené par l'Esprit à travers le désert"(72), nous apprend que, après le retour des soixante-douze disciples de la mission que le Maître leur avait confiée(73), alors que, tout joyeux, ils décrivaient le fruit de leur travail, à cette heure même, Jésus "tressaillit de joie sous l'action de l'Esprit Saint et dit: "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir""(74). Jésus exulte à cause de la paternité divine; il exulte parce qu'il lui est donné de révéler cette paternité; il exulte, enfin, parce qu'il y a comme un rayonnement particulier de cette paternité divine sur les "petits". Et l'évangéliste qualifie tout cela de "tressaillement de joie dans l'Esprit Saint".
Un tel tressaillement de joie, en un sens, entraîne Jésus à dire encore davantage. Ecoutons: "Tout m'a été remis par mon Père, et nul ne sait qui est le Fils si ce n'est le Père, ni qui est le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler"(75).

70 Cf. S. BASILE, De Spiritu Sancto, XVI, 39; PG 32, 139.
71
Ac 1,
72 Cf. Lc 4,
73 Cf. Lc 10,17-20
74 Lc 10,21 cf. Mt 11,25-26
75 Lc 10,22 cf Mt 11,27



21 Ce qui, au cours de la théophanie du Jourdain, est venu pour ainsi dire "de l'extérieur" d'en haut, provient ici "de l'intérieur", c'est-à-dire du plus profond de ce qu'est Jésus. C'est une autre révélation du Père et du Fils, unis dans l'Esprit Saint. Jésus parle seulement de la paternité de Dieu et de sa propre filiation; il ne parle pas explicitement de l'Esprit qui est Amour et, par là, union du Père et du Fils. Néanmoins, ce qu'il dit du Père et de lui-même comme Fils résulte de la plénitude de l'Esprit qui est en lui, qui remplit son coeur, pénètre son propre "Moi", inspire et vivifie en profondeur son action. De là, ce "tressaillement de joie dans l'Esprit Saint". L'union du Christ avec l'Esprit Saint, dont il a une parfaite conscience, s'exprime dans ce "tressaillement de joie" qui, en un sens, rend "perceptible" sa source secrète. Il en résulte une manifestation et une exaltation particulières qui sont propres au Fils de l'homme, au Christ-Messie dont l'humanité appartient à la personne du Fils de Dieu, substantiellement un avec l'Esprit Saint dans la divinité.
Dans sa magnifique confession de la paternité de Dieu, Jésus de Nazareth se manifeste aussi lui-même, il manifeste son "Moi" divin: il est en effet le Fils "de la même substance", c'est pourquoi "nul ne sait qui est le Fils si ce n'est le Père, ni qui est le Père si ce n'est le Fils", ce Fils qui "pour nous et pour notre salut" s'est fait homme par l'Esprit Saint et est né d'une Vierge dont le nom était Marie.




6. "Recevez l'Esprit Saint", dit le Christ ressuscité

22 Grâce à son récit, Luc nous conduit à un point extrêmement proche de la vérité comprise dans le discours au Cénacle. Jésus de Nazareth, "exalté" dans l'Esprit Saint, se présente au cours de ce discours et de cet entretien comme celui qui "porte" l'Esprit, comme celui qui doit le porter et le "donner" aux Apôtres et à l'Eglise au prix de son "départ" par la Croix.
Par le verbe "porter" on entend ici avant tout "révéler". L'Ancien Testament, depuis le Livre de la Genèse, a fait connaître en quelque sorte l'Esprit de Dieu d'abord comme le "souffle" de Dieu qui donne la vie, comme "un souffle vital" surnaturel. Dans le Livre d'Isaïe, il est présenté comme un "don" pour la personne du Messie, comme celui qui vient sur lui pour guider de l'intérieur toute son activité salvifique. Au bord du Jourdain, l'annonce d'Isaïe a revêtu une forme concrète: Jésus de Nazareth est celui qui vient dans l'Esprit Saint et le porte comme le don propre de sa Personne même, pour le répandre grâce à son humanité: "Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint"(76). Dans l'évangile de Luc, cette révélation de l'Esprit Saint est confirmée et enrichie, présentée comme la source intime de la vie et de l'action messianique de Jésus Christ.
A la lumière de ce que Jésus dit dans le discours après la Cène, l'Esprit Saint est révélé d'une manière nouvelle et plus ample. Il n'est pas seulement le don à la personne (à la personne du Messie), mais il est une Personne-Don. Jesus annonce sa venue comme celle d'"un autre Paraclet" qui, étant l'Esprit de vérité, conduira les Apôtres et l'Eglise "à la vérité tout entière"(77). Cela s'accomplira en raison de la communion particulière qui existe entre l'Esprit Saint et le Christ: "C'est de mon bien qu'il recevra et il vous le dévoilera"(78). Cette communion a sa source première dans le Père: "Tout ce qu'a le Père est à moi. Voilà pourquoi j'ai dit que c'est de mon bien qu'il reçoit et qu'il vous le dévoilera"(79). Venant du Père, l'Esprit Saint est envoyé d'auprès du Père(80). L'Esprit Saint a d'abord été envoyé comme don au Fils qui s'est fait homme, pour accomplir les prophéties messianiques. Après le "départ" du Christ-Fils, suivant le texte johannique, l'Esprit Saint "viendra" directement- c'est sa mission nouvelle - pour achever l'oeuvre du Fils. Ainsi, c'est lui qui mènera à son accomplissement l'ère nouvelle de l'histoire du salut.

76
Mt 3,11 Lc 3,16
77 Jn 16,13
78 Jn 16,14
79 Jn 16,15
80 Cf. Jn 14,26 Jn 15,26



23 Nous nous trouvons au seuil de l'événement pascal. La révélation nouvelle et définitive de l'Esprit Saint comme Personne qui est le Don s'accomplit précisément à ce moment. Les événements de Paques- la passion, la mort et la résurrection du Christ - sont aussi le temps de la nouvelle venue de l'Esprit Saint comme Paraclet et Esprit de vérité. C'est le temps du "nouveau commencement" du don que le Dieu un et trine fait de lui-même à l'humanité dans l'Esprit Saint par l'action du Christ Rédempteur. Ce nouveau commencement est la rédemption du monde: "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique"(81 Jn 3,16). Déjà, dans le fait de "donner" le Fils, dans le don du Fils, s'exprime l'essence la plus profonde de Dieu qui, comme Amour, est une source inépuisable de libéralité. Dans le don fait par le Fils s'achèvent la révélation et la libéralité de l'Amour éternel: l'Esprit Saint, qui dans les profondeurs insondables de la divinité est une Personne-Don, par l'oeuvre du Fils, c'est-à-dire par le mystère pascal, est donné d'une manière nouvelle aux Apôtres et à l'Eglise et, à travers eux, à l'humanité et au monde entier.


24 L'expression définitive de ce mystère apparaît le jour de la Résurrection. En ce jour, Jésus de Nazareth, "issu de la lignée de David selon la chair", comme l'écrit l'Apôtre Paul, est "établi Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit de sainteté, par sa résurrection des morts"(82 Rm 1,3-4). On peut donc dire que l'"exaltation" messianique du Christ dans l'Esprit Saint atteint son sommet dans la Résurrection; il se révèle alors comme Fils de Dieu, "rempli de puissance". Et cette puissance, dont les sources jaillissent dans l'insondable communion trinitaire, se manifeste avant tout dans le fait que si, d'une part, le Christ ressuscité réalise la promesse de Dieu déjà exprimée par la voix du prophète: "Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, ... mon esprit" (83 Ez 36,26-27 cf. Jn 7,37-39 Jn 19,34), d'autre part, il accomplit sa propre promesse faite aux Apôtres par ces mots: "Si je pars, je vous l'enverrai" (84 Jn 16,7). C'est lui, l'Esprit de vérité, le Paraclet envoyé par le Christ ressuscité pour nous transformer et faire de nous l'image même du ressuscité (85).
Ecoutons: "Le soir, ce même jour, le premier de la semaine, et les portes étant closes, la ou se trouvaient les disciples, par peur des juifs, Jésus vint et se tint au milieu et il leur dit: "Paix à vous!". Ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur. Il leur dit alors, de nouveau: "Paix à vous! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie". Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit: "Recevez l'Esprit Saint""(86 Jn 20,19-22).
Tous les détails de ce texte clé de l'Evangile de Jean ont une réelle portée, spécialement si nous les relisons en relation avec les paroles prononcées dans le même Cénacle au début des événements de Pâques. Désormais, ces événements - le triduum sacrum de Jésus que le Père a consacré par l'onction et envoyé dans le monde - atteignent leur achèvement. Le Christ, qui "avait remis l'esprit" sur la Croix (87 Cf. Jn 19,30) comme Fils de l'homme et Agneau de Dieu, une fois ressuscité, va vers les Apôtres pour "souffler sur eux" avec la puissance dont parle la Lettre aux Romains (88 Cf. Rm 1,4). La venue du Seigneur remplit de joie ceux qui sont présents: "Leur tristesse se change en joie" (89 Cf. Jn 16,20), comme il l'avait déjà promis lui-même avant sa passion. Et surtout l'annonce essentielle du discours d'adieu se réalise: le Christ ressuscité, comme inaugurant une création nouvelle, "porte" aux Apôtres l'Esprit Saint. Il le leur porte au prix de son "départ"; il leur donne cet Esprit en quelque sorte à travers les plaies de sa crucifixion: "Il leur montra ses mains et son côté". C'est en vertu de cette crucifixion qu'il leur dit: "Recevez l'Esprit Saint".
Un lien étroit s'établit ainsi entre l'envoi du Fils et celui de l'Esprit Saint. L'envoi de l'Esprit Saint (après le péché originel) ne peut avoir lieu sans la Croix et la Résurrection: "Si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous"(90 Jn 16,7). Un lien étroit s'établit aussi entre la mission de l'Esprit Saint et celle du Fils dans la Rédemption. La mission du Fils, en un sens, trouve son "achèvement" dans la Rédemption. La mission de l'Esprit Saint "découle" de la Rédemption: "C'est de mon bien qu'il reçoit et il vous le dévoilera" (91 Jn 16,15). La Rédemption est accomplie pleinement par le Fils comme l'Oint qui est venu et a agi par la puissance de l'Esprit Saint, s'offrant lui-même à la fin en sacrifice suprême sur le bois de la Croix. Et cette Rédemption est aussi accomplie continuellement dans les coeurs et les consciences des hommes - dans l'histoire du monde - par l'Esprit Saint qui est l'"autre Paraclet".

85 Cf. S. CYRYLLE D'ALEXANDRIE, In Ioannis Evangelium livre V, chap. II: PG 73, 755


7. L'Esprit Saint et le temps de l'Eglise

25 "Une fois achevée l'ouvre que le Père avait chargé son Fils d'accomplir sur la terre (cf. Jn 17,4) , le jour de la Pentecôte, l'Esprit Saint fut envoyé qui devait sanctifier l'Eglise en permanence et procurer ainsi aux croyants, par le Christ, dans l'unique Esprit, l'accès auprès du Père (cf. Ep 2,18) . C'est lui, l'Esprit de vie, la source d'eau jaillissant pour la vie éternelle (cf. Jn 4,14 Jn 7,38-39) , par qui le Père donne la vie aux hommes que le péché avait fait mourir, en attendant de ressusciter dans le Christ leur corps mortel (cf. Rm 8,10-11) "(92).
C'est ainsi que le Concile Vatican II parle de la naissance de l'Eglise le jour de la Pentecôte. L'événement de la Pentecôte constitue la manifestation définitive de ce qui s'était accompli dans le même Cénacle dès le dimanche de Pâques. Le Christ ressuscité vint et "porta" aux Apôtres l'Esprit Saint. Il le leur donna en disant: "Recevez l'Esprit Saint". Ce qui s'était produit alors à l'intérieur du Cénacle, "les portes closes", plus tard, le jour de la Pentecôte, fut manifesté aussi à l'extérieur, devant les hommes. Les portes du Cénacle s'ouvrent et les Apôtres se dirigent vers les habitants et les pèlerins rassemblés à Jérusalem à l'occasion de la fête, pour rendre témoignage au Christ par la puissance de l'Esprit Saint. Ainsi se réalise la parole de Jésus: "Il me rendra témoignage; mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement"(93).
Nous lisons dans un autre document du Concile Vatican II: "Sans aucun doute, le Saint-Esprit était déjà à l'oeuvre dans le monde avant la glorification du Christ. Pourtant, le jour de la Pentecôte, il descendit sur les disciples pour demeurer avec eux à jamais: l'Eglise se manifesta publiquement devant la multitude, la diffusion de l'Evangile commença avec la prédication parmi les païens"(94). Le temps de l'Eglise a commencé par la "venue", c'est-à-dire par la descente de l'Esprit Saint sur les Apôtres réunis au Cénacle de Jérusalem avec Marie, la Mère du Seigneur(95). Le temps de l'Eglise a commencé au moment ou les promesses et les prophéties qui se rapportaient de manière très explicite au Paraclet, à l'Esprit de vérité, ont commencé à se réaliser sur les Apôtres avec puissance et de toute évidence, déterminant ainsi la naissance de l'Eglise. Les Actes des Apôtres parlent de cela fréquemment, en de nombreux passages. Il en résulte que, suivant la conscience de la communauté primitive dont Luc exprime les certitudes, l'Esprit Saint a assuré la conduite, de manière invisible mais d'une certaine façon "perceptible", de ceux qui, après le départ du Seigneur Jésus, avaient profondément le sentiment d'être restés orphelins. Par la venue de l'Esprit Saint, ils se sont sentis aptes à accomplir la mission qui leur avait êté confiée. Ils se sont sentis pleins de force. C'est là précisément l'action de l'Esprit Saint en eux, et c'est son action constante dans l'Eglise par leurs successeurs. En effet, la grâce de l'Esprit Saint, que les Apôtres ont donnée à leurs collaborateurs par l'imposition des mains, continue à être transmise par l'ordination épiscopale. Puis, par le sacrement de l'ordre, les évêques font participer les ministres sacrés à ce don spirituel, et ils font en sorte que tous ceux qui sont renés de l'eau et de l'Esprit en soient fortifiés par le sacrement de la confirmation; d'une certaine façon, la grâce de la Pentecôte est ainsi perpétuée dans l'Eglise.
Comme l'écrit le Concile, "l'Esprit demeure dans l'Eglise et dans le coeur des fidèles comme dans un temple (cf. 1Co 3,16 1Co 6,19) , en eux il prie et atteste leur condition de fils de Dieu par adoption (cf. Ga 4,6 Rm 8,15-16 Rm 8,26) . Cette Eglise qu'il introduit dans la vérité tout entière (cf. Jn 16,13) , qu'il unifie par la communion et le ministère, l'Esprit lui fournit ses moyens d'action et la dirige par la diversité de ses dons hiérarchiques et charismatiques, et il l'embellit par ses fruits (cf. Ep 4,11-12 1Co 12,4 Ga 5,22) . Par la vertu de l'Evangile, il rajeunit l'Eglise et il la renouvelle sans cesse, l'acheminant à l'union parfaite avec son Epoux"(96).

92 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 4
93 Jn 15,26-27
94 Décret sur l'activité missionnaire de l'Eglise Ad gentes, AGD 4
95 Cf. Ac 1,14
96 Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 4 I1 y a toute une tradition patristique et théologique en ce qui Concerne l'union intime entre l'Esprit Saint et l'Eglise, union présentée parfois en analogie avec le rapport entre l'âme et le corps dans l'homme: cf. S. IRÉNÉE, Adversus haereses, III, 24, 1: SC 211, pp. 470-474, S. AUGUSTIN, Sermo 267, 4, 4: PL 38, 1231; Sermo 268, 2: PL 38,1232; In Iohannis evangelium tractatus, XXV, 13; XXVII, 6: CCL 36, 266, 272-273; S. GRÉGOIRE GRAND, In septem psalmos poenitentiales expositio, psal V, 1: PL 79, 602; DIDYME D ALEXANDRIE, De Trinitate, II, 1: PG 39, 449-450; S. ATHANASE, Oratio III contra Arianos, 22, 23, 24: PG 26, 368369, 372-373; S. JEAN-CHRYSOSTOME, In Epistolam ad Ephesios, Homil. IX, 3: PG 62, 72-73. SAINT THOMAS D AQUIN a synthétisé la tradition patristique et théologique qui le précédait en présentant l'Esprit Saint Comme le " coeur " et l'" âme " de l'Eglise: cf. Somme théol., III 8,1 ad 3; In symbolum Apostolorum Expositio, a. IX; In Tertium Librum Sententiarum, Dist. XIII, q. 2, a. 2, quaestiuncula 3.


26 Les passages cités de la Constitution conciliaire Lumen gentium nous disent que, par la venue de l'Esprit Saint, commença le temps de l'Eglise. Ils nous disent aussi que ce temps, le temps de l'Eglise, continue. Il dure au cours des siècles et des générations. En notre siècle, ou l'humanité est désormais proche de la fin du deuxième millénaire après le Christ, ce temps de l'Eglise a été particulièrement exprimé dans le Concile Vatican II , le concile de notre siècle. On sait, en effet, qu'il a été spécialement un concile "ecclésiologique":un concile sur le thème de l'Eglise. En même temps, l'enseignement de ce Concile est essentiellement "pneumatologique", pénétré de la vérité sur l'Esprit Saint, âme de l'Eglise. Nous pouvons dire que, dans la richesse de son magistère, le Concile Vatican II contient à proprement parler tout ce "que l'Esprit dit aux Eglises"(97) en fonction de la période actuelle de l'histoire du salut.
Guidé par l'Esprit de vérité et rendant témoignage avec lui, le Concile a donné une particulière confimation de la présence de l'Esprit Saint-Paraclet. En un sens, il l'a rendu nouvellement "présent" dans notre époque difficile. On comprend mieux, à la lumière de cette conviction, la grande importance de toutes les initiatives tendant à la réalisation de Vatican II, de son magistère et de sa visée pastorale et oecuménique. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération et d'apprécier les Assemblées du Synode des Eveques, réunies par la suite, qui ont eu pour but de permettre que les fruits de la Vérité et de l'Amour - les fruits authentiques de l'Esprit Saint - deviennent un bien durable du Peuple de Dieu dans son pèlerinage terrestre au cours des siècles. Ce travail de l'Eglise est indispensable, car il est destiné à vérifier et à consolider les fruits salvifiques de l'Esprit accordés au Concile. A cette fin, il est nécessaire de savoir les "discerner" attentivement par rapport à tout ce qui peut, au contraire, provenir en premier lieu du "Prince de ce monde"(98). Ce discernement est d'autant plus nécessaire dans la réalisation de l'oeuvre du Concile que celui-ci s'est largement ouvert au monde contemporain, comme on le voit clairement dans les Constitutions importantes Gaudium et spes et Lumen gentium.
Nous lisons dans la Constitution pastorale: "Leur communauté (celle des disciples du Christ) ... s'édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l'Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d'un message de salut qu'il leur faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire"(99). "L'Eglise sait parfaitement que Dieu seul, dont elle est la servante, répond aux plus profonds désirs du coeur humain que jamais ne rassasient pleinement les nourritures terrestres"(100). "L'Esprit de Dieu .... par une providence admirable, conduit le cours des temps et rénove la face de la terre"(101).

97 Cf.
Ap 2,29 Ap 3,6 Ap 13 Ap 22
98 Cf. Jn 12,31 Jn 14,30 Jn 16,11
99 Gaudium et spes,
100 Ibid., GS 41
101 Ibid., GS 26



DEUXIEME PARTIE

L'ESPRIT QUI MET EN LUMIERELE PECHE DU MONDE


1. Péché, justice et jugement

27 Jésus, pendant son discours au Cénacle, annonce la venue de l'Esprit Saint "au prix" de son propre départ, et il promet: "Si je pars, je vous l'enverrai". Mais, dans ce même contexte, il ajoute: "Et lui, une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement" (102: Jn 16,7-8). Le Paraclet lui-même, l'Esprit de vérité, promis comme celui qui "enseignera" et "rappellera", comme celui qui "rendra témoignage", comme celui qui "introduira dans la vérité tout entière", est maintenant annoncé, par les paroles que nous venons de citer, comme celui qui "établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement".
Le contexte semble déjà significatif. Jésus relie cette annonce de la venue de l'Esprit Saint aux paroles qui indiquent son "départ" par la Croix et qui en soulignent même la nécessité: "C'est votre intérêt que je parte; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous" (103: Jn 16,7).
Mais ce qui compte le plus, c'est l'explication que Jésus ajoute lui-même à ces trois mots: péché, justice, jugement. Il dit en effet: "Il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement: de péché, parce qu'ils ne croient pas en moi; de justice, parce que je vais vers le Père et que vous ne me verrez plus; de jugement, parce que le Prince de ce monde est jugé" (104: Jn 16,8-11). Dans la pensée de Jésus, le péché, la justice, le jugement ont un sens bien précis, différent de celui que l'on aurait peut-être tendance à attribuer à ces mots indépendamment de l'explication donnée par celui qui parle. Cette explication indique aussi comment il faut comprendre l'expression "établir la culpabilité du monde", qui est propre à l'action de l'Esprit Saint. Et ici, le sens de chaque mot importe, et aussi le fait que Jésus les a unis entre eux dans la même phrase.
"Le péché", dans ce texte, signifie l'incrédulité que Jésus rencontre parmi les "siens", à commencer par ses concitoyens de Nazareth. Il signifie le refus de sa mission, qui amènera les hommes à le condamner à mort. Lorsque, ensuite, il parle de "la justice", Jésus semble envisager la justice définitive que lui rendra le Père en l'entourant de la gloire de la résurrection et de l'ascension au ciel: "Je m'en vais vers le Père". A son tour, dans le contexte du "péché" et de la "justice" ainsi entendus, "le jugement" signifie que l'Esprit de vérité montrera, dans la condamnation de Jésus à la mort en Croix, le péché du "monde". Toutefois, le Christ n'est pas venu dans le monde uniquement pour le juger et le condamner: il est venu pour le sauver(105 - Cf. Jn 3,17 Jn 12,47). La mise en lumière du péché et de la justice a pour but le salut du monde, le salut des hommes. C'est bien cette vérité qui semble soulignée par l'affirmation que "le jugement" concerne seulement le "Prince de ce monde", à savoir Satan, celui qui, depuis le commencement, exploite l'oeuvre de la création contre le salut, contre l'alliance et l'union de l'homme avec Dieu: il est "déjà jugé" depuis le commencement. Si l'Esprit-Paraclet doit confondre le monde en fait de jugement, c'est pour continuer en lui l'oeuvre salvatrice du Christ.


28 Nous voulons ici concentrer principalement notre attention sur cette mission de "manifester le péché du monde", qui est celle de l'Esprit Saint, tout en respectant les paroles de Jésus dans l'ensemble du contexte. L'Esprit Saint, qui reçoit du Fils l'oeuvre de la Rédemption du monde, assume par là même la tâche de "manifester le péché" pour sauver. Cela se fait en référence permanente à la "justice", c'est-à-dire au salut définitif en Dieu, à l'accomplissement de l'économie qui a pour centre le Christ crucifié et glorifié. Et cette économie salvifique de Dieu soustrait l'homme, en un sens, au "jugement", c'est-à-dire à la damnation, qui a frappé le péché de Satan, le "Prince de ce monde", celui qui, à cause de son péché, est devenu "régisseur de ce monde de ténèbres" (106 Cf. Ep 6,12). Et voici qu'en vertu de cette référence au "jugement", s'ouvrent de vastes horizons pour la compréhension du "péché", et aussi de la "justice". Montrant le péché, sur l'arrière-plan de la Croix du Christ, dans l'économie du salut (on pourrait dire "le péché sauvé"), l'Esprit Saint fait comprendre que sa mission est de mettre en évidence même le péché qui a déjà été jugé définitivement ("le péché condamné").

29 Toutes les paroles prononcées par le Rédempteur au Cénacle, à la veille de sa passion, s'inscrivent dans le temps de l'Eglise, à commencer par celles qui concernent l'Esprit Saint comme Paraclet et comme Esprit de vérité. Elles s'y inscrivent d'une manière toujours nouvelle, à chaque génération, à chaque époque. Cela est confirmé, pour ce qui est de notre siècle, par l'ensemble de l'enseignement du Concile Vatican II, spécialement dans la Constitution pastorale "Gaudium et spes". De nombreux passages de ce document montrent clairement que le Concile, s'ouvrant à la lumière de l'Esprit de vérité, se présente comme le dépositaire authentique de tout ce qui a été annoncé et promis par le Christ aux Apôtres et à l'Eglise dans le discours d'adieu, en particulier de l'annonce selon laquelle l'Esprit Saint doit "établir la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement".
C'est ce qu'indique déjà le texte dans lequel le Concile explique ce qu'il entend par "monde": "Le monde qu'il (le Concile lui-même) a ainsi en vue est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec l'univers au sein duquel elle vit. C'est le théâtre ou se joue l'histoire du genre humain, le monde marqué par l'effort de l'homme, ses défaites et ses victoires. Pour la foi des chrétiens, ce monde a été fondé et demeure conservé par l'amour du Créateur; il est tombé, certes, sous l'esclavage du péché, mais le Christ, par la Croix et la Résurrection, a brisé le pouvoir du Malin et l'a libéré pour qu'il soit transformé selon le dessein de Dieu et qu'il parvienne ainsi à son accomplissement"(107). Il faut, en référence à ce texte très synthétique, lire les autres passages de la Constitution qui cherchent à montrer, avec tout le réalisme de la foi, la situation du péché dans le monde contemporain et aussi à expliquer son essence, en partant de divers points de vue(108).
Lorsque Jésus, la veille de Pâques, parle de l'Eprit Saint comme de celui qui "mettra en lumière le péché du monde", il faut, d'un côté, donner à cette affirmation la portée la plus grande possible, en ce sens qu'elle comprend tout l'ensemble des péchés qui marquent l'histoire de l'humanité. Mais, d'un autre côté, quand Jésus explique que ce péché consiste dans le fait qu'"ils ne croient pas en lui", la portée de l'affirmation semble se restreindre à ceux qui ont refusé de reconnaître la mission messianique du Fils de l'homme, le condamnant à la mort sur la Croix. Il est cependant difficile de ne pas remarquer que cette portée plus "réduite" du sens du péché, située avec précision dans l'histoire, s'élargit jusqu'à prendre une ampleur universelle en raison de l'universalité de la Rédemption accomplie par la Croix. La révélation du mystère de la Rédemption ouvre la voie à une intelligence de ce mystère selon laquelle tout péché, quel que soit le lieu ou le temps ou il a été commis, est mis en rapport avec la Croix du Christ - et donc aussi, indirectement, avec le péché de ceux qui "n'ont pas cru en lui" et ont condamné Jésus Christ à la mort sur la Croix.
De ce point de vue, il nous faut revenir à l'événement de la Pentecôte.

107 Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes,
GS 2
108 Cf. ibid, GS 10 GS 13 GS 27 GS 37 GS 63 GS 73 GS 79 GS 80


2. Le témoignage du jour de la Pentecôte

30 Le jour de la Pentecôte, tout ce que le Christ avait annoncé lors de son discours d'adieu fut confirmé de la manière la plus exacte et la plus directe, en particulier l'annonce dont nous parlons ici: "Le Paraclet ... établira la culpabilité du monde en fait de péché". Ce jour-là, l'Esprit Saint promis descendit sur les Apôtres réunis dans la prière avec Marie, Mère de Jésus, au Cénacle, comme nous le lisons dans les Actes des Apôtres: "Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint et commencèrent a parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer"(109), "l'Esprit ramenant ainsi à l'unité les races séparées et offrant au Père les prémices de toutes les nations"(110).
On voit clairement le rapport entre ce qu'avait annoncé le Christ et cet événement. Nous y distinguons l'accomplissement premier et fondamental de la promesse concernant le Paraclet. Envoyé par le Père, il vient "après" le départ du Christ, "au prix" de ce départ. Ce départ s'effectue d'abord par la mort sur la Croix, puis quarante jours après la résurrection, par l'ascension au ciel. Au moment de l'ascension, Jésus ordonne encore aux Apôtres "de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'y attendre ce que le Père avait promis"; "vous serez baptisés dans l'Esprit Saint sous peu de jours"; "vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre"(111).
Ces dernières paroles contiennent un echo, ou un rappel, de l'annonce faite au Cénacle. Et le jour de la Pentecôte, cette annonce se réalise de façon très précise. Agissant sous l'influence de l'Esprit Saint reçu par les Apôtres pendant la prière au Cénacle, devant une multitude de personnes de langues différentes réunies pour la fête, Pierre se présente et parle. Il proclame ce qu'il n'aurait certainement pas eu le courage de dire auparavant: "Hommes d'Israël ..., Jésus le Nazaréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu'il a opérés par lui au milieu de vous ..., cet homme qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l'avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l'a ressuscité, le délivrant des affres de la mort. Aussi bien n'était-il pas possible qu'il fût retenu en son pouvoir"(112).
Jésus avait prédit et promis: "Il me rendra témoignage... Mais vous aussi, vous témoignerez". Ce "témoignage" trouve clairement son commencement dans le premier discours de Pierre à Jérusalem: c'est le témoignage sur le Christ crucifié et ressuscité. C'est le témoignage de l'Esprit-Paraclet et des Apôtres. Et selon le contenu même de ce premier témoignage, l'Esprit de vérité, par la bouche de Pierre, "met en lumière le péché du monde", à commencer par le péché qu'est le refus du Christ jusqu'à le faire condamner à mort, jusqu'à la Croix du Golgotha. Des proclamations de même contenu se répéteront, selon le texte des Actes des Apôtres, en d'autres occasions et en différents endroits(113).

109
Ac 2,4
110 Cf. S. IRÉNÉE, Adversus haereses, III, 17, 2: SC 211, pp. 330-332
111 Ac 1,4 Ac 1,5 Ac 1,8
112 Ac 2,22-24
113 Cf. Ac 3,14-15 Ac 4,10 Ac 4,27-28 Ac 7,52 Ac 10,39 Ac 13,28-29 etc.



31 Depuis ce témoignage initial de la Pentecôte, l'action de l'Esprit de vérité, qui "manifeste le péché du monde", celui de refuser le Christ, est en relation organique avec le témoignage rendu au mystère pascal, au mystère du Crucifé et du Ressuscité. Et dans cette relation, l'expression "manifester le péché" révèle sa propre dimension salvifique. C'est en effet une "manifestation" qui n'a pas pour but le seul fait d'accuser le monde, encore moins de le condamner. Jésus Christ n'est pas venu dans le monde pour le juger et le condamner, mais pour le sauver(114). Cela est souligné dès ce premier discours, lorsque Pierre s'écrie: "Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié"(115). Et par la suite, lorsque les personnes présentes demandent à Pierre et aux Apôtres: "Frères, que devons-nous faire?", voici la réponse: "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit"(116).
De cette façon, la "manifestation du péché" devient en même temps manifestation de la rémission des péchés, par la puissance de l'Esprit Saint. Dans son discours de Jérusalem, Pierre exhorte à la conversion, comme Jésus exhortait ses auditeurs au début de son activité messianique(117). La conversion requiert la mise en lumière du péché, elle contient en elle-même le jugement intérieur de la conscience. On peut y voir la preuve de l'action de l'Esprit de vérité au plus profond de l'homme, et cela devient en même temps le commencement d'un nouveau don de la grâce et de l'amour: "Recevez l'Esprit Saint"(118). Ainsi, dans cette "mise en lumière du péché", nous découvrons un double don: le don de la vérité de la conscience et le don de la certitude de la rédemption. L'Esprit de vérité et le Paraclet.
La manifestation du péché, par le ministère de la prédication apostolique dans l'Eglise naissante, est mise en relation - sous l'impulsion de l'Esprit reçu à la Pentecôte - avec la puissance rédemptrice du Christ crucifié et ressuscité. Ainsi s'accomplit la promesse relative à l'Esprit Saint qui a été faite avant Pâques: "C'est de mon bien qu'il reçoit, et il vous le dévoilera". Lorsque, pendant l'événement de la Pentecôte, Pierre parle du péché de ceux qui "n'ont pas cru"(119) et qui ont livré Jésus de Nazareth à une mort ignominieuse, il rend donc témoignage à la victoire sur le péché, victoire qui a été remportée, en un sens, à travers le péché le plus grand que l'homme ait pu commettre: le meurtre de Jésus, Fils de Dieu, de même nature que le Père! Pareillement, la mort du Fils de Dieu l'emporte sur la mort humaine: "Ero mors tua, o mors", "j'étais ta mort, ô mort"(120), de même que le péché d'avoir crucifié le Fils de Dieu "l'emporte" sur le péché humain! Ce péché est celui qui a été consommé à Jérusalem le jour du Vendredi Saint, et aussi tout péché de l'homme. En effet, au plus grand des péchés commis par l'homme correspond, dans le coeur du Rédempteur, l'offrande de l'amour suprême qui surpasse le mal de tous les péchés des hommes. Se fondant sur cette certitude, l'Eglise n'hésite pas à répéter chaque année, dans la liturgie romaine de la veillée pascale, "O felix culpa! heureuse faute!", lors de l'annonce de la résurrection que fait le diacre par le chant de l'"Exsultet".

114 Cf.
Jn 113,17 Jn 12,47
115 Ac 2,36
116 Ac 2,37-38
117 Cf. Mc 1,15
118 Jn 20,22
119 Cf. Jn 16,9
120 Os 13,14; cf. 1Co 15,55



32 Mais de cette vérité ineffable, personne ne peut convaincre le monde, l'homme, la conscience humaine, sinon Lui-même, l'Esprit de vérité. Il est l'Esprit qui "sonde les profondeurs de Dieu"(121). Face au mystère du péché, il faut sonder "les profondeurs de Dieu" jusqu'au bout. Il ne suffit pas de sonder la conscience humaine, en tant que mystère intime de l'homme; il est nécessaire de pénétrer dans le mystère intime de Dieu, dans ces "profondeurs de Dieu" que synthétise la formule: au Père, dans le Fils, par l'Esprit Saint. C'est précisément l'Esprit Saint qui "sonde" ces profondeurs, et qui en tire la réponse de Dieu au péché de l'homme. Avec cette réponse se conclut le processus de "mise en lumière du péché", comme le montre clairement l'événement de la Pentecôte.
En établissant la culpabilité du "monde" pour ce qui est du péché du Golgotha, de la mort de l'Agneau innocent, comme cela se produit le jour de la Pentecôte, l'Esprit Saint fait de même pour tout péché commis en quelque lieu ou moment que ce soit dans l'histoire de l'homme: il montre en effet son rapport avec la Croix du Christ. Etablir la culpabilité, c'est montrer le mal qu'est le péché, tout péché, par rapport à la Croix du Christ. Le péché, sous l'éclairage de ce rapport, est vu dans toute la dimension du mal qui lui est propre, en raison du mysterium iniquitatis(122) qu'il contient et qu'il cache. L'homme ne connaît pas cette dimension, il ne la connaît absolument pas en dehors de la Croix du Christ. Il ne peut donc être "convaincu" de cela que par l'Esprit Saint, Esprit de vérité mais aussi Paraclet.
Car le péché, mis en relation avec la Croix du Christ, est en même temps identifié dans la pleine dimension du "mysterium pietatis"(123), comme l'a montré l'Exhortation apostolique post-synodale Reconciliatio et paenitentia(124). Cette autre dimension du péché, l'homme ne la connaît absolument pas non plus en dehors de la Croix du Christ. Et il ne peut en être convaincu que par l'Esprit Saint, par celui qui sonde les profondeurs de Dieu.

121 Cf
1Co 2,10
122 Cf. 2Th 2,7.
123 Cf. 1Tm 3,16
124 Cf. Reconciliatio et paenitentia (2 décembre 1984), RP 19-22: AAS 77 (1985), pp. 229-233.




Dominum et vivific. FR 19