I pars (Drioux 1852) Qu.73 a.3


QUESTION LXXIV. DES SEPT JOURS DE LA. CRÉATION EN GÉNÉRAL.


Après avoir parlé de chacun des jours de la création en particulier, nous devons maintenant les considérer tous en général. Nous considérerons : 1° Si ces jours sont suffisants. — 2» S'ils ne forment qu'un seul jour ou s'ils en forment plusieurs. — 3" Nous nous occuperons de certaines locutions dont l'Ecriture se sert dans le récit de l'oeuvre des six jours.

Article I — les six jours ont-ils été suffisants (2)?


(2) Cet article a pour objet de démontrer, par 'apport à la Genèse, la vérité de ces paroles : Tion addetis ad verbum quod vobis loquor, nec auferetis ex eo [Deut. iv). Si quis diminuera de verbis libri prophetiae hujus, auferat Deus partem ejus de libro vitae (Apo-cal. xxii).

Objections: 1.. Il semble que les six jours énumérés par Moïse soient insuffisants. Car l'oeuvre de création n'est pas moins distincte de l'oeuvre de distinction et de l'oeuvre d'ornement que ces deux dernières oeuvres ne sont distinctes entre elles. Or, il y a eu des jours consacrés à l'oeuvre de distinction, et d'autres jours consacrés à l'oeuvre d'ornement. On aurait donc dû assigner aussi des jours qui auraient été employés à l'oeuvre de création.

2.. L'air et le feu sont des éléments plus nobles que la terre et l'eau. Or, on a consacré un jour à la distinction de l'eau, et un autre à la distinction de la terre. On aurait donc dû consacrer d'autres jours à la distinction du feu et de l'air.

3.. Il n'y a pas moins de différence entre les oiseaux et les poissons qu'entre les oiseaux et les animaux terrestres. D'un autre côté l'homme diffère plus des animaux que ceux-ci ne diffèrent entre eux. Or, puisqu'on a assigné un autre jour pour la production des poissons de la mer et un autre jour pour celle des animaux terrestres, on aurait dû en assigner encore un autre pour la production des oiseaux du ciel et un autre pour la création de l'homme.


Mais c'est le contraire, (4). Au contraire il y en a qui trouvent que c'est trop de sept jours pour la création. Car la lumière est aux astres ce que l'accident est au sujet. Or, le sujet est produit tout à la fois avec l'accident qui lui est propre. Donc Dieu n'aurait pas dû produire la lumière un jour et les astres un autre.

5.. Les jours ont été consacrés à l'établissement primitif du monde. Or, dans le septième jour rien n'a été établi, ni créé. Donc on n'aurait pas dû compter le septième jour avec les autres.

CONCLUSION. — Ce n'est ni trop ni trop peu de sept jours pour la création ; il en a fallu trois pour distinguer ou débrouiller les parties du monde, trois pour les orner, et le septième Dieu a dù se reposer de ses oeuvres.

Il faut répondre que d'après tout ce que nous avons dit (quest. lxx, lxxi et lxxh) on voit évidemment la raison qui a établi entre tous ces jours une distinction. Car il a fallu d'abord que toutes les parties du monde fussent débrouillées et qu'ensuite chacune d'elles fût ornée, ce qui s'est fait en la remplissant d'habitants. Les Pères distinguent dans la créature matérielle trois parties : la première qui est désignée par le mot de ciel, la seconde ou la partie moyenne qui est exprimée par le mot A'eau, et la troisième ou la partie inférieure qui reçoit dans l'Ecriture le nom de terre. De là, d'après les pythagoriciens, la perfection consiste en trois choses, le commencement, le milieu et la fin, comme le dit Aristote (De coel. lib. i, text. 2). La première partie fut distinguée ou débrouillée au premier jour et elle fut ornée au quatrième. La partie moyenne fut débrouillée au second jour et ornée au cinquième. Enfin la partie inférieure fut débrouillée au troisième jour et ornée au sixième. Saint Augustin est d'accord avec les Pères sur les trois derniers jours, mais il ne l'est pas sur les trois premiers. Ainsi, d'après ce docteur, au premier jour la créature spirituelle fut formée et dans les deux jours qui suivirent ce fut la créature matérielle, de telle façon que Dieu créa au second jour les corps supérieurs et au troisième les inférieurs. La perfection de l'oeuvre divine se manifeste ainsi, toujours selon le même saint, par la perfection du nombre senaire qui se forme de l'addition de ses parties aliquotes qui sont 1, 2 et 3. Car l'unité représente le jour qui a été consacré à la formation de la créature spirituelle, le nombre deux désigne les jours employés à la production de la créature matérielle, enfin le nombre trois indique les jours qu'il a fallu pour orner la création entière (1).

(1) Cette théorie des nombres est aussi un emprunt fait à l'école de Pythagorc.


Solutions: 1. Il faut répondre m premier argument, que d'après saint Augustin l'oeuvre de création appartient à la production de la nature matérielle et de la nature spirituelle à l'état informe. Ces deux choses sont en dehors du temps, comme le dit ce saint docteur lui-même (Conf. lib. xii, cap. 12). C'est pour cette raison que leur création est placée avant l'existence même des jours. Suivant les autres Pères on peut dire que l'oeuvre de distinction et l'oeuvre d'ornement supposent l'une et l'autre dans la créature un changement dont le temps est la mesure. Mais l'oeuvre de création ne consiste que dans l'action divine qui produit instantanément la substance des êtres. C'est pour ce motif qu'on assigne à toutes les oeuvres de distinction et d'ornement leur jour, tandis qu'on dit que la création a eu lieu au commencement, ce qui signifie qu'elle s'est faite dans un instant indivisible.

2. Il faut répondre au second, que le feu et l'air n'étant pas compris par le vulgaire au nombre des parties du monde, Moïse ne les a pas désignés expressément, mais il les a confondus avec le corps intermédiaire, c'est-à-dire l'eau ; ce qui est vrai principalement de la partie inférieure'de l'air; quant à la partie supérieure il l'a confondue avec le ciel, d'après saint Augustin. [Sup. Gen. lib. n, cap. 13).

3. Il faut répondre au troisième, que la production des animaux est racontée suivant le rapport qu'ils ont avec les parties du monde auxquelles ils servent d'ornement. C'est pourquoi les jours de leur production sont distingués ou réunis suivant qu'ils se rapportent ou ne se rapportent pas à la partie du monde qu'ils doivent orner.

4. Il faut répondre au quatrième, que dès le premier jour la nature de la lumière a été produite dans un sujet quelconque. Au quatrième, les astres ont été faits, non que leur substance ait été produite de nouveau, mais parce qu'ils ont reçu alors une forme qu'ils n'avaient pas auparavant, comme nous l'avons dit (quest. lxx, art. 1).

5. Il faut répondre au cinquième, que, d'après saint Augustin [Sup. Gen. lib. iv, cap. i 5), Moïse, après avoir attribué à chacun des six jours ce qui lui es t propre, assigne au septième quelque chose de particulier, c'est que Dieu s'est alors reposé en lui-même de ses oeuvres. C'est pourquoi après avoir parlé des six premiers jours il était nécessaire qu'on f îtmention du septième. — Suivant les autres Pères on peut dire qu'au septième jour le monde a eu un caractère tout nouveau, celui d'être formé sans qu'il fût nécessaire d'y ajouter désormais quelque chose. C'est pourquoi après les six jours l'écrivain sacré a placé le septième, qui a cela de particulier, c'est que Dieu a cessé alors de créer.

ARTICLE II — tous ces jours ne forment-ils qu'un seul jour (1)?


(1) Aujourd'hui on se demande ce que l'on doit entendre par les jours dont parle Moi'se : si ce sont dos jours de vingt-quatre heures ou dos époques d'une durée indéterminée. Saint Thomas, qui veut résumer ici l'opinion des Pères, est obligé de poser la question d'une manière toute différente. Saint Augustin voulait qu'en réalité les sept jours n'en tissent qu'on seul, et qu'on ne les distinguât que d'après la diversité des êtres qui ont été produits ; les autres Pères prenaient te mot jour dans le sens vulgaire. Cette controverse prouve que le mot jour, dans le récit de la Genèse, n'a pas un sens Lien arrêté , mais on ne peut en tirer aucune conséquence en faveur des opinions des géologues modernes.

Objections: 1.. Il semble que tous ces jours n'en forment qu'un seul. Car il est dit dans la Genèse (Gen. n, 4 et S) : Telle a été l'origine du ciel et de la terre, et c'est ainsi qu'ils furent créés au jour que le Seigneur Dieu fit l'un et l'autre et qu'il créa toutes les plantes des champs avant qu'elles fussent sorties de terre. Dieu a donc fait clans le même jour le ciel, et la terre et les plantes des champs. Cependant il est dit qu'il fit le ciel et la terre au premier jour, ou plutôt avant même l'existence des jours, et qu'il produisit les plantes des champs au troisième. Le premier jour est donc le même que le troisième, et pour cette raison il n'y a pas de différence non plus entre les autres jours.

2.. Il est dit dans l'Ecclésiaste [Eccl. xviii, 1) : Celui qui est étemel a tout créé en même temps. Or, il n'en serait pas ainsi si l'oeuvre de la création avait duré plusieurs jours. Car plusieurs jours ne peuvent exister simultanément. Donc les jours de la création ne forment qu'un seul et même jour.

3.. Au septième jour Dieu cessa de produire de nouvelles créatures. Si donc le septième jour diffère des autres, il s'ensuit que Dieu ne l'a pas fait ; ce qui est absurde.

4.. Toute oeuvre qu'on attribue à un jour a été faite instantanément puisqu'il est rapporté de chaque chose : Il dit et ce fut fait. Si donc Dieu eût réservé pour un autre jour l'oeuvre qu'il a faite ensuite, il résulterait de là que le reste du jour il aurait cessé de créer, ce qui serait inutile. Le jour où l'oeuvre qui suit a été créée n'est donc pas différent du jour où a été produite l'oeuvre qui précède.


Mais c'est le contraire. Car il est dit dans la Genèse : Du soir et du matin fut fait le second jour, le troisième, et ainsi des autres. Or, on ne peut parler d'un second, d'un troisième, etc., là où il n'y a qu'un seul jour. Les jours de la création sont donc en réalité multiples.

CONCLUSION. — Ce n'est pas en un jour, mais bien en sept jours que le monde a été créé.

Il faut répondre que sur ce point saint Augustin se sépare des autres Pères. Car il veut que les sept jours n'en fassent qu'un, mais que ce jour unique renferme sept ordres de choses (Sup. Gen. ad litt. lib. iv, cap. 8, et 22 et 34 et De civ. Dei, lib. xii, cap. 9). Les autres Pères pensent au contraire que ce sont bien sept jours réels, distincts l'un de l'autre. Si on met ces deux opinions en rapport avec l'explication du sens littéral de la Genèse, elles paraissent très-différentes. Car d'après saint Augustin le mot jour indique la connaissance des anges, de telle sorte que le premier jour soit la notion qu'ils ont de la première oeuvre de Dieu, le second, la notion qu'ils ont de la seconde et ainsi des autres. On dit de chaque oeuvre qu'elle a été produite dans un jour déterminé, parce que Dieu n'a rien créé dans la nature qu'il ne l'ait auparavant imprimé dans l'esprit des anges, qui peut à la vérité connaître plusieurs choses simultanément, surtout dans le Verbe au sein duquel toutes les connaissances trouvent leur perfection et leur complément. Ainsi dans ce sentiment les jours sé distinguent d'après l'ordre naturel des chosesconnues, mais non d'après lasuccession temporelle de la connaissance ou de la production des êtres. Et saint Augustin ajoute (Sup. Gen. lib. iv, cap. 28), que la connaissance angélique peutrecevoir proprementetvéritable-ment le nom de jour, puisque la lumière, qui estla cause du jour, est le propre des substances spirituelles.—Selonles autres Pères, ces jours désignent une succession de temps et les choses ont été réellement produites les unes après les autres. —Mais si on considère ces deux opinions par rapport à la manière dont les êtres ont été produits, on ne trouve plus entre elles la même différence. Elles ne diffèrent que sur deux points à l'égard desquels saint Augustin s'écarte encore des autres Pères, comme nous l'avons dit (quest. lxvii, art. I, et lxix, art. 1). Ainsi saint Augustin entend par la terre et l'eau qui ont été primitivement créées, une matière absolument informe; par la formation du firmament, le rassemblement des eaux, l'apparition de l'aride il comprend l'impression des formes que la matière corporelle a reçues. Les autres Pères pensent au contraire que la terre et l'eau qui ont été primitivement créées sont les éléments du monde existant sous leurs formes propres. Ils croient que les oeuvres subséquentes ont servi à débrouiller les corps qui étaient déjà préexistants, comme nous l'avons dit (quest. lxvu, art. 1 et 4, et quest. lxix, art. 1). Ils diffèrent encore relativement à la production des plantes et des animaux que les Pères supposent avoir réellement été créés dans les six jours qu'a dures l'oeuvre divine, tandis que saint Augustin croit que ces êtres n'ont existé d'abord que virtuellement. (Sup. Gen. lib. viii, cap. 3). Mais quoique saint Augustin suppose que les oeuvres des six jours ont été simultanées, cependant il est d'accord avec les autres sur le mode de production. Car d'après l'un et l'autre la matière a été primitivement produite sous les formes substantielles des éléments, et ils reconnaissent aussi les uns et les autres que dans la création première tous les animaux et toutes les plantes ne furent pas produits tels qu'ils sont actuellement, puisque ce fut l'oeuvre successive de plusieurs jours. Toutefois ils diffèrent entre eux par rapport à quatre choses, c'est que d'après les autres Pères après la production première de la matière il y eut un temps premier où la lumière n'existait pas, un second temps où le firmament n'était pas formé, un troisième temps où la terre n'était pas débarrassée des eaux qui la couvraient, enfin un quatrième temps où les astres n'étaient pas créés. Le système de saint Augustin n'admet pas ces distinctions temporelles puisqu'il suppose que tous les êtres ont été créés simultanément. Sans manquer aux égards que méritent ces deux sentiments, on doit répondre àleurs raisons (1).

(1) Cet article est le résumé de tous ceux qui précèdent ; car à mesure qu'il a développé ses explications sur l'oeuvre des six jours, saint Thomas a fait sentir la différence qu'il y avait entre saint Augustin et les autres Pères.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dans le jour où Dieu a créé le ciel et la terre, il a créé les plantes des champs non en réalité, mais virtuellement, c'est-à-dire avant qu'elles ne sortissent de terre. Saint Augustin rapporte cette oeuvre au troisième jour, les autres Pères à la création primitive des êtres.

2. Il faut répondre au second, que Dieu a créé simultanément tous les êtres quant à leur substance informe, mais relativement à leur formation qui a été le résultat de l'oeuvre de distinction et de l'oeuvre d'ornement il n'en est pas de même. C'est pour cela que l'écrivain sacré a employé expressément le mot création.

3. Il faut répondre au troisième, qu'au septième jour Dieu a cessé de produire des créatures nouvelles, mais non de propager celles qui existaient ; et d'ail-leur s on peut rattacher à ce tte propagation la succession des jours eux-mêmes.

4. Il faut répondre au quatrième, que ce n'est pas par impuissance de la part de Dieu, comme s'il avait besoin de temps pour agir, que tous les êtres n'ont pas été simultanément distingués et ornés, mais c'était pour suivre un certain ordre dans la création. C'est pour ce motif qu'il a fallu faire répondre des jours différents aux divers états du monde. Car à mesure que les oeuvres se sont succédé le monde a gagné en perfection.

5. Il faut répondre au cinquième, que d'après saint Augustin(/oc. cïi)l'ordredes jours doit se rapporter à l'ordre naturel des oeuvres qui leur sont attribuées.

ARTICLE III. — l'écriture se sert-elle d'expressions convenables pour rendre l'oeuvre des six jours (2)?


(2) Cet article a pour but de dissiper toutes les difficultés que peut encore offrir* le texte de la Genèse.

Objections: 1.. Il semble que l'Ecriture n'emploie pas des expressions convenables pour rendre l'oeuvre des six jours. Car, comme la lumière, le firmament et les autres oeuvres semblables ont été faites par le Verbe de Dieu, de même aussi le ciel et la terre, puisqu'il est dit (Joan, i, 3) que tout a été fait par lui. Donc, dans la création du ciel et de la terre on aurait dû faire mention du Verbe de Dieu comme dans les autres oeuvres.

2.. L'eau a été créée par Dieu. Il n'est cependant pas dit qu'elle l'ait été. Donc l'oeuvre de la création n'a pas été suffisamment exposée.

3.. Comme il est dit dans la Genèse : Dieu vit que toutes les choses qu'il avait faites étaient fort bonnes; l'écrivain sacré aurait dû dire pour chaque oeuvre : Dieu vit que c'était bien. Il a donc eu tort d'omettre ces paroles au sujet de la création et de l'oeuvre du second jour.

4.. L'esprit de Dieu est Dieu. Or, il n'est pas dans la nature de Dieu d'être porté, ni d'occuper un lieu. C'est donc aussi à tort qu'on a dit que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux.

5.. On ne fait pas ce qu'on a déjà fait. Après avoir dit : Dieu dit : Que le firmament soit fait, et le firmament fut fait.Il ne fallait donc pas ajouter: Et Dieu fil le firmament. On en peut dire autant à l'égard des autres oeuvres.

6.. Le soir et le matin ne divisent pas suffisamment le jour, puisqu'il y a dans le jour plusieurs parties. On ne s'est donc pas bien exprimé en disant que du soir et du matin fut fait le second jour ou le troisième, etc.

7.. Aux.nombres ordinaux second et troisième ne correspond pas le nombre cardinal un, mais le nombre premier. On aurait donc dû dire : Du soir et du matin fut fait le premier (primus) jour, et non un (unus) jour.


CONCLUSION. — L'Ecriture sainte se sert d'expressions convenables pour rendre l'oeuvre des six jours.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, d'après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. i, cap. 4), la personne du Fils de Dieu est désignée aussi bien dans l'oeuvre de création que dans l'oeuvre de distinction et d'ornement, mais en des sens divers. Car l'oeuvre de distinction et d'ornement regarde la formation des êtres. Comme la formation des objets d'art résulte de la forme que l'artisan a dans l'esprit, et qu'on peut appeler son verbe intelligible ; ainsi la formation de toute créature est l'oeuvre du Verbe de Dieu, et c'est pour cela qu'il est fait mention du Verbe dans l'oeuvre de distinction et d'ornement. Mais dans la création le Fils est désigné comme le principe par ces mots : Dans le principe Dieu créa (i) ; parce que la création est la production de la matière informe. — Si l'on admet le sentiment des Pères, qui supposent que les éléments ont été créés sous leurs propres formes, il faut donner une autre réponse. Saint Basile dit (nom. m) que ces paroles : Dieu a dit, indiquent un ordre divin. Or, il a fallu que la créature qui devait obéir fût produite avant de lui intimer un ordre.

(1) Cette^interprétation est celle tic saint Augustin [De cant. nov. vil), de saint lïasilc [Hom. ni!, de saint Ambroise (in IJexam. lib. I, cap. -1), de saint [renée (Adv. liceret, lib. H, cap. 2), de saint Jérôme [Quaest. haeir. in Gen.) et des docteurs juifs (Voyez la deuxième lettre d'un rabbin converti, p. 52).

2. Il faut répondre au second, que, d'après saint Augustin, on doit entendre par le ciel la nature spirituelle informe, et par la terre la matière informe de tous les corps, et que, par conséquent, aucune créature n'a été omise. Selon saint Basile on nomme le ciel et la terre comme les deux extrêmes, afin de comprendre par là tous les milieux, d'autant plus que le mouvement de tous les corps intermédiaires se dirige vers le ciel si les corps sont légers, et tend vers la terre s'ils sont lourds. Enfin, d'autres disent que sous le nom de la terre l'Ecriture comprend ordinairement les quatre éléments. C'est pour cela que le Psalmiste, après avoir dit : Louez le Seigneur, vous qui êtes de la terre, ajoute : Feu, grêle, neige, glace, etc. (Ps. CXLVIII, 7).

3. Il faut répondre au troisième, que dans l'oeuvre de la création il y a quelque chose qui correspond à ce qui est dit de l'oeuvre de distinction et d'ornement : Dieu vit que telle ou telle chose était bien. Pour s'en convaincre il faut observer que l'Esprit-Saint est amour. Or, il y a deux motifs, d'après saint Augustin [Sup. Gen. lib. i, cap. 8), pour lesquels Dieu aime sa créature. C'est qu'il veut qu'elle existe, et que son existence soit permanente. Pour qu'elle ait ce double caractère il est dit que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. On entend par le mot eau la matière informe, et cette phrase signifie que l'Esprit était porté sur la matière, comme l'amour de l'artisan est porté sur la matière dont il veut former son oeuvre. Pour montrer que le créateur a rendu son oeuvre durable il est dit : Dieu vit que c'était bien. Ces paroles montrent que Dieu se plut dans son oeuvre après l'avoir faite, ce qui ne suppose pas toutefois qu'il la connût mieux ou qu'elle lui plût davantage après son exécution qu'auparavant. Par là^ dans l'oeuvre de la création et de la formation des êtres, la Trinité des personnes est implicitement exprimée. Ainsi, dans la création se trouve la personne du Père, manifestée par le Dieu qui crée; la personne du Fils, indiquée par le principe dan s lequel il a créé, et la personne du Saint-Esprit, désignée par l'Esprit qui est porté sur les eaux (1). Dans la formation des êtres la personne du Père est dans Dieu qui parle, la personne du Fils dans le Verbe par lequel il s'exprime, et la personne du Saint-Esprit dans la complaisance avec laquelle Dieu a vu que ce qu'il avait fait était bien. A l'égard de l'oeuvre du second jour, si on n'a pas dit : Dieu vit que c'était bien, c'est que l'oeuvre de distinction des eaux commence alors, et qu'elle ne fut achevée qu'au troisième jour. Par conséquent, ce qui est dit du troisième jour se rapporte également au second. Ou bien on peut dire que la distinction qui s'est faite au second jour ne porte pas sur des choses qui frappent évidemment le peuple, et que pour cette raisonl'Ecriture n'a pas employé cette forme approbative. Ou bien encore c'est parce que le firmament, qu'on prend en cet endroit pour l'air nébuleux, n'est pas au nombre des parties permanentes ou principales du monde. Rabbi Moïse donne ces trois raisons [Perplex. lib. iv). — Il y en a qui donnent une raison mystique tirée des nombres, et qui disent que c'est parce que le nombre binaire s'éloigne de l'unité, et que pour ce motif l'oeuvre du second jour n'a pas reçu la même approbation que les autres.

(1) Tous les docteurs chrétiens et juifs cités dans la note précédente sont unanimes à l'égard de cette interprétation.

4. Il faut répondre au quatrième, que Rabbi Moïse entend par l'Esprit du Seigneur l'air ou le vent, comme Platon l'a compris, et il dit qu'on l'appelle l'Esprit du Seigneur parce que l'Ecriture a partout l'habitude d'attribuer à Dieu le souffle des vents. Mais, d'après les Pères, on entend par l'Esprit du Seigneur l'Esprit-Saint qui était, est-il dit, porté sur les eaux, c'est-à-dire sur la matière informe, d'après saint Augustin [Sup. Gen. Mb. i, cap 7), de peur que Dieu ne parût aimer ses oeuvres parce qu'il avait nécessairement besoin d'elles. Car l'amour de nécessité ou de besoin est soumis aux choses auxquelles il s'attache. Il est dit qu'il était porté sur les eaux pour indiquer qu'il y avait déjà un commencement de vie. Car il n'était pas porté localement, matériellement sur les eaux; mais cela signifie qu'il avait une puissance prédominante, comme l'observe saint Augustin (loc. cit.). D'après saint Basile [Hom. iv), il était porté sur les eaux, c'est-à-dire qu'il les couvait et les vivifiait comme une poule échauffe et vivifie ses oeufs, et leur projetait, en les couvant, le principe actif de la vie (2). En effet, l'eau a reçu particulièrement une vertu vitale ; car il y a beaucoup d'animaux qui sont engendrés dans son sein, et les semences reproductives de tous les animaux sont humides. La vie spirituelle nous est également communiquée par l'eau du baptême. C'est pourquoi il est dit (Joan, m, 5) : Si on ne renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint, etc.

(2) Saint Basile a emprunté, comme il le dit lui-même, cette magnifique comparaison à saint Ephron, qui était venu le voir pendant qu'il gouvernait son église de Césarée (Voyez mon Histoire de la littérature grecque, p. 282).

5. Il faut répondre au cinquième, que, d'après saint Augustin (Sup. Gen. lib. i, cap. 8), par ces trois mots on désigne les trois manières d'être des choses. 1° L'existence des choses dans le Verbe est indiquée par le mot fiat; 2° leur existence dans l'entendement des anges est exprimée par le mot factum est; 3° leur existence dans l'ordre de la nature est marquée par le mot fecit. Comme le premier jour a été employé à la formation des anges, il n'a pas été nécessaire d'ajouter ce dernier mot.,— D'après les autres Pères, on peut dire que ces paroles : Dieu dit : Que telle chose soit faite, indiquent un ordre de Dieu, et que celles-ci : La chose fut faite, montrent l'achèvement ou le complément de son oeuvre. Mais il a été nécessaire de dire comment chaque chose a été faite, surtout parce qu'il y en a qui prétendent que toutes les choses visibles ont été faites par les anges, et c'est pour écarter cette erreur que l'écrivain sacré ajoute que c'est Dieu lui-même qui les a faites. C'est pourquoi, à l'occasion de chaque chose, après avoir dit : Ce fut fait, on ajoute que ce fut l'oeuvre de Dieu lui-même, et on se sert à cet effet des mots : il fit, il distingua, il appela, et autres semblables.

6. Il faut répondre au sixième, que suivant saint Augustin (Sup. Gen. lib, iv, cap. 22 et 30], on entend par le soir et le matin la connaissance vespertinale et matutinale des anges dont nous avons parlé (quest. lviii, art. 6 et 7). D'après saint Basile (Hom. ii), on a coutume de comprendre généralement tout le temps sous la dénomination du mot jour, parce qu'il en exprime la partie principale. Ainsi, Jacob dit : Les jours de mon pèlerinage, sans parler de la nuit. Or, le soir et le matin sont pris pour les termes du jour, dont le matin est le commencement et le soir la fin". Ou bien on peut dire encore que le soir est le commencement de la nuit, et le matin le commencement du jour. Il était convenable qu'en exposant la distinction première des êlres, on ne désignât que les commencements des temps. Il est d'abord parlé du soir, parce que, le jour ayant commencé par la lumière, le soir, qui est le terme de la lumière, s'est présenté avant le matin, qui est le terme des ténèbres et de la nuit.— On peut dire aussi avec saint Jean Chrysostome (Hom. v, in Gen), que c'était pour indiquer que le jour ne se terminé pas naturellement le soir, mais le matin.

7. II faut répondre au septième, que le premier jour de la création est désigné par le nombre cardinal un pour indiquer que l'espace de 24 heures forme un jour, et le nombre un détermine par conséquent la mesure naturelle de la journée-, ou bien on peut dire que l'écrivain sacré a voulu signifier par là que le jour était consommé quand le soleil était revenu absolument au même point ; ou bien encore on peut répondre que le nombre septénaire des jours de la création étant complet, on revient au premier jour, qui ne fait qu'un avec le huitième (I). Ces trois raisons sont de saint Basile (Hexam. hom. n).

(1) Le temps, ajoute saint Basile, revient ainsi sur lui-même à la manière d'un cercle, pour nous indiquer l'analogie qu'il a avec l'éternité.


de tous les sept jours en général.


APPENDICE : EXTRAIT DE LA SOMME CONTRE LES GENTILS , LIB. I, CAP. JS, 6 ET 7.

I.

il est avantageux que la foi nous propose a croire des choses que la raison ne peut connaitre.

1. Il y en a qui pensent qu'on ne doit pas proposer à la croyance de l'homme des choses que sa raison ne peut connaître, parce que la divine Sagesse pourvoit à tous les êtres d'une manière conforme à leur nature. C'est pourquoi il faut démontrer qu'il est nécessaire à l'homme que Dieu lui propose à croire des choses qui surpassent sa raison. Car on ne désire une chose et on ne se porte vers elle avec ardeur qu'autant qu'on en a préalablement la connaissance. Les hommes étant destinés par la providence de Dieu à un bien plus élevé que celui que leur faiblesse peut goûter ici-bas(1), il a fallu que leur esprit fût élevé à un ordre de vérité supérieur à celui que leur raison peut atteindre, afin d'apprendre par là même à désirer et à rechercher avec ardeur un bien qui surpasse tout le bonheur de la vie présente. C'est là surtout le caractère de la religion chrétienne, qui promet tout spécialement les biens spirituels et éternels, et c'est pour ce motif qu'elle nous propose à croire une foule de choses supérieures à l'entendement humain. La loi ancienne, qui ne renfermait que des promesses temporelles, ne comprenait pas de dogmes qui surpassassent la portée de la raison humaine. D'après cela, les philosophes ont eu soin, comme le dit Aristote (JrM.lib.Yii, cap. 12; etlib.x, cap. 1 et 5), de montrer aux hommes, pour les éloigner des jouissances sensuelles et les porter à la vertu, qu'il y avait d'autres biens préférables aux biens des sens, et qui répandent dans l'àme de ceux qui se livrent aux vertus actives ou contemplatives une joie plus agréable et plus pure. D'ailleurs il est nécessaire que la révélation parle à l'homme, pour qu'il ait une notion de Dieu plus vraie. Car nous ne connaissons Dieu visiblement que quand nous croyons qu'il est au-dessus de tout ce qu'il est possible à l'homme d'en penser, parce que la substance divine surpasse nécessairement la connaissance humaine. Or, par là même que la foi nous enseigne sur Dieu des choses qui surpassent notre raison, nous sommes affermis dans le sentiment que Dieu est un être au-dessus de tout ce que nous pouvons penser.

(1) Il faut qu'il y ait harmonie entre l'intelligence et la volonté; la volonté ayant pour objet un bien surnaturel, l'intelligence doit avoir aussi pour objet des vérités surnaturelles, c'est-à-dire des vérités supérieures à la raison.

2. Le second avantage qui résulte de la supériorité de la foi, c'est la répression de la présomption qui est la mère de l'erreur. Car il y en a qui présument tellement de leur génie, qu'ils pensent pouvoir embrasser par leur entendement la nature divine tout entière, regardant comme absolument vrai tout ce qu'ils voient, et comme faux tout ce qu'ils ne voient pas. Pour guérir l'esprit humain de cette maladie, et l'amener à rechercher la vérité avec modestie, il a donc été nécessaire que Dieu proposât à la croyance de l'homme des dogmes qui surpassassent complètement son intelligence.

3. Un troisième avantage nous est indiqué par quelques paroles d'Aristote (Eth. lib. x, cap. 7). Simonides ayant engagé un individu à laisser là l'étude des choses divines pour ne s'appliquer qu'aux choses humaines, sous prétexte que l'homme doit s'occuper de ce qui est humain, et un mortel de ce qui est mortel, le philosophe de Stagyre dit au contraire que l'homme doit tendre de toutes ses forces vers les choses immortelles et divines. Aussi remarque-t-il ailleurs (De part. anim. lib. i, cap. 5) que, quoique nous sachions peu de chose des substances supérieures, le peu que nous en savons est plus agréable et plus à envier que toutes les connaissances que nous avons des substances inférieures. Et, ailleurs, il dit encore (De coel. et mund., text. 34) que, quoique les questions qu'on soulève sur les corps célestes n'aient que des solutions douteuses, néanmoins elles causent une grande joie à celui qui les étudie. Tous ces témoignages prouvent que la connaissance des choses les plus nobles, quelque imparfaite qu'elle soit, donne à l'âme la plus grande perfection. C'est pourquoi, bien que la raison humaine ne puisse pleinement pénétrer les vérités qui sont au-dessus d'elle, néanmoins elles la perfectionnent beaucoup, si elle les accepte telles que la foi les lui enseigne. C'est pour ce motif qu'il est dit dans l'Ecriture (Eccles. m, 25) : Dieu vous a découvert beaucoup de choses qui étaient au-dessus de l'esprit de l'homme. Et ailleurs (I. Cor. n, 11): Nul ne connaît ce qui est en Dieu que l'Esprit de Dieu.....Mais il nous l'a révélé par son Esprit.


II.

Il N'Y a PAS DE LÉGÈRETÉ A CROIRE LES CHOSES QUI SONT DE FOI, QUOIQU'ELLES SOIENT SUPÉRIEURES A LA RAISON.

Ceux qui admettent les vérités révélées que la raison humaine ne peut démontrer ne croient pas à la légère, comme ceux qui croient des fables grossières, selon l'expression de l'apôtre saint Pierre (IL Pet. i). Car la divine sagesse qui connaît tout à fond et qui a daigné révéler aux hommes ses secrets a prouvé sa présence et la vérité de sa doctrine et de son inspiration par les preuves les plus convenables (1), puisque pour établir des vérités supérieures à notre entendement naturel elle a produit visiblement des oeuvres qui surpassent les forces de la nature entière (2), comme fa guérison miracufeuse des malades, la résurrection des morts, le changement prodigieux des corps célestes, et ce qu'il y a de plus admirable encore, l'illumination des intelligences, de telle sorte que des idiots et des ignorants sont devenus instantanément, après avoir été remplis de l'Esprit-Saint, des hommes éminents, sages et éloquents. A la vue de ces prodiges, la force de la vérité s'est manifestée avec tant d'éclat, que sans avoir recours à la puissance des armes, sans employer les séductions des plaisirs, et ce qu'il y a de plus étonnant, au milieu des persécutions des tyrans, elle a attiré à elle non-seulement une multitude innombrable de gens simples et ignorants, mais encore les sages les plus renommés, et les a conquis à la foi chrétienne qui enseigne des dogmes absolument supérieurs à la raison humaine, qui condamne toutes les voluptés de la chair et qui nous apprend à mépriser tout ce que le monde renferme. L'adhésion des esprits à ces enseignements est elle-même le plus grand miracle, et il n'y a évidemment que l'inspiration de Dieu qui ait pu porter les hommes à mépriser ainsi les choses visibles pour ne chercher que les invisibles. Cet événement n'a été d'ailleurs ni imprévu, ni fortuit, mais c'est la Providence divine qui l'a elle-même ménagé. En effet, Dieu l'avait annoncé longtemps à l'avance par un grand nombre de prophètes dont nous vénérons les écrits parce qu'ils rendent témoignage à notre foi. Saint Paul indique cette preuve de la révélation quand il dit (Hebr, n, 3) que le véritable salut ayant été premièrement annonce par le Seigneur même, a été ensuite confirmé parmi nous par ceux qui l'ont entendu de sa propre bouche, auxquels Dieu a rendu témoignage par les miracles, par les prodiges, par les différents effets de sa puissance et par la distribution variée des dons et des grâces du Saint-Esprit. Cette conversion si surprenante du monde entier à la foi chrétienne est la preuve la pius certaine des miracles qui ont été faits autrefois, de telle sorte qu'il n'est plus nécessaire de les renouveler puisqu'ils brillent avec tout l'éclat de l'évidence dans leur effet. Car ce serait un prodige plus étonnant que tous les prodiges, si le monde avait été amené par des hommes simples et obscurs, sans aucun miracle, à croire des choses si ardues, à faire des oeuvres si difficiles, et à concevoir de si hautes espérances. Néanmoins de nos jours Dieu ne cesse pas de faire des miracles par l'intermédiaire de ses saints pour l'affermissement de la foi.

(1) Cet article, tout court qu'il paraît, est un résumé presque complet de ce qui se trouve renfermé dans le Traité de la religion.

(2) Ainsi à l'appui de nos croyances surnaturelles nous avons aussi des faits surnaturels.


(Dans l'alinéa suivant saint Thomas montre que Mahomet a suivi une marche toute opposée; il a séduit les peuples par l'appât des jouissances charnelles, il ne leur a enseigné que des choses faciles à croire, il n'a pas fait de miracles, il a établi sa religion par la force des armes, il n'a été annoncé par aucun prophète, etc.)


III.

la vérité rationnelle n'est pas contraire a la vérité révélée. ,

Quoique les vérités que la foi nous propose à croire soient supérieures à la raison humaine, elles ne peuvent néanmoins pas être contraires aux choses que la raison connaît naturellement.

1. En effet, il est constant que les vérités de l'ordre naturel que nous pouvons connaître au moyen de la raison sont tellement certaines, qu'il n'est pas possible de les considérer comme des erreurs. Il n'est pas non plus permis de regarder comme une fausseté ce que la foi nous enseigne, puisque tous ses enseignements sont évidemment confirmés par le témoignage de Dieu lui-même. Et puisqu'il n'y a que le faux qui soit contraire au vrai, comme on le voit évidemment d'après leur définition, il est impossible que la vérité révélée soit contraire aux principes que la raison connaît naturellement.

2. La science de celui qui enseigne embrasse tout ce qu'il fait entrer dans l'esprit de son élève, à moins que son enseignement ne soit dissimulé, ce qu'il n'est pas permis de dire de Dieu. Or, la connaissance des principes que nous possédons naturellement nous vient de Dieu puisqu'il est l'auteur de notre nature. La divine sagesse possède donc elle-même ces principes. Par conséquent tout ce qui est contraire à ces principes est contraire à la sagesse divine et ne peut venir de Dieu. Ainsi ce que la foi nous enseigne d'après la révélation divine ne peut donc être contraire à la connaissance naturelle.

3. Les raisons contraires enchaînent notre entendement au point de le mettre dans l'impossibilité d'arriver à la connaissance du vrai. Si donc nous avions des connaissances contraires qui nous vinssent de Dieu, elles empêcheraient notre esprit de connaître la vérité, ce que Dieu ne peut faire.

4. Les choses qui sont naturelles ne peuvent être changées tant que la nature subsiste. Or, les opinions contraires ne peuvent exister simultanément dans le même sujet. Donc Dieu n'inspire à l'homme ni opinion, ni croyance qui soient contraires à sa connaissance naturelle. C'est pourquoi l'Apôtre dit (Rom. x, 8) : La parole de la foi que nous vous prêchons n'est point éloignée de vous, elle est dans votre bouche et dans votre coeur. Mais parce que la vérité révélée surpasse la raison, il y en a qui croient qu'elle lui est contraire, ce qui ne peut pas être. Saint Augustin est d'ailleurs de cet avis, car il dit (Sup. Gen. ad litt. lib. ii, cap. 18): Ce que la vérité nous découvre ne peut être d'aucune manière en contradiction avec les livres saints, soit de l'Ancien, soit du Nouveau Testament.

D'où il résulte manifestement que tous les arguments que l'on fait contre les vérités de foi ne sont pas légitimement déduits des premiers principes naturels qui sont évidents par eux-mêmes et que par conséquent ils ne sont pas démonstratifs. Ce sont des raisons spécieuses et sophistiques et il y a toujours moyen de les détruire.









QUESTION LXXV. : DE L'HOMME QUI EST COMPOSÉ D'UNE SUBSTANCE SPIRITUELLE ET D'UNE SUBSTANCE CORPORELLE ET D'ABORD DE L'ESSENCE DE L'AME.


I pars (Drioux 1852) Qu.73 a.3