I pars (Drioux 1852) Qu.92 a.2

ARTICLE II — la femme a-t-elle du être faite de l'homme (2)?


(2) Les manichéens ont prétendu que la femme avait eu pour principe la matière, et qu'elle ne venait pas de l'homme par Dieu. Mais l'Ecriture est formelle. Indépendamment de la Gen. et de l'Eccles., voy. encore I. Cor. ii, et Act. xvu.

Objections: 1.. Il semble que la femme n'ait pas dù être faite de l'homme. Car le sexe est commun à l'homme et aux autres animaux. Or, dans les autres animaux la femelle n'a pas été faite du mâle. Donc dans l'homme il n'a pas dù non plus en être ainsi.

2.. Les choses qui sont de la même espèce ont la même matière. Or, l'homme et la femme sont de la même espèce. Donc puisque l'homme a été fait du limon de la terre, la femme a dù en être faite aussi, et non de l'homme.

3.. La femme a été faite pour aider l'homme dans l'oeuvre de la génération. Or, il ne faut pas pour obtenir cet effet que les deux personnes soient trop proches parentes. C'est pour cela qu'on défend ces sortes de mariage dans le Lévitique (Lev. xvm). La femme n'a donc pas dù être faite de l'homme.


Mais c'est le contraire. Car il est écrit [Eccl. xvii, 5) : Dieu a créé de Vhomme un aide qui lui ressemble, c'est-à-dire la femme.

CONCLUSION. — Pour que l'homme fût le principe de toute son espèce, comme Dieu est le principe de tout l'univers, il était convenable que la femme fût formée de lui.

Il faut répondre que dans la création primitive des êtres il était convenable que la femme fût formée de l'homme, mais que cette convenance n'existait pas pour les autres animaux : 1° Parce que pour conserver au premier homme sa dignité Dieu voulut qu'il lui ressemblât et qu'il fût le principe de toute son espèce, comme il el5pïui-m0me le principe de tout l'univers. C'est ce qui a fait dire à saint Paul [Act. xvii, 20) : que Dieu a fait d'un seul tout le genre humain. 2° Parce que l'homme devait aimer davantage la femme et lui être plus inséparablement uni du mêment où il saurait qu'elle a été faite de lui. Aussi la Cenèse, après avoir dit qu'elle était sortie de l'homme, ajoutc-t-elle : C'est pour cela que Vhomme abandonnera son père et sa mère et s attachera à sa femme. Cet amour était surtout nécessaire à l'espèce humaine, puisque l'homme et la femme restent ensemble toute leur vie, ce qui n'a pas lieu chez les autres animaux. 3" Parce que, comme le dit Aristote (Eth. lib. viii, cap. 12), l'homme et la femme ne sont pas unis uniquement pour engendrer comme les autres animaux, mais encore pour la vie domestique où l'homme et la femme ont des devoirs communs à remplir et où l'homme est le chef de la femme. 11 était donc convenable pour ce motif que la femme fût faite de l'homme, et qu'elle en émanât comme de son principe. 4" 11 y a là une raison sacramentelle. Ainsi la production de la femme est la figure de l'Eglise qui tire son origine du Christ. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre (Ephes. v, 32) : Ce sacrement est grand en ce qu'il représente Vunion de Jésus-Christ avec son Eglise (1).

(1) Tous les Pères ont appuyé sur cette dernière raison.


Solutions: 1. La réponse au premier argument est par là même évidente.

2. Il faut répondre au second, que la matière est ce dont une chose est faite. La nature créée a son principe déterminé; et, puisque sa fin l'est aussi, ce qui en procède l'est également. C'est ce qui fait que d'une matière déterminée elle produit invariablement quelque chose d'une espèce déterminée. Mais la puissance divine, par là même qu'elle est infinie, peut d'une matière quelconque faire une chose de l'espèce qui lui plaît ; ainsi elle peut produire l'homme du limon de la terre, et la femme de l'homme.

3. Il faut répondre au troisième, que par la génération naturelle on contracte une certaine parenté qui est un empêchement au mariage. Or, la femme n'a pas été produite de l'homme au moyen de la génération naturelle, mais par la seule puissance divine : c'est ce qui fait qu'Eve n'est pas appelée la fille d'Adam. La raison qu'on objecte n'est donc pas concluante.


Article III. — la femme a-t-ei.le du etre formée de la cote de l'homme (2)?


(2) Assurément il n'était pas nécessaire que la femme fût ainsi formée, c'était seulement une chose convenable.

Objections: 1.. Il semble que la femme n'ait pas dù être formée de la côte de l'homme. Car la côte de l'homme est moindre que le corps de la femme. Or, on ne peut d'une chose moindre en faire une plus grande, qu'en ajoutant (et dans ce cas on aurait dû dire que la femme a été formée de ce qui a été ajouté à la côte plutôt que de la côte elle-même), ou en affaiblissant, parce que, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. x, cap. ult.), il n'est pas possible qu'un corps croisse si on ne l'affaiblit. Or, on ne trouve pas que le corps de la femme soit plus faible que celui de l'homme, du moins dans la proportion qui existe entre la côte de l'homme et le corps d'Eve. Donc Eve n'a pas été formée de la côte d'Adam.

2.. Dans le premier mêment de la création, les êtres n'avaient rien de superflu. La côte d'Adam était donc nécessaire à la perfection de son corps ; par conséquent, du mêment où elle a été enlevée, il s'est trouvé imparfait; ce qui s'emble un inconvénient.

3.. La côte ne peut pas être séparée de l'homme sans douleur. Or, la douleur n'a pas existé avant le péché. Donc la côte n'a pas dù être séparée de l'homme pour en former la femme.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Genèse (Gen. n, 22) : Le Seigneur Dieu, de la côte qu'il avait tirée d'./dam, forma le corps de la femme.

CONCLUSION. — Pour signifier l'union sociale qui doit exister entre l'homme et la femme, et les sacrements qui devaient sortir du coté du Christ pendant son sommeil sur la croix, il était convenable que la femme fût formée de la cote de l'homme.

Il faut répondre qu'il était convenable que la femme fût formée de la côte de l'homme : 1° Pour signifier l'union sociale qui doit exister entre l'homme et la femme. Car la femme n'a pas été formée de la tête, parce qu'elle ne devait pas dominer le mari -, elle n'a pas non plus été formée des pieds, parce qu'elle ne devait pas lui obéir à la façon d'un esclave. 2n Pour une raison sacramentelle, parce que les sacrements sur lesquels l'Eglise repose, c'est-à-dire le sang et l'eau, sont sortis du côté du Christ pendant son sommeil sur la croix (1).

(1) Tous les Pores sent unanimes à reconnaître ce symbole.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que d'après quelques commentateurs, le corps de la femme a été formé sans qu'on ait ajouté à la côte de l'homme aucune matière étrangère, mais en multipliant celle qu'elle renfermait de la même manière que Jèsus-Christ a multiplié les cinq pains. Mais cette opinion est tout à fait insoutenable. Car une multiplication de cette nature arrive soit par la transformation de la substance même de la matière, soit par la transformation de ses dimensions. Or, elle n'a pas lieu par la transformation de la substance de la matière, d'abord parce que la matière considérée en elle-même est absolument intransformable, puisqu'elle est en puissance et n'a qu'une existence subjective; ensuite parce (pie la multiplicité et la grandeur sont en dehors de l'essence de la matière. C'est pourquoi on ne comprend la multiplication de la matière, du mêment où elle reste la même et qu'on n'y ajoute rien, qu'autant qu'elle reçoit de plus grandes dimensions. Dans ce cas elle est raréfiée; car c'est le terme qu'on emploie pour désigner que la matière reçoit de plus grandes dimensions, tout en restant la même (Phys. lib. iv, text. 84). On ne peut donc pas dire que la matière se multiplie tout en restant la même et qu'elle ne se raréfie pas, sans se contredire ; car c'est donner une définition sans l'objet défini. Par conséquent, comme dans les multiplications de ce genre il n'y a pas de raréfaction, il faut nécessairement admettre qu'on a ajouté de la matière, soit par l'effet d'une création, soit, ce qui est plus probable, par l'effet d'une conversion. Ainsi saint Augustin dit (Sup. Joan, tract. 24) que Jésus-Christ a rassasié avec cinq pains cinq mille hommes, de la même manière qu'avec quelques grains il produit une abondante moisson ; ce qui s'est fait par la conversion ou le changement de l'aliment. On dit néanmoins que c'est avec cinq pains qu'il a nourri la multitude et que c'est de la côte de l'homme qu'il a formé la femme, parce que la côte et les pains sont la matière préexistante à laquelle il a ajouté.

2. Il faut répondre au second, que la côte d'Adam était nécessaire à sa perfection, non comme individu, mais comme le principe de l'espèce, comme la semence appartient à la perfeclion de l'être qui engendre, bien que l'action naturelle qui la produit soit agréable. C'est pourquoi le corps de la femme a pu, à plus forte raison, être formé de la côte de l'homme par la toute-puissance de Dieu sans que l'homme en ressentit la moindre douleur.

3. La réponse au troisième argument est par là même évidente.


ARTICLE IV. — LA FEMME A-T-ELLE ÉTÉ FORMÉE PAR DIEU IMMÉDIATEMENT ? (1)


(1) Les albigeois et les manichéens attribuaient la création du corps an diable ou au mauvais principe, et i! en était de même des paterniens et des vénustiens.

Objections: 1.. Il semble que la femme n'ait pas été formée par Dieu immédiatement. Car aucun individu produit par un autre individu de son espèce ne vient de Dieu immédiatement. Or, la femme a été faite de l'homme, qui est de même espèce qu'elle. Donc elle n'a pas été faite par Dieu immédiatement.

2.. Saint Augustin dit que Dieu donne aux anges le soin des choses corporelles. Or, le corps de la femme a été formé de matière corporelle. Donc il a été fait par le ministère des anges, et non immédiatement par Dieu.

3.. Ce qui a préexisté virtuellement dans les créatures est produit par la vertu d'une créature quelconque et ne vient pas de Dieu immédiatement. Or, le corps de la femme a été virtuellement produit parmi les oeuvres des six jours, comme le dit saint Augustin (Svp. Gen. ad litt. lib. ix, cap. 15). Donc la femme n'a pas été produite par Dieu immédiatement.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit : Prendre une côte et en faire une femme, ce ne peut être que f oeuvre de celui par qui subsiste la nature entière.

CONCLUSION. — Puisqu'il n'y a que Dieu, bailleur de la nature, qui puisse produire des êtres en dehors des lois établies, il est le seul qui ait pu former la femme de la côte de l'homme.

Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 2), dans chaque espèce il y a une matière particulière qui sert naturellement à sa reproduction. Or, la matière dont l'homme est naturellement engendré, c'est la semence qui provient de l'homme et de la femme. Par conséquent un homme ne peut naturellement être engendré par une autre matière quelle qu'elle soit. Il n'y a que Dieu, l'auteur de la nature, qui puisse produire quelque chose en dehors des lois établies. C'est pourquoi il n'y a que lui qui ait pu former l'homme du limon de la terre, et la femme de la côte de l'homme.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement n'est applicable qu'à l'individu qui est engendré naturellement par un autre individu de même espèce que lui.

2. Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. ix, cap. 15). nous ne savons si les anges ont élé chargés par Dieu de quelque rôle dans la formation delà femme (2) ; toutefois, ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils n'ont pas formé eux-mêmes le corps de l'homme du limon de la terre, ni le corps de la femme de la côte de l'homme.

(2) Ils auraient pu agir comme le serviteur donne au mai lie les instruments par lesquels il opère, mais ils n'ont pu opérer, parce que la eréttion est au-dessus des forces de tout ôtre fini.

3. Il faut repondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (ibid. cap. 18), le premier état des choses n'a pas absolument exigé que la femme fût ainsi faite, mais qu'elle put l'être ainsi. C'est pourquoi le corps de la femme a virtuellement préexisté parmi les oeuvres de la création, non selon la puissance active, mais uniquement selon une puissance passive en rapport avec la puissance active du créateur-

QUESTION XCIII. : DE LA FIN OU DU TERME DE LA CRÉATION DE L'HOMME.


Nous avons ensuite à examiner la fin ou le terme de la création de l'homme, c'est-à-dire en quel sens on dit que l'homme a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu.

— A cet égard neuf questions se présentent : 1" L'image de Dieu est-elle dans l'homme ?

— 2" Existe-t-elle dans les créatures déraisonnables? — :i" L'image de Dieu est-elle plus vive dans l'ange que dans l'homme ? — 4" L'image de Dieu est-elle dans tous les hommes? — 5° L'ixiage de Dieu qui est dans l'homme représente-l-elle son essence, ou toutes les personnes divines, ou une seule de ces personnes ? — f>" L'image de Dieu qui est dans l'homme existe-t-elle dans ses puissances, ses habitudes ou ses actes? — 7° Existe-t-elle par rapport à tous les objets ? — 8° L'image de Dieu n'e\iste-t-elle dans l'homme que par rapport à l'esprit ? — 9" Y a-t-il une différence entre le mot image et le mot ressemblance ?

ARTICLE I. — l'image de dieu est-elle dans l'homme (1)?


(1) Le texte de l'Ecriture étant formel, tous les auteurs ont reconnu que l'homme avait élé fait à l'imape de Dieu ; mais iis sont très-divisés quand il s'apit de déterminer en quoi consiste cette image. Les uns la bornent à la ressemblance du corps, c est l'erreur des anthropomorphites, d'autres veulent que Dieu ait fait l'homme semblable au Verbe qui devait s'incarner, et c'est l'opinion de Tutullien; niais ce sentiment doit être rejeté. D'autres la placent dans la connaissance , dans le libre arbitre; qu lques-nns dans la vertu et l'Esprit-Saint. Le 1'. Petau expose ces différentes opinions [De opere sex dierum, lib. H, cap. 2 .

Objections: 1.. Il semble que l'image de Dieu ne soit pas dans l'homme. Car il est dit dans Isaïe (Is. xl, 18) : A qui avez-vous assimilé Dieu, ou par quelle image le représentez-vous?

2.. C'est le propre du Fils unique de Dieu d'être son image. Car l'Apôtre dit de lui (Colos. i, Iii) qu'il est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toutes les créatures. L'image de Dieu n'existe donc pas dans l'homme.

3.. Saint Hilaire dit (in Hb. de Syn.) que l'image est une représentation qui ne diffère en rien de l'objet auquel elle se rapporte. Et ailleurs il ajoute que l'image est la ressemblance parfaite d'une chose qu'on veut égaler à une autre. Or, il n'y a rien qui représente également Dieu et l'homme, et il ne peut pas y avoir d'égalité de l'homme à Dieu. Doue l'image de Dieu ne peut exister dans l'homme.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Cenèse (Gen. i, 26) : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance.

CONCLUSION. — Puisque dans l'homme on trouve une ressemblance de Dieu analogue à celle qui existe entre une copie et son original, et que d'ailleurs il n'y a pas d'égalité entre eux, il s'ensuit que l'image de Dieu existe dans l'homme, mais imparfaitement.

Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Qucest. lib. lxxxiii, quaest. 74), là où il y a image il y a toujours ressemblance, mais que là où il y a ressemblance il n'y a pas toujours image. D'où il résulte que la ressemblance est de l'essence de l'image, et que l'image ajoute quelque chose à la nature de la ressemblance, par exemple, qu'elle est l'expression d'un autre objet. Car le nom d'image lui vient de ce qu'elle est produite à l'imitation d'une autre chose. Ainsi un oeuf a beau ressembler à un autre oeuf et l'égaler, par là même qu'il n'est pas son expression, on ne dit pas qu'il est son image. L'égalité n'est pas toutefois de l'essence de l'image, parce que, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), là où il y a image il n'y a pas toujours égalité, comme on le voit par l'image d'unepersonne qui se reflète dans un miroir. L'égalité est cependant de l'essence de l'image parfaite -, car, pour qu'une image soit parfaite, il faut qu'il ne lui manque rien de ce qui existe dans l'objet qu'elle exprime. Or, il est évident que dans l'homme on trouve une certaine ressemblance de Dieu analogue à celle qui existe entre une copie et son original. Cette ressemblance ne se fonde pas toutefois sur l'égalité ; car il y a l'infini de distance entre la copie et le type qu'elle reproduit. C'est pourquoi on dit que l'image de Dieu qui est dans l'homme n'est pas parfaite, mais imparfaite. C'est ce que l'Ecriture exprime quand elle dit que l'homme a été fait à l'image de Dieu. Car la préposition à indique un certain rapprochement qui lui-même suppose qu'il s'agit de choses éloignées.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le prophète parle des images corporelles fabriquées de main d'homme, et c'est pourquoi il dit : Sur quelle image le représenterez-vous ? Mais Dieu a imprimé lui-même dans l'homme son image spirituelle.

2. Il faut répondre au second, que le premier-né de toutes les créatures est l'image parfaite de Dieu et qu'il reproduit parfaitement celui dont il est l'image. C'est pourquoi on dit qu'il est l'image et non qu'il est à l'image de Dieu. Mais l'homme est appelé l'image de Dieu à cause de la ressemblance qu'il a avec lui, et on dit qu'il est à son image parce que cette ressemblance est imparfaite. EL comme la ressemblance parfaite de Dieu ne peut exister qu'à la condition de l'identité de nature, son image est dans son Fils unique comme l'image du roi est dans le fils qui a la même nature que lui. Mais elle ne peut être dans l'homme dont la nature est toute différente que comme l'image du roi est sur une monnaie d'argent, selon l'expression de saint Augustin (Lib. de dec. chordis, cap. 8).

3. Il faut répondre au troisième, que ce qui est un étant un être indivis, la ressemblance s'entend de l'apparence ou de l'espèce dans le même sens que de l'unité. Ainsi on dit qu'une chose est une non-seulement en nombre, en espèce ou en genre, mais encore d'après une certaine analogie ou proportion. Telle est l'unité ou la convenance qui existe de la créature à Dieu. Quant à l'égalité de l'image et de son objet elle n'appartient qu'à l'essence de l'image parfaite (1).

(1) Qui est le Verbe île Dieu, la seconde personne de la sainle Trinité.


ARTICLE II. — l'image de dieu existe-t-elle dans les créatures déraisonnables (2)?


(2) Les manichéens élevaient les créatures déraisonnables à la même dignité que l'homme, et soutenaient qu'elles étaient capables de raison et d'intelligence.

Objections: 1.. Il semble que l'image de Dieu existe dans les créatures déraisonnables. Car saint Denis dit (De div. nom. cap. 2) : Tous les effets portent l'image contingente de leurs causes. Or, Dieu est la cause non-seulement des créatures raisonnables, mais encore de celles qui sont déraisonnables. Donc son image existe également dans ces dernières.

2.. Plus une ressemblance exprime avec perfection une chose, et plus elle approche de la nature même de l'image. Or, saint Denis dit [De div. nom. cap. 4) que le soleil par ses rayons a la plus grande ressemblance avec la bonté divine. Donc il est à limage de Dieu.

3.. Plus une chose est parfaite en bonté et plus elle ressemble à Dieu. Or, l'univers entier est plus parfait en bonté que l'iiomme, parce que, quoique toutes les choses qui le composent soient bonnes, leur ensemble est encore meilleur, d'après la Genèse elle-même (Gen. i). Donc il n'y a pas que l'homme, mais l'univers entier est aussi fait à l'image de Dieu.

4.. Boéce dit (De Consol. lib. ni, metr. 9) en parlant de Dieu qu'il porte le monde dans son esprit, et qu'il l'a formé d'après son image. Donc le monde entier a été fait à l'image de Dieu et il n'y a pas que la créature raisonnable qui ait ce privilège.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt. lib. vi, cap. 12) : Ce qui fait la supériorité de l'homme c'est que Dieu l'a fait à son image, et qu'à ce titre il lui a donné une intelligence qui le place au-dessus de tous les animaux. Les êtres qui n'ont pas d'intelligence n'ont donc pas été faits à l'image de Dieu.

CONCLUSION. — Puisqu'il n'y a que les créatures intelligentes qui ressemblent à Dieu pour l'intelligence et la sagesse, elles sont les seules à proprement parler qui soient à son image.

Il faut répondre que toute ressemblance, même quand elle serait l'expression d'un objet, n'a pas pour cela le caractère de l'image. Car quand la ressemblance ne repose que sur le genre ou sur un accident gênerai quelconque, on ne doit pas dire pour cela qu'une chose est à l'image d'une autre. Ainsi on ne pourrait pas dire que le ver qui sort de l'homme est son image parce qu'il lui ressemble quant au genre (1). On ne peut pas dire non plus que si un objet est blanc comme un autre et qu'il lui ressemble sous ce rapport il soit pour cela à son image, parce que le blanc est un accident commun à plusieurs espèces. Pour qu'il y ait image il faut qu'il y ait ressemblance sous le rapport de l'espèce, comme l'image du roi est dans son fils ; ou bien il faut au moins que la ressemblance repose sur un accident propre à l'espèce et principalement sur la figure. C'est ainsi qu'on dit que l'image de l'homme est dans un miroir. Voilà ce qui fait dire à saint Ifilaire que pour l'image il ne faut pas qu'il y ait différence d'espèce. Or, il est évident que la ressemblance d'espèce se prend de la dernière différence. Ainsi les créatures ressemblent à Dieu : 1° de la manière Ja plus générale en tant qu'êtres ; 2° comme êtres vivants ; 3° comme êtres sages et intelligents. Ces derniers ont tant de ressemblance avec Dieu, que d'après saint Augustin (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 51 ), il n'y a aucune créature qui s'en rapproche davantage. Il est donc évident que les créatures intelligentes sont, à proprement parler, à l'image de Dieu.

(1) C'est un animal comme lui.


Solutions: 1. II faut répondre au premier argument, que tout ce qui est imparfait est une participation de ce qui est parfait. C'est pourquoi les êtres qui n'ont pas tout ce qu'il faut pour être à l'image de Dieu, ont cependant avec lui une ressemblance proportionnée à la manière dont ils participent à ce qui constitue son image. C'est pourquoi saint Denis dit que les effets portent les images contingentes de leurs causes, ce qui signifie qu'ils en sont les images autant que leur nature le leur permet (quantum contingit), mais non absolument.

2. Il faut répondre au second, que saint Denis assimile les rayons solaires à la bonté divine par rapport aux effets qu'ils produisent, mais non pour la dignité de nature que l'essence de l'image exige.

3. Il faut répondre au troisième, que l'univers est plus parfait en bonté que la créature intelligente, sous le rapport de l'extension et de la diffusion (2).Mais en intensité et collectivement (1) la ressemblance de la Divinité est plus parfaite dans la créature raisonnable qui est capable du souverain bien. — On peut dire encore que la partie ne se considère pas par opposition au tout, mais par opposition à une autre partie. Ainsi quand on dit que la nature intellectuelle seule est à l'image de Dieu on ne nie pas pour cela que l'univers ne soit par l'une de ses parties à l'image de Dieu lui-même, mais on refuse seulement à ses autres parties ce caractère.

(2) Extensivè et diffutivè.

(1) Intensive et collective.

4. Il faut répondre au quatrième, que Boéce considère l'image sous le rapport de la ressemblance par laquelle un objet d'art imite l'idée artistique qui est dans l'esprit de l'ouvrier qui le produit. Dans ce sens toute créature est l'image du type qui existe dans l'entendement divin. Mais ce n'est pas de cette manière que nous comprenons ici l'imagé. Nous la considérons selon la ressemblance naturelle d'après laquelle toutes les créatures en tant qu'êtres ressemblent au premier être, en tant qu'êtres vivants à la première vie, et en tant qu'êtres intelligents à la souveraine sagesse.


ARTICLE III. — l'image de dieu est-elle plus parfaite dans l'ange que, dans l'homme (2) ?


(2) Tous les Père* ne sont pas sur re point du même avis; Tliéodorct quest. xx in Gen. . Mara! re Hom. xv , saint Méthode, prétendent que les anges n'ont pas été faits à l'image de Dieu. Saint Chrvsostonie et saint Grégoire sont du sonliment île saint Thomas, mais saint Jean Damascène , tout en admettant que l'ange a élé l'ait à l'iniag, de Dieu, enseigne que cette image est plus vi\e dans l'homme. Le tente sacré ne disant rien à cet égard, les opinions sont libres.

Objections: 1.. Il semble que dans l'ange l'image de Dieu ne soit pas plus parfaite que dans l'homme, Car saint Augustin dit (De verb. apost, serm, 27, cap. 2, et De verb. J)om. serm. 03. cap. 6), que Dieu n'a fait aucune autre créature que l'homme à son image. Il n'est donc pas vrai que l'ange soit plutôt que l'homme à l'image de Dieu.

2.. D'après saint Augustin (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. EH) l'homme est à l'image de Dieu, de telle sorte qu'il a été formé par Dieu immédiatement, et que par conséquent il n'y a pas d'être qui lui soit plus uni. Or, les créatures sont appelées images de Dieu en raison de leur union avec lui. Donc l'ange n'est pas plus à l'image de Dieu que l'homme.

3.. On dit qu'une créature est à l'image de Dieu parce qu'elle a une nature intellectuelle. Or, la nature intellectuelle n'est susceptible ni de plus ni de moins, car elle n'est pas du genre de l'accident, mais du genre de la substance. Donc l'ange n'est pas plus à l'image de Dieu que l'homme.


Mais c'est le contraire. Car saint Grégoire dit (Hom. in Ev. xxxiv) qu'on appelle l'ange le sceau de la ressemblance, parce que la ressemblance de l'image de Dieu est plus profondément empreinte en lui que dans les autres créatures.

CONCLUSION. — Puisque la nature intellectuelle qui est la raison première et fondamentale sur laquelle repose l'essence de l'image divine est plus parfaite dans l'ange, il faut qu'il soit absolument à l'image de Dieu plutôt que l'homme lui-même.

Il faut répondre que nous pouvons parler de l'image de Dieu de deux manières : 1° Nous pouvons la considérer par rapport à la nature intellectuelle qui est le fondement de son essence. En ce sens l'image de Dieu est plus vive dans les anges que dans l'homme parce que leur nature intellectuelle est plus parfaite que la sienne, comme nous l'avons prouvé (quest. Lin, art. G, et quest. i.xxv. art. 7 ad 3.2° On peut considérer l'image de Dieu dans l'homme sous un rapport secondaire, c'est-à-dire sous le rapport de ce qui en fait l'accessoire. Ainsi on trouve dans l'homme une certaine imitation de Dieu. Par exemple, l'homme naît de l'homme, Dieu de Dieu (1) ; lame est tout entière dans tout son corps et dans chacune de ses parties, comme Dieu est tout entier dans l'univers et dans chaque partie de l'univers. Par rapport à toutes ces analogies l'image de Dieu existe dans l'homme plutôt que dans l'ange. Mais ces rapprochements accidentels n'ont de valeur qu'en raison de l'existence préalable de la première ressemblance qui a pour fondement la nature intellectuelle. C'est pourquoi sous ce rapport l'ange étant plus que l'homme à l'image de Dieu, on doitreconuaître que cette image est absolument plus vive dans Tango que dans l'homme, et qu'elle ne brille davantage dans l'homme que sous ce rapport accidentel.

(1) Sami Ambroise développe admirablement cette pensée dans son livre [De dignit. condit, human. cap. 11 ).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Augustin dit que les créatures inférieures qui manquent d'intelligence ne sont pas à l'image de Dieu, mais il ne dit pas la même chose des anges.

2. Il faut répondre au second, que comme on dit que le feu est le plus subtil des corps dans son espèce bien qu'il y ait des feux plus ou moins subtils que d autres, de même on dit qu'il n'y a rien de plus intimement uni à Dieu que l'âme humaine parce qu'elle est du genre des créatures intellectuelles, etque comme l'illustredocteur l'avait dit (loc. cit. in arg.) précédemment, les êtres qui ont la sagesse et l'intelligence ressemblent tant à Dieu qu'il n'y a pas de créatures qui approchent de lui davantage. Ces paroles de saint Augustin ne signifient donc pas que les anges ne sont pas à l'image de Dieu plus que l'homme.

3. Il faut répondre au troisième, que quand on dit que la substance n'est susceptible ni de plus ni de moins, on n'entend pas par là qu'une espèce de substance n'est pas plus parfaite qu'une autre, mais que le même individu ne participe pas à son espèce tantôt plus, tantôt moins ; cela ne signifie pas non plus que des individus divers ne participent pas inégalement à l'espèce de substance à laquelle ils appartiennent.


ARTICLE IV. — l'image de dieu existe-t-elle dans tous les hommes (2) ?


(2) Dans une foule d'endroits do l'Ecriture et des Pères, la ressemblance de l'homme avec Dieu s'entend de sa vertu ou de la communication de l'Esprit-Saint. Saint Pau1 exhorte souvent les fidè-lesà se rendre semblables à Dieu , à reproduire en eux son image par la sainteté de leur vie. Cet article a donc pour but de distinguer cette image qui est l'effet de la régénération, de l'imaee première, qui est le fait de la cj .'atinn.

Objections: 1.. Il semble que l'image de Dieu n'existe pas dans tous les hommes. Car saint Paul dit (I. Cor. xi, 7) (pie l'homme est l'image de Dieu, tandis que la femme est l'image de l'homme. Donc quoique la femme soit un individu de l'espèce humaine, tous les individus de cette espèce ne sont pas à l'image de Dieu.

2.. Saint Paul dit encore (Rom, vm, 20) que Dieu a prédestiné ceux qu'il a su ci l'avance devoir être conformes à l'image de son Fils. Or, tous les hommes ne sont pas prédestinés. Donc ils ne sont pas tous conformes à l'image de Dieu.

3.. La ressemblance est de l'essence de l'image, comme nous l'avons dit (art. I). Or, le péché efface cette ressemblance de l'homme avec Dieu, et par conséquent il détruit dans l'homme l'image divine.


Mais c'est le contraire. Il est écrit (Ps. xxxviii, 7) : En vérité l'homme passe et n'est qu'une image.

CONCLUSION. — L'image de la création est dans tous les hommes, mais celle de la régénération, n'est que dans les justes, comme la ressemblance de la gloire n'est que dans les bienheureux.

Il faut répondre que l'homme étant à l'image de Dieu d'après sa nature intellectuelle, il s'ensuit que cette image est en lui d'autant plus parfaite que sa nature intellectuelle imite mieux la Divinité. Or, elle imite Dieu spécialement par rapport à la connaissance et à l'amour que Dieu a de lui-même. De là trois aspects sous lesquels on peut considérer l'image de Dieu dans l'homme. 1° On peut la considérer suivant l'aptitude naturelle qu'a l'homme de comprendre et d'aimer Dieu. Cette aptitude consiste dans la nature même de l'esprit qui est commun à tous les hommes. 2° On peut la considérer suivant que l'homme connaît et aime Dieu actuellement et habituellement, mais cependant d'une manière imparfaite. Cette image résulte de la conformité que la grâce établit entre nous et Dieu. 3° Enfin on peut la considérer suivant que l'homme connaît et aime Dieu en acte parfaitement, et alors l'image s'entend delà ressemblance que nous aurons avec lui dans la gloire. C'est ce qui fait que la glose à propos de ces paroles du Psalmiste (Ps. iv, 7) : La lumière de votre visage est empreinte sur nous, Seigneur, distingue trois sortes d'images, celle de la création, celle de la régénération, et celle de la ressemblance (1). La première de ces images existe dans tous les hommes, la seconde ne se trouve que dans les justes, etla troisième n'est que dans les bienheureux.

(1) La ressemblance est la perfection de l'image, comme le dit saint Thomas (art. ix).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on trouve également dans l'homme et la femme l'image de Dieu relativement à ce qui en constitue principalement l'essence, c'est-à-dire par rapport à la nature intellectuelle. C'est pourquoi la Genèse, après avoir dit que Dieu créa Vhomme à son image, ajoute immédiatement qu'il les créa mâle et femelle. Elle emploie le mot les au pluriel afin qu'on ne croie pas, dit saint Augustin (Sup. Gen. lib. m, cap. 22), que les deux sexes ont été primitivement unis dans un seul et même individu. Mais par rapport aux applications secondaires l'image de Dieu est dans l'homme telle qu'elle n'est pas dans la femme. Ainsi 1 homme est le principe de la femme et sa fin, comme Dieu est le principe et la fin de toute créature. Aussi après que l'Apôtre a dit que l'homme est l'image et] la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme, il en donne la raison en ajoutant : que Vhomme ne vient pas de la femme, mais la femme de Vhomme, et que Vhomme n'a pas été créé à cause de la femme, mais la femme à cause de Vhomme.

2. et 3. Il faut répondre au second et au troisième, que ces raisonnements s'appuient sur l'image qui est l'effet de la grâce et de la gloire.

ARTICLE V. — l'image de dieu qui est dans l'homme représente-t-elle les trois personnes de la sainte trinité (2) ?


I pars (Drioux 1852) Qu.92 a.2