I pars (Drioux 1852) Qu.64 a.3

ARTICLE III. —  les démons peuvent-ils souffrir (1)?


(1) L'Ecriture est formelle sur ce point: Diabolus missus est in stagnum ignis et sulphuris in saecula saeculorum (Apoc. xx). Toute la tradition est unanime : seulement, les Pères sont partagés sur la nature de la douleur que les démons éprouvent. Origène (Periarch. lib. II, cap. 81), saint Ambroise (line. lib. vu, c. 11), Tbéo-philocte lin cap. ix, Mere.) disent qu'ils n'éprouvent pas de souffrances physiques ; saint Jean Damascène etLactance (liv. vin, c. 21) croient que le feu qui fait leur tourment n'est pas de même nature que le nôtre, qu'il est plus subtil, plus spirituel, si l'on peut s'exprimer ainsi-, saint Augustin, saint Grégoire le Grand et la plupart des autres Pères ne font pas cette distinction et parlent d'un enfer matériel.

Objections: 1.. Il semble que les démons ne souffrent pas. Car la joie et la douleur étant opposées, elles ne peuvent exister simultanément dans le même sujet. Or, les démons éprouvent de la joie. Car saint Augustin dit (De Gen. cont. Mon. lib. n, cap. 17) que le diable a pouvoir sur ceux qui méprisent les commandements de Dieu, et qu'il se réjouit de cette funeste prérogative. Donc les démons ne souffrent pas.

2.. La douleur est cause de la crainte. Car nous craignons tant qu'elles sont à venir les choses que nous déplorons quand elles sont arrivées. Or, dans les démons il n'y a pas de crainte, d'après ces paroles de Job (Job, xli, 24) : 77 a été créé pour ne rien craindre. Donc dans les démons il n'y a pas de douleur.

3.. S'affliger du mal est un bien. Or, les démons ne peuvent bien faire. Donc ils ne peuvent pas même s'affliger de la faute qu'ils ont faite ; ce qui forme le ver rongeur de la conscience.


Mais c'est le contraire. Car le péché du démon est plus grave que le péché de l'homme. Or, l'homme est puni par la douleur de la délectation qu'il s'est accordée en péchant, d'après ces paroles de l'Apocalypse (Ap. xviii, 7) : Multipliez ses tourments et ses douleurs à proportion de ce qu'il s'est élevé dans son orgueil, et de ce qu'il s'est plongé dans les délices. Le diable s'étant glorifié beaucoup plus que l'homme, doit donc être beaucoup plus sévèrement puni.

CONCLUSION. — La douleur n'existe pas dans les démons comme une passion, maÎ3 comme un acte pur et simple de la volonté dans le sens qu'il y a beaucoup de choses qui existent et qu'ils voudraient voir non existantes, et qu'il y en a beaucoup qui n'existent pas et qu'ils voudraient voir exister.

Il faut répondre que la crainte, la douleur et la joie considérées comme passions ne peuvent exister dans les démons. Ces affections prises en ce sens sont propres à l'appétit sensitif, qui est une des propriétés de l'organisme corporel. Mais si on entend par là de simples actes de la volonté, elles peuvent à ce titre exister dans les démons. On est alors obligé de reconnaître qu'il y a douleur dans les démons, parce que la douleur, considérée comme un acte pur et simple de la volonté, n'est rien autre chose que les efforts que la volonté fait à l'égard de ce qui est ou de ce qui n'est pas. Or, il est évident que les démons voudraient voir inexistantes beaucoup de choses qui existent, et qu'ils voudraient voir exister beaucoup de choses qui n'existent pas. Ils voudraient, par exemple, puisqu'ils sont envieux, que ceux qui sont sauvés fussent damnés. On doit donc dire qu'ils éprouvent de la douleur, surtout parce qu'il est dans la nature de la peine d'être contraire à la volonté. Ils sont aussi privés de la béatitude qu'ils désirent naturellement, et sur beaucoup de points leur volonté mauvaise se trouve restreinte.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la joie et la douleur sont opposées quand il s'agit du même objet, mais non quand il s'agit de sujets divers. Par conséquent, rien n'empêche que le même être s'afflige d'une chose et se réjouisse tout à la fois d'une autre, surtout quand la douleur et la joie ne sont que des actes purs et simples de la volonté, parce que non-seulement dans des objets divers, mais encore dans une seule et même chose, nous pouvons trouver quelque chose que nous voulons et quelque chose que nous ne voulons pas.

2. Il faut répondre au second, que comme les démons déplorent le présent ils redoutent aussi l'avenir. Ces paroles : // a été créé pour ne rien craindre, s'entendent de la crainte de Dieu, qui empêche de pécher. Car il est écrit ailleurs que les démons croient et qu'ils tremblent (Jac. ri, 19).

3. Il faut répondre au troisième, que s'affliger du péché à cause du péché lui-même, c'est une preuve de la droiture de la volonté à laquelle le vice est opposé. Mais que s'affliger de la peine ou de la faute à cause du châtiment c'est une preuve de la bonté de la nature à laquelle le mal de la peine est contraire. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ. Dei, lib. xix, cap. 43) que le regret du bien que l'on a perdu est au milieu des supplices une preuve de la bonté de la nature. Par conséquent, puisque le démon a une volonté mauvaise et obstinément fixée dans le mal, il ne s'afflige pas du péché qu'il a commis.


ARTICLE IV. — l'air est-il le lieu ou les démons sont punis (1)?


(1) Saint Panl appelle le démon (Eph. Il) : Principem potestatis aeris hujus, et saint ïierre nous dit qu'il est comme un lion qui rôde autour de nous : Circuit quoerens quem devoret. Tous les Pères sont unanimes à considérer les démons comme des habitants de l'air. Yid. Tertullien (Âpologet. c. 22), saint Augustin (De civ. Dei, lib. viii, c. 22), saint Jérôme (Comm. in Ephes. cap. 6), saint Chrysostomo (Hom. Xl, in Ep. I ad Thessal.), Théodoret (Orat, iii cont. Graecos-, saint Fulgençe (De Trin. cap. 8), etc.

Objections: 1.. Il semble que l'air ne soit pas le lieu où les démons sont punis. Car le démon est un être spirituel, et les êtres spirituels ne sont pas affectés à un lieu. Il n'y a donc pas de lieu où les démons puissent être punis.

2.. Le péché de l'homme n'est pas plus grave que le péché du démon. Or, le lieu où l'homme doit être puni c'est l'enfer. Donc à plus forte raison est-ce là le lieu de punition du démon, et non l'air ténébreux qui nous environne.

3.. Les démons sont punis de la peine du feu. Or, dans l'air qui nous entoure il n'y a pas de feu. Donc cet air n'est pas le lieu où les démons sont punis.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit [Sup. Gen. ad litt. lib. m, cap. IO) que l'air qui nous entoure est, pour ainsi dire, la prison qu'habitent les démons jusqu'au jour du jugement.

CONCLUSION. —¦ 11 y a pour les mauvais anges deux sortes de lieux de punition, l'enfer où ils expient leur faute et l'air qui nous entoure où ils resteront jusqu'au jour du jugement pour éprouver les hommes.

Il faut répondre que les anges tiennent d'après leur nature le milieu entre Dieu et les hommes. Or, la Providence a disposé toutes choses de manière que le bien des êtres inférieurs dépendit des êtres supérieurs. Ainsi elle fait le bien de l'homme de deux manières : 1° Directement, quand elle le porte au bien et qu'elle l'éloigné du mal; c'est ce qu'elle fait par le ministère des bons anges. 2° Indirectement, quand elle le laisse éprouver par les attaques de l'ennemi de son salut. Il était convenable qu'elle chargeât les mauvais anges de produire cette espèce de bien, afin qu'après leur péché ils ne fussent pas absolument des hors-d'oeuvre dans l'ensemble de la nature. C'est pourquoi il faut admettre pour les démons deux sortes de lieux de punition : l'un pour l'expiation de leur faute, et c'est l'enfer; l'autre pour éprouver le genre humain, et c'est l'air qui nous environne. Et comme il y aura toujours à travailler au salut des hommes jusqu'au jour du jugement, les bons anges rempliront leur ministère jusqu'à ce mêment, et les démons ne cesseront détendre leurs pièges. La Providence ne cessera donc jusqu'à cette époque de nous envoyer de bons anges, et les démons resteront dans l'air qui nous entoure pour nous éprouver, bien que quelques-uns d'entre eux soient maintenant dans l'enfer pour tourmenter ceux qu'ils ont fait tomber dans le péché, comme il y a de bons anges qui sont aussi avec les âmes des saints dans le ciel. Mais après le jour du jugement tous les mauvais anges et tous les hommes pervers seront dans l'enfer : tous les bons anges et tous les hommes justes dans le ciel.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le lieu ne fait pas le tourment de l'ange ou de l'âme, comme s'il affectait sa nature en la modifiant, mais qu'il affecte sa volonté en la contristant, dans le sens que l'ange ou l'âme se voit dans un lieu où il voudrait ne pas être.

2. Il faut répondre au second, qu'une âme dans l'ordre de la nature ne l'emporte pas sur une autre âme, comme les démons l'emportent sur les hommes. Il n'y a donc pas de parité.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il y a des auteurs qui ont avancé que les démons ainsi que les âmes ne souffriraient de peine sensible qu'après le jour du jugement, et que pareillement les saints ne jouiraient qu'à cette époque de la béatitude. Mais ce sentiment est erroné et contraire à ces paroles de l'Apôtre : Si cette maison déterre où nous habitons vient à se dissoudre, nous avons dans le ciel une demeure. D'autres ne pensent ainsi qu'à l'égard des démons, mais non à l'égard des âmes (1). Il vaut donc mieux dire que Dieu a jugé les mauvais anges et les âmes des méchants comme il a jugé les bons anges et les âmes des justes. Par conséquent comme le ciel appartient à la gloire des anges, et que les esprits célestes ne dérogent pas plus à leur bonheur quand ils viennent vers nous, que l'évêque quand il quitte le siège où il est assis, parce qu'ils considèrent que là est leur place; de même les démons, quoiqu'ils ne soient pas actuellement enchaînés au feu éternel, puisqu'ils sont dans l'air qui nous entoure, cependant par là même qu'ils savent qu'ils doivent y être attachés (1), leur peine reste la même. C'est pourquoi il est dit dans la glose (Glus. ord. sup. Jac. m) qu'ils portent avec eux partout oùils vont le feu de la géhenne. On ne peut pas objecter qu'ils ont demandé au Seigneur de ne pas les envoyer dans l'abîme, comme il est dit dans saint Luc (Luc, viii), parce que s'ils l'ont demandé, c'est qu'ils regardaient comme une peine d'être exclus du lieu où ils peuvent nuire aux hommes. De là saint Matthieu dit (Matth, vin) qu'Us priaient le Seigneur de ne pas les jeter hors du pays.

(1) Il est à remarquer que saint Thomas ne condamno pas ce sentiment quoiqu'il ne le partage pas. La cause de cette réserve, c'est que la plupart des Pères ont cru que les démons n'éprouveraient les supplices cruels auxquels ils sont condamnés qu'après le jugement dernier.

(1) C'est dans celte captivité que saint Thomas it consister leurs supplices. L'Eglise n'ayant rien cidé à cet égard, les opinions sont libres.


QUESTION LXV.: DE LA CRÉATION DES ÊTRES CORPORELS.


Après avoir parlé de la créature spirituelle, nous avons à nous occuper de la créature corporelle. A l'égard de sa production l'Ecriture rappelle trois choses : 1° L'oeuvre de création par ces mots : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. 2° L'oeuvre de distinction en disant : Il sépara la lumière des ténèbres, les eaux qui sont au-dessus du firmament et celles qui sont au-dessous. 3° L'oeuvre d'ornement, quand elle ajouta : Qu'il y ait au firmament des luminaires. Nous traiterons donc, 1° de la création des choses corporelles, 2° de leur distinction, 3° de leur ornement. — Sur le premier point quatre questions se présentent : 1" La créature corporelle vient-elle de Dieu ? — 2° L'a-t-il faite parce qu'il est bon ? ¦— 3° L'a-t-il faite par l'intermédiaire des anges ? — 4" Les formes des corps ont-elles les anges pour créateurs ou viennent-elles de Dieu immédiatement ?

ARTICLE I. —ta créature corporelle a-t-elle été créée par dieu  (2)?


(2) Cet article est une réfutation de l'hérésie des inichéens qui prétendaient que les choses cor-'elles ont été produites par le mauvais princi des albigeois qui enseignaient que le diable éc tons les corps, et des cathares qui voulaient l eût fait le inonde et tout ce qu'il renferme.

Objections: 1.. Il semble que la créature corporelle ne vienne pas de Dieu. Car il est dit (Eccles. iii,44) : J'ai appris que tout ce que Dieu a fait existe éternellement. Or, les créatures corporelles ne sont pas éternelles, d'après ces paroles de l'Apôtre (II. Cor. iv, 18) : Les choses que l'on voit sont temporelles, mais celles que l'on ne voit pas sont éternelles. Dieu n'a donc pas fait les choses visibles.

2.. Il est dit dans la Genèse (Gen. i, 31) : Dieu vit toides les choses qu'il avait faites, et elles étaient fort bonnes. Or, les créatures corporelles sont mauvaises; car elles nous sont souvent nuisibles; ainsi beaucoup de serpents sont venimeux, la chaleur du soleil nous fait mal, etc. On appelle mauvaises les choses qui nuisent. Donc Dieu n'a pas fait les créatures corporelles.

3.. Ce qui est de Dieu n'éloigne pas de lui, mais y ramène. Or, les créatures corporelles nous éloignent de Dieu; c'est ce qui fait dire à l'Apôtre : Nous ne considérons point les choses visibles (II. Cor. iv, 18). Donc les créatures corporelles ne sont pas de Dieu.


Mais c'est le contraire. Car il est écrit (Ps. cxlv, 6) : C'est Dieu qui a fecit le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment.

CONCLUSION. — Puisque toutes les choses corporelles ont la même essence, il faut aussi qu'elles dépendent toutes delà même cause efficiente, c'est-à-dire de Dieu.

Il faut répondre qu'il y a des hérétiques qui ont supposé que Dieu n'avait 3as créé les choses visibles (3), mais qu'elles avaient pour cause le mauvais principe. A l'appui de leur erreur ils citent ces paroles de l'Apôtre (II. Cor. iv, 4) : Le Dieu de ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles. Mais cette hypothèse est tout à fait inadmissible. Car quand des êtres divers sont unis par un fonds qui leur est commun, on est obligé de reconnaître que cette union a une cause quelconque ; parce qu'il ne peut se faire que des êtres divers s'unissent par eux-mêmes. Par conséquent toutes les fois qu'on trouve entre des choses diverses une unité quelconque, il faut que cette unité ait été produite par une cause qui soit une aussi ; ainsi divers corps qui sont chauds reçoivent leur chaleur du feu. Or, l'être fait le fonds commun de toutes les choses qui existent, quelque diverses qu'elles soient. Il faut donc que toutes les choses qui existent aient le même principe duquel elles tiennent l'être, quelles qu'elles soient ou de quelque manière qu'elles soient, qu'elles soient invisibles et spirituelles, ou qu'elles soient visibles et corporelles. Quand l'Apôtre appelle le diable le Dieu du siècle, il n'a pas voulu dire qu'il était l'auteur de la création, mais il lui a donné ce nom, parce que ceux qui vivent selon le siècle le servent. Et c'est dans le même sens qu'il parle de ceux qui font leur Dieu de leur ventre ((Phil. m, 19).

(3) Ces hérétiques ont été condamnés par le concile de Nicée, qui proclame Dieu le créateur de tout ce que nous voyons et de tout ce que nous ne voyons pas, omnium visibilium invisibilium-que factorem; par le concile de Latran qui a défini le même dogme ; par le concile de Braga (can. VIII) et par le pape saint Léon <Ej>. 71, cap. S).


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que toutes les créatures de Dieu sont éternelles sous un rapport, au moins quant à la matière ; parce que, bien qu'elles soient corruptibles, elles ne seront cependant-jamais réduites au néant. Mais plus les créatures approchent de Dieu et plus elles sont stables et immuables comme lui. En effet les créatures corruptibles sont éternelles quant à la matière, mais leurs formes substantielles sont variables. Les créatures incorruptibles sont substantiellement éternelles, mais elles changent sous d'autres rapports, par exemple elles changent de lieu comme les corps célestes, et elles changent d'affections, comme les êtres spirituels. Et quand l'Apôtre dit : Les choses que nous voyons sont temporelles; bien que ce soit vrai des choses considérées en elles-mêmes, puisque toute créature visible est soumise au temps, soiten raison de son être, soiten raison de son mouvement -, néanmoins il veut parler des choses visibles comme récompenses de l'homme. Caries récompenses de l'homme qui consistent en ces choses sont passagères, tandis que celles qui consistent dans les biens invisibles sont éternelles. C'est pourquoi le même Apôtre avait dit précédemment : Que ce que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire (II. Cor. iv, 17).

2. Il faut répondre au second, que la créature corporelle est naturellement bonne ; mais elle n'est pas le bien universel, elle n'est qu'un bien particulier et composé de plusieurs éléments. Par là même que c'est une chose particulière et composée il s'ensuit qu'il y a en elle une sorte de contrariété ou d'opposition qui résulte de ce qu'un élément est contraire à l'autre, bien qu'ils soient bons l'un et l'autre considérés en eux-mêmes. Il y a des hommes qui, ne jugeant pas des choses d'après leur nature, mais d'après l'avantage qu'ils en retirent, regardent comme absolument mauvais tout ce qui leur est nuisible, sans observer que ce qui nuit à l'un peut être avantageux à un autre, et qu'il peut même être avantageux à la même personne sous un autre rapport. Ce qui ne serait pas si les corps étaient nuisibles et mauvais en eux-mêmes.

3. Il faut répondre au troisième, que les créatures n'éloignent pas de Dieu par elles-mêmes, mais qu'elles y ramènent, parce que, comme le dit l'Apôtre (Rom. i, 20) : Ce qu'il y a d'invisible en Dieu est devenu visible par la connaissance que ses créatures nous en donnent. Or, si elles détournent de Dieu, c'est par la faute de ceux qui en font mauvais usage. C'est ce qui fait dire à la Sagesse (Sap. xiv, 11) que les créatures sont un filet où les pieds des insensés se prennent. D'ailleurs, par là même qu'elles éloignent de Dieu, c'est une preuve qu'elles en viennent. Car elles n'éloignent de Dieu les insensés qu'en les séduisant par ce qu'il y a de bon en elles, et ce qu'elles ont de bon ne peut avoir une autre origine que Dieu lui-même.


ARTICLE II. — LA CRÉATURE CORPORELLE A-T-ELLE POUR FIN LA BONTÉ : DE DIEU (1)?


(1) Les origénistes et les priscillianistes ont enseigné que les corps n'avaient été créés que pour punir les âmes. Cette erreur fut condamnée par le sixième concile de Conslantinopîe [Act. XI) et par le concile de Iîraga, sous le pape Honorius Ier. Saint Thomas la réfute dans cet article.

Objections: 1.. Il semble que la créature corporelle n'ait pas pour fin la bonté de Dieu. Car il est dit dans la Sagesse (Sap. i, 14) : Dieu a créé toutes choses pour qu'elles existent. Donc toutes les créatures ont pour fin leur existence propre et non la bonté de Dieu.

2.. Le bon établit le rapport de la fin. Par conséquent ce qu'il y a de meilleur dans les êtres est la fin de ce qu'il y a de moins bon. Or, la créature spirituelle est à la créature corporelle ce qu'un plus grand bien esta un bien moindre. Donc la créature corporelle a pour fin la créature spirituelle et non la bonté de Dieu..

3.. La justice ne distribue inégalement ses dons qu'à ceux qui ne sont pas égaux. Or, Dieu est juste. Par conséquent antérieurement à toute inégalité qu'il a créée il y a eu une inégalité qu'il n'a pas créée. Cette inégalité n'a pu avoir d'autre principe que le libre arbitre. D'où il suit que cette inégalité est une conséquence des divers mouvements de cette puissance. Or, les créatures corporelles étant inégales aux créatures spirituelles, elles ont donc été créées à cause du libre arbitre et de ses déterminations et non pour la bonté de Dieu.


Mais c'est le contraire. Car il est dit (Prov. xvi, 4) que le Seigneur a tout fait pour lui-même.

CONCLUSION. — Toutes les choses visibles et corporelles ont eu Dieu pour cause efficiente, et il ne les a pas créées pour punir les êtres spirituels, mais il a voulu les produire pour représenter sa divine bonté.

Il faut répondre qu'Origène a supposé que Dieu n'avait pas eu d'abord l'intention de produire des créatures corporelles, qu'il ne les avait créées que pour punir les êtres spirituels qui avaient péché. Dans son système, Dieu n'aurait fait d'abord que des créatures spirituelles toutes égales, dont les unes, en vertu du fibre arbitre, se seraient tournées vers Dieu et auraient conservé leur nature spirituelle avec un degré de gloire plus ou moins élevé, selon qu'elles se seraient tournées vers Dieu avec plus ou moins de force et d'énergie; les autres se seraient détournées de Dieu et auraient été enchaînées à divers corps, selon qu'elles se seraient plus ou moins éloignées de lui. Ce système est tout à fait erroné. 1° Parce qu'il est contraire à l'Ecriture qui, en racontant la création de chaque être corporel, ajoute (Gen. i) : Dieu vit que c'était bon, comme s'il eût dit : tout ce quia été fait existe, parce qu'il est bon qu'il soit. Dans le système d'Origène, la créature corporelle n'a pas été créée parce qu'il est bon qu'elle existe, mais pour punir un autre être du péché qu'il a fait. 2° Ce système est faux, parce qu'il suivrait de là que l'ordre actuel du monde serait l'effet du hasard. Car, si le soleil tel qu'il existe a été créé pour punir un être spirituel d'un péché dans lequel il est tombé, il résulte de là que si plusieurs créatures spirituelles eussent péché de la même manière que celle dont la faute a été cause de la création de cet astre, il y aurait eu dans le monde plusieurs soleils. On peut faire le même raisonnement sur toutes les autres créatures, ce qui répugne. — Ce sentiment étant rejeté comme erroné, il faut observer que l'univers entier se compose de toutes les créatures, comme le tout de ses parties. Or, si nous voulons déterminer le but d'un tout quelconque et de ses parties, nous trouverons : 1° que chacune des parties existe en vue d'une action propre ; ainsi l'oeil est fait pour voir ; 2° que la partie la moins noble se rapporte à la plus noble ; ainsi les sens se rapportent à l'intelligence, le poumon au coeur ; 3° que toutes les parties sont pour la perfection du tout comme la matière est pour la forme -, car les parties sont pour ainsi dire la matière du tout-, 4° enfin, l'homme tout entier existe pour une fin extrinsèque, par exemple, pour jouir de Dieu. De même, chacune des parties de l'univers existe 1" pour un acte propre et pour sa perfection ; 2° les créatures les moins nobles existent pour les plus nobles ; c'est ainsi que celles qui sont au-dessous de l'homme se rapportent à lui. 3° Chacune des créatures contribue à la perfection de l'ensemble de l'univers. 4° Enfin l'univers entier avec chacune de ses parties se rapporte à Dieu comme à sa fin, dans le sens qu'il y a dans tous les êtres un certain reflet de la Divinité qui représente sa bonté et fait ainsi ressortir sa gloire. Ce qui n'empêche pas que les êtres raisonnables n'aient d'une manière toute spéciale Dieu pour fin, et qu'ils n'y arrivent par l'exercice de leurs facultés, c'est-à-dire par l'intelligence et l'amour. Il est donc évident que toutes les choses corporelles ont pour fin la bonté divine.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que par là même qu'une créature quelconque a l'être, elle représente à ce titre l'être et la bonté de Dieu. C'est pourquoi, de ce que Dieu a créé toutes choses pour qu'elles fussent, il ne s'ensuit pas qu'il ne les ait pas créées aussi pour sa bonté.

2. Il faut répondre au second, que la fin prochaine n'exclut pas la fin dernière. Par conséquent, que la créature corporelle ait été produite sous un rapport à cause de la créature spirituelle, ceci n'empêche pas qu'elle n'ait été aussi produite à cause de la bonté de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, que l'égalité de la justice a lieu quand on rend à quelqu'un ce qui lui est dû. Il est juste en ce sens qu'on donne les mêmes choses à ceux qui ont des droits égaux. Mais il n'y a pas lieu d'appliquer la justice à l'origine primitive des choses. Car, comme un architecte ne fait pas d'injustice en posant des pierres de même nature dans différentes parties d'un édifice, sans se laisser guider dans ses préférences par une différence quelconque qu'il aurait antérieurement remarquée dans les matériaux qu'il emploie, ne s'inquiétant au reste que de la perfection de sa construction qui exige que ces pierres soient placées ide différentes manières ; de même Dieu, pour que l'univers fût parfait, a produit selon sa sagesse des créatures diverses et inégales, et il a pu sans injustice mettre les unes au-dessus des autres sans qu'il y ait eu de leur part un mérite antérieur capable de justifier cette distinction.

Article III. — DIEU A-T-IL PRODUIT LES CORPS PAR L'INTERMÉDIAIRE DES ANGES (1)?


(1) L'Ecriture nous apprenti que Dieu a créé lui-même les créatures corporelles. Indépendamment des paroles de la Genèse, nous pouvons citer ces mots de l'Ecclésiastique (Ecoles. XVIII): Qui vivit in aetérnum creavit o?nnia simul; et le concile de Latran a défini clairement cette vérité : Deus est unum universorum principium, qui simul utramque condidit creaturam angelicam videlicet et mundanam. Comme lc dit saint Jean Damascène (De fid. orth. liii. i, cap. 5) : Impium est et haereticum dicere aliquam creaturam creasse.

Objections: 1.. Il semble que Dieu ait produit les corps par l'intermédiaire des anges. Car^ comme c'est la sagesse divine qui gouverne toutes les créatures, c'est elle aussi qui les a toutes créées, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps. cm, 24) : Fous avez tout fait dans votre sagesse. Or, c'est au sage qu'il appartient d'ordonner, comme le dit Aristote (Met. lib. i, cap. 2). C'est pourquoi, dans le gouvernement de l'univers, les êtres inférieurs sont régis suivant un certain ordre par les êtAs supérieurs, comme l'observe saint Augustin (De Trin. lib. m, cap. 4). Tel a donc aussi été l'ordre de la création, que la créature corporelle, comme étant inférieure, a été produite par la créature spirituelle qui lui était supérieure.

2.. La diversité des effets est une preuve de la diversité des causes, parce que la même cause produit toujours le même effet. Si donc toutes les créatures, tant spirituelles que corporelles, avaient été immédiatement produites par Dieu^ il n'y aurait pas de différence entre les créatures, l'une ne serait pas plus éloignée de Dieu que l'autre. Ce qui est évidemment faux, puisqu'Aristote dit (De Gêner, et corrupi, lib. ii, text. 59) qu'il y a des êtres corruptibles précisément parce qu'ils sont très-éloignés de Dieu.

3.. Pour produire un effet fini, il ne faut pas une puissance infinie. Or, tout corps est fini. Donc tout corps a pu être produit et l'a été en effet par la puissance finie d'une créature spirituelle. Car dans ce cas, pouvoir -une chose et la faire, c'est identique ; surtout quand on considère que tout être jouit des prérogatives qui lui sont naturelles, à moins que le péché ne les lui ait ravies.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Genèse (Gen. i, 1) : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Par ces paroles on entend la créature corporelle. Donc elle a été immédiatement produite par Dieu.

CONCLUSION. — Dieu a été la cause efficiente et immédiate des créatures corporelles, et il ne les a pas produites par l'intermédiaire des anges.

Il faut répondre qu'il y a des auteurs qui ont prétendu que les êtres sont sortis de Dieu successivement de telle sorte que la première créature est sortie de lui immédiatement, que cellerci en a ensuite produit une autre, jusqu'à ce qu'on soit ainsi parvenu à la créature corporelle qui est l'être le plus infime (1). Mais ce sentiment est impossible à soutenir, parce que la première production de la créature corporelle a été une création. La matière a été d'abord créée, parce que l'imparfait est toujours antérieur au parfait quand il s'agit des choses qui sont faites. Or, il n'y a que Dieu qui puisse créer. Pour s'en convaincre, il faut remarquer que plus une cause est élevée et plus nombreux sont les effets auxquels elle s'étend quand elle agit. D'un autre côté le substratum (2) des choses est toujours plus commun, plus général que ce qui en fait la forme et les limites. Ainsi l'être est plus général que la vie, la vie l'est plus que l'intelligence, et la matière plus que la forme. Donc le substratum des choses provient d'une cause d'autant plus élevée qu'il est lui-même plus général. Par conséquent, le substratum primordial de tous les êtres ne peut relever que de la cause première. Il n'y a donc pas de cause seconde qui puisse produire un effet sans que son action ne présuppose dans l'être sur lequel elle agit quelque chose qui provient de la cause supérieure. Mais la création est la production substantielle de l'être, elle ne présuppose rien de créé ou d'incréé qui soit antérieur à son action. C'est pourquoi la création ne peut être que l'oeuvre de Dieu qui est la cause première. Et c'est pour montrer que tous les corps ont été créés par Dieu immédiatement que Moïse a dit : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

(1) C'est le système des émanations soutenu par Ayieenne et par tous les alexandrins.

(2) C'est la base et le fondement de l'être.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dans la production des êtres il y a à la vérité un ordre, mais que cet ordre ne consiste pas en ce qu'une créature soit créée par une autre, ce qui est impossible ; il consiste seulement en ce que la divine sagesse a établi entre les créatures divers degrés qui constituent une sorte de hiérarchie.

2. Il faut répondre au second, que Dieu, sans détruire l'unité et la simplicité de sa nature, peut connaître des choses diverses, comme nous l'avons dit (quest. xiv, art. 2, et quest. xv, art. I). Pour le même motif il peut produire dans sa sagesse des créatures diverses, selon la diversité des choses que son intelligence connaît, comme un ouvrier produit différents objets d'art d'après les différentes formes qu'il a présentes à son esprit.

3. Il faut répondre au troisième, que l'étendue de la puissance de l'agent ne se mesure pas seulement d'après les choses qu'il a faites, mais encore selon la manière dont il les fait, parce que la même chose n'est pas faite par un agent très-puissant de la même manière que par un agent qui lui est beaucoup inférieur. Or, produire un être fini de manière que l'effet ne pré suppose rien d'antérieur à lui, c'est le fait d'une puissance infinie. Par conséquent il n'y a pas de créature qui puisse le faire.


ARTICLE IV. — LES FORMES DES CORPS VIENNENT-ELLES DES ANGES (1)?


(1) Cet article est une réfutation de l'erreur des platoniciens, d'Avicenne et, comme le dit saint Thomas, de quelques hérétiques modernes, qui ne pouvaient être que les albigeois et les cathares.

Objections: 1.. Il semble que les formes des corps viennent des anges. Car Boëce dit (De Trin.) que les formes qui existent dans la matière viennent des formes qui sont immatérielles. Or, les formes immatérielles sont les substances spirituelles, et les formes qui existent dans la matière sont les formes des corps. Donc les formes des corps viennent des substances spirituelles.

2.. Tout ce qui existe par participation se ramène à ce qui existe par essence. Or, les substances spirituelles sont des formes qui existent par leur essence, et les créatures corporelles participent aux formes. Donc les formes des choses corporelles proviennent des substances spirituelles.

3.. Les substances spirituelles ont comme cause une énergie plus grande que les corps célestes. Or, les corps célestes produisent les formes des corps inférieurs, d'où l'on conclut qu'ils sont cause de la génération et de la corruption. Donc à plus forte raison les formes qui sont dans les êtres matériels proviennent-elles des substances spirituelles.


Mais c'est le contraire. Car saint Augustin dit (De Trin. lib. ni, cap. 8) qu'il ne faut pas penser que la matière corporelle obéisse aux anges à volonté, mais qu'elle n'obéit ainsi qu'à Dieu. Or, la matière corporelle obéit à la volonté de celui dont elle reçoit sa forme. Donc les formes des corps viennent de Dieu et non des anges.

CONCLUSION. — Les formes qui donnent l'être aux objets composés étant elles-mêmes sensibles et matérielles, elles n'ont pas pour cause des formes spirituelles, ou du moins celles-ci ne sont par rapport à elles que des causes motrices ; mais elles viennent de Dieu comme de leur cause première, et elles ont pour causes prochaines les agents composés et corporels quiies font sortir de la matière où elles sont en puissance.

Il faut répondre qu'il y a des philosophes qui ont prétendu que toutes les formes des corps proviennent des substances spirituelles auxquelles nous donnons le nom d'ange. Et ce sentiment a été soutenu de deux manières. Platon a supposé que les formes qui existent dans la matière corporelle proviennent des formes immatérielles, auxquelles elles auraient en quelque sorte participé. Ainsi il prétendait que l'homme avait d'abord subsisté im-matériellement, qu'il en était de même du cheval et de tous les autres êtres dont se compose le monde sensible, et qu'ensuite la matière corporelle avait reçu de ces formes séparées une certaine impression qui lui avait communiqué leur ressemblance ou qui l'avait fait participer, comme il le dit, à leur manière d'être. Les platoniciens réglaient d'après l'ordre des formes l'ordre des substances séparées. Ainsi, par exemple, la substance séparée, qui est le cheval, étant la cause de tous les chevaux, au-dessus de cette substance il y avait la vie séparée qu'ils disaient la vie absolue, et la cause de toute vie. Et enfin au delà se trouvait une autre substance qu'ils appelaient l'être lui-même et la cause de tout être. — Avicenne et quelques autres philosophes n'ont pas supposé que les formes des choses corporelles subsistassent par elles-mêmes dans la matière, mais seulement dans l'intelligence. Ils disaient donc que toutes les formes qui existent dans la matière corporelle provenaient des formes qui sont dans l'entendement des créatures spirituelles qu'ils désignaient sous le nom d'intelligences et auxquelles nous donnons le nom d'anges, et ils ajoutaient qu'elles en provenaient comme les formes des objets d'art proviennent des formes qui sont dans l'esprit de l'artisan qui les produit. — Il semble qu'on peut ramener à cette opinion le sentiment de quelques hérétiques modernes qui disent que Dieu est le créateur de tous les êtres, mais que le démon a formé les corps et les a ainsi distingués en différentes espèces. — Or, toutes ces opinions paraissent venir de la même source. Car tous ces philosophes se sont trompés, parce qu'ils ont cherché la cause des formes comme si elles se faisaient par elles-mêmes. Mais, comme le prouve Aristote (Met. lib. vu, text. 26, 27, et lib. vin, text. 8), ce qui se fait est composé. Or, les formes des choses corruptibles ont ceci de particulier que parfois elles existent et parfois elles n'exis-ten t pas, sans qu'on puisse dire qu'elles soient engendrées et corrompues, mais suivant que les êtres composés qui les reçoivent sont engendrés ou corrompus. Caries formes n'ont pas l'être, mais ce sont les choses composées qui ont l'être par elles ; ainsi, une chose ne peut être faite que comme être et non point comme forme (1 ). Par conséquent, d'après ce principe que le semblable ne peut venir que de son semblable, on ne doit pas chercher dans une forme immatérielle quelconque la cause des formes matérielles, mais on doit la chercher dans ce qui est composé. C'est ainsi que le feu est produit par le feu. Les formes corporelles sont donc produites non comme si elles émanaient d'une forme immatérielle, mais comme une matière qu'un agent composé fait passer de la puissance à l'acte. Mais comme l'agent composé qui est un corps est mû par une substance spirituelle créée, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. m, cap. A et S), il s'ensuit en remontant plus haut que les formes corporelles proviennent des substances spirituelles, non que celles-ci en soient la cause première, mais ellesensont la cause motrice. Il faut donc faire remonter jusqu'à Dieu, comme à la cause première, les espèces des intelligences célestes ou leurs formes intellectuelles que saint Augustin appelle les raisons séminales des formes corporelles. Et comme dans la première production des corps il n'y a pas eu transition de la puissance à l'acte, il s'ensuit que les formes corporelles qu'ont reçues les êtres matériels à leur création ont été produitespar Dieu immédiatement ; car il n'y a que lui à qui la matière obéisse à volonté comme à sa cause propre. C'est pourquoi Moïse pour exprimer cette

pensée a pris soin de dire en parlant de chaque chose : Dieu a dit que ceci ou que cela soit fait, afin d'indiquer que la formation de tous les êtres s'est opérée par le Verbe de Dieu, duquel, d'après saint Augustin (Tract, i in Joan.), vient absolument la forme, l'ensemble et l'harmonie de toutes les parties de l'univers.

(1) On, si l'on vent, les formes suivent l'être et la condition des choses composées.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que Boëce entend par formes immatérielles les raisons des choses qui sont dans l'entendement divin, comme le dit aussi l'Apôtre (Hebr, xi, 8) : C'est par la foi que notis savons que le ¦monde a été fait par la parole de Dieu, de telle sorte que les choses invisibles sont devenues visibles. Si cependant par formes immatérielles on entend les anges, on doit dire que les formes corporelles viennent d'eux, non qu'ils en soient les auteurs, mais les moteurs.

2. Il faut répondre au second, que les formes auxquelles la matière participe ne se rapportent pas à des formes qui subsistent par elles-mêmes, comme les platoniciens l'ont supposé (I), mais elles se rapportent aux formes intelligibles qui sont clans l'entendement des anges d'où elles émanent par le moyen du mouvement, ou en remontant plus haut elles reviennent aux idées qui sont dans l'entendement divin, et qui ont imprimé dans les créatures le principe de la raison séminale de ces formes, pour que par le mouvement elles les fassent passer de la puissance à l'acte.

(1) Le tort des platoniciens, comme nous l'avons déjà dit, est d'avoir considéré les formes comme des choses absolues, indépendantes de l'intelligence divine.

3. Il faut répondre'au troisième, que les corps célestes produisent les formes des êtres inférieurs, non comme cause première, mais comme cause motrice.


I pars (Drioux 1852) Qu.64 a.3