Dignitatis humanae 2




SESSION IX 7 décembre 1965



Déclaration sur la liberté religieuse



Du droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse

1 Les hommes de notre temps prennent une conscience de plus en plus vive de la dignité de la personne humaine 1, et on voit croître le nombre de ceux qui exigent que l’homme, dans ses activités, puisse faire appel à son propre jugement et à sa liberté responsable et en faire usage, non pas poussé par la contrainte, mais guidé par la conscience du devoir. De même, ils demandent la délimitation juridique du domaine des pouvoirs publics, pour éviter que l’exercice d’une honorable liberté de la personne et des associations ne s’inscrive dans des limites trop étroites. Cette exigence de liberté dans la société humaine regarde surtout les biens spirituels de l’homme, en premier lieu ceux qui concernent le libre exercice de la religion dans la société. Considérant ces aspirations avec une soigneuse attention et se proposant de déclarer combien elles sont conformes à la vérité et à la justice, ce saint Concile du Vatican scrute la sainte tradition et la doctrine de l’Eglise, d’où il tire toujours du neuf en accord avec ce qui est vieux.

C’est pourquoi, tout d’abord, le saint Concile professe que Dieu a lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle les hommes, en le servant, peuvent obtenir le salut et le bonheur dans le Christ. Nous croyons que cette unique vraie religion « est présente » dans l’Église catholique et apostolique, à laquelle le Seigneur Jésus a confié la charge de la répandre parmi tous les hommes, par ces paroles dites aux apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant tout ce que je vous ai prescrit » (
Mt 28,19-20). De leur côté, tous les hommes sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Église, et, une fois qu’ils la connaissent, de l’embrasser et de la sauvegarder.

Le saint Concile professe également que ces devoirs touchent les hommes dans leur conscience et qu’ils lient celle-ci, et aussi que la vérité ne s’impose pas autrement que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec douceur en même temps qu’avec puissance. Or, comme la liberté religieuse, que revendiquent les hommes pour l’accomplissement du devoir d’honorer Dieu, concerne l’exemption de contrainte dans la société civile, elle ne porte pas atteinte à l’intégrité de la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral des hommes et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. En outre, en traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile a l’intention de développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la personne humaine et l’ordre juridique de la société.

1 Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avr. 1963, AAS 55 (1963), p. 279 ; ibid. p. 265 ; Pie XII, Message radiophonique, 24 déc. 1944, AAS 37 (1945), p. 14.


I. Doctrine générale sur la liberté religieuse

2 Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part soit d’individus, soit de groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou en association avec d’autres. En outre, le Concile déclare que le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine, telle qu’elle est connue par la Parole de Dieu révélée et par la raison elle-même2. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse doit être reconnu dans l’ordre juridique de la société de telle façon qu’il constitue un droit civil.

Conformément à leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes, c’est-à-dire parce qu’ils sont doués de raison et de volonté libre et donc dotés de responsabilité personnelle, sont poussés par leur nature et tenus par obligation morale à chercher la vérité, celle avant tout qui concerne la religion. Ils sont aussi tenus d’adhérer à la vérité, une fois qu’elle est connue, et d’organiser toute leur vie en fonction des exigences de la vérité. Mais les hommes ne peuvent satisfaire à cette obligation, d’une manière conforme à leur propre nature, que s’ils jouissent de la liberté psychologique en même temps que de l’exemption de toute contrainte extérieure. Ainsi donc, ce n’est pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur la nature même de celle-ci qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est pourquoi le droit à cette exemption de toute contrainte persiste même pour ceux qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer : son exercice ne peut être entravé, aussi longtemps qu’est sauvegardé un ordre public juste.

2 Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avr. 1963, AAS 55 (1963), p. 260-261 ; Pie XII, Message radiophonique, 24 déc. 1942, AAS 35 (1943), p. 19 ; Pie XI, encycl. Mit brennender Sorge, 14 mars 1937, AAS 29 (1937), p. 160 ; Léon XIII, encycl. Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, Acta Leonis XIII, 8 (1888), p. 237-238.


3 Cela se manifeste encore plus clairement si l’on considère que la norme suprême de la vie humaine est la loi divine elle-même, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu, dans son dessein de sagesse et d’amour, règle, dirige et gouverne le monde entier, ainsi que les voies de la communauté humaine. Dieu rend l’homme participant de cette loi qui est la sienne de telle sorte que celui-ci, selon les bienveillantes dispositions de la Providence divine, puisse connaître de mieux en mieux la vérité immuable 3. C’est pourquoi chacun a le devoir, et donc aussi le droit, de chercher la vérité en matière religieuse, afin de se former, de façon prudente, des jugements de conscience droits et vrais, en ayant recours aux moyens appropriés.

Mais la vérité doit être cherchée selon la manière qui est propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par la voie d’une libre recherche, par le moyen de l’enseignement ou de l’éducation, de l’échange et du dialogue, grâce auxquels les hommes exposent les uns aux autres la vérité qu’ils ont trouvée, ou qu’ils pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la recherche de la vérité ; une fois que la vérité est connue, il faut y adhérer fermement par un assentiment personnel.

Or l’homme perçoit et reconnaît, par l’intermédiaire de sa conscience, ce que dicte la loi divine et il est tenu de la suivre fidèlement en toutes ses activités, pour parvenir à sa fin qui est Dieu. Il ne doit donc pas être contraint d’agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse. En effet, par son caractère même, l’exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs, volontaires et libres, par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu ; des actes de ce genre ne peuvent être ni dictés ni empêchés par un pouvoir purement humain* 4. Mais la nature sociale de l’homme exige elle-même que celui-ci exprime extérieurement les actes intérieurs de la religion, qu’il communique avec d’autres en matière religieuse, et qu’il professe sa religion sous une forme communautaire.

C’est donc une injustice à l’égard de la personne humaine et de l’ordre même établi par Dieu pour les hommes, que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion dans la société, dès lors que le juste ordre public est respecté.

En outre, les actes religieux par lesquels l’homme, en privé ou en public, s’ordonne à Dieu par une décision intérieure, transcendent par leur nature l’ordre terrestre et temporel des choses. En conséquence, le pouvoir civil, dont la fin propre est de veiller au bien commun temporel, doit certes reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse les limites de son domaine, s’il élève la prétention de diriger ou d’empêcher les actes religieux.

3 Cf. Thomas, Summa Theologica, I-II, q. 91, a. 1 ; q. 93, a. 1-2.
4 Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avr. 1963, AAS 55 (1963), p. 270 ; Paul VI, Message radiophonique, 22 déc. 1964, AAS 57 (1965), p. 181-182. Thomas, Summa Theologica, I-II, q. 91, art. 4 c.


4 La liberté ou absence de contrainte en matière religieuse qui revient aux personnes prises individuellement doit aussi leur être reconnue quand elles agissent en commun. En effet, des communautés religieuses sont requises par la nature sociale de l’homme aussi bien que par celle de la religion elle-même.

Pouvu que les justes exigences de l’ordre public ne soient pas violées, ces communautés doivent jouir, de plein droit, de cette absence de contrainte afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la divinité suprême, seconder leurs membres dans la pratique de la vie religieuse, les soutenir par l’enseignement, promouvoir les institutions dont les membres collaborent pour organiser leur vie propre selon leurs principes religieux.

Aux communautés religieuses revient également le droit de ne pas être empêchées, par des mesures législatives ou une action administrative du pouvoir civil, de choisir leurs propres ministres, de les former, de les nommer et de les déplacer, de communiquer avec les autorités et les communautés religieuses qui vivent dans d’autres parties du monde, de construire des édifices religieux, ainsi que d’acquérir des biens appropriés et d’en disposer.

Les communautés religieuses ont aussi le droit de ne pas être empêchées d’enseigner leur foi publiquement, de vive voix et par écrit, et d’en porter témoignage en public. Mais, dans la propagation de la foi religieuse et dans l’introduction d’usages nouveaux, il faut toujours s’abstenir de toute forme d’activité qui pourrait avoir un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu droite, surtout quand il s’agit de gens sans culture ou d’indigents. Une telle manière d’agir doit être considérée comme un abus de son propre droit et comme atteinte au droit des autres.

Un autre aspect de la liberté religieuse, c’est que les communautés ne doivent pas être empêchées de manifester librement l’aptitude singulière de leur doctrine à organiser la société et à vivifier toute l’activité humaine. Enfin, c’est dans la nature sociale de l’homme et dans le caractère même de la religion qu’est fondé le droit en vertu duquel les hommes, poussés par leur sentiment religieux, peuvent tenir librement des réunions ou constituer des associations éducatives, culturelles, caritatives et sociales.


5 Chaque famille, en tant qu’elle est une société jouissant d’un droit propre et primordial, possède le droit d’organiser librement sa vie religieuse à la maison sous la direction des parents. Ceux-ci ont le droit de déterminer la forme de l’éducation religieuse à donner à leurs enfants, conformément à leur propre conviction religieuse. C’est pourquoi le pouvoir civil doit reconnaître le droit des parents de choisir dans une vraie liberté les écoles ou les autres moyens d’éducation, et ce n’est pas en raison de cette liberté de choix que, directement ou indirectement, d’injustes charges doivent être imposées à ces parents. En outre, les droits des parents sont violés lorsque les enfants sont forcés de suivre des cours qui ne correspondent pas à la conviction religieuse des parents, ou qu’est imposée une forme unique d’éducation d’où la formation religieuse est absolument exclue.


6 Comme le bien commun de la société, qui est l’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent à l’homme de parvenir plus pleinement et plus facilement à sa perfection, consiste avant tout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine5, c’est aux citoyens et aux groupes sociaux, aux pouvoirs civils, à l’Église et aux autres communautés religieuses qu’il appartient de veiller au droit à la liberté religieuse, de la manière propre à chacun, en fonction de ses devoirs envers le bien commun.

Le devoir de protéger et de promouvoir les droits inviolables de l’homme fait partie des devoirs fondamentaux de tout pouvoir civil6. Par conséquent, le pouvoir civil doit, par de justes lois et par d’autres moyens appropriés, assumer efficacement la protection de la liberté religieuse de tous les citoyens et créer les conditions favorables au développement de la vie religieuse, pour que les citoyens puissent exercer réellement leurs droits religieux et remplir leurs devoirs religieux, et que la société elle-même jouisse des biens de la justice et de la paix qui proviennent de la fidélité des hommes à l’égard de Dieu et de sa sainte volonté7.

Si, en considération de circonstances particulières propres à certains peuples, une reconnaissance civile spéciale dans l’ordre juridique de la cité est accordée à une seule communauté religieuse, il est nécessaire que le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et sauvegardé en même temps pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses.

Enfin le pouvoir civil doit pourvoir à ce que l’égalité juridique des citoyens, qui relève elle-même du bien commun de la société, ne soit jamais lésée, de manière ouverte ou occulte, pour des raisons religieuses, et qu’aucune discrimination ne soit faite entre citoyens.

Il s’ensuit qu’il n’est pas permis au pouvoir public d’imposer aux citoyens, par la force, l’intimidation ou d’autres moyens, la profession ou le rejet de quelque religion que ce soit, ou d’empêcher quelqu’un de s’agréger à une communauté religieuse ou de la quitter. A plus forte raison agit-on contre la volonté de Dieu et les droits sacrés de la personne et de la famille des peuples, quand on a recours à la force, sous quelque forme que ce soit, pour détruire la religion ou l’empêcher, soit dans tout le genre humain, soit dans quelque région, soit dans un groupe déterminé.

5 Cf. Jean XXIII, encycl. Mater et Magistra, 15 mai 1961, AAS 53 (1961), p. 417 ; Id., encycl. Pacem in terris, 11 avr. 1963, AAS 55 (1963), p. 273.
6 Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avr. 1963, AAS 55 (1963), p. 273-274; Pie XII, Message radiophonique, 1er juin 1941, AAS 33 (1941), p. 200.
7 Cf. Léon XIII, encycl. Immortale Dei, 1er nov. 1885, AAS 18 (1885), p. 161.


7 Le droit à la liberté en matière religieuse s’exerce au sein de la société humaine, et pour cette raison son usage est soumis à certaines normes qui le règlent.

Dans l’exercice de toute liberté doit être observé le principe moral de la responsabilité personnelle et sociale : dans l’exercice de leurs droits, les hommes pris individuellement et les groupes sociaux sont tenus par la loi morale de prendre en compte les droits des autres, leurs devoirs envers les autres et le bien commun de tous. Tous doivent être traités avec justice et humanité.

En outre, comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient se produire sous prétexte de liberté religieuse, il revient principalement au pouvoir civil d’assurer cette protection : cela doit cependant se faire non pas de façon arbitraire ou en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits dans l’intérêt de tous les citoyens et l’entente pacifique entre eux ainsi que par une préoccupation adéquate de cette honorable paix publique qu’est la vie vécue en commun dans la justice véritable, et aussi par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et représente un aspect caractéristique de la notion d’ordre public. Pour le reste, il faut sauvegarder le principe de la pleine liberté dans la société, selon laquelle la liberté la plus grande possible doit être reconnue à l’homme et ne doit être restreinte que lorsque c’est nécessaire et dans la mesure où c’est nécessaire.


8 Les hommes de notre temps subissent des pressions diverses et courent le danger d’être privés de leur libre jugement personnel. Mais, d’un autre côté, nombreux sont ceux qui semblent portés à rejeter toute subordination, sous prétexte de liberté, et qui font peu de cas de l’obéissance due.

C’est pourquoi ce Concile du Vatican exhorte tous, surtout ceux qui s’occupent de l’éducation des autres, à s’efforcer de former des hommes qui, en se soumettant à l’ordre moral, obéissent à l’autorité légitime et aiment la liberté authentique ; des hommes qui portent sur les choses des jugements personnels à la lumière de la vérité, qui organisent leurs activités avec le sens de la responsabilité, et qui s’appliquent à poursuivre tout ce qui est vrai et juste en coopérant volontiers avec d’autres. La liberté religieuse doit donc aussi aider et disposer les hommes à agir avec une plus grande responsabilité dans l’accomplissement de leur devoir dans le domaine de la vie sociale.


II. La liberté religieuse à la lumière de la Révélation

9 Ce que ce Concile du Vatican déclare au sujet du droit de l’homme à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité de la personne, dont les exigences se sont fait connaître plus pleinement à la raison humaine à travers l’expérience acquise au cours des siècles. Bien plus, cette doctrine de la liberté a ses racines dans la Révélation divine, et pour cette raison elle doit être sauvegardée d’autant plus scrupuleusement par les chrétiens. Bien que la révélation n’affirme pas expressément le droit à l’exemption de toute contrainte extérieure en matière religieuse, elle dévoile cependant, dans toute son ampleur, la dignité de la personne humaine, montre le respect du Christ à l’égard de la liberté de l’homme dans l’accomplissement du devoir de croire à la Parole de Dieu, et nous enseigne quel esprit les disciples d’un tel Maître doivent acquérir et mettre en oeuvre en tout. Par tout cela sont illustrés les principes généraux sur lesquels se fonde la doctrine de cette déclaration sur la liberté religieuse. Et, avant tout, la liberté religieuse dans la société est pleinement en accord avec la liberté de l’acte de foi chrétienne.


10 C’est l’un des points capitaux de la doctrine catholique, contenu dans la Parole de Dieu et proclamé constamment par les Pères 8, que, par la foi, l’homme doit donner une réponse libre à Dieu ; qu’en conséquence, personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré lui \ En effet, par sa nature même, l’acte de foi est volontaire, puisque l’homme, racheté par le Christ Sauveur et appelé à l’adoption filiale par Jésus-Christ* 10 11, ne peut adhérer au Dieu qui se révèle que si, attiré par le Père ", il apporte à Dieu l’obéissance libre et raisonnable de sa foi. Il est donc pleinement conforme au caractère de la foi qu’en matière religieuse toute forme de coercition de la part des hommes soit exclue. Par conséquent, un régime de liberté religieuse ne contribue pas peu à favoriser un état de choses dans lequel les hommes peuvent être invités sans entraves à la foi chrétienne, embrasser celle-ci de plein gré, et la confesser activement pendant toute leur vie.

8 Cf. Lactance, Divinarum Institutionum, Livre V, 19, CSEL 19, p. 463-464, 465, PL 6, 614 et 616 (chap. 20), SC 204 ; Ambroise, Epistola ad Valentinianum lmp., Ep. 21, PL 16, 1005 ; Augustin, Contra litteras Petiliani, Livre II, chap. 83, CSEL 52, p. 112, PL 43,315, BA 30 ; cf. C. 23, q. 5, c. 33 (éd. Friedberg,
Col 939) ; Id., Ep. 23, PL 33,98 ; Id., Ep. 34, PL 33,132 ; Id., Ep. 35, PL 33,135 ; Grégoire le Grand, Epistola ad Virgilium et Theodorum Episcopos Massiliae Galliarum, Registrum Epistolarum I, 45, MGH, Ep. 1, p. 72, PL 77, 510-511 (lib. I, ep. 47) ; Id„ Epistola ad Iohannem, Episcopum Constantinopolitanum, Registrum Epistolarum III, 52, MGH, Ep. 1, p. 210, PL 77, 649 (lib. II, Ep 53) ; cf. Décret de Gratien, D. 45, C. 1 (éd. Friedberg, Col 160) ; Conc. Tolède IV, c. 57, Mansi 10, 633 ; cf. Décret de Gratien, D. 45, c. 5 (éd. Friedberg, Col 161-162) ; Clément III, Décrétales V, 6, 9 (éd. Friedberg, Col 774) ; Innocent III, Epistola ad Arelatensem Archiepiscopum, Décrétales III, 42, 3 (éd. Friedberg, Col 646).
9 Cf. CIC, c. 1351 ; Pie XII, Allocutio ad Praelatos auditores caeterosque officiales et administros Tribunalis S. Romanae Rotae, 6 oct. 1946, AAS 38 (1946), p. 394 ; Id., encycl. Mystici Corporis, 29 juin 1943, AAS 35 (1943), p. 243.
10 Cf. Ep 1, 5.
11 Cf. Jn 6, 44.


11 Certes, Dieu appelle l’homme à le servir en esprit et en vérité, et, tout en obligeant l’homme en conscience, cet appel ne le contraint pas. En effet, Dieu tient compte de la dignité de la personne humaine qu’il a lui-même créée et qui doit se conduire selon son propre jugement et jouir de sa liberté. Cela est apparu dans sa plénitude dans le Christ Jésus, dans lequel Dieu lui-même s’est manifesté et a manifesté ses voies de façon parfaite. En effet, le Christ, qui est notre Maître et Seigneur 12 13 et qui est en même temps doux et humble de coeur ”, a attiré et invité ses disciples avec patience 14. Assurément, il a soutenu et confirmé sa prédication par des miracles, pour susciter et conforter la foi de ses auditeurs, mais non pour exercer sur eux une contrainte 15. Certes, il a reproché à des auditeurs leur incrédulité, mais il a réservé à Dieu le châtiment au jour du jugementl6. En envoyant les apôtres dans le monde, il leur a dit : « Celui qui aura cru et aura été baptisé, sera sauvé ; mais celui qui n’aura pas cru sera condamné » (Mc 16,16). Lui-même, reconnaissant que l’ivraie est semée avec le froment, ordonna de les laisser croître l’une et l’autre jusqu’à la moisson, qui se fera à la fin des temps l7. Ne voulant pas être un Messie politique dominant par la force 18, il préféra se dire Fils de l’Homme venu « pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10,45). Il se montra le parfait Serviteur de Dieu 19, qui « ne brise pas le roseau froissé et n’éteint pas la mèche qui fume encore » (Mt 12,20). Il reconnut le pouvoir civil et ses droits, quand il ordonna de payer le tribut à César, mais rappela clairement qu’il faut respecter les droits supérieurs de Dieu : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21). Enfin, en accomplissant sur la croix l’oeuvre de rédemption, par laquelle il devait procurer aux hommes le salut et la vraie liberté, il a mené la révélation à son achèvement. Il a rendu témoignage à la vérité20, mais il n’a pas voulu l’imposer de force à ses contradicteurs. Son Royaume, en effet, ne se défend pas par l’épée21, mais est affermi par l’écoute de la vérité et par le témoignage rendu à celle-ci et connaît la croissance grâce à l’amour par lequel le Christ, élevé sur la croix, attire à lui les hommes 22 .

Instruits par la parole et l’exemple du Christ, les apôtres suivirent la même voie. Aux origines mêmes de l’Église, les disciples du Christ s’appliquèrent à amener les hommes à confesser le Christ Seigneur, non par l’action coercitive ni par des artifices indignes de l’Évangile, mais avant tout par la puissance de la Parole de Dieu 23. Avec courage, ils annonçaient à tous le dessein de Dieu Sauveur « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4) ; en même temps, ils respectaient les faibles, même s’ils vivaient dans l’erreur, montrant ainsi comment « chacun d’entre nous rendra compte à Dieu pour lui-même » (Rm 14,12)24 et, pour autant, est tenu d’obéir à sa conscience. Tout comme le Christ, les apôtres s’efforcèrent toujours de rendre témoignage à la vérité de Dieu et, débordant d’audace, ils osèrent « annoncer avec assurance la Parole de Dieu » (Ac 4,31)25 devant le peuple et ses chefs. Dans la fermeté de leur foi ils tenaient en effet pour vrai que l’Évangile est vraiment une force de Dieu pour le salut de tout homme qui croit26. Méprisant donc toutes les « armes charnelles27 », suivant l’exemple de douceur et de modestie du Christ, ils proclamèrent la Parole de Dieu dans la pleine confiance que par la force divine de cette Parole les puissances opposées à Dieu seraient détruites 28 et que les hommes seront amenés à la foi et à l’obéissance au Christ29. Tout comme leur Maître, les apôtres reconnurent aussi l’autorité civile légitime : « Il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu », enseigne l’Apôtre, qui en conséquence ordonne : « Que chacun soit soumis aux autorités qui commandent [...] Celui qui résiste à l’autorité résiste à l’ordre établi par Dieu » (Rm 13,1-2) 30. Mais en même temps ils ne craignirent pas de contredire le pouvoir public qui s’opposait à la sainte volonté de Dieu : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5,29) 31. D’innombrables martyrs et fidèles ont suivi cette voie au cours des siècles, dans le monde entier.

12 Cf. Jn 13, 13.
13 Cf. Mt 11, 29.
14 Cf. Mt 11, 28-30 ; Jn 6, 67-68.
15 Cf. Mt 9, 28-29 ; Mc 9, 23-24 ; 6, 5-6 ; Paul VI, encycl. Ecclesiam suam, 6 août 1964, AAS 56 (1964), p. 642-643.
16 Cf. Mt 11, 20-24 ; Rm 12, 19-20 ; 2 Th 1, 8.
17 Cf. Mt 13, 30 et 40-42.
18 Cf. Mt 4, 8-10 ; Jn 6, 15.
19 Cf. Is 42, 1-4.
20 Cf. Jn 18, 37.
21 Cf. Mt 26, 51-53 ; Jn 18, 36.
22 Cf. Jn 12, 32.
21 Cf. 1 Co 2, 3-5 ; 1 Th 2, 3-5.
24 Cf. Rm 14, 1-23 ; 1 Co 8, 9-13 ; 10, 23-33.
25 Cf. Ep 6, 19-20.
26 Cf. Rm 1, 16.
27 Cf. 2 Co 10, 4 ; 1 Th 5, 8-9.
28 Cf. Ep 6, 11-17.
29 Cf. 2 Co 10, 3-5.
30 Cf. 1 P 2, 13-17.
31 Cf. Ac 4, 19-20.


12 L’Église, fidèle à la vérité de l’Évangile, suit donc la voie du Christ et des apôtres quand elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle favorise cette liberté. Au cours des temps, elle a gardé et transmis cette doctrine, reçue du Maître et des apôtres. Même si dans la vie du Peuple de Dieu, au cours de son cheminement à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, il y a eu quelquefois des manières d’agir moins conformes, voire contraires à l’esprit de l’Evangile, l’Église a cependant toujours maintenu la doctrine que personne ne peut être contraint à la foi.

Ainsi le ferment de l’Évangile a agi longtemps dans l’esprit des hommes et il a beaucoup contribué à faire reconnaître plus largement aux hommes, au cours des siècles, la dignité de la personne, et à faire mûrir la conviction qu’en matière religieuse la personne doit, dans la cité, être exempte de quelque contrainte humaine que ce soit.


13 Parmi les choses qui concernent le bien de l’Église, et même le bien de la cité terrestre elle-même, et qui, toujours et partout, doivent être sauvegardées et protégées contre toute atteinte, la plus éminente est certainement que l’Église dispose d’une liberté d’action aussi grande que l’exige son devoir de veiller au salut des hommes 32. Cette liberté en effet dont le Fils unique de Dieu a doté l'Église qu’il a acquise par son sang, est sacrée. Assurément, elle est tellement propre à l'Église que ceux qui la combattent agissent contre la volonté de Dieu. La liberté de l'Église est un principe fondamental dans les relations entre l’Église et les pouvoirs publics et tout l’ordre civil.

Dans la société humaine et devant n’importe quel pouvoir public, l’Église revendique la liberté pour elle-même, en tant qu’autorité spirituelle instituée par le Christ Seigneur, à qui incombe le devoir, à la suite d’un mandat divin, d’aller par le monde entier et d’annoncer l’Évangile à toute créature 33. L’Église revendique également la liberté dans la mesure où elle est aussi une société d’hommes qui possèdent le droit de vivre dans la société civile selon les préceptes de la foi chrétienne34.

Si donc le principe de la liberté religieuse est non seulement proclamé en paroles ou sanctionné par des lois, mais est effectivement en vigueur et est mis en pratique de façon sincère, alors repose sur une base sûre pour l’Église le statut de droit et de fait de l’indépendance qui est nécessaire à l’accomplissement de sa mission divine, et que les autorités ecclésiastiques ont revendiquée dans la société avec de plus en plus d’insistance 55. En même temps les fidèles du Christ, comme les autres hommes, jouissent du droit civil de ne pas être empêchés de mener leur vie selon leur conscience. Il règne donc un accord entre la liberté de l'Église et cette liberté religieuse qui doit être reconnue comme un droit pour tous les hommes et toutes les communautés, et qui doit être sanctionnée dans l’ordre juridique.

32 Cf. Léon XIII, lettres Officio sanctissimo, 22 déc. 1887, AAS 20 (1887), p. 269 ; Id., lettre Ex litteris, 7 avr. 1887, AAS 19 (1887), p. 465.
33 Cf. Mc 16, 15 ; Mt 28, 18-20 ; Pie XII, encycl. Summi Pontificatus, 20 oct. 1939, ASS 31 (1939), p. 445-446.
34 Cf. Pie XI, lettre firmissimam constantiam, 28 mars 1937, AAS 29 (1937), p. 196.
35 Cf. Pie XII, alloc. Ci riesce, 6 déc. 1953, AAS 45 (1953), p. 802.


14 Pour obéir au précepte divin : « Enseignez toutes les nations » (Mt 28,19), l’Église catholique doit s’employer, sans ménager ses forces, à ce que « la Parole de Dieu accomplisse sa course et soit glorifiée » (2Th 3,1).

L’Église demande donc instamment à ses fils « qu’en premier lieu se fassent des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes [...]. Voilà ce qui est bon et agréable à Dieu, notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (2Tm 2,1-4).

Mais pour la formation de leur conscience, les fidèles doivent apporter une soigneuse attention à la doctrine sainte et certaine de l’Église36. En effet, en vertu de la volonté du Christ, l’Église catholique est maîtresse de vérité et a comme charge de proclamer et d’enseigner authentiquement la Vérité qui est le Christ, et en même temps de proclamer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l’ordre moral qui découlent de la nature même de l’homme. En outre, les chrétiens, allant avec sagesse à ceux qui sont dehors, doivent s’appliquer, « dans l’Esprit Saint, avec une charité sans feinte, dans la parole de vérité » (2Co 6,6-7), à répandre la lumière de vie avec pleine assurance37 et avec courage apostolique, jusqu’à l’effusion du sang.

En effet, le disciple est astreint envers le Maître, qui est le Christ, au grave devoir d’acquérir une connaissance toujours plus pleine de la vérité reçue de lui, de l’annoncer fidèlement et de la défendre énergiquement, en excluant tous les moyens contraires à l’esprit de l’Évangile. Mais en même temps la charité du Christ le presse d’agir avec amour, prudence et patience, envers ceux qui se trouvent dans l’erreur ou dans l’ignorance au sujet de la foi38. Il faut donc tenir compte aussi bien des devoirs à l’égard du Christ, Verbe vivifiant, qu’il faut annoncer, que des droits de la personne humaine et de la mesure de la grâce que Dieu, par l’intermédiaire du Christ, a accordée à l’homme, invité à accueillir et à professer la foi de son plein gré.

36 Cf. Pie XII, Message radiophonique, 23 mars 1952, AAS 44 (1952), p. 270-278.
37 Cf. Ac 4, 29.
38 Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avr. 1963, AAS 55 (1963), p. 299-300.


15 Il est sûr que les hommes de notre temps souhaitent pouvoir professer librement, en privé et en public, leur religion, bien plus, que la liberté religieuse est maintenant proclamée dans la plupart des Constitutions comme un droit civil, et reconnue solennellement par des documents internationaux 39.

Mais il existe aussi des régimes dans lesquels, même si la liberté de culte religieux est reconnue dans la Constitution, les pouvoirs publics eux-mêmes s’efforcent de détourner les citoyens de la profession de la religion et de rendre la vie difficile et dangereuse pour les communautés religieuses.

Saluant avec joie les signes heureux de notre temps, mais dénonçant avec tristesse ces faits déplorables, le saint Concile adresse ses exhortations aux catholiques et ses prières à tous les hommes, pour qu’ils examinent avec la plus grande attention combien la liberté religieuse est nécessaire, surtout dans la situation présente de la famille humaine.

Il est, en effet, manifeste que tous les peuples deviennent de plus en plus un, que les hommes de culture et de religion différentes ont entre eux des relations toujours plus étroites, que s’accroît la conscience qu’a chacun de sa responsabilité propre. Par conséquent, pour que des relations pacifiques et la concorde s’instaurent et s’affermissent dans le genre humain, il faut que partout sur terre la liberté religieuse soit garantie par une protection juridique efficace et que soient respectés le devoir et le droit suprêmes qu’ont les hommes de mener librement leur vie religieuse dans la société.

Fasse Dieu, Père de tous les hommes, que la famille humaine, en sauvegardant avec soin le principe de la liberté religieuse dans la société, parvienne, par la grâce du Christ et la puissance de l’Esprit Saint, à la sublime et étemelle « liberté de la gloire des fils de Dieu » (
Rm 8,21).

39 Cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, 11 avr. 1963, AAS 55 (1963), p. 295-296.





Dignitatis humanae 2